Featured articles en vedette Artículos Artigos destacados Ausgewählte Artikel Articoli in evidenza

05/10/2023

ANTONIO MAZZEO
Pont de Messine : les comptes fantastiques de Webuild & Co

Antonio Mazzeo, Blog, 1/10/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Le Pont sur le détroit : “une œuvre de référence de l’ingénierie italienne dans le monde”. C’est la définition utilisée par le géant de la construction Webuild* dans le communiqué de presse annonçant la “livraison de la documentation mettant à jour le projet final” à la Società Stretto di Messina S.p.A..

Le préfet de police Gianni De Gennaro, le président nommé par Webuild à la tête d'Eurolink


En attendant de connaître toutes les “mises à jour” prévues pour contourner les innombrables aspects critiques du point de vue technique et de l’ingénierie, socio-environnemental et économique de l’infrastructure pour la liaison stable entre Charybde et Scylla, il y a un passage de la note de Webuild qui frappe par ses approximations et son caractère de propagande ridicule.

 

« La structure accueillera deux routes à trois voies dans chaque direction (deux voies de circulation et une voie d’urgence) et une ligne ferroviaire à double voie, permettant un flux de 6 000 véhicules par heure et jusqu’à 200 trains par jour, révolutionnant la mobilité de la zone et de tout le sud de l’Italie », tonitrue le grand groupe économico-financier.

 

Je laisse aux économistes et aux universitaires le soin d’examiner scientifiquement l’“étude” économique et de transport de Webuild, et je me permettrai seulement de faire quelques calculs au boulier pour mettre en évidence le caractère insoutenable et le surdimensionnement des données.

 

La traversée du pont par 6 000 véhicules par heure correspond à 144 000 véhicules par jour ou 52 560 000 par an. En ce qui concerne les trains (aujourd’hui un nombre correspondant aux doigts d’une main suite au démantèlement progressif du trafic ferroviaire dans le détroit par Trenitalia), les 200 quotidiens correspondraient à 73 000 trains par an.

 

Imaginons que les véhicules et les trains circulent sur le pont avec un nombre de passagers vraiment minimal, 2 par voiture et pas plus de 200 par train, ce qui représente un énorme gaspillage de ressources financières pour les particuliers et pour Trenitalia.

 

En termes de véhicules, 105 120 000 passagers passeraient ainsi en un an, et 14 600 000 en train. Au total, cela représenterait 119 720 000 passagers en transit, soit près de douze fois plus que ce qui a été calculé pour l’année 2022 par l’Autorité portuaire du détroit.

 

Plus précisément, l’autorité a documenté qu’entre les ports de Messine, Villa San Giovanni et Reggio Calabria, « plus de 10 000 000 de passagers transitent chaque année, à pied et à bord d’environ 1 800 000 voitures et 400 000 véhicules lourds, auxquels s’ajoutent plus de 1 500 000 passagers et 800 000 véhicules lourds et voitures sur les itinéraires Tremestieri-Villa San Giovanni-Reggio Calabria ».

 

Compte tenu du coût prévu des péages pour les véhicules et les poids lourds, deux/trois fois supérieur à la valeur du billet payé aujourd’hui sur les ferries, il est tout simplement inimaginable que tous les véhicules choisissent le pont (voir ce qui se passe dans la Manche, où le tunnel enregistre chaque année d’énormes déficits économiques, précisément parce que ceux qui voyagent entre la France et le Royaume-Uni continuent à privilégier le ferry).

 

Mais imaginons aussi un scénario dans lequel plus aucun ferry n’emprunterait le détroit. L’Autorité portuaire du détroit a estimé qu’un quart des passagers en transit sont des navetteurs qui se déplacent quotidiennement, principalement pour leur travail, entre les provinces de Messine et de Reggio de Calabre : seraient-ils prêts à subir des tranches très longues entre les deux capitales, sur des kilomètres et des kilomètres entre tunnels, galeries et viaducs, alors qu’ils peuvent désormais rejoindre les centres-villes en hydroglisseur avec des temps de trajet inférieurs à 20/30 minutes ? Impossible à croire.

 

Un quart de 10 millions correspond à 2 500 000 passagers, soit 2 500 000 personnes qui ne doivent pas lutter pour atteindre les maxi-piles entre Scylla et Charybde mais qui ont besoin d’un moyen de transport rapide, confortable et écologiquement durable.

 

En fin de compte, seuls 7 500 000 passagers traversent le détroit chaque année pour parcourir des distances moyennes. Mais Webuild fera les choses en grand, il y aura de la place pour tout le monde, soit près de quinze fois la demande réelle de mobilité. Pour balancer des conneries, faut surtout pas se priver. De toute façon, c’est l’État qui casque.

Note du traducteur

*Webuild S.p.A. est depuis 2020 le nouveau nom de Salini Impregilo S.p.A.. C’est le principal groupe italien de bâtiment et travaux publics, avec un chiffre d’affaires de 8,2 milliards d’euros en 2022. Son PDG Pietro Salini, membre de la Commission Trilatérale, est le petit-fils de Pietro Salini, fondateur de l’entreprise principale du conglomérat en 1936 et le fils de Simonpietro, membre de la loge P2 de Licio Gelli. La première réalisation du fondateur fut le stade de 100 000 places construit sur ordre de Mussolini pour accueillir Hitler, appelé Stade olympique depuis 1960, suivi de grands travaux en Éthiopie grâce aux bons offices de Giulio Andreotti, ou du métro de Stockholm ou encore du doublement du Canal de Panama. En 2005, Impregilo était le premier de cordée d’un consortium d’entreprises, Eurolink S.C.p.A., qui remporta l’appel d’offres pour la construction du pont sur le détroit, avec un devis de 3,88 milliards d’euros et un temps prévu de réalisation de 70 mois. La société créée à cet effet, Stretto di Messina S.p.A., fut dissoute 2 ans plus tard. Les aventures byzantines du projet dans les années qui ont suivi sont dignes d’un roman de Leonardo Sciascia. En 2012, le gouvernement Monti a voté un paiement de 300 millions d’euros de pénalités pour non-réalisation du projet. En 2013, la société a été mise en liquidation.

18 ans plus tard, Eurolink refait surface, grâce au duo Meloni-Salvini, mais avec d’autres composantes : Webuild (45%), l’Espagnol Sacyr (18,7%), Condotte d’Acqua (15%), CMC (13%), le Japonais IHI (6,3%) e Consorzio ACI (2%). Et Webuild nomme à sa tête Gianni De Gennaro, ancien chef de la police, ancien PDG de Leonardo (ex Finmeccanica) et président depuis 10 ans du Centre d’Études Américaines. Idem pour la “ Società Stretto di Messina”, que l’on croyait liquidée depuis 10 ans.

 N’oublions pas que la scène se joue à Messine, qui fut, avec Syracuse, la seule cité sicilienne à ne pas porter plainte contre le propréteur Verrès pour concussion, abus de pouvoir, détournement de fonds et vols d’œuvres d’art. Cela Se passait en l’an 70 avant J.-C... 2093 ans plus tard, la Sicile -et l’Italie avec elle - attend en vain son nouveau Cicéron.

Autres articles en français sur ce grand projet inutile
 

Les drapeaux rouges se suivent et ne se ressemblent pas


Aucun commentaire: