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12/10/2023

MARK LEVINE
La conception de la violence de Fanon ne s’applique pas en Palestine

Mark LeVine, Aljazeera, 10/10/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le colonialisme israélien est bien plus que de la “violence à l’état de nature” et il faudra donc bien plus qu’une “plus grande violence” pour le vaincre.

Mark LeVine est professeur d’histoire et directeur du programme d’études mondiales sur le Moyen-Orient à l’université de Californie à Irvine. Son dernier ouvrage s’intitule We’ll Play till We Die : Journeys Across a Decade of Revolutionary Music in the Muslim World (University of California Press). Il est aussi guitariste de rock.

Au lendemain de l’attaque sans précédent du Hamas contre Israël depuis Gaza, mon fil d’actualité Facebook a été envahi par des amis partageant des variantes d’une célèbre citation du philosophe et psychiatre anticolonialiste d’origine martiniquaise Frantz Fanon, selon laquelle la violence du colonialisme ne peut qu’être, et sera naturellement, contrée par la violence du colonisé. La citation est tirée de l’ouvrage Les Damnés de la terre et ne peut être comprise que dans le contexte de l’argumentation plus complète de Fanon : "Le colonialisme n’est pas une machine à penser, n’est pas un corps doué de raison. Il est la violence à l’état de nature, et ne peut s’incliner que devant une plus grande violence. » [p. 61]

Emad Hajjaj

Personne ne peut nier le caractère brillant de Fanon ni sa compréhension pionnière et profonde des effets psychologiques de la violence coloniale sur le colonisé et le colonisateur (en tant que psychiatre, il a traité des officiers coloniaux français et des Algériens et a constaté qu’ils souffraient de troubles psychiatriques similaires). Mais la seconde partie de l’argumentation de Fanon, la plus célèbre, n’est pas compréhensible sans la première partie, et la première partie - en particulier dans le contexte israélien - est de fait profondément erronée.

Le colonialisme, en particulier le colonialisme de peuplement - et encore plus particulièrement le colonialisme de peuplement sioniste - est en grande partie une “machine à penser” dotée d’une logique et d’une rationalité très puissantes et anciennes qui sont la clé de son succès. C’est pourquoi il est essentiel, pour ceux qui analysent et combattent la violence coloniale, de se demander à quoi ressemblerait une “plus grande violence” et comment elle peut être mesurée, sans parler de sa réalisation.

Je n’ai encore vu aucun scénario plausible dans lequel les Palestiniens acquièrent les moyens de déployer une “violence bien plus grande” à l’égard d’Israël/de l’entité sioniste pendant un certain temps, quel que soit le rapport de force géostratégique concevable. Même si l’Iran (la seule puissance qui soutient la Palestine de manière significative), par exemple, voulait livrer des armes plus lourdes aux Palestiniens, le contrôle d’Israël sur les points d’accès, ainsi que celui de l’Égypte et de la Jordanie, l’en empêcherait. La Palestine n’est pas l’Ukraine, soutenue par de grandes puissances et capable d’utiliser des corridors terrestres, maritimes et aériens pour obtenir un flux ininterrompu de livraisons d’armes afin de lutter contre un adversaire beaucoup plus grand et mieux armé. C’est même tout le contraire.

Plus largement, la Palestine d’aujourd’hui n’est pas l’Algérie de 1956, qui était la référence la plus importante de Fanon. Israël n’est pas non plus la France, avec une métropole où les colons peuvent revenir (à moins que nous ne considérions Tel Aviv comme la métropole). Il n’y aura pas de guerre d’indépendance de longue haleine aboutissant à ce que la grande majorité des Juifs quittent à la française une Palestine reconquise. Mais il existe plusieurs scénarios qui pourraient conduire à un retour de la Nakba, comme le réclament aujourd’hui de nombreux politiciens israéliens.

De plus, lorsque Fanon parle de l’effet “cathartique” et “purificateur” de la violence par/pour le colonisé dans Peau Noire, Masques Blancs, un autre argument souvent cité, il est important de rappeler qu’il fait d’abord référence au colonisé qui « adopte subjectivement une attitude de Blanc » et non à l’utilisation de la violence pour se purifier de la maladie psychologique du colonialisme en préparation de la longue lutte pour l’indépendance. Lorsque le moment de la violence révolutionnaire survient, explique-t-il dans Les Damnés de la terre, c’est encore au début de la lutte, lorsque le sujet colonisé, dégradé depuis longtemps, « découvre que sa vie, sa respiration, les battements de son cœur sont les mêmes que ceux du colon. Il découvre qu’une peau de colon ne vaut pas plus qu’une peau d’indigène. C’est dire  que cette découverte introduit une secousse essentielle dans le monde ». À ce moment-là, « toute l’assurance nouvelle et révolutionnaire du colonisé en découle. Si, en effet, ma vie a le même poids que celle du colon, son regard ne me foudroie plus, ne m’immobilise plus, sa voix ne me pétrifie plus. Je ne me trouble plus en sa présence. Pratiquement, je l’emmerde. Non seulement sa présence ne me gêne plus, mais déjà je suis en train de lui préparer de telles embuscades qu’il n’aura bientôt d’autre issue que la fuite ».

Dans le cas de la Palestine, ce type de violence s’est produit en 1921, 1929 et surtout en 1936, et non en 1987 ou 2000. Elle s’est appuyée sur l’autoreconnaissance des Palestiniens en tant que nation indépendante qui a vu le jour au début du 20e siècle, en même temps que le sionisme.

Je crains qu’en se concentrant sur la composante psychologique et le pouvoir de la violence, ainsi que sur le sentiment de liberté et de respect de soi produit par une violence telle que celle de la dernière attaque de masse, les gens placent les Palestiniens à un stade de développement national bien plus précoce qu’ils ne le sont aujourd’hui, ce qui conduit à des stratégies de résistance qui ne correspondent pas à l’état actuel du développement national ou au moment stratégique et politique. Cela permet également aux dirigeants israéliens, tels que le ministre de la défense Yoav Gallant, de déclarer, comme on pouvait s’y attendre, que « nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence », alors qu’Israël entame ce qu’il faut bien appeler un siège mortel de la bande de Gaza, tandis qu’une grande partie du monde hoche la tête en semblant le comprendre.

En effet, pendant plus de 50 ans d’occupation et 30 ans d’ “autonomie” palestinienne post-Oslo, plutôt que “ le colonisé [qui]se guérit de la névrose coloniale en chassant le colon par les armes”, ce qui s’est produit (comme je l’ai appris lors d’entretiens avec des thérapeutes dans les rares centres de santé mentale de Gaza depuis la fin des années 1990 jusqu’aux années 2000), c’est la transmission des traumatismes, les anciens prisonniers du Fatah torturés par Israël torturant à leur tour les membres du Hamas en utilisant les mêmes techniques que celles utilisées par les Israéliens sur eux - souvent en criant sur leurs victimes en hébreu tout en les torturant dans les mêmes pièces où ils ont été torturés. Le Hamas a poursuivi ce cycle pendant les deux décennies où il a exercé un contrôle effectif sur Gaza. Et aujourd’hui, nous le voyons avec des foules qui acclament les Israéliens kidnappés, battus et assassinés.

Quelle que soit la catharsis que cela constitue, ce n’est pas celle qui mènera à la victoire sur une société israélienne qui utilise la violence contre les Palestiniens comme sa propre catharsis traumatique depuis 75 ans, dans un monde qui a une très grande tolérance pour les victimes civiles palestiniennes, la plupart des Occidentaux continuant à soutenir Israël chaque fois qu’il y a un grand nombre de victimes juives israéliennes.

Enfin, il convient de noter que Fanon a considéré la présence de la France en Algérie sous l’angle du colonialisme/impérialisme européen de manière plus générale, en expliquant : « Très concrètement l’Europe s’est enflée de façon démesurée de l’or et des matières premières des pays coloniaux : Amérique latine, Chine, Afrique. De tous ces continents, en face desquels l’Europe aujourd’hui dresse sa tour opulente, partent depuis des siècles en direction de cette même Europe les diamants et le pétrole, la soie et le coton, les bois et les produits exotiques. L’Europe est littéralement la création du tiers monde. Les richesses qui l’étouffent sont celles qui ont été volées aux peuples sous-développés ». [Les Damnés de la Terre, p. 99]

Quoi que l’on puisse dire du colonialisme sioniste/israélien et de l’immense vol des ressources palestiniennes qu’il a impliqué, son objectif premier a été le vol et la colonisation de terres afin d’établir sa propre souveraineté sur ce territoire pour que ses citoyens puissent y vivre. Il est beaucoup plus proche du colonialisme nord-américain et australien - où les maladies, le nettoyage ethnique à grande échelle et finalement le génocide ont décimé la population indigène - que du colonialisme français en Algérie ou même en Afrique du Sud, où les Africains indigènes constituaient la grande majorité de la population totale. En effet, à l’instar de ces autres colonies européennes, les Juifs sionistes se sont dès le départ imaginés comme la population indigène et, dès le début des années 1970, ils ont tenté de s’identifier directement aux sujets coloniaux de Fanon ayant besoin d’une violence cathartique pour créer leur (re)nouvelle(s) nation(s).

Tragiquement, Fanon est mort en 1961, un an avant l’indépendance de l’Algérie. Il n’a pas vécu assez longtemps pour voir les réalités de la politique postcoloniale en Algérie, ou dans toute l’Afrique d’ailleurs, où, comme le romancier kenyan et penseur décolonial Ngugi wa Thiong’o l’a si bien montré, les dirigeants des États nouvellement indépendants ont presque immédiatement commencé à traiter leurs peuples de la même manière que leurs anciens colonisateurs (un phénomène également vécu par l’[In]Autorité palestinienne et le Hamas depuis Oslo).

Il y a quarante ans, lorsqu’il décrivait cette dynamique de gouvernance postcoloniale dans ses mémoires de prison révolutionnaires, Wrestling with the Devil : A Prison Memoir, Thiong’o a utilisé le terme “néocolonial”, non pas pour indiquer la poursuite du contrôle européen par d’autres moyens, mais plutôt pour décrire la manière dont les dirigeants anticoloniaux ont adopté (et adapté) les mêmes techniques brutales et autoritaires que leurs colonisateurs pour asseoir et maintenir leur pouvoir ; une critique de la “colonialité du pouvoir” qui est aujourd’hui au cœur de la pensée décoloniale, de plus en plus populaire.

Cette colonialité du pouvoir ne permettra jamais aux Palestiniens d’accéder à une indépendance réelle, ni par l’intermédiaire de l’[I]AP néocoloniale, ni avec le Hamas à la tête du pays. Si les Palestiniens veulent vaincre le colonialisme sioniste, il faudra probablement une analyse de sa violence et de son pouvoir bien différente de celle proposée par Fanon il y a trois quarts de siècle, et il faudra probablement un changement de paradigme dans les concepts fondamentaux de ce que sont une nation, la liberté et l’indépendance à un moment où le monde entier, et pas seulement la Palestine/Israël, se dirige vers la conflagration.

Union Sacrée : le gouvernement israélien d’urgence comprendra un cabinet de guerre spécial pour la “guerre au Hamas”

Michael Hauser Tov, Haaretz, 11/10/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le Premier ministre Netanyahou, le ministre de la Défense Yoav Gallant et Benny Gantz - qui a précédemment occupé les fonctions de chef d’état-major des FDI et de ministre de la Défense - formeront un gouvernement d’urgence et dirigeront un cabinet de guerre. Le ministre des Affaires stratégiques Ron Dermer et le député Gadi Eisenkot siègeront en tant qu’observateurs.

Netanyahou, Gantz et Gallant annoncent la formation d’un gouvernement d’urgence, mercredi soir. Photo : Service de presse du gouvernement israélien

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou et le président du Parti de l’unité nationale, Benny Gantz, se sont mis d’accord mercredi pour former un gouvernement d’urgence pendant la guerre en cours contre le Hamas.

Le gouvernement établira un cabinet de guerre spécial et n’adoptera aucune législation non liée à la guerre, selon l’accord. Les membres du cabinet de guerre spécialisé seront Netanyahou,  Gantz et le ministre de la Défense Yoav Gallant.

« Nous mettons de côté toutes les autres considérations, car le sort de notre pays est en jeu », a déclaré  Netanyahou lors d’une annonce commune publiée mercredi soir.

Gallant a dénoncé la “barbarie” du Hamas, qu’il a qualifiée de “sans précédent depuis l’Holocauste”, tandis que Gantz a souligné l’unité du peuple israélien, qui « se serre les coudes pour envoyer un message clair à nos adversaires ».

Gantz a déjà été ministre de la Défense et chef d’état-major de Tsahal. Le ministre des Affaires stratégiques Ron Dermer (Likoud), proche allié de Netanyahou, et l’ancien chef des forces de défense israéliennes Gadi Eisenkot, membre du parti de Gantz, seront des observateurs. Dermer n’a pas servi dans l’armée.

Le cabinet de guerre fonctionnera sous les auspices du comité ministériel pour la sécurité nationale. Selon les termes de l’accord, quatre membres du parti de Gantz rejoindront le comité ministériel en tant que membres à part entière et un en tant qu’observateur. Le comité est notamment chargé de présenter des recommandations et des directives concernant la situation des otages israéliens.

Lors de sa première réunion, le cabinet de guerre élaborera un plan stratégique qui sera soumis à l’approbation du comité ministériel. Il devra se réunir au moins toutes les 48 heures pour faire le point et prendre des décisions.

Selon les termes de l’accord signé par Netanyahou et Gantz, le nouveau gouvernement n’adoptera aucune loi ou résolution qui ne soit pas liée à la situation d’urgence actuelle sans le consentement des deux parties. Cela signifie que la réforme judiciaire très controversée du gouvernement est morte, du moins pour l’instant.

L’accord stipule que tous les hauts responsables resteront en fonction jusqu’à la fin de la guerre. Toute nouvelle nomination rendue nécessaire par la situation d’urgence sera faite avec le consensus de Netanyahou et de Gantz.

Selon l’accord, si le principal parti d’opposition, Yesh Atid, rejoint le gouvernement d’urgence, le leader du parti, Yair Lapid, fera également partie du cabinet de guerre.

Gantz, Eisenkot et leurs collègues de parti, Gideon Sa’ar, Chili Tropper et Yifat Shasha-Biton, seront les cinq législateurs qui rejoindront la coalition et le cabinet de sécurité en tant que ministres sans portefeuille. Shasha-Biton et Eisenkot serviront d’observateurs. Le ministre des Affaires stratégiques, Ron Dermer, siégera également en tant qu’observateur au sein du cabinet de guerre.

Plusieurs sources du Likoud ont déclaré précédemment que Sara Netanyahou, l’épouse du Premier ministre, avait tenté de retarder la mise en place du gouvernement d’urgence. « Il y a une personne dans l’État d’Israël qui n’est pas intéressée par l’unité - Sara Netanyahou », a déclaré l’une des sources. En réponse, le porte-parole du Likoud a publié une déclaration au nom de Sara Netanyahou : « L’unité est à l’ordre du jour ».

Netanyahou et Gantz se sont rencontrés mercredi matin dans le cadre des négociations sur la mise en place d’un gouvernement d’urgence. Les deux hommes devaient se rencontrer mardi soir, mais la rencontre a été reportée en raison des réunions en cours avec le cabinet de sécurité.

Gantz et Netanyahou se sont rencontrés juste après une réunion entre les chefs de la coalition, et plus de trois jours après l’offre initiale de Gantz sur la formation d’un gouvernement d’urgence.

Des sources du Likoud ont admis mardi que Netanyahou avait refusé de faire avancer les pourparlers avec Gantz avant de se coordonner avec les chefs de la coalition. Lors de la réunion qui s’est tenue hier au quartier général de Tsahal, un accord presque total a été exprimé au sein de la coalition pour la mise en place d’un cabinet de guerre - la seule opposition exprimée l’a été par le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir.

 

09/10/2023

Amir Tibon : “Mon père de 62 ans a combattu les terroristes du Hamas pour libérer ma famille. L’État israélien nous a laissé tomber”

Amir Tibon, Haaretz, 8/10/2023

 Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Amir Tibon (1989) est un journaliste israélien spécialisé dans les relations USA-Israël au quotidien Haaretz, dont il a été le correspondant à Washington, et rédacteur en chef adjoint de l’édition anglaise du quotidien. Auteur d’une biographie de Mahmoud Abbas, The Last Palestinian (Prometheus Books, 2017) @amirtibon


NdT : j’ai traduit le plus fidèlement possible ce texte, révélateur de l’état d’esprit régnant parmi les Israéliens de la “ligne de front”, vivant dans des kibboutz chargés de surveiller la frontière de Gaza, dans cette zone joliment appelée par Israël “l’enveloppe de Gaza”

Nous vivions un rêve. Le 7 octobre, nous nous sommes réveillés dans un cauchemar. Après des heures dans l’abri antibombes avec des terroristes armés de l’autre côté du mur, à 16 heures, nous avons entendu frapper à la fenêtre. “Sabba est là”, a dit ma fille, et nous avons tous éclaté en sanglots.

Terroristes du Hamas à Kfar Azza. Photo : Hassan Eslaiah

Au début, c’était juste un sifflement. Il était un peu plus de six heures du matin, et ma femme Miri a été réveillée par un son familier : un obus de mortier sur le point de tomber. Il n’y avait pas eu d’alerte préalable, mais ce son a suffi à nous faire courir vers la pièce sécurisée, qui sert également de chambre à coucher à nos filles, ici au kibboutz Nahal Oz, l’endroit d’Israël le plus proche de Gaza.

Galia, trois ans, et Carmel, un an, dormaient dans leur lit, se remettant d’une fabuleuse excursion la veille dans la région israélienne de l’“enveloppe de Gaza”, la belle partie du pays que nous appelons notre maison. Nous ne voulions pas les réveiller, mais nous avons commencé à faire nos bagages. Nous pensions qu’il s’agirait encore d’une de ces journées auxquelles nous nous sommes habitués : des voyages dans la pièce sécurisée pendant l’explosion d’une roquette, puis des voyages vers le nord pour se mettre à l’abri.

Après une heure de sirènes et d’explosions ininterrompues, nous avons entendu pour la première fois le bruit glaçant des tirs automatiques. Au début, nous l’avons entendu de loin, depuis les champs. Ensuite, le son était beaucoup plus proche, venant de la route. Enfin, nous l’avons entendu à l’intérieur même de notre quartier, près de la fenêtre de notre maison. Nous avons également entendu des cris en arabe et nous avons immédiatement compris ce qui se passait : C’était notre pire cauchemar. Des militants armés du Hamas avaient infiltré notre kibboutz et se trouvaient littéralement sur le pas de notre porte, tandis que nous étions enfermés à l’intérieur avec nos deux petites filles.

 

L’hôpital Brazilai, dans le sud d’Israël, samedi. Photo : Ilan Assayag

Miri et moi avons déménagé à Nahal Oz il y a neuf ans, juste après la guerre de Gaza de 2014. Ce qui nous a attirés dans cet endroit particulier, c’était le désir d’un peu d’aventure et de vie communautaire, ainsi qu’un peu de sionisme à l’ancienne. S’installer dans un kibboutz à la frontière de Gaza n’était pas un choix évident pour un jeune couple de Tel-Aviviens. Mais nos parents étaient fiers de notre décision, et Nahal Oz est devenu notre maison. C’est là que nous nous sommes mariés en 2016, au bord de la piscine située à quelques centaines de mètres de la barrière frontalière. Et c’est là que nous sommes retournés après un séjour de trois ans aux USA, où j’ai occupé le poste de correspondant de Haaretz à Washington.

Nous avons connu d’innombrables “alertes rouges” au cours de nos années passées au kibboutz. Nous nous sommes également familiarisés avec la menace des ballons incendiaires et la puanteur des champs en flammes. Mais ces problèmes n’étaient pas suffisamment graves pour nous faire oublier les merveilleux avantages de la vie dans un kibboutz, notamment le fait que nos petites filles se rendaient seules à la crèche et qu’elles pouvaient ensuite acheter une glace à l’épicerie locale. En ce qui nous concerne, nous vivions le rêve.

Mais nous nous sommes retrouvés confrontés à une menace d’un tout autre genre - une menace qui était censée pouvoir être évitée.

Lorsque nous avons emménagé dans le kibboutz, le mot le plus effrayant de notre lexique était “tunnel”. Mais comme le gouvernement avait investi des milliards de shekels dans un mur d’obstruction souterrain destiné à neutraliser le réseau de tunnels souterrains du Hamas, nous nous sommes permis de dormir tranquillement. Ce samedi matin, nous avons réalisé que ce mur souterrain était l’équivalent de la ligne Maginot pour notre génération et que nous étions au milieu d’un désastre de l’ampleur de la guerre du Kippour de 1973. Israël avait déversé des tonnes de béton dans la terre, alors que tout ce que le Hamas avait à faire était de franchir la clôture en surface avec ses tracteurs.

Le kibboutz Nahal Oz, 2022. Photo : Eliyahu Hershkovitz


De los subhumanos de Varsovia a los animales humanos de Gaza

    “He ordenado el asedio total de la Franja de Gaza. No habrá electricidad, ni alimentos, ni combustible, todo está cerrado. Estamos luchando contra animales humanos y actuamos en consecuencia”.

    General Yoav Gallant, Ministro de Defensa israelí, 9 de octubre de 2023


 

    “Durante la operación de hoy se han incendiado varios bloques de edificios. Este es el único y definitivo método que obliga a sacar a la superficie estos desechos y esta subhumanidad”.

    SS-Gruppenführer Jürgen Stroop, Varsovia, 26 de abril de 1943

    “Todo el antiguo gueto ha sido hurgado hoy por comandos en busca de refugios y judíos restantes. Como se informó hace unos días, un número de subhumanos, bandidos y terroristas todavía están en los refugios, donde el calor se ha vuelto intolerable debido a los incendios. Estas criaturas saben muy bien que su única opción es permanecer ocultos el mayor tiempo posible o salir a la superficie e intentar herir o matar a los hombres de las Waffen-SS, la policía y la Wehrmacht que mantienen la presión contra ellos”.

    SS-Gruppenführer Jürgen Stroop, Varsovia, 8 de mayo de 1943

    “Nunca ha habido una insurrección. Una insurrección tiene un principio, un plan, un final y, sobre todo, una esperanza de victoria. En el gueto de Varsovia, en abril de 1943, no había esperanza. Es cierto que, en la conciencia de judíos, polacos y otros, seguía siendo un levantamiento. Pero, en realidad, se trataba de autodefensa. Básicamente, decidimos elegir nuestra propia forma de morir...”.

    Marek Edelman, comandante de la Organización Judía de Combate del Gueto de Varsovia, Le Soir, 19-4-1993

El autor de la primera frase citada, el general Gallant, hijo de un guerrillero antinazi en los bosques de Ucrania y Bielorrusia y de una polaca superviviente del Holocausto, no estará contento con la comparación con el autor de la segunda y tercera citas, el Gruppenführer Stroop, que dirigió la solución final del gueto de Varsovia y fue ahorcado por sus crímenes en 1952, en el mismo lugar del gueto.

Gallant nunca será ahorcado e incluso podría recibir un Premio Nobel de la Paz por haber luchado tan valientemente contra los “animales humanos” de Gaza. Para Stroop, los combatientes judíos eran “terroristas, bandidos, subhumanos, basura”. Uno de ellos, Marek Edelman (1919-2009), que sobrevivió y se negó toda su vida a pisar Israel, dijo de la acción de los combatientes del gueto: “En realidad, se trataba de autodefensa. Básicamente, decidimos elegir nuestra propia forma de morir”. Los combatientes del gueto de Gaza pueden decir lo mismo.

 

Cartel de la Żydowska Organizacja Bojowa (ŻOB), la Organización Judía de Combate. El texto dice: “Todos los hombres son hermanos: el amarillo, el moreno, el negro y el blanco. Hablar de pueblos, colores, razas, ¡es una historia inventada!

GIDEON LEVY
Israël ne peut pas emprisonner deux millions de Gazaouis sans payer le prix fort

Gideon Levy, Haaretz, 9/10/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Derrière tout ça, c’est l’arrogance israélienne  qui se cache, l’idée que nous pouvons faire ce que nous voulons, que nous ne paierons jamais le prix et que nous ne serons jamais punis pour cela. Nous continuerons sans être dérangés

Le Dôme de fer tire sur des roquettes au-dessus d’Ashkelon samedi. Nous avons pensé que nous pouvions continuer à rejeter avec arrogance toute tentative de solution diplomatique. Photo : Ilan Assayag

 

Nous arrêterons, tuerons, harcèlerons, déposséderons et protégerons les colons occupés à leurs pogroms. Nous visiterons la tombe de Joseph, la tombe d’Othoniel Ben Kenaz et l’autel de Josué dans les territoires palestiniens, et bien sûr le mont du Temple - plus de 5 000 Juifs pour la seule fête de Souccot.

 

Nous tirerons sur des innocents, nous leur arracherons les yeux et leur fracasserons le visage, nous expulserons, nous confisquerons, nous volerons, nous saisirons les gens dans leur lit, nous procéderons à un nettoyage ethnique et, bien sûr, nous poursuivrons l’incroyable siège de la bande de Gaza, et tout ira bien.

 

Nous construirons un obstacle terrifiant autour de Gaza - le mur souterrain a coûté à lui seul 3 milliards de shekels (720 millions d’€) - et nous serons en sécurité. Nous nous appuierons sur les génies de l’unité de cyberespionnage 8200 de l’armée et sur les agents du service de sécurité Shin Bet qui savent tout. Ils nous préviendront à temps.

 

Nous transférerons la moitié d’une armée de la frontière de Gaza à la frontière de Huwara en Cisjordanie, uniquement pour protéger le député d’extrême droite Zvi Sukkot et les colons. Et tout ira bien, tant à Huwara qu’au point de passage d’Erez vers Gaza.

 

Il s’avère que même l’obstacle le plus sophistiqué et le plus coûteux du monde peut être franchi avec un vieux bulldozer fumant lorsque la motivation est grande. Cette barrière arrogante peut être franchie à bicyclette et à mobylette malgré les milliards qui y ont été déversés et tous les experts célèbres et les gros sous-traitants.

 

On pensait continuer à descendre à Gaza, distribuer quelques miettes sous forme de dizaines de milliers de permis de travail israéliens - toujours conditionnés à une bonne conduite - et les maintenir en prison. Nous ferons la paix avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis et les Palestiniens seront oubliés jusqu’à ce qu’ils soient effacés, comme le souhaitent bon nombre d’Israéliens.

 

Nous continuerons à détenir des milliers de prisonniers palestiniens, parfois sans procès, dont la plupart sont des prisonniers politiques. Et nous n’accepterons pas de discuter de leur libération, même après qu’ils ont été emprisonnés pendant des décennies.

 

Nous leur dirons que ce n’est que par la force que leurs prisonniers connaîtront la liberté. Nous pensions que nous continuerions à rejeter avec arrogance toute tentative de solution diplomatique, uniquement parce que nous ne voulons pas nous occuper de tout cela, et que tout continuerait ainsi pour toujours.

 

Une fois de plus, il a été prouvé que ce n’était pas le cas. Quelques centaines de Palestiniens armés ont franchi la barrière et ont envahi Israël d’une manière qu’aucun Israélien n’aurait imaginée. Quelques centaines de personnes ont prouvé qu’il est impossible d’emprisonner 2 millions de personnes pour toujours sans en payer le prix.

 

Tout comme le vieux bulldozer palestinien enfumé a déchiré la barrière la plus smart du monde samedi, il a déchiré l’arrogance et la complaisance d’Israël. C’est également ainsi qu’a été ébranlée l’idée qu’il suffit d’attaquer occasionnellement Gaza avec des drones suicides - et de les vendre à la moitié du monde - pour maintenir la sécurité.

 

Samedi, Israël a vu des images qu’il n’avait jamais vues auparavant. Des véhicules palestiniens patrouillant dans ses villes, des cyclistes entrant par les portes de Gaza. Ces images mettent à mal cette arrogance. Les Palestiniens de Gaza ont décidé qu’ils étaient prêts à payer n’importe quel prix pour un moment de liberté. Y a-t-il de l’espoir là-dedans ? Israël retiendra-t-il la leçon ? Non.

 

Samedi, ils parlaient déjà d’éliminer des quartiers entiers de Gaza, d’occuper la bande et de punir Gaza “comme elle n’a jamais été punie auparavant”. Mais Israël n’a jamais cessé de punir Gaza depuis 1948, pas même un instant.

 

Après 75 ans d’abus, le pire scénario possible l’attend une fois de plus. Les menaces d’“aplatissement de Gaza” ne prouvent qu’une chose : nous n’avons rien appris. L’arrogance est là pour rester, même si Israël en paie une fois de plus le prix fort.

 

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou porte une très grande responsabilité dans ce qui s’est passé, et il doit en payer le prix, mais cela n’a pas commencé avec lui et cela ne s’arrêtera pas après son départ. Nous devons maintenant pleurer amèrement les victimes israéliennes, mais nous devrions aussi pleurer pour Gaza.

 

Gaza, dont la plupart des habitants sont des réfugiés créés par Israël. Gaza, qui n’a jamais connu un seul jour de liberté.