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16/12/2023

GIDEON LEVY
Comme si la violence des colons ne suffisait pas :
Israël prive désormais d’eau les Palestiniens de la vallée du Jourdain

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 16/12/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Depuis le début de la guerre, une vingtaine de familles palestiniennes ont été chassées de leurs maisons dans la vallée du Jourdain par la violence accrue des colons. Pendant ce temps, l’armée refuse aux communautés de bergers l’accès à l’eau. Des volontaires israéliens tentent de les protéger jour et nuit

Un campement bédouin abandonné par ses habitants en raison de la violence des colons.

Douze heures quarante-cinq, ce lundi, dans le nord de la vallée du Jourdain. Le tronçon nord de la route Allon (route 578) est désert, comme d’habitude, mais au bord de la route, entre les colonies de Ro’i et Beka’ot, un petit convoi de réservoirs d’eau, tirés par des tracteurs et des camions, est stationné et attend. Et attend. Il attend que les moutons rentrent à la maison. Des soldats des Forces de défense israéliennes étaient censés venir il y a quelques heures pour ouvrir la barrière en fer, mais les FDI ne viennent pas et n’appellent pas non plus, comme le dit la chanson. Lorsque l’on appelle le numéro indiqué par l’armée sur le portail jaune, on répond au téléphone de l’autre côté de la ligne, puis on est immédiatement déconnecté. Une militante de Machsom Watch : Women for Human Rights, Tamar Berger, a essayé trois fois ce matin, et à chaque fois, dès qu’elle s’est identifiée, l’autre partie a raccroché de manière démonstrative. Les chauffeurs palestiniens ont peur d’appeler.

C’est le temps du vent jaune, le temps des porteurs d’eau dans le nord de la vallée du Jourdain, qui sont obligés d’attendre des heures et des heures jusqu’à ce que les forces de l’armée qui détiennent la clé arrivent et ouvrent la porte pour que ceux qui transportent l’eau puissent entrer. Dans cette région desséchée, Israël n’autorise pas les résidents palestiniens à se raccorder à un quelconque réseau d’approvisionnement en eau : eux et leurs moutons doivent dépendre de l’eau coûteuse transportée dans les citernes, et les chauffeurs des camions et des tracteurs sont totalement tributaires d’un soldat muni d’une clé.

Le soldat qui détient la clé devait être ici dans la matinée. Les chauffeurs attendent ici depuis 8 heures du matin, et dans quelques minutes, il sera 13 heures. Après l’ouverture du portail, ils se dirigeront vers Atuf et rempliront les réservoirs d’eau, puis reviendront par le chemin de terre en direction des villages situés du côté est de la route, où ils devront à nouveau attendre qu’un soldat muni d’une clé daigne leur ouvrir le portail, afin qu’ils puissent distribuer l’eau aux hommes et aux animaux qui n’ont pas d’autre source d’approvisionnement.

Depuis le début de la guerre, cette barrière est fermée par défaut, après être restée ouverte pendant des années. Depuis l’attaque à la voiture piégée qui s’est produite ici il y a deux semaines, au cours de laquelle deux soldats ont été légèrement blessés, les soldats disposant de la clé ont tardé à venir ou ne sont pas venus du tout. Au cours de cette dernière période, des journées entières se sont écoulées sans que la porte ne soit ouverte et sans que les habitants n’aient accès à l’eau. Les camionneurs et les bergers doivent être punis pour une attaque terroriste (non mortelle) perpétrée par un habitant de la ville de Tamun, à l’ouest d’ici, qui a lui-même été abattu. Ainsi, les Palestiniens sont laissés à sec.

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Le côté est de la route est officiellement privé d’eau. Il est interdit de boire et d’irriguer, par ordre. C’est ce qu’a décidé Israël, dans le but inavoué d’envenimer la vie des bergers jusqu’à ce qu’elle devienne intenable pour eux, puis de les expulser de cette zone. Les colons aussi terrorisent les Palestiniens dans le but de les expulser, encore plus intensément dans l’ombre de la guerre. Comme à l’autre extrémité de l’occupation, dans les collines du sud de l’Hébron, ici aussi, à son point le plus septentrional, dans la zone appelée Umm Zuka, l’objectif principal est de se débarrasser des bergers - le groupe de population le plus faible et le plus impuissant - et de s’emparer de leurs terres.

De nouvelles clôtures ont déjà été érigées le long de la route, apparemment par des colons, autour de toute la zone, dans le but d’achever le processus de nettoyage. À ce jour, une vingtaine de familles, soit près de 200 personnes, enfants compris, ont fui, emportant leurs moutons et laissant derrière elles, dans leur fuite, des tranches de vie et des biens.

Un camion bloqué à un barrage improvisé dans la vallée du Jourdain en attendant que l’armée se décide à déverrouiller la barrière. Si les camions transportant de l’eau ne peuvent pas passer, les bergers et leurs troupeaux n’auront rien à boire.

Retour à la barrière jaune. Dafna Banai, une vétérane de Machsom Watch dans la vallée du Jourdain, qui aide les résidents avec un dévouement sans faille depuis des années, attend avec les chauffeurs de camion depuis le matin. Elle et Berger ont été arrêtés par des soldats au poste de contrôle de Beka’ot au motif fallacieux qu’elles étaient entrées dans la zone A. « Je sais qui vous êtes et ce que vous faites », leur a lancé le commandant de l’unité. Rafa Daragmeh, un chauffeur de camion qui attend depuis 9h30, est censé faire quatre tournées de livraison d’eau par jour, mais c’est maintenant le milieu de la journée, son réservoir est plein et il n’a pas encore terminé une seule tournée. Un jour, il a demandé à un soldat pourquoi ils ne venaient pas. Le soldat a répondu : « Demandez à celui qui a commis l’attaque terroriste », ce qui ressemble à une punition collective - mais ce n’est pas possible, puisque la punition collective est un crime de guerre [et que l’armée la plus morale du monde ne commet pas de crimes de guerre, NdT].

De l’autre côté du poste de contrôle, un camion-citerne vide attend également depuis le matin. Le chauffeur, Abdel Khader, du village de Samara, est là depuis 8 heures du matin. Un autre camion est rempli d’aliments pour animaux - il est peu probable que les soldats le laissent passer. Son chauffeur doit apporter la cargaison à une communauté qui vit à 200 mètres à l’est de la barrière. Deux pièges à mouches sont suspendus à côté du poste de contrôle, le temps s’écoule.

Après 13 heures, une Nissan Jeep civile avec un feu jaune clignotant s’arrête. Les forces armées en sortent, déterminées et confiantes : Quatre soldats, armés et protégés comme s’ils étaient à Gaza. Ils prennent rapidement position. Un soldat grimpe sur un cube de béton et pointe son fusil sur nous sans broncher ; son commandant, masqué et portant des gants, nous demande de « ne pas interférer avec le travail » et nous menace de ne pas laisser passer les camions si nous osons prendre des photos. Peut-être a-t-il honte de ce qu’il fait.

Un troisième soldat ouvre le compartiment à bagages de la Nissan et en sort une clé qui pend au bout d’un long lacet. C’est la clé convoitée, la clé du royaume. Le soldat se dirige vers la barrière et l’ouvre. C’est maintenant l’étape du contrôle de sécurité. Peut-être que l’eau est empoisonnée, peut-être que c’est de l’eau lourde, peut-être que c’est un engin explosif. Avec les Arabes, on ne sait jamais.

Pour passer ici, il faut de la “coordination”. Un chauffeur bédouin israélien du nord du pays affirme qu’il a de la coordination. Son camion transporte des matériaux de construction. Le chauffeur du camion-citerne nous dit que la cargaison est destinée aux colons ; le chauffeur bédouin le nie et dit que c’est pour les bergers. Mais il n’y a pas un seul berger dans ces régions qui ait l’autorisation de construire ne serait-ce qu’un muret.

Un berger allemand se réchauffe au soleil et observe les événements avec émerveillement. Un tracteur passe sans encombre ; un camion, celui qui vient de l’ouest, est retardé et son chauffeur s’assoit par terre au poste de contrôle en attendant. Mais le grotesque ne fait que commencer. Le summum est atteint lorsqu’un minibus portant des plaques d’immatriculation israéliennes arrive et déverse un groupe d’étudiants de yeshiva haredi, équipés d’un amplificateur diffusant de la musique hassidique et d’un plateau de sufganiot, des beignets de Hanoukka. Les chauffeurs palestiniens qui attendent encore n’en croient pas leurs yeux - ils pensaient avoir déjà tout vu aux postes de contrôle.

Dafna Banai, vétérane de Machsom Watch dans la vallée du Jourdain, près du barrage routier cette semaine.

Les étudiants de la yeshiva, originaires de la ville de Migdal Ha’emek, dans le nord d’Israël, font une mitzvah en distribuant des beignets envoyés par le centre Chabad de Beit She’an aux soldats à ce point de contrôle et à d’autres, au grand étonnement des transporteurs d’eau palestiniens qui ne demandent qu’à traverser et à livrer leur cargaison d’eau.

Le soldat au fusil qui nous vise mâche paresseusement son beignet, une main le tenant, l’autre sur la gâchette. Tous ensemble maintenant : “Maoz tzur yeshuati” – “O puissante forteresse de mon salut”. Le camion de nourriture pour animaux ne passe pas. Pas de coordination. Un officier portant une kippa est appelé sur les lieux et, de loin, nous prend en photo avec son téléphone.

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L’unité du porte-parole des FDI, en réponse à une question de Haaretz sur le fonctionnement irrégulier du point de contrôle : « À la suite d’un certain nombre d’événements liés à la sécurité qui se sont produits ici, la porte a été partiellement bloquée. Le passage par la porte est uniquement coordonné et est autorisé en fonction de l’appréciation de la situation opérationnelle dans le secteur ».

À quelques kilomètres au nord, on trouve des vestiges de vie sur le bord de la route. Ici, deux familles d’éleveurs de moutons ont vécu pendant des années, mais les colons des avant-postes voisins ont fait de leur vie une misère jusqu’à ce qu’ils partent, il y a deux semaines, en abandonnant leurs maigres biens. Un parc pour enfants, deux réfrigérateurs, un lit en fer rouillé, deux enclos pour animaux, quelques livres pour enfants et un dessin de chaussettes légendé par le mot chaussettes en hébreu, probablement tiré d’un livre d’école.

Dafna Banai explique que les colons ont clôturé toute la zone de la réserve naturelle d’Umm Zuka, soit quelque 20 000 dunams (2 000 hectares), afin de la débarrasser de ses bergers. C’est toujours le même système, explique Banai : d’abord, on empêche les moutons de paître et on réduit les pâturages, puis les habitants des petites communautés sont attaqués presque chaque nuit - parfois les assaillants urinent sur leurs tentes, parfois ils commencent aussi à labourer le sol au milieu de la nuit, afin de créer des “faits sur le terrain”. Tareq Daragmeh, qui vivait ici avec sa famille, n’en pouvait plus et est parti, tout comme son frère, qui vivait à côté de lui avec sa famille. Nous ne sommes pas à Gaza, mais ici aussi, les gens sont forcés de quitter leur maison sous les menaces et les agressions violentes.

Plus au nord encore se trouve une communauté de bergers bien aménagée et animée. Il s’agit d’El-Farsiya, à l’extrême nord de la vallée du Jourdain, presque à la périphérie de Beit She’an. Trois familles de bergers vivent ici et deux autres non loin de là. Deux familles sont parties. L’une d’elles est revenue après que des volontaires israéliens ont commencé à dormir ici chaque nuit après le début de la guerre, protégeant ainsi les habitants. Ils sont 30 à 40 de ces beaux Israéliens, la plupart d’un âge relativement avancé (60 ans ou plus), à se partager les quarts de travail pour protéger les Palestiniens dans la partie nord de la vallée du Jourdain, qui s’étend de la colonie de Hemdat jusqu’à Mehola. « Mais combien de temps pourrons-nous les protéger 24 heures sur 24 ? » demande Banai, qui a organisé cette force bénévole.

Yossi Gutterman, l’un des volontaires, cette semaine. « Je ne pense pas que le but de la violence des colons soit de causer des dommages en tant que tels - c’est l’usure, l’intimidation, la création du désespoir », dit-il.

Trois des volontaires descendent de la colline. Amos Megged de Haïfa, Roni King de Mazkeret Batya et Yossi Gutterman, le vétéran du groupe, de Rishon Letzion. Ils sont deux ou trois par équipe de 24 heures. King était jusqu’à récemment le vétérinaire de la Direction de la Nature et des Parcs’ ; Megged, le frère cadet de l’écrivain Eyal Megged, est un historien spécialisé dans les annales des Indiens du Mexique ; et Gutterman est un professeur de psychologie à la retraite. Il est équipé d’une caméra corporelle.

Aujourd’hui, ils reviennent d’un incident de vol de moutons à des Palestiniens, et il n’y a pas encore de volontaires pour la nuit à venir. Depuis le début de la guerre, il est devenu urgent de dormir ici, explique Gutterman. « La violence des colons est devenue une affaire quotidienne, considérée comme allant de soi, et comprend des invasions nocturnes du camp de tentes, la casse d’objets, le bris de panneaux solaires. Je ne pense pas que le but soit de causer des dommages en tant que tels - c’est l’usure, l’intimidation, la création du désespoir ».

Une famille est partie, racontent les volontaires, après que des colons de Shadmot Mehola et leurs invités du shabbat d’un internat religieux du kibboutz Tirat Zvi ont cassé le bras du père de famille. « Il y a deux semaines », explique Gutterman, « alors que trois de nos amis étaient ici, des colons ont réveillé tout le camp de tentes à 2h30 du matin avec des cris et des lampes de poche, et ont effrayé tout le monde. Ils ont ensuite commencé à labourer une parcelle de terre privée qui avait récemment été déclarée “terre abandonnée”».

Il y a moins de deux semaines, deux volontaires ont été attaqués ici. L’un a été frappé avec un gourdin et a reçu un spray au poivre dans les yeux, l’autre a reçu une pierre à la tête. « Une campagne de nettoyage ethnique est en cours ici », dit Gutterman.

Suite à un appel téléphonique, les trois hommes se précipitent vers leur voiture et se dirigent vers le nord, en direction de Shdemot Mehola. Un berger leur dit que des colons viennent de lui voler des dizaines de chèvres. La police et l’armée se rendent sur place et, avec l’aide des trois volontaires, 37 chèvres sont retrouvées et rendues à leur propriétaire. Ce ne sont pas toutes les chèvres qui ont été volées.

Pendant ce temps, les chauffeurs de tracteurs et de camions finissent de faire le plein d’eau et se dépêchent de revenir afin de passer par la même porte, qui devait rester ouverte pendant une heure. A leur arrivée, à 14h30, ils constatent que la barrière est fermée et les soldats partis. Ils ont attendu leur retour pendant quatre heures, jusqu’à 18h30. Sans doute “en raison de l’appréciation de la situation opérationnelle dans le secteur”.

 

14/10/2023

AMIRA HASS
Les colons israéliens ne font aucune pause dans les expulsions et spoliations en Cisjordanie


Amira Hass, Haaretz, 12/10/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Alors qu’Israël et le monde entier se concentrent sur les atrocités commises samedi 7 octobre, les colons et leurs partisans s’emploient à réaliser leur rêve d’annexion de facto de la Cisjordanie.

Un soldat israélien monte la garde à un poste de contrôle à l’entrée nord de la ville palestinienne d’Hébron, dimanche. Photo : Hazem Bader / AFP

Les forces de sécurité israéliennes ont négligé la défense des communautés proches de la bande de Gaza parce qu’elles étaient préoccupées par la défense des colons de Cisjordanie, leurs saisies de terres, leurs rites d’adoration de pierres et d’autels.

C’est l’une des conclusions inéluctables à tirer des atrocités commises samedi. Ce n’est pas une surprise, mais cette négligence est intrinsèquement liée à l’un des principaux objectifs de la réforme judiciaire et de ses partisans sionistes religieux : accélérer l’annexion de facto de la majeure partie de la Cisjordanie et accroître la population de colons juifs. Cet objectif n’est pas seulement toujours d’actualité, il sera désormais encore plus facile à réaliser.

Les médias israéliens et internationaux ignorent la Cisjordanie alors que les témoignages déchirants des survivants des attaques de samedi font peu à peu surface et que l’armée israélienne mène des bombardements meurtriers de représailles sur Gaza et la prive d’eau, d’électricité et de nourriture.

Ce manque d’attention a permis aux colons et à leurs organes d’exécution, officiels (l’armée et la police) et semi-officiels (les agents de sécurité des colonies et les volontaires de droite agissant en tant que supplétifs), d’intensifier leurs attaques contre les éleveurs et les agriculteurs palestiniens avec un objectif clair : expulser davantage de communautés de leurs terres et de leurs maisons.

La volatilité de la situation a été démontrée mercredi, lorsque trois habitants - dont deux adolescents - du village de Qusra, au sud-est de Naplouse, ont été tués par des tirs à balles réelles et huit autres blessés. Les habitants du village affirment que les tireurs étaient des colons masqués qui sont entrés dans le village à bord de trois véhicules tout-terrain. Plus tard, lorsque des affrontements ont éclaté à la suite des funérailles, un autre adolescent a été tué à Qusra, soit par l’armée soit par d’autres personnes, ce n’est pas encore clair.

Un groupe WhatsApp palestinien documentant en temps réel les attaques des colons, en particulier dans la zone située au nord de Ramallah, a partagé des rapports minute par minute sur les événements de Qusra. Ces informations ont fait leur chemin jusqu’aux journaux télévisés en Israël. Mais d’autres incidents, qui ne font pas de victimes, n’en ont pas fait. Mercredi encore, par exemple, il a été signalé que des colons avaient tiré sur des agriculteurs travaillant sur leurs terres dans le village de Marda, au sud-ouest de Naplouse.

À 1 heure du matin, entre dimanche et lundi, un message partagé dans le groupe WhatsApp avertissait : « Un groupe de colons est en train de niveler un terrain sur la route reliant les villages de Qusra et de Jalu », dans une zone où se trouvent des colonies comme Shiloh et Eli et les avant-postes d’Esh Kodesh et d’Adei Ad.

Des personnes portent le corps d’un Palestinien tué lors de frappes israéliennes dans le camp de réfugiés de Jabalia, dans le nord de la bande de Gaza, lundi. Photo : Mahmoud Issa / Reuters

« Nous ne savons pas quelle est la nature des travaux car il n’y a pas d’électricité », indique le message, « mais il se pourrait qu’ils aient l’intention de détruire l’un des bâtiments agricoles de la zone ». On a appris par la suite que les Israéliens avaient détruit une maison vide qui semblait appartenir à un citoyen palestinien d’Israël.

À 3 heures du matin, il a été signalé que des colons pénétraient dans le village de Qaryout, à l’ouest de Jalud, et affrontaient les jeunes Palestiniens qui s’approchaient d’eux, avant que l’armée ne pénètre dans la zone et ne tire sur les maisons.

Quelques minutes avant 13 heures, un groupe de colons armés s’introduisant dans la ville de Qarawat Bani Hassan dans le gouvernorat de Salfit, au sud-ouest de Naplouse, a été signalé. Des coups de feu ont été entendus dans les vidéos jointes à l’alerte. Un habitant a déclaré : « Des colons et trois soldats ont tenté d’expulser des familles qui récoltaient des olives. Une confrontation a éclaté et [les soldats] ont tiré à balles réelles sur les jeunes et sont partis ».

À 14h30, un rapport a été publié sur un avocat palestinien qui avait quitté Salfit en voiture et avait été abattu par un garde de sécurité ou un autre civil israélien dans la colonie d’Ariel. La raison invoquée était qu’il était soupçonné d’avoir l’intention de commettre un attentat à la voiture-bélier.

A 14h35, un avertissement a été reçu concernant des colons tirant sur des voitures palestiniennes près de Ni’lin. À 15h30, un rapport fait état d’une attaque de colons contre la ville d’Einabus, située à l’ouest de Huwara et bordée par la colonie d’Yitzhar et ses avant-postes satellites.

« Les colons essaient d’entrer dans l’une des maisons », dit la voix dans la vidéo jointe, et avertit les habitants de ne pas s’approcher de la fenêtre. Deux résidents ont été blessés par les tirs, a-t-on appris par la suite.

À 18 heures, un rapport a indiqué que des colons et des soldats demandaient à une famille du village de Turmus Ayya de quitter sa maison près de Shiloh. L’un des membres de la famille a déclaré au groupe WhatsApp qu’il refusait de quitter la maison et que l’armée avait de toute façon déjà bloqué la route qui y mène la veille. L’agence de presse WAFA a également rapporté que des colons avaient jeté des pierres sur des voitures palestiniennes au nord de Jéricho lundi.

La capacité des Palestiniens à aider les communautés menacées est plus limitée que jamais. Depuis samedi, les FDI ont bloqué un grand nombre d’entrées et de sorties des villes et villages palestiniens en plaçant des blocs de béton et des monticules de terre et en verrouillant les barrières de fer déjà en place. Un journaliste palestinien a observé que les troupes israéliennes n’occupaient pas de positions à proximité de ces nouveaux barrages routiers.

Les villes et les villages sont coupés les uns des autres, le bouclage étant particulièrement strict autour de ceux qui sont proches de Jérusalem. Un responsable d’une agence d’aide internationale a déclaré à Haaretz qu’il était impossible de voyager entre le nord et le sud de la Cisjordanie. La route entre Bethléem et Hébron est pratiquement inaccessible aux Palestiniens.

Les Palestiniens qui se trouvaient en Israël samedi ou dimanche ont été autorisés à rentrer chez eux en passant par les principaux points de contrôle. Des centaines de Gazaouis, voire plus, qui travaillaient en Israël ont été contraints d’abandonner leur lieu de travail.

 
Le village palestinien de Qaryout. Photo : Alex Levac

Ils n’ont pas pu retourner dans la bande de Gaza bombardée et, tout en recevant des nouvelles de plus en plus inquiétantes sur les épreuves subies par leurs familles, ils ont été conduits dans les environs des villes palestiniennes, notamment à Jénine et à Ramallah, où les autorités les accueillent dans des bâtiments publics et les résidents dans leurs maisons.

Les routes principales sont presque totalement dépourvues de voitures appartenant à des Palestiniens. Même ceux qui peuvent trouver un moyen de sortir des villes ne se risquent pas à prendre la route.

L’un des principaux objectifs des colons est de faire disparaître les véhicules palestiniens des routes principales de Cisjordanie. Ils mettent parfois en œuvre cette mission en bloquant les voies d’accès aux villes.

En ce moment de tension, le verrouillage des villes palestiniennes et l’absence de circulation des Palestiniens sur les routes principales facilitent le contrôle de la région par les militaires. Et par ricochet, ils concrétisent l’ouverture et le projet des dirigeants religieux sionistes de faire disparaître les Palestiniens.

Les habitants disent que chaque petit rassemblement de quelques jeunes manifestants près des postes de contrôle attire des tirs plus nourris que par le passé. Des colons armés ont été vus en train de s’entraîner au tir lundi dans la région de Tulkarem, près d’un point de contrôle dont les soldats sont désormais absents.

Une vidéo mise en ligne par les colons décrivant les armes et les munitions qui leur sont attribuées n’a fait qu’accroître les craintes des Palestiniens d’être encore plus abandonnés aux plans à peine dissimulés des civils israéliens qui contrôlent leur vie.

 

 

01/10/2023

GIDEON LEVY
Jafer remballait son étal au marché d’Hébron lorsqu’une policière israélienne lui a tiré dessus, lui fracassant le visage

Gideon Levy, Haaretz, 30/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Le visage de Jafer Abou  Ramouz a été brisé lorsqu’une policière des frontières, sans raison apparente, lui a tiré à bout portant une balle métallique à pointe éponge. Ce marchand de vêtements se tenait alors près de son étalage. Il a fallu plus d’un mois à ses enfants pour s’habituer à son nouveau visage.

 

Jafer Abou  Ramouz chez lui avec son fils d’un an, deux mois après qu’une policière des frontières lui a tiré dessus à bout portant. Photo : Alex Levac

 

Trois photos. Sur l’une d’elles, un homme musclé et séduisant, vêtu d’un tee-shirt bleu et le sourire aux lèvres, porte son fils d’un an dans les bras. Sur la seconde, le visage du père est brisé, horriblement défiguré : Son nez est écrasé, ses yeux sont exorbités, la chair est à vif, tout est couvert de caillots de sang. Le visage évoque un homme mort. Cette photo a été prise il y a deux mois. Sur la troisième image, son visage se rétablit, mais il est encore tordu et marqué, il lui manque quelques dents et son nez est de travers. Cette photo a été prise cette semaine.

 

Voici ce qui se passe lorsqu’une policière des frontières, qui s’ennuie ou qui cherche de l’action, ou encore qui est vicieuse ou négligente dans l’exercice de ses fonctions, tire une balle en métal à bout éponge d’une distance illégalement proche de quelques mètres, directement sur le visage d’un vendeur de vêtements sur le marché animé d’Hébron, alors qu’il se tient innocemment à côté de son stand.

 

Les autorités d’occupation ferment le marché du quartier de Bab Al Zawiya, avec ses centaines d’étals, chaque fois que les colons de la ville célèbrent un jour saint juif et veulent se rendre sur la tombe du juge biblique Othniel Ben Kenaz, qui se trouve à côté du marché. C’est ce qui s’est passé le 27 juillet, jour de jeûne de Tisha B’Av [9ème jour du mois d’Av], lorsque les colons d’Hébron se sont rendus en masse sur la tombe.


Jafer Abou  Ramouz à l’hôpital, après avoir été blessé par balle.

 

Ce matin-là, Jafer Abou  Ramouz s’est rendu comme d’habitude au marché de Bab Al Zawiya pour ouvrir son stand, dont les revenus permettent à sa famille de vivre depuis six ans. Il est arrivé à 8 heures, comme d’habitude, a sorti la marchandise de son stand fermé à clé et l’a exposée, comme d’habitude. Rien ne laissait présager ce qui allait se passer quelques heures plus tard, le neuvième jour du mois hébraïque d’Av, désigné comme jour de jeûne en mémoire des tragédies qui ont frappé le peuple juif en ce jour.

 

Abou  Ramouz ne vend que des chemises pour hommes, à 20 shekels [=5 €] pièce ; les bons jours, il en vend 20. Le marché était calme, malgré sa proximité avec un complexe de la police des frontières et avec la colonie de Tel Rumeida. Le travail se déroule normalement. Aucun des centaines de marchands du marché ne se doutait que c’était Tisha B’Av, jour où tous les stands doivent être fermés et où les Palestiniens doivent se faire discrets, afin que les colons puissent observer leur commémoration sans entrave. Cette procédure se répète non seulement pour Tisha B’Av, mais aussi pour d’autres fêtes juives, selon le bon plaisir des colons.

 

La journée s’est déroulée comme toutes les autres jusqu’à ce que, peu après 16 heures, les forces de la police des frontières fassent irruption sur le marché et ordonnent aux marchands de fermer immédiatement leurs stands - c’était le jour sacré de Tisha B’Av. Les enfants qui travaillent sur le marché ou qui y traînent ont commencé à jeter des pierres sur les troupes israéliennes, ce qui fait également partie de la routine de l’occupation ici.

 

Comme les autres, Abou  Ramuz, 49 ans, qui a sept enfants et n’a jamais eu d’ennuis avec les autorités, a commencé à remballer ses marchandises et à fermer son stand. Il a vu quatre agents de la police des frontières poursuivre des enfants qui lançaient des pierres en montant et en descendant les escaliers qui mènent au marché, et leur tirer des gaz lacrymogènes. Des images tournées par l’un des marchands montrent les magasins et les stands en train de fermer et le marché en train de se vider. Sur la vidéo, quatre agents de la police des frontières, dont une femme, observent les événements sans rien faire, fusils au poing, bien sûr.


La police des frontières au marché d’Hébron, quelques minutes avant que Jafer Abou  Ramouz ne soit abattu d’une balle au visage.

 

Soudain, l’un d’entre eux ouvre le feu sur une cible inconnue sans raison apparente, un rire bref est entendu en arrière-plan et la vidéo s’arrête. Ce n’est pas ce tir qui a décidé du sort d’Abou Ramuz. Le coup de feu de la vidéo a été tiré quelques minutes avant celui qui l’a touché, mais on ne sait pas exactement pourquoi, ni si quelqu’un a été blessé par ce tir. Dans le clip, que nous avons fait écouter à Abou  Ramuz, celui-ci identifie les quatre soldats comme étant ceux qu’il a vus dans la rue avant d’être abattu, parmi lesquels se trouve la policière qui lui a tiré dessus, comme des témoins oculaires le lui ont dit par la suite.

 

Abou Ramouz et sa famille vivent au cœur de la ville très peuplée d’Hébron, dans le quartier d’Al Hares ; se rendre chez lui a pris beaucoup de temps cette semaine en raison de la circulation très dense - rien d’inhabituel dans le centre de la ville. Leur logement est petit et modeste, mais de bon goût - Jafer l’a construit lui-même et il a décoré les murs et les plafonds d’ornements.

 

Une photo encadrée de sa fille Jouri portant une robe de fin d’études - en l’occurrence pour marquer la fin du jardin d’enfants - est accrochée dans le salon. Jouri, six ans, qui est maintenant en première année, est rentrée à la maison pendant notre visite. Vêtue de son uniforme d’écolière, les cheveux tressés, elle a embrassé les joues des invités.

 

Pendant des années, Jafer a travaillé en Israël, distribuant des boissons non alcoolisées dans les magasins de Jérusalem-Ouest. Il n’a jamais eu d’ennuis.

 

Il a été abattu vers 16h30 - il ne se souvient pas de l’heure exacte. Il se tenait devant son étalage ; la rue était calme, dit-il, il n’y avait pas de jets de pierres. Soudain, il a senti un coup puissant au visage et a entendu un bruit d’explosion. Il a commencé à perdre connaissance et s’est assis par terre, tandis que du sang suintait de son visage. Il y a un an, il a eu une crise cardiaque et prend depuis des anticoagulants, ce qui a probablement aggravé l’hémorragie. Sa première pensée a été qu’on lui avait tiré dessus à balles réelles et que sa vie était sur le point de s’arrêter. Il affirme que les agents de la police des frontières se trouvaient à 4 ou 5 mètres de lui avant de lui tirer dessus.

 

Face à face entre colons et Palestiniens à Hébron, en novembre dernier. Photo : MUSSA ISSA QAWASMA/Reuters

 

Cette semaine, un porte-parole de la police israélienne a fait la déclaration suivante à Haaretz : "Sans faire référence à une affaire ou à une autre, nous noterons que les forces de sécurité étaient en train de protéger les fidèles sur la tombe d’Othniel Ben Kenaz dans les allées d’Hébron. Au cours de l’activité, un trouble de l’ordre a commencé, dans lequel des pierres, des bouteilles en verre, de la peinture et des pneus ont été lancés dans une tentative de pénétrer le cercle de sécurité. Face à la violence des troubles et au risque de blessures pour les forces de l’ordre, des moyens de dispersion de la foule ont été utilisés. Nous constatons que l’événement que vous décrivez n’est pas connu [de la police]".

 

L’événement n’est pas connu. Sans faire référence à une affaire ou à une autre. Enfin, la perturbation : la fermeture du marché pour la commémoration des colons constitue un ordre, la résistance naturelle à la fermeture est une perturbation de l’ordre.

 

Les personnes présentes sur le marché ont immédiatement embarqué Abou  Ramouz dans une voiture privée et l’ont emmené à l’hôpital Alia de la ville. La photo prise à ce moment-là montre ses vêtements ensanglantés et son visage bandé. Les témoins oculaires ont raconté qu’après la fusillade, les agents de la police des frontières ont poursuivi leurs activités normalement, comme si rien ne s’était passé. Ils sont passés de l’autre côté de la rue et ont continué à veiller à la fermeture du marché avant la grande commémoration. Quelqu’un a photographié l’étal d’Abou  Ramouz après qu’il a été transporté à l’hôpital - le sol devant l’étal est taché de sang.

 

Son fils Youssouf, âgé de deux ans, est maintenant blotti dans ses bras. Lorsque le personnel d’Alia a constaté la gravité de la blessure, il a appelé une ambulance pour l’emmener d’urgence à l’hôpital Ahli, plus avancé et mieux équipé. Il a été immédiatement emmené au bloc opératoire - une opération de quatre heures pour tenter de sauver son visage fracassé. Il a reçu six transfusions sanguines et a passé sept jours en soins intensifs, jusqu’à ce qu’il soit suffisamment rétabli pour sortir de l’hôpital.

 


Jafer Abou  Ramouz avec son fils à Hébron, il y a un an.

 

Il est rentré chez lui le visage bandé. Ses deux filles aînées, âgées de 12 et 15 ans, devaient changer le pansement tous les jours et voyaient - avec effroi - le visage défiguré de leur père. Seuls ses deux fils aînés, âgés de 19 et 22 ans, lui ont rendu visite à l’hôpital ; les autres enfants ne l’ont vu qu’à son retour à la maison. Les petits ont tressailli de peur. Il leur a fallu plus d’un mois pour s’habituer à sa nouvelle apparence.

 

Le chemin vers la guérison complète est encore long. Lorsque les plaies auront cicatrisé et que la douleur se sera estompée, il subira d’autres opérations pour corriger son nez, ses dents et ses mâchoires. En attendant, il ne peut manger que des aliments liquides ou mous. Les douleurs restent vives, même deux mois après l’incident. Et deux mois après avoir été abattu, il n’est toujours pas retourné à son étal de marché - il se dit incapable de travailler - et la famille vit de petits prêts accordés par des personnes bienveillantes. Elle n’a aucun revenu. Dernièrement, il a commencé à s’inquiéter que ses yeux aient également été touchés par la balle, car les choses lui semblent de plus en plus sombres. Il n’a cependant pas les moyens de consulter un ophtalmologiste.

 

Jafer Abou  Ramouz semble un homme brisé, une personne dont le monde s’est effondré en un clin d’œil, bien qu’il n’ait rien fait de mal.

 

23/09/2023

GIDEON LEVY
Milad Al Rai détestait les soldats israéliens : ils l’ont exécuté

Gideon Levy et  Alex Levac (photos), Haaretz, 22/9/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Il n’en pouvait plus de la présence de l’armée israélienne dans son camp de réfugiés : Milad Al Rai , 15 ans, a lancé un cocktail Molotov sur le mur en béton du mirador d’où les soldats contrôlent le camp. Un tireur d’élite l’a abattu d’une balle dans le dos, le tuant. Milad rêvait de devenir musicien, comme son père

 

Mundher Al Rai se tient devant le portrait tout frais de Milad, son fils de 15 ans exécuté, peint par un cousin sur le mur extérieur de sa maison. Quelques semaines avant d’être tué par les forces de défense israéliennes, Milad avait interrogé son père sur le paradis.

Il n’était pas un garçon ordinaire et tenait en cela de son père. Il rêvait de devenir musicien, comme son père, ou joueur de football, comme Ronaldo. Mais surtout, il ne supportait pas la présence des soldats israéliens qui envahissaient le camp de réfugiés où il vivait ; jour et nuit, ils étaient là, assiégeant le camp 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, depuis une tour fortifiée située à l’entrée du camp. Au début de l’année, il a même écrit une lettre aux soldats israéliens, qui se lit aujourd’hui comme les dernières volontés et le testament d’un jeune qui savait qu’il allait mourir. Il a demandé à ce que cette lettre ne soit pas montrée à ses parents de son vivant - et il n’avait que 15 ans. La semaine dernière, son père a encadré la lettre, écrite de la main du jeune homme et remplie de ratures et de corrections. Elle sert désormais de mémorial au garçon qui détestait les soldats.

Le père est également une personne spéciale. Chanteur palestinien qui se produit dans le monde entier, il n’essaie pas de dissimuler la haine que son fils nourrissait à l’égard des soldats. Il affirme également qu’il est tout à fait possible que son fils ait jeté un cocktail Molotov sur le mur de la tour, comme l’affirme l’armée. Alors que la plupart des parents palestiniens endeuillés tentent de brouiller les actions de leurs enfants et de les présenter comme n’ayant rien fait, Mundher Al Rai n’occulte rien.

Milad a peut-être lancé une bouteille incendiaire sur la tour, mais il ne fait aucun doute qu’il n’a pas mis en danger la vie et la sécurité des soldats blindés qui se trouvent en haut de la tour. Les murs des maisons privées situées à proximité de la tour, ainsi que le mur de la tour elle-même, sont roussis par les cocktails Molotov qui ont été lancés ici par le passé, sans blesser personne et sans causer de dégâts matériels. C’est également la routine des protestations dans le camp de réfugiés densément peuplé, que les soldats assiègent depuis la tour et où ils tirent parfois sur les garçons, les tuant de sang-froid, comme ils ont tué Milad.

La façade de la maison de son père, au cœur du camp de réfugiés d’Al-Arroub, entre Bethléem et Hébron, est aujourd’hui ornée d’une immense et sombre peinture en gros plan du visage de Milad. La peinture murale, œuvre du cousin de Milad, Mohammed Al Rai, 25 ans, n’est pas terminée ; il manque le texte qui sera inséré en dessous et qui sera tiré de la lettre de Milad.

Le camp de réfugiés d’Al Arroub, la semaine dernière

Voici ce que le garçon a écrit dans sa lettre aux soldats israéliens, la lettre qu’un parent a remise à son père seulement après que son fils a été tué : « Avis aux soldats de l’armée israélienne. Vous nous haïssez toujours et vous nous maltraitez, mais nous vivrons toujours dans la bonté grâce à Dieu. Je vous aime, amis et membres de ma famille, j’espère que les générations futures seront libres. Je n’appartiens à aucune organisation, seulement au drapeau palestinien. Je t’aime, papa ». Quelques semaines avant que les forces de défense israéliennes ne le tuent, Milad avait interrogé son père sur le paradis.

Il était élève en seconde dans l’école voisine de sa maison, un garçon de 15 ans qui s’entraînait dans l’académie de football du camp. Son père raconte qu’il était un élève moyen, car la vie, la musique et le football l’attiraient plus que l’école. Les chansons de Mundher Al Rai sont adaptées de poèmes de Mahmoud Darwish et d’autres poètes ; il s’est produit dans toute l’Europe et jusqu’en Australie. Ce mois-ci, il devait donner deux concerts au Caire, qui ont naturellement été annulés parce qu’il est en deuil.

C’est un bel homme de 57 ans, vêtu de noir, marié en secondes noces et père de trois fils : Milad était celui du milieu. Aujourd’hui, il ne reste plus que Vadia, 18 ans, et Adam, 9 ans. Mundher Al Rai est assis dans le salon de sa modeste maison, fumant un narghileh et parlant de son fils cadet. Ce n’est qu’à deux reprises au cours de la conversation qu’il est sur le point de fondre en larmes, mais il se retient au dernier moment à chaque fois. L’un de ces moments survient lorsque nous lui demandons de nous montrer le clip que Milad a filmé de lui-même en train de chanter une chanson de rap, en lisant les paroles sur son téléphone portable. « Malgré toute la douleur, malgré tout ce qui se passe, je suis fort et grand. J’aime être, je vis dans un camp, je m’accroche, je suis patient, j’espère voler un jour, j’espère jouer [d’un instrument], je suis un être humain et il y a du bon en moi. Le ciel est à moi, la mer est à moi, demandez à ma mère, demandez à mon père, je suis une baleine dans la mer, je suis un aigle dans le ciel ». La chanson a été coécrite par le père et le fils, et Milad l’a enregistrée il y a quelques mois. Elle s’intitule Malgré la douleur.


Il a été tué le 9 septembre, il y a deux semaines, lors de ce qui s’est avéré être le dernier samedi de sa vie. C’était “Shabbat shalom”, dit Mundher Al Rai avec ses quelques mots en hébreu. « Ils l’ont abattu depuis la tour. De la tour. Je veux la réponse officielle à la question de savoir pourquoi ils l’ont tué. Pourquoi ? Pourquoi un soldat de 20 ans a-t-il décidé d’être un tireur d’élite et de tuer un garçon de 15 ans ? Qu’est-ce qu’il a fait ? Vous savez, ce soldat aurait pu l’attraper. Milad n’était pas un soldat et il n’était pas armé ».

Mundher Al Rai tient la chemise de son fils, montrant l’impact de la balle.

Le père disparaît à l’arrière du petit appartement et revient avec une chemise noire. « Je vais vous montrer comment il a été tué », dit-il en étouffant à nouveau ses larmes. Mundher Al Rai étale la chemise. Il y a un petit trou dans le dos, fait par la balle qui a explosé dans le corps de son fils, dévastant plusieurs organes internes, dont les reins, les poumons et la rate. Sous l’impact de la balle, il y a une grande tache de sang de son fils. Ils lui ont tiré dans le dos.

« Milad les détestait », explique son père. « Il détestait la présence des soldats dans le camp. Ce sont eux qui l’ont tué, ce sont eux qui nous ont enfoncés ans la boue. Milad a résisté ». Il raconte qu’une fois, son fils a essayé de quitter le camp et de traverser la route en direction de l’antenne d’ Al Arroub du Kadoorie College, où les habitants du camp se rendent pour prendre l’air et s’entraîner au football. Les soldats l’ont bloqué et l’ont ramené au camp. Pas de sortie.

Milad leur demandait : « Pourquoi vous êtes là ? Et pourquoi il y a une tour à l’entrée de notre camp ? » Une fois, il a été arrêté et détenu pendant quelques heures pour avoir jeté des pierres sur l’autoroute. Il a nié l’accusation. Son père a également été convoqué pour un interrogatoire et les deux ont été relâchés avec un avertissement de ne plus jeter de pierres. Une semaine avant sa mort, raconte son père, ils ont eu une discussion musclée. Mundher Al Rai a exhorté son fils à ne plus s’engager dans des confrontations avec les soldats. «  Il jouait à Tom et Jerry  avec eux », raconte-t-il. Je lui ai dit : « Khalas, ça suffit ! « 

Le dernier jour de sa vie, Milad s’est rendu à la piscine de la ville de Doura, avec un groupe de garçons, dans le cadre d’une
“journée de loisir” organisée par une ONG locale. Comme la plupart des enfants réfugiés à Al Arroub, Milad n’était jamais allé à la mer, bien qu’elle se trouve à une heure de route de chez lui. La piscine de Doura était son substitut. Il est rentré chez lui vers 14 heures. Dans la soirée, son père lui a demandé d’aller dans un magasin pour changer une ampoule qui ne fonctionnait pas.

Milad ne s’est apparemment jamais rendu au magasin. Avec deux amis, il s’est équipé de cocktails Molotov et est allé les lancer sur le mur de la tour de l’armée. Il n’y avait aucun soldat au niveau du sol à l’extérieur qui aurait pu être en danger. Basel Adra, nouveau chercheur de terrain à Hébron pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, a noté qu’à part les trois garçons, il n’y avait pas de foule dans la rue. Milad a reçu une balle dans le dos alors qu’il tentait de s’enfuir pour sauver sa vie. Il a réussi à faire quelques pas avant de s’effondrer dans les bras de ses amis.

Le père et le frère de Milad tiennent une photo de l’adolescent décédé.

Alors que son père se faisait couper les cheveux dans le camp, vers 20h30, un proche l’a appelé pour lui dire que Milad avait été blessé. Immédiatement après, la mère de Milad, Samah, l’a appelé pour lui transmettre le même message. Cependant, Mundher Al Rai était certain que son fils avait été tué. « Milad est mort », a-t-il dit à son ex-femme.

Un parent qui vit à la périphérie du camp de réfugiés, à côté de la tour, a vu Milad tomber au sol, blessé, et l’a emmené d’urgence dans sa voiture à la clinique de la ville voisine de Beit Fajar. Le camp lui-même ne dispose même pas d’un poste de premiers soins. Lorsque son père est arrivé et a vu son fils, il a déclaré : « Ce garçon a quitté la vie ». Ses yeux étaient encore ouverts mais son cœur avait cessé de battre. Le parent a raconté qu’en chemin, Milad avait gémi deux fois, puis avait cessé de respirer.

De Beit Fajar, il a été transporté en ambulance à l’hôpital Al Yamamah de Bethléem, mais les tentatives de réanimation ont échoué. À un moment donné, Mundher Al Rai a demandé qu’on arrête d’essayer. Son fils était mort.

Cette semaine, l’unité du porte-parole des FDI a répondu à Haaretz qui demandait si Milad avait mis en danger la vie des soldats dans la tour fortifiée : « Des terroristes ont lancé des cocktails Molotov sur des combattants des FDI et sur une route proche du camp de réfugiés d’Al Arroub dans [le territoire de] la brigade d’Etzion. L’un d’entre eux a pénétré dans la position de l’armée où se trouvaient les combattants. Les forces des FDI ont répondu par des moyens de dispersion de la manifestation et par des tirs. Une cible a été identifiée. Par la suite, on a appris que l’un des terroristes était mort. Les circonstances de l’affaire sont en cours d’éclaircissement ».

C’est ainsi qu’est mort le “terroriste” Milad Al Rai . Il avait 15 ans.