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30/01/2024

MOUIN RABBANI
Pourquoi l'arrêt de la CIJ sur la plainte pour génocide contre Israël est historique

Mouin Rabbani, DAWN, 26/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La première ordonnance émise  vendredi 26 janvier 2024 par la Cour internationale de justice sur les accusations de génocide portées contre Israël est entrée dans l'histoire, et ce n'est pas une hyperbole. 

La plus haute juridiction des Nations unies à La Haye a estimé qu'il était « plausible » qu'Israël ait commis des actes contre les Palestiniens de Gaza en violation de la convention sur le génocide. Bien que sa décision ne constitue pas encore un verdict sur la question de savoir si Israël a commis un génocide, ce qui pourrait prendre des années à la Cour, la CIJ s'est déclarée compétente pour poursuivre l'affaire intentée par l'Afrique du Sud, rejetant le principal argument d'Israël.

La Cour a ordonné des mesures provisoires pour protéger la population ravagée de Gaza contre le risque de génocide, notamment en demandant à Israël de veiller « avec effet immédiat » à ce que ses forces militaires ne commettent aucun des actes interdits par la Convention sur le génocide et de « prendre toutes les mesures » pour prévenir et punir l'incitation directe et publique au génocide contre les Palestiniens de Gaza. Chacune des six mesures provisoires a été adoptée à une écrasante majorité par les 17 juges de la Cour, par 16 voix contre 1 et 15 voix contre 2.

À ce stade de la procédure à La Haye, l'affaire se résume à une seule question : la CIJ a-t-elle déterminé que l'Afrique du Sud avait présenté une accusation plausible selon laquelle Israël commet un génocide et, sur cette base, a-t-elle autorisé la poursuite de l'affaire en vue d'une audience complète ? Tout le reste est secondaire. Sur ce point crucial, le verdict de la Cour a été sans ambiguïté : les arguments présentés par l'Afrique du Sud devant la CIJ au début du mois étaient suffisamment convaincants, et la réfutation et les dénégations d'Israël peu convaincantes. La CIJ va maintenant mener une audience complète et appropriée pour déterminer si Israël est non seulement accusé de manière plausible, mais aussi substantiellement responsable du crime de génocide à Gaza.

C'est là que l'histoire s'est écrite. À partir du 26 janvier 2024, Israël et ses sponsors occidentaux ne pourront plus utiliser l'Holocauste pour se soustraire à l'obligation de rendre compte de leurs crimes contre le peuple palestinien. Raz Segal, éminent professeur d'études sur l'Holocauste et les génocides, a récemment souligné que l'État d'Israël était né dans l'impunité. « L'idée que l'État juif puisse commettre des crimes de guerre, sans parler de génocide, devient dès le départ une idée impensable », a-t-il déclaré. « L'impunité d'Israël est inscrite dans le système ».

Ce n’est plus le cas.

29/01/2024

GIDEON LEVY
C’est le courant dominant d’Israël qui nous a amenés à La Haye, pas ses marginaux branquignols

 Gideon Levy, Haaretz, 28/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Isaac Herzog, Yoav Gallant, Israel Katz : le président, le ministre de la Défense et le ministre des affaires étrangères d’Israël. La présidente de la Cour internationale de justice de La Haye, Joan Donoghue, a choisi de les citer tous les trois comme suspects d’incitation au génocide en Israël.

Le président israélien Isaac Herzog signe un obus près de la frontière de la bande de Gaza. Photo : Haim Tzach / GPO

 La juge n’a pas cité les franges de l’extrême droite, ni Itamar Ben-Gvir, ni Eyal Golan, ni les généraux à la retraite Giora Eiland (laissons les épidémies se propager à Gaza), ni Yair Golan, l’homme de paix et le diagnosticien des processus (laissons Gaza mourir de faim).

La troisième des mesures provisoires émises par la cour vendredi, signée par l’ancien président de la Cour suprême israélienne Aharon Barak, juge ad hoc d’Israël dans cette affaire, ordonne à Israël de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique au génocide des Palestiniens de la bande de Gaza.

Il semblerait qu’Israël doive maintenant enquêter, et éventuellement punir, son président et ses deux ministres les plus importants, et ils auraient dû être convoqués par la police dès dimanche matin. Israël ne le fera pas, bien sûr, mais il est impossible d’ignorer les soupçons soulevés par la cour concernant le cœur même d’Israël.

L’arrêt de la CIJ est un chef-d’œuvre de prudence et de modération. Il n’y a qu’en Israël, qui se trompe lui-même et nie jusqu’à l’égarement, que l’on peut « pousser un soupir de soulagement » et même « se réjouir » dans la foulée. Un État qui fait l’objet d’un procès pour génocide devant le tribunal des Nations unies devrait avoir honte et pas se réjouir.

Un État dont le président et les principaux ministres sont soupçonnés d’incitation au génocide devrait faire amende honorable, et non s’émerveiller de sa propre réussite imaginaire. Chaque Israélien aurait dû se tortiller sur son siège vendredi du simple fait du procès, et ressentir un profond sentiment de honte et d’humiliation en entendant les explications de la décision.

14/01/2024

GIDEON LEVY
Si ce n’est pas un génocide à Gaza, alors c’est quoi ?

Gideon Levy, Haaretz, , 14/1/2024
Traduit par Fausto Giudice
, Tlaxcala 

Supposons que la position d’Israël à La Haye soit juste et équitable et qu’Israël n’ait pas commis de génocide ou quoi que ce soit qui s’en rapproche. Qu’en est-il alors ? Comment appelez-vous les massacres, qui se poursuivent alors même que ces lignes sont écrites, sans discrimination, sans retenue, à une échelle difficilement imaginable ?

Place Nelson Mandela, Ramallah, Cisjordanie occupée, 10 janvier 2024

 Comment appeler les enfants mourant par terre dans les hôpitaux, dont certains n’ont plus personne au monde, et les civils âgés et affamés qui fuient pour leur vie la menace incessante des bombes omniprésentes ? La définition juridique changera-t-elle leur sort ? Israël poussera un soupir de soulagement si le tribunal rejette l’accusation. En ce qui le concerne, s’il ne s’agit pas d’un génocide, sa conscience sera à nouveau tranquille. Si La Haye dit “pas de génocide”, nous serons à nouveau les plus moraux du monde.

Ce week-end, les médias israéliens et les réseaux sociaux ont fait assaut d’admiration et d’éloges à l’égard de l’équipe de juristes qui nous a représentés à La Haye. Quel anglais élégant et quels arguments convaincants ! La veille, les médias ont à peine rapporté la position de l’Afrique du Sud, qui était présentée dans un anglais encore meilleur que celui des Israéliens et qui était bien plus ancrée dans les faits et moins dans la propagande, prouvant une fois de plus que dans cette guerre, les médias israéliens ont atteint un nadir inégalé. Ils considèrent qu’il est de leur devoir de renforcer la position israélienne et d’annuler la position du “bras juridique du Hamas”. Regardez l’honneur juridique que ces experts nous ont apporté.

Supposons que nous parlions d’un pays jugé pour les violations les plus graves du droit international. Ceux qui portent des robes noires et des perruques blanches et ceux qui n’en ont pas ont présenté les arguments habituels d’Israël, dont certains sont justes, comme les descriptions de l’atrocité du 7 octobre.

À d’autres moments, il était difficile de savoir s’il fallait rire ou pleurer. Comme l’argument selon lequel le Hamas est le seul responsable de la situation à Gaza. Israël n’y est pour rien. Dire cela à une institution internationale prestigieuse, c’est mettre en doute et insulter l’intelligence de ses juges.

Et que penser des propos du chef de l’équipe de défense israélienne, le professeur Malcolm Shaw : « Les actions d’Israël sont proportionnées et ne visent que des forces armées » ? Mais qu’en est-il de la vérité ? Proportionnées à une telle destruction ? Si c’est à cela que ressemble la proportionnalité, à quoi ressemble la disproportion ? À Hiroshima ?

“Uniquement contre des forces armées”, avec des multitudes d’enfants morts ? De quoi parle-t-il ? « Passer des appels téléphoniques pour évacuer les personnes non impliquées » ; qui a encore un téléphone en état de marche à Gaza et où exactement sont-ils censés évacuer dans cet enfer où il ne reste plus une seule parcelle de terrain sûr ? Et le comble : « Même si les soldats ont violé les lois régissant la guerre, cela sera entendu par le système juridique israélien. »

Shaw n’a apparemment pas entendu parler du système juridique israélien et encore moins de ce qu’on appelle le système juridique militaire. Il n’a pas entendu dire qu’après l’opération “Plomb durci”, le conflit de 2008-2009 avec Gaza, seuls quatre soldats ont été inculpés pour des infractions pénales et qu’un seul d’entre eux a été envoyé en prison pour le délit de vol d’une carte de crédit ( !). Tous les autres qui ont lancé des obus et des bombes sur des innocents ne seront jamais inculpés.

Et que dire des remarques de la Dre Galit Rejwan, la découverte du week-end qui sera sans aucun doute choisie pour allumer la torche de cette année lors de la cérémonie du Jour de l’Indépendance sur le Mont Herzl : « L’armée israélienne déplace les hôpitaux vers un endroit plus sûr ». Al Shifa sera-t-il déplacé à Sheba ? Rantisi à Soroka ? De quels lieux sûrs à Gaza parle-t-elle et quels hôpitaux Tsahal déplacera-t-il ?

Bien entendu, rien de tout cela ne prouve qu’Israël a commis un génocide. Le tribunal en décidera. Mais se sentir bien devant de tels arguments pour la défense ? Se sentir bien après La Haye ? Se sentir bien après Gaza ?