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03/06/2023

GIANFRANCO LACCONE
Italie : une unanimité parlementaire déconcertante en faveur des aliments transgéniques
Il faut les arrêter !

  Gianfranco Laccone, Climateaid.it, 1/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les Commissions VIII et IX (Agriculture et Environnement) du Sénat italien ont approuvé à l'unanimité, dans une manœuvre sournoise classique, un amendement au décret “sécheresse” (Projet de loi 660) qui introduit la possibilité d'essais expérimentaux dans le domaine agricole, visant à expérimenter des plantes obtenues avec des techniques génomiques de nouvelle génération [NGT en anglais]. Celles-ci, de manière moins évidente et traumatisante que les OGM jusqu'à présent, introduisent dans la plante des éléments d'ADN provenant de plantes de la même espèce ou d'autres espèces, capables de modifier son comportement. Le financement correspondant de 60 millions d'euros sur la période triennale 2023-25, inclus dans la même loi et destiné à l'élimination du matériel végétal produit, démontre l'intention d'avancer rapidement dans cette direction ainsi que le caractère pas trop “inoffensif” pour l'environnement de cette expérimentation, combinée au désir d'inciter les maires à accorder des autorisations, en leur garantissant un remboursement généreux des frais d'élimination.

 

 

Pour éviter que l'on dise que ce financement n'a rien à voir avec la sécheresse, à l'article 9 bis, paragraphe 1, le mot est introduit dans le texte avec une référence générique aux finalités, suivie des définitions :  « Afin de permettre la réalisation urgente d'activités de recherche, de vérification et de surveillance, sur des sites expérimentaux autorisés, à l'appui de productions végétales capables de répondre de manière adéquate à la pénurie d'eau et en présence de stress environnementaux et biotiques d'une intensité particulière, la dissémination volontaire dans l'environnement, à des fins scientifiques et expérimentales, d'organismes produits au moyen de techniques d'évolution assistée telles que la cisgénèse et la mutagénèse dirigée est autorisée, conformément aux dispositions du présent article et dans le respect du principe de précaution et de la législation de l'Union européenne applicable en la matière. La cisgénèse désigne les techniques génomiques visant à insérer, sans modification, du matériel génétique appartenant à un organisme donneur de la même espèce que le receveur, ou appartenant à une espèce apparentée sexuellement compatible, comme indiqué par l'Autorité européenne de sécurité des aliments et la Commission européenne. La mutagenèse dirigée désigne les techniques génomiques visant à modifier l'ADN d'un organisme sans introduire de matériel génétique étranger à l'organisme, appelées SDN-1 et SDN-2 par l'Autorité européenne de sécurité des aliments et la Commission européenne ». L'acronyme NBT, utilisé au niveau international, signifie New Breeding Techniques, et comprend toutes les techniques de correction ciblée du génome, également connues sous le nom d'édition du génome ; ces techniques ont maintenant été nommées TEA (Tecniche di Evoluzione Assistita) en italien, affirmant que le changement de terme peut démontrer leur plus grande “naturalité”. 


 

L'épisode est grave pour plusieurs raisons : pour l'unanimité des forces politiques, qui montre que la protection de l'environnement et la sécurité alimentaire sont considérées par nos parlementaires comme une affaire à résoudre, avec une grande témérité, par un artifice législatif ; pour la confiance que les dirigeants des entités publiques montrent dans les résultats possibles de la recherche, pensant encore une fois à tort - comme par le passé - que la chasse aux brevets et à la propriété du génome ne sont qu'un problème technologique et non une affaire énorme sur la peau des populations de la planète ; pour l'excès de confiance dans la possibilité de progrès de la recherche, renouvelant à travers les TEA le mythe de la pierre philosophale, sûrs que cette fois-ci il ne s'agit pas d'un mythe. Comme le rappelle à juste titre le communiqué de toutes les associations environnementales, de producteurs et de consommateurs, dont beaucoup se sont regroupées à l’enseigne “Changeons l'agriculture”, le vote unanime des commissions renforce un modèle de production intensive basé sur l'illusion que seule la technologie peut résoudre les problèmes de la crise environnementale d’origine anthropogéniques. En réalité, on renforcerait le pouvoir de contrôle des multinationales, des détenteurs de brevets et des entreprises agroindustrielles sur les chaînes agroalimentaires, au détriment des agriculteurs et des citoyens.

 

L'ACU demande la suppression immédiate de l’amendement inutile et nuisible au texte du projet de loi 660, censé soutenir l'agriculture en temps de crise.

 

Alors qu'à l'étranger la discussion implique de nombreux secteurs de la société et que les arguments sont approfondis, ici le sujet lui-même est obscurci et détourné par les motivations d'urgence habituelles (il faut lutter contre la sécheresse), jouant sur le malentendu du “nouveau” comme synonyme d'inoffensif, contrairement aux OGM précédents.  Mais l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne dans l'affaire C-528/16, déjà en 2018, a assimilé à toutes fins utiles les NBT/TEA aux OGM, en soumettant l'expérimentation aux mêmes conditions que les OGM, c'est-à-dire qu'elle n'est possible qu'en respectant certains critères.  Une partie de ces critères sont déjà présents dans la loi sur les semences de 2001 - et sont toujours en vigueur - et concernent l'information sur les champs expérimentaux et l'évaluation des risques pour l'agro-biodiversité, les systèmes agraires et les chaînes agro-alimentaires. La tentative subreptice de la loi de considérer l'expérimentation comme respectant le principe de précaution va à l'encontre de la nécessité d'une information transparente et publique sur l'activité, non pas pendant mais avant qu'elle ne soit réalisée.   En substance, il s'agit d'un coup d'État d'une poignée d'inconnus qui entend balayer des décennies de discussions sur les OGM qui, dans l'UE, ont abouti à l'inclusion du principe de précaution dans les traités. Dans notre pays, les variétés locales ont donc été favorisées, ce qui a certainement été l'un des facteurs de l'affirmation du “Made in Italy”, du maintien d'une production qui, autrement, aurait été retirée du marché et du développement généralisé de la culture biologique. Les méthodes de culture moins technologiques, telles que l'agriculture biologique, sont aujourd'hui rentables, évitent de polluer davantage et favorisent la réhabilitation des terres, et sont en mesure de donner une personnalité et une image au “Made in Italy”. Mais il semble que la pensée dominante des organisations agricoles majoritaires soit de sauver leurs chaînes d'approvisionnement et, avec elles, le système de marché qui est aujourd'hui en crise.

 

Comme l'ont montré les inondations en Romagne, le système le plus avancé d'agriculture de marché est très vulnérable au changement climatique et la lutte contre la sécheresse ne trouvera pas de sitôt un réconfort dans la recherche sur le génome. Depuis le début des années 1980, la recherche sur le génome espère trouver un élément d'ADN à transférer pour rendre toutes les variétés de plantes possibles résistantes au stress hydrique, à commencer par le riz, sans y parvenir jusqu'à présent. Mais il y a là une contradiction interne insurmontable, que tant le monde de la recherche que les parlementaires qui l'ont votée si superficiellement ne prennent pas en compte : c'est le marché. Le même marché qui pousse à financer des recherches coûteuses et à arracher les connaissances agricoles des mains des agriculteurs rendra les inventions introduites inutiles. Parce que les cultures à hauts revenus sont irriguées, parce que les plantes produisent plus si elles sont irriguées, et parce qu'il est plus facile de cultiver des plantes nées dans des climats de savane et des variétés de céréales plus rustiques et anciennes que les variétés actuelles, que d'acheter (très cher) du blé issu de la recherche sur les variétés transgéniques. Les anciens OGM ont échoué sur le marché pour des raisons économiques et pas tellement pour des questions génétiques ; ces dernières étaient importantes en raison de la perte de biodiversité qui s'est produite et des mutations induites, des faits qu'il faut empêcher de continuer à expérimenter dans le dos des populations de la planète. L'unanimité obtenue lors du vote en faveur de des TEA ne fait que montrer la distance qui existe désormais entre la vie des gens et celle des hommes/femmes politiques italien·nes. On dit que ce vote contribuera à soutenir les produits fabriqués en Italie : j'aimerais que l'on m'explique comment et pourquoi. Ce que je vois tous les jours quand je vais au marché local, c'est la foule (en constante augmentation) devant les étals de légumes de rebut, ceux qui sont vendus aujourd'hui pour 1,5/2 euros, alors qu'il y a encore trois mois, ils coûtaient moins d'un euro le kg. Et dans les supermarchés, je vois les offres du jour s'épuiser rapidement, au détriment des produits certifiés et plus chers.

 

Les Italiens mangent de plus en plus ce qu'ils peuvent acheter avec les faibles revenus dont ils disposent, et il faudrait pousser la recherche pour trouver des systèmes de culture moins coûteux et moins polluants, capables d'améliorer l'alimentation de masse et, à travers elle, la santé de la population.   

   

16/05/2023

GIANFRANCO LACCONE
Qui sème le vent récolte la tempête
Les catastrophes agricoles ne tombent pas du ciel

Gianfranco Laccone, Climateaid.it, 11/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


Depuis quelque temps, on évoque à grands cris le danger de disparition de la production agricole italienne : de ceux lancés lors de la journée nationale des fruits et légumes (Adieu aux 100 millions de plantes fruitières ! ), à l'appel au soutien de la production nationale de blé dur lancé par une organisation d'agriculteurs des Pouilles, jusqu'aux déclarations faites il y a quelques jours à Macfrut (une importante foire des fruits et légumes qui se tient à Rimini), devant le président Mattarella auquel, paradoxalement, on a exposé les problèmes causés par la sécheresse qui a frappé l'agriculture de la région ces derniers mois, au moment même où se produisaient des pluies diliuviennes qui auraient fait tomber en deux jours la quantité de pluie qui aurait du tomber au cours des mois précédents.


Au cours des 15 dernières années, 100 000 hectares de cultures fruitières auraient disparu. Mais quelle en est la cause ? On ne parle pas de l'utilisation des terres agricoles à d'autres fins, de l'urbanisation effrénée et, à la base, du système économique du marché libre qui, en visant le profit maximum, concentre la production là où elle est la plus rentable, souvent en dehors de l'Italie.

 

C'est cette même concurrence effrénée qui amène du blé bon marché (et de moins bonne qualité) dans les produits de grande consommation (pâtes, boulangerie et biscuits), qui met les agriculteurs (italiens et polonais) en crise, mais pas l'industrie alimentaire - dominée par les marques italiennes - qui, hier, exploitait les produits d'autres parties du monde et qui, aujourd'hui, exploite les lots importés d'Ukraine. Vous souvenez-vous de la campagne visant à libérer les céréales bloquées dans le port d'Odessa ? Elles étaient censées être envoyées aux populations nécessiteuses d'Afrique, mais il est presque certain qu'elles ont fini par devenir un produit d'exportation pour le monde entier, y compris pour nous, bien sûr.

 

Certaines questions telles que la disparition des cultures ou la crise de certains secteurs sont dangereusement utilisées pour protéger un système de marché (la véritable cause de la crise), même avec des motifs “écologiques”, craignant une dégradation de l'environnement en raison de la réduction de la capacité d'absorption du CO2 : une plante adulte capte 100/250 g de poussière et de smog par an, et moins de plantes signifie moins de dépollution. Un discours valable s'il s'agissait de plantes sans intervention humaine ; mais un verger ne naît pas avec un impact nul, car la quantité de smog créée pour obtenir une production agricole (entre celle nécessaire aux intrants productifs et celle nécessaire à leur distribution) réduit fortement la capacité d'absorption : les agriculteurs et les populations vivant dans les zones à plus forte concentration productive le savent bien.  C'est pourquoi il est essentiel de développer un discours agroécologique, dans lequel la réduction des intrants (et donc la réduction des polluants) est combinée à une présence accrue des plantes sur le territoire.

 

Motivées par de nobles objectifs “écologiques”, il y a aussi les demandes très pressantes, aujourd'hui, de soutien aux zones touchées par des “catastrophes environnementales”, de création de réservoirs qui serviraient à collecter et à régimenter l'eau, et de subventions visant à protéger l'agriculture, considérée comme la gardienne de la terre. Là aussi, il y a des incohérences et des non-dits qu'il convient de clarifier, en démystifiant certains clichés.


 

Les inondations d'il y a quelques jours ont touché la région de l'Émilie-Romagne, à la pointe de la production agricole italienne. Le fait que cette région ait été touchée en dit long sur la faiblesse du système mis en place. De même que le Covid a frappé de plein fouet la région de Lombardie, dotée du système de santé le plus “avancé”, montrant ainsi l'incapacité à protéger la masse des populations avec un tel système, aujourd'hui les dégâts causés par un événement qui n'était en rien imprévisible, montrent l'incapacité des systèmes hautement productifs à protéger le territoire et, avec lui, les populations qui y habitent. Il s'agit de repenser l'ensemble du système de production, en éliminant de la perspective la présence de territoires avec des zones cultivées avec un seul type de culture, voire avec une seule variété, pire, avec des plantes toutes dérivées d'un seul clone.  La solution proposée par les partisans de cette planification consiste, en se déchargeant de toute responsabilité, à augmenter les investissements et la dépendance vis-à-vis de mécanismes gérés par d'autres (comme dans le cas de la gestion de l'eau et des réservoirs) en augmentant leur présence sur le territoire : c'est comme si, face à un plafond troué, on augmentait le nombre de bassins sous les trous.

 

Il serait nécessaire de réduire la pression de la production, de différencier la production et les cultures, en insérant dans la même zone des plantes aux systèmes racinaires plus ou moins profonds, aux comportements différents face aux précipitations et aux températures, capables d'atteindre concrètement la résilience ; au lieu de cela, nous sommes toujours à la recherche de quelque chose qui représente la solution finale, à vendre aux agriculteurs par le biais d'une marque brevetée.

 

Le discours économique est encore plus déformé. Une région, un secteur productif, entre en crise : on en cherche alors les raisons parmi les causes “naturelles” (une maladie, une sécheresse, une inondation) et il est inutile d'ajouter que dans ces cas-là, on classe la région comme “touchée par une catastrophe naturelle”, ce qui est suivi par la déclaration de l'état d'urgence et le décompte des dommages, sans aucune autre mesure qui tende à supprimer les causes profondes. Pour les situations de crise qui ne peuvent être attribuées à des causes “naturelles”, on cherche frénétiquement le coupable, presque toujours un agent extérieur, un ennemi de nos productions qui, il va sans dire, sont les meilleures ; enfin, tout cela est une attaque contre notre façon d'être, contre le label “Made in Ital”, fleuron de nos exportations, et contre la culture italienne.

 

Même si le discours semble paradoxal et peut faire sourire, il est proposé dans des termes similaires par des représentants autorisés du monde agroalimentaire qui, face au changement climatique, ne savent pas comment mieux manifester leur surprise face à ce soi-disant “événement tragique” auquel, de temps en temps, même les animaux contribueraient, expression de cette “nature sauvage” que notre civilisation cherche à dominer.

 

Sans la moindre ironie, certains ont attribué ces derniers jours l'effondrement des digues en Émilie-Romagne aux ragondins et aux porcs-épics qui, par leurs tunnels, auraient sapé les travaux de remise en état. Les entreprises, le système de la chaîne d'approvisionnement, la recherche frénétique de l'exportation de la production sont les outils proposés au lieu de garantir une meilleure qualité et une sécurité des revenus pour la vente locale des produits. Quant à la propension écologique des entreprises, elle se réduit souvent à la recherche de compensations adéquates par des contributions extraordinaires ou des “titres” pour pouvoir nettoyer ou polluer ailleurs.

 

L'agriculture italienne n'a pas d'ennemis extérieurs qui la mettent en danger, elle est elle-même, conduite de manière hyper-productive et exportatrice, la cause des dangers qui la minent. C'est ce type d'agriculture qui est le danger, et pour en éliminer les causes, il faut au moins avoir l'humilité d'admettre les erreurs du passé, les sous-estimations, le manque de prévision et de planification et, enfin, le manque d'entretien, principal élément de conservation de ce qui existe. La situation d'alternance de périodes de sécheresse et d'épisodes nuageux est une manifestation du changement climatique, et il est nécessaire de pouvoir vivre avec de telles situations, qui devraient se succéder au cours des prochaines décennies.

Les seuls qui semblent s'en préoccuper sont les jeunes de Fridays For Future ou Ultima Generazione [Last Generation] dont les actions, même si on ne les partage pas entièrement, sont les seules à signaler l'absence, sur ce terrain, des institutions et des organisations sociales (syndicats de travailleurs et de patrons).


 

 

02/05/2023

GIANFRANCO LACCONE
La poste italienne, l’écoblanchiment et les consommateurs

Gianfranco Laccone, Climateaid.it, 2/5/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

« Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins ».


Aujourd’hui, en Italie, une action au bénéfice des citoyens, pour la transparence et l’information correcte, que nous définissons comme historique, commence : l’ACU (Associazione Consumatori Utenti, Association Consommateurs Usagers) et le réseau Climateaid Network ont signalé à l’Autorité Garante de la Concurrence et du Marché (AGCM) la publicité de Poste Italiane [privatisée à 40% en 2015, Ndlr] pour les produits de l’entreprise. Les résultats de l’enquête que le Garant va lancer seront un élément clé pour l’avenir de l’information environnementale dans notre pays, et l’ensemble de l’action menée par les deux associations marquera le sens de la nouvelle relation qui devra exister dans les rapports sociaux pour réaliser la transition écologique. Si nous voulons une véritable durabilité sociale, les comportements de chacun devront changer : plus de transparence, plus de collaboration, une décentralisation des décisions et une opérabilité constante. Des choses qui sont aujourd’hui beaucoup dans les rêves et peu dans la réalité. La Poste italienne est sur le point de passer des contrats de vente d’énergie (pour des tiers, elle n’en produit pas encore...), affichant un visage rassurant et “green”. L’ACU entend aborder le problème non seulement en termes juridiques et contractuels, mais aussi en termes techniques, et cherche à lancer des actions avec les forces professionnelles et sociales nécessaires. Jusqu’à présent, les actions en faveur de l’environnement étaient du ressort des associations environnementales, tout comme la vente d’énergie était du ressort des grandes entreprises énergétiques. Si une entreprise de services essentiels comme la Poste vend de l’énergie, les associations de consommateurs doivent s’y connaître en énergie et agir dans ce domaine.

 

La révolution durable dans le monde ressemble beaucoup à celle qui a eu lieu pendant la Renaissance, lorsque les compétences se sont répandues et que de grandes figures “mixtes”, comme Léonard de Vinci, ont excellé dans de nombreux domaines. Comme à l’époque, la collaboration entre les entreprises et les personnes, qu’il s’agisse de travailleurs ou de consommateurs, est fondamentale et les relations entre elles doivent changer. En fin de compte, la contrepartie de cette intervention est, malgré elle, appelée à prendre un engagement original, et avec elle le Garant qui devra baliser le chemin sur lequel la confrontation doit se poursuivre.

 

La durabilité passe par de nouveaux rapports entre les sujets qui la pratiquent (y compris les animaux et les plantes) et le système social et entrepreneurial ne peut pas ne pas les intégrer dans les comportements à venir, à commencer par le simple fait de dire la vérité sur ce que l’on fait, surtout si ces déclarations concernent des aspects scientifiques peu connus et des technologies dont nous sommes tous peu experts. La manière de traiter de manière simplifiée des problèmes complexes et difficiles s’explique par le monde fordiste que nous laissons progressivement derrière nous, dans lequel ce qui est simple est plus vendable et plus facilement reproductible. L’utilisation de termes génériques est l’outil principal de cette façon de concevoir les relations. Il est donc nécessaire de bien définir les questions avant de commencer à en discuter.

 

Pour comprendre de quoi on parle quand on dit “durable” ou - comme on le fait maintenant – “green” [verde, en italien], il faut partir de la définition donnée plus haut, publiée en 1987 dans le rapport final de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, “Notre avenir commun”, présidée par Gro Harlem Brundtland, qui contient deux concepts fondamentaux : l’environnement en tant qu’élément essentiel du développement économique et la responsabilité intergénérationnelle pour l’utilisation des ressources naturelles qui le composent. Cette notion a depuis été reprise dans les traités environnementaux (Convention sur le changement climatique de 1994 et Convention sur la diversité biologique de 1993) avec quelques précisions importantes : par exemple, l’article 2 de la Convention sur la diversité biologique contient la notion de durabilité, définie comme l’utilisation des ressources biologiques d’une manière et à un rythme qui n’entraînent pas leur diminution à long terme et qui préservent la capacité de répondre aux besoins des générations présentes et futures. Jusqu’à la conférence de Johannesburg en 2002, qui a confirmé que le développement durable était le moteur de l’avenir de l’humanité, fondé sur trois facteurs interdépendants : la protection de l’environnement, la croissance économique et le développement social. Regardons maintenant autour de nous et voyons ce qui a changé depuis 1987 dans les gestes que nous posons, les services que nous utilisons, les objets qui nous entourent : d’une méfiance initiale à l’égard du terme durabilité (ceux qui, comme nous à l’ACU, parlaient de la nécessaire durabilité du système économique et social à la fin des années 80 étaient considérés comme des “critiques pessimistes”), nous sommes passés à l’utilisation du terme comme signe distinctif et qualificatif des initiatives menées ou des produits, à l’utilisation rampante du mot “durable”, présent dans tous les livrets d’instructions des appareils ménagers, dans les promotions des produits, dans les stratégies des entreprises, des banques et des gouvernements.

 

L’utilisation du mot “durable” s’est tellement répandue que dans les publicités, pour se démarquer parmi tant de messages “durables”, il a fallu utiliser un autre mot : “green”", rendu efficace non seulement par le halo de mystère qui entoure chaque mot dans une autre langue, mais surtout par l’image que le mot évoque, après des décennies de batailles écologistes menées sur toute la planète, jusqu’à l’initiative de Greta Thunberg : Fridays For Future, l’initiative verte et jeune par excellence des temps modernes.

 

Les gouvernements ont tenté de s’adapter à l’évidence de la réalité (les ressources s’épuisent plus vite que prévu et le monde devient de plus en plus invivable, plus vite que nous ne le pensions) en essayant de servir de médiateur entre les groupes d’intérêt. Dans de nombreux cas, ils l’ont fait obtorto collo (à contrecœur, en français) ou tardivement, comme c’est souvent le cas pour l’UE. Dans l’Union européenne, plusieurs stratégies de durabilité ont été lancées ou sont sur le point de l’être (Farm to Fork [De la ferme à la table], Ecodesign, pour n’en citer que deux), face auxquelles les gouvernements des différents pays réagissent souvent par l’inertie ou en s’y opposant, en justifiant leur comportement par des raisons techniques (temps d’adaptation, insuffisance de l’information et de la formation, etc. ), comme c’est le cas de l’actuel gouvernement italien. Mais la durabilité est inéluctable et trace la voie de l’avenir de toute activité humaine. Les entreprises en sont conscientes et s’équipent, tout d’abord en changeant leur structure interne et leur image. L’utilisation des deux termes (durable ou vert), éventuellement associés à un pourcentage complet (100 %), rend les messages plus rassurants et nous convainc que nous n’avons pas besoin d’explications supplémentaires. Les explications sont compliquées, les experts les donnent, il y a des entreprises faites par des experts qui les connaissent, et puis il suffit de citer leur nom (encore mieux si c’est en anglais) pour rassurer. Les données sont ennuyeuses et donnent mal à la tête, le monde pour avancer rapidement dans le futur ne doit pas se perdre dans tant de détails. Alors tout le monde se met au vert et les philosophies d’écologisation des entreprises se transforment en écoblanchiment, un terme qui désigne la teinte verte superficielle avec laquelle les entreprises tentent de couvrir leurs produits et leurs politiques, évitant ainsi la coûteuse et difficile reconversion écologiste tout en montrant un visage rassurant à la société.

 

Nous avons appris le sens de cette philosophie de l’existence qui nous hante depuis les années de grande consommation, aujourd’hui grossièrement énoncée, dans les livres de Herbert Marcuse (L’homme unidimensionnel) ou de Vance Packard (La persuasion clandestine), dans les chansons et les films qui critiquent le consumérisme, philosophie de vie de la période de développement économique (je me souviens d’un morceau de Nino Rota “Drink More Milk” [Buvez plus de lait, Le lait fait du bien, Le lait convient à tous les âges], tiré de Bocaccio 70, un film de critique douce-amère de la société de l’époque). Et nous avons appris à réagir, en exigeant la transparence et la vérité dans les déclarations de chacun.


 

Tout devient green et renouvelable, mais est-ce vraiment le cas ? Car l’idée que tout est reconvertible provient de l’illusion d’une consommation facile dérivée d’une énergie fossile obtenue à bas prix (pour obtenir du gaz et du pétrole, il suffit de faire un trou dans la terre et ils sortent tout seuls) et des produits aux mille usages qui en découlent. Aujourd’hui, nous savons que l’énergie fossile n’est pas bon marché, mais qu’elle a un coût caché, car son rejet dans l’atmosphère a un coût très élevé en vies détruites et en changements irréversibles de moins en moins adaptables à la vie du système terrestre. Car en fin de compte, on cherche toujours à se rassurer et à trouver la clé qui nous permettra d’être tranquilles à l’avenir : il y a eu la recherche du Saint Graal, puis celle de la pierre philosophale qui, en transformant tout en or, permettait la richesse éternelle, remplacée aujourd’hui par la recherche d’une énergie propre, un rêve qui va de la fusion nucléaire à froid à l’éternelle énergie renouvelable.

 

La science nous dit autre chose : nous savons peu de choses sur les processus fondamentaux de la nature et ce peu de choses déforme notre façon de voir les choses, comme tentent de nous le dire Stefano Mancuso et Carlo Rovelli dans leurs écrits. Mais les nouvelles connaissances nous permettront de mieux vivre et d’avoir un avenir si elles sont rapidement appliquées dans les actions, les services et les produits.

 

“Une offre à 100% durable” : il s'avère que l'energie vendue ne provient de sources renouvelables qu'à 45%

 

Pourquoi Poste Italiane SpA s’intéresse-t-elle à l’énergie ? Ce que nous avons dit précédemment est clair : la production d’énergie à faible coût et à faible impact sur l’environnement est l’outil qui permettra aux entreprises de survivre et de collecter des flux de trésorerie de plus en plus importants. Les processus de fusion et de transformation des entreprises, qui ont commencé dans les secteurs de l’automobile et de la chimie, s’étendent désormais à d’autres secteurs. Par exemple, dans le secteur de l’énergie, les grandes compagnies pétrolières sont devenues des holdings dans lesquelles la dimension financière dépasse largement la dimension productive. Il en va de même dans tous les autres secteurs. Si nous voulons avoir notre mot à dire dans un tel monde, nous devons agir en conséquence, en nous intéressant, en tant qu’ACU, à l’écoblanchiment.

 

Nous devons aller au-delà de l’aspect spécifique et protéger non seulement la consommation, mais aussi la production, en particulier si les citoyens deviennent des producteurs de quelque chose, par exemple d’énergie (mais aussi de flux d’images et d’informations, par exemple en étant connectés pendant des heures à n’importe quel média social tel que Facebook).

 

Autrefois, nous aurions pu penser qu’un producteur ou un travailleur ne deviendrait un consommateur qu’à certains moments et pour certains aspects de sa vie. Aujourd’hui, ils sont à la fois producteurs et consommateurs et agissent sur les deux tableaux en même temps, ce qui nous demande d’intervenir avec des compétences accrues et un professionnalisme différent, filtrés par l’expérience de la consommation. Si nous nous contentions d’être des consommateurs, des producteurs, des écologistes ou des travailleurs, nous ne pourrions pas soutenir la confrontation et nous nous sentirions seulement comme des spectateurs d’une vie et d’un avenir qui passent devant nous, comme c’est le cas avec les grands partis ou les syndicats. L’ACU est encore petite par rapport aux besoins du “moment historique”, mais nous avons des idées et nous grandirons, et avec nous les entreprises qui s’engageront dans cette voie grandiront également.

 

Aujourd’hui, peut-être, elles le feront obtorto collo, mais elles seront des pionnières du pacte social de l’avenir.

 

 Le spot de lancement de l’offre de Poste Energia, la nouvelle filiale des postes italiennes, avec comme star Mara Venier, alias Tata Mara ou encore la Dame du Dimanche, animatrice de télé depuis 30 ans, prototype de la voisine d’à côté de la ménagère de 50 à 100 ans.

21/04/2023

GIANFRANCO LACCONE
La méchante ourse, l’humain et la Constitution

 Gianfranco Laccone, climateaid.it, 20/4/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Un fil rouge relie le racisme, le sexisme et le spécisme, qui désigne la croyance que l’espèce humaine est différente et supérieure aux autres, alors que, selon notre Constitution, la République doit protéger l’environnement, la biodiversité et les écosystèmes.

 


L’ourse Gaia jj4 est l’un des premiers ours nés en Italie, en 2006. Ses parents Joze et Jurka (‘où sa désignation comme "jj4"), étaient deux des dix ours importés de Slovénie pour repeupler les Alpes centrales de cette espèce. Elle a trois petits. Elle avait été condamnée à mort par une ordonnance du président de la province de Trente une première fois en 2020, pour avoir blessé deux chasseurs mais la sentence avait été suspendue. Le 5 avril, elle a tué un coureur, de toute apparence pour protéger ses petits et a donc été capturée le 18 avril, ses petits étant laissés en liberté, et installée dans un espace de confinement, au Casteller, qu’elle partage avec son dangereux congénère Papillon M49, enfermé là depuis 3 ans. L’exécution de l’ordonnance de mise à mort ayant été réactivée, une organisation animaliste (Ligue antivivisection) a pu la bloquer devant le Tribunal administratif régional, qui doit juger l’affaire le 11 mai prochain. Il y a aujourd’hui une centaine d’ursidés dans le Trentin. En Slovénie, où vivent 1100 ours, le gouvernement a donné le feu vert à l’exécution de 230 ours bruns en 2023. En 2022, on en avait tué 206. Les loups et les lynx y sont aussi victimes de semblables décisions, comme en Suède, en Autriche et en Suisse*. [NdT].

 La tragique affaire de l’ourse Gaia jj4 dans le Trentin est la némésis du rapport de l’humain à la nature et représente l’impasse dans laquelle s’est engagée la société italienne, composée d’individus qui, dans une période difficile pour la société, préfèrent se fermer aux “ennemis”, identifiés de temps en temps comme des éléments étrangers : les immigrés, la Russie, la France, les stations-service, l’UE, les amateurs de rave-parties, les sangliers, les loups et, maintenant, les ours.  Ceux qui pratiquent cette fabrication du “bouc émissaire” se montrent incapables de penser à autre chose qu’à la protection de leur propre bien-être individuel, à obtenir bien sûr sans se soucier des autres, surtout lorsqu’il s’agit d’animaux non humains. Et ce n’est pas un hasard si, dans le discours public, on avance le récit d’un pays assiégé qui serait attaqué en essayant même de pratiquer la “substitution ethnique” [le fameux “Grand Remplacement”], comme l’a dit de manière ridicule un ministre de cette république [Francesco Lollobrigida, petit-neveu de Gina l’actrice, beau-frère de Giorgia Meloni et ministre de l’Agriculture]. Il s’agit d’une vision globale dans laquelle la tâche de chaque Italien est de protéger sa propre pureté, son propre territoire, comme s’il ne s’agissait pas d’un espace commun, mais d’une propriété à laquelle on a droit par descendance, à laquelle on attribue également la tâche de choisir les espèces animales ou végétales que l’on aime. On ne s’expliquerait pas autrement le malaise (parfois la haine) à l’égard de certaines espèces comme les étourneaux, les perruches, les mouettes, les loups, les sangliers, voire certaines plantes : autant d’êtres qui ne devraient pas vivre une vie propre selon cette logique, mais rester à l’endroit que l’on a choisi pour eux, même s’ils ne le savent pas. Ici, nous les retirons des zones, nous les confinons dans des espaces qui, bien que contrôlés et délimités, n’arrêtent certainement pas leurs mouvements. Que faire alors si les animaux ou les plantes ne restent pas à leur place ? Pour les plantes, la destruction par désherbage (généralement effectué avec des produits nocifs pour nous) ou l’abattage est considérée comme normale ; pour les animaux, la même solution est pratiquée, mais de manière plus déguisée : pour certains d’entre eux, définis comme d’élevage, la naissance et la mise à mort sont un destin programmé ; pour d’autres, la mise à mort est le même destin, médiatisé par des “états de nécessité” ou par la chasse.

Le fait que le sort de l’ourse ait été décidé par la propagande médiatique était évident dès les premiers reportages ; d’autre part, si certains Italiens pensent qu’en cas de crime, la peine de mort devrait être rétablie pour le coupable, pensez-vous peut-être qu’un animal qui tue un homme (quelles qu’en soient les raisons) pourrait avoir un meilleur sort? Le fait que le président de la province de Trente - Fugatti - ait tenté dans le passé d’organiser un banquet avec de la viande d’ours n’est certainement pas un signe positif pour un animal qui n’a même pas de nom (les médias ayant effacé le nom original donné en Slovénie, d’où les spécimens d’ours ont été importés pour le repeuplement), mais seulement un acronyme - comme les détenus des camps de concentration ou les vaches d’élevage qui ont des numéros de série -, contrairement à ces autres animaux qui pour nous ont des personnalités et sont considérés comme des individus et à qui nous donnons un nom, que nous laissons vivre près de nous, auxquels nous donnons une sépulture. Mais pour eux aussi, la fin est la même, s’ils transgressent les règles tacites que nous connaissons et qu’ils ignorent souvent. 

Un fil rouge relie le racisme, le sexisme et le spécisme, qui désigne la croyance que l’espèce humaine est différente et supérieure aux autres ; un fil rouge qui sous-tend le comportement décrit ici et qui est très bien expliqué, avec un exemple que nous pourrions également comprendre comme une métaphore de cette triste histoire, par l’anthropologue Annamaria Rivera dans son livre “La Bella, la Bestia e l’Umano” (La Bête, la Bête et l’Humain. Sexisme et racisme sans exclure le spécisme, ediesse, 2010) : 

    « Une femme italienne petite-bourgeoise avec deux enfants a à son service une employée de maison ukrainienne ou philippine, moldave ou péruvienne, qui s’occupe de la maison, en son absence également de la progéniture, et éventuellement aussi des parents âgés de la dame.... Supposons qu’elle soit mariée à un homme qui a un travail subalterne, stressant et insatisfaisant et qu’elle soit harcelée par un employeur qui lui rend la vie impossible ; son mari la trompe, l’humilie ou la maltraite ; pour évacuer sa colère, elle se laisse aller à des accès de rage au cours desquels elle maltraite l’aide ménagère, les enfants et surtout le chien de la maison. Et supposons que l’aide ménagère, qui n’aime pas les animaux et déteste ces enfants, dans des moments de fatigue et d’exaspération, en l’absence des adultes de la maison, crie sur les enfants et maltraite le chien. Dans ce cas fictif - mais, je le répète, tout à fait réaliste - presque toute la hiérarchie de la domination est représentée... L’imbrication de multiples formes de domination-subordination... fait que les mêmes personnes peuvent être à la fois privilégiées et pénalisées... Les seuls qui n’exercent pas de formes de pouvoir sont les enfants et les animaux. Or, dans le cas imaginaire que j’ai illustré, les enfants pourraient se venger des torts qu’ils ont subis en maltraitant le chien, et le chien pourrait un jour réagir à la maltraitance de tous en mordant les enfants. Dans ce cas, les différents dominants se ligueraient contre le chien et l’abattraient ».

Comme c’est souvent le cas avec la création du “monstre à la une”, dans le cas de cette pauvre ourse, l’acquisition d’opinions s’est poursuivie en prenant pour acquis certaines vérités (non prouvables) telles que la férocité de la bête et l’inévitabilité de sa propension meurtrière, après le “crime”. Peu importe qu’en 150 ans, il s’agisse de la première attaque qui se soit terminée tragiquement, alors que chaque année les parties de chasse enregistrent des dizaines de morts causées par le “tir ami” des fusils à double canon. Peu importe que la victime n’ait pas eu de clochette ou de bipeur comme ceux dont sont équipés les visiteurs des parcs naturels usaméricains ; peu importe que l’ourse ait probablement défendu des oursons qui occupaient la zone de passage de la personne qui courait à ce moment-là.

Que ferait une mère si elle voyait quelqu’un courir vers son enfant ? Pourquoi un animal, qui de surcroît n’utilise pas notre langage et n’y est pas habitué, se comporterait-il différemment ? Enfin, peu importe l’inertie et la négligence considérables des institutions et des autorités locales, où les élus se déclarent peut-être “le maire de tous”, mais ils devraient aussi se déclarer le maire de tous les animaux et de tous les êtres vivants et prendre en compte les situations qui existent pour les raisons qui sont aujourd’hui évidentes. La capture d’un ours a toujours fait la une des journaux. Dans toutes les cultures, il a représenté quelque chose de “divin” et dans certaines, il est considéré comme un habitant de la forêt doté d’une personnalité propre, si semblable à l’humain qu’il peut coexister avec lui. Cette coexistence n’a pas seulement consisté en la condition humiliante des “ours dansants”, animaux qui, comme des esclaves, étaient exhibés dans les foires de village en Europe jusqu’à il y a quelques décennies, mais elle a également revêtu des significations profondes.

Le mythe part de l’histoire de Polyphonte, une jeune fille vouée au culte d’Artémis qui, pour échapper au mariage, se réfugia dans une forêt et Aphrodite, pour la punir, la fit tomber amoureuse d’un ours, de la relation avec lequel naquirent deux fils, Agrius et Orychus, sauvages comme leur père. Sur le sort de Polyphonte et de ses fils, les récits mythiques sont divisés : dans certains récits, Artémis, pour punir la jeune femme d’avoir perdu sa virginité, l’a condamnée à être déchiquetée par les animaux de la forêt ; dans d’autres récits, le destin tragique auquel Zeus aurait destiné ses fils a été épargné par Arès, qui les aurait transformés, eux et leur mère, en oiseaux de proie. Au cours des siècles passés, des légendes, mais aussi des chroniques et même des documents judiciaires ont témoigné de jeunes humains (surtout des femmes) capturés par des ours et “gardées” dans la tanière, non pas pour servir de “nourriture pour l’hiver” ou de jeux pour éduquer les petits de l’animal, mais pour leur tenir compagnie, en notant dans tous les cas décrits (qu’ils soient vrais ou non) l’engouement particulier et l’affection de l’animal en question pour la personne qu’il s’était appropriée. Ce mythe s’est perpétué jusqu’à nos jours, dans une version farfelue du film “L’armata Brancaleone”, lorsque certains protagonistes retrouvent un compagnon nommé Pecoro dans la tanière d’une ourse, qui l’avait sauvé après qu’il était tombé dans le précipice, en le soignant et en l’adoptant comme son propre compagnon. Aujourd’hui, le lien qui a conduit à la formation de ces mythes est détruit, et avec lui les normes minimales de coexistence avec le monde “sauvage”. Paradoxalement, tout cela se produit à un moment de l’histoire où notre espèce est la plus répandue sur la planète et où il est nécessaire de coexister avec d’autres dont nous limitons les espaces de vie. Les changements climatiques évoluent indépendamment de notre volonté et les hivers doux peuvent favoriser de nombreuses espèces, en leur donnant un rythme de vie parallèle au nôtre, en réduisant l’hibernation et en favorisant la recherche de nourriture dans des lieux que nous fréquentons également.  

La fin de la fonction du mythe qui faisait de l’ours une figure plus proche de “l’homme sauvage”, à comprendre, à respecter et à craindre, ne s’est pas produite en peu de temps, mais est le résultat du développement progressif de la vision positiviste, à travers laquelle l’homme a cru pouvoir dominer la nature et ses lois, en s’en détachant et en créant une dimension plus élevée pour ses actions et ses interventions que n’importe quel autre animal. L’admission de l’échec de cette conception ne s’est pas accompagnée d’un repositionnement progressif de l’action humaine par rapport à celle des autres animaux, de sorte que nous nous retrouvons avec deux manières différentes de comprendre simultanément le “naturel” et le “sauvage” dans notre société. Dès le XIXe siècle, le poète Giacomo Leopardi a réfléchi sur la nature, écrivant dans son Éloge des oiseaux :

    « ... maintenant, dans ces choses, une très grande partie de ce que nous appelons naturel ne l’est pas ; en fait, c’est plutôt artificiel : comme pour dire que les champs cultivés, les arbres et autres plantes éduqués et arrangés en ordre, les rivières rétrécies sous certains termes et dirigées vers un certain cours, et d’autres choses semblables, n’ont pas cet état ni ces apparences qu’ils auraient naturellement. Ainsi, la vue de tout pays habité par une génération d’hommes civilisés, sans compter les villes et autres lieux où les hommes sont réduits à être ensemble, est une chose artificielle et très différente de ce qu’elle serait dans la nature ».

Il s’est rendu compte qu’une grande partie du paysage n’était pas une construction naturelle, mais le résultat d’interventions millénaires. Et au cours des trente dernières années, dans les discussions au niveau international, par exemple sur ce que devraient être les indicateurs agro-environnementaux, les deux conceptions différentes se sont affrontées entre ceux qui croyaient qu’il existait un dualisme substantiel et une séparation entre la nature (sauvage et incontrôlée) et les activités humaines (capables de rendre le système naturel contrôlable) et ceux qui croyaient au contraire qu’il existait un système dans lequel nos activités et la “nature” formaient un unicum, tellement entrelacé que même dans les endroits les plus éloignés de la civilisation humaine, le signe de ce modèle était présent. Et c’est ce modèle qui nous a conduits à comprendre la nature du changement climatique, un modèle dans lequel les paysages naturels existants sont tels parce que l’homme, avec sa “civilisation de marché” actuelle, a décidé qu’ils existaient.

La coexistence de deux façons de comprendre le naturel a produit certains paradoxes qui se sont révélés tragiques dans cette affaire : le premier, relatif à la reconnaissance de la nature par le marché, qui en fait un produit commercial ; le second, dans lequel le lien environnemental, considéré comme fondamental par tous les spécialistes, ne l’est toujours pas pour l’ensemble de la société.

C’est ainsi que l’on peut comprendre le dualisme présent dans les vingt-cinq années qui se sont écoulées depuis la réintroduction de l’ours dans le Trentin (un ours qui y serait de toute façon revenu de la Slovénie voisine, mais à des époques et selon des modalités très différentes) : le projet, inspiré par l’idée de reconstruire l’équilibre environnemental de l’unicum à partir de la multiplicité des êtres vivants, et poursuivi selon cette logique ; son acceptation au niveau social et de masse, en revanche, qui s’est produite en grande partie en raison de considérations de marché (plus d’environnement naturel = plus de tourisme). Les autorités locales ont commis l’erreur de croire que les gens seraient capables de trouver un modus vivendi avec les ours sans une formation et une éducation adéquates et sans comprendre que tout être présent dans un lieu modifie son espace disponible et son comportement. Le territoire n’appartient pas à l’humain et les dynamiques de coexistence ne sont pas déterminées par des réglementations, même si celles-ci peuvent en orienter le cours. On s’aperçoit aujourd’hui que ce principe est valable pour la cohabitation avec les animaux, les plantes, les virus, les migrants....   Les mots du père de la victime s’appliquent : « La vengeance symbolique ne nous intéresse pas, la responsabilité de la tragédie ne peut pas être limitée à un ours. Le tuer n’est pas une justice. Nous exigeons une prise de responsabilité morale de la part de ceux qui ont géré les ours dans le Trentin pendant près d’un siècle, poussant tout le monde vers le désastre auquel nous assistons ».

Mais la gravité du comportement des institutions locales, qui ne s’occupent des problèmes que lorsqu’ils sont définis comme une “urgence”, réside dans le manque de respect constitutionnel, un élément central présent dans les raisons exprimées par le père de la victime et ceux qui soutiennent “les raisons de l’ourse”.

Dans notre Constitution, à l’article 9, parmi les principes fondamentaux de la République, il y a un paragraphe inséré par l’article 1(1) de la loi constitutionnelle n° 1 du 11 février 2022, qui stipule :  

« La République protège l’environnement, la biodiversité et les écosystèmes, y compris dans l’intérêt des générations futures. La loi de l’État réglemente les modalités et les formes de la protection des animaux ».

Ici, le non-respect de la dernière phrase est la responsabilité coupable de ceux qui aujourd’hui, pour se laver les mains et donner l’exemple, ont condamné l’ours à mort. Condamnation par voie administrative, sans procès, parce qu’il n’y a pas d’autre moyen de réglementer les formes de protection des animaux que par voie administrative, surtout pour les animaux dits sauvages. La protection des animaux prévoit leur droit, un droit qui est aussi indirectement corroboré par le jugement de culpabilité, donné par la suspicion de réitération du “crime” par l’ourse, au point de la considérer comme socialement dangereuse, de lui retirer sa progéniture (sans d’ailleurs la protéger comme le prévoit la Constitution) et de la condamner même en l’absence de ces conditions vétérinaires qui déterminent l’euthanasie. S’il existe un droit des animaux, il est possible de faire appel à un acte de clémence de la part du plus haut garant de notre Constitution. Un acte du président de la République qui réaliserait de facto le diktat constitutionnel et comblerait le vide qui existe dans la discipline de la protection. Si les animaux ont un droit à la protection réalisé, ils devraient également avoir droit, dans ces cas, à un procès et à une défense équitables et enfin à un pardon.

De nombreuses associations, parcs naturels et résidences en Italie et dans toute l’Union européenne se sont déclarés prêts à accueillir l’ourse et ses petits. La poursuite de l’intention punitive, qui, à mon avis, n’a pas de légitimité constitutionnelle, ne remédiera pas au passé et ne contribuera pas à construire l’avenir.

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Fiche pratique — Infos et chiffres clés sur les grands carnivores en Europe
Cette fiche pratique présente des données clés sur les populations de loups, lynx et ours en Europe.

 

19/04/2023

GIANFRANCO LACCONE
De la “bonification intégrale” à l’économie circulaire intégrale
Réflexions après la 3e Conférence nationale sur l’agroécologie en Italie

 Gianfranco Laccone, climateaid.it, 13/4/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

« Pousser l’accélérateur de la transition agroécologique en Italie » : tel était l’objectif de la troisième conférence nationale sur l’agroécologie, organisée par l’Association italienne d’agroécologie et la coalition Cambiamo Agricoltura.

La conférence s’est conclue par un appel aux décideurs politiques, aux associations agricoles et aux autres acteurs sociaux et économiques des systèmes agroalimentaires italiens à ne pas ralentir le processus initié par la Commission européenne pour relever les défis d’une véritable transition agroécologique et maintenir les objectifs des stratégies européennes "De la ferme à la table" et "Biodiversité 2030".

Paolo Calleri

Alors qu’à Vinitaly (la foire italienne du vin à Vérone), la présidente du Conseil, soutenue par plusieurs associations sectorielles, a lancé la proposition d’un lycée futuriste (et improbable), appelé “du made in Italy” (traduction : lycée du produit en Italie), à Rome, soixante expert·es des secteurs les plus divers se sont succédé pour parler de l’agroécologie, un sujet proposé comme un outil clé pour permettre la transition écologique de l’agriculture, elle-même un élément clé dans la lutte contre le changement climatique. Il s’agit d’un changement de paradigme tant au niveau des outils à appliquer pour réaliser la “proposition agroécologique” qu’au niveau de la place de l’agriculture dans les activités humaines, puisque l’un des nœuds clés de ce sujet est la valorisation des processus sociaux dans la conception et la gestion de systèmes agroalimentaires durables et la recherche de modèles qui mettent en œuvre les capacités collectives des agriculteurs et les approches communautaires. Fini le dualisme ville/campagne, fini le rôle auxiliaire de l’agriculture, parent pauvre qu’il faut soutenir avec des fonds et des soins forcés pour qu’il ne soit pas à la traîne des autres secteurs dans les processus de “développement”. Au contraire, l’agriculture est le pivot qui permet d’initier des processus de réhabilitation agro-environnementale et de permettre la transition vers une société écologiquement démocratique.

Ce n’est pas la première fois que les sociétés humaines changent de paradigme pour s’organiser ; le changement le plus récent, admirablement décrit par Karl Polanyi dans son livre “La grande transformation”, concerne le passage à la société industrielle, dans laquelle la production de biens et l’économie, en tant que science de la gestion de cette production, prennent un rôle stratégique et entraînent la transformation des cycles de production, de systèmes circulaires en systèmes linéaires. Les effets sont aujourd’hui visibles pour tout le monde : exploitation accélérée des ressources de la planète, accroissement des inégalités sociales, modification des conditions environnementales et propagation de la pollution au point que les variations climatiques peuvent remettre en cause le système biologique actuel de la planète.  

L’agriculture a été au cœur de ce changement, perdant le rôle central qu’elle avait joué pendant des siècles dans la construction sociale pour devenir le réservoir matériel et social dans lequel on puise les ressources nécessaires à la croissance du système urbain-industriel, dont la production est basée sur l’extraction des ressources de la planète. Ce changement s’est produit, comme pour la Renaissance, sur plusieurs siècles et de manière spécifique dans différents pays.  En Italie, le changement a commencé en même temps que la formation du Royaume, dans la seconde moitié du 19e siècle, par le biais de ce que l’on appelle les “chaires ambulantes”. Ces “cattedre ambulanti”  étaient un instrument de vulgarisation et de formation professionnelle en agriculture et se sont avérées fondamentales pour la transformation du système primaire et l’organisation de l’administration du secteur. L’enquête agraire de Jacini décrit en même temps les conditions de l’agriculture, de loin le secteur le plus important pour les citoyens du nouveau Royaume d’Italie, un secteur qui, dans la logique libérale des gouvernements de l’époque, est regroupé avec toutes les autres activités productives dans un seul département : le ministère de l’Agriculture, du Commerce et de l’Industrie. Ces chaires furent appelées à combler un vide technique que l’enquête Jacini mettrait en évidence dans le cours de sa réalisation et, en substance, à jouer un rôle institutionnel dans la transformation du système économique du pays.

Elles étaient dirigées par un directeur (avec le titre de professeur) et un ou deux assistants, tous titulaires d’un diplôme en sciences agricoles et assistés de diverses manières par des aides ayant des qualifications différentes. Les activités étaient menées selon un concept moderne de vulgarisation : conférences données dans des lieux publics, visites de fermes, consultations données les jours de marché à ceux qui en faisaient la demande et, dans de nombreux cas, publication de brochures et de journaux. Parmi les nombreux noms de professionnels qui se sont engagés dans cette activité (avec des résultats et une qualité d’enseignement plus ou moins efficaces), il convient de mentionner Nazareno Strampelli, agronome et généticien, défini comme un précurseur de la “révolution verte” en raison de l’activité de recherche menée, visant à la transformation productive des plantes, à qui l’on doit le nom encore utilisé aujourd’hui de semences sélectionnées, utilisé pour définir les variétés sélectionnées et certifiées, ainsi qu’une importante variété de blé qui porte son nom, sélectionnée par lui parmi les nombreuses variétés identifiées au cours de son activité. Les chaires ambulantes ont joué un rôle fondamental dans la diffusion de nouvelles techniques et de nouvelles semences pendant la “bataille du blé” de la période fasciste et ce n’est pas un hasard si Strampelli a été nommé sénateur par le régime. Leur rôle est si important qu’elles sont réglementées en 1928, puis transformées en 1935 en “inspections agricoles provinciales”, fonctionnant comme des bureaux exécutifs de l’administration centrale.


“La guerre que nous préférons”, carte postale fasciste de la Bataille du blé, 1933). Musée Piana delle Orme, Latina, Photo EDOARDO DELILLE/Le Monde

Cette transformation institutionnelle a été possible parce qu’elle s’est accompagnée d’une transformation socioculturelle qui a conduit l’agriculture à devenir le bras opérationnel du système industriel, en lui prenant les moyens techniques (moyens mécaniques, engrais et ensuite pesticides) comme matière première indispensable à l’augmentation de la production.  Cette conception s’est manifestée pleinement dans la bataille du blé, lorsque la monoculture céréalière s’est imposée aux autres cultures (et a provoqué la réduction du secteur de l’élevage), comme conséquence des politiques gouvernementales, formulées dans le but de réduire le déficit de la balance import/export et de stabiliser les prix dans le secteur.  Si, d’une part, la campagne d’augmentation de la production, qui s’est déroulée avec le développement de la monoculture et d’un nombre toujours plus réduit de variétés, a permis de résoudre certains aspects du budget de l’État, d’autre part, le processus de modernisation industrielle déclenché a produit des effets d’entraînement, tels que les premières migrations de salariés entre les secteurs de production (le passage de l’agriculture à l’industrie, un phénomène qui caractérisera les années postérieures à 1945).  Les campagnes ont stabilisé le régime et ont aussi eu, bien sûr, des effets secondaires négatifs qui ont manifesté leur importance au fil du temps, comme la poursuite de la déforestation au détriment de la stabilité des sols et l’appauvrissement de l’alimentation des populations, plus exposées aux maladies et aux épidémies.  

Le triomphe de cette conception technique, qui a transformé le secteur agricole en un secteur agro-industriel, a été rendu possible par la théorisation économique de type productiviste, dont Arrigo Serpieri a été le plus grand représentant. Sa théorisation du système de valorisation des terres, conçu comme une “bonification intégrale”, a permis d’offrir un rôle au système agricole en l’ancrant dans la conception productiviste de l’ensemble du système économique, une conception qui marquera le20e siècle. Alors qu’à une certaine époque la mise en valeur des terres signifiait la transformation des terres marécageuses, la discipline de la bonification intégrale avait pour objet non seulement celle-ci, mais aussi les opérations effectuées en vue de l’amélioration des terres cultivables ou d’une transformation radicale de l’usage productif. Ces transformations présupposaient une compréhension sociale qui permettait le transfert des rôles, le déplacement de la population, la création de “voies de modernisation”. Le fascisme a réalisé tout cela en agissant de manière préventive avec les moyens que tout le monde connaît malheureusement : la destruction (par des actions criminelles et meurtrières) des organisations paysannes et ouvrières autonomes et de la structure sociale préexistante, ce qui était la condition préalable pour entamer ensuite le processus de modernisation italien avec quelques interventions modèles : par exemple, le transfert des paysans de Vénétie vers les marais Pontins pour leur mise en valeur. En particulier, dans des conditions modifiées et avec des objectifs radicalement différents des conditions actuelles des systèmes agricoles et de la société dans son ensemble, l’agroécologie se rattache à la voie qui, dans la seconde moitié du19e  siècle, a caractérisé la transformation industrielle de l’agriculture italienne par la création des chaires ambulantes d’agriculture et pousse les nouvelles idées de gestion agricole à se répandre dans la société et à permettre aux communautés locales de trouver des moyens de sortir de la crise socio-économique en préservant les ressources locales et en réduisant la pollution et la dissipation de l’énergie.

Il est essentiel d’expliquer les aspects qui ont façonné le visage de l’agriculture italienne pour clarifier le chemin ardu que l’agroécologie doit parcourir et les difficultés à éliminer les hypothèses idéologiques qui ancrent aujourd’hui l’agriculture dans le système industriel de type fordiste. Couper le cordon qui ligote l’agriculture dans une position subordonnée à l’industrie et à la finance est une entreprise complexe qui prend du temps. Comme l’indique le communiqué de la conférence sur l’agroécologie, « il est nécessaire d’établir un pacte éthique et social entre tous les acteurs du secteur agroalimentaire pour accompagner les agriculteurs sur les chemins de la transition écologique au niveau de l’assistance technique et au niveau de la durabilité économique ». C’est pourquoi il est nécessaire de se souvenir des parcours passés, en comprenant comment s’est créée la subalternité qui oblige l’agriculture à avoir un bilan énergétique négatif, ce qui incite les autres secteurs productifs à toujours injecter de l’énergie nouvelle et en plus grande quantité, en l’extrayant des réserves de la planète.

La création de l’agriculture moderne, aujourd’hui appelée “agriculture conventionnelle”, a fait perdre le rôle d’“accumulateur d’énergie” qu’elle avait conservé grâce aux plantes et à leur capacité à capter l’énergie solaire. L’agroécologie promet de le restaurer, agissant ainsi comme un pivot pour le développement d’une économie circulaire basée sur des sources d’énergie renouvelables et des activités de production “respectueuses de la planète” qui minimisent la dissipation d’énergie. Si l’on regarde les groupes de discussion initiés lors de la conférence, on retrouve tous les thèmes qui lient l’agriculture non seulement aux activités humaines, mais aussi aux cycles planétaires dans leur ensemble.   

La préservation de la biodiversité à toutes les échelles, la réduction de tous les intrants chimiques de synthèse, sont les fondements sur lesquels s’appuient la formation, l’information et l’assistance technique adéquates aux exploitations agricoles.

 Les modèles agroécologiques permettent d’atténuer le changement climatique et de s’y adapter grâce à des pratiques respectueuses de l’écologie des sols, ainsi qu’à un changement de modèle, passant d’un élevage intensif à un élevage spécialisé, à un système d’agro-élevage qui maintient une autosuffisance alimentaire maximale et un retour approprié des nutriments dans le sol.

Enfin, le problème au cœur du changement : comment répondre aux aspects critiques et aux vulnérabilités du système agroalimentaire mondial par la reconstruction de systèmes agroalimentaires à l’échelle locale, des systèmes qui combinent le changement nécessaire des pratiques de production, de distribution et de consommation, avec la construction et le partage de nouveaux systèmes de connaissances. Si toutes les conditions sont réunies, il manque encore, pour que le projet de changement devienne central, une théorie générale, capable de transformer l’agroécologie d’une mosaïque de compétences en un système intégré, capable de s’appliquer localement et de construire un système en réseau dans lequel tous les autres secteurs "productifs" peuvent s’insérer. Pour ce faire, nous avons également besoin d’un nouveau langage, car nous ne pouvons pas parler de “matières premières” lorsque nous devons réutiliser ce que nous avons déjà, nous ne pouvons pas parler de déchets lorsque nous devons les envoyer au recyclage, nous ne pouvons pas parler de filières alors que nous devrions développer des circuits auto-renouvelables.

Nous devons systématiser et diffuser le langage de l’agroécologie, créer et diffuser des procédures d’intervention dans les nouvelles normes de production, créer des méthodes de transformation qui tiennent compte non seulement du produit, mais aussi du producteur et du consommateur, afin de permettre à chacun de savoir ce qu’il mange, qui le produit et comment. Jusqu’à présent, ceux qui se sont préoccupés de ces questions étaient divisés en de nombreuses organisations, de nombreuses réalités, parfois sans langage commun. Il s’agit de recréer localement la toile d’araignée qui peut nous soutenir et nous relier au monde.

Ils ont eu beau jeu, ceux qui, jusqu’à présent, ont proposé à la manière du Guépard que “tout change pour que rien ne change”, par le biais de nouvelles “inventions” qui résoudraient nos problèmes, et nous nous en sommes toujours rendu compte très tard. Le développement a toujours été ainsi, proposant de nouveaux objectifs plus lointains dès qu’un objectif était atteint et que l’on découvrait que ce n’était pas le paradis promis, comme ce fut le cas avec la soi-disant révolution verte en Inde ou les 100 quintaux/ha de production de blé tendre en France.

Plantu

L’agroécologie nous invite à accepter la réalité, à vivre avec le changement climatique en essayant d’en réduire les effets négatifs mais surtout en découvrant qu’il est possible d’améliorer notre vie en repartant de l’énergie qui nous entoure et que nous dissipons généralement sans même nous en rendre compte, à partir de la production agricole et du développement d’une économie circulaire intégrale qui remplace le concept obsolète de “bonification intégrale”.