Affichage des articles dont le libellé est Gianfranco Laccone. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Gianfranco Laccone. Afficher tous les articles

05/08/2023

GIANFRANCO LACCONE
Le climat, la guerre et la faim

Gianfranco Laccone, ClimateAid.it, 3/8/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Je ne sais pas si les déclarations d’António Guterres (SG de l’ONU) - « Plus de faim et de migrations du fait de l’urgence climatique. Nous devons agir maintenant » -, au lendemain du sommet “Faim Zéro de la FAO, seront d’une quelconque utilité, alors que même la voix du Pape sur ces questions semble se perdre dans le vide. Le fait est que cette semaine, les inquiétudes concernant l’évolution de la guerre en Ukraine ont pris une place plus importante dans les médias (c’est la seule raison pour laquelle le blocus commercial des céréales a fait la une), dépassant même les préoccupations concernant le changement climatique : dans ce cas, après la semaine caniculaire, en Italie, le dicton populaire semble s’être réalisé : “Passata la festa, gabbato lo santo !” [La fête passée, adieu le saint].

Seul le front négationniste semble pouvoir faire la part des choses, sous l’aile noire de la conspiration : le changement climatique, la faim, la guerre, les migrations et le commerce des céréales sont des thèmes bidons, qui ne servent qu’à détourner l’attention de la réalité. Mais on ne sait pas ce qu’est cette réalité, et même la nostalgie d’une époque mythique meilleure semble se perdre dans le ressentiment à l’égard des générations passées, coupables de ne pas avoir laissé un héritage positif.

 

Malheureusement, les grands problèmes ne sont pas le résultat d’une conspiration qui, si elle existait, pourrait encore être déjouée en sauvant l’humanité comme dans les films de science-fiction, mais une réalité qui a longtemps été sous-estimée par les gouvernements qui ont caché la poussière de la pollution et de la production de CO2 sous le tapis du “progrès”, en espérant que les choses se résoudraient ensuite d’elles-mêmes.  Aujourd’hui, les problèmes arrivent tous en même temps et ne seront pas résolus par des interventions individuelles spécifiques ; il faut s’attaquer à l’ensemble des problèmes, en établissant des priorités quant au lieu et au moment de l’intervention, mais en tenant compte de tous les aspects.  Cela décourage les institutions et pousse les gouvernements à la guerre : quoi de mieux que le “tous contre tous” lorsque la colère monte et que l’on ne sait pas quoi faire ?

 

La situation du commerce des céréales, depuis l’embargo commercial mis en place sur le gaz dans le cadre du conflit en cours jusqu’à la fin de l’accord sur les céréales entre la Russie, la Turquie et l’Ukraine, est un cas exemplaire du mouvement irrationnel des acteurs politiques.

 

Après l’invasion de l’Ukraine, l’OTAN a demandé des représailles commerciales par le biais d’un embargo sur le commerce du gaz, ce à quoi la Russie a répondu en bloquant les ports et en mettant fin au flux commercial de céréales de l’Ukraine vers le reste du monde.

 

L’impact de l’embargo sur le gaz a été moins dévastateur à court terme ; l’embargo sur la vente des céréales ukrainiennes, déclenché par la Russie en réaction - mais en réalité comme sa conséquence logique - à la guerre en cours et de l’occupation des ports, a plutôt semblé être une démarche de recherche de consensus de la part des belligérants : les pays tiers victimes de la crise alimentaire et menacés d’“émeutes du pain”, contrairement à ce que beaucoup imaginent, seront plus reconnaissants envers les pays qui leur viennent en aide (Turquie et Russie) et se montreront tièdes dans leur solidarité avec l’autre camp (même si nombre de leurs gouvernements se maintiennent grâce à l’aide militaire usaméricaine). D’autre part, si l’on analyse les données commerciales, moins de 10 % du blé vendu par l’Ukraine parvient aux pays en “crise alimentaire”, tandis que 57 % est acheté par les pays qui gèrent les chaînes d’approvisionnement agroalimentaires ; la défense de l’accord profite donc à nos réseaux commerciaux. Les démarches des parties impliquées sont contradictoires, car tout embargo, lorsqu’il concerne la production ou les achats sur la base d’échanges multiples, doit pour réussir envisager une solidarité entre les pays exportateurs (ou importateurs) : sans discipline forte, la contrebande, plus ou moins déguisée, se développe, et l’absence de solidarité est à l’ordre du jour. Il ne suffit pas dans le cas de l’alimentation, mais aussi dans celui du gaz, d’avoir un quasi-monopole de l’achat ou de la vente du produit ; le pouvoir alimentaire ou gazier n’est accordé aux pays leaders qu’à des prix de plus en plus élevés, et il n’est pas sûr qu’au final les comptes s’équilibrent.

 

Damien Glez

Même s’il est paré de hautes valeurs morales, l’embargo est une action similaire au siège et à d’autres qui ont caractérisé les guerres des siècles passés, avec une forte valeur politique et commerciale en plus. Ce n’est que dans certaines situations qu’il a été efficace, sinon il a été très difficile à gérer et s’est avéré être, au mieux, comme n’importe quelle autre action de propagande, ou a très facilement atteint l’effet inverse.

 

La guerre en cours en Ukraine semble avoir pris cette direction et Kissinger lui-même, qui dans sa vie de secrétaire d’État usaméricain a collectionné les victoires et les défaites, semble être arrivé à ces conclusions, disant dans une interview récente espérer un accord entre les parties belligérantes et mettant en garde contre la diabolisation de l’ennemi avec lequel il sera nécessaire de parvenir à un accord.

 

Il est de plus en plus évident que les politiques de développement ont causé des problèmes environnementaux dont le poids augmente de jour en jour, et parmi les premières conséquences, il y a l’impact climatique sur les cultures vivrières réparties sur la planète (je rappelle que l’occidentalisation du monde a entraîné la diffusion planétaire d’exploitations agricoles et de plantations qui n’étaient autrefois répandues que dans quelques zones limitées, au détriment d’espèces plus adaptées et plus résistantes). Mais le problème de fond reste le comportement social de l’homme, le marché aux règles inadaptées au vivant et surtout la superficialité avec laquelle sont utilisés les résultats des études et des recherches.

 

Je cite un passage du résumé des prévisions conjointes de l’OCDE et de la FAO sur la production agricole 2018/2027, dont les gouvernements auraient dû tirer les conclusions qui s’imposent :

« Pour presque tous les produits agricoles, les exportations devraient rester concentrées dans les groupes stables des principaux pays fournisseurs. Un changement notable est la présence émergente de la Fédération de Russie et de l’Ukraine sur les marchés céréaliers mondiaux, qui devrait se poursuivre. La forte concentration des marchés d’exportation pourrait accroître la sensibilité des marchés mondiaux aux chocs de l’offre dus à des facteurs naturels et à des mesures de politique agricole (à lire comme le changement climatique et les guerres commerciales).

 

« Les Perspectives agricoles 2018-2027, en tant que scénario de référence, supposent que les politiques actuellement en place se poursuivront à l’avenir. Outre les risques traditionnels qui pèsent sur les marchés agricoles, les incertitudes concernant les politiques commerciales agricoles et les inquiétudes quant à la possibilité d’un renforcement du protectionnisme au niveau mondial sont de plus en plus grandes. Le commerce agricole joue un rôle important dans la sécurité alimentaire, ce qui souligne la nécessité d’un environnement qui crée des conditions favorables pour les politiques commerciales ».

Pour ceux qui savent lire ce genre de documents, la prédisposition à la confrontation entre deux pays aux marchés émergents est évidente : la Russie et l’Ukraine, ainsi que la nécessité d’un environnement favorable au commerce.

 

Ce qui a été fait au lieu de ça est visible par tout le monde.

 

20/07/2023

GIANFRANCO LACCONE
Nous qui continuons à avoir un rêve, sachons le partager

Gianfranco Laccone, Climateaid.it, 20/7/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


En cette semaine où tous les records de température maximale sont battus en Italie (comme si on était dans une compétition d’athlétisme), à Rome, les discussions s’entremêlent dans un style qu’Ennio Flaiano a très bien décrit, lorsqu’il a dit que même un Martien s’adapterait ensuite aux règles et au scepticisme de ses habitants [Un marziano a Roma, 1954]. Les prédictions populaires sur l’avenir immédiat annoncent des températures de plus en plus extrêmes, pour conclure que nous finirons par les surmonter aussi, en appliquant la règle du scepticisme romain qui rend les discussions dans cette ville irritantes et irrésistibles.

Cliquer pour agrandir

Au-delà des exagérations des propos de comptoir, ceux qui suivent depuis de nombreuses années le débat sur la pollution de la planète et ses conséquences sont frappés par la régression qu’a connue la prise de conscience de nos comportements et, par conséquent, le débat sur le sujet. Ce que j’exprime peut apparaître à certains comme une sorte de nostalgie d’une époque révolue, où l’on parlait du changement climatique en plein boom de la consommation, mais il ne me semble pas que ce soit le cas. Pour en témoigner, je me réfère à la lecture d’essais écrits il y a trente ans, et peut-être même de nombreux essais antérieurs, comme le merveilleux The Sea Around Us [La Mer autour de nous], écrit par Rachel Carson au début des années 1950, qui raconte l’histoire de la mer pour comprendre comment elle a changé et comment elle changera. Nous pourrions être surpris de constater qu’il y a trente ans, des chercheurs de différentes disciplines (écologistes, biologistes, chimistes, physiciens, éthologues, agronomes, économistes, philosophes, anthropologues) ont convergé vers certaines prédictions, en partant de points différents et en suivant des chemins différents. Ils ont surtout convergé sur la causalité de la relation “développement industriel/changement climatique/modification du comportement des êtres vivants”.

 

À l’époque, on discutait beaucoup et on réfutait les idées des autres avec des arguments et non avec des moqueries ou des invectives. Tout cela sans adhérer nécessairement à la théorie de James Lovelock, connue sous le nom d’“hypothèse Gaia”, sans devoir partager les positions de l’écopacifisme, dont Barry Commoner était l’un des plus grands représentants, sans être, enfin, des théoriciens de l’écomarxisme comme James O’Connor ou des théoriciens de la décroissance comme Serge Latouche.

 

Nous discutions en étant conscients que nous devions trouver des solutions, car face à des cas comme Seveso et la dioxine, Otrante et le plomb tétraéthyle dans la mer, Tchernobyl et la contamination radioactive, nous essayions de comprendre les causes profondes, les liens qui ont rendu ces événements possibles et, pour nous à l’ACU [Association Consommateurs Usagers, les raisons qui ont rendu possibles les morts au Viêt Nam avec les produits mortels répandus sur les forêts, les champs et les villages, et ceux dus au méthanol pour nos consommateurs habituels de vin bon marché. Nous essayions de relier les aspects économiques et sociaux aux aspects scientifiques, et de construire un discours utile pour développer des alternatives et des comportements appropriés aux dangers auxquels nous étions confrontés.

 

Aujourd’hui, après tant d’années, certaines vérités sont incontestables : la relation entre nous, l’environnement et les changements structurels du climat sont indéniables. On peut même discuter du moment et des possibilités de réagir aux catastrophes climatiques, que beaucoup considèrent encore comme lointaines et donc gérables. Ils disent : « après tout, il fait toujours chaud en été, les torrents ont toujours débordé, il a suffi d’une année de pandémie et d’abandon des activités polluantes pour que les valeurs remontent ».

 

09/07/2023

GIANFRANCO LACCONE
Environnement et marché

Gianfranco Laccone, Climateaid.it, 6/7/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

La théorie économique propose la notion de “défaillance du marché” pour les interventions impossibles à mettre en œuvre par le biais de l'échange marchand, classées en trois catégories : difficulté à trouver un accord potentiellement mutuellement bénéfique entre les parties ; absence de contrôle total sur les biens et les ressources et sur la manière de les utiliser ; manque, incomplétude ou coût excessif de l'information nécessaire à l'échange. Dans chacun de ces cas, il serait difficile pour l'État d'intervenir car, au fil du temps, les positions de propriété sont mobiles entre les particuliers et l'État et les intérêts en matière de protection de l'environnement se déplacent non seulement entre les groupes sociaux d'un même secteur de production, mais aussi entre les différents secteurs de production et les divers groupes sociaux qui y opèrent.

 

 

L'analyse des événements imputables au changement climatique a permis d'identifier des déficiences institutionnelles au niveau global du système “capitaliste de marché” existant, au point que l'économiste Maurizio Franzini écrivait déjà en 2009 : « Notre système est singulièrement dépourvu d'institutions capables de traiter le problème de la prise de décision rationnelle en présence d'événements catastrophiques potentiels [ …]. Il manque également d'institutions capables d'aborder systématiquement le problème de l'équité intergénérationnelle et d'institutions capables de concevoir et d'assurer une répartition équitable des coûts et des bénéfices mondiaux, un problème auquel nous devrons de plus en plus faire face et qui n'est pas seulement pertinent du point de vue de l'équité »[1].

 

Il ne s'agit pas seulement de trouver des outils “techniques” adéquats ou des systèmes de communication et d'information opportuns et capillaires, mais aussi d'inclure les actions relatives à l'environnement dans l'intervention de toutes les administrations (publiques ou privées, centrales ou décentralisées) qui agissent selon une logique moins étroite que celle résultant de la “défaillance du marché” et offrent des solutions moins limitées que celles qui en découlent.

 

Un cas emblématique peut être celui du paiement de redevances pour l'utilisation de certaines zones ou pour la possession de ce que l'on appelle les “droits de pollution”, dont l'insuffisance et l'inadéquation ont été constatées dans presque tous les cas de pollutions à grande échelle à ce jour.

 

Une théorie différente des défaillances du marché ne peut être dérivée que d'une théorie du marché et d'un système de valeurs différents de ceux qui prévalent actuellement, dans lesquels le marché est toujours le centre indépendant de la vie sociale d'une communauté ou d'un État.

 

En 1992, dans une situation moins dégradée que la situation actuelle, le chef du Corps forestier italien de l'époque écrivait : « Nous avons vécu les inondations du Polesine, de Florence, de la Calabre, de la Valteline et de la Ligurie, nous avons suivi la loi 183 et nous avons compris que la question du sol est une question que l'on aborde pour libérer la conscience de la responsabilité. Il n'y a pas d'engagement constant, il n'y a pas de véritable culture de la défense des sols en termes préventifs. Il y a la culture de la réparation des dommages ». [2]

 

Et le groupe responsable de la recherche d'ajouter : « Une chose est la prévention, une autre est la restauration, encore une autre est la reconstruction. […] D'après les recherches effectuées, le patrimoine des travaux réalisés dans le passé dans les bassins de montagne se trouve dans un état de conservation assez satisfaisant, confirmant la qualité de l'exécution, mais pour garantir l'efficacité à l'avenir également, il est nécessaire de mettre en œuvre de toute urgence une action d'entretien soignée et continue, afin d'obtenir, dans les zones d'intervention, le maximum d'effets environnementaux grâce à un travail prudent de rétablissement du milieu naturel»[3].

 

Ces résultats auraient pu être utilisés pour mettre en place des travaux de conservation, même minimes, mais cela n'a pas été le cas. Pourquoi ? Des considérations amènent à penser qu'il ne s'agit pas nécessairement ou uniquement de mauvaise volonté ou de malversation, mais d'un mode de pensée incapable de hiérarchiser les problèmes à moyen et long terme dans l'action.

 

C'est l'idéologie du marché, du profit immédiat et du privilège de l'action à bas prix qui rend difficile la réalisation d'interventions pour la protection de l'environnement ; cet éloignement est plus facile si l'on n'est pas directement concerné et si la responsabilité des interventions est dispersée entre diverses institutions ou même déléguée à l'initiative de particuliers, comme dans le cas de la restauration et de la protection de petits ouvrages ruraux.

 

Si le problème est de réagir aux stimuli du marché, les évaluations à moyen et long terme se limitent aux facteurs ayant une valeur marchande élevée ou capables d'attirer des capitaux à long terme, et la protection de l'environnement ne semble pas appartenir à cette sphère de valeurs.

 

Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que les preuves scientifiques sont systématiquement sous-estimées, voire ignorées. C'est ce qui s'est passé avec l'affaire de la “vache folle”, dont la propagation de la maladie, qui s'est produite pour des causes qui n'avaient rien de naturel, a été facilitée par la remise en cause délibérée des techniques d'élevage, de sélection des aliments ou de transformation industrielle, et enfin par la réduction des moyens (notamment humains) alloués au système de contrôle à tous les stades.

 

Certains événements liés à l'économie et au marché démontrent qu'il ne s'agit pas d'un problème d'information. On dit que les crises de marché sont générées par une mauvaise information et de fortes asymétries, mais en octobre 1987, lors de la crise de la bourse de New York connue sous le nom de “lundi noir”, on a découvert (plus tard) que les autorités de politique monétaire concernées avaient d'une certaine manière prévu et anticipé la crise.

 

L'exemple des marchés financiers, bien qu'éloigné des problèmes de la protection de l'environnement, ainsi que les cas précédents, montrent l'écart entre les choix concrets des opérateurs et les résultats obtenus par les recherches scientifiques ; mieux que les autres, ce dernier cas montre également la distance entre les cas concrets et ceux prévus théoriquement, soulignant la nécessité de passer à l'analyse des catégories qui guident nos comportements dans les activités sociales et économiques, comportements qui se révèlent être tout sauf rationnels, malgré les déclarations de principe.

 

S'il est vrai que l'économie guide nos comportements même dans des secteurs éloignés de son champ d'action, elle présente des déséquilibres évidents, en particulier pour les évaluations qui devraient guider les comportements à moyen et long terme. Il faut donc trouver ailleurs des catégories, des paramètres, des valeurs capables d'agir efficacement là où “le marché et sa main invisible” ont aujourd'hui échoué et où l'État ne peut pas nécessairement ou exclusivement agir.

 

Comment réussir à mettre en œuvre cette intervention et par quels moyens, c'est la tâche d'une théorie renouvelée du “fait économique”, qui ne soit pas indépendante du “fait social”, mais fonctionnelle à celui-ci et connectée à un système de relations adapté aux besoins de l'époque.

 

Notes

[1]M. Franzini (2009), La crise économique, l'économie “verte” et le changement climatique. Réflexions sur les institutions du capitalisme, “Quaderni di rassegna sindacale”, n° 10, p.161

[2] Ministère des ressources agricoles, alimentaires et forestières, Fondation Sir Walter Becker (1992), Indagine sulle opere di sistemazione idraulico-forestale, p.9

[3] Ministère des ressources agricoles, alimentaires et forestières, (1992), op. cit. p.16

 

13/06/2023

GIANFRANCO LACCONE
S’asseoir au bord du fleuve et attendre*
Avec la disparition de Mister Bi, la droite italienne se retrouve dans la situation des communistes après Staline

 Gianfranco Laccone, 12/6/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Les astérisques renvoient au notes du traducteur en fin de texte

La déstalinisation a été déclenchée en 1956, trois ans après la mort de Staline, par son propre successeur, Khrouchtchev ; il a fallu beaucoup moins de temps aux démocrates-chrétiens pour se débarrasser de la figure de Moro (les Morotei* de Bari, sa ville d’élection, l’ont fait la nuit suivant sa mort, en migrant vers les différents courants de la démocratie chrétienne) ; combien de temps faudra-t-il pour se débarrasser du poids de cette figure déjà sanctifiée qui, comme le dit aujourd’hui il manifesto, le 12 juin 2023, “est montée sur le terrain”* ?

Un des shows restés célèbres du Cavaliere : en décembre 2005, lors de la conférence de presse de fin d'année, il brandit un exemplaire de L'Unità, le quotidien communiste, du 6 mars 1953, en réponse à la question d'une journaliste de ce journal, lançant : "Vous devriez avoir honte. Vous êtes complices de 100 millions d'homicides. Il n'y a aucune possibilité de changer votre attitude préjudiciable vous êtes inconvaincables [sic]" [NdT]

Je ne crois pas que Tajani* représente le Khrouchtchev italien, capable d’initier la démolition nécessaire du mythe pour permettre au pays d’aller de l’avant. Le pays s’est identifié à ce personnage dont, maintenant qu’il a officiellement disparu, je ne sais même pas s’il a existé ou s’il a disparu depuis longtemps et a été remplacé par une doublure, reconstruite au fil des ans comme un androïde, comme on le raconte encore dans le cas de Mao. Car c’est un personnage qui s’est réellement construit, de manière imparfaite et grotesque, comme nous le faisions, enfants, avec le Meccano (jeu métallique des années 1950, balayé par le plastique et les Lego), où il était impossible de construire des marionnettes, marionnettes que nous construisions pourtant et imaginions exister pour peupler un monde de grues, de palais et de châteaux de métal. Une de mes connaissances, vers la fin des années 90, l’a rencontré par hasard la nuit dans les couloirs d’un hôtel de Bruxelles et ne l’a pas reconnu, petit, maladroit et avec une démarche incertaine, si différent des images que la télévision nous projetait il y a trente ans.

Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour imaginer ce qui va se passer bientôt ; il n’y a pas d’héritier politique et ses héritiers matériels feront, à plus ou moins brève échéance, ce qu’ont fait les héritiers des Agnelli* : ils essaieront de dépersonnaliser les entreprises, en créant un réseau qui leur permettra de survivre, quel que soit le système politico-économique qui prendra le relais dans quelques années. Parce que nous sommes en guerre et qu’à la fin du conflit (qui se terminera tôt ou tard), on ne peut pas savoir ce qui se passera. S’ils ne répètent pas les erreurs de la famille turinoise, qui a raté le train de la voiture électrique, ils donneront un sens au travail accompli dans la société italienne par le monde berlusconien.

Car celui du Cavaliere était un monde que la gauche n’a pas su créer pour donner du rêve au pays et de l’exemple au monde. Sans le mazarinisme* de Dell’Utri*, sans le colbertisme privatiseur de Tremonti*, sans le talleyrandisme de Gianni Letta*, sa dimension politique n’aurait pas existé et la création de cette zone grise qui unit le rêve et la terrible réalité n’aurait pas été possible. Un rêve dans lequel des acteurs de la Commedia dell’arte comme Mike Buongiorno*, Corrado* ou Raimondo Vianello* sont devenus des personnages de la Commedia, capables de donner leur vie en spectacle et même d’arrêter les voleurs, avec un style digne de l’épisode de Saint François avec le loup.

Car des personnages comme Renato Nicolini*, capables de faire ressortir l’esprit festif et populaire des Italiens et de neutraliser la nuit tragique de la Première République, ont été mortifiés par la gauche, qui préfère privilégier des figures à la Fouché et les faire accéder à des responsabilités étatiques.

Pendant ce temps, beaucoup d’hommes de gauche de la génération du Cavaliere rêvaient d’imiter ses exploits avec le monde féminin ; ceux qui ne le pouvaient pas se contentaient de regarder les saloperies national-populaires qui déferlaient, d’abord sur la télévision puis sur les médias sociaux naissants. La droite a ainsi formé une génération de femmes à l’estomac blindé, capables de tout accepter pour conquérir le pouvoir, tandis que le monde féministe se contentait de défendre quelques victoires limitées (divorce, avortement) et de se réfugier sur l’Aventin de la différence. Don Camillo et Peppone sont remplacés par des couples réels qui constituent des “opposés qui s’attirent”, dans le reality show que nous vivons tous les jours et qui remplace la vraie vie.

Politiquement, Fratelli d’Italia récupérera le réservoir électoral, mais courra le risque de mourir de boulimie, évoquant ainsi la grande littérature européenne de la Renaissance. Car la boulimie de pouvoir, dont les signes se sont manifestés dans les nominations effectuées au cours de ces mois de gouvernement en l’absence du contrôle de Berlusconi, est difficile, voire impossible à soigner.

Le Cavaliere aimait le système du marché libre (tel qu’il s’est imposé au fil du temps, avec tous ses faux mythes et ses pièges économiques), mais il craignait le marché mondial et se souciait de garder des amis parmi ceux qui s’y opposeraient. Il aimait commander mais n’aimait pas la guerre, il veillait à ses intérêts familiaux mais avait des sourires et des larmes pour tout le monde (celles versées à Brindisi en mémoire des migrants albanais du Kater y Rades, déjà alors victimes de l’Europe forteresse, où en 1997 je ne crois pas qu’un membre quelconque du gouvernement “de gauche” [Prodi-Veltroni] se soit rendu, n’étaient pas feintes).

Lorsqu’en 1994, lors des élections uninominales au scrutin majoritaire, Berlusconi s’est présenté dans une circonscription clé de Rome, j’ai pensé que la gauche devrait lui opposer un symbole tout aussi populaire sur le plan national, que la “ménagère de Voghera”* ; au lieu de cela, elle a désigné Luigi Spaventa*, un bon économiste, ex-ministre et héritier de l’histoire familiale qui a suivi celle de l’État italien depuis ses origines, et elle a perdu. Il y avait à Rome de nombreuses femmes anti-berlusconiennes, simples et fortes, comme Annarella* de Trastevere, qui auraient bien représenté le peuple, lequel - à première vue - n’aurait pas fait confiance à cette nouveauté au parfum antique. Au lieu de cela, rien.

Aujourd’hui, la droite est dans l’état des communistes après Staline : elle n’a plus de rêve, elle ne peut avoir que des regrets, et elle a glissé dans une guerre qu’elle n’aime pas mais qui est nécessaire pour faire des affaires en l’absence de pouvoir réel dans les médias et pour avoir cette licence de “lutte pour la démocratie” qui lui manque encore. Et que veut faire la gauche, celle qui aime la démocratie mais n’en voit pas la trace dans les gouvernements démocratiques ?

L’histoire nous rappelle qu’il est essentiel de s’arrêter et de réfléchir, de défendre sa mémoire dans des moments difficiles comme ceux-ci, d’attendre au bord du fleuve et de réorganiser les idées et les forces.

La guerre en Ukraine a brouillé le sens des choses et submergé les consciences ; peut-être l’UE perdra-t-elle ce conflit, comme l’Allemagne l’a fait lors de la Première Guerre mondiale, sans avoir perdu de bataille. Ou bien elle le gagnera et fera à cette occasion ce que la France a fait (avec les autres alliés) : elle a trop demandé et a ainsi favorisé Hitler. Ou bien elle fera comme l’Italie en 1943, se réveillant soudain du cauchemar et essayant de s’allier à quelqu’un qui lui permettrait de panser les plaies d’un conflit sans sel ni saveur fait pour conquérir l’Empire...

La mort de Mister Bi fait sombrer la droite au pouvoir, plus Frau von der Leyen que notre propre présidente du conseil ; les apparences semblent très différentes, mais ce n’est qu’une question de temps.

Nous, qui croyons en une démocratie honnête, avec ses petits mérites et ses vrais défauts, n’avons d’avenir que si nous voulons et pouvons reconstruire le rêve d’une démocratie populaire, autrefois appelée démocratie progressiste. Ce rêve a été remplacé par Mister Bi avec des feux de la rampe désormais éteints.

*NdT
S’asseoir au bord du fleuve : allusion à l’aphorisme chinois, attribué à Lao-Tseu ou Confucius et devenu proverbe italien « Assieds-toi au bord du fleuve et attends : tôt ou tard, tu verras passer le cadavre de ton ennemi ».

Morotei
 : désignait les amis d’Aldo Moro au sein du courant plus large des Dorotei, les « modérés » de la Démocratie-Chrtéienne, opposés à Fanfani-Segni-Rumor, qui s’étaient structurés lors d’une réunion au couvent de Santa Dorotea.

Monté sur le terrain : allusion à l'expression désignant l'entrée en politique de Berlusconi en janvier 1994 : la "discesa in campo" (la descente sur le terrain, l'entrée sur le terrain), expression empruntée au lexique du football, tout comme le nom de son parti, Forza Italia, "Allez l'Italie", reprenait le slogan du Mondial de 1982.

Antonio Taajani: militant dans ses jeunes années du Front de le jeunesse monarchiste, officier de l'armée de l'air, cofondateur avec le Cavaliere de Forza Italia, président du Parlement européen de 2017 à 2022, aujourd'hui ministre melonien des Affaires étrangères.

Mazarinisme : le cardinal Mazzarini (1602-1661), successeur de Richelieu , fut le principal ministre d’État du royaume de France pendant les 18 dernières années de sa vie. Ses partisans étaient appelés les mazarinistes par les Frondeurs.

Marcello Dell’Utri : assistant personnel de Berlusconi, mafieux et condamné pour cela.

Giulio Tremonti : ministre de l’É
conomie et des Finances dans plusieurs gouvernements Berlusconi, s’est par la suite rapproché de Fratelli d’Italia.

Mike Buongiorno, Corrado et Raimondo Vianello : amuseurs publics, héros notamment de l’émission Les trois ténors sur Canale 5 [télé berlusconienne] en 1998.

Gianni Letta : directeur du quotidien de droite Il Tempo, bras droit de Berlusconi, grand faccendiere (magouilleur) de Forza Italia et de ses avatars. Oncle d’Enrico Letta, démocrate-chrétien de gauche entré au Parti Démocrate.

Renato Nicolini (1942-2012) : architecte, dramaturge et maire-adjoint communiste  chargé de la culture de Rome, , il eut le courage de lancer en 1977 l’Été romain, pour alléger la chape de plomb que faisait peser sur les habitants de la capitale la chasse aux Brigades rouges.

La ménagère de Voghera : équivalent italien de la ménagère de moins de 50 ans française.

Luigi Spaventa (1934-2013) : économiste, fils d’économiste, banquier, politicien “de gauche”. (Son nom signifie “effraie, fait peur”).

Annarella : morte en 2017 à 91 ans, cette communiste du quartier populaire de Trastevere (Outre-Tibre) s’est rendue célèbre par ses diatribes en dialecte romain devant les palais du pouvoir, qui lui ont valu une notoriété télévisuelle. Si elle avait duré plus longtemps, elle aurait sans doute battu Kim Kardashian en nombre de followers sur les social media, comme on dit en italanglais. Les cibles favorites de ses imprécations : Berlusconi (“se deve levà dalla faccia della terra, sto zozzone”, il doit disparaître de la surface de la terre, ce salopiaud),  et Beppe Grillo.

 

 Giuseppe Veneziano, Je ne suis pas un saint , de la série Petites œuvres immorales, acrylique sur toile, 2018

 

GIANFRANCO LACCONE
Sedersi sulla riva del fiume e attendere
Dopo la scomparsa di Mister B, la destra è nelle condizioni dei comunisti dopo Stalin

Gianfranco Laccone, 13/6/2023

La destalinizzazione giunse nel 1956, a tre anni dalla morte di Stalin, per mano del suo stesso successore, Chruščëv ; i democristiani impiegarono molto meno per liberarsi della figura di Moro (i morotei di Bari, sua città di elezione, lo fecero la notte successiva alla sua morte, migrando nelle varie correnti); quanto tempo ci vorrà per liberarsi del peso di questa figura già santificata che, come dice oggi il manifesto, il 12 giugno 2023 è “asceso in campo”?


Non credo che Tajani rappresenti il Chruščëv italiano, in grado di avviare la necessaria demolizione del mito per permettere al Paese di andare avanti. Il Paese si è identificato con questa figura che, ora che è ufficialmente scomparsa, non so nemmeno se sia mai esistita o se fosse scomparsa da molto tempo e sostituita da una controfigura, ricostruita negli anni come un androide, come ancora oggi si favoleggia nel caso di Mao. Perché questo è stato un personaggio che si è realmente costruito da sé, in modo imperfetto e grottesco, come capitava di fare da bambini con il meccano (un gioco di metallo anni Cinquanta, spazzato via dalla plastica e dal Lego), dove era impossibile costruire dei pupazzi, pupazzi che comunque costruivamo e immaginavamo potessero esistere per popolare un mondo di gru, palazzi e castelli di metallo. Un mio conoscente, verso la fine degli anni ’90, lo incontrò per caso di notte nei corridoi di un hotel di Bruxelles e non lo riconobbe, piccolo, goffo e incerto nell’andare, così diverso dalle immagini che già trent’anni fa la TV ci proiettava.

Non ci vuole molta fantasia nell’immaginare quello che succederà a breve; non esiste un erede politico e i suoi eredi materiali faranno, in un tempo più o meno breve, quello che hanno fatto gli eredi degli Agnelli: cercheranno di de-personalizzare le aziende, creando una rete che permetterà la sopravvivenza, qualunque sistema economico politico subentri tra qualche anno. Perché siamo in guerra e alla fine del conflitto (che finirà prima o poi) non si sa bene cosa accadrà. Se non ripeteranno gli errori della famiglia torinese, che ha perso il treno dell’auto elettrica, daranno un senso al lavoro svolto nella società italiana dal mondo berlusconiano.

Perché quello del Cavaliere è stato un mondo che la sinistra non ha saputo creare per dare un sogno al Paese ed un esempio al mondo. Senza il mazzarinismo di Dell’Utri, senza il colbertismo privatistico di Tremonti, senza il talleyrandismo di Gianni Letta la sua dimensione politica non sarebbe esistita e non sarebbe stata possibile la creazione di quella zona d’ombra che unisce il sogno alla terribile realtà. Un sogno in cui attori da Commedia dell’arte come Mike Buongiorno, Corrado o Raimondo Vianello sono diventati personaggi della Commedia, in grado di fare della loro vita uno spettacolo e di bloccare persino i ladri nello loro attività, con uno stile degno dell’episodio di S. Francesco con il lupo.

Perché figure come Nicolini, in grado di far uscire lo spirito festoso e popolare degli italiani e neutralizzare la tragica notte della prima Repubblica, sono state mortificate dalla sinistra; a loro si è preferito privilegiare figure simili a quelle di Fouché e farle salire nelle responsabilità di Stato.

Mentre questo avveniva, molti degli uomini di sinistra della generazione del Cavaliere sognavano di imitare le sue gesta con il mondo femminile; chi non poteva, si contentava di guardare lo sconcio nazional-popolare che ha travolto prima la TV e poi i nascenti social media. In tal modo la destra ha allevato una generazione di donne con lo stomaco di ferro, in grado di accettare tutto per la conquista del potere, mentre il mondo femminista si contentava di difendere poche e limitate vittorie (divorzio, aborto) e rifugiarsi nell’Aventino della differenza. A don Camillo e Peppone si sono sostituite reali coppie anagrafiche che hanno costituito “gli opposti che si attraggono”, nel reality che viviamo giornalmente e che sostituisce la vita reale.

Politicamente Fratelli d’Italia recupererà il serbatoio elettorale, ma incorrerà nel rischio di morire per il troppo mangiare, evocando così la grande letteratura europea rinascimentale. Perché la bulimia di potere, le cui avvisaglie si sono manifestate nelle nomine fatte in questi mesi di governo in assenza del controllo berlusconiano, è difficile se non impossibile da curare.

Il Cavaliere amava il sistema del libero mercato (così come si è affermato nel tempo, con tutti i suoi falsi miti e le trappole economiche) ma temeva il mercato globale e si preoccupava di mantenersi amici coloro che lo avrebbero contrastato. Amava comandare ma non gradiva la guerra, badava agli interessi di famiglia ma aveva sorrisi ed anche lacrime per tutti (non erano false quelle piante a Brindisi in memoria dei migranti della Kater y Rades, già allora vittime dell’Europa-fortezza, dove nel 1997 non mi sembra sia andato alcuno del governo in carica).

Quando nel 1994, nella tornata uninominale delle elezioni con metodo maggioritario, Berlusconi si candidò in un collegio chiave a Roma, pensai che la sinistra dovesse contrapporgli un simbolo altrettanto nazional-popolare, come la “casalinga di Voghera”; invece candidò Luigi Spaventa, economista di buon livello, ex-ministro ed erede della storia familiare che seguiva quella dello Stato italiano dalle sue origini, e perse. C’erano a Roma tante donne antiberlusconiane, semplici e forti, come Annarella di Trastevere che avrebbero rappresentato bene il popolo che – a naso – non si sarebbe fidato di questa novità dal sapore antico. Invece niente. 

 Oggi la destra è nelle condizioni dei comunisti dopo Stalin: non ha più un sogno, può avere solo rimpianti, e si è infilata in una guerra che non ama ma che è necessaria per fare affari in assenza di potere reale nei media e avere quella patente di “lotta per la democrazia” che ancora le manca. E la sinistra, quella che ama la democrazia ma non ne vede traccia nei governi democratici, cosa vuole fare?

La storia ci ricorda che fermarsi e riflettere è essenziale, difendendo la propria memoria nei momenti difficili come questi, attendendo lungo il fiume e riorganizzando le idee e le forze.

La guerra in Ucraina ha fatto perdere il senso delle cose e ha travolto le coscienze; forse la UE perderà questo conflitto, come la Germania fece nella Prima guerra mondiale, senza avere perso una battaglia. Oppure lo vincerà e farà in quell’occasione come fece la Francia (assieme agli altri alleati): chiese troppo e favorì in tal modo Hitler. O farà come l’Italia nel 1943, si sveglierà all’improvviso dall’incubo e cercherà di allearsi con qualcuno che le avrebbe permesso di leccarsi le ferite di un insulso conflitto fatto per conquistare l’Impero…

La morte di Mr. B affonda le destre pigliatutto al potere, più la von der Leyen che la nostrana Presidente; l’apparenza sembra molto diversa, ma è solo questione di tempo.

Noi, che crediamo in un’onesta democrazia con i suoi piccoli pregi e i suoi reali difetti, abbiamo un futuro solo se abbiamo voglia e capacità di ricostruire il sogno per la democrazia popolare, un tempo chiamata democrazia progressiva. Quel sogno sostituito da Mr B con le luci della ribalta ora spente.

 Giuseppe Veneziano, Non sono un santo, dalla serie Operette immorali, acrilico su tela, 2018

10/06/2023

GIANFRANCO LACCONE
Défendre les sols : une mission impossible dans le système de marché mondial

Gianfranco Laccone, climateaid.it, 8/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L’imperméabilisation des sols (leur recouvrement permanent par des couches imperméables de bâtiments, de routes asphaltées, de parkings, etc.) entraîne une perte irréversible de leurs fonctions écologiques. Les villes sont de plus en plus touchées par des vagues de chaleur dues au manque d’évaporation en été.


Nous devons nous demander pourquoi les appels à la protection des sols tombent dans l’oreille d’un sourd. Il est désormais devenu courant (et stérile) de communiquer chaque année, à l’occasion de la Journée mondiale des sols [5 décembre], des données sur la quantité de sol encore consommée par les routes et les constructions. Je me souviens avoir écrit en 2015 que « sur le territoire de l’Union européenne, environ 1 000 km2 de sol sont soustraits pour la construction de logements, d’industries et de réseaux autoroutiers, ce qui, en termes d’impact, provoque un changement irréversible du sol et de ses fonctions biologiques ». Bien des années auparavant, soucieux d’impressionner les gens, le WWF avait écrit dans l’une de ses publicités : « Cette année, nous avons perdu une Autriche » (en référence à la zone déboisée de l’Amazonie).

Des études ont montré, il y a déjà une dizaine d’années, que l’équilibre entre l’environnement naturel et l’agriculture polluante était compromis, prédisant que dans notre pays, il y avait un risque de désertification à hauteur de 21,3 % du sol italien et de 41,1 % du sol dans les régions centrales et méridionales. Au cours des 50 dernières années, les phénomènes de dégradation des sols ont entraîné une réduction de plus de 30 % de leur capacité à retenir et à réguler l’eau, amplifiant encore le risque hydrogéologique et l’occurrence d’événements catastrophiques.

Cette tendance non durable menace la disponibilité de sols fertiles et de réservoirs d’eau souterraine pour les générations futures. L'imperméabilisation des sols (leur recouvrement permanent par des couches imperméables de bâtiments, de routes asphaltées, de parkings, etc.) entraîne une perte irréversible de leurs fonctions écologiques. L'eau ne pouvant ni s'infiltrer ni s'évaporer, cela augmente le ruissellement, entraînant des inondations catastrophiques.

Les villes sont de plus en plus touchées par des vagues de chaleur, en raison du manque d’évaporation en été. Les paysages sont fragmentés et les habitats deviennent trop petits ou trop isolés pour accueillir certaines espèces. En outre, le potentiel de production alimentaire des terres est perdu à jamais. Le Centre commun de recherche de la Commission européenne estime que quatre millions de tonnes de céréales sont potentiellement perdues chaque année à cause de l’imperméabilisation des sols. Or, contrairement à d’autres ressources telles que l’air et l’eau, il n’existe toujours pas de législation spécifique au niveau de l’UE pour protéger les sols.

L'Acropole d'Athènes bétonnisée

Je pense que nous devons nous demander pourquoi les appels à la protection des sols tombent dans l’oreille d’un sourd et pourquoi, comme d’autres biens que tout le monde aurait intérêt à maintenir en bon état, les sols font eux aussi l’objet d’une négligence inexplicable d’un point de vue rationnel et apparemment incompatible avec les objectifs que toute activité productive reposant sur les sols est censée atteindre.

La réponse à ces questions doit être recherchée dans les mécanismes déclenchés par une société fondée sur les règles du marché financier appliquées à toutes les relations et transactions possibles. Le vivant, dont la caractéristique est d’être cyclique, s’adapte mal à ces systèmes rectifiés, aux relations très simplifiées ; ce qui en souffre en premier lieu, c’est l’agriculture, système créé par l’humain pour augmenter la quantité de nourriture disponible, et qui repose sur l’utilisation de deux facteurs : la terre et l’eau et la circularité des relations créées entre eux, avec la formation de vapeur, de nuages, de vents, par la rotation de la terre.

Le sol agricole est donc un bien primordial qu’il faut toujours protéger, et d’innombrables études ont identifié les points critiques des transformations qui se sont produites dans les sols agricoles de la planète : l’érosion, la salinisation des sols et la désertification de vastes zones de la planète causée par l’action de l’homme représentent des effets qui doivent être combattus par le biais de plates-formes internationales d’accord entre les États. Tout le monde converge sur la nécessité de restaurer certains aspects de l’efficacité et de la fertilité des sols agricoles que leur utilisation excessive a dissipés, et la protection des sols apparaît donc comme un objectif largement partagé.

Il convient d’ajouter qu’au cours des 70 dernières années, la prise de conscience scientifique du lien essentiel entre la terre et l’eau et, par conséquent, la nécessité de défendre les sols non utilisés à des fins “humaines” (forêts naturelles, habitats, cours d’eau) se sont ajoutées, rendant de plus en plus évident le fait que tout ce qui se trouve sur la planète ne peut pas être plié à des fins économiques. Au contraire, les recettes économiques propagées pendant longtemps tendaient à considérer la terre, et donc le sol, comme un élément susceptible d’être valorisé de manière productive par le biais d’une utilisation plus intensive. Ces recettes ne sont plus gérables car les dommages qui en résultent sont de moins en moins importants dans le temps : les bénéfices sont réduits à la fois en ampleur et en durée.

Les investissements productifs initiés dans cette perspective et soutenus pendant longtemps, bien représentés en Italie par la bonification  intégrale, ont subi le sort de toutes les politiques d’investissement de marché : ils sont devenus secondaires, considérés comme moins valables que d’autres ayant des rendements plus élevés et susceptibles d’avoir un impact immédiat sur les budgets de l’État. Dans les années de récession, les politiques de réduction des postes financiers non prioritaires, c’est-à-dire les investissements, surtout ceux à faible rendement, sont généralement privilégiées ; dans les années d’expansion, ce sont les investissements à haut rendement, souvent à haut risque, liés aux marchés financiers, qui sont favorisés. Cet abandon ne concerne plus seulement les investissements liés aux productions agricoles incluses dans les marchés de matières premières, mais aussi les activités et productions liées à un engagement de “développement durable”, qui jusqu’à présent avaient réussi à gagner un espace d’intérêt, capable de “soutenir” les activités de service liées au développement de la consommation foncière immatérielle. Il faut noter que dans les deux cas, cependant, le sol est considéré comme un support, à modeler et à modifier, et sa protection est une fonction liée à la correction des défaillances produites par son utilisation intensive.

Un premier élément de la théorie économique appliquée au domaine agricole est que la protection du sol n’est pas considérée comme une activité normale liée au cycle d’utilisation du bien, comme cela pourrait être le cas pour tout autre bien économique, dont la réintégration est normalement prise en compte par des quotas d’amortissement. Dans ce cas, la fonction de remise en état est décomposée en diverses autres fonctions, considérées non pas comme des fonctions de remise en état, mais comme des fonctions d’activité, productives ou sociales, et donc susceptibles d’une utilisation économique ou d’une utilisation pour l’intérêt collectif. Les fonctions de défense du sol sont directement liées à la valeur des productions qui y sont implantées, comme dans le cas de la fertilisation ou de la défense contre les ravageurs ; même dans le cas des investissements, le sol est valorisé pour l’amélioration de sa structure, ou pour une éventuelle dépollution ou valorisation. Dans tous ces cas, le sol n’a pas une valeur “unique” et peut même être valorisé différemment selon l’intervention envisagée.

Contrairement à ce que l’on prétend, à savoir que la division des sols ruraux et urbains permet une protection plus efficace des sols, la protection des sols se heurte avant tout à la parcellisation et à la privatisation qu’ils ont subies, ainsi qu’à la division culturelle entre ville et campagne, qui a considéré les sols existant dans une même zone géographique, voire contigus, de manière très différente selon qu’ils appartiennent à la catégorie des sols urbains ou ruraux.

L’assainissement et la protection des sols sont principalement destinés aux populations urbaines (actuellement la majorité de la population du continent européen), qui ne semblent pas se rendre compte de cet intérêt et se déchargent de tous les aspects du problème sur l’agriculture, le secteur qui occupe la plus grande partie des sols avec son activité économique.

Mais même dans le domaine de l’agriculture, la protection des sols suscite peu d’intérêt, pour de nombreuses raisons ; pour nous limiter au domaine strictement économique, l’une des principales raisons réside dans le fait que la production ne rentabilise pas un investissement dans ce sens, outre le fait que la division de la propriété rend encore moins attrayant pour les particuliers ce qui a manifestement un coût considérable non lié à un profit à court terme.

Du moins tant qu’il n’est pas question de réparer les dégâts d’une quelconque catastrophe.