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03/04/2024

DOHA CHAMS
Un monde qui a l’air d’un monde
Monsieur Guterres à Rafah

Doha Chams, Al Araby Al Jadid, 29/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Doha Chams est une journaliste et blogueuse libanaise. Elle vit à Beyrouth

 Le vieil homme se tient devant le poste-frontière fermé. Derrière lui, d’interminables convois de camions d’aide s’alignent, pourrissant sous le soleil du désert de midi. Devant lui, des dizaines de microphones se bousculent, attendant de capter ce qu’il a à dire. Il est le plus haut fonctionnaire des Nations unies à arriver ici. Il y a un certain empressement, presque reconnaissable, dans son insistance à venir lui-même. La pâleur de l’âge et de la vie de bureau se lit sur son visage flasque. L’air souffle mêlé à la poussière du désert et ses cheveux gris voltigent, atténuant la monotonie de son image officielle.

La visite elle-même est un pas en avant dans la diplomatie. Ici, au poste frontière de Rafah, avec son sweat-shirt et ses cheveux au vent, le Secrétaire général ressemble davantage à un grand-père affectueux venu voir ce qui arrive à certains de ses voisins dans cette humanité. Nous attendons ses propos avec l’impatience de ceux qui ne se lassent pas d’espérer. Il dit, comme si c’était la première fois qu’il foulait du pied ce champ de mines : « Le refus d’Israël d’apporter de l’aide au nord de Gaza est inacceptable ! »

Quelle efficacité, tonton ! Le grand air ne semble rien changer aux inquiétudes de l’ONU.

Géographiquement, au moins, la déclaration de Guterres semble inappropriée. De l’autre côté du mur, les habitants de Gaza, au nord, au sud et au centre, mouraient de faim et étaient tués de la manière la plus horrible qui soit, 24 heures sur 24, au moment où il a fait sa déclaration.

Son expression « diplomatique », à une époque où il n’y a pas de meilleure expression linguistique que les insultes et les épithètes, semble bien plus préjudiciable que le peu de bien que sa présence a apporté.

Sur le plan géographique, la déclaration du Secrétaire général était totalement inappropriée, compte tenu de sa position, de ses efforts et de la gravité de l’événement. Elle était cependant très révélatrice de l’impuissance des Nations unies, même s’il a essayé de montrer le contraire. L’incapacité du monde à apporter une aide humanitaire, à agir avec honneur et courage comme l’a fait, par exemple, l’Afrique du Sud, face à des calculs complexes d’intérêts et à la peur de l’équilibre des forces.

La visite de Guterres au point de passage fermé par la volonté des USA, d’Israël et de l’Égypte a révélé que, peut-être sans le vouloir, nous avons perdu un temps précieux à attendre l’aide du monde.

Alors, comment cet espoir reste-t-il vivant - est-ce l’espoir en l’humanité ? D’où vient-il ? Quand avons-nous déjà vu le monde venir en aide aux opprimés comme une mère attentionnée ? Ou est-ce le désespoir d’attendre autre chose ? Un espoir qui « sort de l’ennui », comme le dit la chanson de Ziad Rahbani ?

Depuis des mois, notre regard suppliant se tourne vers le monde, et quand nous disons le monde, nous ne parlons pas d’un pays ou d’un gouvernement en particulier. Le monde, dans le sens où il peut arrêter Israël, est en fait l’Occident, car notre monde arabe est également occupé, même si c’est d’une manière plus insidieuse que par le colonialisme brut en Palestine.

Peu à peu, chaque fois que la barbarie d’Israël s’est accrue et que son imagination diabolique a trouvé un nouveau moyen d’exterminer et d’humilier les Palestiniens, nous nous sommes tournés vers l’Occident, que nous croyions être le symbole de la civilisation, pour trouver ici et là des individus dotés d’une conscience et d’une humanité, qui, comme nous, ont crié au ciel, n’étant pas habitués à ce qu’ils voyaient et à ce qu’ils entendaient. Mais, comme pour nous, personne au monde ne s’est soucié d’eux.

Israël déshabille les hommes, dépouille et viole les femmes, tue les femmes enceintes d’une balle dans le ventre, vole l’or des femmes déplacées et brûle les biens qu’elles ont emportés avec elles pour affronter les rigueurs de l’exil.

Le monde, ce n’est pas nous, ni ces individus ou ces petites associations, mais « eux » c’est-à-dire les puissants de l’argent et du pouvoir qui occupent les cercles de décision, leurs hommes et leurs femmes, leurs financements. Ce sont les conglomérats de l’économie, de l’armement et des médias, un axe transnational de la puissance des intérêts dépourvu de toute couverture religieuse, morale ou juridique, aussi froid que le métal dont est faite l’arme. Un monde dont le cœur a été pris par un calculateur qui se moque de toute loi qui n’est pas soutenue par la force.

Le monde, c’est eux.

Et c’est vers eux que nous tournons notre regard chaque fois que la sauvagerie se lève, espérant au moins un regard de dégoût sur ce que font les barbares du XXIe siècle. Un mot qui donne à nos cœurs l’espoir que le génocide qui se déroule chaque jour, chaque semaine, chaque mois depuis six mois va s’arrêter. Mais nous n’entendons que des phrases calculées avec la précision de ceux qui craignent pour leurs intérêts. Des phrases arrondies qui ne disent rien et qui, ce faisant, disent autre chose. Que le monstre a reçu la permission d’aller jusqu’au bout de ce qu’il fait.

Biden réfléchit, Biden consulte, Biden affirme, Biden s’apprête à, Biden dit presque, Biden est nerveux, Biden a raccroché au nez de Netanyahu, il y a des signes de désaccords entre Biden et Netanyahou, le désaccord risque de s’aggraver, Netanyahu sabote les négociations, il gagne du temps, l’Algérie fait une proposition de cessez-le-feu, les USA y opposent leur veto sous prétexte qu’ils ont un autre projet de résolution dans le tiroir, Israël tue, anéantit, tire avec ses snipers, assassine, détruit à droite et à gauche. Israël déshabille les hommes, déshabille les femmes et les viole, tue les femmes enceintes d’une balle dans le ventre, vole l’or des femmes déplacées et brûle les biens qu’elles ont emportés avec elles pour affronter les rigueurs de l’exil, envoie tous ces gens dénudés là où il dit qu’ils seront en sécurité, et les tue là-bas.

Enfin, il y a quelques jours, sur fond de mascarade Biden/Netanyahou et d’élections usaméricaines, Washington a renoncé à son veto. Non pas pour approuver le projet de résolution du Mozambique en faveur d’un cessez-le-feu en Palestine, Dieu nous en préserve, mais simplement par une abstention arrogante et condescendante qui a permis au projet, faible dans son contenu et peu susceptible d’être efficace, d’être adopté.

Le monde, avec ses représentants au Conseil de sécurité, se réjouit de cette résolution, que les USA ont eu la gentillesse de ne pas bloquer pour punir Netanyahou de son insubordination. Ils applaudissent chaleureusement et leur soulagement est palpable, contrairement à la mine renfrognée du représentant usaméricain au Conseil.

Les écrans du monde entier retransmettent la scène où l’on fête ceux qui ont permis la victoire. Et après ? Retour à la “routine” de la couverture des nouveaux massacres israéliens et des nouvelles de l’intention de Netanyahou d’envahir Rafah, où de l’autre côté du passage interdit, se tenait le Secrétaire général de l’ONU.

Cher Monsieur Guterres. Vous êtes probablement un bon grand-père. Allez jouer avec vos petits-enfants, si c’est tout ce que le monde peut faire pour arrêter le génocide monumental qui a commencé il y a 75 ans en Palestine, sous votre surveillance, et qui s’achève aujourd’hui à Gaza. Ne nous laissez même pas l’espoir. Ainsi, il ne nous restera que « la mort devant nous et la mer derrière nous »*... La résistance est inévitable.

*Note de Tlaxcala

En avril 711, des cavaliers musulmans franchissent le détroit de Gibraltar et avancent très rapidement dans la péninsule ibérique. Ils sont sous le commandement de Tariq ibn Ziyad, le bras droit de Mûsa ibn Nûsayr, le gouverneur de l’Ifriqiya (actuel Maghreb), qui a du sang berbère dans les veines et commande les armées d’Occident, stationnées dans la région de Tanger, qui comptent entre sept et douze mille hommes. La plupart d’entre eux étaient des Berbères qui ne demandaient qu’à affronter le roi wisigoth d’Hispanie, Rodéric. Lorsqu’il débarque, et alors que ses troupes ont besoin d’être galvanisées (elles font face à 70 000 soldats chrétiens), on raconte que Tariq ibn Ziyad ordonne de brûler tous les navires et proclame : « Mes chers cavaliers, vous êtes proches de l’objectif final. Vous avez devant vous un ennemi puissant et derrière vous une mer déchaînée qui dévore ceux qui l’affrontent. La mort devant vous, la mort derrière vous. Mais la victoire sur l’ennemi vous sauvera de ces deux dangers. Sachez vous battre en héros - Allah est le plus grand ! » Depuis lors, l’endroit où le général musulman a pris le contrôle du champ de bataille est connu sous le nom de Jebel Tariq, et bientôt de Gibraltar.

 

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