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Sergio Rodríguez Gelfenstein
¿Qué hará Marcos Rubio? 

03/04/2024

LE MONDE
« Quarante bébés décapités » : itinéraire d’une rumeur au cœur de la guerre de l’information d’Israël contre le reste du monde

,  (Jérusalem, correspondance) et , Le Monde, 3/4/2024

Les faits
Le 10 octobre, les comptes officiels israéliens se font le relais d’une allégation sordide, mais infondée. Six mois plus tard, celle-ci continue de circuler, alimentant les accusations de désinformation israélienne.

Après l’attaque du Hamas contre Israël qui a fait environ 1 160 victimes le 7 octobre 2023, les images du massacre ont inondé les réseaux sociaux et les médias du monde entier.

Mais dans ce flot de témoignages de meurtres, pillages, mutilations, une rumeur a pris une ampleur extraordinaire : 40 bébés décapités auraient été retrouvés dans le kibboutz de Kfar Aza, l’une des localités israéliennes les plus meurtries. Ce récit, et ses variantes, a connu une viralité inédite, jusqu’à être évoqué à la Maison-Blanche. Pourtant, dans l’horreur qu’a constituée ce massacre, où 38 mineurs dont deux nourrissons ont été tués, il n’y a jamais eu 40 bébés décapités. Ni à Kfar Aza, ni dans aucun autre kibboutz, a confirmé au Monde le bureau de presse du gouvernement israélien.

Comment cette fausse information est-elle née ? Peut-on la comparer à l’affaire des couveuses du Koweït, un récit fabriqué de toutes pièces de bébés kidnappés et massacrés, qui avait en partie servi à justifier la première guerre du Golfe ? L’enquête du Monde met en lumière une rumeur née de manière organique, d’un mélange d’émotion, de confusion et d’exagération macabre. Mais Israël n’a rien fait pour lutter contre, et a plus souvent tenté de l’instrumentaliser que de la démentir, alimentant les accusations de manipulation médiatique.

Aux origines

Mardi 10 octobre, 13 heures

Trois jours après l’attaque du Hamas, l’armée convie des dizaines de journalistes et correspondants étrangers, dont celui du Monde, dans le kibboutz de Kfar Aza, où les terroristes du Hamas ont tué plus de 60 civils. Richard Hecht, plus haut porte-parole de l’armée israélienne et coorganisateur de cette visite, veut « montrer à la presse internationale que ce qui s’est passé est sans précédent. »

Le territoire n’a été repris par l’armée que depuis quelques heures, et les cadavres sont encore partout : des victimes israéliennes enveloppées dans des sacs mortuaires, des combattants du Hamas gisant là où ils sont tombés, une odeur de mort, témoignent une dizaine de journalistes, secouristes et soldats interrogés par Le Monde.

Témoignage de notre journaliste

Samuel Forey, correspondant du « Monde » à Jérusalem et coauteur de cet article, a participé à la visite de presse du 10 octobre à Kfar Aza.

« Nous ne sommes pas intégrés à une unité militaire, c’est une visite pour la presse, sous bonne escorte (…) Comme souvent dans les zones de conflit, le contrôle serré se relâche au bout de quelque temps. Nous pouvons parler à tous les soldats qui le veulent bien. Nous pouvons entrer dans les maisons déjà inspectées par l’armée, car les autres peuvent être piégées.

La visite se termine. Elle a duré une heure et trente minutes. Je rentre à Jérusalem. Mon responsable au Monde m’appelle. Ai-je vu des bébés décapités ? Je lui réponds que j’ai vu passer l’information sur les réseaux sociaux, alors que j’étais sur le chemin du retour, mais que rien ne semblait l’affirmer. Aucun soldat ne m’en a parlé – j’ai échangé avec une demi-douzaine d’entre eux. En m’asseyant à mon bureau, je vois l’emballement médiatique. Je ne pense pas cette histoire possible. Les soldats étaient présents dans le kibboutz depuis la veille, au moins. Un événement aussi atroce aurait été documenté, et pas confié par certains soldats à certains journalistes.

Je contacte deux organisations de secourisme déployées lors de l’attaque. Aucune ne mentionne de décapitation – sans dire que ça n’a pas existé. Au 11 octobre, date de parution de mon reportage, je ne peux pas confirmer de décapitations. Je ne le fais donc pas. Mais l’image, forte, prend le pas sur la réalité. Elle sert notamment à faire du Hamas l’incarnation du mal absolu – qui mérite une réponse du même ordre. Je ne veux pas minimiser les exactions de ce mouvement islamiste palestinien. Je veux les documenter, le plus précisément possible.

Le problème, c’est que si l’image des bébés décapités sert une certaine propagande israélienne, elle sert aussi à ses ennemis pour nier d’autres exactions, par exemple l’existence de violences sexuelles – avérées – ou le fait que des victimes ont été brûlées vives ; voire à réfuter l’ensemble du massacre. C’est le fond de mon message publié sur X, le lendemain de la visite à Kfar Aza. J’ai constaté, quelque temps après, que mon post n’était plus accessible en France et dans certains pays européens. Depuis, l’histoire des bébés décapités s’est révélée être une fausse information. »

Itai Veruv, le général qui a mené la contre-attaque, multiplie les parallèles avec les camps de la mort. Il évoque un bilan provisoire de 100 à 150 morts. Des cérémonies funéraires sont parfois réalisées sous l’œil des caméras. Certains reporters ont confié au Monde un sentiment de malaise face à la théâtralisation du site du massacre.

En raison du risque de pièges explosifs, les journalistes ne peuvent entrer que dans quelques maisons. Les seuls cadavres israéliens qu’ils voient sont dans des sacs mortuaires, tous de taille adulte. Sur place, selon des journalistes présents, l’état-major n’évoque pas de bébés morts, mais les reporters sont libres d’interroger les militaires et premiers secours présents, dont les récits sont plus troubles, et troublants.

Les approximations et exagérations des secouristes

Sur les lieux opèrent des secouristes de Zaka, une organisation non gouvernementale (ONG) ultraorthodoxe chargée de récupérer les corps dans le respect des préceptes juifs. Ils étaient aussi présents le matin dans un autre kibboutz, Be’eri, où le photographe Tomer Peretz a décrit « des bouts de corps, des bébés, des enfants » et a pris la photo d’un berceau ensanglanté, très partagée, qui a alimenté la confusion de certains journalistes, qui l’ont utilisée pour parler de Kfar Aza.

Dans les maisons ravagées, les bénévoles de Zaka découvrent des corps rendus méconnaissables par les projectiles, les explosions et les incendies. Dénués de formation médicale, certains se méprennent sur l’identité ou l’âge des victimes. Un secouriste évoque une famille de cinq personnes, mortes fusillées, mais prend la mère pour une grand-mère, et les deux adolescents pour des enfants. D’autres affirment à la presse qu’une femme enceinte aurait été éventrée et son fœtus poignardé, ce qui n’a jamais été le cas, comme l’a confirmé au Monde Nachman Dyksztejn, volontaire francophone de Zaka. Dans un rapport sur les violences sexuelles commises le 7 octobre, l’Organisation des Nations unies soulignera le « défi » qu’a représenté « les interprétations imprécises et peu fiables des preuves par des non-professionnels ».

Ces approximations ne sont pas toujours volontaires. « Les secouristes ont vu tellement de morts, des cadavres de femmes et d’enfants, des morceaux de corps, peut-être qu’ils ont dit des choses qu’ils ont imaginées », explique aujourd’hui Nachman Dyksztejn. Mais sur le moment, les porte-parole de l’ONG font preuve de surenchère macabre. Auprès de différents médias, Yossi Landau, son fondateur, déclare avoir « vu de ses propres yeux des enfants et des bébés qui avaient été décapités ». Le quotidien israélien Haaretz a révélé plus tard que l’association, à la santé financière précaire, avait essayé de profiter de la tragédie pour drainer des dons.

Les témoignages peu fiables des soldats

Les journalistes interrogent aussi des militaires présents sur place, souvent des soldats de réserve, dont la qualité des informations est sujette à caution. L’un d’eux évoque des enfants pendus à un fil à linge, rumeur infondée qui circule parmi les civils rescapés de Kfar Aza, inquiets du sort d’une fillette de 4 ans, Avigail Idan. Celle-ci a en réalité été prise en otage par le Hamas, et depuis libérée. L’armée israélienne, Tsahal, dont l’état-major lui-même n’a pas toujours fait preuve de prudence ni retenue dans l’affaire des 40 bébés, a rappelé plus tard qu’un soldat de réserve « n’a pas à décrire des événements dont les détails sont peu clairs et pas encore officiels ».

Certains témoignages sont flottants. Selon Mael Benoliel, envoyé spécial de l’édition francophone de la chaîne internationale israélienne i24News, le chiffre de 40 enfants morts à Kfar Aza provient de Michael Levy, un médecin réserviste francophone, qui conteste catégoriquement. Interrogé par Le Monde, il certifie en revanche avoir aperçu un bébé ou un très jeune enfant décapité à Kfar Aza. Une allégation absente de son témoignage face caméra, et qui contredit à ce jour les bilans officiels selon lesquels la plus jeune victime du kibboutz, Yiftach Kutz, était âgée de 14 ans.

Affabulation ? Confusion ? Faux souvenir ? Certains soldats ont les yeux « vitreux » après trois jours de combat, se rappelle Mael Benoliel. Plusieurs témoins interrogés par Le Monde ont livré des récits incompatibles avec le bilan consolidé. « La netteté d’un souvenir ne prouve pas forcément son authenticité, rappelle Richard McNally, professeur de psychologie à Harvard et spécialiste de la mémoire des événements traumatiques. Parfois, des erreurs apparaissent dans le “brouillard de la guerre”, en particulier lors de circonstances éprouvantes, déconcertantes et terrifiantes. »

Certains ont-ils pu sciemment noircir le tableau, pourtant déjà très sombre, dans un contexte de faillite de l’armée israélienne ? Quelques soldats semblent animés par la volonté de diaboliser le Hamas, comme le commandant adjoint de l’unité 71, Davidi Ben Zion, colon radical qui, déjà en mars 2023, avait appelé à raser le village palestinien de Huwara, en Cisjordanie, après une attaque, fatale à deux colons. Dans l’édition anglophone d’i24News, il qualifie les assaillants d’« animaux » qui « ont coupé la tête d’enfants et de femmes ». Joint par Le Monde, le commandant adjoint relate avoir aperçu à Kfar Aza deux hommes adultes sans tête, n’a aucun souvenir d’avoir évoqué des femmes et des enfants décapités, et pense s’être « trompé » devant les caméras.

Le peu de recul d’i24News

Plusieurs reporters présents à Kfar Aza, dont celui du Monde, ne recueillent pas ces témoignages, ou les jugent peu fiables. Mais d’autres, notamment ceux d’i24News, dont la ligne éditoriale proche du gouvernement de Benyamin Nétanyahou, font preuve de moins de prudence. Dans un direct en pleine visite du Kibboutz, Nicole Zedeck, journaliste à l’édition anglophone, évoque pour la première fois publiquement des bébés décapités, suivie de son confrère de l’édition francophone Mael Benoliel, ou encore de Nic Robertson, de CNN. « Il y avait de la fatigue, le stress, le choc, la peur un peu aussi. Je n’étais pas bien, je n’avais pas assez de recul sur ce que j’étais en train de voir et de vivre », regrette aujourd’hui Mael Benoliel – ni Nicole Zedeck ni Nic Robertson n’ont donné suite aux sollicitations du Monde. Mais la rumeur est lancée.

L'emballement médiatique

10 et 11 octobre 

  • 10 octobre 2023
  • 12 h 56

Première mention de bébés décapités par la journaliste d’i24News Nicole Zedeck

L’agence turque Anadolu relève qu’en dépit du déni des journalistes présents et des articles de vérification appelant à la prudence, la rumeur des bébés décapités ne recule pas. Elle évoque le « naufrage » de la presse britannique et épingle les liens entre i24News et le gouvernement israélien.

·  Peu avant 13 heures, la chaîne i24News en anglais diffuse un extrait du direct de la journaliste Nicole Zedeck dans le kibboutz de Kfar Aza. Elle cite les témoignages de certains soldats à qui elle a parlé : « Des bébés, leur tête décapitée, c’est ce qu’ils disent », déclare-t-elle.

·  14 h 19

Nicole Zedeck parle désormais d’une quarantaine de bébés sur des civières

Toujours en direct de Kfar Aza, la journaliste relaie le chiffre d’« une quarantaine de bébés emmenés sur des civières ». A-t-elle confondu, elle ou sa source, avec la quarantaine de sacs mortuaires, tous adultes, ramassés à Kfar Aza ? Interrompue par le présentateur sur ce chiffre précis, elle explique que « c’est ce qu’un des commandants » lui a dit.

  • 14 h 32

 La journaliste d’i24News évoque des soldats qui « pensent » que 40 enfants ont été tués

 Nicole Zedeck semble nuancer ses propos en disant qu’il peut s’agir de bébés ou d’enfants, qu’elle n’a pas vus elle-même : « Les soldats m’ont dit qu’ils pensaient que 40 bébés/enfants avaient été tués. Le nombre exact de morts est encore inconnu alors que l’armée continue de se rendre de maison en maison pour trouver de nouvelles victimes israéliennes. »

·         14 h 47
Le porte-parole du gouvernement israélien reprend les informations d’i24News

Eylon Levy, porte-parole du gouvernement israélien, reprend l’un des premiers directs de Nicole Zedeck dans lequel elle mentionne des bébés décapités, et écrit : « Le Hamas a décapité des bébés. Nous les éradiquerons. »

·         15 h 10
Israël parle à son tour de 40 bébés assassinés
Suivi par 1,5 million d’abonnés sur X, le compte officiel de l’État d’Israël reprend le reportage de Nicole Zedeck sur i24News et évoque, alors que la journaliste ne le mentionne pas, le chiffre de « 40 bébés assassinés ».

 

·         16 h 00

 Un journaliste de CNN parle aussi d’« enfants » et de « têtes coupées »
Dans une vidéo publiée sur Instagram vers 16 heures, le reporter Nic Robertson, présent à Kfar Aza, déclare : « Il y a eu tellement de membres assassinés dans ce kibboutz. Hommes, femmes, enfants, les mains liées, fusillés, exécutés, têtes coupées. »

·  17 h 04

BFM-TV relaie la rumeur 

·  Interrogé en direct sur BFM-TV, le journaliste de l’édition francophone d’i24News Mael Benoliel cite le témoignage de soldats : « Ils ont dénombré pas moins de 40 enfants, qui ont été exécutés, éventrés. Parmi eux, des bébés. »

·  18 h 26

Un porte-parole francophone de l’armée israélienne dénonce des « bébés massacrés, même décapités »

·  Sur CNews, le porte-parole francophone de l’armée israélienne, Olivier Rafowicz, décrit un « véritable charnier » découvert à Kfar Aza. Il rapporte que des « bébés ont été massacrés, ont été même décapités ».

·  18 h 31

A contre-courant, le New York Times évoque seulement trois enfants morts

·  Le quotidien américain apporte des premiers chiffres divergents. Loin des 40 bébés massacrés, il cite le cas des trois jeunes enfants de la famille Siman Tov, assassinée dans un abri dans un autre kibboutz, Nir Oz, et évoque deux jumeaux de 10 mois, retrouvés vivants, mais dont les parents ont été assassinés.

·  18 h 42

Des comptes propalestiniens fustigent une opération de la hasbara

·  De nombreux influenceurs propalestiniens, comme le compte anglophone Khalissee, citent les explications de Nicole Zedek en soulignant la faiblesse de ses sources. « Aucune preuve. Simplement une croyance. C’est comme ça qu’opère la hasbara », la stratégie de communication israélienne, assimilée par ses ennemis à de la propagande.

·  19 h 02

Le député Meyer Habib croit savoir qu’il y a eu des « bébés coupés en deux »

·  Sur la chaîne i24News en français, le député (apparenté Les Républicains) de la 8e circonscription des Français établis hors de France parle d’un témoin qui a vu dans les morgues des « bébés coupés en deux » et souligne qu’il ne s’agit pas de fake news ».

·  19 h 28

Dans son reportage, l’Agence France-Presse évoque deux enfants morts à Kfar Aza

·  A contre-courant des rumeurs, l’agence de presse française fait, elle, état de deux enfants morts dans le kibboutz de Kfar Aza. Un chiffre en phase avec le bilan officiel consolidé plus tard, qui déplore la mort dans ce village de deux mineurs, deux frères de 15 et 17 ans, fusillés avec leur sœur aînée et leurs parents dans leur lit.

·  20 h 36

Pour la première fois, l’armée israélienne tempère la rumeur

·  Interrogé par l’agence de presse turque Anadolu, Tsahal fait savoir qu’elle n’a « pas d’information confirmant les allégations » de bébés décapités par le Hamas. C’est le premier, et l’un des rares démentis de l’État hébreu.

·  21 h 44

Outre-Manche, les tabloïds titrent sur la « décapitation purement diabolique de bébés »

·  Les titres de « une » des tabloïds anglais pour le lendemain commencent à être mis en ligne. « Quarante bébés assassinés par le Hamas », titre le journal britannique Metro. The Times affiche en manchette : « Le Hamas a “coupé les gorges de bébés” durant le massacre. » En Ecosse, le Daily Express titre sur la « décapitation purement diabolique de bébés ».

·  22 h 28

i24News persiste et évoque précisément 40 bébés décapités à Kfar Aza

·  Dans son édition française, la présentatrice de la chaîne israélienne, Jennifer Hassan-Smith, affirme que 40 bébés ont été décapités dans le kibboutz de Kfar Aza. En illustration, une photo de berceau ensanglanté prise au kibboutz Be'eri.

·  22 h 28

Libération s’interroge sur l’origine du chiffre et relève qu’il provient de témoignages fragiles

·  CheckNews, le service de vérification de Libération, appelle à la « prudence ». Il souligne que les allégations d’i24News, toutes obtenues de soldats et parfois objets de « confusions », ne sont pas rapportées par d’autres médias présents sur place.

·  11 octobre 2023
6 h 23

La porte-parole française de Tsahal affirme que la rumeur est vraie

·  Eden Tal, porte-parole française de l’armée israélienne, assure sur BFM-TV qu’il y a eu « des bébés décapités », nombreux. « Une information que j’ai énormément de mal à confirmer mais elle est malheureusement vraie », dit-elle.

·  10 h 18

Le correspondant du Monde émet des réserves

·  « Mise au point : j’étais hier à Kfar Aza. Personne ne m’a parlé de décapitations, encore moins d’enfants décapités, encore moins de 40 enfants décapités », avertit Samuel Forey, qui travaille pour Le Monde. Son message est supprimé par X.

·  11 h 32

Le journaliste israélien Oren Zev prudent à son tour

·  Oren Ziv, qui était présent à la visite de presse, dément à son tour les informations d’i24News. « Les soldats avec qui j’ai parlé hier à Kfar Aza n’ont pas mentionné les “bébés décapités”. Le porte-parole de l’armée a déclaré : “Nous ne pouvons pas confirmer à ce stade… nous sommes conscients des actes odieux dont le Hamas est capable” ».

·  12 h 46

Le Hamas dénonce des « mensonges »

·  Dans un communiqué relayé par la chaîne de télévision panarabe Al-Jazira, le groupe terroriste dénonce le « narratif sioniste, rempli de mensonges et de calomnie » et affirme « ne pas viser les enfants. »

·  12 h 57

La rapporteuse spéciale de l’ONU s’inquiète des risques de divulguer des informations non confirmées

·  Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies pour les territoires palestiniens, souligne que « divulguer des infomations non vérifiées risque de faire monter les tensions et mettre des vies en danger, dans un contexte instable ».

·  14 h 36

Israël justifie sa riposte par les « 40 bébés assassinés »

·  Dans une vidéo sur fond de berceuse et de poneys sautant sur des arcs-en-ciel pastel, le ministère des affaires étrangères israélien réaffirme que « 40 bébés ont été assassinés par les terroristes du Hamas » et s’engage à « faire tout son possible pour protéger [vos] enfants ». Jamais la rumeur n’a été aussi clairement instrumentalisée dans une communication de guerre.

·  19 h 00

La presse arabe s’étonne de l’importance prise par la rumeur

·  Middle East Eye, site d’actualité arabe en langue anglaise, propalestinien, relève que des « informations non vérifiées » ont « rempli les “unes” », dans ce qui pourrait s’apparenter, selon le site, à un « relais de la propagande israélienne ».

·  19 h 29

Joe Biden assure avoir vu « des photos de terroristes décapitant des enfants »

·  Lors d’une rencontre avec des responsables de la communautaé juive américaine, le président américain déclare : « Cela fait longemps que je fais ça. Je n’aurais jamais vraiment pensé voir et avoir des photos confirmées de terroristes décapitant des enfants. »

·  20 h 42

L’agence turque Anadolu s’étonne que la rumeur circule encore

La guerre informationnelle

De mi-octobre à aujourd'hui

La rumeur des 40 bébés devient un élément de guerre informationnelle. Israël développe un double discours, prudent d’une part, vindicatif de l’autre. Sur CNN, le gouvernement israélien admet dès le mardi soir qu’il ne peut pas confirmer l’histoire des bébés décapités, ce qui conduit la journaliste américaine Sara Sidner à s’excuser. Chen Kugel, directeur du centre israélien national de médecine légale, confirme que des corps ont été retrouvés sans tête, mais explique au Monde ne pas savoir s’ils ont été démembrés volontairement par les assaillants ou par des explosions ou des projectiles. Sans véritable démenti public des autorités israéliennes, cette communication ambiguë contribue à brouiller les pistes.

L’armée israélienne se contredit parfois : elle dit ne disposer d’aucune information pour confirmer ces allégations, mais dans le même temps, des porte-parole de l’armée israélienne francophones et anglophones les relaient. Ceux-ci rejoignent la communication de guerre de l’État hébreu : le compte officiel du ministère des affaires étrangères partage des photos de nourrissons brûlés, avant de les supprimer, tandis que l’ambassade en France, comme plusieurs autres dans le monde, reprend sans la moindre distance sur les réseaux sociaux l’allégation selon laquelle « 40 bébés ont été assassinés, certains décapités », et estime que la remettre en question est typique des antisémites, et questionner leur mort « infâme ».

Contactée par Le Monde en mars 2024, l’ambassade d’Israël a supprimé le tweet évoquant explicitement les 40 bébés, « compte tenu du fait que cette information était inexacte », tout en maintenant les deux autres publications, et en rappelant qu’après le 7 octobre, « les premières heures et les premiers jours ont été caractérisés par un grand chaos et un manque de clarté, y compris pour les informations qui sont parvenues aux canaux officiels ».

Le 17 octobre, le colonel Golan Vach explique à des parlementaires français en visite à Kfar Aza qu’il a lui-même transporté des corps de nouveau-nés mutilés − il n’y en avait pourtant pas dans le kibboutz. Il s’agit d’un « usage cynique des tragédies en Israël pour promouvoir la hasbara [la communication d’Israël en direction de l’étranger] », estime la sociologue Nitzan Perelman. Pour le gouvernement, « se focaliser uniquement sur les horreurs et crimes terroristes du Hamas, c’est se concentrer sur l’image d’Israël dans le monde plutôt que de réparer les erreurs commises » par les autorités israéliennes, analyse l’ingénieure en sociologie politique au Centre national de la recherche scientifique, qui étudie la société israélienne.

L’instrumentalisation par des sphères propalestiniennes

L’instrumentalisation de la rumeur par l’État hébreu devient aussi une arme que lui retournent ses adversaires. Après la publication des premiers reportages d’i24News, et leur relais par des comptes israéliens, certains internautes cherchent à faire la lumière sur cette histoire de « 40 bébés », mais d’autres ne taisent pas leur détestation d’Israël, voire leur antisémitisme.

En mêlant articles de vérification et vidéos de commentateurs partisans, Sulaiman Ahmed, un influenceur propalestinien très suivi, pointe la « propagande sioniste » et la « manipulation des médias ». Il réécrit complètement le bilan des massacres en disculpant le Hamas : « Combien de civils le Hamas a-t-il vraiment tués ? Le nombre est bas. Combien ont été intentionnellement tués ? Le nombre est encore plus bas, voire proche de zéro. Plus important, le Hamas n’a pas tué le moindre bébé », prétend-il – ce qui est faux.

L’accusation de désinformation israélienne fait également fureur dans les sphères proches du président syrien Bachar Al-Assad, et prorusses. Le commentateur politique américain Jackson Hinkle, complotiste et propalestinien, se montre particulièrement volubile sur ce qu’il qualifie de « mensonge ». Le 28 octobre, dans un message vu plus de 5 millions de fois, il prétend même, en citant de travers un article de Haaretz, qu’il n’y aurait eu « aucun bébé décapité », et affirme qu’« Israël a menti sur tout ».

Le correctif furtif d’i24News

Durant plusieurs semaines, i24News maintient sa version, s’appuyant sur les dires du colonel Golan Vach. La chaîne déplore même en direct que « d’éminentes voix anti-israéliennes (…) intimident et tentent de discréditer nos journalistes ». Il faut attendre le 30 novembre pour qu’un rectificatif soit glissé dans un article. « A mesure que les chiffres officiels se précisent, nous corrigeons notre rapport initial », explique le site, tout en précisant, dans ce qui ressemble à une contradiction, que « ces chiffres ont été étayés par des témoignages supplémentaires ». La mention des « 40 bébés » est supprimée. La chaîne n’a pas donné plus d’explications au Monde.

Aujourd’hui, bien que le bilan ne soit pas définitif (134 otages sont encore détenus), l’assurance maladie israélienne a listé les victimes du 7 octobre : 37 mineurs de moins de 18 ans sont morts dans ces attaques, dont 6 enfants âgés de 5 ans ou moins. La plupart ont été tués par une roquette palestinienne, ou fusillés, ou brûlés avec leur famille, d’après la presse israélienne. Deux bébés ont été tués, dont Mila Cohen, 10 mois, abattue dans le kibboutz de Be’eri, dans les bras de sa mère. L’autre, un nouveau-né accouché post-mortem, n’a survécu que deux jours à la mort de sa mère. Deux enfants, enlevés alors qu’ils avaient 4 ans et 10 mois, sont morts sous les bombardements israéliens, a annoncé le Hamas en novembre, ce qu’Israël n’a jamais confirmé. Les 40 bébés massacrés n’existaient pas. Le chef de la diplomatie numérique au ministère des affaires étrangères israélien, David Sarenga, admet qu’il y a eu « parfois des erreurs » dans la communication de l’État hébreu.

Près de six mois après l’attaque, la question des bébés décapités demeure sensible. Les militants propalestiniens et l’extrême droite conspirationniste continuent d’y voir une « fake news » propagée par une « armée d’occupation génocidaire ». Côté israélien, la remise en cause de cette affirmation est parfois assimilée à une forme de négationnisme. « Oui, des bébés israéliens ont été décapités lors du pogrom du 7 octobre. Tous ceux qui tentent de “débusquer des fake news” en prétendant le contraire mentent et se font de fait les complices des islamistes », écrit en décembre Julien Bahloul, ancien journaliste d’i24News et ancien porte-parole de Tsahal. Démentie à l’international, la rumeur demeure vivace au sein de l’État hébreu. « La rue israélienne parle toujours de cette histoire comme si elle était vraie, et la remise en cause de ce récit équivaut pour une grande partie des Israéliens à douter des attaques du 7 octobre », observe Nitzan Perelman.

Bonus/Malus Tlaxcala

Un florilège de la presse écossaise du 11 octobre 2024, qui s'est surpassée

The Times - Scotland edition
La plupart des journaux du 11 octobre continuent d'évoquer les attaques du Hamas contre Israël. Le Times rapporte que le bilan des morts à Kfar Aza s'alourdit, "des familles entières ayant été abattues pendant leur sommeil" par le Hamas. Le journal cite le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu qui a averti que les représailles, au cours desquelles des cibles ont été détruites dans toute la bande de Gaza pour la troisième journée, "ne faisaient que commencer".
tele
Le Daily Telegraph rapporte également que des dizaines de civils morts ont été retrouvés dans le kibboutz de Kfar Aza, les soldats présents sur les lieux les comparant aux "pogroms nazis de la Seconde Guerre mondiale". Le journal montre également une image de Keir Starmer couvert de paillettes après qu'un manifestant a pris d'assaut la scène pendant son discours à la conférence du parti travailliste.
Le lendemain 12 octobre, le Daily Telegraph publie ceci

"C'est l'image la plus difficile que nous ayons jamais publiée. Au moment où nous écrivons ces lignes, nous tremblons. Nous avons hésité à poster cette image, mais nous voulons que chacun d'entre vous le sache. Cela est arrivé."
metro
Le quotidien The Metro rapporte que des militants du Hamas ont assassiné 40 bébés dans un kibboutz au cours de leur "attaque sauvage contre Israël". Le journal cite le commandant des forces de défense israéliennes, le général Itai Veruv, qui a déclaré : "Ce n'est pas une guerre, ce n'est pas un champ de bataille. C'est un massacre".
the i
Le journal i rapporte également que des bébés et des enfants ont été tués par le Hamas dans un massacre de village à Kfar Aza, près de la frontière de Gaza. Le journal indique que le président américain Joe Biden a qualifié les attaques de "mal absolu" et a comparé le Hamas au groupe État islamique.
daily express
Le quotidien écossais Daily Express évoque également l'attaque du Hamas contre des familles à Kfar Aza. Le journal affirme que ce "crime de guerre" a été condamné par le président américain Joe Biden, qui a déclaré : "Il y a des moments dans cette vie... où un mal pur et simple se déchaîne sur ce monde".
Scottish Daily Mail

Le Daily Mail écossais évoque "l'horreur du 11 septembre israélien" et affirme que les tireurs du Hamas "ont massacré 40 enfants dans une seule colonie agricole". Le journal cite un petit-fils endeuillé, Shmuel Harel, qui a déclaré : "C'était un holocauste, pur et simple". Le journal présente également une photo d'Holly Willoughby après que la présentatrice britannique a "quitté de façon spectaculaire l'émission This Morning".
Scottish Sun
Le Scottish Sun rapporte le cas d'une mère qui a "écouté, impuissante" le Hamas kidnapper sa jeune fille et sa mère âgée.
Scotsman
"Un acte purement diabolique" : The Scotsman rapporte que le premier ministre, Humza Yousaf, a participé à un appel téléphonique international visant à mettre en place un couloir d'aide humanitaire pour les personnes qui tentent de fuir Gaza.

 

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