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18/09/2022

URI MISGAV
1982 : la folle tentative du Mossad de changer le visage du Liban
Les dessous du massacre de Sabra et Chatila : une version israélienne

Uri Misgav, Haaretz, 15/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala




L'agent du Mossad qui dormait avec un pistolet. Des repas délirants avec Ariel Sharon à Beyrouth. L'orchestre qui jouait “Hava Nagila” pour les espions. À la recherche d’une Rolex dans les ruines.

 Quarante ans après l'assassinat de Bachir Gemayel et les massacres dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila, d'anciens responsables israéliens révèlent le château de cartes qu'Israël a construit au Liban et comment il s'est effondré.

 Sharon et Gemayel gauche, le secrétaire militaire de Sharon, Oded Shamir). Je ne serai pas votre "Armée du Liban Nord", dira Gemayel à Sharon, en colère. Photo : Collection Oded Shamir

Bachir Gemayel se réveille relativement tard le 14 septembre 1982. Il était resté debout jusqu'aux petites heures de la nuit pour rédiger et répéter son discours pour sa prestation de serment présidentielle, qui devait avoir lieu huit jours plus tard. Trois semaines plus tôt, il avait atteint - avec l'aide rapprochée d'Israël - un objectif qui avait été considéré jusqu’à récemment comme fantaisiste, en étant élu, à l'âge de 34 ans, président du Liban multinational et fragmenté.

Un programme chargé était prévu pour lui à Beyrouth ce jour-là, comprenant des entretiens téléphoniques avec les commandants de l'armée libanaise, une visite au couvent maronite où sa sœur bien-aimée, Arza, était nonne et, pour couronner le tout, un discours devant ses partisans au siège du parti Kataeb (Phalanges) dans le quartier d'Achrafieh.

Pendant sa course à la présidence, Gemayel avait pris l'habitude de se présenter à cette occasion politique tous les mardis à 15 heures et, après son élection, il avait décidé de poursuivre la tradition au moins une fois par mois. Naturellement, cela a permis à ses ennemis - à ce stade, avant tout les services de sécurité et de renseignement syriens - de le suivre plus facilement. En fait, après que Gemayel a été élu président, sa vigilance et sa sensibilité à l'égard de sa sécurité personnelle se sont relâchées. Il a commencé à laisser échapper ses gardes du corps de temps en temps et, ce matin-là, il s'est emporté contre un conseiller qui tentait de le mettre en garde à ce sujet. 

Jusque-là, il avait été prudent, et à juste titre. La culture politique au Liban était marquée par une folie meurtrière rampante, non seulement entre les différents groupes ethniques, mais aussi entre les familles et les factions d'un même groupe de population. La première fois que je suis venu à Beyrouth, raconte Avner Azoulay, nommé en 1981 chef du département en charge du Liban au sein de Tevel, la division des relations extérieures du Mossad, j'ai demandé à mon accompagnateur local : "Qu'est-ce qui est bon marché ici ?" Il m'a jeté un regard perçant et m'a répondu : "La vie humaine. C'est ce qui est le moins cher."

Tout au long de sa carrière politique, Gemayel a pris une part active à la violence et aux meurtres. Entre autres événements, dans le cadre des luttes sanglantes pour le contrôle de la communauté chrétienne, Antoine "Tony" Frangieh, le fils d'un ancien président libanais issu d'un hamoula (clan) concurrent, avait été assassiné sur ses ordres, ainsi que sa femme, son fils et d'autres membres de son entourage. Gemayel lui-même avait été la cible d'une tentative d'assassinat, à laquelle il n'avait échappé que parce qu'il avait eu le mal de mer sur un bateau lance-missiles où il tenait l'une de ses nombreuses réunions avec des responsables du gouvernement et des militaires israéliens. Comme il se sentait mal le lendemain matin, il n'a pas emmené sa fille Maya chez sa grand-mère comme prévu.

Ainsi, lorsque la bombe fixée à sa voiture a explosé, Gemayel n'a pas été blessé, mais Maya et le garde du corps personnel de son père, qui l'escortait, ont été tués. Après les funérailles, il a ordonné à ses aides furieux d'attendre le moment opportun pour se venger.

Azoulay, qui était en contact étroit avec Gemayel, l'a imploré après son élection, sur la directive de ses supérieurs, d'accepter l'aide d'une unité du service de sécurité du Shin Bet. "Il ne voulait pas en entendre parler", dit Azoulay. "Il m'a dit : 'Est-ce que cela vous semble raisonnable que le président élu d'un pays arabe se promène avec des gardes du corps israéliens ? Qu'est-ce que vous ne comprenez pas ? J'ai essayé de réfléchir à des idées alternatives. J'ai suggéré de choisir des gars aux cheveux blonds et aux yeux bleus et de dire qu'il s'agissait de techniciens venus d'Europe, pour que personne ne le sache. "En aucun cas", a-t-il dit. Cela n'aurait pas forcément aidé. Je crois que si nous lui avions adjoint des gardes du corps, ils auraient été assassinés en même temps que lui."

Le chef d'état-major Rafael Eitan avec Gemayel, de profil à gauche. Raful appelait le Libanais "mon frère". Crédit : Collection Avner Azoulay

Après le discours au siège du parti, Gemayel devait rencontrer les membres de la sous- commission des renseignements de la commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset, qui se trouvaient à Beyrouth pour se faire une idée de la situation. Le mois précédent, les forces de l'Organisation de libération de la Palestine, dirigée par Yasser Arafat, avaient quitté la ville en vertu d'un accord négocié par les USAméricains. Le soir, le président élu avait l'intention de dîner dans le luxueux restaurant Bustan, en compagnie de son ami Ehud Yaari, à l'époque analyste des affaires arabes à la télévision israélienne. Ce dîner n'a jamais eu lieu. 

17/03/2022

GILAD ATZMON
Idées fausses
Comment ils se sont tous plantés à propos de l’Ukraine

Gilad Atzmon, 16/3/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Jérusalem 1973

Ashraf Marwan est une figure controversée au sein de la communauté du renseignement israélien. Certains le considèrent comme le meilleur espion arabe d'Israël, d'autres comme un maître de l'espionnage égyptien qui a trompé l'armée israélienne avant la guerre de 1973, qui a été un désastre militaire pour l'État juif. En juin 2007, Marwan est « tombé » du balcon de sa maison à Londres. Sa femme et de nombreux commentateurs ont accusé le Mossad de cet assassinat.


 Marwan était né en 1944 dans une famille égyptienne influente. À l'âge de 21 ans, il épouse Mona Nasser, la deuxième fille du président Gamal Abdel Nasser, et s'assure une place dans les coulisses du pouvoir dans le Caire des années 1960.

Après sa défaite humiliante lors de la guerre de 1967, l'Égypte a commencé à préparer son armée à reprendre la péninsule du Sinaï. Marwan était au courant des secrets les mieux gardés de l'Égypte : ses plans de guerre, les comptes rendus détaillés des exercices militaires, la documentation originale des contrats d'armement conclus par l'Égypte avec l'Union soviétique et d'autres pays, les tactiques militaires, les comptes rendus des réunions du haut commandement, les transcriptions des conversations privées de Sadate avec les dirigeants mondiaux, etc. Tout cela lui a permis de fournir à Israël des informations inestimables sur la guerre à venir.

Les renseignements fournis par Marwan au Mossad sont parvenus jusqu'aux bureaux des dirigeants politiques et militaires israéliens et ont façonné le soi-disant « concept » stratégique d'Israël après 1967, à savoir la conviction que l'Égypte de Sadate ne lancerait pas de guerre contre Israël si ses exigences minimales n'étaient pas satisfaites. Sans avions d'attaque à longue portée et sans missiles Scud à longue portée, Israël a été amené à croire que l'Égypte ne pourrait pas surmonter la supériorité aérienne israélienne et ne lancerait pas une guerre.

Les rapports que Marwan a fournis à Israël contenaient des informations précieuses qui, bien qu'exactes, ont systématiquement contribué aux idées fausses d'Israël sur les aspirations, les plans et les capacités de l'Égypte.

En avril 1973, Marwan persuade le Mossad que l'Égypte prévoit une attaque contre Israël à la mi-mai. En conséquence, Israël a mis son armée en alerte rouge, mais la guerre de mai n'a jamais eu lieu. Fin septembre, Marwan convainc à nouveau le Mossad d'un plan d'attaque égyptien, mais cette fois le Mossad a perdu sa crédibilité et jusqu'à la dernière minute, les chefs militaires de Tsahal traitent les informations de Marwan avec suspicion. Ils l'ont pratiquement ignoré.

Quelques heures avant qu'elle ne commence, Marwan a fourni au Mossad un dernier avertissement qu'une guerre était sur le point d'être lancée. Tard le 5 octobre 1973, Tzvi Zamir, le chef du Mossad, rencontre Marwan à Londres et apprend qu'une guerre va commencer le lendemain à 18 heures. La guerre a effectivement commencé le lendemain, quatre heures plus tôt que prévu. La guerre de 1973 est considérée par Israël comme sa bévue militaire la plus humiliante et la plus scandaleuse. Israël n'était absolument pas préparé. Les bataillons de Tsahal sur la ligne de front ont été exposés à un assaut égyptien et syrien de grande envergure. Ils ont été anéantis en quelques heures. Certains affirment à juste titre que c'est uniquement parce que les armées égyptienne et syrienne avaient des plans limités en termes de gains territoriaux qu'Israël a survécu militairement à cette guerre et existe encore aujourd'hui. La plupart des commentateurs militaires israéliens s'accordent à dire que ce ne sont pas les généraux des FDI qui ont sauvé le pays, mais les soldats sur le terrain qui ont combattu héroïquement, dos au mur.

Le général Eli Zeira, alors directeur des renseignements militaires israéliens, est considéré comme l'un des principaux responsables de la bévue militaire de 1973. Zeira affirme que ce sont les informations trompeuses de Marwan qui ont conduit Israël à se méprendre sur les véritables intentions de l'Égypte. Zeira affirme que Marwan était un « agent double » ou, plus exactement, un habile maître de l'espionnage égyptien, qui a brillamment réussi à tromper les Israéliens en leur donnant une « fausse idée » du conflit. Ceux qui croient que Marwan a été assassiné par le Mossad ont tendance à accepter l'opinion du général Zeira.

Kiev 2022

Pendant des mois et des mois, l'USAmérique, la Grande-Bretagne et l'OTAN ont averti les Ukrainiens que la Russie préparait une guerre. Les USAméricains, en particulier, ont clairement indiqué qu'ils étaient au courant d'informations, qui, bien qu'elles ne puissent être partagées avec le grand public, indiquaient que Poutine préparait une attaque imminente. Naturellement, peu de gens ont cru à ces avertissements usaméricains répétés : au jour d’aujourd’hui, les services de renseignement usaméricains et britanniques ont été impliqués dans trop de bévues et de mensonges spectaculaires (dont les fantaisistes ADM en Irak et les attaques chimiques en Syrie) pour que personne, y compris les Ukrainiens, ne prenne ces institutions militaires au sérieux. Il était également évident que, plus encore que l'Ukraine ou la Russie ne souhaitait ou n'avait besoin d'un conflit militaire, c'est Washington et Londres qui en souhaitaient un. L'Ukraine est devenue une plaque tournante énergétique à la suite de la découverte d'importantes réserves de gaz et de pétrole sur son territoire. L'Occident y voyait une alternative à la Russie en tant que principal fournisseur de gaz à l'Europe.

Comme ce fut le cas avec Marwan en 1973, quelqu'un a « aidé » le Pentagone à élaborer un « concept » de « campagne russe imaginaire ». Dans le plan de guerre délirant des USAméricains, Poutine s'emparerait des régions russophones de l'Ukraine à l'est et pourrait également tenter de s'emparer d'un peu de terrain au sud pour créer un passage terrestre vers la Crimée. Cette guerre aurait pris fin en peu de temps car ses objectifs militaires étaient limités. L'Ukraine accepterait les gains territoriaux russes car ils lui permettraient de se débarrasser de ses régions les plus problématiques et les plus contestées. La Russie serait condamnée mais, dans ce scénario, lorsque la paix prévaudrait, l'Ukraine serait en mesure de rejoindre l'UE et peut-être même l'OTAN et, surtout, de devenir le premier fournisseur d'énergie de l'Europe.

Ce « concept » de guerre pourrait bien avoir été induit par une personnage de Poutine/Marwan. Il a induit les USAméricains et les Britanniques en erreur et leur a permis de construire une vision stratégique et géopolitique totalement erronée. L'armée ukrainienne a été assez stupide pour suivre le scénario des services de renseignement du Pentagone et a déployé ses unités d'élite à l'Est. Ces unités se sont préparées à une guerre express sur des territoires contestés mais définis. Mais ce n'est pas la guerre qui s'est produite. Au contraire, ce qui s'est passé a été tragique pour l'Ukraine et son armée. Juste avant l'invasion russe du 24 février, il est apparu clairement que la Russie avait étendu ses exercices militaires au Belarus. Quelques jours plus tard, la Russie a lancé sa campagne militaire. Le principal effort de la Russie a été lancé depuis le Belarus et visait la capitale ukrainienne, Kiev, et non les régions orientales comme prévu. En une simple manœuvre, l'armée russe a réussi à isoler la majeure partie de l'armée ukrainienne, loin de la capitale et sans voies d'approvisionnement ni soutien logistique de l'Ouest.

07/11/2021

YOSSI MELMAN
Saddam Haftar, le fils de l'homme fort de la Libye, a visité Israël, cherchant à établir des relations diplomatiques pour obtenir une aide militaire

Yossi Melman, Haaretz, 7/11/2021

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Alors que l’élection présidentielle libyenne est prévue pour le 24 décembre, Saddam Haftar a atterri à Tel Aviv la semaine dernière pour une réunion secrète. Une normalisation israélienne avec la Libye pourrait-elle se profiler à l'horizon ?

Le maréchal libyen Khalifa Haftar, deuxième à partir de la gauche, à côté de son jet privé. Son fils Saddam l'a utilisé pour une brève visite à l'aéroport Ben-Gourion la semaine dernière. Photo : Bureau d'information de l'armée libyenne/YouTube

Lundi dernier, un jet privé - un Dassault Falcon de fabrication française, immatriculé P4-RMA - a décollé de Dubaï et atterri à l'aéroport Ben-Gourion. L'avion est resté au sol pendant environ 90 minutes, puis a poursuivi sa route vers sa destination finale en Libye. Le jet appartient au chef de guerre libyen, le maréchal Khalifa Haftar, et est utilisé pour transporter sa famille et ses collaborateurs.

À   bord de l'avion se trouvait le fils du maréchal, Saddam Haftar. Le père et le fils cherchent à obtenir une aide militaire et diplomatique d'Israël, et promettent en échange que s'ils dirigent le gouvernement d'unité et de réconciliation nationales qui sera mis en place en Libye après l’élection présidentielle du 24 décembre, ils établiront des liens diplomatiques avec Jérusalem.

Saddam Haftar est également assisté par des sociétés de relations publiques et des conseillers stratégiques de France et des Émirats arabes unis. Selon des rapports non confirmés, des employés représentant la famille Haftar travaillent dans une société enregistrée aux Émirats arabes unis, dont certains Israéliens.

Le maréchal Khalifa Haftar est considéré comme l'homme le plus fort et le plus influent de Libye. Jusqu'à récemment, il dirigeait le gouvernement rebelle, dont le siège se trouve à Benghazi, dans l'est du pays, avec la plus grande et la plus importante force militaire du pays.

Saddam (à dr.) et son cousin Omar El Megrahi à bord du Falcon 50, d'une valeur de 2 à 4 millions de dollars.

Saddam Haftar est considéré comme le bras droit de son père, la santé du maréchal de 77 ans étant fragile. Il y a trois ans, le maréchal Haftar a été transporté d'urgence dans un hôpital militaire à Paris, sa vie étant en danger. Il a fait de lui un officier et l'a nommé commandant de brigade dans son armée, lui accordant depuis lors une autorité croissante.

05/11/2021

DAVID STAVROU
Ahmed Bouchikhi, la victime oubliée de l'un des plus grands fiascos du Mossad
Quand l’Opération « Colère de Dieu » dérapa

David Stavrou, Haaretz, 29/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

David Stavrou est un journaliste israélien vivant à Stockholm qui collabore régulièrement au quotidien israélien Haaretz. Ces dernières années, il a couvert une variété de questions suédoises, scandinaves et mondiales et a également écrit deux livres. Le plus récent raconte l'histoire de la diaspora israélienne en Europe et a été publié par l'éditeur israélien Pardes en janvier 2021. Stavrou est également enseignant et guide agréé de Stockholm.

Le meurtre des athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich en 72 et la campagne de vengeance israélienne qui a suivi ont donné lieu à de nombreux livres et films. Mais dans tous ces ouvrages, un personnage reste anonyme : Ahmed Bouchikhi.

Ahmed Bouchikhi. « De tous les pays qu'il a visités, c'est en Norvège qu'il a trouvé son bonheur. Et il y est resté, car c'est là qu'il a rencontré sa femme. Son bonheur est aussi devenu son désastre », raconte son frère. Photo : NTB SCANPIX MAG via AFP

Un matin de septembre 1994, peu après que le musicien français Jalloul "Chico" Bouchikhi s’est séparé des Gipsy Kings, le groupe de flamenco-pop à succès qu'il a fondé, il reçoit un appel téléphonique inattendu. Au bout du fil, une représentante de l'UNESCO qui semble désemparée. L'organisation culturelle des Nations unies organisait un concert spécial pour marquer le premier anniversaire de la signature des accords d'Oslo, en présence du ministre israélien des Affaires étrangères Shimon Peres et du président de l'OLP Yasser Arafat - avec la participation des Gipsy Kings, disait-elle. Mais voilà qu'à la onzième heure, alors que 24 000 billets avaient été vendus, ils ont été informés que le groupe avait manqué son vol pour Oslo. Bouchikhi accepterait-il de se produire à leur place avec son nouveau groupe, Chico & the Gypsies, pour éviter un fiasco ?

« J'ai dit oui. Je suis arrivé avec mes musiciens, nous avons informé le public que les Gipsy Kings ne pouvaient pas venir, mais que j'étais leur fondateur. Nous avons joué 'Bamboleo' et d'autres tubes du groupe, et ce fut un grand succès », se souvient Bouchikhi. « À la fin, Peres et Arafat sont montés sur scène et m'ont félicité. Je leur ai serré la main. Mes frères, qui vivaient à Paris et étaient venus pour le concert, ont pris des photos de l'événement ».

Cette apparition a lancé Bouchikhi, aujourd'hui âgé de 67 ans, sur une voie qu'il n'avait jamais imaginée pour lui-même. Il a été nommé envoyé de l'UNESCO pour la paix en 1996, agissant en tant qu'ambassadeur de bonne volonté et promouvant des messages de tolérance et de paix lors de ses spectacles. Mais si aujourd'hui il regarde son passé avec émotion, presque incrédule, comme "l'histoire d'un destin particulier", ce n'est pas parce que les Gipsy Kings ont raté leur vol et qu'il les a remplacés. C'est parce que, à l'insu de toutes les personnes impliquées à l'époque - ni l'UNESCO, ni Peres, ni Arafat, ni ceux qui étaient censés assurer leur sécurité - le destin ou le hasard avait placé les deux leaders sur une scène avec un musicien dont le frère avait été assassiné par erreur par des agents des services secrets israéliens parce qu'ils le prenaient pour un terroriste palestinien.

Chico Bouchikhi, musicien et envoyé de l'UNESCO. « Un incroyable coup du sort m'a conduit à comparaître devant deux responsables du meurtre de mon frère : Shimon Peres et Yasser Arafat ». Photo : Malte Ossowski/Sven Simon/dpa Picture Alliance via AFP

Compte tenu du fait que cette histoire concernait une organisation israélienne pour laquelle le secret est primordial, l'incident de 1973, connu sous le nom d'"affaire de Lillehammer", est très bien connu et bien documenté. Quiconque a parcouru des ouvrages tels que "Every Spy a Prince" (1990) de Yossi Melman et Dan Raviv ; "Lillehammer : Open Case", de Noam Nachman-Tepper (2020, hébreu) ; "The Quest for the Red Prince", de Michael Bar-Zohar et Eitan Haber (1984), ou bien d'autres, connaît le meurtre scandaleux d'Ahmed Bouchikhi. Serveur innocent, Bouchikhi a été abattu à Lillehammer, en Norvège, par des agents du Mossad qui l'avaient identifié, à tort, comme Ali Hassan Salameh, l'une des figures de proue de l'organisation Septembre noir, qui a perpétré le massacre de 11 athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich en 1972 [une partie des athlètes ont sans doute été tués par la police allemande à Fürstenfeldbruck, NdT].

24/09/2021

La machine à tuer télécommandée : comment le Mossad israélien a assassiné à distance le scientifique iranien Mohsen Fakhrizadeh

Eric Schmitt, Julian E. Barnes et Adam Goldman ont contribué à ce reportage
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Les agents israéliens voulaient tuer le principal scientifique nucléaire iranien depuis des années. Puis ils ont trouvé un moyen de le faire sans la présence d'agents sur place.

 

Mohsen Fakhrizadeh, le père du programme nucléaire iranien, gardait un profil bas, et les photos de lui étaient rares. Cette photo est apparue sur des affiches de martyrs après sa mort. Photo : Arash Khamooshi pour le New York Times

Le plus grand scientifique nucléaire iranien s'est réveillé une heure avant l'aube, comme il le faisait presque tous les jours, pour étudier la philosophie islamique avant de commencer sa journée.

 Cet après-midi-là, lui et sa femme quittent leur maison de vacances au bord de la mer Caspienne et se rendent dans leur maison de campagne à Absard, une ville bucolique à l'est de Téhéran, où ils ont prévu de passer le week-end.

Les services de renseignement iraniens l'avaient averti d'un possible complot d'assassinat, mais le scientifique, Mohsen Fakhrizadeh, l'avait balayé d'un revers de main.

Convaincu que M. Fakhrizadeh dirigeait les efforts de l'Iran pour fabriquer une bombe nucléaire, Israël voulait le tuer depuis au moins 14 ans. Mais il y avait eu tant de menaces et de complots qu'il n'y prêtait plus guère attention.

Malgré sa position éminente dans l'establishment militaire iranien, M. Fakhrizadeh voulait vivre une vie normale. Il avait envie de petits plaisirs domestiques : lire de la poésie persane, emmener sa famille au bord de la mer, faire des promenades à la campagne.

Et, passant outre les conseils de son équipe de sécurité, il se rendait souvent à Absard dans sa propre voiture au lieu de se faire conduire par ses gardes du corps dans un véhicule blindé. C'était une grave violation du protocole de sécurité, mais il a insisté.

Ainsi, peu après midi, le vendredi 27 novembre, il s'est glissé au volant de sa berline Nissan Teana noire, sa femme sur le siège passager à ses côtés, et a pris la route.

 
Jugal K. Patel

Une cible insaisissable

Depuis 2004, lorsque le gouvernement israélien a ordonné à son agence de renseignement étrangère, le Mossad, d'empêcher l'Iran d'obtenir des armes nucléaires, celle-ci a mené une campagne de sabotage et de cyberattaques contre les installations iraniennes d'enrichissement du combustible nucléaire. Le Mossad a également éliminé méthodiquement les experts censés diriger le programme d'armement nucléaire de l'Iran.

Depuis 2007, ses agents ont assassiné cinq scientifiques nucléaires iraniens et en ont blessé un autre. La plupart des scientifiques travaillaient directement pour M. Fakhrizadeh sur ce que les responsables des services de renseignement israéliens considèrent comme un programme secret de construction d'une ogive nucléaire, notamment pour surmonter les difficultés techniques considérables que pose la fabrication d'une ogive suffisamment petite pour être montée sur un des missiles à longue portée iraniens.

Les agents israéliens ont également tué le général iranien chargé du développement des missiles et 16 membres de son équipe.

01/09/2021

Il avait présenté Jonathan Pollard au Mossad, il devient général de brigade

Sam Sokol (avec JTA), Haaretz, 1/9/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Sam Sokol est reporter pour Haaretz. Il était auparavant correspondant du Jerusalem Post et a réalisé des reportages pour la Jewish Telegraphic Agency, l'Israel Broadcasting Authority et le Times of Israel. Il est l'auteur de Putin's Hybrid War and the Jews. @SamuelSokol

 

Aviem Sella a présenté Jonathan Pollard à son recruteur du Mossad au début des années 1980 alors qu'il étudiait à New York, mais il n'a jamais été jugé aux USA car Israël a refusé de l'extrader.

 
Aviem Sella, en 2012. Photo : Capture d'écran de la chaîne YouTube de l'Institut Fisher

Un ancien officier de l'armée de l'air israélienne, accusé d'espionnage aux USA pour son rôle dans l'affaire Pollard, va être promu au grade de général de brigade de réserve, a annoncé mercredi l'armée israélienne.

Le colonel (de réserve) Aviem Sella, 75 ans, ancien pilote qui a servi en tant que directeur des opérations de l'armée de l'air israélienne au début des années 1980, est à l'origine du premier contact d'Israël avec l'analyste de renseignements juif américain Jonathan Pollard. Sella a présenté Pollard à son recruteur du Mossad, l'ancien agent du Mossad Rafi Eitan, au début des années 1980 alors qu'il étudiait à New York, et a été son contact pendant plusieurs mois.

Sella a ensuite été inculpé par contumace pour espionnage, mais n'a pas été jugé car le gouvernement israélien a refusé de l'extrader vers les USA. Son affectation ultérieure au commandement d'une base aérienne près de la ville centrale de Rehovot a provoqué des tensions importantes entre Washington et Jérusalem, les fonctionnaires usaméricains ayant reçu l'ordre de cesser toute relation avec la base tant que Sella en serait responsable.

15/06/2021

La brigade internationale du Mossad en Iran

Yossi Melman, Haaretz, 15/6/2021

Traduit par Fausto Giudice

Dans son interview télévisée d'adieu, le chef sortant du Mossad, Yossi Cohen, a révélé des secrets que les autorités israéliennes censurent toujours dans les reportages des journalistes.

Lors d'une interview accordée à l'émission télévisée "Uvda" la semaine dernière, l'ancien chef du Mossad, Yossi Cohen, a déclaré que les opérations d'Israël en Iran étaient menées par une "équipe opérationnelle du Mossad" dont les agents parlent des "langues étrangères". D'après les questions et les réponses de cette interview révélatrice, ainsi que d'après le langage corporel et les sourires autosatisfaits de Cohen, il était facile de conclure que l'"équipe" qui a participé à l'audacieuse opération de vol des archives nucléaires militaires de l'Iran le 31 janvier 2018 était composée d'étrangers.


Image iranienne d'une chambre d'essai utilisée pour mener des expériences sur les explosifs pour une bombe nucléaire

Le Mossad utilise des citoyens étrangers pour ses opérations en Iran et ailleurs. Les médias israéliens et internationaux en ont fait état dans le passé. On peut présumer que ces personnes sont bien payées. Les porte-parole iraniens les appellent des "mercenaires". Mais lorsque le chef du Mossad lui-même révèle cela, il renforce la fausse impression que le service de renseignement israélien, qui a la réputation mondiale d'être l'un des meilleurs et des plus professionnels, n'est qu'un gang qui agit comme une organisation criminelle externalisée.

La communauté du renseignement israélien a toujours été assistée par des étrangers. Certains étaient juifs et le faisaient soit volontairement, soit en échange de rétributions. D'autres avaient des motivations idéologiques, comme l'identification à l'État d'Israël et à ses luttes. D'autres encore étaient des non-Juifs de diverses religions et nationalités, qui étaient recrutés pour recueillir des informations ou apportaient une aide logistique, en louant des planques, des véhicules, en participant à des surveillances, des repérages ou en envoyant des coursiers pour transférer des fonds ou du matériel.

Chaque service de renseignement utilise une variété de capacités et d'outils opérationnels. Le Mossad et les forces spéciales du renseignement militaire se sont appuyés sur des agents étrangers en raison de leur accès, y compris pour des opérations particulièrement dangereuses au -delà de la frontière. Cela s'est produit au Liban, en Syrie ou en Irak, mais seulement en dernier recours.

Le Mossad a toujours donné la priorité aux opérations "bleues et blanches", c'est-à-dire menées par des citoyens israéliens, surtout lorsqu'il s'agit d'opérations sensibles comme les assassinats et les sabotages. Cela découle de la fierté nationale, mais surtout du fait que dans des situations aussi dangereuses et sensibles, les Israéliens sont plus dignes de confiance que les étrangers, dont les motivations sont principalement financières ou personnelles, comme la vengeance. En outre, les combattants israéliens des unités de première ligne comme l'unité Kidon du Mossad ont une formation militaire appropriée et un sentiment de fierté nationale. Ils savent qu'ils risquent leur vie pour le pays où ils vivent avec leur famille. Leur formation et l'expérience acquise au cours des missions sont cumulatives. Ils peuvent être utilisés à plusieurs reprises, ce qui permet de limiter le nombre de personnes ayant accès à des informations sensibles et de mieux préserver le secret.

Une capture d'écran de l'interview télévisée d'adieu de Yossi Cohen, chef sortant du Mossad. Photo Keshet 12