17/03/2022

GILAD ATZMON
Idées fausses
Comment ils se sont tous plantés à propos de l’Ukraine

Gilad Atzmon, 16/3/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Jérusalem 1973

Ashraf Marwan est une figure controversée au sein de la communauté du renseignement israélien. Certains le considèrent comme le meilleur espion arabe d'Israël, d'autres comme un maître de l'espionnage égyptien qui a trompé l'armée israélienne avant la guerre de 1973, qui a été un désastre militaire pour l'État juif. En juin 2007, Marwan est « tombé » du balcon de sa maison à Londres. Sa femme et de nombreux commentateurs ont accusé le Mossad de cet assassinat.


 Marwan était né en 1944 dans une famille égyptienne influente. À l'âge de 21 ans, il épouse Mona Nasser, la deuxième fille du président Gamal Abdel Nasser, et s'assure une place dans les coulisses du pouvoir dans le Caire des années 1960.

Après sa défaite humiliante lors de la guerre de 1967, l'Égypte a commencé à préparer son armée à reprendre la péninsule du Sinaï. Marwan était au courant des secrets les mieux gardés de l'Égypte : ses plans de guerre, les comptes rendus détaillés des exercices militaires, la documentation originale des contrats d'armement conclus par l'Égypte avec l'Union soviétique et d'autres pays, les tactiques militaires, les comptes rendus des réunions du haut commandement, les transcriptions des conversations privées de Sadate avec les dirigeants mondiaux, etc. Tout cela lui a permis de fournir à Israël des informations inestimables sur la guerre à venir.

Les renseignements fournis par Marwan au Mossad sont parvenus jusqu'aux bureaux des dirigeants politiques et militaires israéliens et ont façonné le soi-disant « concept » stratégique d'Israël après 1967, à savoir la conviction que l'Égypte de Sadate ne lancerait pas de guerre contre Israël si ses exigences minimales n'étaient pas satisfaites. Sans avions d'attaque à longue portée et sans missiles Scud à longue portée, Israël a été amené à croire que l'Égypte ne pourrait pas surmonter la supériorité aérienne israélienne et ne lancerait pas une guerre.

Les rapports que Marwan a fournis à Israël contenaient des informations précieuses qui, bien qu'exactes, ont systématiquement contribué aux idées fausses d'Israël sur les aspirations, les plans et les capacités de l'Égypte.

En avril 1973, Marwan persuade le Mossad que l'Égypte prévoit une attaque contre Israël à la mi-mai. En conséquence, Israël a mis son armée en alerte rouge, mais la guerre de mai n'a jamais eu lieu. Fin septembre, Marwan convainc à nouveau le Mossad d'un plan d'attaque égyptien, mais cette fois le Mossad a perdu sa crédibilité et jusqu'à la dernière minute, les chefs militaires de Tsahal traitent les informations de Marwan avec suspicion. Ils l'ont pratiquement ignoré.

Quelques heures avant qu'elle ne commence, Marwan a fourni au Mossad un dernier avertissement qu'une guerre était sur le point d'être lancée. Tard le 5 octobre 1973, Tzvi Zamir, le chef du Mossad, rencontre Marwan à Londres et apprend qu'une guerre va commencer le lendemain à 18 heures. La guerre a effectivement commencé le lendemain, quatre heures plus tôt que prévu. La guerre de 1973 est considérée par Israël comme sa bévue militaire la plus humiliante et la plus scandaleuse. Israël n'était absolument pas préparé. Les bataillons de Tsahal sur la ligne de front ont été exposés à un assaut égyptien et syrien de grande envergure. Ils ont été anéantis en quelques heures. Certains affirment à juste titre que c'est uniquement parce que les armées égyptienne et syrienne avaient des plans limités en termes de gains territoriaux qu'Israël a survécu militairement à cette guerre et existe encore aujourd'hui. La plupart des commentateurs militaires israéliens s'accordent à dire que ce ne sont pas les généraux des FDI qui ont sauvé le pays, mais les soldats sur le terrain qui ont combattu héroïquement, dos au mur.

Le général Eli Zeira, alors directeur des renseignements militaires israéliens, est considéré comme l'un des principaux responsables de la bévue militaire de 1973. Zeira affirme que ce sont les informations trompeuses de Marwan qui ont conduit Israël à se méprendre sur les véritables intentions de l'Égypte. Zeira affirme que Marwan était un « agent double » ou, plus exactement, un habile maître de l'espionnage égyptien, qui a brillamment réussi à tromper les Israéliens en leur donnant une « fausse idée » du conflit. Ceux qui croient que Marwan a été assassiné par le Mossad ont tendance à accepter l'opinion du général Zeira.

Kiev 2022

Pendant des mois et des mois, l'USAmérique, la Grande-Bretagne et l'OTAN ont averti les Ukrainiens que la Russie préparait une guerre. Les USAméricains, en particulier, ont clairement indiqué qu'ils étaient au courant d'informations, qui, bien qu'elles ne puissent être partagées avec le grand public, indiquaient que Poutine préparait une attaque imminente. Naturellement, peu de gens ont cru à ces avertissements usaméricains répétés : au jour d’aujourd’hui, les services de renseignement usaméricains et britanniques ont été impliqués dans trop de bévues et de mensonges spectaculaires (dont les fantaisistes ADM en Irak et les attaques chimiques en Syrie) pour que personne, y compris les Ukrainiens, ne prenne ces institutions militaires au sérieux. Il était également évident que, plus encore que l'Ukraine ou la Russie ne souhaitait ou n'avait besoin d'un conflit militaire, c'est Washington et Londres qui en souhaitaient un. L'Ukraine est devenue une plaque tournante énergétique à la suite de la découverte d'importantes réserves de gaz et de pétrole sur son territoire. L'Occident y voyait une alternative à la Russie en tant que principal fournisseur de gaz à l'Europe.

Comme ce fut le cas avec Marwan en 1973, quelqu'un a « aidé » le Pentagone à élaborer un « concept » de « campagne russe imaginaire ». Dans le plan de guerre délirant des USAméricains, Poutine s'emparerait des régions russophones de l'Ukraine à l'est et pourrait également tenter de s'emparer d'un peu de terrain au sud pour créer un passage terrestre vers la Crimée. Cette guerre aurait pris fin en peu de temps car ses objectifs militaires étaient limités. L'Ukraine accepterait les gains territoriaux russes car ils lui permettraient de se débarrasser de ses régions les plus problématiques et les plus contestées. La Russie serait condamnée mais, dans ce scénario, lorsque la paix prévaudrait, l'Ukraine serait en mesure de rejoindre l'UE et peut-être même l'OTAN et, surtout, de devenir le premier fournisseur d'énergie de l'Europe.

Ce « concept » de guerre pourrait bien avoir été induit par une personnage de Poutine/Marwan. Il a induit les USAméricains et les Britanniques en erreur et leur a permis de construire une vision stratégique et géopolitique totalement erronée. L'armée ukrainienne a été assez stupide pour suivre le scénario des services de renseignement du Pentagone et a déployé ses unités d'élite à l'Est. Ces unités se sont préparées à une guerre express sur des territoires contestés mais définis. Mais ce n'est pas la guerre qui s'est produite. Au contraire, ce qui s'est passé a été tragique pour l'Ukraine et son armée. Juste avant l'invasion russe du 24 février, il est apparu clairement que la Russie avait étendu ses exercices militaires au Belarus. Quelques jours plus tard, la Russie a lancé sa campagne militaire. Le principal effort de la Russie a été lancé depuis le Belarus et visait la capitale ukrainienne, Kiev, et non les régions orientales comme prévu. En une simple manœuvre, l'armée russe a réussi à isoler la majeure partie de l'armée ukrainienne, loin de la capitale et sans voies d'approvisionnement ni soutien logistique de l'Ouest.

En attaquant l'Ukraine depuis la Biélorussie, les Russes ont copié la manœuvre d'Hitler en Belgique. En 1940, les Français ont attendu les panzers allemands sur la ligne Maginot, largement fortifiée. Mais les Allemands ont contourné la ligne Maginot et sont entrés en France par la Belgique, se dirigeant directement vers le ventre mou de la France et Paris. Cela a laissé les militaires français bloqués à la ligne Maginot et exposés par l'arrière car l'ennemi était alors derrière eux. Il aurait été utile que les généraux usaméricains, britanniques et ukrainiens passent un peu de temps à apprendre l'histoire militaire ou même à regarder des documentaires pertinents sur la chaîne historique youtube.

Pourquoi ces chefs militaires ont-ils mal évalué les plans de Poutine et les objectifs stratégiques russes ? Comme cela s'est produit avec Marwan en 1973, quelqu'un ou quelque chose a implanté chez les décideurs usaméricains, britanniques et ukrainiens une idée totalement fausse des intentions russes. Cette bévue a provoqué un désastre total pour l'Ukraine, son peuple, son armée et l'intégrité de son territoire. C'est leur choc total face à la décision russe d'envahir l'Ukraine à partir du Belarus qui a conduit l'Occident à la panique et à une escalade rapide des sanctions et du langage. Pour l'Occident, la situation est sans espoir. Même si l'OTAN aurait voulu soutenir les forces ukrainiennes, elle ne le peut littéralement pas. Les nations européennes qui ont promis de fournir des équipements militaires à l'armée ukrainienne ne peuvent pas le faire car l'armée ukrainienne est coupée à l'Est. Si vous ne le croyez pas, posez une simple question. Comment a-t-il été possible que le convoi russe de 60 km soit arrêté, restant immobile comme des canards assis pendant 10 jours sans être attaqué ? La réponse est simple. L'armée ukrainienne est incapable de s'engager dans un effort militaire concentré. Elle est limitée dans sa capacité à attaquer la logistique russe et elle ne peut certainement pas lancer une contre-attaque. Les idées fausses ont un prix, surtout lorsque vos dirigeants s'engagent dans un bellicisme acharné. Pourtant, comme en Israël en 1973, en Ukraine en 2022, ce ne sont pas les généraux ou le mini oligarque-acteur/président qui peuvent sauver la situation. Ce sont les combattants héroïques et résilients sur le terrain. Ils ne semblent pas vouloir abandonner et se battent jusqu'à leur dernière goutte de sang.

Moscou 2022

L'armée russe a « atteint » ses objectifs en deux jours seulement : elle a éliminé l'armée ukrainienne et démantelé sa capacité à défendre le pays, sans parler de la sécurisation des environs de la capitale. L'armée de l'air ukrainienne a perdu le contrôle du ciel ukrainien dès le premier jour. Les centres de commandement à travers le pays ont été détruits. Malgré ces pertes, malgré leur nette supériorité militaire, les Russes n'ont pas gagné la guerre, loin de là, une victoire décisive n'est pas à l'horizon.

Les planificateurs de guerre russes sont tombés dans le même piège que leurs homologues de l'OTAN et de l'Ukraine. Ils se sont également fait une idée erronée de l'Ukraine. Les Russes ont surestimé le soutien qu'ils trouveraient au sein de la population et de la classe politique ukrainienne. Ils ont largement sous-estimé la volonté des Ukrainiens de défendre leur territoire. Ils ont sous-estimé la réaction de l'Occident à leur campagne. Ils ont grossièrement sous-estimé l'animosité du monde envers la Russie, ses dirigeants, ses oligarques israéliens/russes. Ils ne pouvaient pas envisager la solidarité actuelle avec les Ukrainiens et leur résistance. Ils ne pouvaient certainement pas voir Zelensky, l'acteur, se transformer en un personnage à la Che Guevara : à leurs yeux et pour de bonnes raisons, il était considéré comme un personnage comique et une marionnette politique. Les généraux russes modernistes et vieux jeu ne comprenaient pas que dans un monde façonné par les Tik Tok et les Zuckerberg, il suffit d'une simple question de maquillage et de costume pour qu'un acteur masculin qui dansait dans des chaussures à talonnettes devienne un « combattant de la liberté » emblématique.


Les Russes se sont trompés sur la plupart des fronts. Mais être maladroit, lourd, mal calculé et délirant n'est pas nouveau pour la Russie, cela pourrait même être gravé dans le mode opérationnel russe. Tout au long de son histoire, la Russie a été prise de paresse et de dysfonctionnement dans des batailles contre des ennemis qui lui étaient supérieurs sur le plan technologique, tactique et spirituel. Rappelez-vous qu'à un moment donné, les Soviétiques ont failli perdre leur capitale au profit du 3e  Reich. Leurs alliés (USA et Grande-Bretagne) les ont trahis, mais malgré cela, c'est l'URSS qui a gagné la grande guerre et a poursuivi l'armée allemande vaincue sur tout le chemin de Stalingrad à Berlin. Les Russes sont en quelque sorte résistants, ou du moins l'étaient.

Je conçois mal, donc je suis

Être prisonnier d'idées fausses est probablement inhérent à la condition humaine. Projeter nos propres fautes sur les autres est souvent le moyen par lequel nous provoquons des catastrophes sur nous-mêmes. Mais en 2022, les Ashraf Marwan ne se contentent pas de manipuler les dirigeants ou les généraux. Dans le monde dans lequel nous nous trouvons, la duplicité incessante est conçue pour nous asservir tous. Nous sommes constamment entraînés  à être tourmentés par les « catastrophes mondiales », du « climat » au « COVID », de la « Russie » à l'énergie, à l'économie et vice-versa. Nous sommes maintenus dans un état d'hystérie collective constant, unis contre notre « ennemi public » (mondial) du moment. Sans surprise, ce mode de panique « universel » est destiné à rendre les riches plus riches.


Il me semble que ceux qui ont détecté la profonde méprise propagandiste impulsée par Fauci, Bill Gates et Bourla [DG de Pfizer]ont également tendance à se méfier du continuum entre Biden (le père et le fils), Johnson et Zelensky.


Ce n'est pas une question de gauche ou de droite, ce n'est pas une question d'éducation ou de capacité cognitive. C'est une division claire entre Jérusalem et Athènes qui nous divise aujourd'hui et pourrait bien nous conduire à une guerre civile mondiale. Jérusalem, dans ce contexte (tel que défini par Leo Strauss), est la ville de la révélation. Elle se maintient en maintenant la tyrannie de la rectitude, du légalisme (Torah et Mitzvoth). Athènes, au contraire, est le berceau de la philosophie (occidentale). Il s'agit du scepticisme, de la capacité  à penser par soi-même. Alors que Chomsky et Dershowitz vous disent quoi dire - ce qui est bien et qui est mal-, Kant et Heidegger vous enseignent comment comprendre les choses par vous-même.


Pour survivre aux Marwan et vaincre les idées fausses, le scepticisme n'est pas seulement un outil, c'est une nécessité existentielle. Pourtant, un tel scepticisme est presque impossible à maintenir, il implique une régression constante et une remise en question permanente de vos pensées et conclusions les plus élémentaires.

Jérusalem est en train de gagner, du moins pour le moment, et pour des raisons évidentes. Il est plus facile de former les gens à agir comme des moutons et à être politiquement corrects que de les encourager à penser par eux-mêmes et à permettre des résultats imprévisibles. Par conséquent, la survie du sceptique est une guerre solitaire qui ressemble à une insurrection héroïque, c'est une guérilla.

Il est peut-être temps d'accepter que la véritable signification de la mondialisation est l'acceptation qu'il n'y a pas de refuge, pas d'abri sûr, pas d'échappatoire. Même lorsque vous voyez tout cela, les mensonges, la propagande, la tyrannie du correct, Jérusalem et le déclin de l'Occident tel que nous le connaissons, vous êtes toujours enfermé avec le reste de l'humanité dans un vaisseau qui descend en spirale vers l'impact.

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