Luis Casado, 20/3/2022
Traduit par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Le monde est grand, dit Luis Casado, mais l' « Occident », c'est-à-dire les USA et l'Union européenne (12 % de la population mondiale), s'arroge l'exclusivité de l'opinion de la « communauté internationale ». La balance est en train de changer. La « volatilité » de l'ordre mondial s’accentue. Cette fois, il n'est pas certain que Mickey sorte vainqueur de ces tensions...
Voici à quoi ressemblent les supermarchés de Moscou cette semaine. Les sanctions de l' « Occident » fonctionnent à l'envers...
De mes pérégrinations professionnelles, qui m'ont conduit sur les cinq continents, j'ai tiré une leçon : malgré tous ses efforts, le monde ne se résume pas à ce qu'on appelle l' « Occident », ou « communauté internationale », appellation qui, comme le dit Régis Debray, a été monopolisée par les USA et leur protectorat européen. Moins de 12 % de la population mondiale.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'Amérique du Sud, la Malaisie, l'Éthiopie et une longue liste d'autres pays et régions du monde ne font pas partie de cette éphémère « communauté internationale » qui accapare le monopole de l'opinion planétaire.
Il y a des années, en traversant l'aéroport de Changi à Singapour, j'ai été stupéfait de voir en quelques minutes plus de diversité de peuples, d'ethnies, de cultures, de langues, de dialectes, de vêtements, de couleurs de peau, de religions, de musique et de nourriture que je n'en avais jamais connue de toute ma vie. Une partie de ces 88% qui ne comptent pas.
Réduire le monde à l’ « l'Occident » présente des avantages : on peut ainsi massacrer en Palestine, en Yougoslavie, en Irak, en Iran, au Yémen, au Mali, en Libye, en Syrie, en Afghanistan... sans sanctions d'aucune sorte, puisque « l'Occident » et la « communauté internationale » sont du côté des massacreurs. Les Palestiniens, les Yougoslaves, les Irakiens, les Iraniens, les Yéménites, les Maliens, les Libyens, les Syriens et les Afghans... peuvent aller se faire voir. Pour le temps qu'il faudra : le drame palestinien a déjà, je le sais par cœur, 73 ans : je suis né en 1948, l'année de la Nakba, la « catastrophe », l'année où Israël a été inventé sur un territoire peuplé d'Arabes.
Lorsque la Russie a envahi l'Ukraine, la condamnation de l'"Occident" et de la "communauté internationale" a été totale. Le monde entier s'est soulevé contre la Russie. Vraiment ? Des pays comme l'Inde et la Chine se sont abstenus. Tout comme le Sénégal, ancienne colonie française où l’« influence » de la métropole se fait encore sentir. Et d'autres pays encore qui estiment que l'OTAN porte une lourde responsabilité dans la question ukrainienne, responsabilité occultée par la presse, la radio et la télévision « occidentales ». Cette dernière - et je mesure ce que je dis - a adopté une méthode de reportage goebbelsienne : tout mensonge stupide passe, déguisé en demi-vérité, et à la fin, il en reste toujours quelque chose.
Pour construire ses propres arguments, la presse « occidentale » a d'abord affirmé que l'Ukraine n'avait que peu, voire rien, à voir avec la Russie. Le droit à l'indépendance de l'Ukraine est ainsi clairement établi. Puis, pour soutenir que beaucoup de Russes sont contre la guerre, ils ont dit le contraire : il y a beaucoup de liens entre les Ukrainiens et les Russes. Le cynisme en matière d' « information » est époustouflant. Rien de nouveau sous le soleil : pour détruire la Yougoslavie, l'OTAN a toléré et même encouragé la fameuse « purification ethnique », par exemple en Croatie. Tout ce qui était serbe devait disparaître. Mais il y avait des milliers de familles recomposées et un méli-mélo de peuples qui, dans le feu de la notion de « pureté raciale », ont généré un massacre d’envergure. Toute ressemblance avec la propagande nazie est loin d’être une coïncidence.
Je suis à Moscou depuis mercredi dernier. J'étais curieux de voir comment la Russie s'effondre, à en croire la presse « occidentale ». Bien sûr, la population est agitée. Les Russes ont payé le prix fort lors de la Seconde Guerre mondiale. Ce sont eux qui ont libéré l'Europe. Le nombre total de victimes a été estimé à 25 millions de morts. Je ne veux pas casser les pieds, mais les USA, eux, ont perdu 292 000 soldats. Y compris dans la guerre du Pacifique, contre le Japon.
En Russie, dans chaque isba, dans chaque derevnya [village], on connait le prix de la guerre. Sur les rives de la Moskova, près de la Place Rouge, j'ai demandé à une dame d'un certain âge : « Que pensez-vous de la guerre en Ukraine ? » Sa réponse a été aussi simple que franche : « Nous n'avons pas besoin de guerre. Et nous n'avons pas non plus besoin que l'OTAN nous encercle de tous côtés ».
Même réponse des chauffeurs de taxi, des commerçants et des amis ukrainiens et russes avec lesquels nous avons partagé une merveilleuse soirée dans un quartier modeste de Moscou, près de la gare de Nowe Cheryomushki. Aucun de mes amis n'est membre du fan club de Vladimir Poutine, mais ils espèrent toujours que son bon sens prévaudra dans la gestion des crises. « Parce que les crétins qui dirigent l' « Occident » sont des nains mentaux ». Comment ne pas leur donner raison ?
Jeudi, nous avons assisté à une représentation d'un classique du théâtre russe, Le Bal Masqué [Маскарад] de Mikhail Lermontov (1835). Au théâtre Wahtangov de la rue Arbat, qui fête cette année un siècle d'offre du meilleur de la littérature russe. Le Bal Masqué a été la dernière pièce jouée avant que les nazis n'envahissent la Russie en 1941. J'ai passé un moment merveilleux. Bien sûr, je n'ai pu reconnaître que quelques rares mots du russe encore plus clairsemé que j'ai appris. Mais la musique d'Aram Khatchatourian est extraordinaire.
Pendant ce temps, les sanctions de l' « Occident » causent plus de dommages à l'économie européenne qu'à l'économie russe. Le rouble, qui s'est dévalué de 50% en quelques semaines, commence à remonter : en quelques jours, le taux de change est passé de 140 roubles pour un euro, à seulement 100. L'euro souffre également car les investisseurs fuient l'Europe, effrayés par la perspective d'une guerre.
J'ai l'impression que les USA, par le biais de l'OTAN, ont la Russie en guise d'amuse-gueule avant d'affronter la Chine. La guerre en Ukraine, je l'ai déjà dit, a été provoquée dans le cadre d'une bataille pour le contrôle de la planète. Pour l' « Occident », l'Ukraine est un pion sacrifié dans la partie d'échecs mondiale. Mes amis ukrainiens sont d'accord avec ce point de vue.
Pas seulement eux : en attendant l'heure du théâtre, j'ai rencontré un groupe de jeunes gens venus d'Inde. À ma grande surprise, deux d'entre eux font partie de la famille Gandhi. Ce fut un échange fructueux. Je leur ai parlé de mes voyages à Calcutta, Bombay, Delhi, Secunderabad et Hyderabad, ainsi que de mon admiration pour ce qu'ils font dans l'État du Kerala, le centre névralgique de la haute technologie indienne. Nous parlons bien sûr de l'Ukraine ; eux aussi sont clairs : quoi qu’on dise, l'OTAN porte une grande part de responsabilité dans cette tragédie.
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