Affichage des articles dont le libellé est Palestine/Israël. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Palestine/Israël. Afficher tous les articles

11/05/2024

GIDEON LEVY
Les dirigeants d’Israël doivent être arrêtés pour crimes de guerre


Gideon Levy, Haaretz, 5/5/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Tout Israélien digne de ce nom doit se poser les questions suivantes : son pays commet-il des crimes de guerre à Gaza ? Si c’est le cas, comment les arrêter ? Comment punir les coupables ? Qui peut les punir ? Est-il raisonnable que les crimes ne soient pas poursuivis et que les criminels soient disculpés ?

Rahma Cartoons

 On peut bien sûr répondre par la négative à la première question - Israël ne commet pas de crimes de guerre à Gaza - ce qui rend le reste des questions superflues.

 Mais comment répondre par la négative face aux faits et à la situation à Gaza : environ 35 000 personnes tuées et 10 000 autres disparues, dont environ deux tiers de civils innocents, selon les Forces de défense israéliennes ; parmi les morts, on compte environ 13 000 enfants, près de 400 travailleurs médicaux et plus de 200 journalistes ; 70 % des maisons ont été détruites ou endommagées ; 30 % des enfants souffrent de malnutrition aiguë ; deux personnes sur 10 000 meurent chaque jour de faim et de maladie. (Tous les chiffres proviennent des Nations unies et d’organisations internationales).

Est-il possible que ces chiffres horribles aient été atteints sans que des crimes de guerre aient été commis ? Il y a des guerres dont la cause est juste et les moyens criminels ; la justice de la guerre ne justifie pas ses crimes. Les meurtres et les destructions, la famine et les déplacements de population à cette échelle n’auraient pas pu se produire sans que des crimes de guerre ne soient commis. Des individus en sont responsables et doivent être traduits en justice.

La hasbara israélienne, ou diplomatie publique, n’essaie pas de nier la réalité à Gaza. Elle se contente d’invoquer l’antisémitisme : pourquoi s’en prendre à nous ? Et le Soudan et le Yémen ? La logique ne tient pas : un conducteur arrêté pour excès de vitesse ne s’en sortira pas en arguant qu’il n’est pas le seul. Les crimes et les criminels demeurent. Israël ne poursuivra jamais personne pour ces délits. Il ne l’a jamais fait, ni pour ses guerres ni pour son occupation. Dans les bons jours, il poursuivra un soldat qui a volé la carte de crédit d’un Palestinien.

Mais le sens humain de la justice veut que les criminels soient traduits en justice et empêchés de commettre des crimes à l’avenir. Dans cette logique, nous ne pouvons qu’espérer que la Cour pénale internationale de La Haye fera son travail.

Tous les patriotes israéliens et tous ceux qui se soucient du bien de l’État devraient le souhaiter. Ce n’est qu’ainsi que la norme morale d’Israël, selon laquelle tout lui est permis, changera. Il n’est pas facile d’espérer l’arrestation des chefs de son État et de son armée, et encore plus difficile de l’admettre publiquement, mais y a-t-il un autre moyen de les arrêter ?

Les tueries et les destructions à Gaza ont mis Israël dans l’embarras. C’est la pire catastrophe à laquelle l’État ait jamais été confronté. Quelqu’un l’a conduit là - non, pas l’antisémitisme, mais plutôt ses dirigeants et ses officiers militaires. Sans eux, Israël ne serait pas passé si rapidement, après le 7 octobre, du statut de pays chéri et inspirant la compassion à celui d’État paria.

Quelqu’un doit être jugé pour cela. Tout comme de nombreux Israéliens souhaitent que Benjamin Netanyahou soit puni pour la corruption dont il est accusé, ils devraient souhaiter que lui et les auteurs qui lui sont subordonnés soient punis pour des crimes bien plus graves, les crimes de Gaza.

Ils ne peuvent rester impunis. Il n’est pas non plus possible de blâmer uniquement le Hamas, même s’il a une part de responsabilité dans les crimes. C’est nous qui avons tué, affamé, déplacé et détruit à une telle échelle. Quelqu’un doit être traduit en justice pour cela. Netanyahou est le chef, bien sûr. L’image de lui emprisonné à La Haye avec le ministre de la défense et le chef d’état-major de Tsahal est un cauchemar pour tout Israélien. Et pourtant, elle est probablement justifiée.

Elle est cependant très improbable. Les pressions exercées sur la Cour par Israël et les USA sont énormes (et erronées). Mais les tactiques de peur peuvent être importantes. Si les fonctionnaires s’abstiennent réellement de voyager à l’étranger au cours des prochaines années, s’ils vivent réellement dans la crainte de ce qui pourrait arriver, nous pouvons être sûrs que, lors de la prochaine guerre, ils réfléchiront à deux fois avant d’envoyer l’armée dans des campagnes de mort et de destruction aux proportions aussi insensées. Nous pouvons au moins trouver un peu de réconfort là-dedans.

 

08/05/2024

JOSE LUIS CARRETERO MIRAMAR
Neuf hypothèses sur Gaza, vue d’Occident

José Luis Carretero Miramar, Kaosenlared, 7/5/2024

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le génocide en cours dans la bande de Gaza est le premier grand anéantissement d’un peuple à être entièrement télévisé. Depuis la rive opposée de la Méditerranée, nous pouvons voir les panaches de fumée qui s’élèvent des bombardements et nos smartphones sont remplis d’images atroces du massacre et de la mutilation des enfants de Gaza.

Si les philosophes de l’après-guerre, dans les années heureuses du modèle social européen, se demandaient ce qui poussait les citoyens allemands à assister passivement à l’émergence des stalags et des camps de concentration hitlériens, l’intelligentsia occidentale devrait aujourd’hui se demander pourquoi personne ne fait rien contre ce qui se passe à Gaza. Et nous disons bien agir, et non pas faire des déclarations ou promettre des mesures futures qui ne seront jamais mises en œuvre.

Je propose neuf hypothèses sur la manière dont l’Occident (et l’Espagne) considère Gaza et la Palestine. Sur l’aveuglement radical et l’immoralité génocidaire de notre génération et de notre époque.

Première hypothèse : Gaza est notre miroir

Gaza est l’image de l’Occident que l’Occident refuse de regarder. L’image la plus vraie de notre civilisation usée et orgueilleuse. Gaza est l’Occident, comme l’est la traite des esclaves africains qui a inondé l’Atlantique pendant les siècles de l’émergence des empires européens. Gaza, c’est l’Occident parce que c’est l’image la plus claire de ce qu’a été la relation de l’Occident avec le reste des peuples du monde depuis la conquête des Amériques et l’extension du colonialisme et de l’impérialisme. Gaza, c’est le massacre, le racisme, la dévastation sociale et culturelle. Le cadeau de l’Occident au monde. Mais mieux vaut ne pas le dire. Continuons à faire la fête.

Deuxième hypothèse : La solution n’est pas d’exiger le respect du droit international

Le droit international est un exemple paradigmatique de l’universalisme et du contenu prétendument humanitaire de la culture occidentale. Raison, droit, démocratie. Mais sans armes. La déesse Raison est le fondement du Droit, en tant qu’œuvre du pouvoir démocratique des peuples. Une belle légende.

Le droit international ne tend à être respecté que s’il confirme les intérêts pécuniaires et financiers des colonialistes et impérialistes occidentaux. Sinon, c’est de la poésie et rien d’autre. Le respect du droit suppose une force coercitive ayant le pouvoir de contraindre celui qui le viole. Et les organismes internationaux qui parrainent le droit international ont été intentionnellement conçus pour empêcher l’existence d’une telle force, si l’on veut contraindre l’Occident ou ses proches alliés à se conformer au droit. Arrêtons les mélodies abrutissantes et les légendes pastorales : il n’y a pas de droit international opérationnel pour défendre les faibles et les opprimés par l’Occident.

Troisième hypothèse : Delenda est democratia

La démocratie est morte. Dans certains pays européens, il est interdit de déployer un drapeau palestinien en public. Des militants pro-palestiniens ont été arrêtés et criminalisés dans la plupart des pays d’Europe et aux USA. Les juifs qui montrent leur horreur face au génocide de Gaza sont accusés d’antisémitisme. Les écrivaines palestiniennes sont exclues des manifestations culturelles et les congrès de solidarité avec le peuple gazaoui sont interdits. Dans les médias, tout représentant israélien est autorisé à s’exprimer, même s’il appartient à l’aile d’ultra-droite qui soutient Netanyahou, mais jamais quiconque a quelque chose à voir avec l’une ou l’autre des factions de la résistance palestinienne.

Parler des colonies a toujours été gênant en Occident. La plèbe occidentale, celle qui lutte pour joindre les deux bouts, a une tendance naturelle à se sentir proche des peuples non civilisés que nous avons dévastés et anéantis. Le peuple palestinien continuera d’attendre son père Las Casas. Personne ne se présentera devant les tribunaux pour défendre ces indigènes de la Méditerranée orientale. Et si quelqu’un le fait dans la rue, il risque d’être traité en ennemi de notre droit pénal et taxé d’antisémitisme par ceux qui identifient le judaïsme et le gouvernement de l’ultra-droite la plus radicale.

Quatrième hypothèse : Le racisme est consubstantiel à la domination occidentale

Le racisme est un produit de l’expansion mondiale de l’Occident, fondée sur la traite transatlantique des esclaves pendant des siècles. Dans les textes romains ou grecs classiques, la couleur de la peau n’est pas mentionnée comme marqueur du statut social. On ne parlait pas de “races”. La race est née avec l’esclavage et les colonies. Il fallait identifier les esclaves comme des sous-hommes, comme une “race” différente, pour pouvoir les soumettre sans complexe en parlant de christianisme, d’humanisme ou de libéralisme.

C’est le racisme qui explique que les Ukrainiens sont nos frères, pour lesquels nous serions prêts à succomber dans une guerre nucléaire, et que les Palestiniens sont des basanés qui suscitent chez nous la méfiance et une certaine peur. Le peuple palestinien est un peuple sémite (c’est drôle, non ?), plus foncé, musulman. L’Occident frémit devant les cris sur Youtube d’une jeune fille anglo-saxonne qui a perdu son chien dans un accident, mais ne bronche pas devant le massacre d’enfants à Gaza. Il y a une raison à cela. Et elle s’appelle le racisme.

Cinquième hypothèse : Le génocide est consubstantiel à la domination occidentale

Les Amérindiens, les habitants du Congo belge, les descendants de ceux qui vivaient à Tenochtitlán ou dans les Caraïbes à l’arrivée des Européens le savent. Le génocide est le grand cadeau de l’Occident au monde. Il est pratiqué avec passion et un dévouement inébranlable depuis plus de cinq cents ans.

La domination occidentale a été maintenue depuis lors par une somme variable de meurtres de masse, d’acculturation et de spoliation des survivants. Si le droit international avait un tant soit peu de réalité, sa première tâche serait de calculer les réparations dues pour l’esclavage et le génocide qui ont construit l’Amérique d’aujourd’hui et l’Afrique que nous connaissons. Nous pensions que cela appartenait au passé, jusqu’à ce que nous voyions les bombes à fragmentation commencer à tomber sur la population civile de Gaza.

Sixième hypothèse : Les Palestiniens sont les Juifs de notre génération

Nous, Occidentaux, aimons nous voir avec indulgence, comme des êtres éclairés et démocratiques, animés par l’humanisme de nos philosophes et de nos prêtres. Si vous nous posez la question, nous dirons que nous aurions défendu les Juifs, si nous avions vécu dans l’Allemagne nazie, que nous nous serions engagés contre l’esclavage et que nous aurions dénoncé, même au péril de notre vie, les fours crématoires d’Hitler.

Et pourtant, nous y sommes. Nous regardons l’extrême droite israélienne commettre un génocide sous notre nez éclairé et sophistiqué. Et nous permettons à ceux qui, même en tant que Juifs, s’opposent à l’horreur de ce grand camp de concentration appelé Gaza, d’être accusés d’antisémitisme. Le peuple palestinien a été abandonné par nos politiciens, nos diplomates, nos intellectuels, nos artistes. Seule une partie indispensable de la classe ouvrière et de la jeunesse s’obstine à descendre dans la rue, au risque d’être arrêtée, expulsée de l’université, taxée d’“antisémitisme”. Les nazis n’appelaient pas les juifs et les opposants des “dissidents”, ils les appelaient des “terroristes”, comme l’Occident appelle les Palestiniens qui ne se laissent pas tuer avec résignation.

Septième hypothèse : Ceux qui dirigent le monde sont les nazis de notre époque

La moitié des dirigeants occidentaux applaudissent le meurtre de masse de Netanyahou. L’autre moitié pleure de fausses larmes tout en continuant à faire des affaires avec les génocidaires. Les bébés de Gaza sont les dommages collatéraux de l’impérialisme. Pour ceux qui rédigent les communications publiques des dirigeants éclairés de nos gouvernements, le peuple palestinien est sacrifiable, une “race inférieure” inutile au processus d’accumulation du capital. Certains dirigeants nationaux-socialistes aimaient la musique classique. Il y a des politiciens, des journalistes et des hommes d’affaires européens et usaméricains qui lisent Kant et Zygmund Bauman avant de rencontrer les délégués de Netanyahou.

Huitième hypothèse : Nous devons faire quelque chose

Exiger le respect du droit international de ceux qui l’incarnent aujourd’hui n’est pas une proposition sérieuse. Faire appel à la bonne conscience de l’Occident et à la stature éthique de nos gouvernants n’est pas une proposition sérieuse. La seule proposition sérieuse est de faire quelque chose, comme ceux qui manifestent dans les rues, ceux qui occupent les universités ou ceux qui refusent d’acheminer dans les ports le matériel de guerre destiné à Gaza. Faire quelque chose, comme les Palestiniens qui résistent du mieux qu’ils peuvent, avec dignité et courage. Écrivez, criez, faites la grève. Et comme me l’a dit un militant palestinien il y a quelque temps, la meilleure chose que nous puissions faire pour eux est de pousser au changement ici, en Occident, dans nos pays, afin que le boucher Netanyahou ne trouve plus d’accolades solidaires lorsqu’il se rend en Europe ou aux USA.

Neuvième hypothèse : Cest le moment

Le moment de s’opposer à l’holocauste hitlérien était en 1940. Et de nombreux Espagnols l’ont fait, même les armes à la main, bien que nos gouvernements aient voulu nous le cacher pendant près d’un siècle. De nombreux Espagnols ont combattu dans la Résistance française, sont morts à Mauthausen, ont combattu en Afrique contre l’armée nazie. C’est maintenant qu’il faut s’opposer au génocide de Gaza. Par exemple, le samedi 11 mai. Ce jour-là, une manifestation de solidarité avec la lutte du peuple palestinien aura lieu à Madrid. Elle débutera à 11h30 sur la Plaza de Legazpi. Vous trouverez certainement de nombreuses autres manifestations et activités là où vous vivez ou travaillez.

Rencontrons-nous là-bas.

AVSHALOM HALUTZ
Tel Aviv peint la douleur des enfants de Gaza

Avshalom Halutz, Haaretz, 2/5/2024
Traduit par Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

 « L'innocence brisée : les enfants en temps de guerre » refuse de fermer les yeux sur la mort et la destruction à Gaza, tandis que la semaine du documentaire DocAviv et le Festival des Écrivains de Jérusalem reviennent plus tard ce mois-ci.


Photos : Uriel Sinai, Dana Gazit, Erez Harodi

On pourrait penser que le meurtre rapporté de plus de 14 000 enfants à Gaza ébranlerait la société israélienne jusqu'au fond de son âme. Pourtant, la plupart des Israéliens, même ceux qui s'opposent à la poursuite de la guerre et appellent à un cessez-le-feu, préfèrent soit fermer les yeux sur ce fait dévastateur, soit trouver des excuses à tout ce que fait l'armée.

Les enfants morts, orphelins et affamés de Gaza ne sont pas un sujet à l'ordre du jour en Israël. Les médias locaux et les réseaux sociaux font semblant que cela n'a jamais eu lieu. Dans les cafés, les gens préfèrent discuter d'autres sujets. Pourtant, cette réalité horrible restera avec nous en tant que société et pays pendant des générations à venir.

Une minorité d'Israéliens ont décidé qu'ils ne pouvaient pas permettre au gouvernement de continuer le massacre sans élever la voix. Les personnes derrière l'organisation israélienne de base Parents Against Child Detention [Parents contre la détention d’enfants], qui travaillent pour défendre les enfants palestiniens sous l'occupation israélienne en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, ont contacté des artistes locaux et des illustrateurs et leur ont demandé d'unir leurs forces et d'utiliser leur talent pour dénoncer les horreurs perpétrées contre les enfants à Gaza.

Un homme tenant l'une des 70 affiches sur la place Habima de Tel Aviv lors de l'activité "Innocence perturbée : Les enfants en temps de guerre", mardi dernier. Photo Erez Harodi

Mardi, sur la place Habima de Tel Aviv, sous le titre « Innocence brisée : Les enfants en temps de guerre », 70 activistes ont porté 70 affiches de peintures et d'illustrations traitant du sujet de la douleur des enfants pendant la guerre.

« Initialement, nous voulions que les affiches soient collées au sol sur la place. Mais la municipalité de Tel Aviv voulait approuver chaque affiche, et à un moment donné, nous avons réalisé que nous n’allions pas attendre des mois qu'ils acceptent l'événement, et avons décidé d'arrêter les négociations et de lancer la protestation », déclare Moria Shlomot, avocate israélienne et PDG de l'organisation. « Nous avons modifié le concept de l'exposition et fait en sorte que les gens se promènent avec elles, certains étant les artistes eux-mêmes ».

Des activistes et des artistes tenant des affiches sur la place Habima de Tel Aviv lors de l'activité "Innocence Brisée : Les Enfants en Temps de Guerre" e mardi dernier.  Photo Erez Harodi

 En même temps, l'organisation a créé un site ouèbe où toutes les œuvres sont présentées. Le projet comprend à la fois des créateurs établis et moins connus, notamment Addam Yekutieli (Know Hope), Zeev Engelmayer, Hannan Abu-Hussein, Hanoch Piven, Ruti Kantor, Ilana Zeffren, Roee Rosen, Dorit Godard, Noa Arad Yairi et d'autres encore. Les curateurs du projet sont l'ancien directeur du Musée d'Israël, Ido Bruno, l'éducatrice et designer Ruth Kantor et le designer de production Ido Dolev.

Ce n'est pas la première fois que le groupe utilise l'art pour sensibiliser. Dans leur projet de 2021, « Un cauchemar en huit étapes », des illustrateurs israéliens ont dépeint les différentes étapes de la détention des enfants palestiniens. Shlomot dit que « les jours normaux, si on peut les appeler normaux, nous travaillons à sensibiliser le public au degré et aux pratiques qu'Israël utilise contre les enfants palestiniens. Après le déclenchement de la guerre, nous avons décidé que nous devions élargir notre activité et traiter de chaque aspect de la violence contre les enfants. Nous avons commencé par une campagne publique promouvant l'idée qu'un enfant est un enfant ».

Une peinture de l'artiste Ariel Asseo, qui faisait partie des 70 œuvres sélectionnées pour l'événement. Photo Ariel Asseo

« Notre position morale est de considérer tous les enfants qui vivent dans cette région, et en fait dans le monde entier, comme des enfants égaux, et que nous, en tant qu'adultes, devons faire tout ce que nous pouvons pour les protéger et prévenir leur souffrance et leur préjudice. Tous les enfants méritent de grandir, de se développer et de vivre ».

 Shlomot utilise le pronom féminin lorsqu'elle parle en hébreu, une langue dans laquelle on peut distinguer les verbes par genre. 3Nous constatons que pendant cette horrible guerre, tant d'enfants ont été blessés de différentes manières terribles. Les enfants enlevés par le Hamas, les enfants qui ont perdu la vie dans les communautés israéliennes près de Gaza, les enfants déplacés en Israël et les enfants à Gaza. Plus de 14 000 morts. Des centaines de milliers de blessés, orphelins, affamés, déplacés. Les enfants ont perdu leur famille et leur maison. Je ne comprends pas pourquoi ce n'est pas évident dans le discours israélien qu'un enfant est un enfant. Ces enfants méritent la même vie et le même avenir».

Photo Tomer Appelbaum

Quel genre de réactions avez-vous reçues ?  

« Nous avons été heureux de recevoir des réactions chaleureuses et émotionnelles. Les gens étaient très intéressés et posaient des questions. Nous n'avons pas rencontré de colère, de raillerie ou de rage.

Vous pouvez voir que parler des enfants de Gaza est un sentiment controversé et malvenu.

« C'est très surprenant. Cela devrait être du bon sens, une position universelle et acceptée, que les enfants d'ici et d'ailleurs, de tous les peuples, races et genres, méritent de vivre en sécurité. Cela en est venu au point où si vous voyez la souffrance de l'autre, c'est comme si vous ne vous souciez pas de la souffrance de votre propre peuple. Mais c'est évidemment le contraire : la souffrance de notre peuple est liée à celle des leurs. Faire souffrir davantage de gens ne rendra pas notre avenir ici meilleur ou plus sûr. Oui, tous nous aimons plus nos enfants. Mais en tant qu'adultes, nous avons la responsabilité de tous les enfants qui se trouvent sous notre responsabilité et notre contrôle.

« Ce qui est arrivé aux enfants de Gaza est une tache morale et humaine qui ne disparaîtra pas. Malheureusement, la société israélienne sait très bien comment nier ses actes - nous sommes passés maîtres dans cette tromperie dans laquelle nous sommes toujours les victimes.  Je ne suis pas sûre que l’État assumera un jour ses responsabilités, reconnaîtra ce qu'il a fait et commencera à réparer les énormes dommages causés aux civils et surtout aux enfants, qui sont toujours innocents et ont toujours besoin d’être protégés. »

Enfant affamé, par Shahar Sivan. Photo  Shahar Sivan

Des soldats SS, des arbitres trans et des colons à DocAviv

Il semble de plus en plus difficile de penser et de parler d'Israël autrement en termes de guerre, de douleur, de destruction, de peur, d'injustice et de conflit. Aujourd'hui, le pays est surtout perçu sous l'angle macro de la guerre et de l'occupation, ce qui ne permet pas d'apprécier l'ensemble des aspects de la vie dans ce pays.DocAviv - le festival international annuel du documentaire de Tel Aviv, qui ouvre ses portes plus tard ce mois-ci à la Cinémathèque de la ville - est un excellent rappel qu'Israël est en fait un pays, un foyer pour différentes personnes et leurs cultures, et pas un simple mouvement idéologique.

Le prestigieux festival, créé en 1998, est l'un des événements culturels les plus médiatisés du mois. En effet, la directrice artistique Karin Rywkind Segal semble ne pas pouvoir y échapper, même en accomplissant ses tâches quotidiennes. Récemment, se souvient-elle, un groupe de lycéens qui filmaient dans la bodega près de chez elle lui ont dit que leur rêve était d'être sélectionnés pour DocAviv, sans savoir qui elle était.


La directrice artistique de DocAviv, Karin Rywkind Segal. « En général, travailler sur un festival pendant des temps qui sont en effet tristes partout, difficiles et insupportables, est en soi une chose difficile à faire ».  Photo Noam Preisman

Cette année, le festival se trouve à un carrefour intéressant : Israël est à nouveau la source de mauvaises nouvelles, et organiser un festival de films alors que des gens sont captifs et que d'autres perdent la vie semble presque déraisonnable. Mais Rywkind Segal peut offrir de nombreuses raisons pour lesquelles c'est le bon moment pour acheter un billet et regarder un excellent documentaire.

« En général, travailler sur un festival pendant des temps qui sont en effet tristes partout, difficiles et insupportables, est en soi une chose difficile à faire », admet-elle. « Les films que nous avons sélectionnés vous montrent différentes réalités, et la vie n'est jamais facile où que vous alliez. Nous sommes fiers du programme que nous avons créé, à la fois pour les films israéliens et étrangers, et nous espérons que les films promouvront le débat et la réflexion. Nous ne sommes rien sans la culture, c'est pourquoi nous travaillons pour amener ce festival aux amateurs de cinéma. Nous sommes également la plus grande plateforme pour les cinéastes israéliens qui se bagarrent actuellement à l'étranger ».

Le programme international n'a pas encore été annoncé, mais la sélection israélienne de cette année semble déjà excitante. Elle comprend les premières de films tels que “Sapir” de Liran Atzmor - un documentaire sur Sapir Berman, une Israélienne devenue la première femme transgenre à travailler comme arbitre de football professionnelle ; “Death in Umm Al-Hiran” de Doron Djerassi, sur l'affaire survenue lors du démantèlement d'un village bédouin du Néguev où un enseignant a été tué par la police et plus tard faussement accusé d'être un terroriste ; “Franceska” de Lena Chaplin, sur la danseuse Franceska Mann, qui a tué un officier SS à l'entrée des chambres à gaz à Auschwitz ; et “Get the Land Back” d'Irmy Shik Blum et Elad Orenstein, sur un Israélien qui entreprend une mission pour récupérer son seul héritage : des terres occupées saisies par des colons juifs en Cisjordanie.


Une scène de “Sapir” de Liran Atzmor - un documentaire sur Sapir Berman, une Israélienne devenue la première femme trans à travailler comme arbitre de football professionnelle. Photo Uriel Sinai

Le festival comprendra également des ateliers, des discussions et des projections de films restaurés. Le programme international, comprenant des invités spéciaux et des films sélectionnés pour la compétition, sera révélé la semaine prochaine. Cette année, le festival ne proposera pas de programme en ligne de films pouvant être visionnés depuis chez soi. « Nous voulons amener le public au cinéma. Depuis la pandémie, nous proposons des projections en ligne. Mais maintenant que c'est derrière nous, nous voulons que les gens vivent les films sur grand écran. Les films que nous choisissons sont par nature très cinématographiques et sont mieux appréciés comme une expérience cinématographique ».

« J'ai été jurée dans d'autres festivals internationaux et je pense que l'une des choses les plus agréables à propos de notre festival est que nous sommes un festival pour le public. À ce titre, nous ne sommes pas axés sur les premières mondiales plutôt que sur les premières locales, ce qui nous permet d'offrir aux spectateurs un programme plus varié et riche basé sur les meilleurs films que nous pouvons trouver ». explique Rywkind Segal.

Delphine Horvilleur, rabbin, éditrice et autrice. Photo Tomer Appelbaum

Qui vient à Jérusalem ?

Le Festival des Écrivains de Jérusalem revient à la fin du mois et devrait inclure une multitude d'invités et d'événements intéressants.

Parmi les principaux invités figurent la fascinante rabbin, éditrice et auteurice Delphine Horvilleur, une voix importante et presque cruciale en ces temps ; le romancier canadien vétéran John Irving ("Le Monde selon Garp", "Hôtel New Hampshire"), l'écrivaine française Anne Berest ("La Carte postale"), et l'auteur et historien britannique Simon Schama.

Ce n'est pas tout, mes amis

L'artiste de performance prolifique Adina Bar-On présentera son œuvre "À propos de l'amour 2004-2012" aux Studios d'Artistes de Tel Aviv les 9 et 11 mai. "J'ai renouvelé cette performance afin qu'elle soit présentée cette année entre le Jour du Souvenir de l'Holocauste et le Jour du Souvenir. Même si je vais me produire pendant plus de deux heures, j'invite le public à venir regarder pour la durée qui vous convient," déclare la septuagénaire. La performance est gratuite et fortement recommandée.

La disparition en 1968 du sous-marin israélien Dakar est l'inspiration derrière une nouvelle exposition de la photographe Yudith Schreiber, "Anatomie de l'incertitude", à la Maison des Artistes de Tel Aviv. L'artiste, qui examine le concept de précarité, a perdu son frère Amnon lorsque le sous-marin a coulé. Les restes de l'épave n'ont été découverts que plus de trois décennies plus tard au fond de la mer Méditerranée.


“Time of Thirst” de Dana Gazit 2021, à l'exposition “Sans, Souci” à Tel Aviv.

Stefania Wilczynska est commémorée dans un nouveau podcast pour enfants de Beit Avi Chai, dédié à l'éducatrice polonaise assassinée dans l'Holocauste. « La plupart d'entre nous connaissent Janusz Korczak, mais la femme qui était à ses côtés - depuis la création de l'orphelinat [juif] [à Varsovie] et la longue marche jusqu'à leur mort tragique - a été largement oubliée. Nous ferons un voyage en suivant les traces de Wilczynska, une femme courageuse et inspirante qui a changé la vie de milliers d'enfants », promettent les créateurs du podcast.

Maintenant plus que jamais, une galerie à Tel Aviv célèbre la couleur rose. “Sans, Souci”, organisé par Ido Cohen, comprend des œuvres d'artistes tels que Dana Gazit, Itamar Brand et même Raffi Lavie à la petite galerie Maya. Elle célèbre une couleur qui a inspiré le conservateur depuis son enfance en tant qu'amateur d'Eurovision, puis en tant qu'homme qui associe la couleur à la liberté, à l'expression et au kitsch. La petite exposition, qui tire son nom du palais Sanssouci du roi Frédéric II à Potsdam, déborde de rose autant qu'elle est remplie d'horreur, de secrets et des dangers de la domination masculine à l’ancienne.

 

 

07/05/2024

ABDEL BARI ATWAN
Le grand mensonge renaît

Le Hamas devrait se méfier de l’’accord de cessez-le-feu proposé par l’Égypte et le Qatar.

Abdel Bari Atwan, raialyoum, 28/4/2024
Traduit par Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

J’espère que Yahya al-Sinwar et la direction du Hamas dans la bande de Gaza prendront suffisamment de temps pour examiner les propositions inspirées par les USA transmises par les médiateurs arabes pour un cessez-le-feu temporaire et un échange de prisonniers avant que l’armée israélienne ne procède à une invasion de la ville de Rafah.

Cette initiative, et la reprise précipitée des pourparlers pour en élaborer les détails, visent à sauver l’État occupant israélien, l’entreprise sioniste dans son ensemble, et l’administration du président usaméricain Joe Biden, qui a soutenu la guerre génocidaire sur la bande de Gaza depuis son début, et continue de le faire.

De fausses promesses sont faites concernant l’établissement d’un État palestinien indépendant, nous rappelant ce vieux mensonge : la promesse de “paix” qui accompagnait les Accords traîtres d’Oslo.

La direction du Hamas sur le terrain devrait être extrêmement prudente. Elle ne doit pas envisager — même tactiquement — de se désarmer, de dissoudre les Brigades al-Qassam et de se transformer en un simple parti politique en échange d’une perspective nébuleuse d’un État palestinien sur le papier.

La récente frénésie d’échanges et de visites d’officiels égyptiens et israéliens, avec la participation qatarie, reflète la peur et la confusion au sein de leurs rangs — et en Israël, de son parrain usaméricain, et du monde occidental en général.

Il y a plusieurs bonnes raisons à cela.

Ces médiateurs arabes, et l’administration Biden qui les soutient, n’ont pas réussi à obtenir l’ouverture du passage de Rafah pour fournir un seul sac de farine aux habitants affamés de la bande de Gaza. Comment peuvent-ils espérer “garantir” un accord de cessez-le-feu, ou empêcher Israël de le violer ou de réoccuper la bande de Gaza et d’intensifier sa guerre d’extermination ?

Pendant ce temps, les USA connaissent des troubles intérieurs sérieux en raison de leur soutien à Israël. Leurs étudiants — et futurs dirigeants — sont en révolte ouverte contre le contrôle sioniste de l’élaboration des politiques officielles et  larépression de la liberté d’expression, censée être une valeur fondamentale des USA et un pilier de leur leadership mondial. Les demandes d’Israël pour réprimer les manifestations n’ont fait que les amplifier. Netanyahou utilise la menace d’envahir Rafah comme une carte pour obtenir un accord qui lui permettrait de sauver la face après avoir échoué à détruire la résistance et, surtout, à assassiner Sinwar, malgré le temps qui lui a été accordé par les USA, maintenant dépassé de 200 jours. Il n’a pas pu prendre le contrôle de Khan Younès (moitié de la taille de Rafah) après quatre mois de combat, et ses troupes ont fui de Shujaiya et du district de Zaitoun, et avant cela de Jabalya, Beit Hanoun et des camps centraux. Il ne réussira jamais à contrôler Rafah. Les bataillons de la résistance sont en état d’alerte et de préparation élevés, ayant beaucoup appris de leur expérience dans les zones nord et centrale, et auront des surprises en réserve pour les forces d’invasion israéliennes. Un accord “empoisonné” aux conditions d’Israël ne servirait qu’à atténuer l’implosion politique interne d’Israël, à faire avorter les manifestations étudiantes aux USA et à les empêcher de se propager dans tout l’Occident et dans le monde entier — notamment dans le monde arabe et en particulier en Égypte.

Dans les premières années 1970, c’est la révolte étudiante dans les universités égyptiennes — une période que j’ai personnellement vécue — qui a poussé le président Anouar el-Sadate à suivre la voie tracée par Gamal Abdel Nasser. Nasser, l’architecte de la guerre d’usure sur le front du canal de Suez, et à entraîner l’armée égyptienne à lancer des attaques dans le Sinaï occupé et à franchir la ligne Bar-Lev lors de la guerre d’octobre 1973.

 

 

05/05/2024

AMIRA HASS
Les conséquences de l’anonymat confortable accordé à l’armée et aux forces de répression israéliennes

Amira Hass, Haaretz, 27/4/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Italiano:  LE CONSEGUENZE DELLE VIOLENZE ISRAELIANE PROTETTE DALL'ANONIMATO CONCESSO AI MILITARI E AI SERVIZI DI SICUREZZA ISRAELIANI

Lorsque nous marchons dans une rue israélienne, il est probable que, dans l’heure qui suit, nous rencontrerons des dizaines d’Israéliens tout à fait ordinaires qui ont été et sont activement impliqués dans le meurtre de Palestiniens armés et non armés, dans les tirs et les blessures, dans leur dépossession, dans la destruction de leurs maisons, dans l’interrogatoire des détenus palestiniens au moyen de la torture, dans les mauvais traitements infligés à eux et à leurs frères et sœurs aux points de contrôle, dans une rue de Jérusalem ou dans leurs maisons au cours d’un raid nocturne.

Des soldats israéliens avec un chargement de Palestiniens capturés à Shuja’iyya, Gaza, en décembre 2023.  Photo : Moti Milrod

Des Israéliens ordinaires tiraient et tirent, torturaient et torturent, brutalisaient et brutalisent, parfois directement, ou bien ils faisaient et font des ordres, signent des ordres et paient des salaires. Ils ont approuvé lexpulsion de familles de leurs maisons, ainsi que la fourniture généreuse d’eau à des Israéliens au détriment de l’approvisionnement en eau de Palestiniens. Ils ont planifié des routes pratiques qui coupent les communautés palestiniennes les unes des autres. Leurs faits et gestes ne sont pas inscrits sur leur front. Eux-mêmes ne se considèrent pas comme des criminels, des meurtriers, des voleurs.

Les actes de ces centaines de milliers d’Israéliens sont connus, mais ils ne sont pas liés personnellement à leurs auteurs : les soldats et les petits fonctionnaires sont protégés par l’anonymat confortable que leur accorde l’État. Ce n’est que dans des cas exceptionnels que leurs noms sont publiés dans le contexte d’actes spécifiques de violence. Les noms des commandants responsables sont connus du public, mais en Israël, il n’est pas d’usage de leur accoler les étiquettes de criminel, meurtrier, voleur, dépossesseur ou extorqueur.

Il en va de même pour les législateurs qui proposent des lois d’apartheid, ou les chefs d’état-major militaires et les responsables du Shin Bet. Il serait contraire aux conventions sociales et linguistiques d’ajouter ces terribles épithètes au nom d’un fonctionnaire bien connu : cela ne passerait jamais les fourches caudines des rédacteurs en chef d’un média quelconque.

Les gradés subalternes - dont les pilotes de chasse idolâtrés par les Israéliens - sont protégés par le secret institutionnel, profondément ancré dans les lois et usages du pays. Les hauts fonctionnaires bien connus sont protégés parce qu’ils ont fait ce qu’ils ont fait au nom et au service de l’État.

Ainsi, l’ancien chef d’état-major des FDI, Benny Gantz, et l’ancien commandant de l’armée de l’air israélienne, Amir Eshel, étaient persuadés qu’un tribunal civil néerlandais rejetterait une action civile intentée contre eux, demandant des dommages et intérêts pour le meurtre de six membres d’une famille dans le camp de réfugiés d’Al Boureij en 2014.

Ismail Ziada, citoyen néerlandais, avait porté plainte pour le bombardement de la maison familiale et la mort de sa mère de 70 ans, Muftiah, de trois de ses frères, Jamil, Yousef et Omar, de l’épouse de Jamil, Bayan, et de leur fils de 12 ans, Shaban. La Cour suprême des Pays-Bas a confirmé les décisions de deux juridictions inférieures selon lesquelles Gantz et Eshel - les personnes qui ont directement ou indirectement donné l’ordre de bombarder et de tuer une famille à l’intérieur de sa maison - bénéficient d’une « immunité fonctionnelle » qui les protège des poursuites civiles aux Pays-Bas parce qu’ils ne faisaient qu’appliquer la politique du gouvernement israélien.

Une enquête des FDI sur l’incident a conclu que « l’ampleur du préjudice attendu pour les civils à la suite de l’attaque » - c’est-à-dire le meurtre d’une grand-mère, de sa belle-fille et de sa petite-fille – « ne serait pas excessive par rapport à l’important bénéfice militaire attendu » : c’est-à-dire les dommages causés à ce que les avocats des FDI ont affirmé être un centre de commandement militaire, et le meurtre des agents militaires supposés qui se trouvaient dans l’immeuble.

À l’époque, on considérait qu’il était permis de tuer trois civils pour tuer quatre agents militaires supposés. Aujourd’hui, comme nous le montrent le nombre considérable de civils tués lors de chaque frappe aérienne à Gaza et les quelque 15 000 enfants qui y ont été tués jusqu’à présent, ainsi que les enquêtes choquantes de Yuval Avraham pour +972 Magazine, le taux de mortalité que les juristes de Tsahal et l’État autorisent aujourd’hui pour les pilotes et les opérateurs de drones est de 20, 30, 40, voire un quartier entier de civils, pour un seul militant du Hamas.

L’histoire et les juristes ont autorisé les États à recourir à la violence contre leurs propres citoyens et contre d’autres États. Ce sont les États qui accordent l’autorisation et l’immunité à leurs citoyens au sein de la police, de l’armée et des agences de sécurité pour qu’ils utilisent la violence dans le cadre de ce qui est défini comme la défense de la patrie et du peuple. C’est parfois le cas. Mais très souvent, il s’agit de la défense des privilèges des classes supérieures, d’une dictature, du vol institutionnalisé, de l’oppression et de l’abus organisé des minorités.

Les États et leurs juristes ont également déterminé que tous ceux qui utilisent la violence contre eux et leurs élites - c’est-à-dire tous ceux qui résistent violemment à la violence de l’État de quelque manière que ce soit - sont des criminels, des meurtriers, des combattants illégaux. Nous parlons ici de membres de groupes minoritaires, de peuples autochtones devenus minoritaires à la suite de massacres systématiques et de migrations massives, de travailleurs, de migrants, de peuples conquis et déshérités.

Chaque Palestinien naît dans cette injustice inhérente : la violence bureaucratique, militaire et policière à leur encontre, qui a coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes et déplacé des millions d’autres au fil des ans, est légale et n’est donc pas de la violence, mais plutôt de l’autodéfense et de l’héroïsme sublime et noble. En revanche, les actions des Palestiniens - qu’il s’agisse d’une affiche, d’un message sur les médias sociaux, d’une manifestation, d’un jet de pierres ou d’un attentat-suicide - sont définies a priori comme une infraction pénale.

Qui plus est, un Israélien qui ôte la vie de nombreux Palestiniens est un héros vénéré, tandis qu’un Palestinien qui ôte directement ou indirectement la vie d’un Israélien est puni même après sa mort.

Telle est la réalité totalement asymétrique dans laquelle Walid Daqqa est né et dans laquelle il est mort. La soif de vengeance éternelle de l’État et d’un grand nombre de ses citoyens l’a maintenu en prison, où il a développé sa profonde philosophie humaniste. Cette même soif de vengeance envoie à chaque Palestinien le message que la violence israélienne est incurable, même si les juristes ne la considèrent pas comme un crime.

Carlos Latuff