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13/05/2023

AMEER MAKHOUL
L’union sacrée d’Israël autour de la nouvelle agression contre Gaza ne tiendra pas longtemps

Ameer Makhoul, Middle East Eye, 11/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La décision de frapper le Djihad islamique a donné à Netanyahou un regain de popularité, mais cela ne tiendra pas sur le long terme.

Carlos Latuff

Cette semaine, Israël a effectué une frappe cruciale en éliminant quatre dirigeants du Djihad islamique, ses médias soulignant la précision des missiles et l’exactitude des renseignements recueillis.

Mais cette couverture est restée largement indifférente au fait que l’opération s’est traduite par un massacre dévastateur.

Certains médias israéliens ont présenté le nombre de victimes - dont des enfants, des femmes et des professionnels de la santé - comme un bilan acceptable, fanfaronnant même sur le nombre relativement faible de victimes civiles palestiniennes. Un sentiment de célébration, de fierté et d’honneur a envahi Israël.

Un consensus national s’est dégagé lorsque les leaders de l’opposition parlementaire ont exprimé leur soutien aux actions du gouvernement Netanyahou. Les analystes estiment que l’opération pourrait prolonger la durée de vie du gouvernement assiégé, qui était aux prises avec des dissensions internes et semblait sur le point de s’effondrer.

Itamar Ben-Gvir, le leader d’extrême droite du parti Puissance juive, avait boycotté les sessions de la Knesset. Pourtant, même lui a fait l’éloge de l’opération, suggérant que ses pressions avaient porté leurs fruits, et vantant son propre rôle. Haut du formulaire

Bas du formulaire

Entre-temps, des milliers d’Israéliens ont fui leurs maisons dans les communautés proches de Gaza, tandis que l’armée supervisait un plan d’évacuation plus large.

Israël s’est félicité du succès de ses opérations militaires, citant la bonne coordination des renseignements entre l’armée et l’agence de sécurité Shin Bet. Cette démonstration de sa capacité à cibler les dirigeants palestiniens, même dans leurs propres chambres à coucher, vise à envoyer un message à toutes les factions du Sud-Liban, de la Cisjordanie occupée et de Gaza : le rayon d’action d’Israël est tous azimuts.

Assassinats ciblés

La stratégie israélienne d’assassinats ciblés démontre sa politique impitoyable d’éradication des dirigeants du Djihad islamique, en raison des opérations très médiatisées du groupe et de sa philosophie de résistance à l’occupation. Les responsables israéliens ont à plusieurs reprises exhorté le Hamas à ne pas s’impliquer dans la confrontation actuelle.

Pourtant, alors qu’Israël s’attendait à ce que la réponse palestinienne soit à l’image des précédentes agressions contre Gaza, ce n’est pas ce qui s’est produit immédiatement. Les tensions ont été exacerbées au sein de l’establishment sécuritaire, politique et médiatique israélien, alors que le pays attendait de voir ce qui allait se passer.

Bien que des roquettes aient été tirées de Gaza dans la nuit de mercredi à jeudi, le retard pris dans la réponse a semblé indiquer qu’Israël ne contrôlait plus la manière dont ces situations se développaient.

Les factions palestiniennes semblent agir selon leurs propres plans et calendriers, contrairement au rythme dicté par Israël.

Dans le même temps, Israël a perdu le soutien de l’Égypte qui, malgré ses efforts de médiation à Gaza, a fortement critiqué les récentes frappes contre le Djihad islamique, estimant que le massacre sapait les efforts visant à établir une stabilité à long terme et violait les engagements pris par Israël lors des récentes conférences d’Aqaba (Jordanie) et de Charm el-Cheikh (Égypte).

De nombreuses factions palestiniennes et forces régionales estiment que le pouvoir de dissuasion qu’Israël détenait autrefois a considérablement diminué au cours des cinq mois qui se sont écoulés depuis l’entrée en fonction du gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahou, et qu’il n’a pas réussi, sur le plan stratégique, à renforcer son influence régionale et à consolider ses défenses nationales. 

Un autre défaut d’Israël réside dans son incapacité à anticiper l’intensité de la réponse palestinienne à son agression. À Tel-Aviv, les services de sécurité ont choisi cette semaine d’ouvrir des abris anti-bombes publics et de fermer des écoles. Ces coûts sécuritaires, politiques et économiques supplémentaires pourraient inciter Israël à lancer une offensive plus large sur plusieurs fronts, afin de tenter de reprendre le contrôle de la trajectoire et des conséquences de la confrontation.

Neutraliser le Hamas

Bien qu’il n’y ait aucune preuve que la dernière agression d’Israël soit une conséquence directe de ses profonds troubles internes, la diminution du pouvoir de dissuasion de l’État peut certainement être attribuée au climat politique actuel et à la crise intérieure. Par conséquent, l’agression doit être considérée dans ce contexte. 

Si cette stratégie agressive s’avère fructueuse du point de vue israélien, le premier bénéficiaire politique en sera Netanyahou, dont la cote de popularité est sur le point de grimper.

Mais ce regain de popularité ne sera pas durable et ne garantira pas non plus la longévité du gouvernement de Netanyahou, compte tenu des conflits intérieurs profondément enracinés et des manifestations publiques en cours. Il ne permettra pas à Netanyahou de relever les défis les plus pressants auxquels il est confronté. Dans le même temps, les sondages ont montré que la confiance des citoyens israéliens dans le chef de l’opposition, Benny Gantz, s’accroît.

Entre-temps, Israël fait le pari de neutraliser le Hamas - qui gouverne effectivement la bande de Gaza et détient la plus grande puissance militaire - et de garantir un cessez-le-feu durable.

Cependant, la situation s’est encore aggravée après que le ministre de l’Énergie, Israel Katz, a menacé cette semaine d’assassiner Yahya Sinwar, le chef du Hamas à Gaza, et son chef militaire Mohammed Deif, en cas de représailles de la part du Hamas. Le Hamas a publié mercredi une déclaration suggérant que ses forces participaient aux tirs de roquettes de représailles, bien que cela n’ait pas été immédiatement vérifié.

L’appareil de sécurité israélien est perplexe face à la réaction tardive et imprévisible des Palestiniens, car il s’attendait à une réaction immédiate de tirs de roquettes, suivie d’une médiation, de pressions et finalement d’une trêve jusqu’à la prochaine agression. Mais la réalité s’est avérée plus complexe.

Des inquiétudes sont apparues quant à la possibilité que l’état d’urgence israélien se prolonge indéfiniment, les coûts associés pouvant dépasser ceux d’un engagement militaire limité. La possibilité que les Palestiniens prennent pour cible les manifs des colons dans la partie occupée de Jérusalem-Est suscite également des craintes.

Toutes les options semblent être sur la table, une trêve paraissant peu probable. Les factions palestiniennes semblent agir selon leurs propres plans et calendriers, par opposition au rythme dicté par Israël, passant d’un cycle réactif à un plan d’action plus délibéré. Bien que cela crée une nouvelle dynamique, cela ne modifie pas fondamentalement l’essence du conflit.

 

 

23/04/2023

YOSSI VERTER
Préparez-vous à une “fête de l’indépendance” d’Israël à la nord-coréenne

Yossi Verter, Haaretz, 21/4/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Si un chef de l’opposition ou un membre de la Knesset envisageait encore d’assister à la cérémonie d’allumage des torches du Jour de l’Indépendance, la conférence de presse pénible de la ministre des Transports Miri Regev a résolu la question. « La cérémonie est organisée par le gouvernement, pas par la Knesset ! Le président de la Knesset est un invité », a-t-elle menti, foulant aux pieds une tradition vieille de plusieurs décennies qui n’a été interrompue que sous l’ère du Premier ministre Benjamin Netanyahou. Cela fait partie du codex de base de madame la ministre.

Netanyahou, entre Ohana, président de la Knesset, et Herzog, président d’Israël, au Mémorial Yad Vashem il y a quelques jours. Photo Emil Salman

« Un message vidéo du premier ministre, c’est la coutume », a-t-elle déclaré, continuant à déformer la réalité. « Tous ceux qui agissent contre la loi ne seront pas là ». Foutaises. Aucune loi n’interdit de protester lors de cérémonies. Et pourtant. Si cela ne tenait qu’à elle, pour le jour de l’indépendance, il y aurait une loi spécifique prévoyant des peines de prison pour les personnes qui protesteraient lors de son événement, comme elle l’a dit en termes très clairs.

Elle a laissé planer la possibilité que, “dans des circonstances extrêmes”, la diffusion en direct soit interrompue au profit d’une vidéo de la répétition générale. Jusqu’où peut-on aller dans la ringardise ? Cela aurait pu fonctionner en 2004, lorsqu’elle était cheffe de la censure militaire un poste qui constituait dans une large mesure l’apogée de ses capacités. En réalité, il est tentant de la mettre à l’épreuve. Après tout, dès que la diffusion en direct sera interrompue, des centaines de smartphones sortiront et commenceront à filmer. En quelques secondes, les vidéos seront diffusées sur tous les réseaux sociaux, deviendront virales et seront diffusées dans les journaux télévisés en Israël et à l’étranger. Bien entendu, en temps réel, toutes les chaînes de télévision qui se respectent cesseront de diffuser la cérémonie enregistrée. Eh bien, voyons l’ancienne censeure vaincre le progrès.

La ministre des Transports Miri Regev lors d’une célébration de Pourim le mois dernier. Photo David Bachar

Tout·e politicien·ne ou personnalité publique qui s’oppose à la fameuse réforme judiciaire et à l’avilissement continu de la bonne gouvernance doit rester à l’écart de la cérémonie cette année. C’est malheureux, mais c’est le prix de la réalité. La cérémonie d’allumage des torches, sirupeuse et kitsch, fait l’objet d’un extraordinaire consensus israélien. Mais même l’extraordinaire tourne au vinaigre cette année. La coalition qui prend la démocratie en otage et menace de la détruire s’est également emparée de la cérémonie nationale et l’a déshonorée avant même qu’une seule image n’ait été diffusée.

Il n’y a rien non plus dans les tribunes du Mont Herzl pour les juges de la Cour suprême qui sont constamment menacés et calomniés par les ministres du gouvernement et les députés de la coalition. Il n’y a rien non plus pour la procureure  générale en chef. Faites confiance à Regev pour remplir les rangées au centre du balcon avec des membres du comité central du Likoud, qui applaudiront et agiteront des drapeaux chaque fois que la caméra sera braquée sur eux.

Lors de la cérémonie de 2021, Mme Regev a été surprise en train de faire des gestes frénétiques avec ses mains pour diriger le caméraman. Un an plus tard, la raison est revenue sur le Mont. La ministre de la Culture et des Sports, Chili Tropper, a organisé une cérémonie exprimant la beauté, l’ouverture et la tolérance d’Israël [sic]. Le Premier ministre Naftali Bennett a annoncé à l’avance qu’il ne ferait pas d’entrée “impériale” et dandy avec son épouse, qu’il ne prononcerait pas de discours et qu’il n’enverrait pas de vidéo. Il s’assiérait avec sa famille dans le public et rien d’autre.

La cérémonie du Jour de l’Indépendance au Mont Herzl à Jérusalem l’année dernière. Photo Ohad Zwigenberg

Ce fut un rare moment de grâce. Mais au fond de nous, nous savions que le gouvernement avait perdu sa majorité à la Knesset et que pour le 75e anniversaire de l’indépendance de l’État, il y avait de fortes chances que la normalité revienne à North Korea Productions, Inc. la société de production de la famille Netanyahou, et à son mégaphone obséquieux, Miri Regev, l’organisatrice d’événements personnels pour La Familia, les hooligans racistes du Beitar Jérusalem.

Les flambeaux seront allumés à la fin du Jour du Souvenir, qui se déroulera également à l’ombre des “réformes” destructrices et du profond fossé que le gouvernement d’extrémistes et de racistes a creusé dans cette nation. Des milliers de familles endeuillées ont exprimé leur désir de se recueillir auprès de leurs proches sans la participation de politicien·nes. Le ministre de la Défense Yoav Gallant a refusé ces demandes. Il a comparé la non-présence des politicien·nes à un “pliage du drapeau israélien”. Selon un reportage de Kan 11 News, Gallant a conseillé à une fille endeuillée qui lui demandait, en tant que responsable du ministère qui organise les cérémonies dans les cimetières militaires, d’empêcher la participation des hommes politiques de “venir la veille” du jour du souvenir - comme si la cérémonie appartenait aux ministres du gouvernement et aux membres de la Knesset, et que les familles endeuillées n’étaient que des invités.

Gallant est apparemment en train de se frayer un chemin vers le cœur de la droite, après l’épisode troublant qu’il a vécu avec l’annonce de sa destitution qui n’a pas eu lieu. L’idée qu’une bande de réfractaires [au service militaire], d’ultra-orthodoxes et d’hyper-orthodoxes nationalistes dirigés par le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, qui n’a pas été appelé sous les drapeaux en raison de son passé violent, participeront aux cérémonies, fait froid dans le dos.

Et ils ne seront pas les seuls : La ministre de la Diplomatie publique, Galit Distal Atbaryan, qui a traité les pilotes de lâches, le ministre des Communications, Shlomo Karhi, qui les a invités à aller se faire voir, la ministre des Transports, Miri Regev, qui qualifie les manifestants, y compris les parents, frères et sœurs et enfants endeuillés, de “privilégiés” et d’“anarchistes”, le ministre de N’importe quoi David Amsalem, qui exige que la présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, et l’ancien président de la Cour suprême, Aharon Barak, soient jugés pour “tentative de renversement du gouvernement"”et qui incite réellement à les blesser physiquement.

Cérémonie du jour du souvenir à Givatayim, dans la banlieue de Tel-Aviv, en 2021. Photo Hadas Parush

C’est ce qui a engendré les manifestations en face de la maison de Barak, où les bibiistes et les amsalémites exigent qu’il soit placé devant un peloton d’exécution et lui souhaitent des morts étranges et variées. Ils n’ont aucune raison au monde de manifester en face du domicile d’un juge à la retraite de 86 ans qui a quitté la magistrature en 2006, si ce n’est la diffamation et la délégitimation dont des types comme Amsalem sont responsables.

Jeudi, un obscur député likoudnik, un imbécile parmi tant d’autres, a demandé dans une interview à la radio que Barak “démissionne” déjà.

Il était écœurant de voir le premier ministre qui a nommé Amsalem ministre bis de la Justice serrer la main de Hayut lors de la cérémonie de commémoration de l’Holocauste, sans dire un mot sur les propos méprisables de Amsalem. Hayut est déjà suffisamment expérimentée pour le savoir. Elle a encore six mois à subir sa présence hypocrite avant de prendre sa retraite.

Les scènes qui se dérouleront dans tout le pays mardi matin seront difficiles à digérer. Des cimetières, on entendra non seulement le murmure des psaumes, les chants des cantors et les pleurs des cœurs brisés. De certains d’entre eux s’élèvera la voix de la protestation. Il y aura des disputes. Il y aura un cri de douleur à propos d’Israël qui se perdra - et qui, en cours de route, annulera complètement la valeur du sacrifice de nos êtres chers.

Certains pensent qu’ils n’ont pas d’autre choix que de crier. Il est difficile de contester ce sentiment. Dans l’équation du pouvoir entre le sujet et l’oppresseur, crier est parfois la seule chose qui reste. Ou comme Yehonatan Geffen l’a dit un jour : « Nous voulions changer le monde, mais il n’était pas d’accord. S’il est impossible de sauver le monde, il est possible d’essayer au moins de sauver le monde d’une personne ».

L’ancien président de la Cour suprême, Aharon Barak, devant son domicile de Tel-Aviv, jeudi. Photo Tomer Appelbaum

 Pas d’argent, de la poussière

Avec son retour au pouvoir, Netanyahou a régulièrement ressorti ses discours caractéristiques, mêlant cris de victimes et menaces contre l’Iran. La semaine dernière, c’était lors de la cérémonie de commémoration de la Journée de l’Holocauste. La semaine prochaine, à l’occasion du Jour du Souvenir, nous aurons droit à une nouvelle interprétation. Cela fait plus d’un quart de siècle qu’il met l’Iran en garde, et pendant ce temps, l’Iran a continué à étendre sa portée, à devenir plus puissant et plus avancé dans ses capacités nucléaires. Depuis l’arrivée au pouvoir du dernier gouvernement de Netanyahou, l’Iran a également noué des liens diplomatiques avec les pays du Golfe et avec l’Arabie saoudite, avec laquelle Netanyahou souhaite ardemment signer un accord de normalisation.

Comme toujours, ses discours visent surtout à semer la peur et l’inquiétude dans le cœur des Israéliens, ainsi que la conviction qu’il est le seul à pouvoir nous sauver. Les Iraniens ont depuis longtemps cessé d’être impressionnés par ses absurdités (si tant est qu’ils l’aient jamais été). Ils n’y croient certainement pas en ce moment, alors que les relations entre Israël et les USA sont au plus bas. Sans pouvoir compter sur l’aide de l’USAmérique pendant et surtout après une frappe israélienne, dans la guerre massive qui en résulterait, Netanyahou n’oserait rien faire. Il n’a aucune légitimité aux yeux du public, l’establishment de la défense se méfie de lui, il est faible à tous égards.

Netanyahou lors de l’entretien accordé à la chaîne CNBC mercredi.

Lors d’une interview accordée cette semaine à la chaîne CNBC et truffée d’astuces et d’affabulations, il a déclaré : « 95 % des problèmes au Moyen-Orient émanent de l’Ira ». Ce qui, soit dit en passant, est aussi sa part de responsabilité dans les problèmes qui n’affectent que le petit Israël. Prenons l’exemple de l’économie, un domaine où la Journée de commémoration de l’Holocauste illustre si douloureusement la façon dont les macro-questions créées par le gouvernement affectent les micro-questions des membres les plus faibles de la société. Alors que le parti Shas était occupé à organiser une réduction morbide sur les concessions funéraires pour les survivants de l’Holocauste - ce qu’Aryeh Dery a gazouillé avec enthousiasme, avant d’effacer rapidement son tweet - cette année, le ministère des Finances a oublié de jeter un maigre os aux survivants. Aucun élément économique destiné à leur venir en aide ne figurait dans le budget de l’État qui a été adopté en première lecture. Ce n’est pas si surprenant, peut-être, quand le prix du partenariat dans la coalition étaient des milliards de shekels qui sont distribués de manière si libérale et irresponsable.

Dery a toutefois eu de la chance, car il a été rapidement dépassé par le ministre de l’Éducation, Yoav Kisch, qui a gazouillé lors d’une visite à Auschwitz, avec une inconscience qui fait froid dans le dos, « Une nation ! Un drapeau ! Un État ! » - une déclaration qui ressemble fort au slogan du parti nazi [“Ein Volk ; ein Reich, ein Führer”]. Cette déclaration rappelle la maladresse entourant le slogan original de la campagne électorale ratée de Netanyahou en 1999 : “Un leader fort pour une nation forte”, un autre slogan qui semblait provenir des pisse-copies du Führer. Ce slogan avait rapidement été remplacé par “Un dirigeant fort pour l’avenir d’Israël”.

Aussi lucide que Netanyahou puisse encore être dans certains moments, il doit comprendre qu’il ne peut compter sur aucun gain diplomatique majeur dans un avenir proche. Même s’il opère une volte-face par rapport à la poussée autocratique, il faudra du temps pour réparer les dégâts au niveau national et pour dissiper l’incertitude avec laquelle le monde éclairé et les milieux d’affaires nous considèrent aujourd’hui.


Le ministre de l’éducation Yoav Kisch et son “Une nation ! Un drapeau ! Un État !”

Dans l’interview susmentionnée, Netanyahou s’est comporté comme un vendeur de poudre de perlimpinpin : ce n’est que de la “poussière” (qui va se déposer), a-t-il déclaré avec dédain à propos de la fuite des investisseurs et de l’argent d’Israël, et de tous les indicateurs économiques négatifs qui s’accumulent. « L’argent moins intelligent suit le troupeau... L’argent intelligent arrive, et il gagnera beaucoup d’argent », a-t-il insisté, s’abstenant à peine d’ajouter un clin d’œil “faites-moi confiance” à la fin de cette phrase creuse. Comme il est déconnecté de la sombre réalité de nos vies. Pas étonnant qu’il n’accorde des interviews qu’aux chaînes étrangères, et à sa chaîne nationale, qui accueille chaleureusement ses mensonges.

Accord de plaidoyer 2.0 ?

Le procès de Netanyahou & Co. qui a repris cette semaine après six semaines d’interruption n’a pas suscité beaucoup d’intérêt. Les reportages sur le contre-interrogatoire de l’enquêteur principal de la police dans deux des affaires de corruption ont été relégués au second plan dans les journaux.

Mais pendant la pause, des événements dont l’importance ne peut être exagérée ont eu lieu, surtout lorsqu’ils sont pris ensemble.

Événement 1 : le 27 mars, il a été rapporté que l’avocat de Netanyahou, Boaz Ben Zur, avait lancé un ultimatum à son client : Si la réforme judiciaire est adoptée, il démissionnera de l’équipe de défense.

Le monde judiciaire a été stupéfait par cette grave violation de l’éthique : un avocat déclarant qu’il ne représentera son client, en l’occurrence un premier ministre, que si ce dernier ne met pas en œuvre sa politique. De plus, les tribunaux ne permettent pas aux avocats de se séparer de leurs clients, même si ceux-ci ne les paient pas ou menacent de leur causer des dommages corporels. Les avocats de la défense ne peuvent démissionner qu’avec l’accord des juges.

La décision de Ben Zur (qu’il n’a pas niée) était tellement inédite que les plus suspicieux d’entre nous se sont demandé si elle n’avait pas été coordonnée avec l’accusé pour justifier un recul par rapport au renversement de la démocratie.

Événement 2 : Le 1er avril, Ilana Dayan a rapporté sur Channel 12 News que l’avocat de Shaul Elovitch a proposé une voie alternative dans la partie d’Elovitch des affaires de corruption de Netanyahou : La “médiation judiciaire”. Les avocats de Netanyahou ont rejeté cette proposition ; ils attendront la décision du procureur général Gali Baharav-Miara.

Elovitch est jugé dans l’une des deux affaires dans lesquelles Netanyahou aurait offert des faveurs en échange d’une couverture médiatique positive. La “médiation judiciaire”, quant à elle, est une version aseptisée d’un terme plus explosif : la “négociation de peine” [réduite si l’inculpé plaide coupable, NdT].

Dans ce cas, les négociations sont confiées à un juge à la retraite, avant que la procédure ne revienne au tribunal pour qu’il prenne une décision finale.

 

L’avocat de la défense de Netanyahou, Boaz Ben Zur, au tribunal de district de Jérusalem en janvier.

L’avocat d’Elovitch, Jacques Chen, a-t-il fait cette proposition avec l’accord tacite des avocats de l’accusé n° 1 ? Peut-être. Quoi qu’il en soit, le sentiment dans le monde judiciaire est qu’une option de plaidoyer a été ressuscitée, après l’accord qui a été presque conclu avec l’ancien procureur général Avichai Mendelblit avant que Mendelblit ne prenne sa retraite en février 2022.

À l’époque, Netanyahou avait accepté de plaider coupable pour deux chefs d’accusation de fraude et d’abus de confiance afin d’éviter une décision de justice pour turpitude morale, qui l’aurait tenu à l’écart de la vie politique pendant sept ans. Le successeur de Mendelblit ne lui aurait jamais proposé un meilleur accord.

Événement 3 : Avant la Pâque, l’accusation et la défense se sont mises d’accord pour réduire considérablement le nombre de témoins de l’accusation - de 300 environ dans l’acte d’accusation à 50 ou 60 environ. Ils ont également convenu de limiter la durée de l’interrogatoire des témoins à une demi-journée ou une journée.

C’est ahurissant. Les avocats de Netanyahou ont utilisé des tactiques dilatoires tout au long du procès et ont scandaleusement fait traîner en longueur l’interrogatoire des témoins. Soudain, un esprit d’efficacité s’est emparé d’eux, comme s’ils étaient pressés de mettre fin à l’affaire.

Quiconque a lu les transcriptions des interrogatoires du Premier ministre par la police, avec leurs nombreuses contradictions et détours, est conscient du danger qui guette Bibi s’il se présente à la barre des témoins.

Les disciples stupides de Channel 14 et de la radio Galey Yisrael essaieront de faire croire que l’accusé a écrasé l’accusation, mais les décisions de justice ne sont pas écrites dans les studios. Et lorsque l’accusé, qui a la réputation d’un menteur avide et manipulateur, devra répondre aux procureurs, son charme douteux s’évaporera.

Après la limitation de la durée des témoignages, combien de temps reste-t-il avant son propre témoignage ? Les observateurs parlent de huit à dix mois. Théoriquement, un accord de plaidoyer coupable pourrait être signé juste une minute avant la décision du tribunal. En pratique, la date limite se situe juste avant que Netanyahou ne soit appelé à témoigner.

Si et quand une négociation de peine revient à l’ordre du jour, la situation sera très différente de ce qu’elle était au début de l’année 2022. L’épée que Netanyahou tient en travers de la gorge du pouvoir judiciaire est encore brûlante. À l’époque, il était le chef de l’opposition. Aujourd’hui, il est non seulement le Premier ministre le plus dangereux de notre histoire, mais aussi le plus imprévisible.

Certains disent que son fils, exilé à Porto Rico en compagnie du milliardaire du jour, veut faire de son père le martyr de la droite et qu’il exploitera le processus à fond. Difficile de savoir ce qui se passe dans ce panier de crabes. Mais conclure un tel accord dans une biosphère aussi démente n’est pas simple du tout.

Le fantôme de Ben-Gourion

Les dirigeants ultra-orthodoxes qui cherchent à protéger la sous-culture consistant à échapper au service national militaire ou civil invoquent souvent David Ben-Gourion. Après la guerre d’indépendance, le premier Premier ministre israélien a exempté 400 étudiants de yeshivas de l’armée à condition qu’ils étudient la Torah.

Ce nombre a fini par atteindre des proportions monstrueuses, et toute prudence a été abandonnée lorsque le Likoud est arrivé au pouvoir en 1977. Aujourd’hui, nous souffrons d’un manque d’égalité honteux et de tentatives de l’inscrire dans la loi.


David Ben-Gourion, qui a fini par regretter sa décision de laisser les ultra-orthodoxes échapper au service militaire. Photo : Daniel Rosenblum/Starphot

Cette semaine, un lecteur m’a envoyé une photocopie d’une lettre que Ben-Gourion a écrite en septembre 1963 à son successeur après son second mandat, Levi Eshkol. Cette lettre est parue moins de trois mois après que le Vieux Lion se fut retiré à Sde Boker, dans le sud du pays.

Le contexte : de violentes émeutes provoquées par des factions extrémistes ultra-orthodoxes. Il ressort de cette lettre que Ben-Gourion n’était pas à l’aise avec sa décision initiale, ou du moins qu’il en mesurait les conséquences pour la société israélienne.

Voici la lettre, avec quelques coupures : « Le comportement sauvage des fanatiques devient complètement incontrôlable, et je pense que j’en suis responsable dans une mesure qui est déjà connue : j’ai exempté les garçons de yeshiva du service militaire.

« Bien que je l’aie fait lorsque leur nombre était faible, ils se multiplient et, dans leur déchaînement, ils représentent un danger pour l’honneur de l’État. ... Je propose que tout garçon de yeshiva âgé de 18 ans et plus qui est pris en train de participer à un rassemblement illégal, de jeter des pierres, de se livrer à une émeute contre des citoyens ou de s’engager dans tout autre acte de violence et d’intimidation soit immédiatement incorporé dans l’armée, où il servira pendant 30 mois comme n’importe quel autre jeune en Israël - non pas dans une position religieuse, mais comme simple soldat.

« De même, il pourrait être nécessaire d’examiner si les étudiants de yeshiva devraient être exemptés d’une obligation militaire. Mais les contrevenants ne méritent absolument pas ce privilège douteux ».

L’historien Michael Bar-Zohar, qui a écrit plusieurs livres sur Ben-Gourion, m’a dit cette semaine que le vieil homme ne regrettait pas sa décision initiale concernant les 400 étudiants de yeshiva. « Nous en avons parlé à plusieurs reprises. Il respectait le monde de la Torah. Le problème, c’est qu’ils ont fait en sorte que ce nombre soit beaucoup plus important ».

Peut-être était-il difficile pour Ben-Gourion de reconnaître son péché originel, qu’il a eu trop peur de corriger pendant une décennie et demie. Mais il ne fait aucun doute qu’il a compris qu’il s’agissait d’une erreur.

Tant qu’il y avait un semblant d’efforts pour remédier à ce problème, même s’il ne s’agissait que de comités et de propositions qui traînaient en longueur - les Israéliens qui servaient dans l’armée et payaient des impôts étaient prêts à l’avaler. Le gouvernement cauchemardesque actuel ne se contente pas d’esquiver une solution au problème, il rend le péché permanent. Il l’aggrave et le légitime.

Le dernier délai fixé par la Cour suprême est le 29 mai. Les ultra-orthodoxes veulent mettre de l’ordre dans ce coin-là une fois pour toutes, sans interférence supplémentaire de la part de la Cour. Netanyahou a des problèmes bien plus graves que les philosophailleries de Ben-Gourion ; il a des acolytes qui réclament du grisbi.

10/02/2023

GIDEON LEVY
La vague de protestation en Israël ne concerne pas la démocratie : c’est une guerre de classe

Gideon Levy, Haaretz, 9/2/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

En fin de compte, c’est une guerre de classe. La lutte pour la démocratie sert de toile de fond, de manteau respectable en termes de principe et d’idéologie. Mais la véritable bataille est interclasses et interculturelle. La guerre tourne supposément autour de la nature du régime en Israël, entre deux camps qui prétendent être les vrais démocrates. Aucun d’eux ne l’est. Les partisans du coup d’État constitutionnel prétendent qu’il mènera à la démocratie, qui à leurs yeux est la tyrannie de la majorité (qui n’est pas la démocratie).

Manifestants à Tel Aviv samedi dernier contre les projets du nouveau gouvernement visant à affaiblir le système judiciaire. Photo : Corinna Kern/Reuters

Ses opposants affirment avec la même passion que ce plan détruira la démocratie, même si celle-ci ne peut absolument pas exister dans un État d’apartheid. Aucun des deux camps ne compte de véritables démocrates. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui est certainement aussi motivé par sa colère contre le système judiciaire et sa tentative d’échapper à son procès, le ministre de la Justice Yariv Levin et Simcha Rothman, président de la commission de la Constitution, des lois et de la justice de la Knesset, ne sont pas des démocrates, ce sont des ennemis de la démocratie.

Mais les organisateurs de la manifestation de protestation ironique du Shabbat à Efrat ne sont pas non plus des démocrates. Le changement de régime proposé est un désastre, il annonce le fascisme, mais la guerre contre ce dernier ne concerne pas la démocratie, vu que la plupart de ceux qui la mènent ne sont pas des démocrates. Un démocrate se battrait pour la démocratie pour tous dans son pays. La plupart des héros de l’opposition actuelle ne se sont jamais intéressés à l’état de la démocratie à une heure de route de chez eux, c’est pourquoi il est difficile de les considérer comme des démocrates.

Ceux qui sont en train de provoquer le coup d’État ne sont certainement pas intéressés par la démocratie. Pour eux, ce n’est qu’un moyen de combattre l’ordre ancien, de punir et de se venger des classes et de la culture qui ont déterminé la conduite d’Israël depuis sa création. La guerre actuelle est donc menée pour quelque chose de plus profond que le régime : l’ordre social.

Les opposants au coup d’État du régime sont l’ancienne élite, même si cela ne sonne pas bien. Les enseignants, les architectes, les psychiatres, les généraux, les écologistes, les gens de la haute technologie, les économistes, les juristes et, bien sûr, Aharon Barak [ancien président de la Cour suprême de 1995 à 2006, NdT] et Ehud Barak. Ils sont tous issus d’une classe très spécifique de la société israélienne. En face d’eux se dresse la nouvelle élite, qui tente de se frayer brutalement un chemin vers le centre de la scène, après de longues années au sein d’un gouvernement qui n’y est pas parvenu.

C’est pour cela qu’ils se battent, pour faire reconnaître qu’ils sont une élite. Ils veulent une clause de dérogation judiciaire et une composition différente pour le comité de nomination des juges afin que ce soit eux qui décident qui seront les juges, afin que les juges soient comme eux, à leur image. Au passage, ils veulent éliminer tout contrôle juridique du gouvernement - un coup mortel pour la démocratie, mais cela est également dû à ce qu’ils considèrent comme la composition déformée de la Cour.

Si l’avocat Zion Amir était le président de la Cour suprême, il est douteux qu’ils s’attaquent au contrôle constitutionnel ou qu’ils modifient la composition du comité de nomination des juges. Les opposants ne veulent pas changer la composition du comité pour la même raison : Ils veulent que les juges continuent à être à leur image.

Peu de gens savent si la présidente de la Cour suprême Esther Hayut est une juriste importante et si elle est vraiment meilleure qu’un candidat que les politiciens de droite parachuteraient. Mais elle est l’une des nôtres. Peu importe que la Cour ait trahi son rôle pendant des années et n’ait pas surveillé les autorités qui ont commis des crimes de guerre. D’autre part, personne n’a menacé de déclencher une guerre civile, ni d’utiliser des armes à feu.

La guerre de classe est menée par des personnes qui sont également issues de l’ancienne élite. Netanyahou, Levin et Rothman n’ont pas grandi à Hatzor Haglilit [ville de Haute-Galilée habitée par des mizrahim, NdT], mais ils ont réussi à être considérés comme la voix fidèle et authentique des classes inférieures. Vous ne les convaincrez pas qu’ils ont tort. Leur amour pour Netanyahou n’est pas quelque chose qui peut être facilement changé. Il est beaucoup plus facile de lutter contre le coup d’État légal si nous acceptons les courants profonds qui le motivent.

La moitié d’Israël se sent exclue. Quelqu’un a réussi à les convaincre que la réforme est l’espoir d’un changement de son statut, que la nouvelle Knesset d’Israël, assemblage assez embarrassant de dignitaires, est sa représentante, et qu’il faut lui donner tous les pouvoirs : que c’est ça la démocratie. Il n’y a pas de mensonge plus dangereux, mais pour pouvoir le neutraliser, il faut commencer par comprendre ses motivations.

 

08/02/2023

HILO GLAZER
La procureure générale d’Israël ne va pas reculer la première

Hilo Glazer, Haaretz, 3/2/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Israël est à la veille d’une épreuve de force fatidique, et tous les regards sont tournés vers la procureure générale. Tous ceux qui connaissent l’histoire de la carrière de Gali Baharav-Miara savent ce qu’elle va faire ensuite.

La Procureure générale Gali Baharav-Miara

Dans la liste des choses qui donnent des nuits blanches à la procureure générale Gali Baharav-Miara, la possibilité qu’elle soit démise de ses fonctions arrive en dernière position. L’impression des personnes qui ont parlé avec elle ces dernières semaines est qu’il y a des affaires qu’elle trouve bien plus inquiétantes. Surtout celles qui ne relèvent pas de son influence directe. La destitution des juges, par exemple. Cela, prévient-elle, serait un cadeau qui permettrait aux auteurs de la “réforme” de la justice du gouvernement de modifier le visage de la Cour suprême de manière méconnaissable.

Une autre source d’inquiétude est la possibilité croissante de la fermeture de la Société publique de radiodiffusion Kan. Pour l’instant, cette question n’a pas encore atterri sur son bureau, mais Baharav-Miara signale que le jour où des pétitions seront déposées contre cette fermeture, et si elle est convaincue qu’il s’agit d’une décision arbitraire motivée par des considérations étrangères, elle n’hésitera pas à agir contre elle.

Ayant un esprit analytique, Baharav-Miara dit à son personnel qu’elle est surtout préoccupée par les statistiques. Plus précisément, elle craint que la campagne éclair menée par les responsables du coup d’État ne porte ses fruits sur des fronts qui échappent au radar et ne sont pas soumis à l’examen du public. Et il ne s’agit pas d’une préoccupation abstraite : elle note que le gouvernement n’a jusqu’à présent dévoilé qu’une seule des quatre étapes de sa prétendue réforme et qu’il dissimule le reste de son plan de changement de régime. Dans des conversations privées, elle compare la situation à un avion de guerre qui est censé larguer une bombe de 100 tonnes, mais qui transporte en réalité une bombe de 500 tonnes.

Le sol brûle sous les pieds de la procureure générale. Le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir tente de la dépeindre comme l’ennemie du peuple. Des manifestants de droite demandent qu’elle soit “neutralisée”. Le flot de demandes initial pour son licenciement pendant la récente campagne électorale s’est transformé en un véritable raz-de-marée, grâce aux encouragements de hauts responsables du gouvernement. Pour l’heure, la menace consiste à limiter à une année supplémentaire son mandat, qui a débuté en 2022 après six ans passés dans le privé. La coalition semble préparer un dossier pour son éviction, et est à tout le moins déterminée à lui pourrir la vie au point qu’elle soit contrainte de démissionner.

Mais à ce jour, Baharav-Miara tient bon et affiche une colonne vertébrale de fer, en déclarant à la population qu’elle a l’intention d’aller jusqu’au bout de son mandat de six ans comme prévu ; quiconque tente de la renvoyer devra payer le prix public que cela implique. Elle est convaincue que les ondes de choc qui en résulteront seront ressenties puissamment, loin et largement, y compris sur la scène internationale. En outre, dit-elle à ses proches, je sais une chose ou deux sur la survie.

Une liste impressionnante de personnes a recommandé Baharav-Miara pour le poste de procureur général. « J’ai eu l’impression qu’elle est professionnelle, déterminée et qu’elle adopte des opinions claires », déclare à Haaretz Dorit Beinisch, présidente de la Cour suprême à la retraite. Menachem Mazuz, autre ancien juge de la Cour suprême et ancien procureur général, se souvient de son impression « qu’elle possède l’attribut le plus important pour le poste : une colonne vertébrale morale ». L’ancienne juge et ancienne procureure générale Edna Arbel fait également partie de ceux qui ont soutenu Baharav-Miara. « Elle a traité une importante affaire de corruption gouvernementale et l’a fait de manière approfondie, ciblée et intègre », dit Arbel. Dans le passé, elle dit avoir également engagé Baharav-Miara pour la représenter dans une affaire de diffamation intentée contre elle.

Une autre personne qui a recommandé Baharav-Miara - l’ancien procureur d’État Moshe Lador - a également fait appel à ses services lorsqu’un procès en diffamation a été intenté contre lui par l’ancien Premier ministre Ehud Olmert, à la suite de commentaires qu’il a faits dans une interview accordée à Haaretz. Lador note qu’il a trouvé en elle « une personne morale, une femme de principes, charismatique et imprégnée du courage qui est si nécessaire dans un moment comme celui-ci ».

Cependant, ces noms prestigieux n’ont guère impressionné le chef du comité de recherche du procureur général, Asher Grunis, ancien président de la Cour suprême. Il s’est opposé, au début de l’année 2022, à la nomination de Baharav-Miara parce qu’il pensait qu’elle n’avait pas l’expérience nécessaire dans les deux domaines les plus importants du poste : le droit public et le droit pénal. Baharav-Miara, qui n’est pas du genre à se vexer, a alors déclaré à ses amis qu’il s’agissait d’un “événement lié au genre”. Sinon, elle estimait qu’il était impossible d’expliquer pourquoi, dans le cas de ses prédécesseurs masculins, personne ne parlait d’un manque d’expérience dans des domaines spécifiques, alors qu’elle, avec un parcours cumulé de 40 ans dans la gestion d’affaires complexes, était effectivement considérée comme inférieure.

Grunis a d’ailleurs soutenu la nomination du procureur général adjoint, Raz Nizri, qui ne figurait même pas sur la liste des candidats sélectionnés. Elyakim Rubinstein, à la fois ancien juge de la Cour suprême et ancien procureur général, a également soutenu publiquement Nizri, malgré son amitié de longue date avec Baharav-Miara.

Asher Grunis, ancien président de la Cour suprême, s’est opposé à la nomination de Mme Baharav-Miara parce qu’il pensait qu’elle n’avait pas l’expérience nécessaire. Baharav-Miara, qui n’est pas du genre à se vexer, a alors déclaré à ses amis qu’il s’agissait d’un incident lié au sexe. Photo : Olivier Fitoussi

« Lorsque sa candidature a été proposée pour la première fois, je l’ai appelée pour lui dire que je la respecte et l’estime mais que je soutiens Nizri », se souvient Rubinstein. « Elle l’a accepté dans un esprit raisonnable et m’a remercié d’avoir été juste. En tout cas, à partir du moment où elle a été nommée, il va sans dire que je la soutiens. À mon avis, elle fait son travail avec dévouement et de manière digne, dans une période évidemment si tendue ».

GIDEON LEVY
Puissent les manifestations anti-Netanyahou réussir. Et après, qu'arrivera-t-il aux Palestiniens ?

Gideon Levy, Haaretz, 5/2/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

La fureur est compréhensible, l'inquiétude justifiée. Il devient de plus en plus clair que l'inquiétude n'est pas exagérée, que l'objectif du plan est de soumettre le pouvoir judiciaire, laissant le pouvoir entre les mains de la branche exécutive du gouvernement, qui en Israël contrôle également la branche législative. Le pays ne ressemblera plus à une démocratie libérale, comme les Israéliens aiment à définir (à tort) leur système de gouvernement. Nous sommes confrontés à une tentative de coup d'État de type hongrois. Par conséquent, la protestation semble justifiée. Je lui souhaite de réussir.

Une manifestante anti-Netanyahou tient une pancarte sur laquelle on peut lire : "Pas de démocratie avec l'occupation" devant la résidence du président à Jérusalem samedi dernier. Photo : Olivier Fitoussi

Tout comme les protestations précédentes, devant la résidence du Premier ministre à Jérusalem, leur seul objectif est de renverser, d'écarter ou d'arrêter une personne ou un processus. A l'époque, c'était “tout sauf Bibi”. Maintenant, c'est “tout sauf un coup d'État”. Aujourd'hui comme hier, il n'y a pas de plan B. Supposons que vous vous débarrassiez de Netanyahou, qui le remplacerait ? Supposons que vous arrêtiez le coup d'État ; qu'est-ce qui viendra à sa place ? Les gens diront : « Occupons-nous d'abord du danger immédiat, puis nous verrons. Une étape à la fois. C'est ce qui est urgent maintenant, ce qui doit pousser tout le reste de côté ».

 

Supposons que les protestations et la pression internationale réussissent au-delà de toute attente et que Netanyahou soit déclaré inapte à servir, que Yariv Levin redevienne ministre du tourisme et qu'Israël redevienne ce qu'il était avant. La Cour suprême conserve son indépendance sans entrave, continuant à légitimer les détentions sans procès, les punitions collectives, les colonies et la déportation des demandeurs d'asile. La procureure générale, Gali Baharav-Miara, recommencera à faire ce qu'elle a fait toute sa vie professionnelle : cette héroïne du mouvement de protestation recommencera à défendre inlassablement l'establishment de la défense, comme le décrit Hilo Glazer dans un article de fond retraçant sa carrière (Haaretz, 3 février, en français ici).

 

Gali Baharav-Miara

 

« Elle a cru à cette position dès le début », dit l'article, en faisant référence à son grand succès dans le rejet d'une poursuite judiciaire clairement justifiée. « Cela correspondait à son programme de protection des soldats des FDI de toutes ses forces ». Le procès a été intenté par la famille de la militante Rachel Corrie, qui demandait des dommages et intérêts après que leur fille eut été écrasée à mort par un bulldozer des FDI dans la bande de Gaza en 2003. Quel grand succès en salle d'audience et quel échec moral pour elle à l'époque, tout comme elle a réussi à disculper le lieutenant-colonel Shalom Eisner dans un autre procès visant à obtenir des dommages et intérêts après qu'il eut été filmé en train d'agresser vicieusement un Palestinien et un manifestant danois. Dans le mémoire de défense de Baharav-Miara, le soldat brutal est devenu une victime.

 

Baharav-Miara a également été responsable du rejet d'une demande de compensation du père de trois filles tuées à Gaza, le Dr Izzeldin Abuelaish, et d'une autre demande de la famille d'une fille tuée à Gaza, sur laquelle on a tiré à nouveau pour s'assurer qu'elle était bien morte. L'avocat des droits humains Eitay Mack a déclaré que l'accusation dirigée par Baharav-Miara a mené une campagne tous azimuts contre ces justes revendications. Le journal Makor Rishon a écrit qu'elle avait pris ces affaires en charge comme un “projet personnel”. C'est la personne que les manifestants encensent. Si elle réussit, elle reviendra en force.

 

Les quelques personnes en Israël qui vivent les crimes de l'occupation ont du mal à se joindre à une manifestation avec ces objectifs et ces héros. Il est vrai que les choses pourraient être pires - le coup d'État diminuera la démocratie - mais comment pouvons-nous continuer à fermer les yeux sur les actes d'Israël lorsque nous luttons pour sa démocratie ?

 

On ne peut pas parler de démocratie pour les Juifs uniquement, ni même pour les seuls citoyens d'Israël. Toute lutte pour la démocratie qui ignore la dictature militaire qui est une partie inséparable des régimes d'Israël n'est pas une manifestation à laquelle on peut se joindre. Le fait que l'on parle enfin de démocratie et que des groupes importants de personnes soient prêts à se battre pour elle est un signe d'espoir. Le respect est dû aux lauréats du prix de la défense d'Israël, aux architectes, aux avocats, aux psychiatres, aux hommes d'affaires et à tous ceux qui agissent. Mais une manifestation qui ne s'intéresse pas au véritable état de la démocratie, qui ne propose aucune alternative au statu quo et qui est incapable d'amener la conversation sur la démocratie à une discussion sur sa véritable signification, la démocratie pour tous, est moralement défectueuse.

 

Bonne chance à vous, mes amis, du fond du cœur. Mais même si vous gagnez, c'est l'apartheid qui restera, pas la démocratie.