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07/05/2024

GABY DEL VALLE
Morts et emprisonnements à la frontière du Texas

Gaby Del Valle, The New York Review of Books, 5/5/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Gaby Del Valle est une journaliste indépendante spécialisée dans l’immigration, le travail et l’extrême droite. Elle a écrit pour The Baffler, Politico Magazine, The New Republic, The Nation, The Intercept et d’autres médias. En septembre 2019, elle a cofondé avec Felipe de la Hoz la lettre d’information hebdomadaire sur la politique d’immigration BORDER/LINES. @gabydvj

 

 

Alors que Joe Biden et Greg Abbott (gouverneur républicain du Texas]intensifient leur bras de fer sur le blindage de la frontière, les migrants se retrouvent pris entre deux feux.

Immigrants marchant près de la « barrière flottante » dans le Rio Grande (Rio Bravo) près d’Eagle Pass, Texas, 16 juillet 2023. Photo  Suzanne Cordeiro/AFP/Getty Images

Au départ, il s’agissait d’un petit groupe : quelques dizaines de voyageurs dérivant vers la frontière, pleins de peur et d’espoir, unis dans la conviction qu’ils pouvaient changer leur destin. Le long de la route, des personnes bienveillantes s’étaient rassemblées pour leur souhaiter bonne chance, prier pour eux et leur rappeler qu’ils étaient sur la bonne voie. Les rangs du groupe grossissaient à mesure qu’il se rapprochait de la ligne invisible qui sépare les USA du Mexique. Les autorités surveillaient le cortège de loin et probablement de l’intérieur, recueillant des informations sur ses membres, dont certains étaient considérés comme des criminels. Les habitants qui vivent près de la frontière parlaient à voix basse d’une menace de violence. Les nouveaux arrivants semblaient hostiles.

Il y a six ans, le président Donald Trump et le ministère de la Sécurité intérieure ont utilisé un langage similaire pour décrire une caravane de demandeurs d’asile, dont la plupart avaient traversé le Mexique à pied depuis l’Amérique centrale. En février dernier, cependant, ce n’étaient pas des migrants qui se dirigeaient vers la frontière, mais le convoi “Take Back Our Border”, composé de camionneurs, de miliciens et de “patriotes” qui s’étaient mobilisés pour repousser ce qu’ils considéraient comme une invasion de migrants. Les marcheurs, dont certains se sont baptisés “Armée de Dieu”, se sont arrêtés à plusieurs endroits avant de faire une arrivée spectaculaire dans la petite ville de Quemado, au Texas. Des pasteurs portant des chapeaux de cow-boy ont prêché contre l’accueil de l’étranger ; des fidèles ont été baptisés dans des baignoires en fer-blanc ; Ted Nugent a donné un concert.

« Le monde entier a les yeux rivés sur le Texas en ce moment », a déclaré Sarah Palin lors d’un rassemblement de convois à Dripping Springs, à quelque 300 km au nord-est de Quemado. « Il est de notre devoir de nous lever et de nous battre pour ce qui est juste, parce que ce que notre gouvernement fédéral est en train de nous faire en approuvant une invasion est inadmissible, c’est une trahison ». Le Parti patriote unifié de Caroline du Nord, l’un des nombreux groupes qui ont fait le déplacement depuis d’autres États, s’est engagé à protéger la frontière « par bulletin de vote, par choix » ou « par balles, s’il y est contraint ». Le FBI a ensuite arrêté un homme qui a déclaré à des agents infiltrés que son organisation paramilitaire prévoyait de tuer des migrants.

Après les menaces et la fanfare, le convoi s’est dispersé. Certains de ses membres se sont dirigés vers l’Arizona et la Californie, où ils se sont filmés en train de harceler les migrants et les volontaires de l’aide humanitaire. D’autres sont rentrés chez eux, heureux d’avoir fait leur part pour le mouvement. En fin de compte, le convoi n’était rien d’autre qu’une remarquable manifestation de haine, le dernier exemple en date d’une longue tradition d’autodéfense frontalière d’extrême droite. Mais le projet dont il faisait partie s’est avéré moins éphémère. Comme les convois et milices nativistes précédents, l’Armée de Dieu s’est mobilisée non seulement pour s’opposer aux migrants, mais aussi pour soutenir les efforts gouvernementaux visant à contrôler les frontières, menés en l’occurrence par le gouverneur du Texas Greg Abbott.

Au cours des trois dernières années, Abbott a accusé à plusieurs reprises le président Joe Biden de permettre l’invasion des migrants. Lui et ses partisans affirment que le président a ouvert la frontière à des personnes qui n’ont pas le droit de la franchir, qu’il a transformé la patrouille frontalière en une sorte de comité d’accueil et qu’il a laissé le département de la Sécurité publique du Texas et la Garde nationale de l’État se charger de la tâche. En février, treize autres gouverneurs républicains ont afflué à la frontière pour promettre leur soutien à Abbott ; certains ont envoyé leurs propres troupes de la Garde nationale sur place. Des membres républicains du Congrès ont également félicité Abbott pour ce qu’il décrit comme « tenir le cap ».

En réalité, les politiques frontalières fédérales ont été, pour la plupart, extraordinairement sévères sous le président Biden. Il a prolongé le Titre 42, une politique que Trump a invoquée en mars 2020 sous le prétexte de lutter contre la pandémie, ce qui a permis aux douanes et à la protection des frontières (CBP), l’agence mère de la patrouille frontalière, d’“expulser” les migrants qui franchissaient la frontière pour les renvoyer au Mexique. (La CBP a procédé à 1,4 million d’expulsions après l’entrée en fonction de M. Biden et avant avril 2022, date à laquelle il a tenté de lever le titre 42, mais en a été empêché par un tribunal fédéral). À la différence des déportations, les expulsions étaient presque immédiates : les personnes étaient renvoyées quelques minutes ou quelques heures après leur entrée aux USA, sans audience devant un juge de l’immigration. D’un point de vue juridique, ces personnes n’ont jamais été admises sur le territoire usaméricain.

Au total, plus de 2,8 millions d’expulsions ont été prononcées en vertu du titre 42. Pourtant, cette politique n’a pas empêché d’autres migrants de franchir la frontière ; c’est simplement que ceux qui ont essayé ont presque toujours été renvoyés. Des tentatives de franchissement ont également eu lieu sous Trump, mais pour les critiques conservateurs de Biden, elles sont la preuve d’une nouvelle ère d’anarchie.

Des participants écoutent un discours lors du rassemblement du convoi “Take Back Our Border” [Reprenons notre frontière], Cornerstone Children’s Ranch, Texas, 3 février 2024. Photo Sergio Flores/AFP/Getty Images

En mars 2021, alors que peu de choses avaient effectivement changé à la frontière depuis l’entrée en fonction de Biden, Abbott a officiellement lancé sa croisade contre les autorités fédérales chargées de l’immigration. Au début, il a vaguement décrit l’opération Lone Star comme un plan visant à “sécuriser la frontière” en déployant la police de l’État et la Garde nationale du Texas dans plusieurs comtés où le nombre de passages de migrants est élevé. Très vite, des agents ont arrêté des migrants, mais pas pour des raisons liées à l’immigration, du moins pas sur le papier. Abbott a affirmé que près de 60 % des arrestations effectuées dans le cadre de l’opération Lone Star concernaient le trafic de stupéfiants ou des actes de violence, mais bon nombre de ces infractions se produisent loin de la frontière et impliquent des citoyens usaméricains. Les migrants arrêtés pour intrusion criminelle représentent les 40 % restants. (Les accusations d’intrusion sont possibles car près des trois quarts des terres situées le long de la frontière sud du Texas sont des propriétés privées). En mai, en réponse à l’augmentation du nombre de migrants rencontrés, Abbott a publié une déclaration de catastrophe qui lui a donné le droit de construire des clôtures le long de la frontière méridionale de l’État.

À ce jour, les forces d’Abbott ont appréhendé plus de 507 000 personnes dans le cadre de l’opération Lone Star,  ce qui a donné lieu à plus de 41 500 arrestations criminelles. Il présente ces chiffres comme la preuve que son administration a pris des mesures alors que le gouvernement fédéral piétine. Pourtant, en arrêtant les migrants pour violation de propriété et en les détenant dans les prisons locales, la Garde nationale du Texas a contourné la procédure fédérale d’expulsion. Les migrants qui, autrement, auraient été refoulés à la frontière, pourraient désormais demander l’asile.

En mai 2023, lorsque Biden a déclaré que la pandémie était terminée, le titre 42 a expiré, modifiant la directive de la patrouille frontalière. Après avoir expulsé les migrants en masse pendant trois ans, l’agence devait à nouveau traiter toute personne se présentant à la frontière en vertu du titre 8, la loi sur l’immigration qui déclenche les procédures d’expulsion pour les “inadmissibles”. En fait, sous Biden, les expulsions au titre 42 et les admissions au titre 8 ont eu lieu simultanément : tandis que certains migrants étaient expulsés, d’autres se voyaient accorder des “dérogations humanitaires” qui leur permettaient de demander l’asile. Ce système désordonné a semé la confusion parmi les demandeurs d’asile et l’opinion publique usaméricaine. Mais après la levée de l’ordre d’expulsion, les migrants ne pouvaient plus être jetés de l’autre côté de la frontière et abandonnés à leur sort. Désormais, du moins en théorie, ils pourront être entendus par un tribunal.

La procédure de demande d’asile est en elle-même contraignante. Une fois remis à la CBP, les migrants sont soumis à un entretien de “crainte crédible”, au cours duquel les agents déterminent s’ils risquent d’être persécutés dans leur pays d’origine. Les demandeurs qui réussissent l’examen initial reçoivent des avis de comparution devant le tribunal, des mois ou des années plus tard. La menace d’une expulsion plane tout au long du processus ; les personnes qui n’obtiennent pas l’asile sont renvoyées dans le pays qu’elles ont fui.

Au lieu de rétablir cette procédure imparfaite, l’administration Biden a rendu plus difficile l’introduction d’une demande d’asile aux postes frontières officiels et a imposé de nouvelles sanctions à ceux qui ne le font pas. Les demandeurs doivent désormais prendre rendez-vous via une application appelée CBP One avant de pouvoir se présenter à un point d’entrée. Les créneaux d’entretien sont limités à 1 450 par jour, et ils partent vite. Par conséquent, les migrants sont contraints d’attendre en moyenne deux mois au Mexique avant de demander l’asile.

Leur autre option est de braver le désert ou, au Texas, le fleuve, ce qui compromet leurs chances de s’installer durablement aux USA. Alors que le titre 42 arrivait à expiration, l’administration Biden a publié un règlement interdisant à la plupart des personnes qui traversent entre les points d’entrée d’obtenir l’asile, à moins qu’elles n’aient d’abord déposé une demande au Mexique ou dans un autre pays. Ce règlement a également élargi le “renvoi accéléré”, une procédure par laquelle le ministère de la Sécurité intérieure expulse des personnes des USA avec des garanties de procédure limitées. L’administration a affirmé que le règlement punissait les migrants pour avoir « contourné les voies légales » d’entrée dans le pays, c’est-à-dire pour ne pas avoir utilisé l’application foireuse.

En résumé, la procédure mise en place par l’administration Biden après l’expiration du titre 42, qui était censée être « sûre, ordonnée et humaine », a en fait provoqué davantage de dysfonctionnements, de chaos et de morts. S’il s’agissait d’une tentative d’apaisement des critiques conservateurs, elle s’est clairement retournée contre ses initiateurs : ils lui reprochent toujours de ne pas être assez sévère. Les migrants sont pris au milieu de cette impasse politique, bloqués au Mexique par les politiques de Biden, forcés d’emprunter des itinéraires encore plus périlleux par Abbott, et punis à nouveau pour cela par Biden. Mais s’ils déterminent que les risques de rester chez eux sont plus grands que ceux à la frontière, ils tenteront leur chance quelles que soient les mesures mises en place.

*

Depuis des décennies, la Border Patrol et la CBP ont pour mission non seulement de traquer, d’appréhender et d’arrêter les migrants non autorisés, mais aussi de les secourir sur le terrain hostile des zones frontalières. Ceux qui se retrouvent perdus dans le désert de Sonora ou emportés par les forts courants du Rio Bravo peuvent considérer un agent de la patrouille frontalière comme une sorte de sauveur pervers : Les agents de la patrouille frontalière sont à la fois responsables de pousser les migrants sur des routes périlleuses et de les sauver des dangers qu’ils y rencontrent. L’opération Lone Star a modifié cette dynamique, rendant la frontière plus mortelle que jamais.


La Garde nationale du Texas derrière le gouverneur Greg Abbott lors d’une conférence de presse, Eagle Pass, Texas, 4 février 2024. Photo Raquel Natalicchio/Houston Chronicle/Getty Images

 Au début de l’année 2022, le département militaire du Texas, qui supervise la Garde nationale de l’État, a installé des fils de fer barbelé concertina le long de certaines parties de la frontière. La démonstration de force s’est concentrée dans le siège du comté de Maverick, Eagle Pass, une ville d’environ 28 000 habitants située à moins de vingt miles de Quemado. Le directeur de la Sécurité publique du Texas a justifié cette décision en qualifiant la ville de « centre de gravité de la contrebande ».

La frontière est depuis longtemps poreuse dans cette partie du Texas. Le Rio Bravo et une « clôture pour piétons » sont les seuls éléments qui séparent Eagle Pass de la ville mexicaine de Piedras Negras. Même avant l’entrée en fonction de Biden, c’était un lieu de passage pour les migrants, un endroit où ils pouvaient traverser le fleuve à la nage et demander l’asile. En 2019, alors que le nombre de passages dans le secteur Del Rio de la patrouille frontalière a augmenté de 200 % par rapport à l’année précédente, l’agence a érigé des tentes à Eagle Pass pour traiter les demandes. En janvier dernier, le secteur de Del Rio a enregistré le deuxième plus grand nombre d’arrestations, après Tucson, en Arizona.

Depuis 2023, Abbott a largement concentré ses efforts de répression sur une petite partie d’Eagle Pass, le parc Shelby, que la CBP utilisait comme « zone de transit » pour le traitement des migrants. Le parc, l’une des plus grandes zones de loisirs publiques d’Eagle Pass, porte le nom d’un général confédéré qui, en 1865, s’est réfugié au Mexique pour y fonder une colonie d’exilés confédérés ayant juré fidélité à l’empereur Maximilien, installé dans le pays par les Français. En juin dernier, sans l’avis ni l’approbation du conseil municipal, le maire d’Eagle Pass, Rolando Salinas, a délivré une déclaration sous serment transformant le parc de 47 hectares en propriété privée sous son autorité, ce qui a permis aux forces d’Abbott d’arrêter les migrants qui s’y trouvaient sans autorisation. Le mois suivant, une « barrière flottante » de 300 mètres de long est apparue au milieu du fleuve. Elle était conçue pour empêcher les migrants de passer par-dessus et de nager en dessous : ses bouées orange vif étaient séparées par des lames de scie en métal, et un filet anti-plongée se trouvait en dessous.

Le “mur” de bouées a rendu le Rio Bravo pratiquement impossible à traverser à la nage. En août, Jessie Fuentes, un habitant d’Eagle Pass, a déclaré au Texas Tribune que ce mur « nous faisait ressembler à un pays du tiers-monde ». Enseignant à la retraite, né et élevé dans la ville, Fuentes a été l’un des premiers à s’opposer à l’occupation du parc Shelby par Abbott. En juillet, il a intenté une action en justice contre le gouverneur, l’État et le ministère de la Sécurité publique, affirmant que la barrière avait causé un « préjudice imminent et irréparable » à son entreprise de location de kayaks.

Début août, les autorités mexicaines ont repêché deux corps dans la rivière. Ces décès ont marqué un tournant pour de nombreux habitants d’Eagle Pass, dont certains avaient soutenu les initiatives d’Abbott, mais qui ont commencé à changer d’avis. Dans une plainte déposée auprès du département de la Sécurité publique, l’un des policiers dépêchés à la frontière affirme avoir reçu l’ordre de priver les migrants d’eau et de les « repousser dans l’eau pour qu’ils aillent au Mexique ». Il décrit avoir intercepté un homme blessé, qui « a déclaré qu’il avait un enfant coincé dans un piège dans l’eau... Il a extirpé son enfant et, ce faisant, le piège du baril lui a lacéré la jambe ». Deux agriculteurs mariés, Magali et Hugo Urbina, ont demandé au service de sécurité publique d’enlever les barbelés de leur propriété après avoir vu une femme enceinte sortir de la rivière avec du sang coulant le long de ses bras.

Rassemblement de la Coalition frontalière d’Eagle Pass lors du vote au conseil municipal en août 2023

Deux jours avant la découverte des corps, Salinas - le maire qui avait initialement cédé le parc à Abbott - et le conseil municipal ont voté à l’unanimité pour que le parc redevienne une propriété publique. « Il est évident que si c’est inhumain, je ne vais pas dire “Oui, je suis tout à fait d’accord pour que les gens soient lacérés” », a-t-il déclaré avant le vote. Mais deux semaines plus tard, la ville a voté pour « poursuivre les négociations » avec le gouvernement de l’État sur l’utilisation du parc. Depuis, d’autres vies ont été perdues. Le comté de Maverick stocke les corps repêchés dans la rivière dans d’immenses congélateurs qui accueillaient à l’origine les victimes de la Covid-19.

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La volonté affichée par Abbott de rétablir l’ordre public est probablement illégale. En juillet dernier, le ministère fédéral de la Justice a intenté une action en justice au motif que les bouées du Texas violaient la loi sur les rivières et les ports (Rivers and Harbors Act), qui interdit d’obstruer les eaux navigables sans l’autorisation du corps des ingénieurs de l’armée. Le gouvernement fédéral a demandé à un tribunal fédéral d’ordonner à Abbott de retirer les bouées. Quelques mois plus tard, après que des agents de la patrouille frontalière ont coupé des câbles que l’État avait installés sur les rives du Rio Bravo, le Texas a intenté un procès à l’administration Biden pour destruction illégale d’une propriété de l’État. Jusqu’à présent, les actions en justice ont permis à Abbott de remporter de timides victoires. En octobre dernier, en réponse à la plainte du Texas, un juge fédéral a ordonné aux agents de l’immigration de cesser de démonter les fils de concertina installés à Eagle Pass. Trois mois plus tard, la cour d’appel du cinquième circuit, considérée comme la plus conservatrice du pays, a déclaré que les bouées pouvaient rester en place tant que le gouvernement n’aurait pas statué sur la plainte déposée contre Abbott.

 



Immigrants traversant à gué le Rio Bravo, près d’Eagle Pass, Texas, le 7 janvier 2024. Photo John Moore/Getty Images

En janvier dernier, Abbott a encore fait monter les enchères lorsque la Garde nationale du Texas a pris le contrôle du parc Shelby et a empêché les agents de la patrouille frontalière d’accéder au fleuve. Deux semaines plus tard, après que la Cour suprême a déclaré que la patrouille frontalière pouvait couper les barbelés, il a écrit une lettre accusant le gouvernement fédéral d’avoir ouvert toutes grandes les portes du mur frontalier. Abbott a invoqué à la fois l’article IV de la Constitution, qui « promet que le gouvernement fédéral “protégera chaque [État] contre l’invasion” », et la section 10, clause 3 de l’article I, « qui reconnaît “l’intérêt souverain des États à protéger leurs frontières” ». Le maire Salinas a déclaré que le département de la Sécurité publique du Texas l’avait informé que le gouverneur avait émis une autre déclaration d’urgence lui donnant « le plein contrôle et la garde du parc Shelby », avec effet immédiat.

Ce jeudi, la Garde nationale avait empêché la patrouille frontalière d’entrer dans Shelby Park pour répondre à un appel concernant des migrants qui s’étaient noyés. Le lendemain matin, les corps d’une mère et de ses deux enfants ont été retrouvés dans le Rio Bravo, à proximité. Dans sa lettre, Abbott impute ces noyades à la « politique frontalière anarchique » de la Maison-Blanche, qui, selon lui, « a incité les immigrants illégaux à quitter les 28 points d’entrée légaux situés le long de la frontière sud de cet État - des ponts où personne ne se noie - pour se réfugier dans les eaux dangereuses du Rio Grande ». (En fait, les politiques de Biden - punir les passages illégaux et limiter le nombre de personnes pouvant demander l’asile aux points d’entrée légaux - n’ont pas tant “attiré” les migrants vers le danger que les y ont poussés). Fin mars, après que des centaines de migrants ont franchi une barrière en fil de fer à El Paso, les médias conservateurs ont présenté la situation comme une nouvelle preuve que Biden avait perdu le contrôle de la frontière. Mais il est presque certain que les migrants se rendaient eux-mêmes à la patrouille frontalière.

L’administration Biden, pour sa part, a fait valoir que le Texas avait violé à plusieurs reprises la clause de suprématie de la Constitution, qui confère au gouvernement fédéral l’autorité suprême en matière d’immigration. C’est pourquoi, en 2021, la Garde nationale du Texas a reçu pour instruction d’arrêter les migrants pour violation de propriété, et non pour infraction à la législation sur l’immigration. Au cours des trois années suivantes, Abbott a étendu l’opération Lone Star jusqu’à ce que le Texas entrave indéniablement la capacité du gouvernement fédéral à contrôler l’immigration à la frontière sud. La violation la plus flagrante de la clause de suprématie par le Texas a pris la forme du SB4, une loi signée par Abbott en décembre, mais qui n’est pas entrée en vigueur en raison d’une décision de justice fédérale. Cette loi fait de l’immigration illégale un crime d’État et permet à la police texane d’interroger toute personne dont elle pense qu’elle se trouve dans le pays sans autorisation légale. L’administration Biden n’a pas eu grand-chose à dire sur la question, si ce n’est qu’elle a intenté un procès au Texas pour certaines des mesures prises par  Abbott.

Abbott, quant à lui, a exprimé son opposition à Biden, qu’il a accusé d’utiliser les migrants comme des “pions politiques”. « Nous n’allons pas nous limiter à ce parc », a déclaré le gouverneur en février, quelques jours après le départ du convoi de Quemado. « Nous nous étendons à d’autres zones pour nous assurer que nous augmentons notre niveau de dissuasion et de refus de l’entrée illégale aux USA ». L’occupation du parc Shelby se poursuit, bien qu’il s’agisse essentiellement d’un show : un gouvernement d’État ne peut pas légalement appliquer la loi fédérale sur l’immigration. Même s’il le pouvait, l’histoire ne montre guère que la dissuasion puisse mettre un terme à l’immigration clandestine.

Pendant ce temps, les politiques d’Abbott causent des problèmes plus près de chez nous. En effet, une foule de nouveaux arrivants, munis d’armes et de badges, s’est emparée d’une zone autrefois paisible, faisant naître un sentiment d’insécurité chez les habitants. Le chaos et les dysfonctionnements qui règnent à la frontière ont entraîné la perte de vies innocentes. Le vrai problème, cependant, n’est pas causé par les migrants, mais par les personnes qui se donnent beaucoup de mal pour les empêcher d’entrer.

La Coalition frontalière d'Eagle Pass a planté 700 croix dans le parc Shelby en hommage aux vies perdues le long du Rio Bravo en 2023

 

31/01/2024

YACOV BEN EFRAT
Uncle Joe pédale dans le houmous : Biden et le casse-tête israélo-palestinien

Yacov Ben Efrat, Daam, 30/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Yacov Ben Efrat est le secrétaire général du Parti des travailleurs Da’am, un groupe écosocialiste créé en 1995 pour se présenter aux élections israéliennes. Da’am est l’acronyme inversé de منظمة العمل الديمقراطي (Munazzamat al amal addimokratiy/ Organisation pour l’action démocratique). Critiques à l’égard des accords d’Oslo, qu’ils considéraient comme préjudiciables aux Palestiniens, ils appellent au remplacement du régime d’apartheid israélien par un État unique où les Palestiniens et les Israéliens jouiraient de tous les droits civiques.

Lors d’une émission de radio matinale populaire, on a demandé à Hili Tropper, ministre de la coalition Unité nationale (Gantz/Lapid), entrée dans le cabinet de guerre après le 7 octobre, censée être modérée, quelle était sa position sur la proposition de Biden concernant la création de deux États. La réponse de Tropper a été sans équivoque : « actuellement hors sujet ». Si l’on ajoute à cela le rejet catégorique par Netanyahou de la proposition usaméricano-égyptienne d’accord sur les otages, il semble que Biden perde peu à peu du terrain parmi les dirigeants israéliens. La popularité de Joe Biden a atteint son apogée lorsqu’il a stationné l’USS Eisenhower au large des côtes libanaises, exprimant ainsi son soutien inconditionnel à Israël. On se souvient de son triple avertissement au Hezbollah et à l’Iran : « ne bougez pas ».

“-Deux États ? - Trop tard !”
Hassan Bleibel, Liban

 Il est difficile de parler d’un État palestinien lorsque 80 % des Palestiniens de Cisjordanie soutiennent l’attaque du Hamas du samedi 7 octobre, tandis que la majorité des Israéliens refusent catégoriquement toute souveraineté palestinienne, surtout après l’attaque du Hamas.

La société israélienne est plus divisée que jamais. Le gouvernement contre le commandement militaire, la droite contre la gauche, avec en filigrane le débat sur le sort des otages. Faut-il accepter l’arrêt des combats pour sauver les otages du Hamas, ou continuer la guerre en espérant que la pression militaire fera fléchir le Hamas ?

La question politique divise également la société. Le gouvernement refuse de discuter du « jour d’après », un refus qui, selon les militaires, entraîne la perte des acquis militaires obtenus au prix du sang de quelque 200 soldats morts et de milliers de blessés. Un État palestinien ne fait pas du tout partie de la discussion, et il semble qu’il y ait un énorme manque de communication entre les USAméricains et les Israéliens.

Néanmoins, le débat politique au sein du cabinet est intéressant. Il divise le gouvernement d’union. Netanyahou affirme que la discussion sur « le jour d’après » aura lieu lorsque la guerre sera terminée, tandis que Gantz et Eisenkot (et Tropper) affirment que le jour d’après, c’est ici et maintenant. En d’autres termes, la guerre dans sa forme la plus intense est terminée et nous devons maintenant décider de ce qu’il faut faire. On peut se demander comment il est possible que Netanyahou et Gantz soient assis dans le même cabinet de guerre, gérant les batailles ensemble tout en étant en désaccord sur une question fondamentale : guerre ou pas guerre ?

La réalité du terrain permet de mieux comprendre cette énigme. En effet, Israël a divisé Gaza en deux, Gaza Nord et Gaza Sud. Au nord de Gaza, la guerre s’est terminée et l’armée s’est partiellement retirée. C’est cette zone qui fait débat : qu’en faire et qui la contrôlera. Benny Gantz mise sur les fonctionnaires palestiniens locaux pour gérer la vie des 150 000 habitants de Gaza qui y restent, tandis que Smotrich et Ben Gvir veulent annexer le territoire à Israël et y installer des colons. Et que veut Bibi ? Il veut survivre. S’il se range du côté de Smotrich et Ben Gvir, il perdra son partenariat avec Gantz et Biden se prononcera contre lui. Si Bibi va avec Gantz, sa coalition s’effondre et son avenir politique est voué à l’échec.

Alors que Biden tente de s’attaquer à la racine du problème, en cherchant une solution durable au sanglant conflit israélo-palestinien [sic], la coalition et l’opposition israéliennes se querellent sur l’avenir du nord de la bande de Gaza. Les Israéliens ne sont pas actuellement ouverts à des solutions radicales. En réalité, ils ne l’ont jamais été. Ils ont toujours préféré la gestion des conflits à leur résolution.

Malgré le sentiment profond de chaque Israélien que le 7 octobre est un moment décisif, le plus grand désastre qui ait frappé le pays depuis sa fondation, il n’y a actuellement ni ouverture ni énergie mentale pour aller au fond des choses. En apparence, tout le monde comprend que l’armée a échoué et que la confiance en elle a été brisée. Tout le monde comprend que le premier responsable de ce désastre se trouve au sommet de la pyramide, le Premier ministre Binyamin Netanyahou. Il nie sa responsabilité en la rejetant sur l’armée, dont tous les commandants ont déjà assumé la responsabilité de cet échec.

Et c’est là que réside l’absurdité : Quel est l’échec de Netanyahou ? Il a fait confiance au Hamas, l’a financé, lui a permis de se renforcer afin d’affaiblir l’Autorité palestinienne et d’enterrer définitivement l’idée de deux États. Après tout cela, Biden vient le voir une fois de plus avec le même mantra d’un État palestinien. Conclusion de Netanyahou : il n’y a personne à qui faire confiance, ni à l’Autorité palestinienne ni au Hamas. Et que faut-il faire ? Il n’a pas de réponse pour l’instant et de toute façon, taisez-vous, on est en guerre !

Face à cet échec colossal, qui a mis Israël à genoux et obligé les USA à venir à son secours, le président usaméricain, qui a mis tous ses œufs dans le panier israélien, se gratte la tête. Comment ouvrir les yeux des Israéliens, comment les convaincre que l’illusion que le conflit peut être géré au lieu d’être résolu est à la base de l’échec du 7 octobre ? Je vais leur apporter une solution sous la forme d’un État palestinien enveloppé dans les atours saoudiens. Le cadeau lui-même ne leur plaira peut-être pas, mais l’emballage les incitera à l’accepter.

Le problème avec Biden, c’est qu’il n’a personne avec qui travailler. Les acteurs sur lesquels il compte sont très éloignés de sa vision du monde et de ses politiques. Comment faire confiance au Saoudien Mohamed Ben Salman, ce même MBS que Biden a déclaré, lors de son élection, être une personnalité indésirable ? Quelle Autorité palestinienne peut être construite avec un prince sanguinaire qui méprise la démocratie et massacre les opposants politiques ? Quelle sorte d’Autorité palestinienne peut être établie lorsque ses représentants sont impliqués dans la corruption et suppriment tout signe de liberté et de démocratie ?  Et surtout, quelle sorte d’Autorité palestinienne « améliorée » sera construite lorsque le Hamas se cache derrière elle ? Ne s’agit-il pas simplement d’une réplique du modèle du Hezbollah, qui se cache derrière le gouvernement libanais mais en est l’acteur déterminant ?

29/01/2024

BEN SAMUELS
Qui décide vraiment de la politique de Joe Biden sur Israël et la Palestine ?
Du premier au dernier cercle, un guide des fonctionnaires usaméricains qui comptent


Ben Samuels, Haaretz, Washington, 28/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Avant le 7 octobre, les USA et Israël donnaient la priorité à la normalisation israélo-saoudienne. Aujourd’hui, l’administration Biden tente de libérer les otages détenus par le Hamas, d’empêcher une guerre avec le Hezbollah et d’amortir les coups portés à la position diplomatique d’Israël dans un contexte de guerre et de catastrophe humanitaire à Gaza. Ci-dessous les responsables usaméricains chargés d’une liste de tâches de plus en plus longue

Les personnages chargés de gérer les tensions au Proche-Orient : Bill Burns, Antony Blinken, Joe Biden, Brett McGurk, Linda Thomas-Greenfield. Photos : Susan Walsh, Evan Vucci, Mary Altaffer, Tom Williams/AP, montage d’Anastasia Shub

WASHINGTON - La réaction du président Biden à l’attaque du Hamas du 7 octobre et à la guerre d’Israël contre Gaza qui s’en est suivie définira en grande partie l’héritage qu’il laissera en matière de politique étrangère, après que son administration eut accordé la priorité au conflit israélo-palestinien et mis l’accent sur l’intégration régionale d’Israël et la normalisation potentielle avec l’Arabie saoudite.

L’engagement de hauts fonctionnaires usaméricains visait initialement à fournir une expertise et une expérience de première main, ainsi qu’à « poser les questions difficiles », comme on l’a souvent dit. Cela faisait partie de la stratégie du « bear hug » [câlin d’ours, étreinte de soumission] de Biden : utiliser le soutien de l’opinion publique pour exercer la pression publique. Alors que la guerre se poursuit sans relâche et que les points de vue des USA sont ignorés, ces fonctionnaires ont été de plus en plus chargés de gérer les relations alors que les tensions s’envenimaient.

Les responsables usaméricains - qu’ils soient impliqués dans les négociations sur les otages, qu’ils empêchent la guerre de Gaza de s’étendre au Liban et à l’ensemble du Moyen-Orient, qu’ils veillent à ce que la crise humanitaire à Gaza ne s’aggrave pas, qu’ils maintiennent la position diplomatique d’Israël (au Moyen-Orient et sur la scène internationale) ou qu’ils cherchent à revitaliser l’Autorité palestinienne sur la voie d’une solution à deux États pour l’après-guerre - sont confrontés à une liste de plus en plus longue de casse-têtes.

Cette situation ne fera que s’accentuer à mesure que les USA feront pression pour qu’Israël passe à une phase de guerre de moindre intensité et que l’opinion nationale sur la conduite d’Israël s’aggravera à quelques mois de l’élection présidentielle.

Le premier cercle

Le secrétaire d’État Antony Blinken, le plus haut diplomate des USA, a effectivement servi de baromètre public pour la réponse de l’administration. Au cours des nombreuses navettes diplomatiques qu’il a effectuées dans les mois qui ont suivi l’attaque, les discours de Blinken ont présenté le point de vue des USA sur les faits observés sur le terrain, faisant régulièrement état de préoccupations croissantes concernant la crise humanitaire de Gaza et l’incapacité d’Israël à réduire le nombre de victimes civiles.

Blinken s’adresse aux médias avant de s’envoler pour Le Caire le 11 janvier 2024, à l’issue d’un voyage d’une semaine au Moyen-Orient. Photo :  Evelyn Hockstein - AFP

Le discours qu’il a prononcé à Tokyo le 8 novembre, détaillant les « cinq non », est souvent cité comme ayant défini les principes des USA sur la guerre de Gaza et l’avenir du conflit israélo-palestinien : « Pas de déplacement forcé des Palestiniens de Gaza - ni maintenant, ni après la guerre. Pas d’utilisation de Gaza comme plateforme pour le terrorisme ou d’autres attaques violentes. Pas de réoccupation de Gaza après la fin du conflit. Aucune tentative de blocus ou d’assiégement de Gaza. Aucune réduction du territoire de Gaza. Nous devons également veiller à ce qu’aucune menace terroriste ne puisse émaner de la Cisjordanie ».

Le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan, en particulier par l’intermédiaire de son principal adjoint Jon Finer et du conseiller principal pour le Proche-Orient Brett McGurk, sont les voix les plus proches de l’oreille de Joe Biden pour tout ce qui concerne la politique étrangère. Avant le 7 octobre, ils étaient parmi les plus fervents défenseurs de la redéfinition des priorités en matière d’intégration régionale d’Israël, jusqu’à ce que l’attaque du Hamas vienne bouleverser cette approche. Depuis, ils ont publiquement et en privé intensifié leurs efforts pour encourager la normalisation israélo-saoudienne en tant que voie vers une solution à deux États.

Le porte-parole du Conseil national de sécurité, John Kirby, a été le responsable le plus en vue de l’administration sur la guerre, s’attirant les louanges des milieux pro-israéliens et juifs usaméricains pour avoir défendu le droit d’Israël à l’autodéfense et rejeté les accusations de génocide.

Hauts fonctionnaires

03/09/2023

De Niamey a Libreville, de Jartum a Yamena, de Bamako a Uagadugú y Cotonú, no hay ningún Sankara a la vista

Fausto Giudice, 2-9-2023

Visto desde el Norte, que hace gárgaras con su comodidad democrática, el espectáculo de los dictadores africanos que llegan al final de su cuerda o ya han sido derrocados es absolutamente hilarante, irresistiblemente cómico y sólo sirve para confirmar la comodidad del Norte. Visto desde el Sur, el mismo espectáculo es trágico, humillante y vomitivo. El último espectáculo lo ofreció Ali Bongo, antes Alain Bongo -autor del inolvidable vinilo de funk & soul “A Brand New Man” en 1978- quien, plantado en estado semiparapléjico en un sillón de uno de sus salones dorados, lanzó un conmovedor llamamiento a sus amigos, en inglés (hizo que Gabón ingresara en la Commonwealth el pasado octubre): “Make noise...make noise...”. (Hagan ruido).



1978

 2023

Acababa de ser “jubilado” por su primo, el jefe de la llamada Guardia Republicana, en realidad la Guardia Presidencial, el general Brice Clotaire Oligui Nguema, a quien había colocado allí para sustituir a un general embarazoso que había puesto al frente de la gendarmería. Alain-Ali era el sucesor dinástico de su padre Omar (ex Albert-Bernard), que fue investido Presidente en 1967 por De Gaulle y su franciafricano en jefe Jacques Foccart y murió en 2009.

 Alí se convirtió así en Bongo 2, al igual que Faure se convirtió en Eyadéma 2 cuando murió su padre Gnassingbé (ex Étienne) en 2005, antiguo sargento del ejército francés que había luchado contra los vietnamitas y los argelinos, y que fue llevado al poder por Foccart en Togo también en 1967, tras haber asesinado al Presidente Sylvanus Olympio en 1963 y un interludio de 4 años con Nicolas Grunitzy. O Mahamat Idriss, que se convirtió en Déby 2 tras la muerte en combate de su padre Idriss, después de 31 años como presidente.

Cada vez que se produce un golpe de Estado en África, surgen preguntas, especulaciones e hipótesis. La “jubilación” del ocupante del Palais du bord de mer (nombre del palacio presidencial de Gabón) es el séptimo golpe de Estado en África en menos de 3 años, tras los de Malí, Guinea, Burkina Faso, Chad, Sudán y Níger. La pregunta es: ¿quién está detrás de Oligui Nguema? ¿Francia? ¿USA? ¿Rusia?

Macron estrecha la mano del futuro “presidente de transición” Oligui Nguema en Libreville en marzo de 2023

Las comedidas reacciones de la Macronía y la Bidenía, sin parangón con  la indignación suscitada por el derrocamiento de Bazoum en Níger, sugieren la siguiente hipótesis: al clan Bongo-Nguema y compañía le urgía sustituir a Alí si querían conservar las colosales fortunas acumuladas durante 56 años de bongocracia y por eso el general Nguema obtuvo luz verde de los sospechosos habituales de París, Washington y, por qué no, Londres (Commonwealth obliga) para cambiarlo todo sin que nada cambiara.

Los golpes de Estado en África se suceden y no se parecen; el de Gabón me trae a la memoria otros dos: el de Ben Ali, que depuso en 1987 a un Bourguiba senil “por razones médicas”. Ben Ali había sido repartidor de la CIA en Polonia, entregando ayuda en metálico a Solidarnosc cuando era agregado militar en Varsovia. Se había previsto que un otro general tunecino depusiera y sustituyera a Burguiba, pero en el último momento los mandantes decidieron cambiar de peón.

Y lo que ocurrió en marzo de 1991 en Bamako, cuando el teniente coronel Amadou Toumani Touré (ATT), jefe de la guardia presidencial del sargento que se había convertido en general Moussa Traoré (llevado al poder por Foccart en 1968), lo llevó a la cárcel con el pretexto de mantenerlo a salvo de la revolución que amenazaba el palacio. En este caso, no se trataba de un golpe de Estado, sino de una revolución lanzada seis meses antes por el pueblo, a costa de cientos de mártires. ATT, de uniforme, siguió siendo lo que era, un maestro, y no trató de mantenerse por la fuerza tras la transición.

En la última serie de golpes de Estado, de Malí a Níger, pasando por Burkina Faso, Sudán y Guinea, los militares golpistas no encabezaban un movimiento popular, sino que actuaban desde dentro de los regímenes que decían querer cambiar, abolir, limpiar, etc. (mañana afeitamos gratis).

Dicho esto, está claro que una parte de la juventud urbana apoya a los golpistas, en Niamey como en Bamako o Libreville, atribuyéndoles un patriotismo antifranciafricano sobre el que podemos permitirnos dudar, aunque por supuesto no se equivoquen al subirse a esta ola, bajo la atenta mirada de los Uled Wagner (que sólo tienen una cosa en común con los bolcheviques: son rusos).

No, lo siento, ninguno de los boinas verdes o rojas que ocupan ahora los sillones “presidenciales de transición” en el corazón de las tinieblas son Thomas Sankara, Jerry Rawlings o incluso ATT. Oligui Nguema no estudió los clásicos adecuados para ello en la Academia Real de Meknes (Marruecos).

Para terminar, un consejo: si no quieren sufrir el destino de Alain-Ali Bongo, Paul Biya (Camerún) y Denis Sassou-Nguesso (Congo-Brazzaville) deberían seguir el ejemplo de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, el inamovible patrón de Guinea Ecuatorial, [que llegó al poder tras derrocar a su tío Macías Nguema en 1979] que, como Bongo, nada en petróleo y champán. Este otro Nguema, para evitar cualquier despertar doloroso y asegurar su sucesión dinástica a través de su hijo Teodorín, ha confeccionado una guardia presidencial formada por matones de Israel, Zimbabue y Uganda. Pero quizá ya sea demasiado tarde mientras escribo.

PD: Según el informe de 2018 sobre los envíos de vino de champán publicado por el Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC o Comité Champagne), los principales consumidores del continente africano son las Seychelles, con 350,1 botellas por cada 1.000 habitantes, seguidas de Mauricio (93,4 botellas por cada 1.000 habitantes), lo que no es de extrañar, ya que se trata de dos destinos turísticos populares entre los muy ricos. En tercer lugar se sitúa Gabón, con 65,9 botellas por cada 1.000 habitantes. En 4º lugar se sitúa Guinea Ecuatorial (28,3 botellas por 1.000 habitantes), seguida en 5º lugar por Congo-Brazzaville (22,3 botellas por 1.000 habitantes). Una botella de Pommery de 75 cl cuesta 65 euros en Gabón (salario medio mensual: 400 euros).


02/09/2023

De Niamey à Libreville, de Khartoum à N’Djaména, de Bamako à Ouagadougou et Cotonou, pas de Sankara à l’horizon

 Fausto Giudice, 2/9/2023

Vu du Nord qui se gargarise avec son confort démocratique, le spectacle des dictateurs africains en fin de parcours ou déjà déchus est absolument hilarant, d’un comique irrésistible qui ne fait que confirmer le confort nordiste. Vu du Sud, le même spectacle est tragique, humiliant, vomitif. Le dernier spectacle en date nous a été offert par Ali Bongo, ci-devant Alain Bongo – auteur de l’inoubliable vinyle de funk & soul « A Brand New Man » en 1978 -, qui, planté dans un état semi-paraplégique sur un fauteuil d’un de ses salons à dorures, a lancé un appel poignant à ses amis, en anglais (il a fait adhérer le Gabon au Commonwealth en octobre dernier): « Make noise…make noise…» (Faites du bruit).


1978

 2023

Il venait d’être « mis à la retraite » par son cousin, chef de la Garde dite républicaine, en fait présidentielle, le général Brice Clotaire Oligui Nguema, qu’il avait placé là en remplacement d’un général gênant qu’il avait mis à la tête de la gendarmerie. Alain-Ali était le successeur dynastique de son papa Omar ( ex-Albert-Bernard), installé à la présidence en 1967 par de Gaulle et son Françafricain en chef Jacques Foccart et mort en 2009.

 Ali était donc devenu Bongo 2, tout comme Faure était devenu Eyadéma 2 à la mort en 2005 de son papa Gnassingbé (ex-Étienne), un ancien sergent de l’armée française qui avait combattu les Vitenamiens et les Algériens, mis au pouvoir par Foccart au Togo aussi en 1967, après avoir au préalable assassiné le président Sylvanus Olympio, en 1963 et un intermède 4 ans avec Nicolas Grunitzy. Ou comme encore Mahamat Idriss devenu Déby 2 après la mort au combat de son papa Idriss, après 31 ans d’exercice de la présidence.

Chaque fois qu’un coup d’État se produit en Afrique, les interrogations, les supputations, les hypothèses vont bon train. La « mise à la retraite » de l’occupant du Palais du bord de mer (c’est le nom du palais présidentiel gabonais) est le septième putsch en Afrique en moins de 3 ans, après ceux qui ont eu lieu au Mali, en Guinée, au Burkina Faso (2), au Tchad, au Soudan et au Niger. La question est : qui est derrière Oligui Nguema ? La France ? Les USA ? La Russie ? 

Macron serre la main du futur “président de la transition” Oligui Nguema  à Libreville en mars 2023

Les réactions mesurées de la Macronie et de la Bidenie, sans commune mesure avec l’indignation suscitée par le renversement de Bazoum au Niger, font plutôt pencher pour l’hypothèse suivante : il était urgent pour le clan Bongo-Nguema and Co. de remplacer Ali s’ils voulaient garder les fortunes colossales accumulées en 56 ans de bongocratie et donc le général Nguema a eu le feu vert des habituels suspects à Paris, Washington et, pourquoi pas, à Londres (Commonwealth oblige) pour tout changer sans que rien ne change.

Les coups d’État en Afrique se suivent et ne se ressemblent pas tous ; le coup gabonais en évoque deux autres : celui de Ben Ali, déposant un Bourguiba gâteux « pour raisons médicales » en 1987. Ben Ali avait été un coursier de la CIA en Pologne, acheminant les aides en espèces sonnantes et trébuchantes à Solidarnosc lorsqu’il était attaché militaire à Varsovie. Un autre général tunisien avait été pressenti pour déposer et remplacer Bourguiba, mais au dernier moment, les donneurs d’ordre avaient décidé de changer de pion.

Et celui de mars 1991 à Bamako, lorsque le chef de la garde présidentielle du sergent devenu général Moussa Traoré (mis au pouvoir par Foccart en 1968), le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré (ATT), sous prétexte de le mettre en lieu sûr face à la révolution qui menaçait le palais, l’avait conduit en prison. Dans ce cas, il ne s’agissait pas d’un coup d’État mais d’une révolution déclenchée six mois plus tôt par le peuple, au prix de centaines de martyrs. ATT, sous l’uniforme, était resté ce qu’il avait été, un enseignant, et il ne chercha pas à se maintenir par la force après la transition.

Dans la dernière série de coups d’État, du Mali au Niger, au Burkina, au Soudan, en Guinée, les militaires putschistes n’étaient pas le fer de lance d’un mouvement populaire mais ont agi de l’intérieur des régimes qu’ils disent vouloir changer, abolir, nettoyer etc. (demain on rasera gratis).

Ceci dit, il est évident qu’une partie de la jeunesse urbaine soutient les putschistes, à Niamey comme à Bamako ou à Libreville, en les créditant d’un patriotisme anti-françafricain sur lequel on peut se permettre d’avoir des doutes, même si bien sûr ceux-ci ne se font pas faute de surfer sur cette vague, sous l’œil attentif des Ouled Wagner (qui n’ont qu’un seul point en commun avec les bolcheviks : ils sont russes).

Non, désolé, aucun des bérets verts ou rouges qui occupent aujourd’hui les fauteuils “présidentiels transitoires” au cœur des ténèbres ne sont ni des Thomas Sankara, ni des Jerry Rawlings, ni même des ATT. Oligui Nguema n’a pas étudié les bons classiques pour ça à l’Académie Royale de Meknès (Maroc).

Pour conclure, un petit conseil : s’ils ne veulent pas connaître le sort d’Alain-Ali Bongo, Paul Biya (Cameroun) et Denis Sassou-Nguesso (Congo-Brazzaville) devraient suivre l’exemple de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, l’inamovible patron de la Guinée équatoriale, [venu au pouvoir après avoir renversé son oncle Macias Nguema en 1979] qui nage comme Bongo dans le pétrole et le champagne. Cet autre Nguema, pour s’éviter tout réveil douloureux et assurer sa succession dynastique par son fiston Teodorín, s’est constitué une garde présidentielle composée de gros bras israéliens, zimbabwéens et ougandais. Mais peut-être est-il déjà trop tard à l’heure où j’écris.

PS : Selon le rapport 2018 sur les expéditions de vins de champagne publié par le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC ou Comité Champagne), le premier consommateur sur le continent africain  sont Les Seychelles avec 350,1 bouteilles pour 1000 habitants, suivies par l’Ile Maurice (93,4 bouteilles pour 1000 habitants), ce qui n'est pas étonnant car il s’agit de deux destinations touristiques prisées par les grandes fortunes. En numéro 3, on retrouve le Gabon avec 65,9 bouteilles pour 1000 habitants. A la 4ème place, on retrouve la Guinée équatoriale (28,3 bouteilles pour 1000 habitants), puis à la 5ème le Congo-Brazzaville (22,3 bouteilles pour 1000 habitants). Une bouteille de Pommery 75 cl coûte au Gabon 65€ (salaire moyen mensuel : 400€)