Affichage des articles dont le libellé est Forteresse UErope. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Forteresse UErope. Afficher tous les articles

19/01/2023

ANNAMARIA RIVERA
L’Italie melonienne développe une stratégie migranticide avec la bénédiction de l’Union européenne

Annamaria Rivera, Comune-info, 18/1/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

C’est bien avant l'entrée en fonction de l'actuel gouvernement fascistoïde en Italie, que la délégitimation institutionnelle, voire la criminalisation, a commencé, non seulement des ONG qui pratiquent la recherche et le sauvetage en mer, mais même de toute personne qui, ne serait-ce qu’à titre individuel, accomplit des actes de solidarité avec les réfugiés.   


Voyageuse, par Bruno Catalano

Je rappelle que la campagne contre les ONG a été inaugurée par Frontex, l'Agence européenne des frontières extérieures, qui, en décembre 2016 déjà, accusait les organisations humanitaires opérant en Méditerranée de collusion avec les trafiquants d'êtres humains et de constituer un facteur d'attraction pour les migrant·es qui les inciterait à émigrer.

Elle s'est poursuivie en Italie avec des campagnes de dénigrement, des plaintes, des procès : une stratégie de dénigrement légitimée, entre autres, par Luigi Di Maio, qui, comme on le sait, en 2017, dans un post Facebook, a qualifié les navires des ONG de “ taxis de la mer ”. Il ne fait aucun doute que de tels exemples ignobles venant d'en haut ne font qu'encourager et légitimer l'intolérance et le racisme “d'en bas” (pour ainsi dire).

Il fallait donc s'attendre à ce que le gouvernement le plus à droite de l'histoire de la République apporte une contribution significative à la guerre contre les ONG engagées dans le sauvetage en mer. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé avec le décret-loi du 2 janvier 2023, « Dispositions urgentes pour la gestion des flux migratoires », dite Meloni-Piantedosi*, signée également par les ministres Nordio*, Salvini*, Tajani* et Crosetto*, ainsi que par le président de la République Mattarella : un décret ouvertement destiné à entraver de toutes les façons l'activité des navires des ONG.

Comme on le sait, le décret oblige les navires des ONG à débarquer immédiatement les personnes secourues et les empêche ainsi d'effectuer d'autres sauvetages ou d'intervenir rapidement en cas d'autres signaux de détresse.

En fait, comme le montrent les cas les plus récents, maintenant, grâce au décret, le débarquement ne doit pas se faire vers “l'endroit sûr le plus proche” qui peut être atteint dans le plus court délai possible, mais vers un lieu de débarquement qui prend plusieurs jours de navigation. En outre, le capitaine du navire est tenu de vérifier qui, parmi les naufragés secourus, a l'intention de demander une protection internationale : cela signifie que la demande doit être faite directement sur le navire, de sorte que l'obligation de l'examiner incombe à l’État sous lequel le bateau navigue.

C'est une procédure qui a été rejetée à plusieurs reprises car, selon l'Union européenne et le règlement Dublin III, « lorsque le navire se trouve dans les eaux internationales, aucune demande d'asile ne peut être présentée car elle doit être formalisée par les autorités nationales compétentes, à la frontière et sur le territoire de l'État entendu au sens strict, y compris dans ses eaux territoriales ».

Enfin, selon le décret, si l'ONG engagée dans le sauvetage en mer violait ces fameuses règles, les responsables du navire seraient soumis à une amende pouvant aller jusqu'à 50 000 euros.

Mediterranea en action. Photo Melting Pot

En bref, une grande partie du décret Meloni-Piantedosi est en conflit ouvert avec le droit international et les conventions auxquelles l'Italie est partie, à commencer par la Convention de Genève de 1951 sur les droits des réfugiés et la Convention européenne des droits de l'homme.

Comme nous le savons tous, la Méditerranée est devenue un vaste cimetière aquatique et le canal de Sicile a atteint le sinistre record de frontière la plus meurtrière du monde.

Ce n'est pas seulement la guerre contre les ONG qui a contribué à ce bilan, mais aussi le remplacement de la mission Mare Nostrum, destinée à sauver des vies, par celle appelée Triton, visant le contrôle et la protection des frontières.

Nous sommes aujourd'hui à une époque où même le cadavre d'un enfant gisant sur une plage n'est pas en mesure d'émouvoir et de susciter la pietas collective, comme ce fut le cas en septembre 2015, lorsque l'image du petit Ālān Kurdî, mort précisément de thanatopolitique, a circulé : il était le fils de deux exilés kurdes-syriens, fuyant Daesh et la guerre civile, et donc plus que dignes d’asile.

Pour citer un cas exemplaire, je rappelle que le 11 octobre 2013, 268 réfugiés se sont noyés, dont au moins 60 enfants et un grand nombre de femmes fuyant Alep et d'autres villes syriennes. Après le naufrage de leur bateau, mitraillé par un patrouilleur libyen, les 480 réfugiés syriens ont attendu en vain pendant cinq heures, tandis que Malte et l'Italie se renvoyaient la responsabilité d'intervenir pour les secourir. Un tel crime, pourtant si grave, fut par la suite prescrit.

Actuellement, avec le gouvernement dirigé par Meloni, il y a eu un saut qualitatif qui est un signe avant-coureur de virages autoritaires, ainsi que très dangereux pour le sort et la vie des réfugiés, des personnes issues de l'immigration, mais aussi des Rroms...

Photo Open Arms

En ce qui concerne la contribution des institutions italiennes au massacre des réfugiés et des migrants, il convient de noter que l'un des piliers est le Protocole d'accord entre la Libye et l'Italie, qui légitime ainsi non seulement les massacres en Méditerranée, mais aussi les horreurs perpétrées par les soi-disant garde-côtes libyens et celles qui ont lieu dans les « centres d'accueil des migrants », qui sont en réalité d'authentiques camps de concentration. 

Nous pourrions qualifier de migranticide la stratégie actuelle adoptée par le gouvernement italien et encouragée et/ou approuvée par certaines institutions européennes. Il s'agit d'une stratégie qui donne la priorité à l'externalisation des frontières, au blocage des départs de Libye, et à la prétention de verrouiller même le sud de la Libye en passant des accords avec les pires milices et gangs de trafiquants.

L’hécatombe en Méditerranée est telle et la responsabilité de l'Union européenne est si flagrante que l'on pourrait peut-être se risquer à parler de génocide, ce dernier étant compris comme une forme de massacre unilatéral, en raison de l'appartenance à une certaine collectivité ou catégorie humaine ; ou du moins le considérer comme un crime contre l'humanité.

En outre, nous savons depuis longtemps que le racisme a presque toujours aussi une dimension institutionnelle (Carmichael et Hamilton, 1967). La discrimination courante et l'inégalité structurelle qui en résulte pour certains groupes et minorités ne sont pas seulement le résultat de préjugés “spontanés” et de comportements intolérants de la part du groupe majoritaire, mais aussi - et peut-être surtout - le résultat de lois, de normes, de procédures et de pratiques mises en œuvre par les institutions.

Il convient de souligner que la tendance illustrée par des mesures telles que le décret Meloni-Piantedosi n'est pas propre à l'Italie. Presque partout en Europe, une telle législation est en cours d'élaboration. Qui plus est, l'Union européenne pratique une sorte de sur-nationalisme armé pour défendre ses frontières. Non seulement c'est la cause principale d'un massacre de réfugiés aux proportions monstrueuses, mais cela contribue également à légitimer le racisme “spontané”, à encourager le nationalisme, et donc à favoriser le succès des droites, même extrêmes, comme le montre le cas italien.

Il suffit de dire que rien qu'au cours des dix premiers mois de 2022, entre les décès et les disparitions, il y a eu pas moins de 1800 victimes : un exemple flagrant de ce que j'ai appelé une stratégie migranticide.

Les chiffres que j'ai cités doivent être complétés par ceux relatifs aux décès dus à la faim, à la soif, à la déshydratation, ainsi qu'aux vols, agressions, enlèvements, viols et tortures jusqu'à la mort, infligés aux migrants et aux réfugiés dans des pays tels que la Libye. Cela se passe couramment, notamment dans les centres de détention libyens, véritables camps de concentration, dont beaucoup sont gérés par les milices, avec lesquelles on ^passe des accords : ce sont les mêmes qui gèrent le trafic de réfugiés. Sans parler des brutalités, même mortelles, commises par les bandes qui parcourent le désert entre le Niger, le Mali, le Soudan et la Libye elle-même : même avec ces pays, l'Union européenne et l'Italie signent des accords visant à externaliser leurs frontières, avec la prétention de fermer hermétiquement les cinq mille kilomètres du Sahara.

Pour conclure : surtout aujourd'hui, à l'époque du gouvernement Meloni, nous devrions considérer la centralité de la lutte contre le racisme et la stratégie migranticide qui en découle. Et dites-vous bien que pour vaincre la droite, c'est une question décisive.   

*NdT

Matteo Piantedosi : ministre de l’Intérieur
Carlo Nordio : ministre de la Justice
Matteo Salvini : vice-Président du Conseil, ministre des Infrastructures et des Transports
Antonio Tajani : vice-Président du Conseil et ministre des Affaires étrangères
Guido Crosetto : ministre de la Défense

 

 

12/12/2022

TOUS MIGRANTS
Lettre d'information, décembre 2022

25/11/2022

ANNAMARIA RIVERA
Les Italiens veulent-ils du racisme ?

Annamaria Rivera, Commune-Info, 24/11/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Le nouveau gouvernement fascisant italien, le plus à droite de l'histoire de la République, a promis, entre autres, le retour aux décrets-sécurité, dans le but de lutter contre « l’immigration irrégulière ». Comme il était tout à fait prévisible, Giorgia Meloni a ensuite réaffirmé fermement la ligne dure du nouveau gouvernement : « En matière de sécurité et de lutte contre l'immigration illégale, les Italiens se sont exprimés aux urnes, en choisissant notre programme et notre vision ».

Détail d'une photo de Francesca Maceroni tirée de la page Facebook d'Amnesty International relative aux manifestations contre le renouvellement du Mémorandum Italie-Libye

À bien des égards, le gouvernement Meloni a trouvé la voie déjà tracée pour une stratégie qui soit conforme à son propre style, bien qu'elle ne soit pas du tout l'œuvre exclusive de la droite. Pour ne citer que quelques exemples, le nouveau régime frontalier qui s'est imposé en Europe a déjà produit non seulement une hécatombe véritable, perpétuelle, mais aussi la prolifération et même l’externalisation des centres de détention pour migrants, dans lesquels, dans de nombreux cas, sont enfermés même des demandeurs d'asile et des mineurs.

Les conditions de ces camps – souvent équipés de cages et de barbelés, et contrôlés par les forces de l'ordre et des militaires armés - ont été condamnées par la Cour de Strasbourg elle-même. Dans certains pays, comme l’Italie, ce sont des institutions totalement abusives, car elles violent la Constitution et l'État de droit. Cependant, elles sont aussi l'œuvre de la gauche « modérée » : la loi qui les a instituées, la loi n ° 40 du 6 mars 1998, est également appelée Turco-Napolitano par les noms de la ministre de la Solidarité sociale de l'époque, Livia Turco, et du ministre de l'Intérieur de l'époque, Giorgio Napolitano.

Un tel système pour le moins répressif s'est également renforcé grâce aux accords bilatéraux avec des pays de l'autre côté de la Méditerranée, auxquels une grande partie du « travail sale » est déléguée. Comme on le sait, l’Italie a perpétué les accords de coopération même avec un pays comme la Libye, qui, de surcroît - nous l'avons rappelé à plusieurs reprises – n'a pas de lois sur l'asile, pratique de très graves violations des droits humains, et n'a même pas signé la Convention de Genève de 1951.

La Libye, étape incontournable surtout pour les migrants et les réfugiés subsahariens, est un véritable enfer. Comme et pire qu'à l'époque de Kadhafi, les pratiques encore courantes sont les arrestations arbitraires, le travail forcé, l'exploitation esclavagiste, les déportations, les rackets, les tortures, voire les viols : des horreurs dont l'apothéose est constituée par l'enfer de la prison de Koufra. La seule différence, c'est qu’aujourd' hui, ce sont les milices armées qui « dirigent » les centres de détention et qui commettent les atrocités auxquelles j'ai fait allusion.

D’autre part, dans la plupart des pays européens, l’usage politique et idéologique du cliché de l’« invasion » se répand de plus en plus, de même que des rhétoriques telles que celles des migrants comme source d’insécurité et d’appauvrissement des « nationaux » ainsi que de la « clandestinité » comme synonyme de criminalité : largement utilisées même par des institutions, même par certains partis de gauche, même « modérée », ainsi que – cela va sans dire– par des formations populistes, de droite et d'extrême droite, qui connaissent aujourd'hui en Europe une ascension impressionnante, bien illustrée par la victoire de Meloni.

En particulier, le bobard de l’« invasion » et de la « marée montante » est une fausse évidence typique : comme on le sait, la part prépondérante des flux migratoires part des pays du Sud du monde pour se diriger vers d'autres pays du Sud.

Du côté des institutions, dans une partie des pays de l'Union européenne prévaut une approche de type “urgentiste” : conséquence, entre autres, du fait que, en réalité, migrations et exodes n'ont pas été intégrés - je dirais « élaborés » – pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire comme tendances structurelles de notre temps.

Cela explique aussi pourquoi le racisme tend à devenir « idéologie répandue, sens commun, forme de la politique », pour citer Alberto Burgio (Critique de la raison raciste, DeriveApprodi, 2010). Et il ne s'agit pas du retour à la surface de l'archaïque, mais d'une des phases de la réémergence récurrente du côté obscur de la modernité européenne.

12/01/2022

THE ECONOMIST
Une histoire d'horreur financée par l'UE : l'Europe paie une force qui malmène systématiquement les migrants africains


The Economist, 11/1/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les garde-côtes libyens ne brillent pas par leur professionnalisme [ah qu’en termes galants ces choses-là sont dites, NdT]

Le voyage du Geo Barents a été un long bras de fer tendu, ponctué de moments d'efforts frénétiques. Pendant des semaines, le navire, affrété par Médecins Sans Frontières (MSF), une organisation caritative médicale, a navigué dans les eaux internationales au large de la côte méditerranéenne de la Libye. Son équipage recherchait les bateaux remplis de migrants, tout comme les patrouilles des garde-côtes libyens, qui ont menacé les travailleurs humanitaires qui tentaient d'organiser des sauvetages. De temps en temps, la radio émettait des avertissements. « Vous devez vous éloigner de cette zone », disaient les garde-côtes. « Sinon, les immigrants vous verront et navigueront vers vous ».

Après un appel de détresse reçu le mardi 16 novembre 2021 après midi, 99 personnes ont été secourues par le Geo Barents, à environ 30 milles nautiques des rives libyennes, après 13 heures de dérive en mer. Dix autres personnes ont été retrouvées mortes.  © Virginie Nguyen Hoang/HUMA

Lorsqu'elles repéraient un bateau de migrants, les deux parties se précipitaient pour arriver les premières. Pendant quelques jours, les Libyens ont gagné la course. Soutenus par des drones et des avions pilotés qui tournent au-dessus d’eux, les garde-côtes ont attrapé quatre radeaux transportant des migrants. Mais après une semaine, l'équipe de MSF a pris en charge un bateau après l'autre. Bientôt, plus de 300 migrants occupaient chaque centimètre carré des ponts du navire : Sénégalais, Soudanais, Syriens - beaucoup avec des histoires d'horreur de leur séjour en Libye, qu'ils ont partagées avec le Outlaw Ocean Project, une organisation de journalisme à but non lucratif avec laquelle The Economist a collaboré pour cette histoire.

Depuis au moins 2017, l'Union européenne, avec 'Italie aux commandes, a formé et équipé les garde-côtes libyens pour qu'ils servent de force maritime par procuration. Les migrants qui atteignent l'Europe bénéficient de protections juridiques, de travailleurs humanitaires et de journalistes pour mettre en lumière leur détresse. En collaborant avec les Libyens, l'UE a en fait déplacé les contrôles de sa frontière sud à des centaines de kilomètres au sud de la frontière réelle, dans un endroit où ces subtilités ne s'appliquent pas.

Si l'objectif est simplement d'empêcher les migrants d'atteindre les côtes européennes, cet effort a été couronné de succès. Des dizaines de milliers sont interceptés chaque année par les Libyens. Le nombre de personnes atteignant l'Italie par la mer a diminué de 44 % entre 2017 et 2021, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), un organisme des Nations unies.

Mais pour les migrants eux-mêmes, la politique européenne a été un désastre. La traversée elle-même est devenue plus dangereuse. Une mesure de ce danger, qui compare les décès estimés aux tentatives de traversée, est passée d’un sur cinquante en 2015 à un sur vingt en 2019. Une autre mesure, qui utilise les arrivées en Europe au lieu des tentatives de traversée, a grimpé de quatre fois. Des dizaines de milliers de migrants qui ne peuvent pas atteindre l'Europe sont piégés dans des camps de détention sordides et surpeuplés en Libye, soumis à la torture, au travail forcé et à l'extorsion par leurs geôliers. L'UE elle-même admet qu'elle n'a que peu de contrôle sur ses partenaires - et pourtant, elle continue à verser de l'argent dans ce système.

10/01/2022

MARINELLA SALVI
« Je suis beaucoup plus dérangée par les sangliers que par les migrants » : Propos de comptoir dans un bar à la frontière italo-slovène

 Marinella Salvi , il manifesto, 7/1/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les histoires des migrants qui tentent d'entrer en Italie depuis la Slovénie dans les commentaires des clients d'un bar de Trieste.

Les troncs élancés des charmes aux premières lueurs du jour, le silence, juste quelques bruissements parmi les robiniers. La route asphaltée, glissante en ces étranges jours de brouillard, est une longue montée et descente sur le flanc de la montagne. Là-haut, la Slovénie surplombe la plaine, qui s'épaissit peu à peu de maisons : on voit Trieste, blanche, couronnant une mer laiteuse qui semble se fondre dans le ciel gris. Cinq jeunes hommes marchent prudemment sur le bord de la route. Emmitouflés, trempés jusqu’aux os, ils ont des têtes d’Afghans ou de Pakistanais, qui sait ?

La Slovénie a mis en place un vaste programme d'interception des trafics illégaux et des centaines de passeurs sont déjà hébergés dans les quelques prisons slovènes. Mille euros pour un passage à travers la République jusqu'à la frontière italienne. À quelques reprises, la police slovène a poursuivi des camionnettes jusqu'à la frontière italienne et des arrestations rocambolesques ont été effectuées dans la banlieue de Trieste. Il y a ensuite les patrouilles mixtes italo-slovènes le long des chemins et la pratique illégale des réadmissions informelles, qui sont la manière bureaucratique de dire qu'ici on ne peut pas passer, que chaque migrant doit repartir en Bosnie, sans protection, sans droits. Ces cinq personnes semblent être arrivées par leurs propres moyens, loin des routes principales, à travers les bois. Après la descente, il y a le village. L'école primaire, la caserne des carabiniers, le monument aux partisans... C'est le matin, une petite agitation de personnes qui se rassemblent sur la place jusqu'au bar, qui vient de cuire du pain et des strudels et commence à servir du café et des cappuccinos.

Dans le bar, tout le monde parle slovène car les communes autour de Trieste abritent la majorité de la communauté slovène, mais il suffit de dire « buongiorno » au lieu de « doberdan » pour que tout le monde passe à l'italien. Ils ont vu ces cinq garçons passer. « C'est normal, très normal, du moins en été ; ces jours-ci, c'est bizarre, on n’en a pas vu depuis un moment. La traversée des Balkans est devenue une tâche presque impossible. Ils sont toujours passés par ici : cette frontière a vu des gens arriver par les chemins depuis des dizaines d'années ».

RÉFUGIÉS EN LIBYE
Notre manifeste politique

Traduit par Tlaxcala

Nous sommes des réfugiés et nous vivons en Libye.

Nous venons du Sud-Soudan, de Sierra Leone, du Tchad, de l'Ouganda, du Congo, du Rwanda, du Burundi, de Somalie, d'Érythrée, d'Éthiopie et du Soudan. Nous fuyons les guerres civiles, les persécutions, les changements climatiques et la pauvreté dans nos pays d'origine. Nous avons tous été poussés par des circonstances dépassant l'endurance humaine.

Nous voulions atteindre l'Europe en cherchant une seconde chance pour nos vies et sommes donc arrivés en Libye. Ici, nous sommes devenus la main-d'œuvre cachée de l'économie libyenne : nous posons des briques et construisons des maisons libyennes, nous réparons et lavons des voitures libyennes, nous cultivons et plantons des fruits et des légumes pour les agriculteurs libyens et les tables à manger libyennes, nous montons des satellites sur des toits élevés pour les écrans libyens, etc. 

Apparemment, cela ne suffit pas aux autorités libyennes. Notre huile de coude ne suffit pas. Ils veulent le contrôle total de nos corps et de notre dignité. Ce que nous avons trouvé à notre arrivée était un cauchemar fait de tortures, de viols, d'extorsions, de détentions arbitraires... nous avons subi toutes les violations possibles et inimaginables des droits humains.

Et pas qu’une fois.

Nous avons été interceptés de force en mer par les soi-disant garde-côtes libyens - financés par les autorités italiennes et européennes - puis ramenés dans des prisons et des camps de concentration inhumains. Certains d'entre nous ont dû répéter ce cycle d'humiliation deux, trois, cinq, jusqu'à dix fois.

Nous avons essayé de faire entendre notre voix et de diffuser nos histoires. Nous les avons transmises aux institutions, aux politiciens, aux journalistes, mais à part quelques rares personnes intéressées, nos histoires sont restées inaudibles. Nous avons été délibérément réduits au silence.

Mais plus maintenant.

Depuis le 1er  octobre 2021, le jour où la police et les forces militaires libyennes sont venues dans nos maisons du quartier de Gargaresh et ont mené contre nous une répression et des raids massifs impitoyables, graves et féroces. Des milliers de personnes ont été arrêtées arbitrairement et détenues dans des camps de concentration inhumains.

Le lendemain, nous sommes venus à titre individuel et nous nous sommes rassemblés devant le siège du HCR. Là, nous avons compris que nous n'avions pas d'autre choix que de commencer à nous organiser.

Nous avons élevé nos voix et les voix des réfugiés sans voix qui ont été constamment réduits au silence. Nous ne pouvons pas continuer à nous taire alors que personne ne défend nos intérêts et nos droits.

Nous sommes ici maintenant pour revendiquer nos droits et chercher une protection vers des pays sûrs.

Par conséquent, nous demandons maintenant :

1.       Des évacuations vers des pays sûrs où nos droits seront protégés et respectés.

2.      La justice et l'égalité entre les réfugiés et les demandeurs d'asile qui sont enregistrés auprès du HCR en Libye.

3.      La suppression du financement des garde-côtes libyens qui interceptent constamment et par la force les réfugiés fuyant l'enfer libyen et les ramènent en Libye où toutes les atrocités leur arrivent.

4.      La fermeture de tous les centres de détention à travers la Libye, qui sont entièrement financés par les autorités italiennes et de l'Union européenne.

5.      Les autorités doivent traduire en justice les auteurs qui ont tiré sur et ont tué nos frères et sœurs à l'intérieur et à l'extérieur des centres de détention.

6.      Les autorités libyennes doivent cesser de détenir arbitrairement les personnes relevant de la compétence du bureau du HCR.

7.    À la Libye de signer et de ratifier le texte de la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés.

👉Si vous et/ou votre organisation êtes d'accord, veuillez signer notre Manifeste ici


 

GIANSANDRO MERLI
Libye : les 99 jours de lutte des oublié·es du monde

 Giansandro Merli , il manifesto, 7/1/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Tripoli : « La communauté internationale ne veut pas nous écouter », dénoncent les réfugiés qui ont survécu aux rafles d'octobre dernier et aux centres de détention. Les demandes de protection formulées pendant plus de trois mois de lutte sont tombées dans l'oreille d'un sourd. Depuis le début protestations, trois personnes ont été tuées et une kidnappée. Nouvelles arrestations de migrants à Sabratha et Tripoli.


À Tripoli, des réfugiés manifestent devant les bureaux du HCR. Photo Mahmud Turkia/AFP via Getty Images

La nouvelle, c’est qu’il ne s’est rien passé. À Tripoli, des milliers de réfugiés manifestent depuis quatre-vingt-dix-neuf jours pour demander leur évacuation vers n’importe quel pays où ils ne risquent pas leur vie à chaque pas, mais personne ne leur a donné de réponse. En même temps que la frustration et la peur, la conscience d'avoir été oubliés par le monde s'est accrue. « La communauté internationale ne veut pas nous écouter. Notre piquet est désormais normalisé pour le public mondial. Au début, il y a eu quelques réactions de la part des médias. Puis plus rien. Personne ne semble se soucier du fait que ces personnes revendiquent le droit de vivre et de ne pas être torturées », déclare David Oliver Yambio, un Soudanais de 24 ans parmi les plus actifs de la mobilisation. « Peur ? Je n'ai plus rien à perdre, dans cette protestation nous jouons le peu qui nous reste », poursuit-il.

Tout a commencé le 1er  octobre dernier, avec des rafles dans le quartier de Gargaresh, puis dans d'autres parties de la ville. Environ 5 000 migrants ont été arrêtés. Ceux qui ont échappé aux raids ont trouvé refuge au centre communautaire de jour (CdC) du HCR. Le nombre de migrants a augmenté au fil des jours et un camp de protestation a été mis en place. Après que 2 000 personnes se sont échappées du centre de détention d'Al Mabani le 8 octobre, le nombre de manifestants a augmenté et le HCR a fermé le centre en affirmant qu'il n'était pas en mesure d'offrir une assistance à tous.

Les survivants ont apporté avec eux les histoires et les signes de violence qu'ils ont subis en détention. Ce qui est dénoncé depuis des années dans les rapports des agences de l'ONU ou des ONG comme Médecins Sans Frontières, provient directement des voix et des corps de ceux qui ont subi des abus et des tortures. Des conférences de presse et des retransmissions en direct aux médias internationaux ont été organisées depuis le camp. Des textes et des vidéos déchirants sont publiés sur les profils sociaux de @RefugeesinLibya. Comme celle d'une femme qui raconte en larmes avoir été victime de violences de la part de cinq Libyens armés et ne plus pouvoir retrouver sa fille de six ans. Ou celle d'un réfugié tchadien menotté, le visage barbouillé de poussière et les vêtements arrachés, battu devant la caméra pour convaincre sa famille d'envoyer de l'argent à la milice.

12/12/2021

ANTONIO MAZZEO
Des millions d'euros affluent pour former et armer les « garde-côtes » libyens contre les migrants

Antonio Mazzeo, AfricaExPress, 10/12/2021
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Dépenses folles pour les moteurs, les pièces de rechange et l'entretien des navires rapides que les gouvernements italiens des vingt dernières années ont donnés à la « marine militaire » de l'ancienne colonie.

Mais combien nous coûtent les raids des garde-côtes libyens contre les migrants détenus illégalement en mer ? Des millions, plusieurs millions par an, rien que pour les moteurs, les pièces de rechange et l'entretien des navires rapides que les gouvernements italiens des vingt dernières années ont donnés à la marine libyenne.

Garde-côtes libyenne

Il y a quelques semaines, un appel d'offres a été publié sur le site de la Garde des Finances afin de trouver une entreprise capable de fournir « cinq moteurs MAN d'une puissance de 478 kW/650 ch et les pièces de rechange nécessaires (20 kits de maintenance avec 500 heures de fonctionnement ; cinq fûts de 20 litres de liquide antigel chacun ; 8 kits de réparation de pompes à eau de mer ; 6 courroies dentées) ». La commande porte sur des navires de classe P. 100 utilisés par l'Administration générale de la sécurité côtière (GACS), le ministère libyen de l'Intérieur, qui est chargé de contrôler les eaux territoriales et la zone SAR (Search and Rescue) de la Libye, la zone maritime identifiée fin 2018 pour la recherche et le sauvetage en mer, plus que controversés, de personnes en danger de mort.

Valeur totale de la fourniture : 354 500 euros

L'appel d'offres a été attribué au Centre Naval de la Garde des Finances de Formia (Latina) et la valeur totale de la fourniture est estimée à 354 500 euros. Les entreprises ont jusqu'au 22 décembre pour soumettre leurs offres, tandis que l'attribution devrait avoir lieu le 11 janvier 2022.

Selon l'annonce de la Garde des Finances, la fourniture de moteurs pour les bateaux anti-migrants aura lieu dans le cadre du projet « Soutien à la gestion intégrée des frontières et des migrations en Libye - Première phase », le programme financé par l'Union européenne, qui a démarré après la signature d'un accord le 15 décembre 2017 entre la Commission européenne et la Direction centrale de l'immigration et de la police des frontières du ministère italien de l'Intérieur.