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Sergio Rodríguez Gelfenstein
¿Qué hará Marcos Rubio? 

10/01/2022

GIANSANDRO MERLI
Libye : les 99 jours de lutte des oublié·es du monde

 Giansandro Merli , il manifesto, 7/1/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Tripoli : « La communauté internationale ne veut pas nous écouter », dénoncent les réfugiés qui ont survécu aux rafles d'octobre dernier et aux centres de détention. Les demandes de protection formulées pendant plus de trois mois de lutte sont tombées dans l'oreille d'un sourd. Depuis le début protestations, trois personnes ont été tuées et une kidnappée. Nouvelles arrestations de migrants à Sabratha et Tripoli.


À Tripoli, des réfugiés manifestent devant les bureaux du HCR. Photo Mahmud Turkia/AFP via Getty Images

La nouvelle, c’est qu’il ne s’est rien passé. À Tripoli, des milliers de réfugiés manifestent depuis quatre-vingt-dix-neuf jours pour demander leur évacuation vers n’importe quel pays où ils ne risquent pas leur vie à chaque pas, mais personne ne leur a donné de réponse. En même temps que la frustration et la peur, la conscience d'avoir été oubliés par le monde s'est accrue. « La communauté internationale ne veut pas nous écouter. Notre piquet est désormais normalisé pour le public mondial. Au début, il y a eu quelques réactions de la part des médias. Puis plus rien. Personne ne semble se soucier du fait que ces personnes revendiquent le droit de vivre et de ne pas être torturées », déclare David Oliver Yambio, un Soudanais de 24 ans parmi les plus actifs de la mobilisation. « Peur ? Je n'ai plus rien à perdre, dans cette protestation nous jouons le peu qui nous reste », poursuit-il.

Tout a commencé le 1er  octobre dernier, avec des rafles dans le quartier de Gargaresh, puis dans d'autres parties de la ville. Environ 5 000 migrants ont été arrêtés. Ceux qui ont échappé aux raids ont trouvé refuge au centre communautaire de jour (CdC) du HCR. Le nombre de migrants a augmenté au fil des jours et un camp de protestation a été mis en place. Après que 2 000 personnes se sont échappées du centre de détention d'Al Mabani le 8 octobre, le nombre de manifestants a augmenté et le HCR a fermé le centre en affirmant qu'il n'était pas en mesure d'offrir une assistance à tous.

Les survivants ont apporté avec eux les histoires et les signes de violence qu'ils ont subis en détention. Ce qui est dénoncé depuis des années dans les rapports des agences de l'ONU ou des ONG comme Médecins Sans Frontières, provient directement des voix et des corps de ceux qui ont subi des abus et des tortures. Des conférences de presse et des retransmissions en direct aux médias internationaux ont été organisées depuis le camp. Des textes et des vidéos déchirants sont publiés sur les profils sociaux de @RefugeesinLibya. Comme celle d'une femme qui raconte en larmes avoir été victime de violences de la part de cinq Libyens armés et ne plus pouvoir retrouver sa fille de six ans. Ou celle d'un réfugié tchadien menotté, le visage barbouillé de poussière et les vêtements arrachés, battu devant la caméra pour convaincre sa famille d'envoyer de l'argent à la milice.

Au plus fort de la participation, le camp regroupait 3 000 personnes, aujourd'hui il en compte environ un millier. Depuis le début de la manifestation au CdC, trois réfugiés ont été tués : l'un a été abattu au milieu de la foule, deux autres ont été écrasés. Le journaliste libyen Saddam Alsaket a été arrêté le 24 octobre après avoir couvert les événements et l'on ignore ce qu'il est devenu. Le 29 décembre, Al-Hadi Mohamed Sharaf, un réfugié et militant de 52 ans, a disparu. Les manifestants affirment qu'il a été enlevé. On l’a vu pour la dernière fois près du poste de contrôle de la police, à proximité du camp.

« Nous voulions rejoindre l'Europe pour chercher une seconde chance et nous sommes donc venus en Libye. Ici, nous sommes devenus la force de travail cachée de l'économie libyenne », peut-on lire dans le manifeste politique rédigé pendant la lutte. « Apparemment, cela ne suffit pas aux autorités. Ils veulent le contrôle total de nos corps et de notre dignité. Nous avons découvert un cauchemar de torture, de viol, d'extorsion, de détention arbitraire ». Parmi les sept demandes figurant au bas du texte, outre l'évacuation, figurent : la suppression du financement [par l’UE, en particulier l’Italie, NdT] des « garde-côtes » de Tripoli ; la fermeture des centres de détention ; l'enquête sur les violences et les meurtres et la poursuite de leurs auteurs ; la ratification par la Libye de la Convention de Genève sur les réfugiés.

LE 18 OCTOBRE, les mêmes demandes ont été incluses dans une lettre adressée à l'Union européenne. Un J'accuse contre les politiques migratoires menées ces dernières années, écrit par ceux qui en ont subi les effets dans leur chair. « Nous demandons aux autorités et au monde entier de nous reconnaître comme des êtres humains, de respecter et de protéger nos droits », ont écrit les réfugié·es. Deux réponses sont venues de Bruxelles, l'une « au nom du vice-président de la Commission, Margaritis Schinas ». L'essentiel des deux : l'Europe se dit préoccupée par la situation en Libye, les violences contre les migrants et les détentions arbitraires, mais il n'est pas question d'évacuer ceux qui risquent leur vie. Après tout, l' « enfer libyen » est une conséquence directe des politiques européennes qui voudraient arrêter les gens de l'autre côté de la Méditerranée. A n'importe quel prix.

La seule voie de sortie légale du pays restent les rapatriements volontaires de l'OIM pour les « migrants économiques » et la réinstallation organisée par le HCR pour les réfugiés les plus vulnérables. Les évacuations humanitaires et les vols de transfert vers le Niger et le Rwanda, où les personnes attendent d'être réinstallées dans des pays acceptant les quotas, ont été interrompus en catastrophe depuis 2020 par une décision libyenne. Elles ont repris le 4 novembre 2021, un mois après le début de la protestation. Au cours des cinq semaines suivantes, 1 640 personnes ont pu quitter la Libye en toute sécurité. Mais il y a plus de 40 000 réfugiés enregistrés auprès du HCR dans ce pays d'Afrique du Nord. « Nous sommes tous vulnérables, nous risquons tous nos vies tous les jours », dit Yambio.

Pendant les manifestations, il y a eu des moments de tension entre le HCR et les réfugiés. Le HCR a fait état de violences de la part de certains manifestants et a suspendu ses activités au CdC et, au cours des dix premiers jours de décembre, au siège où il effectue les enregistrements. Les réfugiés affirment que le HCR ne les protège pas contre la violence et ne soutient pas leurs demandes. Le chef de mission Jean-Paul Cavalieri a déclaré qu'il ne considérait pas l'évacuation comme une option viable et que des solutions devaient être trouvées en Libye, faisant ainsi pression sur les autorités pour qu'elles respectent les droits humains et mettent fin aux détentions arbitraires. Dans le même temps, il a reconnu que le HCR n'était pas en mesure de protéger les réfugiés.

Les autorités libyennes ont eu une attitude hostile envers l'organisation et ont refusé de conclure un accord officiel avec l'agence des Nations unies. Le 2 janvier, le Conseil national libyen pour les libertés civiles et les droits humains a publié une déclaration affirmant que les activités du HCR étaient illégales car Tripoli n'avait pas signé la Convention de Genève. Les associations et ONG de différentes villes ont répondu par une note commune contestant cet argument.

Pendant ce temps, dans le pays qui devait tenir des élections le 24 décembre, élections qui ont ensuite été reportées, les arrestations de migrants, y compris de femmes et d'enfants, accusés seulement de ne pas être en règle avec leurs documents, ont repris. De nouveaux raids ont été signalés au début de 2022 à Sabratha et à Tripoli. Le CdC a maintenant fermé ses portes pour de bon et les manifestants craignent que cela ne déclenche des attaques de milices. Ils maintiennent leur piquet et continuent d'appeler à l'aide. Mais personne ne veut vraiment écouter les réfugiés qui s'organisent et se battent. Même si tout ce qu'ils demandent est un traitement digne d'êtres humains.

Les « réfugiés en Libye » ont lancé une campagne de crowdfunding pour soutenir leur combat, vous pouvez y contribuer ici.

        

 

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