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01/10/2022

GIANSANDRO MERLI
Non Una Di Meno lance l’opposition féministe au gouvernement à venir en Italie

Giansandro Merli, il manifesto, 29/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Des milliers de femmes dans les rues de Rome, Milan et de nombreuses autres villes pour défendre l'interruption volontaire de grossesse. « Nous craignons que de plus en plus d'obstacles soient placés devant les femmes qui souhaitent avorter. Par exemple avec une forte présence de “pro-vie” au sein des hôpitaux », explique Marta Autore, de NUDM [Non Una Di Meno, Pas Une De Moins, mouvement féministe transnational né en Argentine, qui a essaimé dans toute l’Amérique latine et en Europe du Sud, NdT]

« Ils demandent où sont les féministes. Nous voilà. Nous sommes là », crient-elles au micro. La place répond avec un rugissement : ce “Nous sommes furieuses” qui a appelé à la manifestation n'est pas seulement un slogan. Le cri part du centre géographique de la capitale, à quelques pas de la gare Termini, mais c'est le même qui gronde sur les 16 autres places qui ont vu des manifestations organisées par le mouvement Non Una di Meno (NUDM), de Vérone à Palerme.


Rome, manifestation de NUDM pour la défense de l'avortement libre et gratuit- Photo Cecilia Fabiano

La Journée internationale pour l'avortement libre, sûr et gratuit, qui a été pendant des années l'occasion pour les femmes de se mobiliser, a une signification plus importante trois jours après les élections politiques remportées par la droite. On ne connaît pas encore les noms de l'équipe gouvernementale ni les principaux dossiers sur lesquels elle voudra intervenir, mais il n’y a pas besoin d'un météorologue pour savoir de quel côté le vent souffle.

Giorgia Meloni a répété qu'elle ne modifiera pas le texte de la loi 194 mais qu'elle s'engagera à la mettre en œuvre intégralement en « garantissant les droits de celles qui ne veulent pas avorter ».

« En attendant, nous ne lui faisons pas confiance », di Marta Autore, de NUDM Rome, « et nous craignons que de nouveaux obstacles se dressent devant les femmes qui veulent avorter. Par exemple, avec une forte présence de “pro-vie” dans les hôpitaux, comme l'a proposé Fratelli d’Italia en Ligurie il y a quelques heures ».


En Italie, le problème n'est pas de garantir le droit de ne pas avorter, mais le contraire. En raison des limites de la loi 194 et parce qu'elle est largement ignorée par une objection de conscience répandue : la moyenne nationale est de 70 %, mais dans certains établissements, elle dépasse 80 % ou atteint le total des gynécologues, des anesthésistes et du personnel non médical. « Nous ne pouvons pas permettre que l'avortement soit réservé à celles qui ont les moyens économiques de se rendre dans des établissements publics éloignés ou de se réfugier dans des cliniques privées », disent-elles sur le podium.

Pendant ce temps, la place se remplit et déborde. Plusieurs milliers de personnes partent en procession. Il y a des femmes aux cheveux blancs et des filles aux cheveux teints en vert ou en rose. Des hommes avec des hauts et du rouge à lèvres. Des personnes ayant une identité fluide ou en transition. L'opposition au projet de société de la droite est politique, mais aussi anthropologique. Surtout chez les plus jeunes.

« Nous avons un peu peur du prochain gouvernement, mais nous avons foi dans la solidarité entre les personnes. Aujourd'hui, nous voulons envoyer un message pour défendre la liberté de décider de notre corps », déclarent Eva et Erica. Elles fréquentent le lycée classique Albertelli. Elles ont 16 et 17 ans. Ce n'est pas la première fois qu’elles descendent dans la rue avec NUDM.

Les voix de rappeuses et de trappeuses féministes, notamment d'Amérique latine, résonnent fort depuis le camion. « Soy como las otras / hartas de andar con miedo”, chante l'Argentine Sara Hebe. “Je suis comme les autres / fatiguée d'avoir peur» Notes et mots restituent une trame commune, symbolique mais aussi organisationnelle, que les mouvements transféministes ont tissée ces six dernières années d'un bout à l'autre du globe. Des pancartes écrites en anglais et en espagnol sont brandies au plafond : "Bans off my body", "Mind your uterus", "Ni Una Menos". Des phrases d'accroche qui font écho aux combats des femmes usaméricaines et latino-américaines. Sans place pour les nationalismes anciens ou nouveaux.

« Il y a un conflit mondial sur les droits des femmes et des personnes Lgbtqia+. D'une part, un mouvement réactionnaire qui unit la Cour suprême usaméricaine au gouvernement polonais, via les droites européennes. De l'autre, une vague transféministe qui, de l'Argentine au Mexique, en passant par le Chili et l'Italie, se bat pour changer radicalement la société », explique Autore.

Dans le cortège se trouvaient également des femmes de centre-gauche : Laura Boldrini (certaines manifestantes ont protesté contre sa présence), Monica Cirinnà, Marta Bonafoni. Et puis celles du Kurdistan turc et syrien et de l'Iran. Ces derniers jours, elles ont manifesté avec NUDM pour soutenir le soulèvement dans leur pays.

Des milliers de personnes manifestent également à Milan. « Nous voulons bien plus que la 194 : revenu universel d'autodétermination, éducation sexuelle dans les écoles, abolition de l'objection de conscience [anti-avortement] », affirment les militantes. Des manifestations ont également eu lieu à Turin, Bologne, Naples, Reggio Calabria et dans de nombreuses autres villes plus petites. L'opposition féministe est déjà en marche.


Turin

Milan

30/09/2022

La déclaration d’amour d’une blonde british : « Giorgia Meloni n'est pas d’extrême-droite : elle ne fait que dire ce que nous pensons tous »
Allison Pearson se lâche

Je n'ai pas pu résister à l’envie de traduire ce morceau de bravoure tonitrué dans le très conservateur
Daily Telegraph de Londres. Son auteure est la très blonde Allison Pearson, 62 ans, célèbre chroniqueuse et chief interviewer” du quotidien. Bien que déclarée en banqueroute par la Haute Cour de Justice en 2015, elle finira bien par être anoblie par son bon roi Charles III.-FG

Allison Pearson , The Daily Telegraph, 28/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Quand j'écoute le nouveau premier ministre italien parler, j'entends les valeurs conservatrices dominantes que des millions de personnes partagent

La fougueuse femme de 45 ans est devenue la première femme Premier ministre d'Italie, un triomphe personnel majeur dans une culture encore notamment machiste [sic]. Photo : Alessia Pierdomenico/Bloomberg

Lors d'un meeting en 2019, Giorgia Meloni, leader du parti des Frères d'Italie, a cité GK Chesterton. L'écrivain anglais, théologien et sage fortement moustachu paraissait un choix improbable pour le paroxysme d'une oration passionnée par une petite blonde italienne fougueuse. Mais ça ne l’est peut-être pas. Chesterton était connu comme « l'apôtre du bon sens ».

« Les feux seront allumés pour témoigner que deux et deux font quatre. Des épées seront tirées pour prouver que les feuilles sont vertes en été. Cette heure est arrivée. Nous sommes prêts », cria-t-elle avec son épais accent ouvrier romain. 


Le public s'est emballé. Une partie du discours de Meloni est devenue virale. « Ils veulent nous appeler parent 1, parent 2, genre x, citoyen x, avec des numéros de code. Mais nous ne sommes pas des numéros de code… et nous défendrons notre identité. Je suis Giorgia. Je suis une femme. Je suis une mère. Je suis italienne. Je suis chrétienne ! » Certains DJ, mécontents du point de vue de Meloni sur le mariage gay, ont samplé ses paroles et ont mis un rythme disco derrière eux pour la diaboliser.

Ça s'est retourné contre eux. La chanson est devenue un succès dans les clubs italiens et a grimpé dans les hit-parades : loin de discréditer Meloni, elle n'a fait que stimuler sa popularité.

Cette semaine, cette blonde fougueuse de 45 ans est devenue la première femme Premier ministre d'Italie, un triomphe personnel majeur dans une culture encore notamment machiste. Mais les gros titres ont tous mis l'accent sur Giorgia Meloni comme étant « d'extrême droite ». 

« La femme la plus dangereuse d'Europe », a averti le magazine allemand Stern. Meloni avait même bouleversé Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. Répondant à la question de savoir s'il y avait des inquiétudes concernant les prochaines élections en Italie, un sourire saint von der Leyen a répondu, avec un sourire suffisant et moralisateur : « Si les choses vont dans une direction difficile, j'ai parlé de la Hongrie et de la Pologne, nous avons des outils. » [sic et resic]

Ils appellent Giorgia Meloni fasciste, mais c'est l'impeccablement libérale von der Leyen qui se comporte comme telle.

Nous avons des outils. C'est parler comme une vraie totalitaire. À qui feriez-vous confiance lorsqu'il s'agit de respecter une décision démocratique ? Le premier dirigeant élu de l'Italie depuis quatorze ans, une mère célibataire issue d'un foyer pauvre, ou un ministre de la défense allemand défaillant, le produit d'une élite aisée qui a été intégrée dans le qui a été propulsé à la tête de l'UE sans un seul vote ?  

Bien que les origines fascistes du parti de Meloni suscitent des inquiétudes valables, ce que j'entends quand je l'écoute sont des valeurs conservatrices dominantes. Voici une politicienne qui s'exprime au nom de la famille et de la nation. Elle s'oppose à la mondialisation qui transforme les hommes et les femmes en unités de consommation sans visage. Elle dit oui à la sécurisation des frontières et non à la migration de masse, oui à l'identité sexuelle et non aux spaghettis alphabétiques [reresic] de la politique de genre.

Pourquoi ces vues de millions de gens ordinaires sont-elles maintenant appelées « d'extrême droite » ? C'est parce que la gauche, tout en échouant systématiquement dans les urnes, a pris le contrôle de la nomenclature politique. Ainsi, ils sont les seuls à pouvoir décider qui est vertueux et qui est Boris Johnson. Pendant deux ans et demi, ils ont appelé Boris “d’extrême-droite”, puis ils ont eu droit à Liz Truss.

“Extrême-droite” se traduit maintenant par « quelqu'un avec qui je ne suis pas d'accord et qui n'est donc pas quelqu'un de bien ». Reportant pour Channel 4 News sur les récents affrontements à Leicester entre des groupes d'hindous et de musulmans, Darshna Soni a attribué la violence à « la politique idéologique de droite importée du sous-continent [indien] ».

Ça a changé de blâmer le Brexit, je suppose.

Deux groupes religieux avec de fortes affiliations tribales, qui vivent ici mais se détestent toujours, ce n'est pas une histoire confortable pour ceux qui ont une vision gauchiste. Faites venir le monstre de  « l'extrême-droite » ! 

Et donc, à la suite de cette appropriation orwellienne de la « vérité », nous avons une société dans laquelle Sir Keir Starmer, le dirigeant travailliste, déclare qu'il est prêt pour le gouvernement mais ne peut pas dire ce qu'est une femme parce que croire au sexe biologique n’est pas à la mode.

Une société où une « organisation caritative » appelée Sirènes donne des bandages de poitrine aux jeunes filles confuses, à l'insu de leurs parents, et toutes les meilleures âmes pensent que soutenir cette association, c’est faire preuve d'une tolérance merveilleuse plutôt que de la plus grande cruauté et stupidité. Une société où les mères qui allaitent leurs nouveau-nés sont appelées “ chest-feeders” [litt. “nourrisseurs par la poitrine”] parce que certains membres du NHS [National Health Service, Service public de santé] s'inquiètent que le fait d'appeler une mère une mère offense l'orthodoxie dominante.

Si donner tous ces exemples fait de vous des méchants “d’extrême-droite”, alors tant pis. Sono Giorgia Meloni. Je suis une femme. Je suis une mère.

« Les feux seront allumés pour témoigner que deux et deux font quatre Il nous restera à défendre les vertus et les sanités incroyables de la vie humaine. » Bien vu, G. K. Chesterton, Monsieur. Il nous reste en effet à défendre le bon sens comme si la vie de nos enfants en dépendait, ce qui est plutôt le cas.

Des millions d'entre nous sont d'accord avec Giorgia Meloni, et nous ne sommes pas d’extrême-droite. Juste de droite.*

NdT

Cette dernière phrase a un double sens en anglais, intraduisible : “just right”, juste de droite, mais aussi “nous avons raison”

 

 

29/09/2022

FRANCO “BIFO” BERARDI
Gérontofascisme
L'Alzheimer de l'histoire, 1922-2022

Franco « Bifo » Berardi, Nero Editions, 27/9/2022
Images d'Istubalz
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Comme par un sortilège, à l'expiration du centième anniversaire de la Marche sur Rome, les descendant·es direct·es de Benito Mussolini s’apprêtent à gouverner l’Italie. Gouverner est un mot exagéré. Personne ne peut gouverner le déchaînement des éléments telluriques, psychiques et géo-psycho-politiques.

Giorgia Meloni, secrétaire de Fratelli d’Italia, sera la première femme présidente du conseil de l'histoire italienne.

Le fascisme est partout sur la scène italienne et européenne : dans le retour de la fureur nationaliste, dans l'exaltation de la guerre comme seule hygiène du monde, dans la violence anti-ouvrière et antisyndicale, dans le mépris de la culture et de la science, dans l'obsession démographico-raciste qui veut convaincre les femmes de faire des enfants à la peau blanche pour éviter le grand remplacement ethnique et parce que si les berceaux sont vides, la nation vieillit et décède, comme Il dit.

Toutes ces ordures sont de retour.

C'est du fascisme ? Pas exactement. Celui de Mussolini était un fascisme futuriste, exaltation de la jeunesse, de la conquête, de l'expansion. Mais cent ans plus tard l’expansion est terminée, l'élan conquérant a été remplacé par la crainte d'être envahis par les migrants étrangers. Et à la place de l'avenir glorieux, il y a la désintégration en cours des structures qui ont rendu la civilisation possible.

« Soleil qui te lèves libre et fécond / Tu ne verras aucune gloire dans le monde / Plus grande que Rome », disait la rhétorique nationaliste du siècle dernier.

Maintenant, le soleil fait peur parce que les rivières sont à sec et les forêts brûlent.

Ce qui avance, c'est le gérontofascisme : le fascisme de l'époque sénile, le fascisme comme réaction enragée à la sénescence de la race blanche. 

Je sais bien que même un peu de jeunes (pas beaucoup) ont voté pour Melons, mais l’âme de cette droite est en proie à une sorte de démence sénile, un oubli des catastrophes passées qui semble provoqué par la maladie d'Alzheimer.

Le gérontofascisme, agonie de la civilisation occidentale, ne durera pas longtemps.

Mais dans le court laps de temps où il sera au pouvoir, il pourrait produire des effets très destructeurs. Plus qu'on ne peut l'imaginer.

L’identité nationale est une superstition à laquelle les citadins n'ont jamais cru, mais qui est imposée par une minorité influencée par le romantisme le plus réactionnaire.

Qu'est-ce qu’a été le fascisme historique ?

Petite leçon d'histoire italienne. 

Italie est un nom féminin. Depuis la Renaissance, les cent villes de la péninsule vivent leurs histoires sans se penser comme une nation, mais plutôt comme des lieux de passage, de résidence, d'échange.

La beauté des lieux, la sensualité des corps : l’auto-perception des habitants de la péninsule des cent communes est féminine jusqu'à ce que déboule l’austère fanfare de la nation. Au cours des siècles qui ont suivi la Renaissance, la péninsule est une terre de conquête pour les armées étrangères, mais le peuple se débrouille.

« France ou Espagne, pourvu qu’on bouffe. »

Le pays est en déclin, mais certaines villes prospèrent, d'autres s'en sortent.

Vient ensuite le XIXe siècle, un siècle rhétorique qui croit à la nation, mot mystérieux qui ne veut rien dire. Le lieu de naissance, ou l’identité fondée sur le territoire que nous avons en commun ?

L’identité nationale est une superstition à laquelle les citadins n'ont jamais cru, mais qui est imposée par une minorité influencée par le romantisme le plus réactionnaire. Les Piémontais, ls montagnards présomptueux succubes de la France prétendent que les Napolitains, les Vénitiens et les Siciliens acceptent de se soumettre à leur commandement. Le Sud est alors conquis et colonisé par la bourgeoisie du Nord : vingt millions d'Italiens méridionaux et vénitiens émigrent entre 1870 et 1915. En Sicile se forme la mafia qui, au début, est l'expression des communautés locales pour se défendre des conquérants, puis deviendra une structure criminelle de contrôle du territoire. La question du Sud en tant que colonie n'a jamais pris fin : aujourd'hui encore, le Sud continue de sombrer, même si les villes (Palerme, Naples) vivent une vie extra-italienne, cosmopolite.

Pendant les guerres d'indépendance, un jeune homme nommé Goffredo Mameli a écrit les paroles de Fratelli d’Italia, qui est devenu l'hymne national. 

Ce n'est pas un très bel hymne : une congerie de phrases rhétoriques bellicistes et esclavagistes. Mameli est mort très jeune, et il ne mériterait pas d'être encore exposé aux railleries de quiconque écoute cette petite musique qui essaie d'être mâle et, au lieu de ça, fait rire.

Les poses guerrières réussissent mal parce que les habitants des villes italiennes ont toujours été trop intelligents pour croire en la mythologie de la nation. Ce sont des Vénitiens, des Napolitains, des Siciliens, des Romains, des Génois, des Bolognais… avec ça, on a tout dit. Seule la bourgeoisie piémontaise, qui, permettez-moi de le dire, n'a jamais été très brillante, peut croire à cette fiction vert-blanc-rouge.

Puis viennent les grandes épreuves du nouveau siècle, le siècle de l'industrie et de la guerre. Il faut devenir compétitif, agressif, fini de faire les femmelettes.

En 1914, alors que la Serbie et l’Autriche entrent en guerre, la polémique fait rage entre interventionnistes et non-interventionnistes. Les futuristes, piètres intellectuels, s'agitent sur la scène. 

Mépris de la femme, la guerre seule hygiène du monde crie le très mauvais poète Marinetti dans son Manifeste de 1909. 

A bas l’Italiette ! crient les étudiants interventionnistes pour convaincre les Siciliens et les Napolitains d'être italiens et d'aller se faire tuer à la frontière avec l’Empire austro-hongrois qui, pour les Napolitains et les Siciliens, ne signifie rien.

L'histoire de la nation italienne est une histoire de trahison systématique.  


28/09/2022

LEA MELANDRI
Qui est Giorgia Meloni, la machiste maternelle qui plait à des hommes et à des femmes ?
Analyse d'un succès

 Lea Melandri, Il Riformista, 23/9/2022

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Lea Melandri (Fusignano, 1941), est une journaliste, écrivaine et enseignante italienne, militante féministe depuis les années 1970. Bio-bibliographie en italien. Son seul livre en français est L'Infamie originaire (Éd. des Femmes, 1979).

 

NdT : cet article est paru deux jours avant les élections du 25 septembre qui ont vu le triomphe des Fratelli d’Italia et de leur Big Mamma.

 

Si Giorgia Meloni devait réellement devenir Premier ministre, nous devrions d'abord nous demander la raison pour laquelle elle a obtenu un si large consensus parmi les hommes et malheureusement même les femmes; Le "familialisme" italiote est encore fortement enraciné, à tel point qu'il peut être considéré comme l'un des fondements de la vie sociale. En son sein, domine la figure de la femme-mère, forte du pouvoir que lui donne son caractère indispensable pour la famille - s'occupant des enfants, des malades, des personnes âgées et des hommes en parfaite santé, mais habitués à déléguer les soins et le travail domestique aux femmes. Giorgia Meloni a non seulement souvent affirmé son rôle maternel, son opposition à l'avortement, sa préoccupation maintes fois répétée pour la dénatalité en Italie, mais elle se présente comme une sorte d'hybride, un mélange de traits féminins et virils, de physique gracieux et d'agressivité, un machisme tempéré par la ruse féminine.

 

Non, ce n’est pas une série Netflix (“La servante en noir”), c’est Giorgia Meloni, “utérus de la nation”, manifestant contre la gestation pour autrui : « Non à la location d’utérus », « Le corps de la femme n’est pas à vendre », « Location d’utérus, crime universel »

 

Pour beaucoup d'hommes, qui ont vécu dans l'ombre de mères souvent plus fortes et plus combatives que les pères, c'est une figure familiale qu'ils ne ressentent pas comme concurrentielle, qui ne menace pas leur pouvoir, parce qu'elle montre qu’elle l’a absorbé sans aucune critique ni distanciation. En somme, un double qui, pour différentes raisons - de vengeance, de sortie de la position de victime - plaît aussi aux femmes et les rassure. Sa présence à la tête de la coalition de droite n'a pas été perçue comme une dévaluation, mais presque comme une valeur ajoutée. Sa ténacité et sa pugnacité ont eu le dessus sur les dirigeants masculins, qui sont clairement en crise de crédibilité, et en tant que femme, avec une vision du monde qui s'inscrit entièrement dans la culture patriarcale, elle les a en quelque sorte légitimés. Ils peuvent se targuer d'une présence féminine rare au sommet du pouvoir, sans qu’ils aient à subir des dommages en retour. Dans la campagne électorale, mais aussi dans l'ascension surprenante de son parti, ça a certainement compté pour Giorgia Meloni qu'elle fût une femme, mais une femme capable de leadership, de fortes convictions et d'agressivité pour s'opposer aux ennemis politiques. Elle a toujours soigné ses apparences féminines dans sa tenue vestimentaire, autant que le caractère résolu de ses discours publics, un mode de communication parfois même violent.

Rossana Rossanda a dit un jour que les femmes peuvent être « réactionnaires ou insurgées, rarement démocratiques ». Il me semble que le succès de Giorgia Meloni, mais aussi le danger qu'elle représente pour notre pays à la démocratie déjà chancelante,  réside dans la combinaison de ces deux éléments. On peut se demander pourquoi il n'y a pas eu de réaction forte des femmes face à une droite qui menace leurs conquêtes et droits durement acquis.

Malheureusement, en Italie, depuis ses débuts dans les années 1970, le féminisme a été non seulement entravé mais aussi combattu par ces mêmes forces politiques - je pense en particulier aux groupes extraparlementaires - qui auraient dû être renforcées et enrichies par lui. Il est vrai que dans sa radicalité, dans ses pratiques politiques anormales, comme la conscience de soi et la pratique de l'inconscient, dans sa tentative de ramener à la culture tout ce qui a été considéré comme “apolitique” pendant si longtemps - sexualité, histoire personnelle, maternité, soins, etc. -On s'est vite rendu compte qu'il ne s'agissait pas d'un complément à “l'autre culture”, pas même la culture marxiste qui parlait de lutte des classes et de révolution, mais d'une culture antagoniste qui la contestait.

Le féminisme représentait alors, et on peut encore le dire aujourd'hui, le symptôme de la crise du politique et en même temps l'embryon de sa nécessaire redéfinition. Il y a un trait anti- establishment dans le mouvement des femmes en Italie que j'ai retrouvé dans toutes les “marées” de nouvelles générations que j'ai rencontrées au cours de mon long parcours féministe, et qui est également très présent aujourd'hui dans le réseau Non Una Di Meno [Pas une de moins]. Je ne sais pas dans quelle mesure cela a contribué au fait que les questions de genre sont presque totalement absentes du débat public, et même de la production des intellectuels et des politiciens de gauche. Dans les mouvements, antiracistes, environnementalistes, écologistes, anticapitalistes eux-mêmes, bien qu'ils aient une forte présence féminine et féministe en leur sein, les questions plus spécifiquement liées au sexisme sont rarement mentionnées. Cela a certainement à voir avec le familialisme dont j'ai parlé précédemment, avec une idée de la “normalité” qui a intégré de manière perverse l'amour et la violence, la protection et le contrôle du corps féminin, l'exaltation de la maternité et son insignifiance historique, pour citer Virginia Woolf.

Les risques d'un gouvernement avec une forte présence de Fratelli d’Italia pour les droits des femmes durement acquis sont là. En particulier sur la question de l'avortement. Ils ne remettront pas directement en cause la loi 194, mais, comme les “mouvements pro-vie”, les groupes fondamentalistes catholiques, l'ont fait jusqu'à présent, ils la rendront inapplicable, avec l'objection de conscience des médecins, la mise en cause des femmes. Meloni a déjà parlé de l'enterrement et des cimetières pour les fœtus sans avoir à demander le consentement de la femme. Pendant la campagne électorale, elle s'est comportée de manière plus diplomatique, compte tenu du débat qui a fait rage, notamment sur les médias sociaux et à la radio. Ce qui est plus effrayant, à mon avis, ce n'est pas l'attaque directe contre des droits tels que le divorce, l'avortement, la réforme du droit de la famille, etc., mais le consensus qui accueille malheureusement son combat pour les valeurs traditionnelles « famille, patrie, nation » et l' « intégrité de l'espèce » menacée par la présence croissante de femmes “étrangères”, plus prolifiques que les Italiennes.

La relation entre les sexes a atteint une conscience historique, mais les femmes elles-mêmes ont du mal à en percevoir l'ampleur. Cela peut sembler être un accomplissement important, même pour certaines féministes, de voir une femme apparaître dans des postes de pouvoir de premier plan, mais heureusement, la majorité des féministes ne manquent pas de prendre position aujourd'hui, affirmant clairement que les femmes, ayant fait leur la vision du monde masculine, bien que par la force, ont fait de l'émancipation une ascension au pouvoir sous la même forme que celle dont nous avons hérité, sans remettre en question le patriarcat, ses hiérarchies, ses “valeurs”. Il n'est pas surprenant que les femmes qui accèdent au pouvoir, à quelques exceptions près, soient majoritairement de droite.

Les droites, surtout dans le sud de l'Europe où la religion catholique est plus répandue, ont toujours su mêler habilement la violence du pouvoir à la démagogie, la main de fer à la rhétorique de la défense de la famille et de la nation. La gauche paie le prix de ses “Lumières”, qui, en séparant rationalité et sentiments, a donné à la droite une énorme expérience, y compris sur des sujets considérés comme “intimes” - comme la sexualité et la maternité – “apolitiques"” et relégués comme tels dans la sphère privée. La “révolution” du féminisme, à savoir la redécouverte de la nature politique de la vie personnelle et de l'énorme patrimoine culturel qui y est enfoui depuis des millénaires, semble n'avoir servi à rien à cet égard.

27/09/2022

DAVID BRODER
La dérive de l'Italie vers l'extrême droite a commencé bien avant l’ascension de Giorgia Meloni

 David Broder, The Guardian, 26/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

David Broder est un écrivain et traducteur britannique vivant à Rome et éditeur européen du magazine Jacobin. Il est un contributeur régulier au New Statesman et à  Internazionale, écrivant sur la politique italienne. Ses écrits sont également parus dans l'Independent, la New Left Review et Tribune. Il est l'auteur de The Rebirth of Italian Communism : Dissident Communists in Rome, 1943-44,  First They Took Rome : How the Populist Right Conquered Italy, et des Mussolini's Grandchildren, Fascism in Contemporary Italy (Pluto Press, 2023). @broderly

Une normalisation des partis d'extrême droite remontant à Berlusconi a ouvert la voie à la percée de Fratelli d’Italia

Giorgia Meloni, par Paolo Lombardi, 2013

Giorgia Meloni a remporté un succès remarquable lors des élections italiennes d'hier – et il est presque certain qu'elle deviendra Premier ministre. Les 26% obtenus par son parti postfasciste Frères d'Italie, en font le plus grand parti au niveau national. Dans l'ensemble, la coalition de droite qu'elle dirige actuellement aura une majorité considérable dans les deux chambres du Parlement.

Une partie de l'explication réside dans la faiblesse de l'opposition. Le Mouvement éclectique des Cinq Étoiles (15%) et les Démocrates de centre-gauche (19%) n'ont pas uni leurs forces et, après des années d'échec à améliorer le niveau de vie de la classe ouvrière, n'ont pas réussi à rallier la base historique de la gauche. Le taux de participation a facilement été le plus bas de l'histoire de la république, avec seulement 64% de votants.

Pourtant, ce n'est pas seulement l'histoire de l'Italie faisant un virage brusque et brusque vers la droite. C'est le dernier produit d'une longue normalisation des partis d'extrême droite. Les médias considèrent souvent l'ancien Premier ministre Silvio Berlusconi comme une influence « modératrice », mais il a joué un rôle clé dans la percée d'extrême droite d'aujourd'hui. Il s'est vanté d'avoir « inventé le centre-droit en 1994 » en s'alliant avec « la Ligue et les fascistes » – « nous les avons légitimés et constitutionnalisés ». Dès le début, Berlusconi a fait de dures déclarations anti-immigrants, banalisé régulièrement les crimes de Mussolini et nommé des néo-fascistes à vie à des postes de haut niveau.

Le dernier gouvernement de Berlusconi a été abattu par la crise de la dette souveraine en 2011, et il a ensuite soutenu un cabinet technocratique. Puis, en 2013, il a été banni de toute charge publique après une condamnation pour fraude fiscale. Cela a offert d'abord à la Ligue, puis à Frères d'Italie l’occasion de revendiquer un leadership sur la coalition de droite, en mettant en avant leur récit sur le déclin civilisationnel et la résistance nationaliste.

Une grande partie de l'ascension plus récente de Frères d'Italie est due à sa position en tant que seule opposition majeure au cabinet multipartite de Mario Draghi, auquel Matteo Salvini et Berlusconi ont adhéré lors de sa création en février 2021. Meloni a souligné qu'elle poursuivrait une approche « constructive » à l'égard de Draghi et continuerait sa distribution de fonds européens postpandémiques, mais sans conclure d'accords avec le centre-gauche. Cela l'a confortée à la tête de la coalition de droite, les autres partis promettant désormais d’en faire leur premier ministre.

Si l'Italie a maintenant son premier ministre le plus à droite depuis 1945, cela ne signifie pas un simple retour au passé. Les Frères d'Italie sont enracinés dans le Movimento Sociale Italiano (MSI), un parti néo-fasciste créé en 1946 qui s'est présenté aux élections mais a conservé une profonde hostilité envers la république créée à la fin de la résistance antifasciste.

Sous les gouvernements de Berlusconi, les dirigeants du MSI ont formellement accepté les valeurs libérales-démocrates, abandonné leur ancien nom et condamné l'antisémitisme de Mussolini. Pourtant, beaucoup chérissaient encore l'héritage du néofascisme d'après-guerre, et les Frères d'Italie ont été créés en 2012 comme une réaffirmation explicite de la tradition MSI. C'est un parti qui cherche à réécrire les manuels d'histoire pour mettre en évidence les crimes des partisans antifascistes. Mais il s'appuie également sur d'autres mèmes d'extrême droite plus internationaux, comme le « grand remplacement » des Européens par les immigrants – une théorie du complot qui a inspiré de multiples attentats terroristes.

Frères d'Italie a promis des changements majeurs à l'héritage politique de la république d'après-guerre. L'un consiste à marginaliser le parlement et les partis en instaurant une présidence de la République directement élue. Mais beaucoup de critiques craignent qu'il n'aille plus loin. Ce mois-ci, Frères d'Italie et de la Ligue ont été les seuls partis italiens à voter contre une résolution du Parlement européen qui condamnait la Hongrie de Viktor Orbán comme « autocratie électorale ». Le parti de Meloni a également proposé une interdiction constitutionnelle des « excuses pour le communisme et l'extrémisme islamique » – imitant les mesures fourre-tout utilisées à Budapest pour écraser les critiques de gauche.

Le processus de formation du gouvernement prend généralement au moins un mois, même lorsqu'il y a une majorité clairement identifiable. Les dirigeants de Frères d'Italie ont insisté qu'ils attendent du gouvernement sortant qu'il prenne des mesures clés sur la flambée des factures d'énergie avant leur propre arrivée au pouvoir. Pourtant, cette crise et la guerre en Ukraine pourraient causer des problèmes majeurs. Malgré ses propres déclarations, la base de Meloni est principalement hostile aux sanctions contre la Russie, et le leader de la Ligue, Salvini, a soulevé des doutes sur leur avenir.

On peut s'attendre à ce que Meloni et ses nouveaux députés se tendant aux attaques contre les immigrés, les « lobbies LGBT », les syndicats et d'autres groupes qu'ils appellent l '« establishment de gauche ». L'appel en faveur d'un « blocus naval » en Méditerranée vise à durcir le régime frontalier actuel de l'UE. Les partis de droite prévoient également d'importantes réductions d'impôt et l'abandon des prestations aux demandeurs d'emploi. Même avec une large majorité, face aux drames d'aujourd’hui, il n'est pas clair qu'ils seront en mesure de poursuivre l'ensemble de leur programme. Mais la vraie crainte est de savoir qui ce gouvernement choisira pour lui faire encaisser les retombées de cette crise.