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23/03/2023

GIDEON LEVY
Les Israéliens savent qu’une vraie démocratie sonnerait le glas du sionisme

Gideon Levy, Haaretz, 23/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La plus grande menace qui pèse sur Israël est la menace démocratique. Il n’y a pas de plus grand danger pour le régime israélien que sa transformation en démocratie. Aucune société ne s’oppose à la démocratie comme la société israélienne. Il existe de nombreux régimes opposés à la démocratie, mais pas de société libre. En Israël, le peuple, le souverain, s’oppose à la démocratie. C’est pourquoi la lutte actuelle, qui prétend être une lutte pour la démocratie, est une mascarade. Elle est destinée à maintenir un simulacre de démocratie.

Theodor Herzl, le fondateur du sionisme, fut enterré à sa mort en 1904 au cimetière de Döbling, dans le XIXème arrondissement de Vienne, selon ses dernières volontés ("Je souhaite être enterré dans un cercueil en métal près de mon père et y reposer jusqu'à ce que le peuple juif transfère mon corps sur la terre d'Israël.")  En 1949, ses restes furent transférés à Jérusalem et enterrés au sommet du "Mont Herzl" (Har Hazikaron, Mont de la Mémoire), un cimetière créé par les sionistes pour enterrer leurs héros et héroïnes. Ses deux enfants ont été déterrés de France pour y être aussi transférés, ainsi que son petit-fils, mort aux USA.

Pour la plupart des Israéliens, une véritable démocratie équivaut à “la destruction d’Israël”. Ils ont raison. La véritable démocratie mettra fin au suprémacisme juif qu’ils appellent sionisme et à l’État qu’ils appellent juif et démocratique. Par conséquent, la menace de la démocratie est la menace existentielle contre laquelle tous les Israéliens juifs s’unissent : si la démocratie est instaurée pour tous les résidents de l’État, cela mettra fin à la prétendue démocratie.

C’est pourquoi les dirigeants de la protestation veillent à éviter tout contact véritable avec la démocratie, sous peine de voir l’ensemble s’effondrer comme un château de cartes. Ce n’est pas par racisme ou par haine des Arabes qu’ils ne veulent pas de drapeaux ou de manifestants palestiniens - ce sont des gens bien, après tout - mais seulement parce qu’ils ont compris que soulever la question de l’apartheid rendrait leur combat ridicule.

La simple évocation de l’idée d’un seul État démocratique, dans lequel une personne équivaut à une voix et où tous sont égaux, suscite une réaction instantanée et hostile chez les Israéliens libéraux et conservateurs : « Qu’est-ce que cela a à voir avec quoi que ce soit ? », suivi de « ça n’a jamais fonctionné nulle part », pour finir par « la destruction d’Israël ». Rien de moins. Il n’existe aucun autre pays dont les citoyens considèrent que devenir une démocratie équivaut à la destruction. Il n’y a pas d’autre combat pour la démocratie qui ignore totalement la tyrannie de l’État dans son propre jardin.

Alors que j’écris ces mots, tôt mercredi matin, les cris des manifestants devant le musée d’Eretz Israel résonnent en arrière-plan : “Démocratie, démocratie”. Comme l’a écrit un jour le légendaire leader de gauche Moshe Sneh*, dans ses notes pour son propre discours :  « Ici, élever la voix, car l’argument est faible ». Élevez la voix, camarades. Même si toutes vos demandes - aussi justifiées les unes que les autres - sont pleinement satisfaites, Israël ne deviendra pas une démocratie.

Quand la démocratie est criée avec pathos par des gorges enrouées, alors qu’à une demi-heure de route de la manifestation, des soldats arrachent nuit après nuit des civils à leur lit sans mandat judiciaire, qu’une ville est sous couvre-feu parce qu’elle a été victime d’un pogrom, qu’un millier de personnes sont en prison sans jugement et que des adolescents lanceurs de pierres sont systématiquement abattus, l’hypocrisie est impossible à digérer.

Les articles les plus terribles du plan du ministre de la justice Yariv Levin sont de glorieux monuments à la démocratie comparés au régime d’occupation. Même si le comité central du Likoud devait choisir tous les juges de la Cour suprême, un pour chaque circonscription électorale du Likoud, cette nouvelle cour serait un phare de la justice mondiale par rapport aux tribunaux militaires. Et comment peut-on ignorer les tribunaux militaires lorsqu’on se bat pour le système judiciaire israélien ? Ne font-ils pas partie du système judiciaire ? S’agit-il d’une externalisation ? Une légion étrangère ? Ne sont-ils pas le lieu où de nombreux juges israéliens font leurs premiers pas ? Ou devons-nous répéter les mensonges sur la situation d’urgence et l’état temporaire des choses ?

Continuez à protester vigoureusement, faites tout ce que vous pouvez pour renverser ce mauvais gouvernement, mais ne prononcez pas le nom de la démocratie en vain. Vous ne vous battez pas pour la démocratie. Vous vous battez pour un meilleur gouvernement à vos yeux. C’est important, c’est légitime et c’est impressionnant. Mais si vous aviez été des démocrates, vous vous seriez battus pour un État démocratique, ce qu’Israël n’est pas - et ce que vous n’êtes pas.

Vous vous battez contre un gouvernement horrible, qui doit être combattu parce qu’il détruit le tissu social à une vitesse terrifiante. Il démolit nos bonnes vies, notre économie florissante, la science, la culture, le système judiciaire et aussi l’armée la plus sophistiquée du monde. Honte, honte, honte. Il faut le combattre ; et quand vous en aurez le temps, battez-vous pour la démocratie.

NdT

* Moshe Sneh, Mosze Klaynboym en Pologne en 1909, arriva en Palestine en 1940 et fut le chef d’état-major de la Haganah de 1941 à 1946. D’abord membre des Sionistes généraux (ancêtres du Likoud), il co-fonde avec Ben-Gourion le MAPAM (sociaux-démocrates , qu’il quitte en 1953 lorsque le parti décide ne plus soutenir l’URSS et rejoint le MAKI (Parti communiste d’Eretz Israel), dont il sera le seul et dernier député jusqu’à sa mort en 1972.                                               

Suicide d'Israël, par Emad Hajjaj

04/03/2023

GIDEON LEVY
Choc, rage et désespoir à Huwara au lendemain du pogrom des colons


Gideon Levy,Haaretz; 4/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Une ville verrouillée, des rues désertes, des habitants enfermés chez eux - effrayés et furieux. Des colons à l’affût dans leurs voitures, des soldats à chaque coin de rue, des bâtiments brûlés et des carcasses noircies de voitures.

 Le camion-citerne d’épuration de Youssef Damaidi, lundi à Huwara. Des morceaux de métal et de verre en tombent après chaque coup de l’enfant Photo : Moti Milrod

Lundi matin, la tête décapitée d’une vache était suspendue à un crochet à l’entrée d’une boucherie de la rue principale de Huwara. C’était la seule chose suspendue à l’extérieur de la longue rangée de magasins, tous fermés, donnant à la ville de Cisjordanie l’apparence d’être sous couvre-feu. L’armée avait en effet interdit aux Palestiniens de circuler dans les rues ou d’ouvrir leurs commerces. La présence d’une troupe de reporters et de photographes portant des gilets pare-balles, des masques à gaz et des casques, évoquait des scènes de guerre.

Mais le choc, la rage et le désespoir du lendemain matin dominaient tout dans ces rues tranquilles. Tous ces sentiments étaient palpables malgré les fenêtres à barreaux de chaque maison, à travers lesquelles des femmes et des enfants effrayés jetaient un coup d’œil. Tous ces sentiments se reflétaient sur les visages des quelques habitants qui s’aventuraient à l’extérieur pour évaluer les dégâts, et émanaient également des fçades muettes de dizaines de bâtiments calcinés et de centaines de voitures brûlées, certaines réduites à une pulpe métallique gris terne.

Lendemains d’un pogrom

Les soldats israéliens sont toujours postés sur les toits des immeubles, ces mêmes soldats qui n’ont rien fait la veille pour empêcher des centaines de colons de se déchaîner dans la ville de Huwara, située aux environs de Naplouse. Le gouverneur palestinien de cette ville était arrivé un peu plus tôt pour examiner la scène, suivi par une visite du ministre israélien de la Défense. Pour le gouverneur, il s’agissait d’une visite de courtoisie sans importance ; après tout, il est impuissant à protéger ses sujets, leurs biens ou leur dignité.


Les conséquences du saccage des colons à Hawara, cette semaine.Photo : Moti Milrod

“Ibrahim Aluminum”, ”Peace Construction Materials” et ”Naji Air Conditioners” - des panneaux en hébreu sont accrochés à l’extérieur des petites boutiques. “Des vêtements pour toute la famille, des prix incroyables”, dit un autre panneau, également en hébreu. Toutes ces enseignes sont des monuments aux anciens clients, qui peuvent revenir ou pas.

La formidable route de contournement de Huwara, actuellement en construction, sera bientôt achevée, et les colons n’auront plus besoin de traverser la ville en voiture - sauf pour perpétrer des pogroms. Huwara est une cible commode pour les colonies violentes implantées sur la montagne qui la surplombe : de temps en temps, les colons descendent, brûlent, détruisent, parfois tuent - et repartent. Les maisons situées dans la partie nord de la ville, près des routes menant aux colonies d’Itamar et de Yitzhar, sont les plus susceptibles d’être attaquées.

Dimanche dernier, des colons se sont déchaînés ici pendant cinq heures d’affilée, n’hésitant pas à vandaliser les maisons et les commerces des habitants. Lorsque l’on se trouve à Huwara le lendemain matin, il est impossible de ne pas se demander comment 400 colons ont pu prendre d’assaut la ville pendant autant d’heures sans que personne ne les arrête ou ne protège les habitants - à moins que l’armée n’ait voulu que ce saccage ait lieu. Lorsque vous êtes à Huwara le lendemain matin, il est également impossible de ne pas imaginer ce qui se serait passé si 400 Palestiniens avaient attaqué les colonies de Yitzhar, en haut de la montagne, ou de Givat Ronen, Har Bracha et Itamar, incendiant les maisons et les voitures de leurs habitants par vengeance. Après tout, le sang bouillonne aussi à Huwara, tout comme il bouillonne à Har Bracha depuis l’attaque terroriste de dimanche dernier qui a tué deux frères de cette colonie, alors qu’ils traversaient en voiture la ville palestinienne voisine.

Des soldats et des colons israéliens à Huwara cette semaine.Photo : Moti Milrod

À l’entrée de la salle d’exposition du magasin de Raad et Hadi, qui vend des pièces détachées pour véhicules de luxe, une telle voiture était exposée : Il ne restait que la coquille nue et noircie de l’Audi qui avait été incendiée, ou peut-être était-ce une Skoda.

Huwara est en fait une rue principale qui a une ville. L’autoroute 60 la traverse sur toute sa longueur, comme elle traverse toute la Cisjordanie. Mais ce n’est qu’ici que cette artère principale passe par une localité palestinienne, du moins jusqu’à l’achèvement de la route de contournement - qui, avec un système ramifié de routes de contournement construites ces dernières années, déterminera l’avenir du projet de colonisation de manière bien plus décisive qu’une autre centaine d’avant-postes de colons qui y poussent. Construites sur des terres palestiniennes, bien sûr, ces routes servent à rapprocher encore davantage les colonies d’Israël, à faciliter leur intégration dans le pays et, d’une manière générale, à faciliter la vie de leurs résidents.

En attendant, il y a la carcasse calcinée de l’Audi et des centaines d’autres voitures qui ont connu le même sort dans toute la région de Hawara, leurs pneus ayant fondu en une bouillie noire. Certains de ces véhicules avaient été utilisés, d’autres étaient garés dans des décharges où les propriétaires espéraient les vendre pour leurs pièces détachées. L’un de ces parcs, le plus grand d’entre eux, ressemblait cette semaine à un cimetière de victimes d’un brasier.



Conséquences du saccage des colons à Hawara, cette semaine. Photo : Moti Milrod

L’odeur de la fumée flottait encore dans l’air lundi ; de la fumée s’échappait encore de quelques véhicules incendiés. Le silence momentané a été soudainement rompu par une vieille VW Golf verte arborant un drapeau israélien qui a dévalé l’autoroute 60. Comme tous ceux qui sont passés par ici ce jour-là, ses passagers ont chahuté les habitants en criant et en faisant des gestes. Une pierre a été jetée, la Golf s’est arrêtée. Les soldats se sont précipités pour intervenir, tout semblait sur le point d’éclater à nouveau en violence.

« Qui a jeté cette pierre ? », a crié un officier de l’armée, hystérique. « Sortez vos chiens d’ici », a rétorqué courageusement un homme de la région. Seule la présence de la presse locale et étrangère lui a apparemment épargné un passage à tabac ou une arrestation.

« Rédempteurs de la terre »- tel est le slogan collé sur la vieille Golf. Elle a été rejointe par quelques autres voitures de colons qui sont arrivées à toute vitesse, les passagers sortant avec empressement, apparemment prêts à se battre ou à jeter un coup d’œil aux dégâts qu’ils ont causés la veille. Le vintage semble être leur truc : au moins deux des véhicules des envahisseurs portaient les plaques d’immatriculation spéciales des voitures de collection.


Un bâtiment incendié pendant le pogrom de Huwara. Photo : Majdi Mohammed/AP

Ils sont là, les colons : des hooligans religieux costauds, grossiers et vulgaires, se promenant comme des seigneurs et affichant un comportement arrogant vis-à-vis des Palestiniens et des soldats. Bottes quasi-militaires, pantalons rentrés dans les bottes, T-shirts portant des inscriptions provocantes. Le conducteur de la Golf était masqué, peut-être dans le but de paraître plus menaçant. Tous ces gens savent qu’ils n’ont rien à craindre ici. Un soldat a posé doucement une main sur l’épaule de l’un d’entre eux et l’a escorté vers une voiture. Les colons que nous avons vus étaient presque certainement ici le dimanche.

« Je vous ai tous à l’œil, faites gaffe », a sifflé l’officier aux nombreux reporters et photographes palestiniens, qui essayaient d’obtenir un cliché des colons et des soldats, frères d’armes. « Eitan, dis à Sagi d’appeler Shapira », a-t-il hurlé.

Toutes les quelques minutes, un bus blindé presque vide passait, empruntant les routes habituelles desservant les colons. Les transports publics semblent être meilleurs ici qu’à Tel Aviv. L’entrée d’une grande villa brune au bord d’une route est carbonisée ; les restes des pneus qui l’ont incendiée gisent sur le chemin, un jeu de cartes est éparpillé sous quelques oliviers et un grill de barbecue se dresse désespérément. La maison est vide, ses occupants ont peur de revenir. Des poteaux de clôture se trouvent le long du chemin menant à la maison. Leur but est clair, mais une barrière aussi peu solide n’arrêtera probablement pas les pogromistes de la montagne.

Conséquences du saccage des colons à Hawara, cette semaine. Photo : Moti Milrod

Le mur extérieur d’une autre grande maison de la ville est noirci sur toute sa longueur - quatre étages de suie et de climatiseurs liquéfiés. Il est peu probable que cette structure, l’une des plus hautes de Huwara, soit habitable. Quelqu’un a déjà boulonné des tôles aux fenêtres du rez-de-chaussée, pour empêcher les pillages. Les dégâts économiques sont particulièrement visibles dans la rue principale. Les pots de fleurs brisés que les saccageurs ont jetés sur leur passage ajoutent une dimension apocalyptique à la scène.

Sur la route menant à Huwara se tient un groupe de femmes colons portant des drapeaux israéliens, gardés par des soldats dans un véhicule blindé. Ces jours-ci, à Huwara, il n’est permis d’arborer que le drapeau israélien - ostensiblement le symbole national des habitants de la ville. Le fait que seules les voitures des colons aient été autorisées à traverser la ville lundi était également une forme de justice poétique : la récompense allait aux pogromistes et la punition à leurs victimes, comme après le massacre perpétré contre les Palestiniens par le colon Baruch Goldstein en un autre temps et lieu.

La cabine du conducteur et le moteur du camion-citerne d’eaux usées appartenant à Yusuf Damaidi, 37 ans, ont été ravagés par les flammes dimanche. La citerne elle-même n’a pas été touchée. Le lendemain, de la fumée s’élevait encore de la partie avant et des eaux usées s’écoulaient de l’arrière. Le jeune fils de Damaidi frappe la cabine du conducteur avec un bâton, et des éclats de métal et de verre tombent sur le sol.


Une maison visée par le déchaînement des colons à Huwara, cette semaine.
Photo : AMMAR AWAD/Reuters

Un complexe appartenant à une autre famille (mais sans lien de parenté) nommée Damaidi, à l’est de Huwara, possède deux bâtiments de deux étages, revêtus de pierre et carrelés de marbre, une cour bien entretenue et une luxueuse résidence d’hôtes au milieu. Mais la maison d’hôtes, dont la construction a été achevée il y a tout juste quatre mois, nous a dit Radwan Damaidi, a été totalement ravagée par le feu dimanche - ce qui évoque pour nous des images de l’incident de 2015 dans le village de Douma, où une famille et sa maison ont été incendiées.

Radwan, son père et son frère possèdent un magasin qui vend de l’or à Naplouse et ils ont quelques voitures de luxe sur leur parking. L’une d’elles a été incendiée et la lunette arrière d’un 4X4 a été brisée par des colons. Au départ, raconte Radwan, ils étaient environ 25, qui ont sauté par-dessus le mur de pierre qui entoure le complexe ;. Ils sont ensuite partis, pour revenir avec des dizaines de hooligans en renfort. C’est alors qu’ils ont mis le feu à la maison d’hôtes et au beau coin salon dans la cour.

Le panier de za’atar frais qui était sur la table n’est plus qu’une bouillie de suie. Le vélo d’appartement de la maison d’hôtes n’est plus qu’une carcasse brûlée. Certaines des fenêtres des étages supérieurs de l’enceinte ont été brisées par des pierres lancées par les colons, et une partie d’un escalier en marbre a été fracassée. Quatre soldats se tenaient à l’entrée du complexe alors que le pogrom faisait rage et n’ont rien fait, dit Radwan. Ils pensaient peut-être que leur tâche était de protéger les colons. Fatma, la grand-mère de Radwan, s’est évanouie lorsque les colons ont fait irruption dans la cour de sa maison. Chez un voisin, une voiture a été carbonisée.

« C’est l’heure de Ben-Gvir », disait un autocollant sur l’une des voitures qui passaient en trombe dans la rue principale.

 

26/02/2023

AMIRA HASS
Le raid israélien sur Naplouse prouve la volonté d'un plus grand nombre de jeunes Palestiniens de mourir dans une bataille sans merci

Amira Hass, Haaretz, 23/2/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'armée israélienne donne une image déformée de forces militaires égales, tandis que les Palestiniens pensent que les jeunes combattants envoient un message : la mort est préférable à la vie en prison ou à la reddition à l'occupant.

Un véhicule blindé israélien et des Palestiniens s'affrontant à Naplouse mercredi. Photo : Raneen Sawafta/Reuters

Naplouse est sous le choc, une fois de plus. Mercredi après-midi, cette ville du nord de la Cisjordanie a enterré 11 de ses fils, tandis que 100 autres ont été blessés, plus de la moitié d'entre eux par des tirs d'armes à feu, dont quatre seraient dans un état critique.

De longues enquêtes menées par des journalistes et des enquêteurs de terrain sont nécessaires pour obtenir une image complète du raid militaire israélien à Naplouse à la lumière du jour mercredi, avec les rues remplies de gens. Jusqu'à ce que ces enquêtes soient menées, si elles le sont, ce que nous retiendrons, ce sont les annonces immédiates de la police et de l'armée de « tirs massifs » de la part de Palestiniens armés et « d'échanges de tirs ».

Ce dont on se souviendra, ce sont les déclarations des autorités sur la façon dont « des commandants de haut rang de telle ou telle organisation ont été tués » et « on examine la possibilité que les Palestiniens morts aient été abattus par des terroristes » - comme cela a été affirmé après la mort de la journaliste Shereen Abu Akleh, et comme cela a été affirmé pour Majida Abid, qui a été tuée après que l'armée et la police des frontières ont effectué un raid dans le camp de réfugiés de Jénine à la fin du mois dernier.

La justification standard selon laquelle les morts avaient « planifié des attaques par balles » suffit à empêcher la plupart des Israéliens de s'interroger sur la nécessité de tels raids. Après tout, les Israéliens sont certains que les agences de renseignement comme le service de sécurité Shin Bet savent tout. Ce qu'ils ne savent pas, c'est quels jeunes Palestiniens désespérés, en colère et désorganisés préparent leur vengeance. Ils savent seulement qu'ils existent.

Véhicules blindés israéliens à Naplouse mercredi. Photo : Majdi Mohammed/AP

Comme d'habitude, le rapport officiel israélien omet de nombreux détails et crée une image déformée de forces militaires égales et de "combats", un "échange de tirs" presque symétrique. En réalité, de tels raids impliquent une énorme force militaire israélienne, et les soldats ne peuvent pas être vus car ils se cachent dans des positions de sniper, tandis que d'autres attendent à l'intérieur de leurs véhicules très bien protégés.

Les tireurs palestiniens, quant à eux, n'ont pas (et ne peuvent pas avoir) assez de temps, même pour s'entraîner au tir. Cette génération TikTok n'est pas douée pour opérer dans la clandestinité : il semble qu'elle ne soit pas très au fait des tactiques de guérilla. Par exemple, des habitants de Naplouse ont déclaré à Haaretz que le 25 octobre, les hommes de cette ville ont tiré plus de coups de feu en l'air pendant les funérailles des cinq personnes tuées que pendant le raid israélien sur la vieille ville plus tôt dans la journée.

Un homme qui a visité la prison de l'Autorité palestinienne à Jéricho - où les membres de la Tanière des Lions ont été emprisonnés dans le cadre de ce que l'on appelle la détention préventive (pour éviter d'être arrêté ou tué par Israël) - a déclaré à Haaretz que certains membres ne considèrent pas que le raisonnement qui sous-tend leur statut d'"hommes recherchés" soit pertinent. En d'autres termes, ils sont convaincus que les actes qu'Israël leur attribue leur auraient valu une peine mineure devant un tribunal militaire israélien.

Des hommes armés palestiniens lors d'un enterrement à Naplouse après les combats de mercredi.

Mercredi encore, les Palestiniens ont rapporté que l'armée avait empêché les ambulances et les équipes de secours d'atteindre les combats de Naplouse en tirant des coups de feu ou des gaz lacrymogènes, et que des soldats avaient tiré en direction des journalistes. De tels tirs de sommation sur les équipes de secours n'ont rien de nouveau. La nouveauté réside dans le fait que, lors du raid de l'armée sur le camp de réfugiés de Jénine le mois dernier, l'armée a informé à l'avance le Croissant-Rouge - via le comité palestinien de coordination de la sécurité - que les ambulances ne seraient pas autorisées à s'approcher trop près de la scène.

Nous ne savons toujours pas si une annonce similaire a été faite mercredi à Naplouse. L'affirmation de l'armée selon laquelle elle n'a demandé qu'à coordonner le mouvement des ambulances est similaire à la situation à Gaza pendant les guerres qui s'y déroulent. La coordination prend tellement de temps que les blessés peuvent mourir dans l'intervalle.

Est-ce là le sens des instructions verbales données aux Palestiniens et des tirs sur les ambulances sans avertissement ? Que l'armée considère chaque raid comme une situation de guerre ?

Selon les rapports palestiniens, l'armée a utilisé des drones mercredi. Les drones pour surveiller ou tirer des gaz lacrymogènes font désormais partie de la réalité en Cisjordanie, et pas seulement dans la bande de Gaza. Les Palestiniens savent que l'armée dispose également de drones qui tirent des balles, si bien qu'à chaque raid, les gens craignent non seulement les soldats invisibles qui tirent, mais aussi les éventuels tirs d'objets volants.

Les raids israéliens - par l'armée et la police - sur les villes, villages et camps de réfugiés palestiniens sont une routine. Selon le schéma habituel, des forces spéciales, principalement de la police, s'infiltrent sous une forme de couverture avant l'attaque proprement dite.

Mercredi, selon les rapports préliminaires, au moins deux camions ont été utilisés, déguisés pour ressembler à ceux d'une entreprise alimentaire palestinienne. Comme d'habitude, ils étaient remplis de policiers en civil qui sont arrivés dans la partie est de la vieille ville. Après eux, les très détestées jeeps blindées se sont déversées dans la ville, et elles ont bien sûr été la cible des pierres et autres objets que les jeunes ont fait pleuvoir sur elles.

Nous ne savons toujours pas si les forces spéciales se sont déployées en position de tir dans des bâtiments de la ville, et si oui, dans quels bâtiments et combien.

L'utilisation par l'armée et la police de véhicules ressemblant à des véhicules civils palestiniens n'est pas non plus une tactique nouvelle - et elle ne cesse de susciter la colère. Il est impossible de s'y habituer. Elle amène les gens à douter de l'identité des conducteurs de véhicules similaires et à s'interroger sur la manière dont les camions apparemment palestiniens sont parvenus aux forces de police. Les gens savent qu'à tout moment l'armée peut perturber leur routine quotidienne, un autre exemple de l'arrogance sans limite de la force d'occupation et de sa capacité à humilier et à semer le désordre.

Un soldat israélien en train de voiser à Hébron, en Cisjordanie, le mois dernier. Photo : Mussa Issa Qawasma/Reuters

Ce qui est différent cette fois-ci, c'est le moment choisi. Habituellement, les raids visant à procéder à l'arrestation - ou à l'assassinat planifié - de tireurs palestiniens ont lieu la nuit ou très tôt le matin. Il est vrai que le raid du 26 janvier dans le camp de réfugiés de Jénine a commencé vers 7 heures du matin. Le moment choisi a surpris les habitants, mais il était suffisamment tôt pour que les civils restent à l'intérieur et ne se mettent pas en danger pendant que l'armée encerclait une maison.

En revanche, à Naplouse, les habitants ont compris qu'une attaque militaire était en cours vers 9h30, et pas dans un endroit perdu, mais près du centre commercial bondé. Ces faits n'ont pas pu échapper aux commandants qui ont ordonné le timing. Sommes-nous maintenant les témoins d'un nouveau modèle : des dizaines de milliers de personnes provoquées en plein jour ?

Dans un communiqué, la Tanière des Lions a déclaré que six des onze morts étaient des membres du groupe ou du Jihad islamique. Le groupe a également exprimé ses condoléances aux familles des quatre civils tués, dont un homme de 72 ans et un autre de 61 ans, tandis qu'un homme de 66 ans est décédé plus tard des suites de ses blessures dues aux gaz lacrymogènes.

Les Palestiniens, qui ont annoncé une nouvelle journée de deuil, qualifient le raid israélien de massacre, comme ils ont décrit son prédécesseur à Jénine le mois dernier, lorsque 10 Palestiniens ont été tués.

Des Palestiniens à Jénine brûlent des pneus après l'entrée de l'armée israélienne dans la ville le mois dernier. Photo  : Majdi Mohammed/AP

La définition de "massacre" est exacte si elle implique que lorsque l'armée le veut, elle sait comment arrêter des gens sans les tuer, et sans tuer des civils non armés et secouer une ville entière. En même temps, cette définition occulte un fait important. De plus en plus de jeunes Palestiniens sont prêts à se faire tuer dans une bataille sans merci contre des soldats invisibles qui ont envahi leur ville. Ou bien ils refusent de quitter le bâtiment où ils sont assiégés, sachant pertinemment qu'il sera bombardé et s'effondrera sur eux.

Le public les considère comme de braves héros parce qu'ils renoncent à leur vie tout en envoyant un message collectif : les intrus militaires ne sont pas des invités, et la mort est préférable à la vie en prison dans l'acceptation de l'occupant et la reddition.

Y a-t-il un lien entre les raids sanglants de ces derniers mois à Jénine, Jéricho et Naplouse et le renversement du système judiciaire par le gouvernement Netanyahou ?

Y a-t-il un lien entre le raid sur Naplouse mercredi, en plein jour, et l'affaiblissement du shekel à cause du coup d'État du nouveau gouvernement qui est déterminé à avancer malgré tout ?

Est-il possible que la personne qui a donné l'ordre à l'armée et à la police mercredi ne sache pas qu'un grand nombre de morts palestiniens nous rapproche d'un nouveau bain de sang ?

Ce sont là aussi des questions dont les réponses ne se trouvent pas dans les communiqués de presse de l'armée.

23/02/2023

GIDEON LEVY
Le retour de bâton du coup d’État judiciaire : le BDS l’a rêvé, Bibi l’a fait

Gideon Levy, Haaretz, 23/2/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Le rêve du mouvement BDS (boycott, désinvestissement et sanctions) se concrétise rapidement. Un gestionnaire clé dans l'une des sociétés d'investissement israéliennes m'a dit cette semaine que le montant d'argent quittant son bureau et allant à l'étranger est actuellement de 10 millions de shekels [=2,6 millions d’€] par jour, et ça ne fait qu'augmenter.

Mohamed Saabaneh

Cette personne, qui s'est toujours tenue à l'écart de la politique et de l'actualité, est maintenant découragée. La politique a envahi son bureau. Tous ceux qui, comme moi, pensaient que tout cela n'était que des paroles et de l’alarmisme, ont eu tort. Ce qui se passe maintenant est exactement ce que le mouvement international prônant le boycott d'Israël voulait obtenir, mais pour une autre cause. Ce qui se passe pourrait prouver que le mouvement BDS avait raison depuis le début : ce n'est que par l'argent qu'il sera possible de changer la politique d'Israël. Frappez au porte-monnaie : l'arme BDS est la plus efficace.

À ce jour, la plus grande réussite du mouvement de protestation contre le bouleversement judiciaire est d'avoir réussi à intimider et à pousser à l'action une proportion substantielle d'Israéliens, ainsi que la majeure partie du reste du monde. Ce que le mouvement BDS et les organisations des droits humains n'ont pas réussi à faire en invoquant des crimes et des méfaits, le mouvement de protestation a réussi à le faire au nom de la lutte contre ce qu'il appelle la fin de la démocratie. Ça a pris comme une traînée de poudre. Ce ne sont pas les intifada et les guerres, les descriptions des horreurs et les lamentations, pas les résolutions des institutions internationales ou des USA qui ont réussi à susciter une telle tempête. Un mois et demi de préliminaires législatifs ont  fait l'affaire.

C'est ainsi que les partisans du boycott d'Israël voulaient que les choses se déroulent : retrait des investissements en Israël, boycott de l'économie israélienne culminant dans l'opposition internationale, jusqu'à l'imposition de sanctions. Cela n'a pas fonctionné contre l'occupation. Le mouvement BDS a réussi à faire évoluer les mentalités. C'était le seul choix possible, le seul mouvement qui ne se contentait pas de condamnations vides, appelant au contraire à des actions concrètes contre un État d'apartheid. Cependant, ses réalisations économiques ont été minuscules, un chanteur annulant un spectacle ici, un fonds de pension bricolant un retrait là, Israël continuant à s'épanouir et à prospérer sans entrave, au grand dam des défenseurs des droits humains. Aucun prix n'a été payé pour les crimes de l'occupation ou pour le pied de nez arrogant et insolent du pays au droit international.

Et pourtant, chacun savait que sans mesures concrètes, l'occupation ne prendrait jamais fin. Si les Israéliens ne payaient pas le prix de l'occupation et de ses crimes, en tant qu'individus et en tant que collectivité, rien ne les inciterait à y mettre fin. Jusqu'à il y a quelques semaines, il semblait que cela n'arriverait jamais.

Et maintenant, voilà que ça se produit, même si c'est pour de mauvaises raisons. Même si c'est pour des raisons involontaires, un peu de bien peut en sortir. Il est surprenant que l'affaiblissement du système judiciaire, dont les caractéristiques étaient favorables à l'apartheid, soit le facteur qui a poussé le monde et certains Israéliens à se réveiller. Mais il est désormais clair que la seule chose qui pourrait arrêter le bordel législatif est le préjudice économique subi par le pays. Le fait que les Israéliens retirent leur argent et que les acteurs internationaux n'investissent pas ici change la donne. Les manifestations, aussi bruyantes et tonitruantes qu'elles puissent être, se dissiperont rapidement et suivront le chemin de toutes les protestations. Les pétitions et les lettres s'estomperont. Seuls les dommages économiques s'accumuleront. C'est la seule chose qui puisse arrêter l'érosion. C'est ce qui s'est passé en Afrique du Sud, lorsque les dirigeants de la communauté des affaires ont dit au gouvernement qu'ils ne pouvaient plus continuer, et c'est ce qui va se passer ici avec la révolution judiciaire. Uniquement par l'argent.

Il ne faut évidemment pas se laisser bercer par les illusions. Le lien entre les protestations et la lutte contre l'apartheid est ténu. La plupart des manifestants se contenteront de l'annulation de la clause permettant à la Knesset de passer outre les décisions de justice et de l'ajout de représentants du public au comité de nomination des juges, et seront pleinement satisfaits lorsque Benjamin Netanyahou quittera le pouvoir. En ce qui les concerne, l'apartheid peut continuer.

Mais on peut espérer que la convulsion ne pourra pas s'arrêter au statu quo ante. La tempête peut rebattre de nombreuses cartes sur son passage. Lorsque les Israéliens commenceront à payer pour les folies de leurs dirigeants, ils trouveront peut-être le temps de reconsidérer la plus grande folie de toutes : l'État d'apartheid dans lequel ils vivent, qu'ils paient du sang de leurs fils et de l'image de leur pays. Ce n'est qu'alors qu'une nouvelle aube se lèvera.

 

17/02/2023

ADAM RAZ
Comment Israël a utilisé les drapeaux pour affirmer sa domination sur les Palestiniens

Adam Raz, Haaretz,17/2/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Des documents historiques exposent le sérieux abyssal qu’Israël a consacré au brandissement de drapeaux par les Palestiniens, et non moins au hissage du drapeau israélien

Un manifestant brandit un drapeau palestinien à Tel Aviv le mois dernier, lors d’une manifestation contre les projets de remaniement judiciaire du gouvernement. Le drapeau a toujours été considéré comme menaçant en Israël. Photo : Ohad Zwigenberg.

En novembre 1968, un an et demi après la conquête de la bande de Gaza par Israël lors de la guerre des Six Jours, un lycéen de 18 ans nommé Faiz, qui vivait dans le quartier Tuffah de la ville de Gaza, a accroché un drapeau palestinien au mur de son école, puis s’est enfui. Ensuite, environ 60 élèves de l’école sont sortis pour manifester contre les occupants. Rapportant l’événement, un coordinateur du service de sécurité du Shin Bet a noté : « Lorsque l’armée est apparue... les étudiants se sont enfuis et l’armée a réussi à appréhender un certain nombre d’étudiants qui manifestaient ».

Dans sa demande à la police israélienne d’enquêter sur l’événement, le coordinateur du Shin Bet a ajouté quelques commentaires : « Faiz est un mauvais étudiant. Le drapeau que Faiz a accroché au mur est fait à la main. On ne sait pas si quelqu’un a envoyé Faiz pour accrocher le drapeau ».

La police n’a pas perdu de temps pour lancer une enquête. Faiz et un autre élève ont été placés en garde à vue, de même que le directeur de l’école - qui a été relâché au bout de trois semaines, lorsqu’il s’est avéré que c’était lui qui avait décroché le drapeau.

Les archives du Shin Bet étant fermées au public (le document cité ci-dessus provient des archives de la police), nous ne savons pas comment cet épisode s’est terminé. Ce que l’on sait, c’est qu’il ne s’agit pas du seul incident attestant du fait que les forces de sécurité israéliennes ont toujours accordé une importance démesurée aux drapeaux et à leur apparition dans l’espace public, tant à l’intérieur de la ligne verte (Israël souverain) que du côté palestinien.

En effet, les rapports sur les drapeaux - qu’ils soient palestiniens ou israéliens - reviennent constamment dans la littérature de l’époque et dans la documentation historique en Israël. En 1974, par exemple, le commandement central des forces de défense israéliennes a signalé quatre cas de sabotage dans un village palestinien de Cisjordanie, consistant à débrancher à plusieurs reprises une ligne téléphonique et à hisser à sa place « un drapeau palestinien dessiné sur un morceau de papier de cahier ». Pour les autorités israéliennes, il est évident que l’attitude à l’égard du déploiement des drapeaux était une sorte de baromètre permettant de mesurer la profondeur du contrôle exercé par Israël sur les Palestiniens dans leur ensemble.

Alors que l’apparition du drapeau palestinien (dont les origines remontent à l’époque de la révolte arabe contre l’Empire ottoman, il y a un siècle) était une indication de l’inefficacité du contrôle israélien, le hissage de drapeaux israéliens - et plus il y en avait, mieux c’était - reflétait les tentatives maladroites des autorités de démontrer le contraire. En veillant rigoureusement à la présence de drapeaux israéliens dans l’espace public palestinien en Israël, l’occupant cherchait à ancrer la domination israélienne et à l’enraciner dans le domaine visuel, et ainsi à rappeler aux Palestiniens qui était le patron. C’est pourquoi des ressources considérables ont été investies, au cours des longues années (1948-1966) de régime militaire sur les citoyens arabes d’Israël, afin d’observer, de surveiller et de documenter les citoyens palestiniens qui célébraient le jour de l’indépendance, ceux qui hissaient le drapeau israélien et ceux qui s’y opposaient.

En avril 1950, avant le deuxième jour de l’indépendance d’Israël, le quartier général de l’administration militaire a envoyé un message aux gouverneurs militaires leur demandant de souligner l’importance de l’événement. « Il est d’un intérêt particulier pour nous que cette année, le Jour de l’Indépendance soit également célébré et évident parmi la population arabe dans les territoires administrés » c’est-à-dire la société arabe à l’intérieur d’Israël, disait-on aux gouverneurs. À cette fin, il a noté plusieurs mesures qui devaient être prises dans les communautés arabes. « Le mukhtar du village et les dignitaires doivent veiller à ce que les drapeaux soient hissés et que les emblèmes de l’État soient accrochés sur tous les bâtiments publics et [autres] bâtiments importants du village ».

Le rapport du Shin Bet de 1968 sur un élève qui a accroché un drapeau palestinien sur le mur de son école de la ville de Gaza : « Faiz est un mauvais élève. Le drapeau que Faiz a accroché au mur est fait à la main. On ne sait pas si quelqu’un a envoyé Faiz pour accrocher le drapeau ».

En outre, les écoles devaient organiser des événements festifs et mener des discussions sur le Jour de l’Indépendance, et dans les villages, des « prières spéciales pour le bien-être de l’État et du président » devaient être récitées ce jour-là. Les cinémas de Nazareth et d’Acre ont reçu l’ordre de projeter gratuitement des “films spéciaux”.

Les autorités sur le terrain - la police et les gouverneurs militaires - veillaient à ce que l’esprit de la fête soit maintenu. Chaque année, avant le jour de l’Indépendance et le jour même, elles faisaient des rapports sur les événements de la fête et sur ce qu’on appelait “l’état d’esprit” des habitants palestiniens d’Israël. Dans un rapport d’avril 1953, par exemple, le gouverneur militaire du Néguev, Basil Herman, a détaillé les principaux événements entourant la réception festive organisée pour le public arabe dans le bâtiment de l’administration militaire pour marquer le cinquième jour de l’indépendance du pays.

« Les exigences relatives aux permis de sortie n’ont pas été strictement respectées ce jour-là », a déclaré le gouverneur, faisant référence aux autorisations de voyage que la population arabe d’Israël devait obtenir pour quitter son lieu de résidence pendant la période du gouvernement militaire. Le gouverneur a ajouté que, contrairement à ce que l’on craignait, les représentants de la communauté bédouine n’avaient pas été affectés par la sécheresse de l’année et n’avaient pas exprimé d’attitude hostile envers le gouvernement pendant les célébrations. Au contraire : « Tous les intervenants ont fait l’éloge du gouvernement et de l’administration [militaire] ».

Un rapport du quartier général du gouvernement militaire à Acre sur les événements du jour de fête dans le village de Yasif en mai 1958 était également énormément dithyrambique sur les célébrations locales. « Le terrain [de jeu] du village était orné de drapeaux nationaux, de rubans colorés, d’une abondante lumière électrique fournie par un générateur spécial apporté sur le site à cette fin, d’une scène décorée de tapis, de drapeaux et de photos de personnalités publiques de l’État et de dirigeants sionistes », note le commandant du district, et résume : « Les dispositions techniques, y compris les places confortables pour que le public puisse s’asseoir, n’étaient pas inférieures, à mon avis, aux dispositions prises dans une communauté juive ».

La lecture du reste du rapport montre clairement que les célébrations ont eu lieu en dépit des objections du conseil communal local, dont les membres ont décidé à l’unanimité de boycotter les événements du jour de l’indépendance, selon le rapport, « pour des raisons nationalistes arabes ».