04/03/2023

ANNAMARIA RIVERA
La vocation migranticide
Après la nouvelle hécatombe en Méditerranée

Annamaria Rivera, Comune-Info, 3/3/2023
Traduit par Fausto Giudice
, Tlaxcala

 

À l'heure où j'écris ces lignes, les victimes avérées d'un nouveau naufrage de migrants, survenu à l'aube du dimanche 26 février sur la côte de Steccato di Cutro, en Calabre, sont au moins 67, dont 15 enfants et 21 femmes. Mais leur nombre pourrait s'élever à plus de 100, s'ajoutant aux dizaines de milliers de morts de la mer Méditerranée, devenue un grand cimetière à ciel ouvert.


Les questions qui entourent ce naufrage sont particulièrement graves et inquiétantes : nous ne savons pas ce qui s'est passé après que l'avion de Frontex a aperçu et signalé le bateau à 22h30 la nuit précédant le naufrage ; nous ne comprenons pas pourquoi, bien que la présence d'un tel bateau dans les eaux ait été connue, aucune action rapide n'a été entreprise. Même le commandant de la capitainerie de Crotone, Vittorio Aloi, a déclaré que l'envoi de navires de sauvetage aurait été tout à fait possible.

 

Quoi qu'en pense l'infâme ministre de l'Intérieur Piantedosi, ce sont les “murs” qui créent les trafiquants et non l'inverse. Entre autres choses, il a rejeté la responsabilité du naufrage sur les victimes et a osé déclarer que « le désespoir ne peut justifier des voyages dangereux pour la vie des enfants ». Ce n'est pas un hasard si le ministre est l'inspirateur du décret, qui porte son nom, visant à appliquer des politiques de plus en plus persécutrices à l'encontre des navires des ONG, les empêchant de sauver des vies : une tâche qui devrait être assumée en premier lieu par l'État.

 

Aujourd'hui, après le tragique naufrage, il semble que l'objectif de Piantedosi soit de rétablir les décrets dits Salvini sur les ports fermés et les restrictions aux demandes d'asile et d'accueil.

 

Pour replacer ce que j'ai dit jusqu'ici dans un large contexte, je reprendrai ce que j'ai écrit ailleurs sur la vocation migranticide qui caractérise non seulement l'Italie, mais aussi une grande partie de l'Union européenne.

 

Comme on le sait, l'unité européenne a été conçue pour transcender non seulement les colonialismes, mais aussi la conception de la “nation” comme une communauté substantielle et homogène, tendant ainsi à exclure les autres, ainsi que les nationalismes et les crises économiques qui en ont résulté et qui ont également favorisé la naissance de régimes totalitaires.

 

Aujourd'hui, en revanche, les exilés forcés (tous, à des degrés divers, y compris les exilés économiques) atterrissent paradoxalement, lorsqu'ils y parviennent, dans un continent truffé de frontières blindées, de murs et de barrières de barbelés. Dans la plupart des cas, ils sont contraints de quitter leur pays à cause des persécutions, de la misère, de la famine, des catastrophes, y compris environnementales, ainsi que des conflits et des guerres civiles, le plus souvent provoqués ou favorisés par le néocolonialisme et l'interventionnisme occidentaux.

 

Ils arrivent dans un monde où les nationalismes agressifs sont résurgents, où il y a une compétition pour repousser autant de réfugiés que possible vers l'État le plus proche ou des efforts sont faits pour les déporter vers un douteux “pays sûr”. Un monde où, pour défendre son propre territoire, on ferme les frontières, on érige des barrières de toutes sortes, on déploie même des armées. À cet égard, je rappelle, pour ne donner qu'un exemple parmi tant d'autres, qu'en octobre 2015, le parlement slovène a approuvé, à la quasi-unanimité, une loi donnant à l'armée des pouvoirs extraordinaires, principalement celui de restreindre la liberté de mouvement des personnes.

 Don Francesco Lo Prete, curé de Le Castella, a recueilli des morceaux de l’embarcation échouée sur la plage de Steccato di Cutro, dont l’artiste local Maurizio Giglio a fait une croix, qui sera dressée dimanche 5 mars dans l’église de Steccato di Cutro au terme d’une Via Crucis Chemin de croix) en présence de Mgr. Angelo Panzetta , archevêque de  Crotone-Santa Severina


En outre, entre 2015 et 2016, afin de freiner l'afflux de réfugiés, certains pays de l'UE sont allés jusqu'à suspendre unilatéralement la Convention de Schengen et à réintroduire des contrôles aux frontières. Au lieu de promouvoir un engagement en faveur d'une réforme radicale de la Convention de Dublin, la Commission européenne a honteusement cautionné cette pratique, qui met à mal l'un des rares éléments, à la fois concrets et symboliques, qui peuvent donner aux citoyens du continent le sentiment d'une appartenance commune, néanmoins ouverte aux autres. Et ce, à un moment où nous assistons à une crise radicale en Europe.

 

En passant, il convient de noter à quel point la rhétorique insistante de l'intégration semble paradoxale, face à un contexte continental et des contextes nationaux le plus souvent caractérisés par des ordres politiques et sociaux fragmentés, inégaux, conflictuels.  

 

En bref, au fil des ans, l'Union européenne a perpétué, dans une certaine mesure, le modèle des anciens nationalismes, en reproposant les critères de la généalogie, de la descendance, des origines, légitimant ainsi la rhétorique sur laquelle se fondent presque toutes les formes de racisme. En fait, c'est un tel critère qui a été sanctionné, après tout, par les traités de Maastricht et d'Amsterdam, par le traité constitutionnel européen lui-même, signé à Rome le 29 novembre 2004, qui a réservé la citoyenneté dite européenne aux seuls nationaux.

 

L'UE pratique également une sorte de supranationalisme armé, pour la défense de ses frontières. Et ceci, à son tour, n'est pas seulement la cause principale d'une hécatombe de réfugiés aux proportions monstrueuses, mais a aussi indirectement contribué à encourager un nationalisme agressif, donc au succès de la droite, même de l'extrême droite, dans toute l'Europe : l'Italie est aujourd'hui le cas exemplaire d'un gouvernement dominé par l'extrême droite. 

 

En fait, comme je l'ai déjà écrit ailleurs, les lois, normes et pratiques européennes ainsi que celles des États individuels dans le domaine de l'immigration et de l'asile configurent une sorte de thanatopolitique, pour le dire à la manière de Michel Foucault. À tel point qu'il n'est pas exagéré d'affirmer, comme l'a fait Luigi Ferrajoli (Il suicidio dell'Unione europea, in “Teoria politica”, VI, 2016, pp. 173-192), qu'avec ses « lois raciales actuelles », l'UE « promulgue une gigantesque non-assistance à personnes en danger » et, par conséquent, « un nouveau génocide ».

 

La sémiotique du génocide peut de fait être trouvée dans un certain nombre de normes et de pratiques des États de l'UE. Il suffit de considérer l'utilisation de voitures blindées pour transporter les réfugiés à travers ses frontières, par  laquelle la Hongrie, dirigée par la droite nationaliste et raciste, s'est distinguée.  Ce pays, en effet, a répondu à la “crise des réfugiés” non seulement en blindant ses frontières, en criminalisant et en arrêtant les demandeurs d'asile qui tentaient de les franchir, mais aussi en accomplissant, à deux reprises au moins, un acte qui rappelle la déportation des Juifs hongrois eux-mêmes en 1944.   

 

En juillet 2015, un wagon de marchandises fermé, rempli de réfugiés, principalement des Syriens et des Afghans, y compris des femmes et des enfants, a été ajouté à un train quittant Pecs à destination de Budapest. Et le 23 septembre suivant, à la frontière entre la Hongrie et la Croatie, des centaines de réfugiés, privés d'eau et de nourriture, ont été chargés sur des wagons de marchandises également blindés, pour être transférés à la frontière autrichienne.

 

Tout cela contribue également à la grave crise européenne, qui n'est pas seulement économico-financière, mais aussi (et peut-être surtout) politico-idéologique et identitaire. En effet, à l'heure actuelle, la seule "“déologie” capable de mobiliser et d'unifier une grande partie des populations européennes “autochtones” est le rejet des réfugiés, des exilés, des Rroms, des immigrés et/ou des personnes “d'autre origine”, c'est-à-dire les “ennemis intérieurs et extérieurs” d'aujourd'hui. Ce sont elles et eux, aujourd'hui, qui constituent de plus en plus “un principe d'autodéfinition”, pour citer Hannah Arendt. Et, aujourd'hui comme à une époque sombre, cela sert à donner « aux masses d'individus atomisés (...) un moyen (...) d'identification » (Arendt, Les origines du totalitarisme, 1951).

 

De nos jours, l'ombre du sinistre passé s'étend même sur les conventions et les chartes internationales pour la protection des droits. Même la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) et la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (CFREU) sont souvent violées en refusant les droits fondamentaux aux réfugiés ou en les comprenant non pas comme inconditionnels et dus à tous, mais comme devant être accordés éventuellement et seulement sous certaines conditions.

 

Un spectre du sinistre passé est, par exemple, l'accord signé le 18 mars 2016 entre l'UE et la Turquie, résultat d'un méprisable troc sur la peau des réfugiés. Comme on le sait, il stipulait que tous les réfugiés qui entrent “irrégulièrement” en Grèce par la mer Égée sont “rapatriés” en Turquie, en fait déportés dans un pays qui est tout sauf "“ûr”, car son régime est devenu de plus en plus autoritaire, sans compter qu'il est le théâtre de fréquentes attaques terroristes.

 

Cet accord - dont le caractère insensé est évidente, puisqu'il n'a pas du tout servi, comme on le prétend, à démanteler « le business des trafiquants », mais plutôt à forcer les multitudes en fuite à entreprendre des routes et des voyages de plus en plus dangereux - viole de manière flagrante le droit international.

 

Sans parler de l'accord indigne, qualifié d'inhumain par l'ONU elle-même, entre les différents gouvernements italiens et libyens, quasi-marionnettes ; ainsi que de la mission militaire italienne au Niger, visant à bloquer une étape décisive de l'exode ; ajoutez à cela la tristement célèbre loi Minniti-Orlando, décidément inconstitutionnelle, puisqu'elle vise à réduire drastiquement le droit d'asile et à rendre plus efficace la machine des rafles et des rapatriements forcés. Quant à l'actuel gouvernement italien, le plus à droite de l'histoire de l'Italie constitutionnelle et qui a comme Premier ministre et ministre de l'Intérieur, deux personnages tellement caricaturaux qu'ils semblent une parodie tragique et grotesque du/de la Raciste - il est la représentation parfaite de la décadence et de la thanatopolitique de l'UE.

 

On ne peut qu'espérer et se battre pour que la gauche dans son ensemble comprenne enfin la centralité stratégique de la lutte contre la discrimination et le racisme. Ce n'est certes pas d'hier qu'ils se manifestent en Italie, mais aujourd'hui ce processus semble être effréné, toujours plus pressant, et se diriger vers le pire. À moins que l'indignation qui habite pas mal de secteurs de la société civile, en particulier dans le militantisme antiraciste et antifasciste, ne parvienne enfin à trouver une voix et une stratégie communes pour faire face à une dérive aussi effrayante. 

NdT

Le maire de Crotone, Vincenzo Voce, a envoyé une lettre ouverte au Premier ministre Giorgia Meloni, suite au naufrage de dimanche dernier sur la côte de Steccato di Cutro qui a fait à ce jour 69 morts.


Président Meloni,

Nous avons attendu une semaine, la communauté crotonaise, affectée par une énorme douleur, a attendu un message, un appel téléphonique, un signe de votre part.

 

Pendant cette semaine, les Crotonais se sont serré les coudes dans la douleur pour les victimes d’une terrible tragédie, et de toutes les manières, ne serait-ce qu’ avec une simple prière, une fleur ou un billet, ils ont voulu montrer leur proximité et leur solidarité.

 

L’humanité n’élèvera peut-être pas le classement de la qualité de vie, mais elle nous rend certainement fiers d’appartenir à une communauté qui a su démontrer que la solidarité et l’ouverture aux autres sont des valeurs inaliénables auxquelles on ne peut renoncer.

 

Ce peuple attendait un témoignage de la présence de l’Etat, qui est venue de très haut de la part du Chef de l’Etat.

 

Mais le gouvernement était absent, vous étiez absente, Président. Alors je vous demande, si vous n’avez pas senti que vous pouviez manifester votre proximité en tant que Président du Conseil, venez à Crotone et manifestez-la en tant que mère.

 

Venez voir ce qu’on a vécu dans une salle de sport destinée à la vie et qui s’’est transformée en un lieu de douleur et de larmes.

 

Venez partager, en tant que mère, la douleur d’’autres mères, d’enfants sans parents, de femmes, d’’hommes, d’’enfants qui avaient de l’espoir et qui n’ ont même plus cela.

 

Je ne vous reproche pas de ne pas être venue en tant que Présidente du Conseil, vous deviez avoir d’’autres engagements importants.


Alors venez en privé, si vous le souhaitez, en tant que citoyenne de ce pays. Venez dans cette ville qui a exprimé si fortement le sentiment de rester humain.

 

De considérer les personnes comme telles et non comme des numéros. Parce que ces cercueils qui n’’ont pas encore de nom ne sont pas des numéros. Nous vous attendons.
Source : CrotoneOK

https://www.crotoneok.it/wp-content/uploads/2023/03/PalaMilone-Minuto-di-silenzio-migranti-Redazione-27.02.2023-2.jpg

GIDEON LEVY
Choc, rage et désespoir à Huwara au lendemain du pogrom des colons


Gideon Levy,Haaretz; 4/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Une ville verrouillée, des rues désertes, des habitants enfermés chez eux - effrayés et furieux. Des colons à l’affût dans leurs voitures, des soldats à chaque coin de rue, des bâtiments brûlés et des carcasses noircies de voitures.

 Le camion-citerne d’épuration de Youssef Damaidi, lundi à Huwara. Des morceaux de métal et de verre en tombent après chaque coup de l’enfant Photo : Moti Milrod

Lundi matin, la tête décapitée d’une vache était suspendue à un crochet à l’entrée d’une boucherie de la rue principale de Huwara. C’était la seule chose suspendue à l’extérieur de la longue rangée de magasins, tous fermés, donnant à la ville de Cisjordanie l’apparence d’être sous couvre-feu. L’armée avait en effet interdit aux Palestiniens de circuler dans les rues ou d’ouvrir leurs commerces. La présence d’une troupe de reporters et de photographes portant des gilets pare-balles, des masques à gaz et des casques, évoquait des scènes de guerre.

Mais le choc, la rage et le désespoir du lendemain matin dominaient tout dans ces rues tranquilles. Tous ces sentiments étaient palpables malgré les fenêtres à barreaux de chaque maison, à travers lesquelles des femmes et des enfants effrayés jetaient un coup d’œil. Tous ces sentiments se reflétaient sur les visages des quelques habitants qui s’aventuraient à l’extérieur pour évaluer les dégâts, et émanaient également des fçades muettes de dizaines de bâtiments calcinés et de centaines de voitures brûlées, certaines réduites à une pulpe métallique gris terne.

Lendemains d’un pogrom

Les soldats israéliens sont toujours postés sur les toits des immeubles, ces mêmes soldats qui n’ont rien fait la veille pour empêcher des centaines de colons de se déchaîner dans la ville de Huwara, située aux environs de Naplouse. Le gouverneur palestinien de cette ville était arrivé un peu plus tôt pour examiner la scène, suivi par une visite du ministre israélien de la Défense. Pour le gouverneur, il s’agissait d’une visite de courtoisie sans importance ; après tout, il est impuissant à protéger ses sujets, leurs biens ou leur dignité.


Les conséquences du saccage des colons à Hawara, cette semaine.Photo : Moti Milrod

“Ibrahim Aluminum”, ”Peace Construction Materials” et ”Naji Air Conditioners” - des panneaux en hébreu sont accrochés à l’extérieur des petites boutiques. “Des vêtements pour toute la famille, des prix incroyables”, dit un autre panneau, également en hébreu. Toutes ces enseignes sont des monuments aux anciens clients, qui peuvent revenir ou pas.

La formidable route de contournement de Huwara, actuellement en construction, sera bientôt achevée, et les colons n’auront plus besoin de traverser la ville en voiture - sauf pour perpétrer des pogroms. Huwara est une cible commode pour les colonies violentes implantées sur la montagne qui la surplombe : de temps en temps, les colons descendent, brûlent, détruisent, parfois tuent - et repartent. Les maisons situées dans la partie nord de la ville, près des routes menant aux colonies d’Itamar et de Yitzhar, sont les plus susceptibles d’être attaquées.

Dimanche dernier, des colons se sont déchaînés ici pendant cinq heures d’affilée, n’hésitant pas à vandaliser les maisons et les commerces des habitants. Lorsque l’on se trouve à Huwara le lendemain matin, il est impossible de ne pas se demander comment 400 colons ont pu prendre d’assaut la ville pendant autant d’heures sans que personne ne les arrête ou ne protège les habitants - à moins que l’armée n’ait voulu que ce saccage ait lieu. Lorsque vous êtes à Huwara le lendemain matin, il est également impossible de ne pas imaginer ce qui se serait passé si 400 Palestiniens avaient attaqué les colonies de Yitzhar, en haut de la montagne, ou de Givat Ronen, Har Bracha et Itamar, incendiant les maisons et les voitures de leurs habitants par vengeance. Après tout, le sang bouillonne aussi à Huwara, tout comme il bouillonne à Har Bracha depuis l’attaque terroriste de dimanche dernier qui a tué deux frères de cette colonie, alors qu’ils traversaient en voiture la ville palestinienne voisine.

Des soldats et des colons israéliens à Huwara cette semaine.Photo : Moti Milrod

À l’entrée de la salle d’exposition du magasin de Raad et Hadi, qui vend des pièces détachées pour véhicules de luxe, une telle voiture était exposée : Il ne restait que la coquille nue et noircie de l’Audi qui avait été incendiée, ou peut-être était-ce une Skoda.

Huwara est en fait une rue principale qui a une ville. L’autoroute 60 la traverse sur toute sa longueur, comme elle traverse toute la Cisjordanie. Mais ce n’est qu’ici que cette artère principale passe par une localité palestinienne, du moins jusqu’à l’achèvement de la route de contournement - qui, avec un système ramifié de routes de contournement construites ces dernières années, déterminera l’avenir du projet de colonisation de manière bien plus décisive qu’une autre centaine d’avant-postes de colons qui y poussent. Construites sur des terres palestiniennes, bien sûr, ces routes servent à rapprocher encore davantage les colonies d’Israël, à faciliter leur intégration dans le pays et, d’une manière générale, à faciliter la vie de leurs résidents.

En attendant, il y a la carcasse calcinée de l’Audi et des centaines d’autres voitures qui ont connu le même sort dans toute la région de Hawara, leurs pneus ayant fondu en une bouillie noire. Certains de ces véhicules avaient été utilisés, d’autres étaient garés dans des décharges où les propriétaires espéraient les vendre pour leurs pièces détachées. L’un de ces parcs, le plus grand d’entre eux, ressemblait cette semaine à un cimetière de victimes d’un brasier.



Conséquences du saccage des colons à Hawara, cette semaine. Photo : Moti Milrod

L’odeur de la fumée flottait encore dans l’air lundi ; de la fumée s’échappait encore de quelques véhicules incendiés. Le silence momentané a été soudainement rompu par une vieille VW Golf verte arborant un drapeau israélien qui a dévalé l’autoroute 60. Comme tous ceux qui sont passés par ici ce jour-là, ses passagers ont chahuté les habitants en criant et en faisant des gestes. Une pierre a été jetée, la Golf s’est arrêtée. Les soldats se sont précipités pour intervenir, tout semblait sur le point d’éclater à nouveau en violence.

« Qui a jeté cette pierre ? », a crié un officier de l’armée, hystérique. « Sortez vos chiens d’ici », a rétorqué courageusement un homme de la région. Seule la présence de la presse locale et étrangère lui a apparemment épargné un passage à tabac ou une arrestation.

« Rédempteurs de la terre »- tel est le slogan collé sur la vieille Golf. Elle a été rejointe par quelques autres voitures de colons qui sont arrivées à toute vitesse, les passagers sortant avec empressement, apparemment prêts à se battre ou à jeter un coup d’œil aux dégâts qu’ils ont causés la veille. Le vintage semble être leur truc : au moins deux des véhicules des envahisseurs portaient les plaques d’immatriculation spéciales des voitures de collection.


Un bâtiment incendié pendant le pogrom de Huwara. Photo : Majdi Mohammed/AP

Ils sont là, les colons : des hooligans religieux costauds, grossiers et vulgaires, se promenant comme des seigneurs et affichant un comportement arrogant vis-à-vis des Palestiniens et des soldats. Bottes quasi-militaires, pantalons rentrés dans les bottes, T-shirts portant des inscriptions provocantes. Le conducteur de la Golf était masqué, peut-être dans le but de paraître plus menaçant. Tous ces gens savent qu’ils n’ont rien à craindre ici. Un soldat a posé doucement une main sur l’épaule de l’un d’entre eux et l’a escorté vers une voiture. Les colons que nous avons vus étaient presque certainement ici le dimanche.

« Je vous ai tous à l’œil, faites gaffe », a sifflé l’officier aux nombreux reporters et photographes palestiniens, qui essayaient d’obtenir un cliché des colons et des soldats, frères d’armes. « Eitan, dis à Sagi d’appeler Shapira », a-t-il hurlé.

Toutes les quelques minutes, un bus blindé presque vide passait, empruntant les routes habituelles desservant les colons. Les transports publics semblent être meilleurs ici qu’à Tel Aviv. L’entrée d’une grande villa brune au bord d’une route est carbonisée ; les restes des pneus qui l’ont incendiée gisent sur le chemin, un jeu de cartes est éparpillé sous quelques oliviers et un grill de barbecue se dresse désespérément. La maison est vide, ses occupants ont peur de revenir. Des poteaux de clôture se trouvent le long du chemin menant à la maison. Leur but est clair, mais une barrière aussi peu solide n’arrêtera probablement pas les pogromistes de la montagne.

Conséquences du saccage des colons à Hawara, cette semaine. Photo : Moti Milrod

Le mur extérieur d’une autre grande maison de la ville est noirci sur toute sa longueur - quatre étages de suie et de climatiseurs liquéfiés. Il est peu probable que cette structure, l’une des plus hautes de Huwara, soit habitable. Quelqu’un a déjà boulonné des tôles aux fenêtres du rez-de-chaussée, pour empêcher les pillages. Les dégâts économiques sont particulièrement visibles dans la rue principale. Les pots de fleurs brisés que les saccageurs ont jetés sur leur passage ajoutent une dimension apocalyptique à la scène.

Sur la route menant à Huwara se tient un groupe de femmes colons portant des drapeaux israéliens, gardés par des soldats dans un véhicule blindé. Ces jours-ci, à Huwara, il n’est permis d’arborer que le drapeau israélien - ostensiblement le symbole national des habitants de la ville. Le fait que seules les voitures des colons aient été autorisées à traverser la ville lundi était également une forme de justice poétique : la récompense allait aux pogromistes et la punition à leurs victimes, comme après le massacre perpétré contre les Palestiniens par le colon Baruch Goldstein en un autre temps et lieu.

La cabine du conducteur et le moteur du camion-citerne d’eaux usées appartenant à Yusuf Damaidi, 37 ans, ont été ravagés par les flammes dimanche. La citerne elle-même n’a pas été touchée. Le lendemain, de la fumée s’élevait encore de la partie avant et des eaux usées s’écoulaient de l’arrière. Le jeune fils de Damaidi frappe la cabine du conducteur avec un bâton, et des éclats de métal et de verre tombent sur le sol.


Une maison visée par le déchaînement des colons à Huwara, cette semaine.
Photo : AMMAR AWAD/Reuters

Un complexe appartenant à une autre famille (mais sans lien de parenté) nommée Damaidi, à l’est de Huwara, possède deux bâtiments de deux étages, revêtus de pierre et carrelés de marbre, une cour bien entretenue et une luxueuse résidence d’hôtes au milieu. Mais la maison d’hôtes, dont la construction a été achevée il y a tout juste quatre mois, nous a dit Radwan Damaidi, a été totalement ravagée par le feu dimanche - ce qui évoque pour nous des images de l’incident de 2015 dans le village de Douma, où une famille et sa maison ont été incendiées.

Radwan, son père et son frère possèdent un magasin qui vend de l’or à Naplouse et ils ont quelques voitures de luxe sur leur parking. L’une d’elles a été incendiée et la lunette arrière d’un 4X4 a été brisée par des colons. Au départ, raconte Radwan, ils étaient environ 25, qui ont sauté par-dessus le mur de pierre qui entoure le complexe ;. Ils sont ensuite partis, pour revenir avec des dizaines de hooligans en renfort. C’est alors qu’ils ont mis le feu à la maison d’hôtes et au beau coin salon dans la cour.

Le panier de za’atar frais qui était sur la table n’est plus qu’une bouillie de suie. Le vélo d’appartement de la maison d’hôtes n’est plus qu’une carcasse brûlée. Certaines des fenêtres des étages supérieurs de l’enceinte ont été brisées par des pierres lancées par les colons, et une partie d’un escalier en marbre a été fracassée. Quatre soldats se tenaient à l’entrée du complexe alors que le pogrom faisait rage et n’ont rien fait, dit Radwan. Ils pensaient peut-être que leur tâche était de protéger les colons. Fatma, la grand-mère de Radwan, s’est évanouie lorsque les colons ont fait irruption dans la cour de sa maison. Chez un voisin, une voiture a été carbonisée.

« C’est l’heure de Ben-Gvir », disait un autocollant sur l’une des voitures qui passaient en trombe dans la rue principale.

 

03/03/2023

AMIRA HASS
À Huwara, l’[In]Autorité palestinienne a brillé par son absence

Amira Hass, Haaretz , 2/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Si les forces de sécurité de l’[In]Autorité palestinienne, bien entraînées, n’ont pas trouvé le moyen de protéger leurs compatriotes contre les attaques des colons, elles sont toujours là pour les réprimer.

Des soldats israéliens se tiennent devant un bâtiment incendié lors d’une attaque de colons à Huwara, en Cisjordanie, lundi dernier.

 Les cinq heures pendant lesquelles des centaines de Juifs se sont déchaînés dans Huwara, attaquant des personnes et des biens et allumant des incendies, ont résumé des décennies d’encouragement à la violence des colons et le mépris et l’indulgence calculés de la part de l’armée, de la police, des procureurs, des tribunaux et des gouvernements successifs israéliens. Mais ces cinq heures ont également prouvé une fois de plus à quel point l’[In]Autorité palestinienne se conforme à la division artificielle de la Cisjordanie en zones A, B et C, établie par les accords d’Oslo - une division qui était censée être temporaire et expirer en 1999.

C’est une raison de plus pour laquelle le public palestinien méprise et déteste les dirigeants de l’[In]Autorité palestinienne. Alors que ses forces de sécurité, qui ont été formées dans des pays arabes et occidentaux, n’ont pas trouvé le moyen de protéger leurs compatriotes contre les attaques des colons, elles sont toujours là pour les réprimer.

L’Initiative 14 millions, qui tente de revitaliser l’Organisation de libération de la Palestine et d’appeler à des élections pour un conseil national et une assemblée législative entièrement palestiniens, avait prévu une conférence de presse en direct du studio de Watan TV mercredi. Traitant le mot « élection » comme une menace nucléaire, les forces de sécurité de l’[I]AP ont assiégé le bâtiment abritant le studio et ont pénétré dans les bureaux afin de faire échouer la conférence de presse. Ce n’était pas la première fois que cela se produisait ; les forces de sécurité ont perturbé une autre tentative de l’initiative en novembre.

La semaine dernière, les forces de sécurité palestiniennes ont installé des barrages routiers à la sortie de plusieurs villes de Cisjordanie, afin d’empêcher les enseignants des écoles publiques, en grève depuis le 5 février, de se rendre à un rassemblement central à Ramallah. L’[I]AP et le syndicat des enseignants des écoles publiques avaient signé des accords sur une modeste augmentation de salaire de 15 % et sur la tenue d’une élection libre et démocratique du syndicat en mai 2022. Cet accord faisait suite à une initiative menée par plusieurs associations éducatives à but non lucratif, des groupes de parents et la Commission indépendante des droits de l’homme (un organisme quasi-gouvernemental).

Une élection n’a jamais eu lieu, comme prévu. Début février, les enseignants ont appris qu’en dépit de l’accord, les salaires de janvier n’incluaient pas l’augmentation sur laquelle ils s’étaient mis d’accord ; ils sont même restés à 80 % des niveaux de salaire normaux, comme auparavant. Cela a conduit à la grève, qui en est maintenant à sa quatrième semaine, à laquelle 50 000 enseignants se sont joints et qui a retenu un million d’élèves à la maison. Les leaders de la grève gardent un profil bas par peur d’être arrêtés, comme cela s’est produit lors de précédentes manifestations d’enseignants.

Un Palestinien tire en l’air pendant les funérailles de Montaser Shawwa, 16 ans, dans le camp de réfugiés de Balata, à Naplouse, en Cisjordanie, le mois dernier.

Même si leurs enfants sont à la maison, les associations de parents soutiennent les revendications des enseignants. La crise financière est réelle : Israël continue de retenir chaque année des centaines de millions de shekels appartenant à l’[I]AP, soit l’équivalent des allocations que l’[I]AP verse aux familles des prisonniers détenus par Israël, mais le public ne croit pas qu’il n’y a pas d’argent pour payer des salaires décents aux enseignants.

Le message de l’[I]AP est donc clair : elle continue à respecter ses accords avec Israël (y compris la coordination de la sécurité) mais pas son accord avec les enseignants, l’un des secteurs les plus importants qui garantissent le bien-être commun.

Huwara  (et la route encombrée qui la traverse) a été classée il y a plus de 25 ans en zone B, dans laquelle il est interdit aux policiers palestiniens d’opérer et de séjourner lorsqu’ils sont armés ou en uniforme. Cependant, les FDI et la police aux frontières, lourdement armées, sont présentes en permanence - près des garages et des magasins de proximité, des stations-service et des stands de falafels. Tout le monde sait qui ils sont censés protéger. Les colonies de la région sont réputées pour leur violence : Yitzhar et ses avant-postes, qui poussent fébrilement comme des champignons après la pluie ; Itamar et ses propres avant-postes en expansion ; l’avant-poste de Givat Ronen, près de la colonie de Har Bracha.

Les villages palestiniens de Burin, Madama, Einabus, Urif, Aqraba, Beita, Yanun et d’autres vivent sous la menace de la terreur que font peser ces intrus depuis plusieurs décennies. Les arbres abattus, les récoltes d’olives volées, les incendies criminels, les tirs sur les agriculteurs, les Palestiniens agressés chez eux, les sources d’eau du village captées - ce ne sont pas des actes de « vengeance » commis après une attaque contre des Juifs. Il s’agit d’un plan concerté pour s’approprier davantage de terres palestiniennes par la violence et l’intimidation. Tout, à l’époque comme aujourd’hui, a été et est fait sous les auspices du monopole exercé par les FDI sur la sécurité.

De toute évidence, aucune agence de sécurité palestinienne n’a tenté de remettre en cause cette situation afin de protéger les habitants de leurs assaillants récidivistes. Au lieu de remercier l’[In]Autorité palestinienne pour son obéissance et sa loyauté, le gouvernement Netanyahou-Smotrich-Ben-Gvir la rend responsable de chaque décès israélien dans une zone sous contrôle israélien total, à savoir l’ensemble de la Cisjordanie et Israël proprement dit. Dans le même temps, Israël exige que l’[In]Autorité palestinienne discipline les jeunes Palestiniens désespérés et maladroits qui se sont armés en Cisjordanie. Il n’est pas étonnant que le public palestinien aime et admire ces jeunes hommes armés, même s’ils ne sont pas capables, formés ou préparés à le protéger physiquement contre les attaques des colons ou à déjouer le vol de leurs terres.

La nuit où les Juifs ont saccagé Huwara, nombre de ses habitants qui se trouvaient à l’extérieur de la ville n’ont pas pu rentrer chez eux. Grâce aux médias sociaux, les habitants de Naplouse leur ont offert l’hospitalité. Ils ont été rejoints par l’appareil de sécurité nationale palestinien, qui leur a ouvert son quartier général. Les réponses ont été acerbes, a raconté un habitant de Naplouse à Haaretz. « Vous êtes quoi, une organisation caritative ? », ont demandé des gens furieux, sur un ton sarcastique.

L’expérience nous enseigne que les soldats des FDI et les policiers aux frontières auraient tiré et même tué tout Palestinien qui aurait tenté de dissuader les agresseurs et de défendre sa famille, ses voisins ou ses biens, avec une arme à feu, un gourdin ou un couteau. Ou bien il aurait été arrêté et reconnu coupable par un tribunal militaire avant d’être condamné à de nombreuses années de prison pour avoir possédé une arme illégale, tiré et mis en danger la vie des Juifs.

Même si des policiers de l’[In]Autorité palestinienne avaient pu arriver rapidement à Huwara  pour protéger leurs compatriotes des assaillants juifs, l’armée les aurait bloqués, voire tués ou emprisonnés, les juges militaires les condamnant à de longues peines de prison sans tenir compte des explications de leurs avocats. Toute tentative locale de se défendre par les armes se serait soldée par un bain de sang, principalement du côté palestinien, et par une escalade incontrôlable. On comprend donc pourquoi une telle intervention est pour l’instant improbable.

Mais au-delà des déclarations, des condamnations et des demandes de protection internationale par les Nations unies, depuis des années, les hauts responsables palestiniens se sont abstenus de se soulever, de dénoncer un accord ou de fixer des conditions claires et bien définies pour la poursuite de la coordination sécuritaire avec Israël, en réponse à la violence des colons.

Au lieu d’envoyer ses forces de sécurité pour déjouer les conférences de presse et les manifestations qui appellent à la démocratisation, et au lieu d’espionner son propre peuple, l’[In]AP aurait pu poster en permanence ces forces - non armées et en civil, mais formées au contrôle des émeutes - dans les villages fréquemment attaqués par les colons. Elle aurait pu informer Israël qu’elle agit ainsi parce que l’armée et la police israéliennes ne remplissent pas leurs fonctions, comme l’exigent le droit international et même les accords d’Oslo. Elle aurait pu envoyer ses plus hauts commandants en tournée régulière dans ces villages, pour participer au labourage et à la cueillette des olives, garder les moutons avec les villageois tout en expliquant aux officiers israéliens qu’ils n’étaient pas disponibles pour les réunions de coordination avec les FDI, le Shin Bet et l’administration “civile”, puisqu’ils étaient occupés à protéger leur peuple.

La conclusion évidente est que les agences de sécurité palestiniennes et leur commandant suprême Mahmoud Abbas tiennent pour sacrées non seulement la coordination de la sécurité avec Israël, mais aussi les frontières des bantoustans créés par les divisions temporaires-permanentes en zones A, B et C. C’est ainsi que les intérêts personnels et économiques étroits du groupe dirigeant, si déconnecté de son peuple, peuvent être préservés.