Affichage des articles dont le libellé est Guerre d'Ukraine. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Guerre d'Ukraine. Afficher tous les articles

15/03/2023

FAUSTO GIUDICE
Le MQ9-Reaper, un U2 du XXIème siècle


Nous sommes dans la salle n° 20, au 2ème étage du Musée central des Forces armées de Moscou. Sur la photo, on voit les restes de l’avion-espion U2 de la CIA, abattu le 1er mai 1960 au-dessus de Sverdlovsk (Iekaterinenburg) par un tir de missiles sol-air S-75 Dvina. Son pilote, Francis Gary Powers, loin d’avaler la capsule de cyanure qu’on lui avait fourni et de détruire l’avion, a préféré sauter en parachute. Les missiles ayant aussi abattu un Mig-19 qui avait pris l’U2 en chasse, on a d’abord pris Powers pour un pilote soviétique, puis le malentendu s’est dissipé. Il a été condamné à 10 ans de prison puis échangé en 1962 contre William Fischer, un espion du KGB qui était resté muet comme une tombe dans les interrogatoires.

Persuadées que Powers était mort, la Maison Blanche, la CIA, la NASA et toute la machine yankee s’étaient couvertes de ridicule dans cette affaire, prétendant que l’U2 était un avion de reconnaissance météo (ce que croyait aussi la famille du pilote, qui ignorait qu’il avait été recruté par la CIA) et que son pilote avait eu des « problèmes d’oxygène » au-dessus de la Turquie. La NASA alla même jusqu’à monter une mise en scène pour les médias sur la base d’Edwards en montrant un U2 “similaire” avec des marques et numéros de série fictifs de la NASA. Manque de pot, Powers était bien vivant et Moscou put démonter les mensonges yankees.

Nous sommes au XXIème siècle. Désormais, les Powers sont artificiels et il n’y a plus besoin de les doter de cyanure, ni d’une liasse de roubles, ni de bijoux féminins (ce qu’avait le capitaine Powers sur lui). Les restes du drone de combat et d’espionnage MQ9-Reaper (= la Faucheuse) intercepté (ou abattu ?) par l’aviation russe au-dessus de la mer Noire (au-dessus des eaux territoriales ukrainiennes ? russes ? internationales ? – on ne le sait pas) ont toute leur place dans la salle n° 20 du Tsentral'nyy muzey Vooruzhennykh Sil. Et Poutine, répétant le geste généreux de Kroutchchev, pourra toujours en envoyer un morceau à Uncle Joe.

 

 
sinann, Singapour, 2015

27/02/2023

CARSTEN HANKE
Soulèvement pour la paix en Allemagne

Carsten Hanke, 26.2.2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Rostock-Berlin - De plus en plus, l’opinion négative de la population de l’Allemagne vis-à-vis de la politique de guerre du gouvernement fédéral et de la couverture des médias bourgeois s’exprime dans des actions menées dans les rues de nombreuses villes. Cela est devenu particulièrement évident lors du premier anniversaire de l’intervention militaire de la Russie dans le massacre de sa propre population dans les régions de Donetsk et de Lougansk, pratiqué depuis 2014 par le gouvernement de Kiev. Selon les observateurs de l’ONU, au moins 14.000 personnes ont été tuées depuis lors dans ces attaques et les infrastructures sociales telles que les écoles, les jardins d’enfants, les hôpitaux et d’autres installations importantes pour le maintien de l’approvisionnement de la population ont été détruites.

Je voudrais juste montrer, à l’aide de deux exemples, que de plus en plus de citoyens de la République fédérale expriment publiquement leur opposition à la politique de guerre du gouvernement fédéral par le biais de différentes actions pour la paix. Ces personnes éprises de paix ne se laissent plus arrêter par les diffamations médiatiques, comme cela s’est produit de manière répétitive à propos de l’appel (Manifeste pour la paix( d’Alice Schwarzer et de Sahra Wagenknecht. Ce manifeste pour la paix n’a pas seulement été signé par des personnalités publiques de renom en tant que premiers signataires, mais également par plus de 600 000 personnes en un temps record.


Une première manifestation pour la paix a eu lieu le vendredi 24 février à 17 heures sur la Pariser Platz, juste devant la porte de Brandebourg et l’ambassade des USA à Berlin. L’appel à cette action pour la paix avait été lancé depuis des semaines par la Coordination berlinoise pour la paix (FRIKO), qui s’engage depuis de nombreuses années déjà pour la paix dans le monde par le biais de différentes activités. Dans cette alliance, différentes organisations agissent ensemble, notamment les membres de notre Société pour la paix et la solidarité internationale (GeFiS) dans la région de Berlin.

Le 24 février 2023, environ 1 000 manifestants ont répondu à l’appel de cette coordination sous la devise “Arrêtez la tuerie en Ukraine - pour un cessez-le-feu et des négociations”, rédigé conjointement par 18 groupes pacifistes. Outre des orateurs de renom, par exemple les initiateurs du “Signal de Darmstadt”, où des officiers et des soldats actifs et anciens de la Bundeswehr s’engagent en permanence pour la résolution pacifique des conflits, des appels à protester activement contre la guerre et pour la paix ont été lancés, entre autres, par des intermèdes chantés de Diether Dehm.

 

En marge de cette manifestation, certains passants ont tenté à plusieurs reprises de perturber bruyamment cette manifestation pour la paix. Les différentes mesures de désescalade que nous avons appliquées, comme la conduite calme de la discussion, ont permis de constater à plusieurs reprises que ces soi-disant partisans de la poursuite des livraisons d’armes à l’Ukraine avaient non seulement des lacunes historiques, mais qu’ils ne s’informaient qu’unilatéralement. Malgré quelques insultes malveillantes, nos efforts de désescalade ont été couronnés de succès et ont permis d’éviter d’éventuels affrontements physiques.

"Qui veut la paix, qu'il parle de la guerre" (Walter Benjamin)
Cessez-le-feu, désarmement, paix maintenant !


Le 25 février 2023 à 14 heures, la grande manifestation annoncée par les initiatrices Alice Schwarzer et Sahra Wagenknecht ainsi que par l’ancien général de brigade Erich Vad a eu lieu sur le côté ouest de la porte de Brandebourg à Berlin.

Lors de l’annonce de la manifestation, il a été expressément indiqué qu’il fallait renoncer à montrer des symboles de partis tels que des drapeaux, etc. et que les membres du parti AfD et d’autres groupements d’extrême droite n’étaient pas les bienvenus. Les organisatrices elles-mêmes avaient prévu, selon leurs propres dires, une prticipation d’environ 10 000 personnes. En raison du fait que les participant·es étaient venus spécialement de toute l’Allemagne (d’autres membres du GeFiS sont venus de manière organisée en bus de Rostock et ses environs), le début de la manifestation a dû être retardé d’environ 10 à 15 minutes.

24/02/2023

POSITION DE LA CHINE SUR LE RÈGLEMENT POLITIQUE DE LA CRISE UKRAINIENNE

 

 2023-02-24 09:00

1. Respecter la souveraineté de tous les pays. Le droit international universellement reconnu, y compris les buts et principes de la Charte des Nations Unies, doit être strictement observé. La souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de tous les pays doivent être effectivement garanties. Les pays, qu’ils soient grands ou petits, puissants ou faibles, riches ou pauvres, sont membres égaux de la communauté internationale. Les différentes parties doivent préserver ensemble les normes fondamentales régissant les relations internationales et défendre l’équité et la justice internationales. Il faut promouvoir une application égale et uniforme du droit international et rejeter le deux poids deux mesures.

2. Renoncer à la mentalité de la guerre froide. Il ne faut pas rechercher la sécurité d’un pays au détriment de celle des autres, ni garantir la sécurité d’une région par le renforcement voire l’expansion des blocs militaires. Les intérêts et préoccupations sécuritaires légitimes des différents pays doivent être pris au sérieux et traités de manière appropriée. Il n’y a pas de solution simple aux problèmes complexes. Toutes les parties doivent poursuivre la vision de sécurité commune, intégrée, coopérative et durable, garder à l’esprit la paix et la stabilité de long terme dans le monde, et promouvoir la construction d’une architecture de sécurité européenne équilibrée, effective et durable. Il faut s’opposer à ce qu’un pays recherche sa propre sécurité au prix de celle d’autrui, prévenir la confrontation des blocs, et œuvrer ensemble à la paix et à la stabilité sur le continent eurasiatique.

3. Cesser les hostilités. Les conflits et guerres ne font de bien à personne. Les parties doivent toutes garder la raison et la retenue, s’abstenir de mettre de l’huile sur le feu et d’aggraver les tensions, et prévenir une nouvelle détérioration ou même un dérapage de la crise ukrainienne. Il faut soutenir la Russie et l’Ukraine de sorte qu’elles travaillent dans la même direction pour reprendre au plus tôt un dialogue direct, promouvoir progressivement la désescalade de la situation et parvenir finalement à un cessez-le-feu complet. 

4. Lancer les pourparlers de paix. Le dialogue et les négociations sont la seule solution viable à la crise ukrainienne. Tout effort en faveur du règlement pacifique de la crise doit être encouragé et soutenu. La communauté internationale doit poursuivre la bonne direction qui est de promouvoir les pourparlers de paix, aider les parties au conflit à ouvrir rapidement la porte qui mène au règlement politique de la crise, et créer des conditions et plateformes pour la reprise des négociations. La Chine continuera de jouer un rôle constructif dans ce sens.

5.Régler la crise humanitaire. Toute mesure en faveur de l’apaisement de la crise humanitaire doit être encouragée et soutenue. Les opérations humanitaires doivent se conformer aux principes de neutralité et d’impartialité et les questions humanitaires ne doivent pas être politisées. Il faut protéger effectivement la sécurité des civils et mettre en place des corridors humanitaires pour évacuer des civils des zones de conflit. Il convient d’accroître les aides humanitaires aux zones concernées, d’améliorer les conditions humanitaires, et de fournir un accès humanitaire rapide, sûr et sans entrave, en vue de prévenir une crise humanitaire de plus grande ampleur. Il faut soutenir l’ONU dans ses efforts pour jouer un rôle coordinateur dans l’acheminement des aides humanitaires dans les zones de conflit.

6.Protéger les civils et les prisonniers de guerre. Les parties au conflit doivent observer scrupuleusement le droit humanitaire international, éviter d’attaquer les civils et les installations civiles, protéger les femmes, les enfants et les autres victimes du conflit et respecter les droits fondamentaux des prisonniers de guerre. La Chine soutient l’échange de prisonniers de guerre entre la Russie et l’Ukraine et appelle les différentes parties à créer plus de conditions favorables à cette fin.

7.Préserver la sécurité des centrales nucléaires. La Chine s’oppose aux attaques armées contre les centrales nucléaires et les autres installations nucléaires pacifiques, et appelle les différentes parties à observer le droit international, y compris la Convention sur la sûreté nucléaire, et à prévenir résolument les accidents nucléaires d’origine humaine. La Chine soutient l’Agence internationale de l’énergie atomique dans ses efforts pour jouer un rôle constructif dans la promotion de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires pacifiques.

8.Réduire les risques stratégiques. Les armes nucléaires ne doivent pas être utilisées et la guerre nucléaire ne doit pas être menée. Il faut s’opposer à la menace ou l’emploi d’armes nucléaires. Il est impératif de prévenir la prolifération nucléaire et d’éviter les crises nucléaires. La Chine s’oppose à la recherche et développement et à l’utilisation des armes chimiques et biologiques par quelque pays que ce soit dans quelques circonstances que ce soient.

9.Faciliter l’exportation des céréales. Toutes les parties doivent appliquer de manière équilibrée, intégrale et effective l’Initiative céréalière de la mer Noire signée par la Russie, la Türkiye, l’Ukraine et l’ONU, et soutenir l’ONU dans ses efforts pour jouer un rôle important à cet égard. L’initiative de coopération sur la sécurité alimentaire mondiale lancée par la Chine offre une solution viable à la crise alimentaire mondiale.

10.Mettre fin aux sanctions unilatérales. Les sanctions unilatérales et la pression maximale n’aident pas à régler les problèmes et ne font que créer de nouveaux problèmes. La Chine s’oppose à toute sanction unilatérale non autorisée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies. Les pays concernés doivent cesser de recourir de manière abusive aux sanctions unilatérales et aux juridictions extraterritoriales contre les autres pays, jouer un rôle en faveur de la désescalade de la crise ukrainienne et créer des conditions favorables au développement économique et à l’amélioration du bien-être de la population des pays en développement.

11.Assurer la stabilité des chaînes industrielles et d’approvisionnement. Toutes les parties doivent préserver effectivement le système économique mondial existant, et s’opposer à ce que l’économie mondiale soit politisée ou utilisée comme un outil ou une arme. Il faut œuvrer ensemble à atténuer les effets de débordement de la crise pour qu’elle ne perturbe la coopération internationale en matière d’énergie, de finance, de commerce alimentaire et de transport ni ne compromette la reprise économique mondiale.

12.Promouvoir la reconstruction post-conflit. La communauté internationale doit prendre des mesures pour soutenir la reconstruction post-conflit dans les zones de conflit. La Chine est prête à accorder son assistance et à jouer un rôle constructif à cet égard.

01/02/2023

CARMELA NEGRETE
Oskar Lafontaine, leader historique de la gauche allemande : “La préoccupation fondamentale des Européens doit être de savoir comment se libérer de la tutelle usaméricaine”

Carmela Negrete, ctxt.es, 28/1/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Italiano Lafontaine: “La preoccupazione fondamentale degli europei è come liberarsi dalla tutela degli Stati Uniti”


Carmela Negrete (Nerva, Espagne, 1984) est une journaliste indépendante espagnole basée à Berlin depuis 2009, où elle réalise des reportages sur le précariat allemand, dont elle fait elle-même partie. Elle écrit régulièrement pour Junge Welt, Neues Deutschland, ctxt es, eldiario.es et l’hebdomadaire Diagonal, entre autres publications.@carmelanegrete

Entretien avec Oskar Lafontaine, leader historique de la gauche allemande, ancien président du parti social-démocrate, ancien ministre des Finances, fondateur de Die Linke, ancien président de la Sarre.

L’Allemagne a annoncé qu’elle allait envoyer des chars Leopard en Ukraine, bien que le chancelier Olaf Scholz ait lui-même assuré en mars qu’une telle décision pourrait conduire le pays et ses partenaires de l’OTAN directement à la guerre. Nous avons parlé à l’homme politique Oskar Lafontaine (Sarre, Allemagne, 1943), ancien ministre des finances, ancien président du parti social-démocrate SPD et fondateur du parti de gauche Die Linke, qu’il a quitté en mars. Lafontaine a écrit un livre intitulé Ami, it’s time to go (Ami, il est temps de partir : Ami en argot allemand désigne les yankees), dans lequel il réfléchit à la guerre en Ukraine et au rôle de l’Allemagne et de l’Europe dans le conflit. Cette interview pour le portail espagnol CTXT a été réalisée par téléphone au cours de la première semaine de janvier.

Pourquoi pensez-vous qu’il est important de s’opposer aux livraisons d’armes à l’Ukraine ?

L’envoi continu d’armes à l’Ukraine ne fait que prolonger les souffrances, la mort des gens et la destruction de l’Ukraine. La guerre en Ukraine n’est pas une guerre de la Russie contre l’Ukraine ou vice versa, mais une guerre des USA contre la Russie. Il s’agit d’une confrontation géostratégique qui était déjà annoncée dans les années 1990 par des politiciens comme Henry Kissinger. Les Ukrainiens ne sont que les victimes de cet affrontement stratégique, qui le paient de leur vie et de la destruction de leur pays.

Le réarmement de l’Allemagne doit-il nous inquiéter en tant qu’Européens, s’agissant du pays qui a conduit l’Europe à la Seconde Guerre mondiale ?

Cette crainte n’est pas fondée. La question de savoir si l’Allemagne veut rester un protectorat des USA est bien plus importante, car les décisions militaires impliquant le danger d’une guerre nucléaire sur le territoire européen sont prises uniquement par les USA, et les Européens n’ont pas voix au chapitre. La préoccupation fondamentale des Européens doit être de savoir comment se libérer de la tutelle usaméricaine.

C’est la thèse que vous défendez dans votre livre Ami, il est temps de partir, qui est devenu un best-seller. Les médias nous répètent pourtant sans cesse que les USA dépensent plus pour leur défense et que cela nous protège de nos adversaires potentiels. Est-ce une idée fausse ?

Les États ont des intérêts et défendent ces intérêts. L’intérêt des USA n’est pas de défendre l’Europe, mais d’avoir l’Europe comme avant-poste disponible pour leurs intérêts en tant que puissance mondiale. Pour l’instant, les USA sont les grands gagnants de la guerre d’Ukraine. Ils fournissent des armes en grande quantité à leurs partenaires, comme les Allemands et les Polonais ; ils ont évincé le gaz russe bon marché de l’Europe et peuvent enfin réaliser ce qu’ils souhaitaient depuis des années : vendre en Europe leur gaz de schiste, obtenu par des techniques très dommageables pour l’environnement. Et ils ont réalisé ce que Kissinger avait proposé il y a de nombreuses années : confronter l’Europe à la Russie sel”n le principe “diviser pour régner" afin d’assurer leur pouvoir. Croire que les USAméricains veulent nous protéger n’est pas seulement naïf, c’est aussi nuisible. Pour l’Allemagne, l’énergie plus chère des terminaux de gaz liquéfié affecte son industrie, et pas mal d’entreprises veulent donc déplacer leur production vers d’autres pays, y compris les USA eux-mêmes.

Ami, il est temps de partir - Plaidoyer pour l’affirmation de soi de l’Europe”, le best-seller de Lafontaine

Le gaz russe est très important pour l’Allemagne et l’Europe. Pourtant, l’attaque contre les pipelines russes Nord Stream a disparu du discours public avant même d’avoir été clarifiée.

Il n’y a rien de plus à clarifier. Nous pouvons croire le président Joe Biden, qui a déclaré que si les Russes marchaient sur l’Ukraine, ils mettraient fin au pipeline. Toutes les spéculations selon lesquelles un autre pays aurait provoqué ces explosions sont risibles et montrent l’état dans lequel se trouve l’Europe. L’attaque du gazoduc était un acte terroriste qui pourrait être considéré comme un acte de guerre, et le gouvernement allemand vassal est silencieux à ce sujet.

Entre-temps, un ministre vert a décrété la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires et rouvert des dizaines de centrales à charbon. Comment en est-on arrivé à cette situation absurde ?

C’est une conséquence directe de la décision de l’Allemagne de soutenir la politique agressive des USA, qui a conduit à la guerre économique contre la Russie, préparée de longue date, empêchant l’expédition de gaz vers l’Allemagne. En 2017, un embargo sur le gaz russe avait déjà été conçu. En ce sens, la tentative de transformer l’économie allemande afin de couvrir ses besoins avec des énergies renouvelables, avec une période de transition basée sur le gaz naturel, a échoué lamentablement. Nous sommes maintenant obligés de produire de l’électricité à partir du charbon. Il est incompréhensible que le parti des Verts (Die Grünen), qui est né du mouvement pacifiste et avait pour bannière la protection de l’environnement, soit devenu le parti de la guerre.

À quel point la situation en Ukraine est-elle dangereuse pour nous, Européens ?

Le danger pour les Européens est que l’escalade de la guerre continue à augmenter parce que les USA ont décidé qu’ils voulaient poursuivre cette guerre jusqu’à ce que la Russie soit clairement affaiblie. Cet aspect est important lorsqu’il s’agit de prévisions, car lorsque les USA affirment vouloir que cette guerre se termine bientôt, cela n’est guère crédible. Joe Biden a été vice-président sous Barack Obama, qui est le président qui a financé le coup d’État de Maidan. D’autre part, son propre fils semble être impliqué dans de la corruption en Ukraine. Les collaborateurs du ministère des affaires étrangères de Biden, dont Victoria Nuland, poursuivent leur stratégie de provocation de la Russie et n’écoutent apparemment même pas le Pentagone. Le président des chefs d’état-major interarmées lui-même, Mark Milley, la plus haute autorité militaire après le président, a proposé de rechercher des négociations de paix, mais n’est apparemment pas écouté à la Maison-Blanche.

Malheureusement, il y a plus d’un politicien aux USA qui croit qu’une guerre nucléaire serait justifiable et qu’il serait également possible de la circonscrire à l’Europe. C’est pourquoi il est si nécessaire que l’Europe mène sa propre politique de défense et se libère de la politique d’agression fatale des USA. Il faut rappeler chaque jour aux Européens qu’il n’y a pas de troupes russes ou chinoises à la frontière usaméricaine avec le Mexique ou le Canada, mais que ce sont les troupes usaméricaines qui sont partout aux frontières russes et chinoises.

Les accords de Minsk n’étaient-ils qu’une stratégie visant à gagner du temps, comme l’a laissé entendre l’ancienne chancelière Angela Merkel dans une interview accordée à Die Zeit ?

Ces déclarations d’Angela Merkel ont été fatales, car avec elles, elle a reconnu publiquement que les efforts de paix en Ukraine, dont la guerre a commencé dès 2014, n’étaient pas sérieux. Mme Merkel, comme l’oligarque Porochenko, a admis qu’elle n’avait soutenu ces négociations de paix que pour donner à l’Ukraine le temps de s’armer. Ces déclarations insensées aggravent les relations avec la Russie et amènent le président et les politiciens russes à conclure qu’avec les Européens, on ne peut pas signer d’accords, car ils ne font que mentir et tricher.

Quel bilan tirez-vous des seize années de mandat de l’ancienne chancelière Merkel ?

Il suffit d’écouter les plaintes de son propre parti maintenant qu’il est dans l’opposition au Bundestag. Ils se plaignent que l’infrastructure de l’Allemagne s’effrite et cette plainte est justifiée. Un pays industrialisé qui laisse ses infrastructures, y compris la culture, les écoles et les universités, se délabrer fait une mauvaise politique et n’assure pas l’avenir de son pays et de sa population.

Mme Merkel est également coresponsable de la politique ultra-libérale menée vis-à-vis de l’Europe du Sud. A-t-on appris quelque chose à cet égard ?

Les problèmes en Europe ont commencé avec l’introduction de l’euro, car il était trop faible pour les pays du nord, comme l’Allemagne, et trop fort pour les pays du sud. Cela a entraîné des désavantages concurrentiels pour les pays d’Europe du Sud et l’Allemagne a pu dominer le marché européen des exportations. Il serait important que tous les pays de l’union monétaire aient des chances égales, mais ce n’est pas le cas pour l’instant.

Pendant la crise de l’euro, le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne s’est formé. Peut-on parler de fascisme dans ce cas ?

Il y a plusieurs politiciens dans le parti dont les idées peuvent être qualifiées de fascistes. En Allemagne, l’AfD s’est initialement formée contre l’union monétaire européenne. La question du fascisme est donc beaucoup plus large : sommes-nous sur la voie du fascisme dans le monde entier ? Je pense aux USA, mais aussi à l’Allemagne, et la question est de savoir si nous sommes sur la voie du totalitarisme. Nous observons certainement des tendances très problématiques. Le prix de la paix du secteur du livre allemand a été décerné à Serhiy Viktorovych Zhadan, un auteur ukrainien qui a traité les Russes d’"ordures" et d’"animaux", de "porcs qui devraient brûler en enfer". C’est pourquoi la question du fascisme doit être envisagée de manière plus large et pas seulement comme l’arrivée des partis d’extrême droite, car l’extrémisme en Europe s’installe au centre de la société. La ministre allemande des Affaires étrangères a affirmé que les sanctions devraient "ruiner" la Russie. C’est un langage fasciste.

Quel espoir y a-t-il pour la gauche en Europe et particulièrement en Allemagne ?

Dans toute l’Europe, la gauche doit réfléchir à ce que signifie une politique de gauche. En version simplifiée : défendre les personnes qui ne disposent pas de revenus et de richesses élevés. Au cours des dernières décennies, les questions relatives au système économique, la question marxiste de la contradiction fondamentale entre le capital et le travail, ont été reléguées au second plan. La conséquence est que la concentration des richesses s’est accrue de plus en plus et que l’écart salarial a continué à se creuser. Cette question a été déplacée par d’autres débats, tels que le racisme, l’orientation sexuelle ou la diversité. Toutes ces questions sont importantes, mais elles ont été privilégiées, comme on peut le voir dans les multinationales usaméricaines, au détriment des questions fondamentales sur notre système économique en relation avec la répartition des richesses.

C’est un problème que l’on peut observer très clairement dans les partis sociaux-démocrates. Le SPD, dont j’étais président, était un parti pour la paix, le désarmement et le développement de l’État-providence. Aujourd’hui, le chancelier Scholz, du parti social-démocrate, donne la priorité au réarmement et à la guerre en Ukraine, et préconise le démantèlement de l’État-providence des années 1990, qui a conduit à ce qu’un retraité allemand gagne en moyenne 800 euros de moins par mois qu’un retraité autrichien. Le plus important en ce moment est le prix de l’énergie, qui joue un rôle clé pour les entreprises et la population allemandes. Nous devons revenir aux faibles prix de l’énergie qui ont été bénéfiques pour le bien-être de l’Allemagne et de l’Europe dans son ensemble. Pour ce faire, pendant un certain temps, il sera inévitable que nous devions à nouveau compter sur le gaz russe.

 Oskar Lafontaine au-dessus de la Boucle de la Sarre en 2015

 

25/01/2023

ULI GELLERMANN
L'Ukraine ordonne, le chancelier Scholz s’exécute et livre des Leopard

Uli Gellermann, RationalGalerie, 24/1/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Certes, la politique étrangère et de guerre allemande se fait aux USA, mais les relations publiques pour l'extension de la guerre en Ukraine peuvent être assurées par l'ambassadeur ukrainien Oleksii Makeiev aux Tagesthemen*. Avec un sourire joyeux, il confie à la soumise Caren Miosga : « Je crois que la coalition des chars est en train de se former ». Avant tout le monde, le proconsil ukrainien des USA en Allemagne peut annoncer la poursuite de l'intensification de la guerre.

Le meilleur char de combat au monde

Depuis plusieurs jours déjà, les médias allemands débordent d'enthousiasme à propos du char de combat Leopard. Le journal télévisé sait ce qui le « rend si particulier » : il est rapide, maniable et facile à réparer. La rédaction de la Tagesschau a explosé de fierté : « Ces chars, surtout dans leurs versions les plus modernes, sont supérieurs aux engins russes et peuvent détruire l'adversaire au combat. Le 'Leopard' est considéré par les spécialistes comme le meilleur char de combat au monde toutes générations confondues ».

Dans le mauvais film

L'ancien commandant en chef de l'armée usaméricaine en Europe, Ben Hodges, a clairement indiqué sur la chaîne de radio US NPR que l'Ukraine pourrait ainsi porter un coup au corridor conquis par la Russie du Donbass à la péninsule annexée de Crimée. Pour ce faire, l'Ukraine pourrait former une unité lourdement blindée avec des chars de combat occidentaux, « le fer de lance d'une force qui pourrait percer les lignes russes en direction de Marioupol ». On se serait cru dans un mauvais film, dans la Deutsche Wochenschau** hitlérienne. Et quand on sait que le Leopard porte en lui les gènes techniques d'un développement de Porsche, du « Königstiger » [Tigre royal] développé par Porsche [et Henschel], la dernière arme miraculeuse de la Seconde Guerre mondiale, on ne s'étonne plus de rien.

Tunisie, décembre 1942 : un Königstiger, ancêtre du Leopard, en action

Une offensive de printemps sanglante

L'ancien général de l'OTAN Hans-Lothar Domröse s'attend à « une offensive de printemps terriblement sanglante ». Personne n'aime parler officiellement de la possible réponse sanglante de l'armée russe. Mais contrairement aux médias et aux politiques allemands ivres de guerre, la population allemande est sceptique : dans le dernier  sondage d’opinion DeutschlandTrend pour le magazine matinal de la télévision publique ARD, seule une courte majorité s'est prononcée en faveur de la livraison de chars de combat lourds à l'Ukraine. Si l'on tient compte du fait que cette majorité a été obtenue au prix d'un pilonnage continu depuis des mois par tous les canaux, on sait que les médias n'ont pas encore complètement atteint leur objectif.

Un plan de paix à la Kissinger ?

« Le moment Kissinger pour un plan de paix est-il proche ? » demande la chaîne "ntv en étayant la « position Kissinger » par une citation du chef d'état-major usaméricain Mark Milley - tout de même le militaire le plus haut gradé des USA - , qui avait déjà déclaré avant Noël avec une franchise déconcertante : « La probabilité d'une victoire militaire de l'Ukraine, définie comme l'expulsion des Russes de toute l'Ukraine, y compris de la Crimée qu'ils revendiquent, n'est pas élevée dans un avenir prévisible ».

Combat final manifestement sur le sol allemand

Une majorité de médias et de politiques ne veut pas entendre parler de négociations. Mais alors que la lutte contre la Russie devait jusqu'à présent être menée jusqu'au dernier Ukrainien, des existentialistes comme Anton Hofreiter [président vert de la commission Europe du Bundestag] et Marie-Agnes Strack-Zimmermann [présidente libérale (FDP) de la commission Défense] veulent manifestement mener le combat final sur le sol allemand. Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'OTAN, dit sans ambages où nous allons : « La Russie doit savoir qu'une guerre nucléaire ne peut jamais être gagnée ». Le bunker antiatomique usaméricain le plus sûr au monde se trouve à Cheyenne Mountain, dans l'État du Colorado. Stoltenberg y a peut-être réservé une place.

NdT

* Tagesthemen est la deuxième émission d'informations de la première chaîne allemande, après l'édition de 20 heures de la Tagesschau (JT).

**Die Deutsche Wochenschau (« revue hebdomadaire allemande ») était une émission d'actualités cinématographiques diffusée de 1940 à 1945 sous le Troisième Reich pour servir la propagande nazie dans le contexte de la mise au pas de la société allemande.

 

Placide, 23/1/2023

23/01/2023

SERGIO RODRÍGUEZ GELFENSTEIN
L’esprit de Minsk souffle sur le Venezuela

 Sergio Rodríguez Gelfenstein, 18/1/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'expérience m'a appris que tous les politiciens ne peuvent pas devenir des hommes d'État, il y a une distance entre les deux. Fondamentalement, la différence vient de la capacité que certaines personnes développent pour gérer et diriger un pays “contre vents et marées”. Dans ce cadre, il existe deux domaines qui forgent les conditions permettant de transformer n'importe quel politicien en homme d'État : la sécurité et la défense, en général la gestion et la direction des forces armées, et l'orientation de la politique étrangère.

Dans le passé, les relations extérieures étaient gérées sans équivoque par les ministères des affaires étrangères en utilisant l'art de la diplomatie. Cette fonction a perdu de sa force et de sa validité ces derniers temps, lorsque la technologie permet aux chefs d'État de communiquer de manière directe et presque sûre sans que les questions passent par les ministères des affaires étrangères et les ambassades et sans qu'il soit nécessaire d'organiser des réunions directes en face à face qui entraînent des dépenses énormes et une perte de temps utile pendant les voyages. C'est particulièrement vrai lorsqu'il s'agit de liens entre pays amis.

Mais lorsque le domaine discuté émane de perspectives différentes en termes de philosophie, de politique, de culture et, en général, d'intérêts nationaux de chaque pays, le contact personnel et l’impression directe fournie par les dirigeants jouent un rôle fondamental dans la prise de décision et la signature d'accords.

La diplomatie est l'art de la tromperie subtile et de l'hypocrisie naturelle de ceux qui doivent souvent feindre une amitié absente lorsqu'ils recherchent des informations et élaborent des plans de coopération qui contribuent à la défense, au développement et à la durabilité du projet politique du pays qu'ils représentent. Malgré le fait que les pays médiocres recourent à la banalité des représentants diplomatiques qui, dans l'exercice de leurs fonctions, ne visent pas les objectifs fixés, mais plutôt le trivial, le superficiel, le puéril et l'insignifiant, la diplomatie continue d'être un instrument valable pour atteindre les objectifs stratégiques de l'État.

Dans ce domaine, le rôle des dirigeants est fondamental. Jusqu'à présent, des valeurs universellement reconnues telles que l'honneur, la confiance, la dignité, le respect et l'honnêteté, entre autres, ont été mises sur la table pour traiter les accords et les différences. Mais la crise même du système international émanant de la société capitaliste mondiale - qui a, entre autres, un caractère éthique profond - a commencé à rendre ces valeurs moins crédibles. Au contraire, on tente de minimiser le rôle de la diplomatie pour renforcer l'instrument de la force en tant que mécanisme permettant d'imposer et d'exacerber les intérêts des pays puissants au détriment de la paix mondiale, de la gouvernabilité et de la recherche d'accords pour résoudre les grands problèmes qui affligent l'humanité.


Cela est devenu évident suite aux déclarations de l'ancienne chancelière allemande Angela Merkel, qui a fait savoir que les accords de Minsk de 2014 étaient une tentative de donner du temps à l'Ukraine, afin que le pays puisse être renforcé pour servir de bélier de l'OTAN contre la Russie. Mme Merkel a déclaré : « Nous savions tous qu'il s'agissait d'un conflit gelé, que le problème n'était pas résolu, mais c'est précisément cela qui a donné un temps précieux à l'Ukraine ». En d'autres termes, l'Occident n'a pas utilisé la diplomatie pour la paix, mais pour la guerre.

L'ancien président français François Hollande s'en est fait l'écho : « Oui, Angela Merkel a raison sur ce point ». Hollande a déclaré que l'armée ukrainienne d'aujourd'hui est en fait mieux entraînée et mieux protégée sur le plan matériel, ce qui est « à l'honneur des accords de Minsk, qui ont donné cette possibilité à l'armée ukrainienne ».

Ces confessions ont provoqué d'innombrables commentaires... et aussi des silences. En Europe même, le président serbe Aleksandar Vucic a déclaré que ces déclarations changeaient radicalement l'image des faits [concernant l'Ukraine] et soulevaient la question de la confiance. Il a ajouté que pour lui, c'était un signe qu'il ne devait pas faire confiance.

Vucic est le dirigeant d'un pays qui a connu une sécession à la suite d'une action directe de l'OTAN, qui n'a pas trouvé de meilleur moyen que d'inventer un pays pour gagner le territoire qu'elle voulait contrôler dans les Balkans. Dans ce contexte, il était inévitable que le ministre serbe des Affaires étrangères établisse une nette similitude entre les accords de Minsk et les traités de Bruxelles qui définissent les relations entre la Serbie et la république autoproclamée du Kosovo et qui, selon lui, « se sont révélés frauduleux ».

L'ancien vice-chancelier autrichien Heinz-Christian Strache a déclaré que les aveux de Merkel et de Hollande mettaient en doute la parole des politiciens européens. Strache, un politicien d'extrême droite, a déclaré que la franchise de Mme Merkel sur le sujet était effrayante, ajoutant que « de cette manière, les dirigeants européens ne font que détruire toute base de confiance à leur égard ».

Cependant, malgré toutes ces certitudes, l'ONU, qui sous Guterres est devenue un appendice des politiques usaméricaines, européennes et de l'OTAN, est restée silencieuse, comme on pouvait s'y attendre. Le porte-parole du Secrétaire général, Stéphane Dujarric, avec l'argument éhonté que cela devrait être laissé à « l'analyse historique des journalistes, des anciens fonctionnaires et des historiens », a refusé de commenter les déclarations de Merkel et de Hollande, donnant encore plus de poids à l'idée que l'ONU a aujourd'hui un Secrétaire général pour la guerre, pas pour la paix.

L'accord nucléaire avec l'Iran connu sous le nom de Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), que Joe Biden, pendant sa campagne électorale, a promis de réintégrer, après qu’il eut été signé par Obama et abandonné par Trump, doit être placé dans un autre domaine de la même question. Biden a nommé Robert Malley envoyé spécial en Iran pour superviser les négociations menant au renouvellement du JCPOA. Cependant, Malley a fait le contraire.

Pepe Escobar, journaliste et analyste géopolitique brésilien spécialisé dans l'Asie occidentale et centrale, a affirmé que le JCPOA « était essentiellement un clone de l'accord de Minsk », permettant à Washington de gagner du temps pour remodeler sa politique à l'égard de l'Iran et de l'Asie occidentale. Dans ce cas, selon Escobar, « Téhéran n'est jamais tombé dans le piège » car le leader iranien, l'ayatollah Seyyed Ali Khamenei, qu'il décrit comme « un habile stratège géopolitique », a toujours été clair sur le fait qu'il ne fallait jamais faire confiance aux USA car « il savait intuitivement que celui qui succéderait à Obama - la fauconne Hillary ou, comme cela s'est produit, Trump - ne respecterait finalement pas ce qui avait été signé et ratifié par les Nations unies ».


Carlos Latuff

Une telle pratique, qui, comme on peut le constater, est devenue monnaie courante dans la politique étrangère usaméricaine, s'installe maintenant au Venezuela et dans les négociations qui ont eu lieu au Mexique entre le gouvernement et le secteur terroriste de l'opposition soutenu par Washington. Dans cette mesure, le Venezuela devrait prendre note de ce qui s'est passé car, en réalité, ces réunions sont l'expression d'une négociation indirecte entre les gouvernements de Caracas et de Washington, gérée de cette manière par ce dernier parce qu'il n'a pas trouvé le moyen de justifier à son opinion publique que sa politique de renversement du président Maduro a échoué lamentablement et qu'il doit maintenant négocier avec celui qui tient réellement les rênes du pouvoir dans le pays.

Pour ce faire, il utilise le secteur le plus rétrograde, le plus violent et le plus antidémocratique de l'opposition vénézuélienne, tout en recourant à toutes les ressources et à tous les instruments de son arsenal, le dernier en date étant l'élimination du “gouvernement provisoire” et le maintien d'un “parlement provisoire”, tous deux inconstitutionnels et inexistants dans la pratique. En fait, ce qui s'est produit, c'est un changement dans la direction de la bande criminelle, tout en maintenant la pratique de l'infraction sous une autre apparence. Cette décision a été reprise par la majorité du secteur terroriste, notamment parce que Guaidó n'a pas procédé à une distribution efficace et équitable des ressources obtenues grâce au vol.

Néanmoins, Washington continue à “exiger” que les pourparlers aient lieu au Mexique. Rendus aveugles, sourds et muets par le fait de ne pas avoir d'ambassade à Caracas, ils s'accrochent à la seule chose qu'ils ont pour “maintenir” leur présence politique au Venezuela. Tout cela se produit à un moment où les mesures coercitives adoptées à l'encontre de la Russie ont été inversées et ont généré un véritable désastre économique pour eux et leurs alliés. Ils ne peuvent pas non plus expliquer à leur opinion publique pourquoi ils ont été contraints de céder et d'accepter qu'une compagnie pétrolière usaméricaine commence à opérer au Venezuela.

C'est pourquoi ils insistent pour que leurs pions continuent à jouer la comédie au Mexique. Ce sont les USA qui peuvent faire appliquer l'accord visant à débourser les 3,2 milliards de dollars séquestrés, et non l'opposition terroriste, puisque ce sont eux qui ont négocié. Mais non, comme à Minsk, à Bruxelles et dans le cas du JCPOA, il a été évident que Washington gagne du temps pendant qu'il réalise ce qui est maintenant son objectif après l'échec du recours à la violence et au terrorisme : essayer d'unifier l'opposition, billets verts aidant, pour qu'elle aille aux élections de 2024 avec un seul candidat.

La patience des Vénézuéliens est à bout. Ils n'attendront pas six ou trois ans, lorsque Biden ne sera plus à la tête de l'administration, pour qu'il avoue (comme Merkel et Hollande à propos de Minsk) qu'il ne faisait que gagner du temps au Mexique. Il n'est pas nécessaire d'attendre pour savoir que le sénile Biden, comme tous les présidents usaméricains, est un menteur : nous savons que la diplomatie américaine ne repose pas sur des valeurs ou des principes, mais uniquement sur l'imposition et la force. Le Venezuela, son peuple et son gouvernement les connaissent déjà, ont appris et sauront comment agir.

 

18/01/2023

ANTONIO MAZZEO
Les forces armées marocaines vers une intégration opérationnelle dans l'OTAN

Antonio Mazzeo, Africa ExPress, 16/1/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Le service de presse du Commandement des forces interarmées alliées (JFC Naples) basé à Lago Patria, à Naples, a annoncé qu'une unité d'élite de l'armée marocaine a entamé son parcours vers l'interopérabilité avec les unités de l'OTAN grâce au programme d'entraînement allié appelé “OCC E&F” (Operational Capabilities and Strategic Evaluation and Feedback) qui s'est tenu du 23 novembre au 10 décembre 2022 au polygone de Ramram, à Marrakech.


« Le programme OCC E&F est spécifiquement conçu pour évaluer le niveau d'interopérabilité et les capacités militaires atteintes par les unités d'un pays partenaire par rapport aux normes de l'OTAN », ajoute le JFC Naples.

Les activités de formation au Camp Ramram ont été menées avec l'aide du personnel spécialisé du Commandement allié à Lago Patria et le soutien d'un personnel militaire de Bosnie-Herzégovine, de Colombie, de Géorgie, d'Irlande, de Serbie et de Suède, pays qui ne sont pas encore membres de jure de l'OTAN.

« Tous ensemble, ils ont collaboré avec une équipe d'évaluation de l'armée marocaine pour mener l'auto-évaluation de niveau 1 (SEL-1) d'une compagnie du 2e bataillon de la 2e brigade d'infanterie aéroportée de l'armée marocaine », a ajouté le bureau de presse du commandement allié.

La 2e brigade aéroportée a déjà participé à de nombreux exercices nationaux et internationaux et, lors du programme d'entraînement à Marrakech, elle a montré « qu'elle a rapidement appris et mis en œuvre avec succès les normes OTAN de niveau 1 ».

La compagnie marocaine est la première unité d'un pays africain à obtenir la certification SEL-1. « C'est aussi le premier exemple de l'engagement du JFC Naples dans le programme de partenariat, ce qui démontre son importance en tant qu'élément central de la coopération de l'OTAN en matière de sécurité », conclut le Commandement des forces alliées de Lago Patria-Naples.

Le 21 novembre 2022, des représentants de l'état-major général des forces armées marocaines avaient participé à Bruxelles à une réunion sur la “sécurité maritime” organisée par le Comité militaire de l'OTAN, à laquelle ont également participé d'autres pays partenaires importants de l'Alliance, comme l'Australie, la Colombie, la Finlande, la République de Corée, le Qatar et la Suède.

« C'est précisément en raison de sa dimension mondiale que la sécurité maritime est une question de paix et de sécurité essentielle pour l'OTAN et ses partenaires », a déclaré le général Lance Landrum, vice-président du Comité militaire de l'OTAN, en ouvrant la session. « Ils dépendent les uns des autres pour garantir des solutions cohérentes, coordonnées et durables aux défis maritimes existants.

« Par le biais d'exercices navals conjoints, les membres de l'OTAN et les pays partenaires s'efforcent de maintenir et de développer l'expertise dans la conduite des activités de combat, d'établir l'interopérabilité entre les forces armées de l'OTAN et des pays partenaires, et de renforcer leurs capacités maritimes et de préparation globales pour toutes les opérations, internationales et nationales ».

Le discours d'ouverture de la réunion internationale a été prononcé par le vice-amiral Keith Blount, chef du MARCOM - Commandement maritime allié, dont le siège est à Northwood, au Royaume-Uni. « Le domaine maritime englobe les océans et les mers, au-dessus et au-dessous de la surface, dans toutes les directions », a-t-il commencé. « Un vaste effort est en cours pour assurer une dissuasion et une défense crédibles dans l'ensemble du territoire maritime et des zones terrestres d'influence de l'Alliance. Le renforcement de la coordination et de la coopération avec les partenaires est essentiel pour soutenir l'effort de l'OTAN dans le domaine maritime ».

À la lumière de l'intégration stratégique croissante des forces navales et terrestres marocaines dans l'OTAN, ce qui a été révélé le 6 décembre par la publication numérique spécialisée Africa Intelligence semble de plus en plus plausible, à savoir la possibilité que le Maroc devienne la première nation africaine à fournir des armes et des équipements militaires à l'Ukraine pour une utilisation dans le conflit avec Moscou.

Selon Africa Intelligence, à la demande de l'administration usaméricaine, Rabat a décidé “secrètement” de fournir à l'armée ukrainienne des pièces de rechange pour les chars T-72, dont l'armée marocaine possède encore 150 exemplaires B/BK de fabrication biélorusse. Toujours selon le site spécialisé dans les questions militaires, dès 2015, le gouvernement ukrainien, par le biais de la société publique Ukroboronprom, avait demandé au Maroc de fournir des pièces de rechange pour les T-72.

« En théorie, il existe encore plusieurs équipements de type soviétique dans les forces armées marocaines : en plus des chars T-72B/BK, il y a au moins trente lance-roquettes de campagne BM 21 de 122 mm, 12 véhicules autopropulsés anti-aériens 2K22 Tunguska M1 avec des missiles anti-aériens SA-19 et des canons de 30 mm, environ 160 canons à tir rapide ZSU de 23 mm, des dizaines de missiles anti-char Malyutka et Metis, et des milliers de fusils de la famille AK-47 Kalashnikov d'origine roumaine, chinoise et finlandaise », documente le site Analisi Difesa.

Char T-72B/BK, utilisé par les forces armées marocaines

« Le Maroc avait exprimé sa volonté de maintenir les T-72B/BK en service mais il pourrait obtenir de Washington le remplacement des armes remises à l'Ukraine par des produits usaméricains neufs ou d'occasion tels que les chars M1A1/A2-Abrams dont l'armée de Rabat déploie déjà 384 exemplaires ».

Enfin, Analisi Difesa note comment le Royaume du Maroc, l'un des États africains qui s'est toujours prononcé en faveur de l'intégrité territoriale de l'Ukraine dans le cadre des Nations unies, « pourrait agir en tant que collecteur en Afrique pour le compte des USA dans le but de reprérer des armes et des munitions de type russe/soviétique pour les fournir à Kiev ».

Langley au Maroc…

…puis en Tunisie (ici avec le ministre de la Défense nationale, Imed Mémiche)

Le Maroc a été, suivi par la Tunisie le 20 octobre, le premier pays africain visité (du 17 au 19 octobre 2022) par le général Michael Langley, du corps des Marines, après qu’il eut pris ses fonctions de commandant de l'U.S. Africom, le commandement des opérations des forces usaméricaines en Afrique, stationné à Ramstein, en Allemagne. « Notre partenariat en Afrique du Nord aide et soutient la sécurité régionale et maritime dans les eaux situées au-delà du flanc sud de l'OTAN « , a déclaré le Gén. Langley à Rabat.

Au cours de sa mission au Maroc, Michael Langley a rencontré le ministre Abdellatif Loudiyi (ministre délégué auprès du chef de gouvernement, chargé de l'Administration de la Défense nationale) et les dirigeants des forces armées marocaines, notamment le général Belkhir El Farouk (commandant de la zone sud), le général Alaoui Bouhamid (inspecteur des Forces Royales Air) et le contre-amiral Mustapha El Alami (inspecteur de la Marine royale). Le sujet des réunions était le « partage d'intérêts communs dans le secteur de la sécurité et les futurs domaines de coopération possible », comme l'a indiqué le commandement de l’US Africom.

 

17/01/2023

Nouvelle époque, nouvelle Allemagne : la vision stratégique d’Olaf Scholz

À la veille de la réunion de 50 gouvernements sur la base militaire US de Ramstein du 20 janvier, où les membres de l’OTAN et leurs alliés doivent se mettre d’accord sur l’aide militaire à continuer à apporter à l’Ukraine, il nous a semblé intéressant de traduire ce papier du chancelier social-démocrate allemand Olaf Scholz, une version à usage international de son discours du 27 février 2022 devant le Bundestag. Il y expose clairement sa vision de la “destinée manifeste” de l’Allemagne comme pilier central, sous le parapluie usamérican, de la machine de guerre de l’OTAN, dans ce qu’il appelle une “Zeitenwende”, un changement d’époque. Autrement dit, un “Deutschland über alles” à visage humain. Plus que jamais, comme on le chantait en Allemagne il y a un siècle : « Wer hat uns verraten ? Die Sozialdemokraten !-Wer hatte recht ? Karl Liebknecht ! » [Qui nous a trahis ? les sociaux-démocrates ! – Qui avait raison ? Karl Liebknecht ! ».-FG

 Le changement dépoque mondial
Comment éviter une nouvelle guerre froide à l’ère multipolaire

Olaf Scholz, Foreign Affairs, janvier-février 2022
English original: The Global Zeitenwende
Deutsch :
Die globale Zeitenwende
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le monde vit un changement d’époque. La guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine marque la fin d’une époque. De nouvelles puissances se renforcent ou se réaffirment, dont une Chine économiquement forte et politiquement sûre d’elle. Dans ce nouveau monde multipolaire, différents pays et modèles de gouvernance se disputent le pouvoir et l’influence.

Pour sa part, l’Allemagne fait tout son possible pour défendre et promouvoir l’ordre international fondé sur les principes fondamentaux de la Charte des Nations unies. Sa démocratie, sa sécurité et sa prospérité dépendent du fait que le pouvoir soit lié à des règles universelles. C’est pourquoi l’Allemagne s’efforce de devenir un garant de la sécurité européenne, comme nos alliés l’attendent de nous, un bâtisseur de ponts au sein de l’Union européenne et un défenseur des solutions multilatérales aux problèmes mondiaux. Ce n’est qu’ainsi que l’Allemagne pourra surmonter avec succès les tempêtes géopolitiques de notre époque.

Le changement d’époque va au-delà de la guerre en Ukraine et de la question de la sécurité européenne. La question centrale est la suivante : comment pouvons-nous, en tant qu’Européennes et Européens, comme Union européenne, exister en tant qu’acteurs indépendants dans un monde de plus en plus multipolaire ?

L’Allemagne et l’Europe peuvent contribuer à la défense de l’ordre international fondé sur des règles, sans adopter en même temps le point de vue fataliste selon lequel le monde se divisera inévitablement à nouveau en blocs concurrents. Compte tenu de son histoire, mon pays a une responsabilité particulière dans la lutte contre les forces du fascisme, de l’autoritarisme et de l’impérialisme. En même temps, l’expérience de la division de notre pays dans le cadre d’une compétition idéologique et géopolitique nous rend particulièrement conscients des dangers d’une nouvelle guerre froide.

La fin d’une ère

Pour une grande partie du monde, les trois décennies qui ont suivi la chute du rideau de fer ont été marquées par une paix et une prospérité relatives. Le progrès technique a conduit à un niveau d’interconnexion et de coopération sans précédent. Grâce à l’accroissement du commerce international, à des chaînes de création de valeur et de production à l’échelle mondiale et à un échange sans précédent de personnes et de connaissances par-delà les frontières, plus d’un milliard de citoyens sont sortis de la pauvreté. Mais surtout, partout dans le monde, des citoyens courageux se sont libérés de la dictature et du régime du parti unique. Leur quête de liberté, de dignité et de démocratie a changé le cours de l’histoire. Deux guerres mondiales dévastatrices et d’immenses souffrances - causées en grande partie par mon pays - ont été suivies de plus de quatre décennies de tensions et de confrontations à l’ombre d’une destruction nucléaire potentielle. Mais dans les années 1990, il semblait qu’un ordre mondial plus résistant s’était enfin établi.

Les Allemands, en particulier, pouvaient s’en féliciter. En novembre 1989, le mur de Berlin a été abattu par les courageux citoyens de la RDA. Onze mois plus tard seulement, le pays était réunifié - grâce à des hommes et des femmes politiques clairvoyants et au soutien de partenaires à l’Est et à l’Ouest. Finalement, ce qui va ensemble a pu fusionner, comme l’a exprimé l’ancien chancelier allemand Willy Brandt peu après la chute du mur.

Ces mots ne s’appliquaient pas seulement à l’Allemagne, mais aussi à l’Europe dans son ensemble. D’anciens membres du Pacte de Varsovie ont décidé de devenir des alliés dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et d’adhérer à l’UE. Une Europe “unie et libre”, selon les termes du président américain de l’époque, George Bush, ne semblait plus être un espoir infondé. Dans cette nouvelle ère, il semblait possible que la Russie devienne un partenaire de l’Occident plutôt qu’un adversaire, comme l’avait été l’Union soviétique. En conséquence, la plupart des pays européens réduisirent leurs armées et diminuèrent leurs budgets de défense. Pour l’Allemagne, la logique semblait simple : pourquoi maintenir une grande force armée d’environ 500 000 soldats si tous nos voisins étaient, selon toute apparence, des amis ou des partenaires ?

L’accent de notre politique de sécurité et de défense s’est rapidement déplacé vers d’autres menaces prioritaires. Les guerres dans les Balkans et les suites des attentats terroristes du 11 septembre 2001, y compris les guerres en Afghanistan et en Irak, ont donné plus d’importance à la gestion régionale et mondiale des crises. Au sein de l’OTAN, la solidarité est toutefois restée intacte : les attentats du 11 septembre ont conduit à la première décision de déclencher l'article 5, la clause de défense mutuelle du traité de l'Atlantique Nord,, et pendant deux décennies, les troupes de l’OTAN ont combattu côte à côte contre le terrorisme en Afghanistan.

L’économie allemande a tiré ses propres conclusions de la nouvelle donne. Avec la chute du rideau de fer et une économie mondiale de plus en plus intégrée, de nouvelles opportunités et de nouveaux marchés se sont ouverts, notamment dans les États de l’ancien bloc de l’Est, mais aussi dans d’autres pays émergents, a Chine en tête. Pendant la guerre froide, la Russie, avec ses énormes ressources, s’était révélée être un fournisseur fiable d’énergie et de matières premières, et il semblait donc logique - du moins au début - de développer maintenant ce partenariat prometteur en temps de paix.

Les dirigeants russes ont cependant vécu la dissolution de l’ex-Union soviétique et du Pacte de Varsovie de manière très différente des dirigeants politiques de Berlin et d’autres capitales européennes, et en ont tiré des conclusions totalement différentes. Au lieu de considérer la chute pacifique du régime communiste comme une chance pour plus de liberté et de démocratie, le président russe Vladimir Poutine l’a qualifiée de « plus grande catastrophe géopolitique du 20e siècle ». Les turbulences économiques et politiques dans certaines parties de l’espace post-soviétique dans les années 1990 n’ont fait qu’aggraver le sentiment de perte et de douleur que de nombreux Russes associent encore aujourd’hui à la fin de l’Union soviétique.

Enfin, c’est dans ce contexte que les aspirations autoritaires et impérialistes ont commencé à renaître. Lors de la conférence sur la sécurité de Munich en 2007, Poutine a prononcé un discours agressif dans lequel il stigmatisait l’ordre international basé sur des règles comme un simple outil de la domination américaine. L’année suivante, la Russie est entrée en guerre contre la Géorgie. En 2014, la Russie a occupé et annexé la Crimée et a envoyé des troupes dans certaines parties de la région du Donbass, à l’est de l’Ukraine, en violation flagrante du droit international et des propres obligations contractuelles de Moscou. Au cours des années suivantes, le Kremlin a sapé les accords de contrôle des armements et renforcé ses capacités militaires, empoisonné et assassiné des dissidents russes, pris des mesures sévères contre la société civile et s’est ingéré en Syrie dans le cadre d’une intervention militaire brutale en faveur du régime Assad. Petit à petit, la Russie de Poutine s’est engagée sur une voie qui l’éloignait de plus en plus de l’Europe et d’un ordre de paix basé sur la coopération.

L’Empire contre-attaque

Au cours des huit années qui ont suivi l’annexion illégale de la Crimée et le début du conflit dans l’est de l’Ukraine, l’Allemagne et ses partenaires européens et internationaux au sein du G7, se sont concentrés sur la garantie de la souveraineté et de l’indépendance politique de l’Ukraine, sur la prévention d’une nouvelle escalade par la Russie et sur le rétablissement et le maintien de la paix en Europe. Cet objectif devait être atteint par un mélange de pressions politiques et économiques, combinant des mesures de sanctions à l’encontre de la Russie et un dialogue. Avec la France, l’Allemagne s’est engagée dans le format dit de Normandie, qui a débouché sur les accords de Minsk et le processus de Minsk correspondant, appelant la Russie et l’Ukraine à un cessez-le-feu et à une série d’autres mesures. Malgré les revers et le manque de confiance entre Moscou et Kiev, la France et l’Allemagne ont maintenu le processus. Mais une Russie révisionniste a rendu les succès diplomatiques impossibles.

L’attaque brutale de la Russie contre l’Ukraine en février 2022 a finalement marqué le début d’une réalité fondamentalement nouvelle : le retour de l’impérialisme en Europe. La Russie a utilisé certaines des méthodes militaires les plus cruelles du 20e siècle et a infligé des souffrances indicibles à l’Ukraine. Des milliers et des milliers de soldats et de civils ukrainiens ont déjà perdu la vie ; de nombreux autres ont été blessés ou traumatisés. Des millions d’Ukrainiens ont dû fuir leur pays et ont cherché refuge en Pologne ou dans d’autres pays européens ; un million d’entre eux sont arrivés en Allemagne. Des habitations, des écoles et des cliniques ukrainiennes ont été réduites en cendres par l’artillerie, les missiles et les bombes russes. Marioupol, Irpin, Cherson, Izium : ces lieux rappelleront à jamais au monde les crimes de la Russie - et leurs auteurs devront rendre des comptes.

Mais les conséquences de la guerre de la Russie ne concernent pas seulement l’Ukraine. Lorsque Poutine a donné l’ordre d’attaquer, il a détruit une architecture de paix européenne et internationale qui avait été construite pendant des décennies. Sous la direction de Poutine, la Russie a fait fi des principes fondamentaux les plus élémentaires du droit international, inscrits dans la Charte des Nations unies : le renoncement à l’usage de la force comme moyen de politique internationale et l’obligation de respecter l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les États. A la manière d’une puissance impériale, la Russie tente aujourd’hui de repousser les frontières par la force et de diviser à nouveau le monde en blocs et en sphères d’influence. 


 Une Europe renforcée

Le monde ne doit pas permettre à Poutine d’imposer sa volonté. Nous devons mettre un terme à l’impérialisme revanchard de la Russie. L’Allemagne a désormais la tâche essentielle d’assumer ses responsabilités en tant que l’un des principaux garants de la sécurité en Europe, en investissant dans nos forces armées, en renforçant l’industrie européenne de la défense, en augmentant notre présence militaire sur le flanc est de l’OTAN et en formant et équipant les forces armées ukrainiennes.

Le nouveau rôle de l’Allemagne exige une nouvelle culture stratégique, et la stratégie de sécurité nationale que nous adopterons dans quelques mois tiendra compte de cette réalité. Au cours des trois dernières décennies, les décisions concernant la sécurité de l’Allemagne et l’équipement de la Bundeswehr ont été prises dans le contexte d’une Europe pacifique. Désormais, la question des menaces auxquelles nous et nos alliés sommes confrontés en Europe, principalement en provenance de la Russie, sera prise en compte. Il s’agit notamment des attaques potentielles sur le territoire de l’Alliance, de la cyberguerre et même de la possibilité lointaine d’une attaque nucléaire, dont Poutine a menacé de manière peu subtile.

Le partenariat transatlantique est et restera central pour relever ces défis. Le président américain Joe Biden et son administration méritent d’être salués pour leur capacité à construire et à investir dans des partenariats et des alliances solides à travers le monde. Mais un partenariat transatlantique équilibré et résistant nécessite également un engagement actif de l’Allemagne et de l’Europe. L’une des premières décisions prises par le gouvernement fédéral après l’attaque de la Russie contre l’Ukraine a été de créer un fonds spécial de 100 milliards d’euros pour mieux équiper la Bundeswehr. Nous avons même modifié notre loi fondamentale pour permettre la création de ce fonds. Cette décision marque le tournant le plus important de la politique de sécurité allemande depuis la création de la Bundeswehr en 1955. Nos soldats recevront le soutien politique, le matériel et les capacités dont ils ont besoin pour défendre notre pays et nos alliés. L’objectif est une Bundeswehr sur laquelle nous pouvons compter et sur laquelle nos alliés peuvent compter. Pour y parvenir, nous allons investir en Allemagne deux pour cent de notre produit intérieur brut dans notre défense.

Ces changements reflètent une nouvelle prise de conscience, y compris dans la société allemande. Aujourd’hui, une grande majorité d’Allemands estiment que notre pays a besoin d’une armée ayant la capacité et la volonté de dissuader les adversaires et de se défendre, ainsi que ses alliés., L’Allemagne se tient aux côtés du peuple ukrainien dans la défense de son pays contre l’agression russe. De 2014 à 2020, le plus grand montant d’investissements privés et d’aide publique en Ukraine provenait d’Allemagne. Depuis le début de l’invasion russe, l’Allemagne a continué à augmenter son soutien financier et humanitaire à l’Ukraine et a contribué à la coordination de la réponse internationale dans le cadre de la présidence allemande du G7. 

 
Le chancelier Scholz avec les nageurs de combat de la Bundeswehr au Niger en mai 2022

Ce changement d’époque a également amené le gouvernement fédéral à reconsidérer un principe bien établi de la politique allemande en matière d’exportations d’armes, qui existe depuis des décennies. Pour la première fois dans l’histoire récente de l’Allemagne, nous livrons aujourd’hui des armes dans une guerre entre deux États. Lors de mes entretiens avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky, j’ai été très clair sur un point : l’Allemagne maintiendra son soutien à l’Ukraine aussi longtemps que nécessaire. Ce dont l’Ukraine a le plus besoin aujourd’hui, c’est d’artillerie et de systèmes de défense aérienne, et c’est précisément ce que l’Allemagne fournit en étroite coordination avec ses alliés et partenaires. Le soutien allemand à l’Ukraine comprend entre autres des armes antichars, des véhicules blindés de transport de troupes, des canons et des missiles antiaériens ainsi que des systèmes radar pour la détection de l’artillerie. Avec une nouvelle mission de l’UE, jusqu’à 15 000 soldats ukrainiens seront formés, dont jusqu’à 5 000 - une brigade entière - en Allemagne. Entre-temps, la République tchèque, la Grèce, la Slovaquie et la Slovénie ont promis ou déjà livré à l’Ukraine une centaine de chars de combat datant de l’époque soviétique ; en contrepartie, l’Allemagne mettra à la disposition de ces pays des chars allemands remis en état. L’Ukraine recevra ainsi des chars avec lesquels les forces armées ukrainiennes sont familières et expérimentées et qui peuvent être facilement intégrés dans les processus logistiques et de maintenance existants en Ukraine.

L’action de l’OTAN ne doit pas conduire à une confrontation directe avec la Russie, mais l’Alliance doit assurer une dissuasion crédible contre toute nouvelle agression russe. À cette fin, l’Allemagne a augmenté de manière significative sa présence sur le flanc est de l’OTAN en renforçant le groupement tactique mixte de l’OTAN dirigé par l’Allemagne en Lituanie et en créant une brigade qui assure la protection du pays. L’Allemagne fournit également des troupes aux groupements tactiques de l’OTAN en Slovaquie, et l’armée de l’air allemande contribue à la surveillance et à la sécurité de l’espace aérien au-dessus de l’Estonie et de la Pologne. La marine allemande, quant à elle, a participé aux activités de dissuasion et de défense de l’OTAN en mer Baltique. L’Allemagne contribuera également au nouveau modèle de forces de l’OTAN avec une division blindée et d’importants moyens d’intervention de l’armée de l’air et de la marine (tous en état d’alerte élevé), ce qui devrait améliorer la capacité de l’Alliance à réagir rapidement à toutes les situations de crise. Et l’Allemagne maintient son engagement dans le cadre des accords de l’OTAN sur la participation nucléaire, notamment par l’achat d’avions de combat F-35 à double capacité opérationnelle.

Notre message à Moscou est clair comme de l’eau de roche : nous sommes déterminés à défendre chaque centimètre du territoire de l’OTAN contre toute agression. Nous tiendrons la promesse solennelle de l’OTAN selon laquelle toute attaque contre un allié sera considérée comme une attaque contre l’ensemble de l’alliance. Nous avons également clairement fait savoir à la Russie que les récentes déclarations russes concernant les armes nucléaires étaient négligentes et irresponsables. Lors de ma visite à Pékin en novembre, le président chinois Xi Jinping et moi-même avons convenu que les menaces relatives à l’utilisation d’armes nucléaires étaient inacceptables et que l’utilisation d’armes aussi horribles franchirait une ligne rouge que l’humanité a légitimement fixée. Poutine doit en être conscient.

L’une des nombreuses erreurs de jugement de Poutine a été de spéculer sur le fait que l’invasion de l’Ukraine allait tendre les relations entre ses adversaires. En réalité, c’est le contraire qui s’est produit : L’UE et l’alliance transatlantique sont plus fortes que jamais. Rien ne le montre plus clairement que les sanctions économiques sans précédent auxquelles la Russie est désormais confrontée. Dès le début de la guerre, il était clair que ces sanctions devaient rester longtemps en place, leur efficacité augmentant de semaine en semaine. Poutine doit comprendre qu’aucune sanction ne sera levée si la Russie tente de dicter les conditions d’un accord de paix.

Tous les chefs d’État et de gouvernement des pays du G7 ont salué la volonté de Zelensky de parvenir à une paix juste qui préserve l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine et qui garantisse la capacité future de l’Ukraine à se défendre. En accord avec nos partenaires, l’Allemagne est prête à conclure des accords dans le cadre d’un éventuel règlement de paix après la guerre, afin de préserver la sécurité de l’Ukraine à long terme. En revanche, nous n’accepterons pas l’annexion illégale du territoire ukrainien, à peine dissimulée par des référendums fictifs. Pour mettre fin à la guerre, la Russie doit retirer ses troupes.

Bon pour le climat, mauvais pour la Russie

La guerre de la Russie a non seulement uni l’UE, l’OTAN et le G7 dans leur opposition à cette agression, mais elle a également provoqué des changements de politique économique et énergétique qui seront douloureux pour la Russie à long terme - et qui donneront une énorme impulsion à la transition indispensable et déjà entamée vers les énergies propres. Dès mon entrée en fonction en tant que chancelier fédéral en décembre 2021, j’ai demandé à mes conseillers s’il existait un plan pour le cas où la Russie cesserait de fournir du gaz à l’Europe. La réponse a été non - et ce, même si nous étions devenus dangereusement dépendants du gaz russe.

Nous avons alors immédiatement commencé à nous préparer au pire des scénarios. Dans les jours qui ont précédé l’invasion russe à grande échelle de l’Ukraine, l’Allemagne a provisoirement suspendu la certification de Nord Stream 2, un gazoduc qui devait permettre d’augmenter considérablement les livraisons de gaz russe en Europe. Dès février 2022, des projets d’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance du marché mondial non européen étaient alors sur la table - et les premiers terminaux GNL flottants seront mis en service au large des côtes allemandes dans les mois à venir.

Le scénario du pire s’est produit peu après, lorsque Poutine a décidé d’utiliser l’énergie comme une arme et de couper les livraisons d’énergie à l’Allemagne et à l’Europe. Entre-temps, l’Allemagne a complètement cessé d’importer du charbon russe, et l’importation de pétrole russe dans l’UE prendra bientôt fin également. Nous en avons tiré les leçons : la sécurité de l’Europe dépend de la diversification de son approvisionnement énergétique et de ses voies d’approvisionnement, ainsi que de ses investissements dans son indépendance énergétique. Les actes de sabotage des gazoducs Nord Stream en septembre ont encore souligné cette nécessité.

Pour pallier d’éventuelles pénuries d’énergie en Allemagne et en Europe dans son ensemble, le gouvernement fédéral a temporairement reconnecté les centrales à charbon au réseau et permis aux centrales nucléaires allemandes de fonctionner plus longtemps que prévu. Nous avons également inscrit dans la loi que les stockages de gaz appartenant à des particuliers devront progressivement présenter des niveaux de remplissage minimum plus élevés. Aujourd’hui, nos installations de stockage sont entièrement remplies, contrairement à l’année dernière à la même époque, où les niveaux de remplissage étaient anormalement bas. C’est une bonne situation de départ pour l’Allemagne et l’Europe afin de passer l’hiver sans pénurie d’approvisionnement en gaz.

La guerre de Russie nous a rappelé que la réalisation de ces objectifs ambitieux est nécessaire pour défendre notre sécurité et notre indépendance, ainsi que la sécurité et l’indépendance de l’Europe. L’abandon des énergies fossiles entraînera une augmentation de la demande d’électricité et d’hydrogène vert, et l’Allemagne s’y prépare en accélérant massivement sa transition vers des sources d’énergie renouvelables telles que l’énergie éolienne et solaire. Nos objectifs sont clairement définis : d’ici 2030, au moins 80% de l’électricité consommée en Allemagne seront produits à partir d’énergies renouvelables, et d’ici 2045, le niveau des émissions de gaz à effet de serre en Allemagne devra être réduit à zéro net, c’est-à-dire atteindre la neutralité climatique.

Le pire cauchemar de Poutine

Poutine avait l’intention de diviser l’Europe en zones d’influence et le monde en blocs de grandes puissances et d’États vassaux. Au lieu de cela, sa guerre n’a servi qu’à faire progresser l’UE. Lors du Conseil européen de juin 2022, l’UE a accordé à l’Ukraine et à la Moldavie le statut de pays candidats et a réaffirmé que l’avenir de la Géorgie se trouvait également dans l’Union européenne. Nous avons également convenu que l’adhésion à l’UE des six pays des Balkans occidentaux devait enfin devenir une réalité - un objectif pour lequel je m’engage personnellement. C’est pourquoi j’ai relancé ce que l’on appelle le processus de Berlin pour les Balkans occidentaux, dont l’objectif est d’approfondir la coopération régionale, de rapprocher davantage les États des Balkans occidentaux et leurs citoyens et de les préparer à l’adhésion à l’UE.

Il est important de préciser que l’élargissement de l’UE et l’adhésion de nouveaux membres s’accompagneront également de difficultés, car rien ne serait pire que de susciter de faux espoirs chez des millions de personnes. Mais la voie est ouverte et l’objectif est clair : une UE composée de plus de 500 millions de citoyens libres, formant le plus grand marché intérieur du monde, établissant des normes mondiales en matière de commerce, de croissance, de changement climatique et de protection de l’environnement et abritant des institutions de recherche de premier plan et des entreprises innovantes - une famille de démocraties stables bénéficiant d’une sécurité sociale et d’infrastructures publiques sans précédent.

Sur le chemin de l’UE vers cet objectif, ses opposants continueront à essayer d’enfoncer des coins entre les États membres. Poutine n’a jamais accepté l’UE en tant qu’acteur politique. Car en fin de compte, l’UE, en tant qu’union d’États libres, souverains, démocratiques et fondés sur l’État de droit, constitue le pôle opposé à la kleptocratie impérialiste et autocratique de Poutine.

Poutine et d’autres tenteront de retourner nos propres systèmes démocratiques ouverts contre nous par des campagnes de désinformation et d’influence. Les citoyens européens ont une grande diversité de points de vue et les responsables politiques européens discutent - et se disputent de temps en temps - sur la meilleure façon de procéder, en particulier en ces temps de défis géopolitiques et économiques. Mais ce sont des caractéristiques de nos sociétés ouvertes, pas des erreurs ; elles sont au cœur de la prise de décision démocratique. Quoi qu’il en soit, notre objectif actuel est d’unir nos forces dans les domaines clés où la désunion rendrait l’Europe plus vulnérable à l’influence étrangère. Une coopération encore plus étroite entre la France et l’Allemagne, qui partagent la même vision d’une Union européenne forte et souveraine, est essentielle à cet égard.

De manière générale, l’UE doit surmonter les vieux conflits et trouver de nouvelles solutions, par exemple en ce qui concerne la migration vers l’Europe ou la politique fiscale. Les gens continueront d’arriver en Europe à l’avenir et l’Europe a besoin d’immigration - l’UE doit donc élaborer une stratégie d’immigration qui soit pragmatique et en accord avec les valeurs européennes. Cela signifie réduire la migration irrégulière tout en renforçant les voies légales d’accès à l’Europe, en particulier pour les professionnels dont nos marchés du travail ont besoin. Dans le domaine de la politique fiscale, l’Union a mis en place un fonds de construction et de résilience qui nous permettra également de répondre aux défis actuels liés aux prix élevés de l’énergie. Dans le cadre de ses processus décisionnels, l’Union doit également mettre un terme aux tactiques de blocage égoïstes en supprimant la possibilité pour certains pays d’opposer leur veto à certaines mesures. Dans le cadre de l’élargissement de l’UE et de son évolution vers un rôle d’acteur ayant un poids géopolitique, la rapidité des décisions est une condition essentielle du succès. C’est pourquoi l’Allemagne a proposé d’étendre progressivement la pratique du vote à la majorité dans les domaines où les décisions doivent actuellement être prises à l’unanimité, par exemple dans la politique étrangère de l’UE et les questions fiscales.

L’Europe doit continuer à assumer une plus grande responsabilité pour sa propre sécurité et a besoin d’une approche coordonnée et intégrée pour développer ses capacités de défense. Les forces armées des différents États membres de l’UE exploitent par exemple trop de systèmes d’armes différents, ce qui est inefficace d’un point de vue pratique et économique. Pour s’attaquer à ces problèmes, l’UE doit modifier ses procédures bureaucratiques internes, ce qui nécessite des décisions politiques courageuses : les États membres de l’UE, dont l’Allemagne, doivent adapter leurs politiques nationales et leur législation nationale en vue d’exporter des systèmes militaires produits en commun.

L’un des domaines dans lesquels l’Europe doit progresser de toute urgence est celui de la défense dans le domaine de l’air et de l’espace. C’est pourquoi l’Allemagne va renforcer sa défense aérienne dans les prochaines années dans le cadre de l’OTAN en acquérant des capacités supplémentaires. J’ai également ouvert cette initiative à nos voisins européens. Le résultat est l’European Sky Shield Initiative, à laquelle 14 autres États européens ont adhéré en octobre dernier. Une défense aérienne européenne commune sera plus efficace et plus rentable que les initiatives nationales isolées et sera un exemple parfait de ce que signifie renforcer le pilier européen au sein de l’OTAN.

L’OTAN est le principal garant de la sécurité euro-atlantique et l’adhésion de deux démocraties prospères, la Finlande et la Suède, ne fera que la renforcer. L’OTAN sera également renforcée par les mesures prises par ses membres européens dans le cadre de l’UE pour rendre leurs structures de défense plus compatibles.

La Chine et autres défis

La guerre d’agression de la Russie a peut-être déclenché le changement d’époque - mais les déplacements tectoniques sont bien plus vastes. La fin de la guerre froide n’a pas signifié la “fin de l’histoire”, comme certains l’avaient prédit. Mais l’histoire ne se répète pas non plus. Nombreux sont ceux qui estiment que nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère de bipolarité au sein de l’ordre international. Ils voient l’émergence d’une nouvelle guerre froide, qui place les USA et la Chine en position d’adversaires.

Je ne partage pas ce point de vue. Je pense plutôt que nous vivons actuellement la fin d’une phase exceptionnelle de la mondialisation et que nous assistons à un changement historique qui a été accéléré par des chocs externes tels que la pandémie COVID-19 et la guerre de la Russie en Ukraine, mais qui n’a pas été déclenché par ces seuls événements. Au cours de cette phase exceptionnelle, l’Amérique du Nord et l’Europe ont connu 30 ans de croissance stable, de taux d’emploi élevés et de faible inflation ; c’est une période où les USA sont devenus la puissance mondiale déterminante - un rôle qu’ils conserveront au 21e siècle.

Mais pendant la phase de mondialisation de l’après-guerre froide, la Chine est également devenue l’acteur mondial qu’elle avait déjà été pendant de longues périodes de l’histoire mondiale. La montée en puissance de la Chine ne justifie ni l’isolement de Pékin, ni la limitation de la coopération. Mais en même temps, la puissance croissante de la Chine ne justifie pas non plus des prétentions hégémoniques en Asie et au-delà. Aucun pays ne devrait être l’arrière-cour d’un autre - cela vaut pour l’Europe comme pour l’Asie et toute autre région. Lors de ma récente visite à Pékin, j’ai exprimé mon soutien indéfectible à l’ordre international fondé sur des règles, tel qu’il est inscrit dans la Charte des Nations unies, ainsi qu’au commerce ouvert et équitable. En collaboration avec ses partenaires européens, l’Allemagne continuera à exiger des conditions de concurrence équitables pour les entreprises européennes et chinoises. La Chine n’en fait pas assez à cet égard et s’est visiblement engagée sur la voie de l’isolement et non de l’ouverture.

À Pékin, j’ai également exprimé mon inquiétude face à l’insécurité croissante en mer de Chine méridionale et dans le détroit de Taïwan, et j’ai évoqué la position de la Chine sur les droits de l’homme et les libertés individuelles. Le respect des droits et des libertés fondamentales ne peut jamais être une “affaire intérieure” d’un seul État, car tous les États membres des Nations unies se sont engagés à respecter ces droits et libertés.

Alors que la Chine et les pays d’Amérique du Nord et d’Europe s’adaptent à la réalité changeante de cette nouvelle phase de la mondialisation, de nombreux pays d’Afrique, d’Asie, des Caraïbes et d’Amérique latine, qui ont rendu possible la croissance exceptionnelle du passé en produisant des biens et des matières premières à moindre coût, deviennent progressivement plus prospères et ont désormais leurs propres besoins en ressources, biens et services. Ces régions ont tout à fait le droit de saisir les opportunités offertes par la mondialisation et de demander à avoir davantage voix au chapitre sur les questions mondiales, conformément à leur poids économique et démographique croissant. Cela ne constitue pas une menace pour les citoyens d’Europe ou d’Amérique du Nord. Au contraire, nous devrions encourager ces régions à participer davantage à l’élaboration de l’ordre international et à s’y intégrer davantage. C’est le meilleur moyen de maintenir le multilatéralisme en vie dans un monde multipolaire.

C’est pourquoi l’Allemagne et l’UE investissent dans de nouveaux partenariats avec de nombreux pays d’Afrique, d’Asie, des Caraïbes et d’Amérique latine, et élargissent les partenariats existants. Nombre de ces pays ont une caractéristique commune avec nous : ce sont également des démocraties. Ce point commun joue un rôle crucial - non pas parce que nous voulons opposer les démocraties aux États autoritaires, ce qui ne ferait que contribuer à une nouvelle division du monde, mais parce que des valeurs et des systèmes démocratiques communs nous aideront à définir des priorités communes et à atteindre des objectifs communs dans la nouvelle réalité multipolaire du 21e siècle. Pour reprendre une thèse formulée il y a quelques années par l’économiste Branko Milanović : nous sommes peut-être tous devenus des États capitalistes (à l’exception peut-être de la Corée du Nord et d’une petite poignée d’autres pays). Mais il y a une énorme différence entre le capitalisme libéral et démocratique et le capitalisme autoritaire.

Prenons par exemple la réaction mondiale à la pandémie de COVID-19. Lors de la phase initiale de la pandémie, certains ont affirmé que les États autoritaires étaient plus habiles dans la gestion des crises, car ils pouvaient mieux planifier à long terme et prendre des décisions difficiles plus rapidement. Mais les résultats obtenus par les États autoritaires dans la lutte contre les pandémies n’étayent guère cette hypothèse. Les vaccins et les médicaments COVID-19 les plus efficaces ont tous été développés dans des démocraties libérales. En outre, contrairement aux États autoritaires, les démocraties ont la capacité de s’autocorriger, car les citoyens peuvent exprimer librement leur opinion et choisir leurs dirigeants politiques. Le débat et la remise en question permanents qui ont lieu dans nos sociétés, nos parlements et nos médias libres peuvent parfois être épuisants. Mais c’est précisément ce qui rend nos systèmes plus résistants à long terme.

La liberté, l’égalité, l’État de droit et la dignité de chaque être humain sont des valeurs qui ne se limitent pas à la partie du monde traditionnellement considérée comme “l’Occident”. Elles sont au contraire partagées par les populations et les gouvernements du monde entier et réaffirmées dans le préambule de la Charte des Nations unies en tant que droits humains fondamentaux. Cependant, les régimes autocratiques et autoritaires remettent souvent en question ou refusent d’appliquer ces droits et principes. Pour les défendre, les États membres de l’UE, dont l’Allemagne, doivent coopérer plus étroitement avec les démocraties, même au-delà de l’“Occident” traditionnel. Par le passé, nous avons prétendument traité les pays d’Afrique, d’Asie, des Caraïbes et d’Amérique latine d’égal à égal. Mais trop souvent, nos actes ont contredit cette idée. Cela doit changer. Pendant la présidence allemande du G7 en 2022, le groupe a étroitement coordonné son agenda avec l’Indonésie, qui assurait la présidence du G20 pendant la même période. Nous avons également inclus dans nos délibérations le Sénégal, qui assure la présidence de l’Union africaine, l’Argentine, qui préside la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes, l’Afrique du Sud, notre partenaire du G20, et l’Inde, qui assurera la prochaine présidence du G20.

En fin de compte, dans un monde multipolaire, le dialogue et la coopération doivent également avoir lieu en dehors de la zone de confort démocratique. La nouvelle stratégie de sécurité nationale des USA souligne à juste titre la nécessité de coopérer avec les pays qui n’ont pas adopté les institutions démocratiques, mais qui ont néanmoins besoin d’un système international fondé sur des règles et qui le soutiennent. Les démocraties du monde entier devront coopérer avec ces pays afin de défendre et de maintenir un ordre mondial dans lequel le pouvoir est lié à des règles et où les actes révisionnistes, tels que la guerre d’agression de la Russie, sont combattus. Pour cela, il faudra faire preuve de pragmatisme et d’un certain degré d’humilité.

Le chemin vers la liberté démocratique dont nous bénéficions aujourd’hui a été jalonné de revers et d’échecs. Et pourtant, certains droits et principes ont été établis et acceptés il y a des siècles. La formule habeas corpus, la protection contre la détention arbitraire, désigne l’un de ces droits élémentaires - et fut la première à être reconnue non pas par un gouvernement démocratique, mais par une monarchie absolutiste sous le roi Charles II d’Angleterre. Tout aussi important est le principe selon lequel aucun pays ne peut s’approprier par la force ce qui appartient à son voisin. Le respect de ces droits et principes fondamentaux devrait être exigé de tous les États, quel que soit leur système politique national.

Les périodes de paix et de prospérité relatives dans l’histoire de l’humanité, comme celles qu’a connues une grande partie du monde au début de l’ère post-guerre froide, ne doivent pas nécessairement être un rare intermède ou un simple écart par rapport à une norme historique où la force brutale dicte autrement les règles. Et même si nous ne pouvons pas remonter le temps, nous pouvons faire reculer la vague d’agression et d’impérialisme. Dans le monde complexe et multipolaire d’aujourd’hui, cette tâche est encore plus difficile. Pour la mener à bien, l’Allemagne et ses partenaires de l’UE, les USA, le G7 et l’OTAN doivent défendre nos sociétés ouvertes, défendre nos valeurs démocratiques et renforcer nos alliances et nos partenariats. Mais nous devons également résister à la tentation de diviser à nouveau le monde en blocs. Cela signifie faire tout notre possible pour construire de nouveaux partenariats, de manière pragmatique et sans œillères idéologiques. Dans notre monde très interconnecté, de nouveaux modes de pensée et de nouveaux outils sont nécessaires pour faire progresser la paix, la prospérité et les libertés civiles. Développer ces modes de pensée et ces outils, tel est l’objectif ultime du changement d’époque.