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12/01/2023

GIDEON LEVY
Chaleur et courage dans le camp de réfugiés de Jénine

Gideon Levy, Haaretz, 12/1/2023
Traduit par 
Fausto Giudice, Tlaxcala

Dans le camp de réfugiés de Jénine, j’ai vu beaucoup de belles choses. Pas des livres de poésie de Rachel ou de Natan Alterman, comme le narrateur d’une chanson de Naomi Shemer a un jour décrit ce qu’il avait trouvé dans les avant-postes de l’armée israélienne dans le Sinaï, mais un camp courageux, déterminé, bien organisé, imprégné d’une combativité peut-être sans équivalent dans l’histoire.

Un café à Jénine. Photo : Nir Kafri

Quatre ans s’étaient écoulés depuis ma dernière visite. Depuis un an, les Forces de défense israéliennes n’ont pas osé envahir le camp lui-même, mais seulement sa périphérie. Depuis des années, l’Autorité palestinienne n’a pas pu y pénétrer. Aucun journaliste israélien, à l’exception d’Amira Hass, ne s’y est rendu ou n’y a été bienvenu, après toutes les déceptions que les reporters israéliens ont infligées aux résidents du camp.

Mais cette semaine, j’y suis retourné avec le photographe Alex Levac. Ce fut une visite très ompressionnante - personnelle, émouvante, mais aussi instructive.

La ville de Jénine a vu 60 de ses habitants tués au cours de la seule année dernière. Parmi eux, 38 étaient des résidents du camp, l’endroit qui ressemble le plus à la bande de Gaza, tant par son esprit que par sa souffrance ; on retrouve la même chaleur humaine et le même courage dans ce camp de Jénine.

La troisième section du cimetière des martyrs est déjà pleine, et il faut trouver une autre section pour les victimes à venir. Si les forces de défense israéliennes envahissent le camp, disent les gens ici, il y aura un massacre. Ils le disent sans une once de peur ou de vantardise.

Le propriétaire du restaurant de houmous à l’entrée du camp a subi un pontage depuis ma dernière visite. La femme du principal responsable du Hamas dans le camp, qui est emprisonnée en Israël, est devenue aveugle. Un hôpital moderne s’est ouvert près du camp et Jamal Zubeidi, le plus courageux et le plus noble de tous, a perdu son fils Naeem et son gendre Daoud l’année dernière. Daoud était à la fois le frère et le neveu de Zakaria Zubeidi.

Nous avons visité le camp le 40e  jour du deuil de Naeem. Jamal était assis seul dans une pièce recevant des invités, à l’endroit même où les FDI ont déjà démoli sa maison à deux reprises, entouré de photos et de posters des six membres de sa famille tués. Une délégation de la secte juive Neturei Karta, en visite à Jénine, s’est également rendue sur place pour présenter ses condoléances, mais des hommes armés du camp les ont fait fuir en tirant des coups de feu.

Le plus jeune fils de Jamal, Hamoudi, que nous avions rencontré pour la première fois alors qu’il était un jeune enfant espiègle, est maintenant l’homme le plus recherché par Israël dans le camp ; il est membre du Jihad islamique. Les enfants des hommes qui ont combattu pour le Front populaire de libération de la Palestine, laïque, combattent maintenant pour le Jihad islamique, l’organisation la plus puissante du camp. Et c’est toute l’histoire en un mot.

Les hommes armés ont un numéro secret sur leur téléphone portable qu’ils appellent dès que quelqu’un voit les forces de l’armée israélienne se diriger vers la ville ou le camp de réfugiés. Ce numéro de téléphone déclenche automatiquement une alarme dans tout le camp. Cela se produit généralement la nuit. Tout le camp est réveillé, et des dizaines d’hommes armés quittent leurs maisons et se dirigent rapidement vers les entrées du camp et de la ville. C’est ainsi que 38 résidents du camp ont été tués.

Les distinctions entre les différentes organisations militantes sont floues ici ; elles coopèrent entre elles plus que partout ailleurs en Cisjordanie et à Gaza. Des filets de camouflage couvrent certaines des allées pour empêcher les drones des FDI de surveiller ce qui se passe.

Un jeune homme a sorti une photographie aérienne du camp qui a très probablement été laissée par des soldats dans la ville, bien que, selon la légende locale, elle ait été volée dans la poche d’un soldat. La photo a été prise pendant la Coupe du monde, et les FDI ont étiqueté certaines des allées du camp avec les noms des pays qui y participaient - Allée du Portugal, Allée de la France et Allée du Brésil. Une maison sur la photo était étiquetée “habira” ; les jeunes hommes pensaient qu’il s’agissait de la maison d’un “ami” (“haver” en hébreu, qui dérive de la même racine hébraïque) - en d’autres termes, d’un collaborateur.

La voiture la plus populaire dans le camp est le SUV hybride C-HR de Toyota. Nous en avons vu plusieurs rouler dans les allées. Ils ont été volés à Israël, presque neufs. Après tout ce qu’Israël a volé aux Palestiniens, des vestiges de leurs terres aux vestiges de leur honneur, il y a une justice poétique dans ces Toyota volées dont les jeunes hommes sont si fiers.

Il n’y a pas un foyer ici qui n’ait pas souffert d’un deuil, pas une famille qui n’ait pas eu un membre handicapé à vie ou emprisonné. Aux entrées du camp, les jeunes hommes ont érigé des barricades en fer bleu “comme en Ukraine”. Ce n’est pas encore l’Ukraine, mais le camp de réfugiés de Jénine pourrait bien devenir un jour, peut-être très bientôt, une nouvelle version de la ville ukrainienne de Boutcha. Aucun Israélien ne devrait s’en réjouir.

 

15/12/2022

GIDEON LEVY 
Et si Jana Zakarneh, 16 ans, exécutée à Jénine, avait été un garçon ? Vous n’en auriez jamais entendu parler

Gideon Levy, Haaretz, 15/12/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Et si Jana Zakarneh avait été un garçon ? Jana était une jeune fille de 16 ans qui avait un chat blanc nommé Lulu, et très probablement des rêves, aussi. Elle avait récemment été photographiée tenant une pancarte sur laquelle elle avait écrit des pensées obscures typiques d'une adolescente : « Ne pensez pas et n'ayez pas de doutes sur Jana, car les filles ont beaucoup de problèmes ».


Un journaliste militaire, qui comprend que c'est son travail, a fait l'éloge, comme à son habitude, du sniper “décoré” et “expérimenté” de la police aux frontières qui a mis fin aux problèmes et aux rêves de Jana avec neuf balles. L'une d'elles lui a fracassé le crâne. D'autres reporters militaires ont répété, comme à leur habitude, ce qui leur avait été dicté : Jana était une terroriste ; elle prenait des photos et les transmettait aux terroristes ; elle se tenait près d'un terroriste armé qui a tiré sur les soldats ; ou, quand tout le reste a échoué, Jana a été tuée “par erreur”.

Les USA ont posté un tweet pleurnicahrd, les médias israéliens ont consenti, ce qui n'est pas leur habitude, à mentionner son assassinat. Canal 13 a même ouvert son bulletin d'information avec cette mention, ce qui est tout à son honneur. Le ministre de la Défense a “regretté” - ce mot maudit et crispé réservé exclusivement à ces occasions ; le premier ministre a “présenté ses condoléances” pour “sa mort”, comme si elle était morte d'une maladie dans la fleur de l'âge, sans la citer nommément.

Toutes les quelques dizaines de Palestiniens tués, quelque chose soulève une faible vague d'intérêt, un semblant de tristesse forcée. Shireen Abu Akleh parce qu'elle était une journaliste avec un passeport usaméricain, Jana Majdi Zakarneh parce qu'elle était une fille. Et si elle avait été un garçon ? Personne n'aurait entendu parler d'elle, ni de sa mort, ni certainement de sa vie.

Mohammad Nuri, Haitem Mubarak, Moamen Jabar, Hussein Taha, Dirar Salah, Mohammad Suleiman, Odeh Sadka, Reit Yamin, Amjad Fayed, Ta'air Mislet, Kusai Hamamra, Mohammad Kassem, Send Abu Atiya, Nader Rian et Mohamad Abu Salah sont anonymes. Ils étaient tous de la génération de Jana, des jeunes de 16 ans, et tous ont été tués cette année seulement par Israël. Aucun d'entre eux ne méritait de mourir - aucun jeune de 16 ans ne le mérite. Ils auraient tous pu être arrêtés, blessés si besoin était, mais pas tués.

Une société qui se vautre dans ses morts, qui canonise chaque victime juive - chaque colon tué sanctifie le nom de Dieu et chaque soldat a donné sa vie pour que nous puissions vivre - a fermé son cœur pendant des décennies aux milliers de morts causées par ses soldats, même lorsqu'il s'agit d'enfants, de personnes âgées, de femmes, de journalistes ou de professionnels de la santé. Cette société se ment constamment à elle-même avec une foule d'excuses, nie et supprime ce qui devrait être évident, d'autant plus récemment, à l'époque où un chef de l'armée [Avi Kochavi] fait la comptabilité des ennemis abattus et où le gouvernement st celui du  changement. Au cours de l'année écoulée, les FDI et la police aux frontières ont tiré sur tout ce qui bouge, sans aucune responsabilité ni culpabilité, bien avant que Washington ou La Haye n'entendent parler d'Itamar Ben-Gvir.

Les forces de sécurité ont tué 144 Palestiniens, dont 34 enfants et adolescents, selon B'Tselem, au cours de ce qui a été une année relativement calme pour Israël. Pour les Palestiniens, cette année a été la plus meurtrière depuis 2004.

Il faut en parler, mais il n'y a personne à qui en parler. Il faut en parler bien avant toutes les nouvelles passionnantes, mais il n'y a pas de place pour ce genre de discussion. Israël ne veut ni entendre ni savoir. Bezalel Smotrich n'est pas le problème. Ben-Gvir non plus. Le terrain pour cette horrible obtusité a été préparé bien avant eux, et maintenant tout le monde est consterné. Que va-t-il se passer ? Ils auraient d'abord dû se demander ce qui s'est passé, que le fait d'abattre une jeune fille de 16 ans sur le toit de sa maison dans une ville palestinienne, envahie par les forces d'occupation, n'émeut personne.

Jana était une fille dont les parents ont trouvé le cadavre entre les chaudières à eau de leur toit, dans une mare de sang coulant de sa tête. Si elle avait été un garçon, vous n'auriez jamais entendu parler d'elle.

 

12/12/2022

JACK KHOURY
Jana Zakarneh, 16 ans, tuée par des tirs de l'armée israélienne à Jénine

Jack Khoury, avec AP News , Haaretz, 12/12/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Des affrontements entre les forces israéliennes et des Palestiniens auraient éclaté dans la ville de Jénine, en Cisjordanie, où les FDI ont arrêté trois Palestiniens. Les FDI ont déclaré qu'elles étaient au courant de la mort de l'adolescente et qu'une enquête était en cours.

Jana Zakarneh

Une jeune Palestinienne a été tuée dimanche soir par des tirs de l'armée israélienne dans la ville de Jénine, en Cisjordanie, selon le ministère palestinien de la Santé.

La jeune fille, identifiée comme étant Jana Zakarneh, 16 ans, a été touchée à la tête alors qu'elle se trouvait sur le toit de sa maison et a été retrouvée morte après le retrait des troupes israéliennes de Jénine, rapporte l'agence de presse officielle palestinienne.

Le porte-parole des FDI a publié un communiqué indiquant que les forces de sécurité israéliennes ont procédé à Jénine à trois arrestations de Palestiniens soupçonnés de mener des attaques contre des Israéliens. Au cours de l'opération, des coups de feu ont été tirés et des engins explosifs ont été lancés en direction des forces israéliennes, qui ont alors riposté, précise Tsahal.

 

Le corps de Jana Zakarneh porté par des Palestiniens, à Jénine, dimanche

L'armée israélienne a déclaré être au courant de la mort de l'adolescente et qu'une enquête était en cours.

Dans une interview accordée lundi à Radio Ashams, basée à Nazareth, l'oncle de Zakarneh a déclaré que Jana avait entendu des coups de feu et était montée sur le toit pour voir ce qui se passait. « Il y avait un échange de coups de feu à environ 50 mètres, et elle ne pensait pas être blessée. Après quelques minutes, son père est monté et l'a trouvée là, allongée par terre ». Selon l'oncle, Jana a été touchée à la tête mais à l'hôpital, ils ont identifié au moins quatre autres blessures par balle sur son corps.

Dans une conversation avec Haaretz lundi, l'oncle a souligné que la famille nie que Jana soit montée sur le toit pour photographier l'activité militaire dans la zone. Selon lui, dès qu'il est arrivé sur les lieux, il a trouvé Jana étendue morte, sans téléphone ni matériel de tournage.

Ata Abu Ramila, l'un des dirigeants du Fatah à Jénine, a annoncé que toutes les factions palestiniennes du camp de réfugiés et de la ville feront grève demain pour marquer la mort de Zakarneh.

Hussein al-Sheikh, secrétaire général du comité exécutif de l'OLP, a déclaré que Zakarneh était une « victime d’un crime odieux de l'occupation de Jénine’. Il a en outre appelé « les responsables régionaux et internationaux à enquêter immédiatement sur les circonstances de son exécution ».

Plus tôt dans la soirée, le ministère palestinien de la Santé a indiqué que deux Palestiniens avaient été blessés par des tirs de l'armée israélienne à Jénine. Les deux personnes ont été hospitalisées dans un état modéré et léger.

Jeudi, trois Palestiniens ont été tués par des tirs de l'armée israélienne à Jénine, selon le ministère de la Santé à Ramallah. L'armée israélienne a déclaré que ses forces menaient une opération pour arrêter 15 hommes recherchés à Jénine lorsque des Palestiniens armés ont commencé à leur tirer dessus.

 

29/10/2022

GIDEON LEVY
Mahmoud Samudi, un garçon de 12 ans, va vendre de l'eau à un carrefour, et est abattu

 Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 28/10/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Mahmoud Samudi vendait des bouteilles d'eau dans le camp de réfugiés de Jénine pour gagner de l'argent de poche. Une jeep s'est arrêtée en face de lui pendant un raid de l'armée et un soldat à l'intérieur du véhicule a commencé à tirer sur un groupe de lanceurs de pierres. Samudi, à peine âgé de 12 ans, a été grièvement blessé et est mort deux semaines plus tard. Il est le plus jeune Palestinien à être tué à Jénine cette année


Le père endeuillé, Mohammed Samudi, chez lui à Al Yamun, cette semaine. Lui et deux autres fils travaillaient dans le Golan et n'avaient pas vu Mahmoud depuis près de trois semaines.

Du côté est de la ville d'Al Yamun, à l'ouest du camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie. La cour de la maison familiale de trois étages est remplie de plantes et de fleurs. Une photo de Mahmoud Samudi est accrochée au mur extérieur près de l'entrée. Un homme en survêtement noir porte une barbe de deuil, et une photo du défunt Mahmoud pend sur un pendentif autour de son cou. C'est le père endeuillé, Mohammed Samudi, 43 ans. À côté de lui est assis son frère, l'oncle en deuil, Abdu, un métallo de 41 ans qui parle couramment l'hébreu. Dans cette maison il y a beaucoup de douleur mais pas de larmes.

Mahmoud, 12 ans, a été abattu par un soldat de Tsahal le 28 septembre à Jénine et est décédé 13 jours plus tard dans un hôpital de Ramallah. C'était un élève de cinquième année, un garçon qui se rendait parfois à Jénine pour vendre des bouteilles d'eau aux automobilistes qui passaient aux carrefours, comme moyen de gagner un peu d'argent de poche.

C'est la saison des olives. Le long de toutes les routes du nord de la Cisjordanie, les familles sont dans leurs oliveraies– c'est la seule partie de la Cisjordanie où il n'y a pas de colons – et les vues sont impressionnantes.

Mohammed, le père endeuillé de Mahmoud, travaillait aussi jusqu'à récemment avec ses fils à la récolte des olives, non pas sur les terres d'Al Yamun mais à Givat Yoav sur le plateau du Golan. Il était là, travaillant dans des oliveraies israéliens, quand il a reçu la terrible nouvelle que son jeune fils avait été grièvement blessé. Il n’avait pas vu Mahmoud depuis 20 jours, puisque Mohammed et deux de ses autres fils s’étaient mis à récolter des olives pour les Juifs dans le Golan, et à dormir dans une tente de fortune près de Tibériade dans un espace réservé pour eux par le patron juif.


21/10/2022

GIDEON LEVY
Des “arsim” avec des armes

Gideon Levy, Haaretz, le 20/10/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 C'est ainsi que le haut commandement des Forces de défense israéliennes perçoit l'ennemi de l'armée en Cisjordanie : «des  arsim avec des armes ». (« Ars » signifie « proxénète » en arabe, et « voyou » en argot hébreu*.) Dans une série de briefings à huis clos et au moins une interview publique, les dirigeants de l'armée ont décrit la résistance à Jénine et la nouvelle organisation à Naplouse, la « Tanière des Lions», comme des activités d’« arsim ».

La chasse aux arsim près de Naplouse. Photo :  JAAFAR ASHTIYEH - AFP

Du chef d'état-major Aviv Kochavi au chef du commandement central Yehuda Fuchs et jusqu’au bas de l’échelle, ils voient les jeunes hommes armés qui s'opposent aux invasions de l'armée israélienne dans leurs villes et camps de réfugiés comme des arsim. Maintenant, les FDI éliminent les arsim. Six arsim de la Tanière es Lions ont déjà été tués et un a été capturé. Les permis d'entrée en Israël ont été retirés à 164 membres de leurs familles.

Les FDI sont en train d'éradiquer le phénomène des arsim. Une armée de beaux jeunes hommes proprets, les plus moraux de l'univers, face à l'armée des arsim.

C'est dur de savoir ce que veulent dire les officiers supérieurs quand ils parlent d'arsim. Il n'est pas politiquement correct d'appeler un Israélien un ars, mais bien sûr, c'est permis dans le cas d'un Palestinien. Le commandant de la brigade Menashe, le colonel Arik Moyal, a expliqué ce qui s'était passé à Jénine comme suit :

« Des bandes d'arsim qui ont du temps à perdre et jouent aux petits soldats. Ils forment toutes sortes d'unités, de confusion et d'autres absurdités pour leur propre compte … Il y a des arsim qui ont perdu leur sang-froid, et nous devons leur taper sur les doigts maintenant et en finir avec eux », selon l'officier colon de Tapuah, qui est maintenant celui qui a perdu son sang-froid

Mettons de côté ce langage arrogant et méprisable des officiers supérieurs de Tsahal, qui sont des m’as-tu-vu professionnels. Mettons aussi de côté l'humiliation de l'autre. La police des frontières et les policiers dans les unités d'occupation sont de merveilleux exemples de la définition tsahalesque des « arsim armés», certainement pas moins que les jeunes de Naplouse et de Jénine. Le terme « arsim armés » leur convient parfaitement. Ce n'est pas par hasard qu'Israël envoie ses propres « arsim » pour affronter les arsim palestiniens.

Il se peut que la « Tanière des Lions », la nouvelle organisation armée à Naplouse, dont le nom puéril aurait pu être craché par l'ordinateur de Tsahal qui sait donner des noms comme « Formation d’acier » et « Formation de feu » aux divisions de Tsahal, soit composée d'arsim. C'est comme ça quand on grandit dans un camp de réfugiés comme Balata ou Askar, avec un passé de réfugiés, un présent d'occupation et un futur de désespoir : on devient arsim.

Il est difficile de savoir lequel des arsim serait le plus violent s'ils devaient se battre à armes égales, mais dans des conditions d'occupation, les arsim israéliens sont certainement plus violents. Il y a aussi une concurrence sérieuse quand il s'agit de comportement d’arsouille [gredin, voyou, truand], et là je pense que c’est l'ars israélien qui gagne.

Beaucoup de soldats et de policiers dans les territoires ne savent plus comment parler aux Palestiniens, ils savent seulement leur aboyer dessus. Voir la nouvelle description grotesque des « combattants des carrefours/points de passage », voir la police des frontières à Jérusalem-Est ou les soldats de la brigade Kfir, dont le bataillon ultra-orthodoxe Netzah Yehuda, avec de leurs invasions nocturnes de chambres à coucher, de chambres d'enfants.

Il est difficile de penser à un comportement plus « arsimiesque » que cela. Peut-être qu'il est impossible de servir dans les territoires occupés depuis 1967 sans être un ars. Est-ce que le lieutenant-général Kochavi pense vraiment que les soldats qu'il envoie sur les Palestiniens sont moins “arsim” que les lions de la tanière ? De quelle manière exactement ? Plus éduqués ? Plus éthiques ? Plus humains ?

Dégradez dégradez les Palestiniens. Pour ce qui est de la disparité des forces entre la Tanière des Lions et « Netzah Yehuda », qui est le plus fort, le mieux armé, équipé et organisé ? Il y a pas photo. Mais le plus fort n'a aucun avantage éthique dans cette histoire, bien au contraire.

Les arsim de la Tanière prennent des mesures pour protéger leurs maisons, leurs camps et leurs villes, lorsqu'une armée étrangère les envahit. Ils peuvent perdre leur temps et jouer aux petits soldats, selon le diagnostic savant du commandant de brigade Moyal, mais lui et ses soldats n'ont aucun avantage sur eux. « Un soldat noir frappe un soldat blanc », a écrit le dramaturge Hanokh Levin** … « Pleurs dans les chambres et silence dans les jardins ».

NdT

*Le mot arabe ars (jeune berger et par extension, proxénète) a été approprié en hébreu israélien (féminin arsit, pluriel arsim) d’abord pour désigner méliorativement une personne rusée et intelligente. Il a évolué, à partir des années 1970, pour désigner péjopratovement une personne qui est, ou se comporte comme, un petit criminel, qui se vante et prétend être prospère, et, surtout, est apparemment d’origine sépharade (Al Andalous, Maghreb) ou mizrahie (terme fourre-tout englobant tous les juifs originaires du monde arabe, persan, caucasien, berbère, kurde, turc et indien)

**Hanokh Levin (1943-1999) a sans doute été le plus grand dramaturge israélien. Ses deux pièces satiriques Toi, moi et la prochaine guerre (1968) et La Reine de la baignoire (1970), un mix hébreu de Brecht et des Monty Python, mirent à mal l’euphorie suscitée chez les sionistes par la victoire de la Guerre des Six-Jours de 1967.

Une citation de Hanokh Levin, extraite de la pièce Le Patriote :

« Consignes de sécurité dans les territoires occupés

Bienvenue à la résidence du gouverneur militaire de Beit Jarjur.

Instructions de sécurité :

Un homme qui descend la rue en jetant des regards nerveux d'un côté à l'autre et par-dessus son épaule - sera suspecté d'être un terroriste arabe.

Un homme descendant la rue et regardant calmement devant lui - sera suspecté d'être un terroriste arabe à tête froide.

Un homme descendant la rue et regardant le ciel - sera suspecté d'être un terroriste arabe religieux.

Un homme descendant la rue et fixant le sol - sera suspecté d'être un terroriste arabe timide.

Un homme descendant la rue les yeux fermés - sera soupçonné d'être un terroriste arabe somnolent.

Un homme ne descendant pas la rue - sera suspecté d'être un terroriste arabe malade.

Tous les suspects énumérés ci-dessus doivent être arrêtés. En cas de tentative d'évasion, un coup de semonce sera tiré en l'air.

Le corps sera transporté à l'institut médico-légal. »

Sur Hanokh Levin, on peut lire en français Le Théâtre de Hanokh Levin-Ensemble à l'ombre des canons, de Nurit Yaari, Éditions théâtrales, 2008

 

01/05/2022

GIDEON LEVY
Hanan Khadour : elle était née en plein couvre-feu de la 2ème Intifada. Elle est morte 19 ans plus tard au milieu des affrontements israélo-palestiniens


Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 30/4/2022

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Lorsque Hanan Khadour est née, Jénine était sous contrôle de l'armée israélienne en raison de l'opération « Bouclier défensif », et son père a dû la porter à l'hôpital dans ses bras. Il y a trois semaines, elle est montée à bord d'un taxi collectif dans la même ville, qui grouillait de soldats et de tireurs d'élite israéliens. Une seule balle a transpercé son corps

Le père endeuillé Mahmoud Khadour, avec son jeune fils Mohammed

Hanan Khadour était née le 1er  décembre 2002. Sa mère, Abir, était à son huitième mois lorsque les contractions ont commencé. L'hôpital le plus proche se trouvait à Jénine, à 12 kilomètres de chez elle dans le village de Faqua, mais il n'y avait aucun moyen de s'y rendre à cause des barrages routiers. C'était la période qui a suivi l'opération « Bouclier défensif » durant la deuxième Intifada, et le camp de réfugiés de Jénine était toujours bouclé. Abir a accouché à la clinique du médecin du village : Hanan est née prématurée. Elle avait un besoin urgent d'un incubateur, mais aucun n'était disponible localement. Le médecin a dit à la famille que la survie du nouveau-né dépendait de son transport urgent à l'hôpital.

Son père, Mahmoud, a décidé qu'il devait tout faire pour donner à sa fille une chance de vivre, comme il dit maintenant.

Mahmoud a appelé le service d'ambulances d'urgence du Croissant-Rouge juste après sa naissance, mais on lui a répondu qu'ils ne pouvaient pas se rendre à Faqua, l'armée ne les laissant pas passer. Il a alors conduit avec le petit bébé jusqu'à la berme de terre que l'armée avait érigée pour isoler le village de Jénine. Il est sorti de la voiture, sa fille dans les bras. Les soldats de l'autre côté de la barrière ont menacé de lui tirer dessus s'il faisait un pas de plus.

« Vous pouvez me tirer dessus », leur a-t-il dit, « mais j'emmène ma fille à l'hôpital ».

« C’est quoi le problème avec ta fille ? », lui a demandé un soldat.


Une banderole commémorative pour Hanan Khadour près de sa maison, cette semaine. « Nous sommes nés à une époque difficile, dans un endroit qui ne réalise pas un seul de nos rêves », dit son père.

« Elle vient de naître, et elle est sur le point de mourir », a-t-il répondu.

Finalement, Mahmoud a fini par franchir la barrière à pied. Une ambulance du Croissant-Rouge l'attendait et a transporté Hanan à l'hôpital de Jénine, où elle a été placée dans une couveuse, où elle a passé le mois suivant. Mais ce n’était pas la fin de son calvaire. Lorsqu'elle a eu un an et qu'elle a commencé à marcher, une anomalie congénitale a été découverte dans sa hanche et elle a été hospitalisée pendant 21 jours, cette fois à l'hôpital Mukassed de Jérusalem-Est, où l'anomalie a été corrigée. Son père n'a pas été autorisé à être avec elle, l'accès lui étant refusé pour des raisons de sécurité.

C’est ainsi qu’a commencé la courte vie d'Hanan Khadour, qui s'est terminée la semaine dernière.

10/04/2022

GIDEON LEVY
Un jeudi soir rue Dizengoff à Tel Aviv : le dernier acte de Raad Hazem et sa signification

Raad Hazem était né en 1993, le 29 novembre, date anniversaire du vote de la résolution des Nations Unies de 1947 sur la partition de la Palestine mandataire. Il était né au milieu de l'espoir des accords d'Oslo et a grandi dans la catastrophe de l'opération Bouclier défensif. Il avait neuf ans lorsque les chars israéliens ont envahi son camp de réfugiés, détruit son centre et tué 56 de ses habitants. Ce garçon a vu dans les rues des corps qui ne pouvaient pas être enterrés avant le départ de l'armée, des chars qui ont écrasé les maisons et les voitures des résidents dont la vie était misérable et un bulldozer qui a aplati le camp et l'a « transformé en Teddy Stadium » - le terrain de l'équipe de football du Beitar Jérusalem, dont les supporters les plus bruyants sont le groupe La Familia, notoirement anti-arabe - comme s'en est vanté le conducteur de la pelleteuse.


Un de ses oncles montre une photo de Raad Hazem, 28 ans, qui a tué trois personnes à Tel-Aviv jeudi dernier. Photo JAAFAR ASHTIYEH /AFP

 « Raad » signifie tonnerre en arabe. Jeudi soir, il est resté assis sur un banc de la rue Dizengoff à Tel Aviv pendant 20 minutes avant de se lever et de commencer à tirer sur des personnes de son âge qui profitaient de l' happy hour au bar Ilka. Sur la photo qui a été postée plus tard, il a l'air beau ; sur une autre photo, sur laquelle il serre deux fusils, il apparaît enragé et effrayant. Hazem a tué Tomer Morad, un étudiant en génie mécanique ; Eytam Magini, un étudiant en informatique, psychologie et neuroscience ; et Barak Lufan, un ancien athlète olympique et l'entraîneur en chef de l'équipe nationale israélienne de kayak. Tous, comme lui, étaient de jeunes hommes.

Il est difficile d'imaginer un meilleur casting pour cette histoire. Personne ne peut savoir avec certitude ce qui lui passait par la tête, mais on peut supposer qu'Hazem voulait vivre la vie de ses victimes. Il n'en a pas eu la moindre chance. Lui aussi aurait voulu étudier les neurosciences ou l'ingénierie mécanique, ou devenir entraîneur de kayak. Lui aussi aurait voulu une happy hour. Il aurait voulu servir dans l'armée, comme eux, peut-être même dans une unité d'élite dont les membres se vantent. Mais il est né dans une réalité dont il est impossible de s'échapper vers les mondes de ses victimes de Dizengoff. Il ne pouvait même pas se rendre à Dizengoff par la voie directe, emprisonné comme il l'était dans son camp de réfugiés, interdit d'entrée en Israël. Il n'a probablement jamais vu la mer, et certainement pas un kayak. Au lieu de cela, il a vu des soldats envahir son camp presque chaque nuit, maltraiter et humilier ses résidents, et des membres de la génération de ses parents se battre et mourir avec un courage et une détermination devenus emblématiques. Il n'existe aucun endroit aussi militant, armé et courageux que le camp de réfugiés de Jénine.

Le banc sur Dizengoff a été retiré par les forces de sécurité après l'attaque, afin de recueillir des preuves physiques de l'homme qui s'y était assis, alors qu'il était encore inconnu. Mais aucune analyse ADN ne peut raconter son histoire, tout comme un millier de policiers n'ont pas pu le trouver lorsqu'il se trouvait dans la rue adjacente. La police, la police des frontières, le service de sécurité Shin Bet, Sayeret Matkal, Shaldag, Yamam, Yasam, Lotar et toutes les autres forces militaires n'éteindront jamais le feu de cette lutte. Toutes ces organisations, qui s'entraînent pendant des années pour ce moment précis, dont les budgets dépassent ceux des systèmes de santé et d'éducation réunis, ne font pas le poids face à un descendant de réfugiés résolu à l’heure de vérité.

C'était une image en miroir qui aurait pu être tirée d'un film. Des jeunes gens du même pays, assis l'un en face des autres : le soi-disant étranger sur le banc public, tendu et agité, face à des gars d’chez nous dans un bar un jeudi soir. Dans les jours qui ont précédé la terrible nuit, les amis des gars du bar, des soldats et des policiers des frontières, ont tué cinq jeunes dans son camp de réfugiés, et maintenant il se met à les tuer sans discrimination.

Les personnes qui lui font face sont les personnages qu'il aimerait être, avec la vie qu'il aimerait vivre, la liberté et les opportunités qu'il aimerait lui aussi avoir. Il veut faire connaître son existence et dire : Si je n'ai pas cette vie, ces droits, vous qui êtes assis dans le bar en face de moi ne les aurez jamais non plus. C'est toute l'histoire. Par-dessus, on peut construire des piles de renseignements et d'armes, de punitions et de dissuasion, de théories sur la soif de sang et le jugement moral, sur le meurtre et la tuerie, de plans de guerre, d'opérations et de clôtures. En fin de compte, c'est ça l'histoire. Celle-ci et aucune autre. Rien ne peut la battre.

 NdT

Les services de renseignement israéliens ont lancé un ultimatum au père et aux frères de Raad Hazem dimanche après-midi: s'ils ne se rendent pas aux autorités d'occupation, celles-ci attaqueront le camp de Jénine. Les Brigades des martyrs d'Al Aqsa, aile militaire du Fatah ont annoncé qu'elles adoptaient le martyr Raad Hazem et qu'elles venaient de créer le Centre des tempêtes (Markaz ala'sar) pour faire face à l'opération "Vagues déferlantes" annoncée par Israël contre le camp de Jénine.