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03/10/2022

CAITLIN JOHNSTONE
Le discours prétendant que cette guerre a été « non provoquée » empêche la paix

CaitlinJohnstone, 10/02/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Caitlin Johnstone (1974) est une Australienne avec une licence de journalisme qui se définit comme « journaliste voyoute, socialiste bogan [plouc/beauf en argot australien et néo-zélandais], anarcho-psychonaute, poétesse guérillera, préposée à l'utopie ». Mère de deux enfants, elle publie sur divers supports des articles, écrits à partir de conversations avec son mari Tim Foley. @caitoz

Vladimir Poutine a approuvé l'annexion de quatre territoires dans l'est de l'Ukraine, dont l'ajout à la Fédération de Russie attend maintenant l'autorisation des autres branches du gouvernement russe.

Le gouvernement Zelensky a réagi en demandant à rejoindre l'OTAN, et a immédiatement essuyé une rebuffade des responsables usaméricains et de l'OTAN. On ne peut pas avoir de pions sacrificiels essayant de s'élever au-dessus de leur position sur le grand échiquier, après tout.

Mais la guerre par procuration de l'empire contre la Russie se poursuit, et le gouvernement ukrainien a annoncé son intention de chasser la Russie de tous les territoires ukrainiens qu’elle a revendiqués comme étant les siens.

« Pour nos plans, [l'annexion de la Russie] n'a pas d'importance », a déclaré Mykhailo Podolyak, conseiller de Zelensky à Politico, ajoutant que l'Ukraine « protégera notre terre en utilisant toutes nos forces » et « devrait libérer tous ses territoires ».

Selon Zelensky, le plan de reconquête des territoires annexés par la Russie inclura également la Crimée, qui a été annexée en 2014.

Tous ces blablas sur la préparation d'une contre-offensive massive soutenue par l'Occident pour reprendre les territoires annexés à la Russie — dont les rangs sont renforcés par 300 000 réservistes supplémentaires — viennent alors que Poutine suggère que les armes nucléaires peuvent être utilisées pour protéger ce que Moscou considère comme des parties de la Russie. La Russie, comme les USA, est l'un des pays dotés d'armes nucléaires qui n'a pas de politique de non recours en premier aux armes nucléaires.

Donc, nous semblons être sur une trajectoire de collision vers une escalade massive entre deux puissances nucléaires. Plus les choses s'aggravent, plus il est probable qu'une arme nucléaire puisse être utilisée, soit délibérément, soit à la suite d'une mauvaise communication ou d'un dysfonctionnement, comme cela a failli se produire plusieurs fois au cours de la dernière guerre froide. Une fois qu'un nuke est utilisé, les chances augmentent astronomiquement que beaucoup d'autres suivront immédiatement, avec des variables sur ce résultat, y compris l'endroit où il explose et le degré de froideur des têtes pertinentes à ce moment historique particulier.

Il n'est donc pas exagéré de dire que l'espèce humaine a tout intérêt à une désescalade et à une détente immédiates Éviter la guerre nucléaire est l'ordre du jour le plus important du monde, sans exception. C'est l’ordre du jour le plus important qui ait jamais existé dans toute l'histoire.

Mais chaque fois que vous plaidez pour cet ordre du jour extrêmement important dans n'importe quel type de forum public, vous avez un tas d'automates de l'empire au cerveau lavé hurlant contre “l'apaisement” et vous accusant de soutenir un fou monstrueux. Et ils le font parce que c'est ce qu'ils ont été formés à faire.

02/10/2022

GIDEON LEVY
“Nous ne reconnaîtrons pas l'annexion” (de Lougansk, Donetsk, Kherson et Zaporijjia)
Israël ne manque pas d’air

Gideon Levy, Haaretz, 2/10/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'ironie baisse sa tête de honte, l'hypocrisie est embarrassée. Israël leur donne une mauvaise réputation. Le ministère israélien des Affaires étrangères a annoncé vendredi qu' « Israël soutient la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Nous ne reconnaîtrons pas l'annexion des quatre provinces par la Russie ».

Rassemblement et concert pour célébrer l'annexion de quatre régions d'Ukraine occupées par les troupes russes - Lougansk, Donetsk, Kherson et Zaporijjia -sur la Place Rouge à Moscou, vendredi. Photo STRINGER - AFP

Par où commencer ? Par un État occupant qui fait la morale à un autre État occupant ? Par un État annexant qui annonce qu'il ne reconnaîtra pas une autre annexion ? Ou peut-être avec le fossé qui s'est finalement creusé entre les gouvernements de Lapid et de Netanyahou : l'Israël de Benjamin Netanyahou était silencieux, l'Israël de Yair Lapid prêche la morale. L'un est mauvais, l'autre est encore pire.

Les questions se posent d'elles-mêmes : Qu'est-ce qui est le mieux, l'hypocrisie ou dire la vérité honteuse ? Le “je-m'en-foutisme” ou le fait de fermer les yeux sur ce qui se passe autour de soi ? Apparemment, toute action d'Israël concernant la guerre en Ukraine est répréhensible. S'il se tait, son silence est honteux ; s'il parle, son discours est hypocrite. C'est comme ça quand on se balade avec une bosse. Et pourtant, on ne peut pas se taire quand un État annexé prêche la morale à un autre État annexé.

Le déshonneur du silence et de l'inaction a été attribué à la peur de la Russie, mais qu'en est-il de l'hypocrisie ? Quel objectif sert-elle ? Y a-t-il un pays qui avale le pharisaïsme d'Israël - il ne reconnaît pas l'annexion des quatre provinces - à un moment où Israël essaie de persuader les dirigeants mondiaux de reconnaître ses propres annexions et même de les étendre encore et encore, si seulement cela était permis ?

Il n'y a pas de différence fondamentale entre déchirer l'Ukraine en lambeaux et déchirer la Palestine en lambeaux. Déchirer la Palestine est encore moins moral. Les Ukrainiens ont un État, dont des morceaux ont été arrachés ; les Palestiniens n'ont pas d'État, et le fait d'arracher les restes de leur terre signifie qu'ils n'auront jamais d'État. Un Premier ministre qui soutient cela, dans ses actions ou ses omissions, ne peut pas faire la morale à un autre pays. Il serait préférable qu'il se taise, par honte.

Il est étonnant de voir que pas un seul muscle ne tressaille sur le visage des décideurs et des citoyens ordinaires d'Israël lorsqu'ils parlent de l'occupation russe. Comme c'est moralisateur : l'occupation russe est si cruelle et si brutale, si laide ; elle viole le droit international et les résolutions de la communauté internationale. Et les soldats russes ? Avez-vous vu à quel point ils sont cruels ? Ils tuent des enfants et bombardent des maisons. Il y a tellement de victimes innocentes en Ukraine qu'on pourrait en pleurer. Et l'occupation israélienne ? Est-elle plus belle ? Plus légale ? N'est-elle pas violente et brutale ? N'a-t-elle pas tué des milliers d'innocents, dont des centaines d'enfants ? L'occupation israélienne est simplement plus ancienne et plus enracinée. Elle est permanente, et vraisemblablement éternelle.

Comment Lapid peut-il s'étonner que son homologue britannique, le Premier ministre Liz Truss, lui marmonne à l'oreille quelque chose à propos du transfert de l'ambassade de son pays à Jérusalem, une étape qui est absolument une reconnaissance de l'annexion, et dans le même souffle déclare que son gouvernement ne reconnaît pas l'annexion russe ? Comment Israël peut-il s'opposer à la réouverture du consulat usaméricain à Jérusalem-Est, une mesure manifestement anti-annexion, et ne pas reconnaître l'annexion russe ? Dans quel monde Israël peut-il même parler sans aucune honte d'autres occupations et annexions ?

Israël est quelque chose de différent. Il est toujours exceptionnel. Il est toujours autorisé à faire ce qui est interdit aux autres, y compris à la Russie. Cette terre appartient aux Juifs, uniquement à eux, pour les mêmes raisons et explications que l'Ukraine est la terre des Russes. Les Ukrainiens et les Palestiniens ne sont pas des peuples, après tout, et ils n'ont évidemment pas de droits nationaux comme les Juifs en Terre d'Israël. Nous sommes frères, Israéliens et Russes : Nous et eux sommes des conquérants effrénés.

Si la Russie continue sur sa lancée, Israël devra se joindre aux sanctions internationales auxquelles il a échappé jusqu'à présent. Ce sera le pompon : Boycott, désinvestissement et sanctions israéliens contre la Russie, beaucoup moins morales que le BDS original. Cela ne l'empêchera pas de crier que le BDS est antisémite et cherche à détruire Israël. Les sanctions sont donc appropriées, tant qu'elles sont imposées à l'Iran et à la Russie, et non à Israël. Sauvez-nous !

    

28/09/2022

JOHN PILGER
En Ukraine, les USA sont en train de nous entraîner dans une guerre contre la Russie
Un article de 2014 plus actuel que jamais

John Pilger, The Guardian, 13/5/2014

Pourquoi tolérons-nous la menace d’une nouvelle guerre mondiale qui se mènerait en notre nom ? Pourquoi tolérons-nous les mensonges qui justifient ce risque ? L’ampleur de notre endoctrinement, comme l’a écrit Harold Pinter, est « un tour d’hypnose brillant, spirituel même et couronné de succès », comme si la vérité « ne s’était jamais produite, alors même qu’elle se produisait ».


Un militant pro-russe avec une douille d'obus et un paquet-repas de fabrication usaméricaine tombés d'un véhicule blindé de l'armée ukrainienne lors de l'attaque d'un barrage routier le 3 mai 2014 à Andreïevka, dans l'oblast de Zaporijjia, en Ukraine. Photo : Scott Olson/Getty

Chaque année l’historien usaméricain William Blum publie son “résumé actualisé du bilan de la politique étrangère US” qui montre que, depuis 1945, les USA ont tenté de renversé plus de 50 gouvernements, la plupart démocratiquement élus , ont pratiqué une ingérence grossière dans les élections de 30 pays, bombardé la population civile de 30 pays, utilisé des armes chimiques et biologiques  et tenté d’assassiner des dirigeants étrangers.

Dans bien des cas la Grande-Bretagne joué le rôle de collabo. Le degré de souffrance humaine, pour ne pas parler de la criminalité, n’est jamais reconnu en Occident, malgré la soi-disant présence des technologies de communication les plus avancées, et des journalistes les plus libres du monde. Que les victimes les plus nombreuses du terrorisme – de “notre” terrorisme, soient des musulmans, ça, on ne peut pas le dire. Que le djihadisme extrémiste, à l’origine du 11 septembre, fut créé comme arme de la politique étrangère britannique (Opération Cyclone en Afghanistan) est occulté. En avril le département d’État usaméricain a noté que, à la suite de la campagne de l’OTAN de 2011, « la Libye est devenue un sanctuaire pour les terroristes ».

Le nom de “notre” ennemi a évolué au fil des années, du communisme à l’islamisme, mais il s’agit en général de n’importe quelle société indépendante du pouvoir de l’Occident et occupant des territoires stratégiques ou riches en ressources. Les leaders de ces pays gênanes sont généralement violemment mis à l’écart, comme les démocrates Muhammad Mossadegh en Iran et Salvador Allende au Chili, ou bien ils sont assassinés comme Patrice Lumumba au Congo. Ils font tous l’objet d’une campagne médiatique de caricature et de diabolisation – pensez à Fidel Castro, Hugo Chavez, et maintenant Vladimir Poutine.

Le rôle de Washington en Ukraine n’est différent que par ce qu’il implique pour nous tous. Pour la première fois depuis l’ère Reagan, les USA menacent d’entraîner le monde dans une guerre. Avec l’Europe de l’est et les Balkans devenus des bases militaires de l’OTAN, le dernier « état-tampon » frontalier de la Russie, est dévasté. Nous, les Occidentaux, soutenons des néo-nazis dans un pays ou les nazis ukrainiens nazis avaient soutenu Hitler. Après avoir orchestré le coup d’État de février contre le gouvernement démocratiquement élu à Kiev, Washington a échoué dans sa tentative de récupérer la base navale libre de glace, historiquement et légitimement russe de Crimée. Les Russes se sont défendus, comme ils l’ont toujours fait contre chaque invasion occidentale depuis presque un siècle.

Mais l’encerclement militaire par l’OTAN s’est accéléré, en même temps que des attaques orchestrées par les USA contre les Russes ethniques d’Ukraine. Si Poutine peut être poussé à aller les aider, son rôle prédéfini de “paria” justifiera une guerre de guérilla sous la houlette de l’OTAN susceptible de se propager à l’intérieur de la Russie elle-même.

Au lieu de cela, Poutine a a déconcerté le parti de la guerre en cherchant un terrain d’entente avec Washington et l’UE, en retirant ses troupes de la frontière ukrainienne et en incitant les Russes ethniques d’Ukraine orientale à abandonner le référendum provocateur du week-end. Ces russophones bilingues – un tiers de la population de l’Ukraine – ont longtemps souhaité l’avènement d’une fédération qui reflète la diversité ethnique du pays et qui soit à la fois autonome et indépendante vis-à-vis de Moscou. La plupart ne sont ni des « séparatistes » ni « des rebelles » mais simplement des citoyens souhaitant vivre en sécurité dans leur pays.

Comme les ruines de l’Irak et de l’Afghanistan, l’Ukraine a été transformée en un parc d’attractions de la CIA – dirigé par le directeur de la CIA John Brennan à Kiev, avec des “unités spéciales” de la CIA et du FBI qui mettent en place une “structure de sécurité” afin de superviser les attaques sauvages contre ceux qui se sont opposés au coup d’État de février. Regardez les vidéos, lisez les témoignages oculaires du massacre d’Odessa. Des voyous fascistes amenés en bus ont brulé le siège central des syndicats, tuant 41 personnes bloquées à l’intérieur. Regardez les policiers présents les laissant agir. Un médecin a décrit sa tentative d’aller aider les gens, « mais j’ai étais stoppé par des nazis pro-ukrainiens. L’un deux m’a violemment poussé, en me promettant que bientôt ce serait mon tour à moi et aux autres Juifs d’Odessa… Je me demande pourquoi le monde entier reste silencieux. »

Les Ukrainiens russophones se battent pour leur survie. Quand Poutine a annoncé le retrait des troupes russes de la frontière, le secrétaire à la défense de la junte, à Kiev – un des membres fondateurs du parti fasciste « Svoboda », a déclaré que les attaques contre « les insurgés » allaient continuer. Dans un style orwellien, la propagande occidentale a rejeté la faute sur Moscou « qui orchestre le conflit et la provocation », selon William Hague, le secrétaire britannique aux Affaires étrangères. Son cynisme n’a d’égales que les grotesques félicitations d’Obama à la junte pour sa « retenue remarquable » à la suite du massacre d’Odessa. Illégale et fasciste, la junte est décrite par Obama comme « légalement élue ». Ce qui compte ce n’est pas la vérité, a dit un jour Henry Kissinger, mais “ce qui est perçu comme vrai”.

Dans les médias usaméricains les atrocités d’Odessa ont été minimisées : une affaire « louche » et une « tragédie » dans laquelle des « nationalistes » (néo-nazis) ont attaqué des « séparatistes » (des personnes en train de collecter des signatures pour un référendum sur une Ukraine fédérale). Le Wall Street Journal de Rupert Murdoch a blâmé les victimes – « Un incendie meurtrier en Ukraine probablement allumé par les rebelles, selon le gouvernement ». La propagande en Allemagne est digne de la guerre froide, avec la Frankfurter Allgemeine Zeitung mettant en garde ses lecteurs contre la Russie et sa “guerre non déclarée”. Pour les Allemands, le fait que Poutine soit le seul dirigeant à condamner la montée du fascisme au 21ème siècle relève d’ une ironie sournoise.

Un poncif populaire veut que “le monde ait changé” à la suite du 11 septembre. Mais qu’est ce qui a changé ? Selon le fameux lanceur d’alerte Daniel Ellsberg, un coup d’État silencieux a eu lieu à Washington et un militarisme rampant est maintenant aux commandes. Le Pentagone dirige en ce moment des « opérations spéciales » – des guerres secrètes – dans 124 pays. Aux USA, une montée de la pauvreté et une hémorragie de la liberté sont les corollaires historiques d’un état de guerre perpétuel. Ajoutez à cela le risque de guerre nucléaire, et une question s’impose : pourquoi est-ce qu’on tolère ça ?

 

 

09/09/2022

SERGIO RODRIGUEZ GELFENSTEIN
Ukraine : une guerre en minijupes ?

 Sergio Rodríguez Gelfenstein, 8/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice,
Tlaxcala

Ce n’est pas suffisamment connu, mais il y a peut-être peu de scientifiques du social qui aient théorisé autant et aussi bien sur la guerre que Vladimir I. Lénine. Étudiant la Première Guerre mondiale, il a écrit : « Le prolétariat lutte et luttera toujours sans relâche contre la guerre, mais sans oublier un seul instant que les guerres ne pourront disparaître que lorsque la division de la société en classes aura complètement disparu ». Le leader soviétique a également enseigné que : « Dans la guerre, c'est celui qui a le plus de réserves, le plus de sources de force, le plus de soutien parmi le peuple qui gagne ».

Manifeste socialiste de Zimmerwald contre la guerre, septembre 1915 : « la guerre qui a provoqué tout ce chaos est le produit de l'impérialisme, des efforts des classes capitalistes de chaque nation pour satisfaire leur appétit d'exploitation du travail humain et des trésors naturels de la planète... ils enterrent, sous des montagnes de décombres, les libertés de leurs propres peuples, en même temps que l'indépendance des autres nations. »

De même, l'un des plus brillants stratèges militaires contemporains, le général vietnamien Vo Nguyen Giap, a souligné le fait que les victoires au combat étaient étroitement liées aux « activités de production, de communication, de transport, de culture, de santé et autres ». Ainsi, le général Giap a considéré que « la victoire multilatérale [...] est le résultat de la lutte héroïque de tous les compatriotes de toutes les branches, services et régions qui ont consacré leurs efforts prodigieux, défié les bombes et les balles et surmonté d'innombrables difficultés ».

Il est donc nécessaire de comprendre que le phénomène de la guerre est très complexe, notamment parce que le facteur subjectif joue un rôle décisif pour forger des victoires en cas d'absence ou d'insuffisance des éléments matériels qui en constituent l'aspect objectif.

À l'époque moderne, bien que les instruments technologiques jouent un rôle de plus en plus important, l'outil principal et concluant reste la composante humaine qui participe au conflit. Quels que soient les développements technologiques, l'objectif de la guerre reste l'occupation d'un territoire, ce qui n'est possible que lorsque les soldats d'une armée et les officiers qui les commandent prennent le contrôle effectif de l'espace géographique.

Seuls ceux qui ont participé à une guerre connaissent la barbarie qu'elle implique. Dans la guerre, le meilleur et le pire de l'être humain se déchaînent, le meilleur parce que la décision de donner sa vie pour une chose à laquelle on croit dépasse toute analyse de la subjectivité qui pourrait motiver une telle action. Cela ne s'applique certainement pas aux mercenaires et aux tueurs à gages qui ne se battent que pour l'argent et les émoluments qu'ils peuvent obtenir. Mais la guerre libère aussi le pire de la condition humaine, à savoir le besoin de tuer pour survivre.

Il est bien connu que ce qui sépare un politicien ordinaire d'un homme d'État, c'est essentiellement sa capacité à gérer avec succès les éléments de défense et de sécurité, en premier lieu, à être capable de diriger les forces armées ; il est également fondamental de posséder le génie et la compétence pour mener la politique étrangère et les relations internationales. Tout le monde peut faire le reste, surtout s'il est bien conseillé. J'ai eu la chance de rencontrer le commandant en chef Fidel Castro, le plus grand génie militaire du XXe siècle en Amérique latine, et je sais de quoi je parle.

Je veux ici parler de la conduite de la guerre en Ukraine et sur l'élément décisif de la direction et du commandement stratégiques dans le conflit, qui ne se joue pas seulement sur le terrain de la guerre. D'une part, le président russe Vladimir Poutine a montré des signes clairs de sa capacité à gérer la guerre « comme une continuation de la politique par d'autres moyens ».


On ne peut pas en dire autant de ceux qui gèrent la guerre depuis l'autre côté. Lorsque le chef de la “diplomatie” européenne, Joseph Borrell, affirme que la fin du conflit interviendra sur le plan militaire, puis, plus récemment, assure que « la Russie a déjà perdu la guerre et est sur la défensive contre Kiev" » alors que la Russie a déjà conquis 27,2 % du territoire ukrainien - où, soit dit en passant, dans une bonne partie de celui-ci, la vie évolue vers la normalité sous le contrôle de la Russie - nous nous rendons compte que nous sommes confrontés à des niveaux très dangereux d'ignorance et de stupidité. Surtout, parce que cette vision des faits conduit à des décisions profondément erronées qui aboutissent au sacrifice inutile de milliers de soldats pour des intérêts politiques qui ne sont même pas liés à la rhétorique et à l'attirail traditionnels de l'Occident.

Lorsque l'on regarde la carte des opérations militaires, la récente “contre-offensive” ukrainienne tant vantée dans le sud, il est difficile de croire qu'une telle action a été planifiée par des militaires professionnels : une pénétration dans un secteur de défense russe, laissant les flancs ouverts et avançant en profondeur jusqu'à ce qu'il devienne impossible pour la logistique de remplir sa mission d'assurer les fournitures de combat nécessaires au succès, présageait un désastre... et ce fut le cas : 152 chars, 151 véhicules de combat d'infanterie, 110 véhicules blindés de combat, 56 camions blindés, 17 véhicules spéciaux, 11 avions de chasse de divers types et 3 hélicoptères détruits, et pire encore, 3100 soldats anéantis entre le 29 août et le 6 septembre, voilà le bilan de cette folie, motivée uniquement par la nécessité de montrer des résultats pour justifier l'arrivée et l'augmentation de l'aide occidentale, même s'il est évident que c'est une cause perdue. Il convient de noter que les médias occidentaux se sont massivement précipités pour intituler ce désastre «  Victoire épique des forces armées ukrainiennes », trompant leurs lecteurs en toute impunité.

Pendant ce temps, l'armée russe continue de concentrer ses efforts sur la reprise du contrôle de l'ensemble du territoire de Donetsk, en conservant les régions libérées des provinces de Kherson, Kharkov, Zaporojié et Nikolaïev. Au même moment, le président Poutine, le ministre de la Défense, le général Shoigu, et le chef d'état- major général des forces armées russes, le général Gerassimov, se sont rendus dans l'Extrême-Orient du pays pour inspecter sur place les manœuvres militaires Vostok 2022 qui se déroulent sur sept champs de tir et dans les mers du Japon et d'Okhotsk, et auxquelles participent quelque 50 000 soldats, plus de 5 000 unités d’armement lourd, 140 avions et 60 navires de Russie ainsi que d'Algérie, d'Arménie, d'Azerbaïdjan, de Biélorussie, de Birmanie, de Chine, d'Inde, du Kazakhstan, du Kirghizstan, du Laos, de Mongolie, du Nicaragua, de Syrie et du Tadjikistan.

Dans le cas de l'“offensive” ukrainienne dans le sud du pays, les dirigeants politiques (Zelensky, Biden, Johnson, Scholz, Macron, Borrell, Stoltenberg & Co), qui ne connaissent rien à la guerre, ont imposé aux forces armées le caractère obligatoire d'une opération militaire qui, dès le départ, n'avait aucune chance d'aboutir et qui a coûté la vie à 3100 jeunes Ukrainiens qui ont cru qu'ils étaient en train de se sacrifier pour la Patrie, alors qu'en réalité ils l'ont fait pour les intérêts commerciaux des grandes transnationales usaméricaines de l'énergie et de l'armement qui tirent d'énormes profits de cette guerre.

La vérité est donnée par des avis d'experts, dont aucun n'est l'ami de Poutine ou de la Russie. Lisons ce que certains d'entre eux disent. Au tout début de la guerre, dans une longue interview, Jacques Baud, colonel de l'armée suisse, expert en renseignement militaire et en service à l'OTAN et à l'ONU, à qui l'on demandait comment il évaluait l'offensive russe, répondait : « Attaquer un autre État est contraire aux principes du droit international. Mais il faut aussi tenir compte du contexte dans lequel s'inscrit une telle décision. Tout d'abord, il convient de préciser que Poutine n'est ni fou ni déconnecté de la réalité. C'est une personne méthodique et systématique, c'est-à-dire très russe. Je crois qu'il était conscient des conséquences de son opération en Ukraine. Il a estimé, manifestement à juste titre, que, qu'il s'agisse d'une "petite" opération pour protéger la population du Donbass ou d'une opération "massive" en faveur de la population du Donbass et des intérêts nationaux de la Russie, les conséquences seraient les mêmes. Il a donc opté pour la solution maximale ».

Dans un article paru mardi dans le Wall Street Journal, le général de brigade Mark Kimmitt, de l'armée usaméricaine, a affirmé : « Entamer un règlement diplomatique serait désagréable et pourrait sembler défaitiste, mais il y a peu de chances de sortir de l'impasse actuelle, il est donc peut-être préférable d'entamer les négociations maintenant plutôt que plus tard ». Kimmitt a rappelé que l'OTAN ne peut plus faire face à la nécessité de maintenir le rythme des livraisons d'armes à l'Ukraine car les forces ukrainiennes les perdent trop souvent sur le champ de bataille. Le général usaméricain a écrit qu'il pensait que la réduction des fournitures occidentales à Kiev aurait un effet "désastreux" sur l'armée ukrainienne.

Enfin, le général à la retraite et ancien secrétaire adjoint du Conseil de sécurité nationale et de défense de l'Ukraine, Serhiy Krivonos, a exprimé sa consternation face aux pertes “monstrueuses” de l'armée ukrainienne, qui, selon lui, se chiffrent par « dizaines de milliers, et pourraient même atteindre des centaines de milliers ». S'interrogeant sur les causes de cette situation et sur le refus des autorités et des médias occidentaux d'en parler, Krivonos écrit : « Les histoires selon lesquelles ce n'est pas le moment d'en parler ne sont rien d'autre qu'une tentative de brouiller la mémoire, d'effacer l'histoire. Mais comment pouvez-vous effacer le sang des morts, qui se comptent déjà par centaines de milliers ? Qui répondra de cela ? »

Pendant ce temps, le Washington Post, dans un article publié mardi 6 septembre, a été contraint d'affirmer que les militaires ukrainiens qui ont pris part à la tentative de contre-offensive dans la région de Kherson, dans le sud du pays, « se plaignent de lourdes pertes, du manque de munitions et du retard technologique par rapport à l'armée russe ». Le quotidien de la capitale impériale cite un soldat qui a déclaré que presque tous ses camarades, au nombre de 120, « ont été blessés, dont beaucoup grièvement ». Il a imputé cette situation à la nécessité d'économiser les munitions, mais a également écrit que lorsqu'ils ont tiré, « il était difficile d'atteindre les cibles en raison des problèmes liés aux systèmes de guidage des vieilles armes ». Le Post conclut que « de nombreux combattants des forces armées ukrainiennes doutent que la tentative en vaille la peine [face à] de telles pertes ».


Quelques jours avant que cela ne se produise sur le champ de bataille, Zelensky et sa femme ont posé pour le magazine Vogue, dont le dernier titre était : « Toutes les tendances minijupe pour l'automne et l'hiver 2022 ». Traiter la guerre comme s'il s'agissait d'un événement banal, de type showbiz, et supposer que la mort de tant de jeunes gens restera impunie en raison de l'irresponsabilité politique des dirigeants européens, cela fera partie des prochaines chroniques à écrire lorsque cette histoire sera terminée. Mais je ne pense pas que ce seront des minijupes que les soldats ukrainiens porteront au combat à l'approche du redoutable hiver boréal.


 

20/06/2022

GUIDO VIALE
La guerre en Ukraine : comme à Verdun
Bagatelles pour un massacre

Guido Viale, 14/6/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Guido Viale (Tokyo, 1943) est un sociologue et écrivain italien. Il a été un des leaders du mouvement étudiant 1968 à Turin et a dirigé le groupe Lotta continua. En 2014, il a été parmi les initiateurs de la liste L’Autre Europe avec Tsipras aux élections européennes. Auteur de nombreux livres, notamment sur les questions d’environnement.

Nous avons 100, voire 200 « pertes » par jour, dit Zelensky. Selon le général Fabio Mini, même 300. Les pertes sont des soldats « tombés », c'est-à-dire tués, morts, pour être remplacés chaque jour par 100 à 300 nouvelles « unité »" destinées à subir le même sort. Jour après jour. Tout aussi nombreux, sinon plus, sont les « tombés » de l'armée russe, de l'autre côté du front.

Puis il y a les blessés, dont beaucoup sont amputés ou destinés à l'être ; tous, cependant, sont marqués par un traumatisme difficile à guérir. Et puis encore, les morts parmi la population civile, dans une guerre où l'on abat des immeubles d'habitation avec leurs habitants à l'intérieur. Aujourd'hui, c'est l'armée russe qui s'en charge (uniquement ?), où qu'elle arrive, comme hier c'était l'armée et les milices ukrainiennes dans le Donbass.

Il y a peu - et de moins en moins - de perspectives de résolution du conflit dans un avenir proche ; plus probable est une impasse guerrière qui prolonge indéfiniment le bilan quotidien de ce massacre. Car des deux côtés du front, on vise la « victoire », en sachant de moins en moins bien en quoi elle consiste.

Rassemblement de soutien à l’Ukraine au pied du monument à la Victoire, en présence du maire et de l’évêque de Verdun.  Photo Frédéric MERCENIER/L’Est Républicain

Les armes d'il y a cinquante ans ou plus ont presque toutes été consommées, ainsi que les soldats qui les manœuvraient ; il faut maintenant que les « remplacements » arrivent, tant en moyens qu'en hommes. Des hommes de moins en moins aptes au combat, et peut-être même moins prêts à se battre. Des moyens, c'est-à-dire des armes, autant que l'industrie russe sera capable d'en produire et autant que les principaux États membres de l'OTAN, des USA et de l'UE seront prêts à en abandonner, avant d'entrer directement dans le conflit.

Mais même si les armes sont modernes et que les combattants sont habillés comme des « robocops », cette façon de combattre est vieille d'un siècle. L'image qui vient immédiatement à l'esprit est celle de la bataille de Verdun entre la France et l'Allemagne pendant la "Grande Guerre", qui a duré 10 mois dans une impasse et a coûté 140 000 morts et 300 000 blessés et "disparus" - c'est-à-dire également morts - à l'Allemagne et 160 000 morts et 380 000 blessés et "disparus" à la France.

Un massacre. Un siècle plus tard, on a longtemps dit, au point de l'inscrire dans les manuels d'histoire, que les grands États des deux pays qui ont envoyé "leurs" troupes à l'assaut, c'est-à- dire se faire tuer par vagues successives - pour être ensuite "remplacées" par des troupes "fraîches", "vouées", c'est-à-dire condamnées, au même sort - étaient des criminels ; et que cette guerre et cette façon de combattre avaient été un massacre inutile et insensé.

Et si vous dites cela des généraux et des chefs de gouvernement de l'époque, pourquoi ne pouvez-vous pas le dire de ceux d'aujourd'hui ? Certes, aujourd'hui, il y a un agresseur et un agressé, alors que des années plus tard, il est difficile de dire qui était l'agresseur et qui était l'agressé dans la Grande Guerre. L'agresseur aurait été, plutôt que le premier à la déclarer, celui qui avait perdu cette guerre. L'agressé, donc, qui l'avait gagnée. Puis, en faisant un retour historique, on ne peut s'empêcher de reconnaître qu'en pleine Belle époque, les germes du massacre qui allait changer l'histoire du monde couvaient déjà depuis un certain temps des deux côtés.

Et pourquoi ne peut-on pas dire la même chose de cette guerre ? Nombreux sont ceux qui, en dépit de l'ostracisme dont ils font l'objet, affirment que les conditions préalables au déclenchement de l'agression de Poutine contre l'Ukraine avaient été établies depuis longtemps par l'élargissement de l'OTAN (en fait, également à l'Ukraine, bien qu'officieusement, et au milieu d'une agression contre les populations du Donbass). Des prémisses pas très différentes de la façon dont le traité de Versailles avait d'abord favorisé l'ascension d'Hitler, puis déclenché sa guerre d'agression, en comptant que seule l’Union soviétique en payerait le prix.

Aujourd'hui encore, certains, de l'autre côté de l'Atlantique, comptent sur l'Union européenne pour payer le prix de la guerre en Ukraine, en plus des soldats et des civils de ce pays, bien sûr.

Aujourd'hui, les deux parties (mais lesquelles ?) visent la "victoire", ce qui exclut toute possibilité de médiation et de compromis : « ce serait une capitulation », disent-elles. Il n'y a donc que des armes à envoyer. Ceci est principalement dit par ceux qui ne sont pas appelés à se battre. Bien sûr, aujourd'hui, même les soldats et les civils ukrainiens sous le feu russe le disent, ou nous l'entendons dans les reportages télévisés.

Mais comme il y a cent ans, aujourd'hui aussi, ce climat de "mai radieux" qui avait accompagné l'entrée de l'Italie dans la Grande Guerre est destiné à se dégonfler alors que l'absurdité de ce mot d'ordre - "jusqu'à la victoire" - et la multiplication des deuils commencent à percer l'écorce de la fausse fierté qui a rendu possible la mobilisation en Ukraine. Et les premiers signes de cette évolution sont déjà visibles.

Mais plus le temps passe, plus les conditions d'un compromis s'amenuisent : ce qui était encore possible - et relativement simple - avant l'agression russe ne l'est plus aujourd'hui ; ni Zelensky ni Poutine ne peuvent proposer de médiation. Il est moins logique de proposer une médiation tout en continuant à envoyer des armes. Draghi et Macron devraient au moins comprendre cela.

C'est pourquoi, outre les sacro-saintes caravanes de la paix et les initiatives d'interposition prévues, les chances d'un armistice passent aujourd'hui par la lutte incessante contre l'envoi d'armes à l’ Ukraine : tant que Zelensky en reçoit ou a des raisons d'en attendre davantage, il est de plus en plus difficile d'envisager une solution pour mettre fin au massacre.

Mais ce n'est pas lui qui doit se retirer. C'est l'OTAN. La fin de ce conflit passe par là : par le retrait des installations militaires des deux véritables bélligérants. C’est dire à quel point c'est encore loin.

15/04/2022

L’art de réécrire l’histoire
Chroniques d’un pêcheur de perles

 FG, BastaYekfi! 15/4/2022

Depuis quelques semaines, je lis, je regarde et j’écoute ce qui se dit dans le monde virtuel suite à « l’attaque défensive/préventive » de la Russie contre l’est de l’Ukraine. J’aimerais répondre à quelques perles pêchées au passage.

1

«(…) l'Ukraine moderne a été entièrement créée par la Russie ou, pour être plus précis, par la Russie bolchevique et communiste. Ce processus a commencé pratiquement tout de suite après la révolution de 1917, et Lénine et ses associés l'ont fait d'une manière extrêmement dure pour la Russie - en séparant, en coupant ce qui est historiquement une terre russe. Personne n'a demandé aux millions de personnes qui vivaient là ce qu'elles pensaient.» (Vladimir Vladimirovitch Poutine, 21/2/2022, intégralité du discours ici)

Mince alors ! Moi qui croyais que le Varègue Oleg le Sage, après avoir chassé les Khazars, avait fondé la Rous’ de Kiev au IXème siècle ! Que celle-ci, au XIème siècle, était le plus vaste État d’Europe. Que, après avoir passé quelques siècles sous la férule galicienne puis polono-lituanienne et turco-tatare, l’Ukraine est proclamée par les Cosaques avant de passer sous la domination russe, ottomane et austro-hongroise. Et enfin, qu’à partir du milieu du XIXème siècle, là comme ailleurs en Europe, de l’Irlande à la Serbie, une revendication nationale ukrainienne se développe, aussi bien chez les intellectuels « russifiés » que chez les paysans. Dans le chaos qui suit la révolution de 1917 et la fin de la guerre, les républiques populaires fleurissent en Ukraine. À la Conférence de la paix de Paris (1919), Polonais et Roumains sont admis à faire valoir leurs revendications, mais pas les Ukrainiens. Une guerre de tous contre tous éclate, entre les Blancs (tsaristes), les Rouges (bolcheviks) et les Noirs (anarchistes de Makhno). Les Rouges l’emportent et l’Ukraine désormais socialiste intègre l’URSS, créée en 1922. Sous Staline est pratiquée la politique dite d’ « indigénisation », consistant donner plus de place aux Ukrainiens « ethniques », à leur langue et à leur culture, qui connaît un coup d’arrêt dès 1929, avec une première vague de procès fabriqués contre des intellectuels « nationalistes » ukrainiens. L’Ukraine a connu trois famines : en 1922, en 1937 et en 1947. Rien de tel pour encourager les sentiments nationalistes dans un sens anti-russe (et accessoirement anti-polonais), sans oublier bien sûr le Goulag.

Bref, pour répondre à Poutine, si l’Ukraine a longtemps appartenu à la Russie impériale puis soviétique, elle a autant de raisons historiques de faire valoir ses droits nationaux que l’Irlande, l’Écosse, La Catalogne, le Groenland ou le Québec. Que ses dirigeants croient que ces droits seraient assurés en rejoignant l’Union Européenne peut à juste titre paraître délirant mais peut se comprendre [comprendre ne veut pas dire approuver]. En revanche, ils semblent avoir définitivement compris qu’une adhésion à l’OTAN signifierait la mort pure et simple de l’Ukraine. Concluons avec cette sentence d’Ernest Renan : « L’homme n’est esclave ni de sa race ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagne. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation (…) l’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours ».

 

2

« Mai 68 était une révolution de couleur déclenchée par les USA pour éliminer de Gaulle, favorable à une « Europe de l’Atlantique à l’Oural » » (Majed Nehmé, ancien rédacteur en chef du défunt Afrique-Asie)

Mince alors ! Moi qui étais persuadé avoir été un agent chinois, voilà que je découvre qu’en fait, je n’avais été qu’un agent yankee. On savait déjà que la Révolution de 89 était un coup des Juifs et des Francs-Maçons, que la Commune de Paris était un coup des Prussiens, que la Révolution tunisienne de 2010-2011 un coup de l’OTAN/CIA pour se débarrasser de Ben Ali qui refusait l’installation d’une base yankee-otanesque sur son territoire, que la révolution syrienne de 2011 n’était qu’un complot pour faire passer un gazoduc du Qatar à la Turquie. Mais ça, sur 68, c’est nouveau. Le camarade Nehmé aurait pu préciser « une révolution orange avec l’appui de la Mafia sicilienne ». En effet, quand nous occupions la Sorbonne, des mystérieux « Cubains » nous avaient contactés et donné rendez-vous dans un café de la rue Soufflot. Là, ils nous proposèrent de nous vendre des armes. Ils avaient un drôle d’accent pour des Cubains. En fait, c’étaient de vulgaires malfrats siciliens qui cherchaient à fourguer des flingues contre espèces sonnantes et trébuchantes. On a bien rigolé et on leur a dit « Ciao, belli ». C’est peut-être pour ça que « notre révolution de couleur » a échoué.