15/04/2022

L’art de réécrire l’histoire
Chroniques d’un pêcheur de perles

 FG, BastaYekfi! 15/4/2022

Depuis quelques semaines, je lis, je regarde et j’écoute ce qui se dit dans le monde virtuel suite à « l’attaque défensive/préventive » de la Russie contre l’est de l’Ukraine. J’aimerais répondre à quelques perles pêchées au passage.

1

«(…) l'Ukraine moderne a été entièrement créée par la Russie ou, pour être plus précis, par la Russie bolchevique et communiste. Ce processus a commencé pratiquement tout de suite après la révolution de 1917, et Lénine et ses associés l'ont fait d'une manière extrêmement dure pour la Russie - en séparant, en coupant ce qui est historiquement une terre russe. Personne n'a demandé aux millions de personnes qui vivaient là ce qu'elles pensaient.» (Vladimir Vladimirovitch Poutine, 21/2/2022, intégralité du discours ici)

Mince alors ! Moi qui croyais que le Varègue Oleg le Sage, après avoir chassé les Khazars, avait fondé la Rous’ de Kiev au IXème siècle ! Que celle-ci, au XIème siècle, était le plus vaste État d’Europe. Que, après avoir passé quelques siècles sous la férule galicienne puis polono-lituanienne et turco-tatare, l’Ukraine est proclamée par les Cosaques avant de passer sous la domination russe, ottomane et austro-hongroise. Et enfin, qu’à partir du milieu du XIXème siècle, là comme ailleurs en Europe, de l’Irlande à la Serbie, une revendication nationale ukrainienne se développe, aussi bien chez les intellectuels « russifiés » que chez les paysans. Dans le chaos qui suit la révolution de 1917 et la fin de la guerre, les républiques populaires fleurissent en Ukraine. À la Conférence de la paix de Paris (1919), Polonais et Roumains sont admis à faire valoir leurs revendications, mais pas les Ukrainiens. Une guerre de tous contre tous éclate, entre les Blancs (tsaristes), les Rouges (bolcheviks) et les Noirs (anarchistes de Makhno). Les Rouges l’emportent et l’Ukraine désormais socialiste intègre l’URSS, créée en 1922. Sous Staline est pratiquée la politique dite d’ « indigénisation », consistant donner plus de place aux Ukrainiens « ethniques », à leur langue et à leur culture, qui connaît un coup d’arrêt dès 1929, avec une première vague de procès fabriqués contre des intellectuels « nationalistes » ukrainiens. L’Ukraine a connu trois famines : en 1922, en 1937 et en 1947. Rien de tel pour encourager les sentiments nationalistes dans un sens anti-russe (et accessoirement anti-polonais), sans oublier bien sûr le Goulag.

Bref, pour répondre à Poutine, si l’Ukraine a longtemps appartenu à la Russie impériale puis soviétique, elle a autant de raisons historiques de faire valoir ses droits nationaux que l’Irlande, l’Écosse, La Catalogne, le Groenland ou le Québec. Que ses dirigeants croient que ces droits seraient assurés en rejoignant l’Union Européenne peut à juste titre paraître délirant mais peut se comprendre [comprendre ne veut pas dire approuver]. En revanche, ils semblent avoir définitivement compris qu’une adhésion à l’OTAN signifierait la mort pure et simple de l’Ukraine. Concluons avec cette sentence d’Ernest Renan : « L’homme n’est esclave ni de sa race ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagne. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation (…) l’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours ».

 

2

« Mai 68 était une révolution de couleur déclenchée par les USA pour éliminer de Gaulle, favorable à une « Europe de l’Atlantique à l’Oural » » (Majed Nehmé, ancien rédacteur en chef du défunt Afrique-Asie)

Mince alors ! Moi qui étais persuadé avoir été un agent chinois, voilà que je découvre qu’en fait, je n’avais été qu’un agent yankee. On savait déjà que la Révolution de 89 était un coup des Juifs et des Francs-Maçons, que la Commune de Paris était un coup des Prussiens, que la Révolution tunisienne de 2010-2011 un coup de l’OTAN/CIA pour se débarrasser de Ben Ali qui refusait l’installation d’une base yankee-otanesque sur son territoire, que la révolution syrienne de 2011 n’était qu’un complot pour faire passer un gazoduc du Qatar à la Turquie. Mais ça, sur 68, c’est nouveau. Le camarade Nehmé aurait pu préciser « une révolution orange avec l’appui de la Mafia sicilienne ». En effet, quand nous occupions la Sorbonne, des mystérieux « Cubains » nous avaient contactés et donné rendez-vous dans un café de la rue Soufflot. Là, ils nous proposèrent de nous vendre des armes. Ils avaient un drôle d’accent pour des Cubains. En fait, c’étaient de vulgaires malfrats siciliens qui cherchaient à fourguer des flingues contre espèces sonnantes et trébuchantes. On a bien rigolé et on leur a dit « Ciao, belli ». C’est peut-être pour ça que « notre révolution de couleur » a échoué.

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