Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Abdulkarim Saadi nous attendait à notre lieu de rendez-vous habituel, dans la cour d'une usine de cuir à l'extérieur de Toulkarem, un endroit qui empeste toujours les carcasses de vaches. Saadi est entré dans sa voiture tout agité, la voix étranglée et le menton tremblant, essayant en vain d'étouffer ses larmes. Il était retourné par ce qu'il a vu dans le camp de réfugiés de Jénine. « Vous êtes en train de pousser tout le camp dans les bras des terroristes », a déclaré d'une voix cassée ce vétéran de l'enquête de B'Tselem. Il travaille dans cette région, et a tout vu.
Des soldats israéliens dans le village palestinien de Yabad, vendredi. Photo AFP
C'est arrivé la semaine dernière, quelques jours après l'attentat terroriste de la rue Dizengoff à Tel Aviv, au milieu de la vaste et stupide chasse à l'homme du père de l'assaillant, Raad Hazem. Le père endeuillé, Fathi, a agacé les forces de sécurité par ses fanfaronnades concernant la victoire palestinienne à venir, ce qui les a amenées à le traquer ainsi que ses fils encore en vie.
« Dans votre génération, vous serez témoins de la victoire », a dit le père aux jeunes amis excités de son fils, qui s'étaient rassemblés sous le balcon de sa maison. Le Shin Bet et les FDI n'aiment pas les Palestiniens qui parlent ainsi. Les Palestiniens n'ont le droit que de baisser la tête et de ramper ou de rester silencieux. Nous sommes les seuls à pouvoir menacer et nous vanter.
Nos parents endeuillés, bien sûr, ont le droit de dire tout ce qui leur passe par la tête dans leur chagrin, de s'emporter et d’appeler à la vengeance, mais leurs parents endeuillés ne peuvent même pas être appelés ainsi, de peur qu'un soupçon d'humanité ne s'attache à leur image. De toute évidence, ils ne peuvent pas parler avec le pathos et la fureur du chagrin. En réponse, les soldats ont tiré sur une voiture qu'ils soupçonnaient de transporter le frère de l'attaquant. « Il y a eu des coups, et la chasse continue », a dit le porte-parole de l'armée pour réconforter les Israéliens qui attendaient la mort du père de l'homme. La chasse à l'homme n'a fait que jeter de l'huile sur le feu dans le camp de réfugiés de Jénine. Le père endeuillé n'a pas encore été appréhendé, un véritable échec sécuritaire, mais on peut compter sur le Shin Bet et les FDI pour ne pas le laisser à son chagrin, en utilisant toute la puissance qu'ils peuvent rassembler jusqu'à ce qu'il soit arrêté pour incitation à la violence, ou éventuellement éliminé.
Les deux premières semaines d'avril ont vu 20 morts, trois Israéliens à Dizengoff et 17 Palestiniens en Cisjordanie et à Ashkelon. Tout cela fait suite à la vague d'attentats du mois dernier, au cours desquels 11 Israéliens et 11 Palestiniens ont été tués.
Dans une atmosphère d'attaques terroristes, les dernières contraintes qui retenaient l'armée sont levées. Qui n'ont-ils pas tué ? Le bilan comprend un garçon de 17 ans à Kafr Dan ; un avocat de 34 ans à l'entrée de l'université de Toulkarem ; un garçon de 14 ans à Husan, deux jours après qu'ils ont tué une veuve à moitié aveugle avec six enfants dans le même village. Dix-sept Palestiniens morts en deux semaines, tous considérés comme des terroristes mais dont la plupart [sic] ne méritaient pas la mort.
Les médias israéliens n'en ont parlé que brièvement, voire pas du tout, et toujours avec les apparats de l'information de style propagande dictée par les services de sécurité, dont une partie au moins consiste en mensonges, des mensonges commodes pour les oreilles de tout Israélien. La veuve aveugle essayait de poignarder quelqu'un et, bon sang, comme on n'a trouvé aucun couteau sur elle, pas même une fronde, on a expliqué qu'elle avait peut-être essayé de se suicider. L'avocat qui emmenait son neveu à l'école avait participé à des affrontements ; le garçon mort avait lancé un cocktail Molotov ; même le jeune infirme et atteint d'un cancer qui peut à peine se tenir debout a été arrêté par des soldats, après avoir prétendument lancé des pierres mortelles avec ses bras décharnés, qui peuvent à peine soulever une chaussure. Les Israéliens ont avalé tout ça aveuglément, peut-être avec enthousiasme, puisque tout est permis lorsqu'il s'agit de la vie des Palestiniens.
Chacun de ces décès est synonyme de deuil pour une famille et, dans de nombreux cas, de la disparition de sa dernière source de revenus. Leur bien-aimé a été tué, quelles que soient les circonstances ? Les permis de travail en Israël sont révoqués pendant de nombreuses années, pour parer à une éventuelle vengeance. Une catastrophe ne suffit pas, deux sont préférables.
Comme dans les tortures à l’eau chinoises, toutes les personnes tuées en vain s'égouttent lentement, jusqu'à la prochaine attaque, où il sera à nouveau prouvé que les Palestiniens sont les meurtriers. Chaque jour ou deux, un ou deux nouveaux morts, jusqu'à ce que les Israéliens soient à nouveau les victimes, les seules, avec les yeux du monde tournés vers eux. Dix-sept morts en quinze jours. Un mini-Boutcha sans guerre. Une méga-attaque qui n'est pas qualifiée de terroriste.
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