Giorgio Beretta, Unimondo, 24/4/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
À l'approche du 25 avril, date à laquelle l'Italie célèbre la « Journée de la libération », certains commentateurs ont tenté d'établir un parallèle historiquement insoutenable et politiquement inacceptable entre la résistance italienne et la « résistance ukrainienne ». Une équation délibérément idéologique et instrumentale, mise en place dans le but de discréditer l'Association nationale des partisans italiens (ANPI) et en particulier son président, Gianfranco Pagliarulo, pour avoir exprimé, depuis le début de l'invasion russe en Ukraine, son opposition à l'envoi d'armes aux forces armées ukrainiennes. « Nous pensons - a déclaré Pagliarulo lors de la conférence de presse présentant les initiatives du 25 avril (ici la vidéo) - qu'il est juste d'appeler la lutte ukrainienne une lutte de résistance, comme il est écrit dans la Charte des Nations unies. Mais il est faux d'identifier la résistance ukrainienne à la résistance italienne. Chaque fois qu'un État en attaque un autre, sa résistance doit être soutenue, mais la résistance italienne est apparue dans un contexte totalement différent ». Je suis tout à fait d'accord avec le président de l'ANPI et je m'explique.
L'affiche de l'ANPI pour le 25 avril
La Résistance italienne était contre le nazi-fascisme : celle de l'Ukraine ?
La Résistance italienne se caractérise dès le départ à la fois comme un mouvement de libération de l'occupation nazie et comme une lutte contre le fascisme pour libérer les territoires du gouvernement fasciste autoproclamé de la République sociale italienne. Bien qu'elle ait pris forme au lendemain de l'armistice du 8 septembre 1943, la lutte partisane n'est pas née du néant, mais trouve sa source dans l'opposition au fascisme qui, depuis son accession au pouvoir en 1922, et en particulier après l'assassinat de Giacomo Matteotti en juin 1924, a mis en œuvre la dictature par une répression féroce des opposants politiques, dont beaucoup ont été emprisonnés, contraints à l'exil ou à la clandestinité. La Résistance italienne était donc clairement antifasciste et antinazie, sans aucune ambiguïté ni concession idéologique ou symbolique au nazi-fascisme.
On ne peut pas en dire autant de la « résistance ukrainienne ». Tout d'abord, des partis ayant une matrice nazie claire sont présents au parlement ukrainien depuis des années, comme Svoboda, la formation la plus ancienne, fondée en 1991 alors qu'elle s'appelait le Parti social-nationaliste d'Ukraine, qui a assumé en 2014 des rôles de premier plan au sein du gouvernement et contrôlant les forces armées, la police, la justice et la sécurité nationale. Mais aussi le parti radical d'Oleh Liashko qui était au parlement jusqu'en 2019. Est également présent sur la scène politique Pravyi Sektor (Secteur droit), un groupe dirigé par Dmytro Jaroš, responsable de nombreux actes de violence, dont le massacre du 2 mai 2014 à Odessa , au cours duquel 48 personnes qui s'étaient réfugiées dans la Maison des syndicats ont été tuées. Il y a aussi le tristement célèbre bataillon Azov, groupe paramilitaire d'extrême droite accusé par l'OSCE de meurtre en masse de prisonniers, de dissimulation de cadavres dans des fosses communes et de recours systématique à la torture, qui a été intégré en 2014 à la Garde nationale ukrainienne et transformé en unité militaire régulière et permanente : son commandant, Denis Prokopenko, s'est récemment vu décerner le titre de « héros national de l'Ukraine » par le président Zelensky. C'est précisément le bataillon Azov qui aurait été approvisionné en armes envoyées d'Italie, comme en témoignent certaines photos publiées sur twitter. Comme l'écrit Matteo Zola, « au-delà de l'exploitation criminelle qu'en fait le Kremlin, les mouvements d'extrême droite ont caractérisé la dynamique politique en Ukraine au cours des vingt dernières années » et continuent d'influencer la scène politique et militaire.
La Résistance italienne était spontanée, démocratique et pluraliste : celle de l'Ukraine ?
Le mouvement de la Résistance italienne englobait des groupes et des formations de différents horizons politiques (communistes, membres du Part d’Action, monarchistes, socialistes, démocrates-chrétiens, libéraux, républicains, anarchistes, etc.) et se caractérisait par une rupture nette avec le passé fasciste et comme une étape fondamentale dans la construction de la nouvelle République démocratique, qui allait naître en 1946. Il s'agissait d'un mouvement spontané et démocratique coordonné par le Comité de libération nationale (CLN), qui réunissait en un seul organisme les différents partis de l'antifascisme historique, chacun ayant son propre représentant. Les formations de partisans étaient des groupes armés d'antifascistes composés sur une base spontanée et volontaire qui trouvaient une orientation politique et une coordination militaire dans le Corps des volontaires de la liberté (CVL), qui fut la première structure, reconnue tant par le gouvernement italien que par les Alliés, à coordonner et à unir les forces partisanes : il coordonna avec les commandements alliés l'offensive sur la ligne gothique et l'insurrection nationale qui, au printemps 1945, conduisit à la libération de l'Italie du Nord.
On ne peut pas en dire autant de la « résistance ukrainienne ». La résistance ukrainienne n'est en aucun cas un mouvement spontané et populaire, mais constitue la réponse décidée par le gouvernement ukrainien le 24 février à la suite de l'invasion militaire russe, avec la proclamation de la loi martiale et la conscription obligatoire pour tous les hommes âgés de 18 à 60 ans. Bien que le gouvernement n'ait pas précisé les mesures concrètes, la loi martiale en Ukraine prévoit le contrôle du territoire par les militaires, qui sont les forces de l'ordre. Avec l'imposition de la loi martiale, le gouvernement Zelensky a interdit les activités de onze partis d'opposition représentés au parlement ukrainien et les rumeurs et rapports d'arrestations de militants et de toute personne qui s'oppose au gouvernement actuel se multiplient. En outre, l'objection de conscience n'est pas autorisée en Ukraine - sauf pour des raisons strictement religieuses - et la résistance non violente n'est pas envisagée. Le mouvement non-violent italien, qui est en contact avec les mouvements non-violents ukrainien et russe, a signalé que certains objecteurs de conscience ukrainiens ont dû entrer dans la clandestinité et sont recherchés par l'armée comme déserteurs.
La Résistance italienne était à la fois armée et non armée et non violente : celle de l'Ukraine ?
Les protagonistes de la Résistance italienne étaient certes les partisans armés, mais pas seulement eux. Les partisans n'auraient pu faire grand-chose sans le soutien de la population civile qui, bien que non armée, les a protégés et soutenus au péril de leur vie. Les femmes ont joué un rôle particulièrement important, notamment en tant qu’ « estafettes » chargées de transmettre les messages : parmi elles, Lidia Menapace qui, en tant qu’estafette, a catégoriquement refusé de porter des armes, tout comme Gino Bartali. La résistance armée et la résistance non armée étaient deux aspects différents de l'expérience unique de la Résistance italienne, en contact étroit et pour un seul objectif partagé, la libération du nazifascisme.
Il est donc antihistorique et trompeur de définir - comme l'a fait le président de la République, Sergio Mattarella, ces derniers jours - la Résistance italienne comme « un peuple en armes » pour affirmer son droit à la paix après la guerre menée par le régime fasciste. Comme le documente Ercole Ongaro dans son livre "La résistance non violente 1943-1945", c'est la « distorsion du récit historiographique, sédimentée dans l'imaginaire collectif, qui conduit à identifier la Résistance à la minorité représentée par les partisans armés et éclipse la grande majorité représentée par tous les résistants qui n'ont pas eu recours aux armes », engagés dans la Résistance, mais aussi dans l'aide à trois groupes de personnes que l'occupant nazi voulait capturer et déporter dans les camps : les soldats en service actif le 8 septembre, les Juifs et les anciens prisonniers alliés. En d'autres termes, « tous les partisans étaient des résistants, mais tous les résistants n'étaient pas des partisans ».
Quant à la résistance ukrainienne - qui est toujours en cours - il n'est pas possible d'en faire le bilan. Mais les photos publiées par diverses agences de presse montrent, dès avant l'invasion russe, de jeunes civils armés et les entraînements de type militaire menés depuis des années par certains groupes (voir mon fil twitter ) : tout cela montre un choix de terrain clair en faveur de la lutte armée de la part des autorités ukrainiennes. Pas seulement ça. Si, du côté ukrainien, de nombreux rapports font état de l'utilisation d' « armes illégales » par les forces armées russes, il est également arrivé - comme l'a montré une enquête du New York Times - que l'armée ukrainienne utilise des bombes à fragmentation pour tenter de reconquérir la zone qui avait été occupée par les troupes russes. Les bombes à fragmentation sont des munitions interdites au niveau international en vertu de la convention d'Oslo, à laquelle ni la Russie ni l'Ukraine n'ont adhéré jusqu'à présent. La Russie et l'Ukraine s'accusent également mutuellement d'utiliser la population civile comme « boucliers humains ». Une attitude très différente de celle des partisans italiens qui ont toujours été très attentifs à ne pas impliquer la population civile et à essayer d'éviter, dans la mesure du possible, les représailles des troupes nazies contre les civils.
La Résistance italienne visait à mettre fin au conflit : la Résistance ukrainienne ?
Comme l'a rappelé Paolo Ferrero ces derniers jours, « la Résistance italienne s'est caractérisée par une lutte qui visait la fin du conflit, la paix. Tout en sachant que plus la guerre se prolongeait, plus la population souffrait. Ce n'est pas une coïncidence si, lorsque l'armée allemande a commencé à se retirer, les commandants des partisans ont cherché par tous les moyens à établir des relations diplomatiques afin d'assurer l'exode pacifique des troupes d'occupation sans que la population subisse de nouveaux dommages ». Peut-on dire la même chose de la résistance ukrainienne ?
Les fournitures militaires des pays de l'OTAN, si elles contribuent d'une part à la résistance ukrainienne, semblent d'autre part - précisément en raison de l'absence de pression politique forte de la part de l'OTAN et surtout des USA - viser davantage à prolonger le conflit qu'à le résoudre. De plus, en massant des troupes aux frontières de l'Ukraine depuis avant le début du conflit, l'OTAN n'a certainement pas favorisé la désescalade militaire et l'apaisement des relations avec la Russie. L'impression de plus en plus nette, au vu de l'attitude des belligérants, est donc que nous sommes confrontés à une nouvelle « guerre par procuration » dans le conflit de longue date entre les USA et la Russie, dont l'Ukraine est devenue le champ de bataille.
Il convient également de rappeler que le gouvernement ukrainien aurait pu éviter le conflit. Selon le Wall Street Journal, le 19 fevrier, cinq jours avant l'invasion russe, le chancelier allemand Scholz, afin d'éviter le conflit, a proposé au président Zelensky de renoncer publiquement à rejoindre l'OTAN. Plus précisément, Scholz « aurait exhorté le président ukrainien à renoncer à ses aspirations à rejoindre l'OTAN et à assumer la neutralité dans le cadre d'un accord de sécurité plus large dans la région européenne. Ce pacte aurait été signé par Vladimir Poutine et Joe Biden et aurait contenu des clauses pour la sécurité de l'Ukraine », rapporte AskaNews.
C'est un autre aspect qui montre à quel point il est sans rapport avec la réalité historique d'appliquer à la situation ukrainienne non seulement les catégories de la Résistance italienne, mais aussi les paroles de la chanson partisane Bella Ciao! : « Un matin, je me suis réveillé et j'ai trouvé l'envahisseur... ». Résistance ukrainienne qui a tous les droits d'être considérée comme la résistance du peuple face à l'agression inacceptable et criminelle des forces armées russes. Une agression qui doit être condamnée « sans si et sans mais ». Comme toute agression contre des États souverains et des populations sans défense.
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