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06/05/2024

GIANFRANCO LACCONE
La réforme de la politique agricole commune de l’UE entre (quelques) lumières et (beaucoup d’) ombres

Gianfranco Laccone, ClimateAid.it, 2/5/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le Parlement européen, lors de la dernière session plénière de la législature à Strasbourg, a approuvé la réforme de la politique agricole commune. Les députés ont donné leur feu vert au projet de loi avec les amendements techniques proposés par le Comité spécial de l’agriculture du Conseil et approuvés par la Commission de l’agriculture du Parlement. Le règlement doit maintenant être approuvé par le Conseil européen. La révision de la PAC modifie les règles relatives à trois exigences de conditionnalité environnementale auxquelles les agriculteurs doivent se conformer pour bénéficier d’un financement. Elle donne également plus de souplesse aux États membres pour accorder des dérogations aux règles en cas de problèmes d’application et de catastrophes naturelles. Les petites exploitations de moins de 10 hectares seront exemptées de contrôles et de sanctions en cas de non-respect de certaines normes. Les États membres disposeront également d’une plus grande marge de manœuvre dans l’application du ratio de prairies permanentes par rapport aux terres agricoles supérieur à 5 % qu’en 2018. (ITALPRESS)


L’hypothèse de réforme de la Politique agricole commune (PAC) 2023/2027 proposée par la Commission européenne dans le cadre d’une procédure d’urgence a été adoptée par le Parlement européen, à la fois pour donner un signal au monde agricole en révolte et pour éviter de renvoyer les décisions à « après les nouvelles élections parlementaires ». On attend maintenant des gouvernements qu’ils ratifient ce qui a été proposé au Conseil, afin que le nouveau règlement entre en vigueur à la « fin du printemps », comme le souhaite le cabinet de Frau Von Der Leyen. Il s’agit d’une question qui concerne de très près les citoyens de l’UE, même si les seuls à qui elle s’adresse semblent être les agriculteurs (une petite minorité), car elle a une incidence sur le calendrier du secteur agricole, sa transformation sous l’effet du changement climatique et le coût des denrées alimentaires.

Même les administrations des différents pays se livreront à une analyse intensive pour comprendre les effets des changements introduits à la suite de la protestation, qui sera suivie d’un travail de contact avec les services de la Commission pour évaluer l’efficacité de la réforme elle-même. Toutefois, les ajustements nécessaires et les modifications éventuelles ne changeront pas les orientations qui viennent d’être votées, mais concerneront le plan stratégique de chaque pays. Ainsi, même dans un cadre communautaire, une ligne d’intervention distincte sera maintenue pour chaque pays, afin de mieux adapter les politiques à la situation spécifique, mais aussi, disons-le, pour éviter de créer une situation de malaise généralisé qui déclenche, comme aujourd’hui, des protestations et des révoltes. C’est l’effet le plus évident de la contestation généralisée : chaque pays s’organisera pour développer une politique agricole commune qui prévoira, bien sûr, des mailles plus larges que l’actuelle.

Mais quels sont les changements dans la réforme qui vient d’être approuvée ?

Tout d’abord, un lot de consolation a été donné aux protestataires : à l’exemption temporaire pour 2024 de maintenir des terres en friche s’ajoute l’élimination complète du quota minimum de terres arables pour les zones non productives jusqu’en 2027. L’illusion que l’exploitation des 5 % supplémentaires de terres non cultivées permettra aux entreprises de joindre les deux bouts ne contribuera pas à couvrir les dommages causés par la culture intensive des terres (en particulier des terres marginales). Mais comme ces coûts pèsent sur l’ensemble de la société et pas seulement sur les agriculteurs, on a l’illusion de les rendre moins visibles. Le vainqueur de la contestation est le rapport de force politique actuel, qui voit la protection de l’environnement comme une option facultative et non comme un outil de base. Mais « le temps est un bon bougre » et les nœuds vont se défaire, surtout si les consommateurs font entendre leur voix (actuellement très faible) et si les forces environnementales sont convaincues qu’il est perdant de parler de protection de l’environnement sans parler aussi du revenu des producteurs et de la protection des consommateurs.

Pour contrebalancer la fin de l’environnementalisme agricole, la Commission a envisagé que les États membres mettent en place un éco-régime offrant un soutien aux agriculteurs « pour maintenir une partie des terres cultivables dans un état non productif » ou pour créer de nouveaux éléments de paysage, y compris des exemptions spécifiques pour la couverture du sol, les jachères et le travail du sol. En résumé, pour ne pas contrarier ceux qui estiment que le respect de la nature et des cycles saisonniers est productif, des possibilités de sortie sont prévues pour les situations qui « risquent d’être contraires à leurs objectifs ». C’est une façon de parvenir à des compromis qui satisfont les forces environnementales et les entrepreneurs qui ont investi dans le changement et la diversification de l’agriculture, surtout si la sécheresse ou d’éventuelles inondations balayent les illusions de revenus tirés de l’intensification des cultures. Il n’est venu à l’esprit de personne que l’augmentation de l’utilisation des terres pourrait également accroître les effets des catastrophes naturelles. La Commission s’efforce de proposer des solutions pour les situations catastrophiques qui devraient se répéter au fil du temps.

Les changements les plus significatifs, susceptibles de nous donner le véritable signe de la réforme, sont ceux relatifs à la réduction des contrôles et des sanctions pour les exploitations de moins de 10 hectares, à partir du décompte statistique, selon lequel cette mesure affecterait 65 % des bénéficiaires mais seulement 10 % de la superficie agricole de la Communauté. Nous aurions préféré une sélection parmi les différents contrôles et parmi les sanctions qui peuvent être éliminés, en respectant les indicateurs que l’Agenda 2030 de l’ONU utilise pour envisager un avenir pour la planète.

En outre, nous aurions préféré qu’un décompte similaire soit effectué pour la distribution des fonds communautaires, qui voit encore, trente ans après la réforme Mac Sharry, 80 % des fonds déboursés au détriment de 20 % des exploitations. Les réformes qui se sont succédé depuis lors jusqu’à aujourd’hui n’ont pas modifié cet aspect, véritable nœud (et gangant) de toute réforme, et nous ne pensons pas que celle qui est en cours d’application modifiera ces rapports de force qui sont actuellement à l’avantage des moyennes et grandes exploitations. L’absence de contrôle combinée à la possibilité d’une culture plus intensive ne rendra pas les petites exploitations plus compétitives, et dans les zones où elles représentent une entité significative (souvent des zones particulièrement perturbées), le début de l’absence de contrôle et une plus grande exploitation du sol entraîneront une augmentation probable de la perturbation hydrogéologique à laquelle elles sont soumises.

Que dire ? La réforme n’ira pas à l’encontre des tendances actuelles du marché alimentaire mondial ; au contraire, elle favorisera la spéculation et les variations de prix induites par les guerres et le changement climatique. La tendance à réduire le nombre d’exploitations et à les incorporer encore plus au système agroalimentaire voit dans la réforme actuelle un outil cohérent et les agriculteurs se rendront bientôt compte que le fait d’avoir apparemment plus d’initiative et de liberté d’action est une pieuse illusion, même si les contraintes et les contrôles sont supprimés. Le contrôle substantiel par les bas prix du marché mondial et les dettes de gestion sont les outils appropriés pour cela, des outils que la réforme actuelle ne remet pas en question.

Pour les consommateurs, la réforme actuelle de la PAC n’apporte rien d’autre que de vagues principes généraux, et les faibles revenus (un problème particulièrement important en Italie) pousseront les consommateurs à acheter les produits les moins chers, de moindre qualité et, en général, produits à l’étranger. Pour nous, l’image de la faillite de la réforme actuelle est déjà claire d’emblée. Elle n’a été lancée que pour bloquer les protestations et continuer à mettre en œuvre la véritable réforme agricole mondiale qui passe sous le radar. Cette dernière sera mise en œuvre en contrôlant la biodiversité par le biais de brevets et le système de production par le biais de la technologie et du contrôle du système financier et des chaînes d’approvisionnement, si les guerres le permettent.

Seule l’union des forces environnementalistes et consuméristes sera en mesure de nous offrir des perspectives différentes.


16/02/2024

GIANFRANCO LACCONE
Révolte des tracteurs : l’agriculture européenne a besoin d’un nouveau pacte

 Gianfranco Laccone, ClimateAid.it, 7/2/2024
Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala

En voyant ces jours-ci les reportages sur la révolte des agriculteurs d’Europe, la première chose qui m’est venue à l’esprit a été le "Canto dei Sanfedisti" [le Chant des Sanfédistes, une contre-Carmagnole], une chanson napolitaine de la fin du 18e siècle, reprise par la NCCP (Nuova Compagnia di Canto Popolare) dans les années 1970 : son texte exprime le mécontentement qui s’est développé dans les campagnes méridionales avec la crise révolutionnaire et la naissance de la République Parthénopéenne, soutenue par les meilleurs esprits des Lumières napolitaines du 18e  siècle. L’expérience se termina tragiquement quelques mois plus tard, avec la mort ou l’exil des révolutionnaires et le royaume des Bourbons qui, s’étant privé de la génération du chambardement, régressa dans sa structure et son économie, résistant au changement jusqu’à la conquête garibaldienne en 1860/61 [voir Sanfédisme].

Le mécontentement d’alors n’est pas différent de celui d’aujourd’hui : à l’époque, il était dirigé contre les Français qui étaient venus à Naples avec “leur” démocratie ; aujourd’hui, il est dirigé contre l’Union européenne et ses règles communes. Le paradoxe historique est que, deux siècles plus tard, les agriculteurs, par leur révolte, entendent défendre les principes démocratiques qu’ils avaient combattus au nom du roi Bourbon. Sous ce paradoxe se cache, aujourd’hui comme hier, le malaise de ceux qui sentent les décisions leur tomber dessus en voyant s’évanouir les revenus vainement recherchés à travers les transformations et les innovations réalisées en s’endettant. Les agriculteurs, en particulier les paysans et les ouvriers agricoles (qui n’ont malheureusement pas voix au chapitre), sont considérés comme des “marchandises jetables”, se sentent exclus et ne partagent pas les décisions qui leur tombent dessus. Plus généralement, ceux qui travaillent dans l’agriculture se considèrent comme des marginaux, objets et non sujets d’un processus de changement de société (au 18e  siècle, nous sommes passés d’une société féodale à une société industrielle, aujourd’hui nous sommes à la fin de ce type de société et devrons en créer une autre), et revendiquent donc des droits et une appartenance à part entière. Tout d’abord, il serait souhaitable que les paysans créent une alliance sectorielle incluant les ouvriers agricoles, les soustrayant au marché noir qui alimente au contraire la compétition des productions à bas prix.


Sans agriculteurs, pas de bouffe, no future

 Ce soulèvement ne m’a pas surpris et ne représente pas non plus une flambée, précédé qu’il a été ces dernières années par des mouvements tels que les “forconi” [fourches] en Italie ou les “gilets jaunes” en France et d’innombrables grèves et soulèvements d’ouvriers agricoles dans l’Union européenne (UE), souvent qualifiés de problèmes d’ordre public ou, pire, de problèmes d’échec de l’intégration des étrangers dans la société. Je m’étonne de la sous-estimation de ces épisodes par les forces qui devraient être à l’origine du changement, comme les écologistes, les producteurs biologiques et les syndicats agricoles eux-mêmes ; peut-être que l’erreur de sous-estimation commise par les jacobins napolitains d’antan ne nous a pas appris grand-chose, si nous pensons que le changement peut avoir lieu et être accepté sans l’implication des personnes concernées. Nous devrions également réfléchir à la raison pour laquelle le malaise touche l’ensemble du secteur agricole, y compris tous les types d’agriculteurs, des petits agriculteurs qui souvent ne reçoivent aucune subvention et qui, dans l’ensemble de l’Italie, ne reçoivent que 6 % des subventions accordées, aux grands producteurs qui, en Italie, représentent 10 % du total mais perçoivent 50 % des subventions et sont les privilégiés du système.


“Non à la bidoche synthétique, oui à la bidoche avec des poils !”

Aujourd’hui, la politique agricole commune (PAC) de l’UE favorise la concentration des terres et de la production entre quelques mains, au détriment des petits et au profit des grands producteurs agricoles et agroalimentaires, qui ne veulent pas réduire leurs privilèges. Face à la crise climatique irréversible, le Green Deal représente la tentative de l’UE de sauver la chèvre et le chou : mais les grands privilégiés du système mis en place par la réforme de la PAC des années 1990 n’en veulent pas non plus et tentent d’exploiter à leur profit le malaise des petits producteurs. Ce serait une bonne idée de rejouer une vieille pièce de Dario Fo : « Tous unis ! Tous ensemble ! Mais excuse-moi, celui-là, c’est pas le patron ? » pour expliquer qu’il est impossible de lutter contre un système de privilèges dirigé par quelqu’un (qu’il s’agisse d’un individu ou d’une organisation) qui vit de ces privilèges. Il n’y a pas d’agriculture nationale contre l’agriculture européenne, il n’y a pas de secteur agricole contre d’autres secteurs, il n’y a pas d’agriculture contre des règles “trop radicales”, il n’y a pas d’agriculteurs contre les écologistes : ceux qui prononcent ces mots masquent leurs propres intérêts en essayant de les faire passer pour des intérêts communs. Au contraire, dans chaque secteur, dans chaque réalité (locale, nationale ou communautaire), il y a des intérêts différents et opposés et la seule façon d’éliminer les privilèges de quelques-uns est de chercher un accord avec les consommateurs sur le juste prix du produit : un prix qui récompense les producteurs et pas seulement les distributeurs, la qualité et le goût des productions et pas la taille et la quantité, qui privilégie les productions locales sur les productions identiques qui viennent de loin, qui commercialise des produits alimentaires contrôlés par des tiers, capables de prévenir les maladies et pas de les provoquer, parce qu’ils sont pleins d’additifs, de colorants, de graisses et de sucres, d’engrais et de pesticides. Il n’est pas nécessaire d’augmenter les quantités produites. Pourquoi, dans un pays (comme l’Italie ou comme l’UE) qui réduit le nombre de ses habitants, qui devient toujours plus “vieux” (les personnes âgées mangent moins et exigent une meilleure qualité), faudrait-il augmenter la production, comme le demandent les ministres et les associations professionnelles ? Quelqu’un croit-il qu’en augmentant la production, le prix final augmentera et compensera les coûts liés à l’augmentation ?


Notre fin, Votre faim !

Les règles de la PAC devraient être modifiées : elles suivent actuellement les règles du marché financier en les appliquant à une réalité cyclique telle que celle de la production biologique, l’alignant sur le système de la chaîne d’approvisionnement. Le système agricole, grâce à son caractère cyclique, est capable de capter et de stocker gratuitement l’énergie solaire et de la transformer en nourriture, et la cyclicité devrait être protégée. Les règles du marché financier ont réduit la concurrence au lieu de l’augmenter : il y a de moins en moins d’agriculteurs, les terres arables ont diminué au profit de la spéculation et de la surconstruction, le système de concurrence a réduit le nombre d’entreprises agroalimentaires et les grands groupes contrôlent les politiques de prix. Les organismes vivants (travailleurs de la terre inclus) sont considérés comme une simple “matière première” comme le pétrole, qu’il faut maintenir à un prix bas pour que le système des filières industrielles d’approvisionnement puisse continuer à faire des bénéfices.

Sans ces explications, les crises de production constantes des différents secteurs agricoles sont incompréhensibles, malgré le soutien continu apporté au secteur. Le système commercial mondial a tenté de réaliser une impossible quadrature du cercle avec l’agriculture : nous devons briser le carré des accords commerciaux internationaux pour rétablir le cercle naturel du cycle de la production locale à faible impact environnemental.


Dans le jeune mouvement visant à changer les règles de la PAC, les grands absents sont les consommateurs, qui devraient être les principaux alliés des agriculteurs, lesquels représentent une minorité hétérogène piégée par les accords commerciaux du secteur. Si les agriculteurs ne veulent pas finir comme les chauffeurs de taxi, ils devraient trouver dans les consommateurs leurs principaux alliés. Pour changer les règles, il faut s’allier avec ceux qui se trouvent en bas de l’échelle des privilèges et, après tout, les seuls qui ne sont pas subventionnés dans le système agroalimentaire sont les consommateurs. Si l’on analyse les on-dit sur les subventions accordées aux agriculteurs, il faut souligner que les autres secteurs de production sont beaucoup plus lourdement subventionnés par les États-nations (qui disposent ensemble d’un budget beaucoup plus important que celui de l’UE). Si l’argent gaspillé pour maintenir des compagnies comme Alitalia ou Italsider à Tarente avait été utilisé pour mieux garantir la circulation des denrées alimentaires au niveau communautaire ou la production locale de la région de Tarente, nous ne nous trouverions pas aujourd’hui face au dilemme de devoir sauver un secteur des transports inefficace ou de dépolluer une région comme alternative au revenu des familles des travailleurs des entreprises polluantes.

La protection du secteur agricole, commencée avec la PAC, s’est achevée avec la réforme de la PAC du début des années 1990, qui a supprimé la protection du prix unitaire du produit agricole pour donner une contribution forfaitaire à l’hectare aux producteurs. Ce financement annuel basé sur la propriété, avec peu de contraintes et peu de contrôles sociaux, fait partie d’un tour de passe-passe contrôlé par les banques et les filières de production, qui permet aux grands propriétaires de vivre de leurs revenus et aux petits de joindre difficilement les deux bouts à la fin de l’année. Si l’on veut se souvenir de l’histoire, les Jacobins ont lutté contre les privilèges de l’aristocratie foncière alors que la PAC, réformée pour adhérer aux accords internationaux du GATT, semble avoir cherché à restaurer ces privilèges.

En cela, il est vrai que « la PAC s’est trahie elle-même », car elle avait été créée pour favoriser l’autosuffisance communautaire et permettre de produire davantage dans les territoires les plus adaptés aux différentes productions. Pour ce faire, elle avait fixé un prix de base communautaire différent de celui du marché mondial et souvent beaucoup plus élevé ; ce système de subventions permettait de protéger l’agriculture tout en entraînant certains défauts comme le fait de favoriser les excédents de production et de défavoriser la qualité des produits, ce qui, au fil du temps, a fait crier au scandale. Mais le scandale a été de ne pas inclure dans les politiques du passé à la fois la qualité des produits liée aux besoins nutritionnels de la population communautaire, et la protection des territoires pollués par des quantités d’engrais chimiques et de pesticides, utilisés dans le but d’augmenter les rendements, qui ont dégradé les sols et l’environnement. Je crois que la restauration d’un concept de juste prix lié à un accord entre producteurs et consommateurs est un objectif nécessaire. Mais je ne le vois pas apparaître dans les revendications de ceux qui se battent aujourd’hui pour la défense du monde agricole.

Le paradoxe de la lutte actuelle, aux motivations justifiées mais aux objectifs flous, est dans son image même : la marche des tracteurs. Le tracteur diesel, le plus polluant, le plus destructeur des sols et le principal instrument de l’endettement paysan, peut-il être le symbole d’une lutte renaissante ? C’est comme si, pour lutter contre la pollution dans les villes, tout le monde défilait avec des voitures au diesel et à essence.

De nouvelles images et de nouvelles idées sont nécessaires pour représenter la nouveauté que seule une alliance avec les consommateurs pourrait produire.


Jesi (province d’Ancône, Marches) : « Vive l’Italie aux yeux ouverts dans la nuit triste, Vive l’Italie, l’Italie qui résiste » (Chanson de Francesco de Gregori, 1979)

 

 

15/02/2024

Lettre de Leo Varadkar et Pedro Sánchez à Ursula von der Leyen sur la situation à Gaza

 

 

S. E. Ursula von der Leyen

Présidente de la Commission

européenne

14 février 2024

Madame la Présidente,

Nous sommes profondément préoccupés par la détérioration de la situation en Israël et à Gaza, en particulier par l'impact du conflit actuel sur les Palestiniens innocents, notamment les enfants et les femmes. L'extension de l'opération militaire israélienne dans la zone de Rafah constitue une menace grave et imminente à laquelle la communauté internationale doit répondre de toute urgence.

Près de 28 000 Palestiniens ont été tués et plus de 67 000 blessés, et nous avons assisté au déplacement de 1,9 million de personnes (85 % de la population) à l'intérieur de Gaza, à la destruction massive d'habitations et à des dégâts considérables aux infrastructures civiles vitales, y compris les hôpitaux.

Nous avons exprimé à plusieurs reprises notre condamnation totale des attaques terroristes aveugles du Hamas du 7 octobre et exigeons la libération immédiate et inconditionnelle des otages encore détenus.

Nous avons affirmé tout aussi clairement qu'Israël a le droit de se défendre contre de telles attaques, mais que cela ne peut se faire que dans le respect du droit international, y compris le droit international humanitaire (DIH) et le droit international des droits de l'homme. La réponse doit être conforme aux principes de distinction, de proportionnalité et de précaution.

Il est important de noter que le droit international humanitaire impose clairement à toutes les parties à un conflit l'obligation d'assurer la protection des civils. Les attaques terroristes odieuses commises par le Hamas et d'autres groupes armés ne justifient pas et ne peuvent pas justifier une quelconque violation du droit international humanitaire dans la réponse militaire, avec les conséquences qui en découlent pour la population civile de Gaza.

 

Nous partageons la préoccupation du Secrétaire général des Nations unies, exprimée dans sa lettre au Conseil de sécurité du 7 décembre, concernant les souffrances humaines effroyables, la destruction physique et le traumatisme collectif des civils, ainsi que les risques auxquels ils sont confrontés, étant donné que, selon lui, aucun endroit n'est sûr à Gaza. Depuis lors, la situation n'a fait que se détériorer.

En raison d'un accès humanitaire nettement insuffisant pour répondre aux besoins essentiels de la population, les Nations unies estiment que 90 % des habitants de Gaza sont confrontés à une insécurité alimentaire aiguë et à un risque sérieux de famine.

Nous prenons également note des mesures provisoires contraignantes imposées par la Cour internationale de Justice le 26 janvier dans la requête de l'Afrique du Sud contre Israël, et de sa conclusion qu'au moins certains des actes ou omissions que l'Afrique du Sud allègue qu'Israël a commis à Gaza peuvent entrer dans le champ d'application des dispositions de la Convention sur le génocide, et qu'il existe un risque de préjudice irréparable pour les droits en question dans l'affaire.

Nous avons clairement exprimé notre point de vue selon lequel un cessez-le-feu humanitaire immédiat est requis de toute urgence pour éviter de nouveaux dommages irréversibles à la population de Gaza. Cette position a été soutenue par une très large majorité à l'Assemblée générale des Nations unies en décembre, dont 17 États membres de l'UE.

Nous sommes profondément préoccupés par les allégations selon lesquelles du personnel de l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) pourrait avoir été impliqué dans les attentats du 7 octobre contre Israël.

Nous soutenons pleinement la décision du commissaire général de l'UNRWA, M. Lazzarini, de mettre immédiatement fin aux contrats des personnes impliquées, ainsi que le lancement d'une enquête indépendante approfondie par les Nations unies.

Dans le même temps, nous avons clairement indiqué que l'UNRWA doit être autorisé à fonctionner pour poursuivre son travail essentiel, qui consiste à sauver des vies et à remédier à la situation humanitaire catastrophique à Gaza, et que le soutien de l'UE à l'UNRWA doit être maintenu. Il n'y a aucune chance de parvenir à l'augmentation massive et durable de l'aide humanitaire qui est nécessaire de toute urgence, grâce à un accès humanitaire complet, sûr et sans entrave, sans que l'UNRWA ne joue un rôle central.

Nous rappelons que la CIJ a ordonné à Israël de prendre des mesures immédiates et efficaces pour garantir la fourniture des services de base et de l'aide humanitaire dont la population de Gaza a un besoin urgent. Ces ordonnances sont contraignantes.

 

Dans le contexte du risque d'une catastrophe humanitaire encore plus grande posé par la menace imminente d'opérations militaires israéliennes à Rafah, et compte tenu de ce qui s'est produit et continue de se produire à Gaza depuis octobre 2023, y compris l'inquiétude généralisée concernant d'éventuelles violations du DIH et du DIDH par Israël, nous demandons que la Commission entreprenne un examen urgent pour déterminer si Israël respecte ses obligations, y compris dans le cadre de l'accord d'association UE/Israël, qui fait du respect des droits de l'homme et des principes démocratiques un élément essentiel de la relation ; et si elle considère qu'il est en infraction, qu'elle propose des mesures appropriées au Conseil.

Enfin, nous ne devons pas perdre de vue l'impératif d'adopter une perspective politique pour mettre fin au conflit. La mise en œuvre de la solution des deux États est le seul moyen de s'assurer que ce cycle de violence ne se répète pas. L'UE a la responsabilité d'agir pour que cela devienne une réalité, en coordination avec les parties et la communauté internationale, y compris en organisant une conférence de paix internationale, comme convenu par le Conseil européen le 26 octobre.

Compte tenu de son rôle dans cette affaire, nous adressons également une copie de cette lettre au vice-président Borrell. Nous vous prions d'agréer, Madame la Présidente, l'expression de nos salutations distinguées.

  Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


 

28/09/2023

GIANFRANCO LACCONE
La convivance, cette inconnue
Réflexions sur la dernière AG de l’ONU

Gianfranco Laccone, Comune-Info, 26/9/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les signes de changement se multiplient : nous devons en prendre note et essayer de trouver la meilleure façon de convivre sur la planète, nous, les animaux, les plantes.

Raoul Dufy, Paysage avec le bâtiment du Siège de l’ONU, Aquarelle sur papier, 1952

 La 78ème session de l’assemblée générale de l’ONU qui vient de s’achever nous donne l’occasion de réfléchir à partir du thème de la discussion de cette année (« Rétablir la confiance et raviver la solidarité mondiale : accélérer l’action menée pour réaliser le Programme 2030 et ses objectifs de développement durable en faveur de la paix, de la prospérité, du progrès et de la durabilité pour tout le monde ») et de la manière dont il a été diversement interprété par les différents pays.

La donnée la plus importante, malheureusement, est la nouvelle baisse de crédibilité de cette institution, qui est passée au second plan, même dans les chroniques internationales, après le G20 quelques jours plus tôt. Lors de ce dernier, les signes d’un changement dans les relations entre les pays étaient devenus évidents (la non-invitation de l’Ukraine par l’Inde - le pays hôte -, compensée par l’absence physique de la Russie et de la Chine) ; le communiqué final a minimisé le conflit en Europe, considéré comme une guerre parmi d’autres dans le monde, réitérant, mais en les rendant plus vagues, les concepts de souveraineté et d’autodétermination.


Bref, la confusion est grande sous le ciel : les USA - vainqueurs de l’affrontement avec l’URSS - ne parviennent pas, trente ans après, à affirmer une hégémonie, le “KO technique par abandon” essuyé en Afghanistan ayant été un signal contraire, et leur concurrent économique mondial - l’UE - est en crise, flanqué d’autres “puissances émergentes” qui discutent même entre elles d’une éventuelle monnaie commune. Un autre signal, encore peu souligné, a été l’admission de l’Union africaine (UA, qui regroupe 55 États du continent) au sein du G20, à laquelle une partie du groupe (Australie, Canada, Argentine, Mexique, Corée du Sud, Arabie saoudite et Turquie) s’est fermement opposée. L’Afrique commence à ne plus être un fantôme dans le système des relations mondiales, non seulement en raison de la présence de personnes originaires d’États africains à la tête de nombreuses institutions internationales, mais aussi en raison d’une subjectivité qui, bien que très difficilement, commence à prendre forme.


Hassan Karimzadeh

Mais la situation n’est pas excellente : un système de relations se met en place qui privilégie les relations bilatérales ou sur des espaces délimités, sur les relations globales des grands systèmes qui ont échoué même dans la tentative de gouvernance commerciale à travers l’OMC, sur laquelle tous les partisans de l’économie de marché avaient misé il y a trente ans pour parvenir à une coordination du système mondial. L’actuelle “guerre des céréales” sur la mer Noire en est la démonstration la plus claire : l’OMC (Organisation mondiale du commerce) est née après l’Accord sur l’agriculture et le commerce des denrées alimentaires, qui complétait ainsi le GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), en transférant les règles des transactions financières au marché des produits agricoles et en initiant un mécanisme de régulation des différends qui tendrait à éviter que les guerres commerciales ne se transforment en véritables conflits.

En Ukraine, en revanche, un différend de nature territoriale (non contrôlé par l’ONU et “oublié” par ceux qui sont aujourd’hui “intéressés” par le conflit) s’est transformé en un affrontement plus large avec l’invasion de la Russie, entraînant dans son sillage tous les instruments (embargos, restrictions au transfert de capitaux, limitations de la liberté, déportations, violations des droits humains et des accords) que les mécanismes mis en place au cours des trente dernières années auraient dû permettre d’éviter ou de résoudre rapidement. Par un effet boule de neige, les conséquences ont atteint les endroits les plus éloignés et les populations les plus diverses, mises dans le même panier par le marché mondial. Un marché qu’il est impossible de redimensionner, même avec les politiques autarciques les plus strictes, et dans lequel on ne sait pas comment surmonter l’autonomie insuffisante des États individuels (on revendique l’autonomie locale, mais on se rend compte ensuite qu’une agrégation supranationale avec des pouvoirs souverains est nécessaire pour résoudre les problèmes).

L’Union européenne et tous les pays du continent ne sont pas sortis grandis d’une session de l’ONU que tous les analystes ont jugée “léthargique” et qui a vu des jeux politiques se dérouler ailleurs sur les questions débattues.

Ils n’ont pas brillé par l’innovation, même terminologique, et l’impression est qu’ils répètent l’occidentalisme hégémonique à travers une “démocratie de façade”, qui est la cause principale de l’impasse onusienne. Sur le changement climatique, enfin, on attend les résultats des élections de 2024 aux USA pour voir où finira ce qui reste des objectifs de l’Agenda 2030.


Calvi, 2012

La réaffirmation de la nécessité de l’aide à l’Afrique m’a semblé du même mauvais aloi, comme si cela n’avait pas toujours été le cas (plus correctement défini comme colonialisme), et posait le même problème aux néolibéraux au gouvernement un peu partout (en Europe et ailleurs) que l’aide aux zones défavorisées : ne pas “gaspiller” les ressources dans les endroits considérés comme des zones sinistrées et les allouer plutôt là où c’est plus commode. Il aurait peut-être été plus d’actualité de parler de coopération à haut niveau, de dialoguer avec les structures qui guident les économies du monde, sachant au passage que certaines d’entre elles, comme l’OMC, sont dirigées par une femme (nigériane) qui était auparavant numéro deux de la Banque mondiale.

Mais plus encore, j’ai été frappé par la manière dont les parties impliquées dans le conflit ukrainien se sont renvoyé la balle. Dans un précédent article, j’avais souligné la difficulté d’utiliser l’embargo comme une arme contre l’ennemi : souvent, dans un système de relations multilatérales, les politiques contre “l’ennemi” se retournent comme un boomerang. Les Européens, les Italiens en premier lieu, le savent bien en ce qui concerne le prix du pétrole et du gaz, après le blocus du commerce avec la Russie.

En ce qui concerne le commerce des céréales, la liste des principaux pays producteurs comprend la Chine, l’Inde et la Russie, suivies de l’UE, des USA, du Canada, ainsi que de l’Australie et de l’Ukraine. En revanche, si l’on dresse la liste des pays exportateurs dans le monde, c’est la Russie qui arrive en tête, suivie de l’UE (France, Roumanie et Allemagne), du Canada, des USA et de l’Ukraine.

Bref, aucun pays africain n’est sur le terrain dans ce conflit, qui voit plutôt toutes les puissances économiques directement impliquées dans le conflit gérer le commerce des céréales. Les pays africains, en revanche, sont les principaux importateurs, au premier rang desquels l’Égypte, victimes d’un conflit dans lequel ils n’ont aucune possibilité d’intervenir. 

Pour l’Égypte aussi, on peut parler d’un cas exemplaire, en raison des effets secondaires (imprévus) qui se produisent quelques décennies après le début des “politiques de développement”. Après avoir été à l’époque impériale romaine le grenier de l’empire grâce aux providentielles crues alluvionnaires annuelles du Nil, elle a perdu cette prérogative depuis les années 1960, suite à la construction du barrage d’Assouan et à la transformation économique. La “révolution verte” a permis la généralisation de l’irrigation et la production de fruits, légumes, céréales et textiles à haut rendement pour l’exportation, ainsi que la création d’un système industriel. Bref, les choses ont suivi un autre chemin et aujourd’hui tout embargo alimentaire pose des problèmes à ce grand pays très peuplé du fait de l’approvisionnement réduit de la céréale de base de son alimentation.

Mais, à mon avis, l’aspect le plus évident est l’eurocentrisme de la vision des politiciens continentaux : bien qu’ils évoluent sur des plans différents (du lorgnage allemand vers la réforme des relations multipolaires, à l’intervention française complexe visant à répondre aux carences du système social mondial, à celle au nom de l’UE qui a posé la nécessité d’avoir un plus grand équilibre des relations internationales et moins de distances sociales à côté de la solution aux conflits de guerre), toutes les interventions finissent par poser le “problème” des migrants, allant même jusqu’à demander, dans l’intervention italienne, un engagement international des Nations Unies elles-mêmes pour cette lutte.

Qu’en dire ? Face aux guerres qui semblent se multiplier dans le monde et à l’incapacité des “occidentaux”, symptôme de leur hégémonie mondiale réduite, à faire de leur conflit russo-ukrainien un problème plus important que d’autres conflits, à commencer par ceux du Moyen-Orient, le déplacement de l’attention vers les migrations, qui sont clairement un problème dérivé des autres (changement climatique, guerres, crise économique) a reçu un accueil froid - pour ne pas dire sceptique - de la part de l’assemblée.

Car si les problèmes sont autres, il faut les résoudre en commençant par les guerres pour éviter les situations de “crise humanitaire”, et si le problème est spécifique parce que les autres ne peuvent pas être résolus, la première réponse à donner est de faciliter et de rendre le voyage légal et transparent : créer des bureaux spéciaux dans les ambassades, fournir des documents avant le départ (garantir la sécurité), fournir les moyens de transport (et ainsi revitaliser ce secteur en crise perpétuelle) pour atteindre les pays d’arrivée.

Mais peut-être que cette façon de penser n’appartient qu’à quelques privilégiés : quelques rêveurs, les aliens trouvés au Pérou, et… le Pape.

 

Discours de Bassolma Bazié, Ministre d'État, ministre de la Fonction publique, du Travail et de la Protection sociale du Burkina Faso, à la 78ème  AG de l'ONU