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09/03/2024

GIDEON LEVY
Des soldats israéliens ont exécuté deux des frères Shawamra, en ont blessé un troisième et arrêté un quatrième
Scènes de la survie quotidienne en Cisjordanie occupée

Gideon Levy &Alex Levac (photos), Haaretz,  8/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Trois frères de Cisjordanie qui, comme tous les Palestiniens, n’ont plus le droit de travailler en Israël, franchissent la barrière de séparation pour récolter des plantes afin de subvenir aux besoins de leur famille. Sur le chemin du retour, les soldats ouvrent le feu sur eux

Suleiman Shawamra tient son fils Noureddine , qui a survécu : « Regardez-nous. Est-ce que vous voyez de la haine ? »

La chasse à l’homme. Il n’y a pas d’autre façon de décrire ce que les soldats des forces de défense israéliennes faisaient jeudi dernier à la barrière de séparation  [mur de la honte, mur d’annexion ou mur de l’apartheid, officiellement appelé clôture de sécurité, “Geder Habitahon”, NdT], dans le sud de la Cisjordanie. Repérant un jeune homme qui escaladait le mur à l’aide d’une échelle de corde, et d’autres qui attendaient leur tour, des tireurs embusqués ont ouvert le feu sur eux, atteignant deux d’entre eux dans le dos, l’un après l’autre. Ils sont tombés au sol l’un sur l’autre, ensanglantés.

Les soldats auraient pu facilement arrêter les hommes, les interpeller, tirer des coups de semonce en l’air ou les ignorer et les laisser rentrer chez eux, comme ils le font souvent dans de telles situations. Mais cette fois-ci, ils ont apparemment préféré tirer avec l’intention de tuer, d’abattre des jeunes hommes dont le seul péché était de se faufiler en Israël pour trouver un moyen de subvenir aux besoins de leur famille, de cueillir une espèce de chardon comestible appelé akkoub dans le sol rocailleux et de rentrer chez eux sains et saufs.

Les deux hommes abattus étaient des frères qui avaient des permis de travail en Israël, tout comme leur père ; tous les membres de la famille parlent un excellent hébreu. Mais depuis le 7 octobre, les Palestiniens n’ont plus le droit d’entrer en Israël pour y travailler. Ensemble, trois frères et un ami se sont mis en route pour les champs d’akkoub, dont certains appartiennent en fait à leur famille - la barrière de sécurité a en fait annexé une partie des terres de leur village à Israël - mais sont devenus des champs de la mort.

Deux frères ont été tués, un troisième a été légèrement blessé par une balle qui l’a miraculeusement manqué, et un quatrième a été placé en détention. Sa famille éplorée ne sait toujours pas où il se trouve, et il ne sait probablement même pas que deux de ses frères ont été tués. Israël n’envisage même pas de libérer ce quatrième frère, qui a tenté d’escalader le mur avec d’autres membres de sa famille après l’incident pour voir ce qui s’était passé. Les autorités n’ont pas fait preuve d’un iota d’humanité ou de compassion à l’égard de cette famille doublement endeuillée. Aucune compassion ou humanité à l’égard des Palestiniens ne doit être manifestée ici - et c’est un ordre.

La tente de deuil dans le petit village de Deir al-Asal, avec les posters des frères. À gauche, Salaheddine, et à droite, Nazemeddine.

Dura est une petite ville située au sud-ouest d’Hébron. La plupart des routes d’accès qui y mènent, comme dans pratiquement toutes les villes et tous les villages de Cisjordanie, ont été bloquées par l’armée depuis le début de la guerre à Gaza. La principale voie d’accès à Dura passe aujourd’hui par les rues encombrées d’Hébron. Pour notre part, en nous rendant à Dura, nous avons assisté à un phénomène dont nous n’avions jamais été témoins auparavant : la résistance dans toute sa splendeur.

02/03/2024

GIDEON LEVY
Une jeep de l’armée israélienne percute deux adolescents palestiniens à vélo, puis l’un d’eux est abattu à bout portant

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 2/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Une jeep de l’armée israélienne, à la poursuite de deux adolescents palestiniens circulant sur un vélo électrique, les percute et ils sont jetés à terre. Un soldat place son fusil sur le cou de l’un d’eux et appuie sur la gâchette. Imru Swidan, 17 ans, est toujours dans un état critique et paralysé.

Imru Swidan avant d’être abattu

Cette fois-ci, il n’y a pas de place pour le doute, ni pour les questions, les excuses ou les mensonges de l’unité du porte-parole des forces de défense israéliennes : les vidéos témoignent de ce qui s’est passé. Elles montrent une jeep blindée à la poursuite de deux jeunes qui roulent sur une bicyclette électrique. Le côté de la jeep heurte violemment les cyclistes, les faisant tomber du vélo. L’un d’eux parvient à s’échapper, l’autre est couché sur le ventre, face contre terre. L’un des soldats qui sort de la jeep place le canon de son fusil sur le cou du garçon. L’image est floue, mais un agrandissement permet de comprendre ce qui s’est passé ensuite : une balle pénètre dans le cou du jeune homme, brisant la partie supérieure de sa colonne vertébrale. Paralysé et placé sous respirateur, il se trouve actuellement dans l’unité de soins intensifs d’un hôpital de Naplouse.

L’événement rappelle l’incident impliquant Elor Azaria, le « tireur d’Hébron », qui, en 2016, avait abattu un « terroriste » palestinien qui avait déjà été abattu et maîtrisé, mais dans un format plus sinistre. Dans ce cas, le jeune n’est pas mort sur la route, et on ne sait pas exactement ce que les deux cyclistes - 17 et 15 ans - avaient fait pour justifier la poursuite par la jeep, ni ce qui a déclenché la fureur des soldats, qui ont décidé d’essayer d’exécuter l’un des jeunes en lui tirant une balle dans le cou à bout portant.

Ces questions troublantes resteront à jamais sans réponse. Cette semaine, l’unité du porte-parole des FDI n’a pas perdu de temps pour blanchir, truquer et dissimuler la vérité, se contentant de la réponse habituelle, générique, évasive et fictive, à la question de Haaretz : « Un certain nombre de terroristes ont lancé des engins explosifs sur une unité des FDI qui opérait près du village d’Azzun dans le [territoire de la] brigade Ephraim le 13 février 2024. Une unité des FDI qui se trouvait sur le site a pris des mesures pour les arrêter et, dans ce cadre, a tiré sur l’un d’entre eux ».

Les mots manquent. Deux adolescents sur un vélo deviennent « un certain nombre de terroristes », leur transgression n’étant pas claire ; « a pris des mesures pour les arrêter » est la façon dont l’armée décrit le tir à bout portant sur un jeune désarmé et sans défense qui était allongé face contre terre sur la route, ce qui ressemble plus à une tentative d’exécution qu’à toute autre chose. « A pris des mesures pour l’arrêter » ? Les soldats auraient pu très facilement arrêter le jeune prostré sur la route, mais ils ont préféré lui tirer dessus alors qu’il était blessé et immobile. Après la fusillade, les soldats sont partis sans arrêter personne.

Vidéo de l’incident

Un acte à la Elora Azaria, mais les temps ont changé de manière méconnaissable. Personne ne sera jugé pour avoir procédé à des exécutions en uniforme, pas après l’épisode Azaria et encore moins après la guerre dans la bande de Gaza. Personne n’a même l’intention d’enquêter sur cet incident ; l’unité du porte-parole de l’armée israélienne ne s’est pas intéressée à la vidéo qui documente l’acte. La jeep dont les soldats ont fait cela portait un drapeau israélien sur un mât imposant. C’est au nom de ce drapeau qu’ils ont abattu l’adolescent blessé sur la route, alors qu’ils auraient pu facilement le placer en détention.

Imru Swidan est un jeune homme de 17 ans originaire de la ville d’Azzun, à l’est de la ville cisjordanienne de Qalqilyah, de l’autre côté de la frontière de Kfar Sava. Depuis 2003, l’entrée orientale de la ville est bloquée et, depuis le 7 octobre, son entrée principale, au sud, est également fermée par une grille en fer. Seule une entrée reste ouverte, par l’ouest, via le village voisin de Khirbet Nabi Elias, où de fréquents barrages surprise de l’armée bloquent pendant de longues heures la circulation en direction et en provenance de la ville. Peu avant notre arrivée à Azzun cette semaine, les soldats étaient encore là, harcelant les habitants ; heureusement pour nous, nous sommes arrivés après leur départ.

La famille Swidan vit dans le complexe résidentiel familial au centre de la ville. Dans le salon où nous avons été reçus, deux guitares sont accrochées au mur et, à côté, du matériel de sonorisation appartenant au cousin d’Imru. Imru est dans un hôpital privé de Naplouse, complètement paralysé. Sur les photos prises sur place, on peut voir qu’un tube respiratoire lui a été inséré dans la gorge, qu’une attelle maintient son cou, que son visage est d’un blanc effroyable. Il est difficile de savoir s’il est conscient. Il murmure parfois quelque chose, dit sa mère. Elle pense qu’il demande qu’on lui récite des versets du Coran, car sa mort est proche.

Son père, Mohammed, 42 ans, est à ses côtés, et sa mère, Arwa, 33 ans, lui rend également visite, bien entendu. Le couple a quatre fils et deux filles - Imru est l’aîné, sa mère n’avait pas encore 17 ans lorsqu’elle l’a eu. Les déplacements des parents à Naplouse pour voir leur fils sont extrêmement difficiles. En raison des nombreux points de contrôle autour de Naplouse - la ville est presque assiégée depuis le début de la guerre - le voyage dure des heures, bien que la distance soit relativement courte. Voilà à quoi ressemble aujourd’hui la vie dans toute la Cisjordanie.

Arwa Swidan, mère d’Imru

C’était le 13 février, un mardi, il y a deux semaines. Les FDI font de fréquentes incursions à Azzun, comme c’était le cas ce midi-là. La mère d’Imru raconte que lorsqu’il s’est levé ce matin-là, vers 10 heures, comme d’habitude, elle l’a envoyé au marché pour acheter des légumes. Comme son vélo électrique était hors d’usage, il s’est rendu chez un voisin, un lycéen de 15 ans qui est son ami depuis l’enfance et qu’il rencontre tous les jours (et qui a demandé à ce que son nom ne soit pas mentionné). Avec le vélo de son ami, il a fait les courses pour sa mère. Mais il a oublié d’acheter de la pita, et elle l’a renvoyé. Cette fois, il ne reviendra pas. Il a été abattu à quelques centaines de mètres de chez lui, sur la rue principale de la ville.

Les soldats ont envahi la ville par l’entrée Est, qui est fermée. Imru pédale, son ami se tient sur le vélo. Nous n’avons aucune information sur ce qu’ils ont fait en chemin, jusqu’à ce que la vidéo montre la jeep les poursuivant puis les renversant. Une ambulance palestinienne appelée sur le site a été bloquée pendant dix minutes, selon le témoignage recueilli par Abd al-Karim Sa’adi, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem. Ce n’est qu’après le départ des soldats que les ambulanciers ont pu accéder au jeune blessé.

Il a été transporté à l’hôpital Omar al-Qassem d’Azzun, puis à l’hôpital Darwish Nazzal de Qalqilyah, et comme il était dans un état critique, il a été transféré à Naplouse. Là, selon les habitants d’Azzun, il a eu la chance d’être soigné par un habitant de sa ville, le Dr Abdallah Harawi, un chirurgien réputé. La mère du chirurgien est décédée le jour même, mais il a opéré Imru. Une radiographie montre les dégâts considérables causés à la moelle épinière par la balle.

Imru Swidan avant d’être abattu

Selon sa mère, Imru a quitté l’école pendant la pandémie de COVID, alors qu’il était en dixième année, et depuis lors, il est resté chez lui, désœuvré. Son père est ouvrier d’entretien dans des hôpitaux israéliens. L’année dernière, il travaillait à l’hôpital Meir, à Kfar Sava, mais depuis la guerre, un bouclage a été imposé en Cisjordanie, si bien qu’il est hors de question de se rendre à son ancien travail. De nombreux membres de la famille élargie ont travaillé en Israël et parlent l’hébreu.

Vers midi, après qu’Imru est retourné chercher le pain, des amis ont appelé sa mère pour lui dire qu’il avait été blessé. Stupéfaite, elle a téléphoné à son mari, qui avait commencé un nouveau travail dans un atelier de couture dans le village voisin de Jayous. Il s’est immédiatement rendu à l’hôpital de Naplouse, tout comme sa femme et d’autres membres de la famille.

À leur arrivée, Imru sortait d’un scanner et sa mère s’est évanouie à sa vue. Elle est rentrée chez elle le soir, dans une maison remplie de voisins et de membres de sa famille. Aujourd’hui, elle prie Dieu tous les jours pour que l’état de son fils s’améliore. Pour l’instant, rien ne laisse présager une telle amélioration.

25/02/2024

GIDEON LEVY
Israël n’a pas de véritable alternative à Netanyahou


Gideon Levy, Haaretz, 25/2/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Une fois de plus, il a été prouvé qu’il n’y a pas de véritable substitut, pas de véritable alternative et pas de véritable opposition à Benjamin Netanyahou.

 

Ce dessin du Norvégien Roar Hagen représentant Bibi en Moïse du XXIème siècle, publié dans le New York Times le 25 avril 2019, a suscité une telle levée de boucliers sionistes -qualifiant le dessin d’ « antisémite »- que le journal a décidé de ne plus publier de caricatures

Le comportement des partis centristes tout au long de la guerre, y compris les résultats de deux votes importants à la Knesset la semaine dernière, prouvent clairement que sur les questions fondamentales qui définissent le caractère d’Israël - l’occupation, la guerre et, incroyablement, la démocratie - il n’y a pas de différences significatives entre la droite, le centre et la gauche sioniste. Sur ces questions, nous sommes un État avec une seule voix, une seule perspective, une seule opinion : Ensemble, nous gagnerons.

Ces choses sont d’autant plus étonnantes que la lutte politique fait rage entre les deux camps. Tout le monde parle de division, de clivage, de gouffre, alors qu’il n’y a pas de réelles divergences d’opinion.

On pourrait penser qu’Israël en temps de guerre serait un pays différent si Benny Gantz, Gadi Eisenkot ou Yair Lapid le dirigeaient. Il n’en est rien. Leur conduite personnelle serait certainement plus droite et plus humble, mais les résultats seraient remarquablement similaires. En voici la preuve.

Dans un résultat qui ne ferait pas honte à une élection biélorusse - 99-9 - la Knesset a soutenu une résolution du gouvernement s’opposant à la reconnaissance « unilatérale » d’un État palestinien. Les esprits se sont échauffés et les mains se sont levées en signe de soutien massif au rejet israélien.

L’État, dont la politique d’occupation et de colonisation est la mère de l’unilatéralisme, se moque du monde entier et s’unit unanimement contre une mesure unilatérale qui est ostensiblement acceptée par la moitié de ses législateurs. C’est une honte, mais ce n’est pas une surprise.

La quasi-unanimité du vote en faveur de l’éviction du député Ofer Cassif n’était pas moins prévisible. Cela n’a rien à voir avec les Palestiniens et les territoires, mais plutôt avec la démocratie, la question qui a le plus agité le pays au cours de l’année écoulée.

22/02/2024

GIDEON LEVY
Israël impute son discrédit à tout le monde sauf à lui-même

Gideon Levy, Haaretz, 22/2/2024
Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala

Peu de pays ont autant besoin d’honneur et de fierté nationaux qu’Israël. Qu’il s’agisse des Jeux olympiques, de l’Eurovision ou du championnat du monde de backgammon, chaque victoire israélienne en 16e de finale d’un championnat de badminton suscite la « fierté nationale ». Chaque médaille au championnat de taekwondo en Albanie « apporte de l’honneur ». Une médaille d’or au concours de cerceaux en groupe de gymnastique rythmique le place sur la carte du monde, le championnat européen de planches de surf RSX rehausse son statut parmi les nations. Une ex- Israélienne représentant le Luxembourg à l’Eurovision de cette année ? « La fierté bleue et blanche ».

Des Palestiniens conduisent une charrette tirée par un âne sur une route de plage détruite dans la ville de Gaza, lundi 19 février. Photo : Kosay Al Nemer/Reuters

 Il est peu probable qu’il existe un autre pays dans lequel des réalisations aussi mineures soient considérées comme aussi importantes. C’est comme si quelqu’un, quelque part dans le monde, avait une meilleure opinion du Kazakhstan parce que l’un de ses athlètes a un jour remporté une compétition de patinage artistique. En Israël, cela est considéré comme un événement national qui mérite un appel du président.

Ce désir puéril de reconnaissance pourrait être touchant, voire émouvant - un jeune pays qui fait son chemin - si Israël n’avait pas renoncé à son honneur sur les questions importantes. Si l’on fait abstraction de ses succès sportifs et de l’Eurovision, Israël est un pays sans honneur. Peut-être s’imagine-t-il qu’Eden Golan se produisant à Malmö couvrira ce qui se passe à Khan Younès. Mais, bien sûr, c’est un faux espoir.

Il est difficile de croire qu’un pays si soucieux de son honneur agisse comme s’il ne se souciait pas de sa position internationale. La guerre dans la bande de Gaza a abaissé le statut d’Israël à un niveau sans précédent, mais Israël a fermé les yeux et l’esprit une fois de plus, de manière puérile, en espérant que s’il ignore la réalité, il pourra ignorer le déshonneur. Il ne fait rien pour améliorer son statut et sa dignité et retrouver un peu de fierté.

Il est difficile de penser à d’autres pays dont la conduite les a conduits à La Haye à deux reprises en l’espace de quelques semaines pour génocide et pour des délibérations sur ce qui est clairement une occupation illégale. Et Israël ? Il pense que le crachat sur son visage est de la pluie. Il accuse le juge maudit, l’antisémitisme, l’hypocrisie et la méchanceté du monde. Il ne veut pas contester les accusations qui pèsent sur lui. Ce n’est même pas une question d’intérêt. Toutes les grandes chaînes de télévision du monde ont retransmis les séances du tribunal de La Haye cette semaine, alors que seul Israël les a ignorées. Ni intéressant, ni important. Si nous fermons les yeux, ils ne nous verront pas. Si nous ignorons La Haye, La Haye disparaîtra.

Mais La Haye vit et respire, et ses procédures auraient dû causer un grand embarras et une grande honte à Israël. Après que le monde a vu Gaza, a vu et s’est effondré - il n’y a pas d’être humain qui ne réagisse pas de la sorte - les audiences de La Haye ont suivi. Incisives, fondées et sérieuses sur l’accusation de génocide, et plus encore sur l’occupation. Mais Israël n’en tient pas compte.

Israël envahira Rafah, même si cela signifie que sa position aux yeux du monde se dégrade davantage. Il ne participera pas aux délibérations de La Haye sur l’occupation. Cela ne fera que montrer qu’il n’a pas de ligne de défense. Israël a renoncé à ce qui lui restait de dignité. Il se moque d’être un pays ostracisé, marginalisé (si le monde entier est contre nous, peu importe notre comportement) tant que cela ne se traduit pas par des mesures concrètes à son encontre.

Mais au-delà du pont aérien d’armes usaméricain, du veto du Conseil de sécurité de l’ONU et de l’absence de sanctions jusqu’à présent, le pays, tout comme une personne, dispose d’un atout important : sa bonne réputation. Israël y a renoncé. Peut-être a-t-il désespéré du monde, peut-être a-t-il découvert qu’il pouvait se passer de sa bonne réputation. Cela ne fait certainement pas partie des facteurs qu’il prend en considération avant et après chaque guerre.

Il n’y a pas si longtemps, ce même monde était amoureux de l’État d’Israël, lorsqu’il agissait en tant que membre de la famille des nations. Le monde est peut-être cynique et n’aime que le pouvoir, comme Israël se le dit, mais il y a aussi la justice, le droit international et les considérations morales, la société civile et l’opinion publique, et ils sont importants - au moins autant que l’« honorable » troisième place à l’Eurovision 2023.

 

Pedripol, Espagne

 

18/02/2024

GIDEON LEVY
Le monde doit imposer la paix à Israël

Gideon Levy, Haaretz, 18/2/2024
Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala

Le moment est venu pour les USA et dans leur sillage la communauté internationale, de prendre une décision : le cycle sans fin de la violence entre Israël et les Palestiniens va-t-il se poursuivre ou allons-nous tenter d’y mettre un terme ? Les USA vont-ils continuer à armer Israël et à déplorer ensuite l’usage excessif de ces armements, ou sont-ils enfin prêts à prendre des mesures concrètes, pour la première fois de leur histoire, afin de changer la réalité ? Et surtout, l’attaque israélienne la plus cruelle contre Gaza deviendra-t-elle la plus inutile de toutes, ou l’occasion qui s’est présentée à sa suite ne sera-t-elle pas ratée, pour une fois ?


Il ne sert à rien d’en appeler à Israël. Le gouvernement actuel, et celui qui le remplacera probablement, n’a pas et n’aura jamais l’intention, le courage ou la capacité de générer un changement. Lorsque le Premier ministre répond aux propos usaméricains sur la création d’un État palestinien par des mots indiquant qu’il « s’oppose aux mouvements forcés » ou qu’ « un accord ne sera conclu que par le biais de négociations» tout ce que l’on peut faire, c’est rire et pleurer.

Rire, parce qu’au fil des ans, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a fait tout ce qu’il pouvait pour faire échouer les négociations ; pleurer, parce que c’est Israël qui emploie la coercition - la nature de sa politique à l’égard des Palestiniens est une coercition mise en œuvre dans une grande démarche unilatérale, violente, agressive et arrogante. Tout à coup, Israël est contre les actes de coercition ? L’ironie se cache la tête dans la honte.

Il est donc inutile d’attendre du gouvernement israélien actuel qu’il change de caractère. Il est tout aussi vain d’attendre d’un gouvernement dirigé par Benny Gantz, Gadi Eisenkot ou Yair Lapid qu’il le fasse. Aucun d’entre eux ne croit en l’existence d’un État palestinien dont le statut souverain et les droits seraient égaux à ceux d’Israël. Tous les trois, ensemble et chacun séparément, accepteront tout au plus, dans un très bon jour, la création d’un bantoustan sur une partie du territoire. Une véritable solution ne sera pas trouvée ici. Il vaut mieux laisser Israël se complaire dans son refus.

Mais le monde ne peut pas se permettre de laisser passer cette occasion. C’est le monde qui devra bientôt reconstruire, avec ses fonds, les ruines de la bande de Gaza, jusqu’à la prochaine démolition par Israël. C’est le monde dont la stabilité est compromise tant que l’occupation persiste, et qui l’est encore plus chaque fois qu’Israël se lance dans une nouvelle guerre. C’est le monde qui reconnaît que l’occupation est néfaste pour lui, mais qui n’a jamais levé le petit doigt pour y mettre fin. Aujourd’hui, l’occasion de le faire se présente. La faiblesse et la dépendance d’Israël à la suite de cette guerre doivent être exploitées, dans l’intérêt d’Israël également.

Assez de mots. Assez des cycles de négociations futiles organisés par le secrétaire d’État usaméricain Antony Blinken et des mots durs prononcés par le président Joe Biden. Ils ne mènent nulle part. Le dernier président sioniste, peut-être le dernier à se soucier de ce qui se passe dans le monde, doit agir. En guise de prélude, on pourrait s’inspirer des paroles étonnamment simples et vraies du responsable de la politique étrangère de l’Union européenne, Josep Borrell, qui a déclaré : « Eh bien, si vous pensez que trop de gens sont tués, peut-être devriez-vous fournir moins d’armes [à Israël] ».

Toutefois, la question n’est pas seulement de mettre fin à la guerre, mais surtout de savoir ce qui se passera une fois qu’elle sera terminée. Si cela dépendait d’Israël, sous n’importe quel gouvernement, nous retournerions dans le giron chaleureux de l’apartheid et nous reviendrions à la vie par le sabre. Le monde ne peut pas accepter cela plus longtemps et ne peut pas laisser le choix à Israël. Israël a parlé : c’est Non. Le temps est venu de trouver une solution semblable aux accords de Dayton. Il s’agit d’un accord forcé et imparfait conclu en Bosnie-Herzégovine qui a mis fin à l’une des guerres les plus cruelles et qui, contrairement à toutes les prévisions, a tenu pendant 29 ans. L’accord a été imposé par la coercition.

 Un État palestinien n’est peut-être plus une solution viable en raison des centaines de milliers de colons qui ont ruiné les chances d’en créer un. Mais un monde déterminé à trouver une solution doit proposer un choix clair à Israël : des sanctions ou la fin de l’occupation ; des territoires ou des armes ; des colonies ou un soutien international ; un État démocratique ou un État juif ; l’apartheid ou la fin du sionisme. Lorsque le monde se montrera ferme, en posant ces options de cette manière, Israël devra prendre une décision. Le moment est venu de forcer Israël à prendre la décision la plus fatidique de sa vie.

17/02/2024

GIDEON LEVY
Les adolescents palestiniens de Cisjordanie rédigent leurs testaments, et ont de bonnes raisons pour cela

 Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 17/2/2024
Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala


Alors qu’Abderrahman Hamad, élève de terminale, rentrait à pied de l’école, un soldat israélien lui a tiré une balle dans l’estomac, le tuant. Après sa mort, une lettre qu’il avait écrite six mois plus tôt à sa famille a été retrouvée. Il fait partie des nombreux adolescents de Cisjordanie qui rédigent leur testament.

Abderrahim Hamad, devant une photo de son défunt fils, Abderrahman. Il a donné des instructions à sa famille : « Ne me mettez pas dans un congélateur, enterrez-moi immédiatement. Allongez-moi sur mon lit, couvrez-moi de couvertures et emmenez-moi à l’enterrement ».

Abderrahman Hamad a rédigé ses dernières volontés. Un long texte avec des instructions détaillées, d’une graphie scrupuleuse. De plus en plus d’adolescents palestiniens de Cisjordanie occupée rédigent des testaments ces jours-ci, et avec encore plus d’intensité à la suite des événements survenus dans la bande de Gaza. Hamad a demandé à être enterré le plus rapidement possible, et a demandé à sa famille d’utiliser une bonne photo de lui comme photo de profil dans les réseaux sociaux et d’ajouter un verset de prière à côté, et surtout de ne pas pleurer sa mort.

« Ne me mettez pas dans un congélateur, enterrez-moi immédiatement. Posez-moi sur mon lit, couvrez-moi de couvertures et emmenez-moi à l’enterrement. Quand vous me descendrez dans la tombe, restez derrière moi. Mais ne soyez pas triste. Ne vous souvenez que des beaux souvenirs que vous avez de moi et ne vous lamentez pas sur mon sort. Je ne veux pas que quelqu’un soit triste ». Hamad a rédigé son testament le 18 juillet dernier et l’a remis à un ami pour qu’il le conserve. Une photo du texte est stockée dans le téléphone portable du père endeuillé.

Iyad Hadad, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, le traduit et le lit pour nous. Soudain, il s’étrangle, avant d’éclater en larmes déchirantes qui ne s’arrêtent pas. Nous n’avons jamais vu Hadad pleurer. Il s’occupe des droits humains dans les territoires depuis 1986, d’abord pour l’organisation palestinienne Al Haq, puis depuis 24 ans pour B’Tselem. Il a tout vu, il a enquêté sur tous les cas de meurtres et autres crimes de l’occupation dans la région de Ramallah, et maintenant il pleure abondamment. Les dernières volontés et le testament de quelqu’un qui n’avait pas encore 18 ans l’ont fait craquer. Le visage du père du défunt, Abderrahim, est bouleversé par le chagrin, mais ses yeux restent secs. Un silence pesant s’installe dans la salle.

Le 29 janvier, nous nous sommes rendus dans le village d’Al-Mazra’a a-Sharqiya pour enquêter sur les circonstances du meurtre de Taoufik Abdeljabbar, un adolescent usaméricain abattu par des soldats ou des colons israéliens - ou les deux. En chemin, nous avons traversé la ville de Silwad. Lorsque nous sommes arrivés à Al-Mazra’a a-Sharqiya, nous avons été informés qu’un autre adolescent avait été tué, cette fois à Silwad, peu de temps après notre départ. Cette semaine, nous sommes retournés à Silwad.

L’endroit où Abderrahman a été tué

Perchée sur une colline, c’est une ville aisée et relativement développée d’environ 6 000 habitants, au nord-est de Ramallah. La construction y est intense, comme nous ne l’avons pas vu dans d’autres villes et villages. C’est aussi un lieu militant, où les Forces de défense israéliennes effectuent fréquemment des raids, provoquant les habitants, dont la ville est proche de la route 60, la principale artère de Cisjordanie, sur laquelle circulent les colons et où des pierres sont jetées. Au cours des cinq dernières années, Silwad a perdu sept de ses fils ; le chef du Hamas, Khaled Meshal, est né ici en 1956 et a grandi dans la ville.

Dimanche dernier, Abderrahman Hamad aurait fêté son 18e  anniversaire. Il ne l’a pas fêté - il était déjà mort depuis deux semaines. Cette semaine, dans une rue où l’on construit de splendides demeures en marbre, à côté de la tour résidentielle Al Hourriya, un camion a déchargé des matériaux de construction dans la cour de l’une de ces demeures. De l’autre côté de la rue, deux fanions palestiniens sortent du sol, et deux cercles faits de morceaux de marbre cassés, sur l’un desquels le nom d’Abderrahman Hamad a été inscrit au crayon. Des ordures volent autour de ce mémorial improvisé. C’est ici que l’adolescent a été tué.

C’était un lundi et Abderrahman rentrait de l’école. Sur les médias sociaux, on annonçait que l’armée israélienne, qui avait envahi la ville peu après 8 heures du matin, avait commencé à se retirer. Mais dans la rue où Abderrahman marchait, apparemment seul, il y avait encore deux véhicules blindés israéliens : une jeep de la police et une voiture de l’armée. La rue est parallèle à l’avenue des maisons en construction, sur la pente de la colline, et il est apparu par la suite qu’entre les squelettes des maisons, qui appartiennent toutes à la famille élargie des Qassam, quelques autres jeunes se cachaient. Ils suivaient les forces de sécurité qui partaient et attendaient l’occasion de leur jeter des pierres.

Soudain, la porte d’un des véhicules garés s’ouvre. Un soldat ou un agent de la police des frontières sort son corps et tire un seul coup de feu, aussi précis que mortel, en plein dans l’estomac d’Abderrahman. La distance entre le sniper et sa victime était d’environ 150 mètres, et le jeune était plus haut dans la rue que le tireur. Immédiatement après, la porte du véhicule blindé s’est refermée et les deux véhicules ont démarré en trombe. Ils ont tiré, ils ont tué, ils ont fui.

Un barrage routier sur la route menant à Silwad. Photo : MARCO LONGARI - AFP

Ils ont avorté la vie d’un jeune et détruit la vie d’une famille, même s’il est peu probable qu’ils y aient songé ne serait-ce qu’une seconde. Même si Abderrahman avait lancé une pierre ou (comme le prétend la police) un cocktail Molotov, il n’aurait jamais pu mettre en danger la vie des soldats et de la police des frontières. À cette distance, il n’avait aucune chance d’atteindre les véhicules blindés. Néanmoins, pourquoi ne pas mettre fin à la vie d’un jeune si vous le pouvez ? Après tout, personne ne s’y intéressera par la suite, à part la famille brisée.

Pendant que tout cela se passait, un témoin oculaire, dont l’identité est en possession de Hadad, l’enquêteur de terrain, était assis sur le balcon de sa maison, en face des deux véhicules de sécurité, et observait les événements. Il venait d’échanger des messages avec sa femme, qui réside en Jordanie. Elle lui a demandé comment il allait et il l’a informée qu’une invasion de l’armée israélienne était en cours et que les soldats avaient recouvert le centre de la ville de gaz lacrymogènes. À Silwad, on estime que l’invasion des FDI et de la police des frontières ce jour-là n’était rien d’autre qu’une démonstration de force orchestrée par le nouveau commandant de zone du service de sécurité Shin Bet, dont le nom de code est “Omri”.

Quoi qu’il en soit, la femme de l’homme lui a demandé de filmer les événements pour elle, ce qu’il a fait. Les images qu’il a prises du haut d’un olivier dans la cour montrent une rue étonnamment calme et tranquille, sans pierres ni cocktails Molotov volant dans les airs. Soudain, le silence est rompu par le bruit d’un tir provenant de l’un des véhicules blindés. Immédiatement après, des ambulanciers, venus d’une ambulance garée à proximité, courent vers la victime, tandis que les deux véhicules israéliens repartent rapidement dans la direction opposée. Les héros ont fait leur travail de la journée - il est temps de partir.

Le chauffeur de l’ambulance palestinienne, qui attendait au bout de la rue, comme c’est l’usage lorsque les forces de sécurité envahissent les lieux, a vu Abderrahman s’effondrer au sol. Lui et son équipe l’ont emmené d’urgence au service de soins de la clinique locale. Le jeune homme est dans un état critique. La balle a pénétré dans sa hanche et est ressortie par la poitrine - il était apparemment en train de se pencher lorsqu’il a été touché. Les tentatives de réanimation sont restées vaines.


Le père d’Abderrahman, Abderrahim Hamad

L’unité du porte-parole des FDI a renvoyé Haaretz à la police des frontières. Un porte-parole de la police israélienne (dont dépend la police des frontières) a déclaré cette semaine en réponse à la demande de commentaire de Haaretz : « Pendant l’intervention des forces de sécurité, le suspect a lancé un cocktail Molotov sur les combattants et a mis leur vie en danger. En réponse, un combattant lui a tiré dessus et a neutralisé le danger ».

Abderrahman était le fils aîné d’Abderrahim, 44 ans, et de sa femme, Inam Ayad, 42 ans. Il était élève en 12e année, dans la filière scientifique. Son ambition étant d’étudier la médecine, il a travaillé dur avant les examens d’entrée à l’école, non seulement pour être admis à l’école de médecine, mais aussi dans l’espoir d’obtenir une bourse d’études. Des photographies le montrent prenant la parole lors d’assemblées scolaires et de fêtes de fin d’année. Grand et beau, il se distinguait de ses camarades. Il jouait dans l’équipe de football de Silwad, mais ces derniers mois, il consacrait tout son temps à ses études, comme il l’a fait la dernière nuit de sa vie.

Le matin du 29 janvier, alors que son père s’apprêtait à partir travailler (dans la construction) dans le village voisin d’Aïn Sinya, il a remarqué que son fils dormait encore. Il a décidé de ne pas le réveiller, car il savait qu’Abderrahman avait étudié jusque tard dans la nuit. Son père a quitté la maison à 6h30, et la mère du jeune homme l’a réveillé environ une heure plus tard et l’a conduit à l’école dans sa voiture. À 11h30, elle a appelé son mari pour lui dire que l’armée avait envahi Silwad. Elle lui a demandé d’appeler leur fils cadet, Sliman, 15 ans, qui travaille dans le bâtiment dans la ville, pour s’assurer qu’il allait bien. Ils ne se sont pas inquiétés pour Abderrahman, sachant qu’il était à l’école. Sliman allait bien, les forces de sécurité n’étaient pas allées sur son lieu de travail.

À 12 heures, Abderrahim appelle sa femme. On lui répond que le centre de la ville est recouvert d’un nuage de gaz lacrymogène qui pénètre dans les maisons. Tant que les enfants vont bien, se dit le père. À 12h30, alors qu’il prenait un petit-déjeuner tardif avec les ouvriers, il a reçu un appel anonyme, qui s’est déconnecté sans que personne ne dise rien. Quelques minutes plus tard, son frère l’a appelé pour lui dire de rentrer rapidement à la maison. Pourquoi ? « Oubeida [surnom d’Abderrahman] était blessé », Le père dit qu’il est tombé en état de choc.


Des fillettes de la famille d’Abderrahman assistent à ses funérailles. Photo : JAAFAR ASHTIYEH - AFP

« Je ne savais pas quoi faire », se souvient-il. «  Ma main s’est portée sur le numéro de téléphone d’Oubeida et je l’ai appelé ». C’est un ambulancier palestinien qui a répondu. Il a demandé comment allait son fils et le chauffeur a répondu : « Il va bien. Je te tiendrai au courant bientôt ».

Désemparé, Abderrahim attend une minute ou deux et appelle à nouveau. Cette fois, le chauffeur lui dit : « On espère qu’il s’en sortira ». Abdel Rahman était déjà mort, mais son père ne le savait pas encore et était certain que son fils serait transporté d’urgence de la clinique de Silwad à l’hôpital gouvernemental de Ramallah. Il a demandé au chauffeur de le prendre en route - son lieu de travail se trouve sur la route principale menant à Ramallah. Un peu plus tard, son frère l’a appelé et lui a répété : « Reviens en ville, et vite ».

Il comprend alors que son fils est mort. Encore étourdi, il s’est rendu à la première clinique, où on lui a dit que son fils était à l’hôpital. Arrivé sur place, il est sorti de la voiture et s’est évanoui, s’effondrant sur le sol. Il ne se souvient pas des minutes qui ont suivi.

Les photos des jeunes morts sont accrochées au mur de l’élégant salon. L’une d’entre elles est composée des portraits des trois membres de la famille qui ont été tués par les troupes israéliennes au fil des ans : Abderrahman au centre, flanqué de ses deux oncles décédés. Son oncle Jihad Iyad, le frère de sa mère, a été tué par des soldats israéliens en 1998, alors qu’il avait 17 ans ; l’autre oncle, le frère de son père, Mohammed Hamad, a été tué par des soldats en 2004, à l’âge de 21 ans. Abderrahman ne connaissait ni l’un ni l’autre. Son père ajoute à voix basse que son propre oncle a lui aussi été tué, en 1989, et un silence oppressant s’installe à nouveau dans la pièce.

15/02/2024

GIDEON LEVY
Con la “perfecta” operación de rescate de rehenes argentino-israelíes, la deshumanización israelí de los palestinos en Gaza alcanzó un nuevo umbral

 Gideon Levy, Haaretz, 14-2-2024
Traducido por Fausto Giudice, Tlaxcala

Como en los buenos viejos tiempos, Israel vuelve a rendir culto a su ejército. La redada que liberó a Luis Norberto Har y Fernando Marman desató un crescendo de alegría junto con un resurgimiento del orgullo nacional. Los videoclips “permitidos para su publicación” nos devuelven a la época en que el ejército era como una producción de Hollywood, y todo el mundo competía para ver quién podía colmar de elogios a la unidad antiterrorista Yaman y al servicio de seguridad Shin Bet. Fue una operación perfecta, decían todos los expertos en inteligencia, con cero bajas.

Fernando Simón Marman, de 60 años, y Norberto Luis Har, de 70, tras su liberación
Algunas víctimas “colaterales” anónimas

Fue, en efecto, una operación impresionante y motivo de alegría, pero no fue perfecta y desde luego no hubo “cero bajas”. El hecho de que al menos 74 palestinos, incluidos mujeres y niños, murieran durante la operación apenas se mencionó en Israel. Quizás esas muertes eran inevitables. Quizás incluso si el número de muertes palestinas hubiera sido siete veces mayor no habría empañado la celebración. Dos argentino-israelíes muy simpáticos fueron liberados y todo lo demás no importa.

Las imágenes que vi de los hospitales de Rafah el día del rescate fueron de las más horribles que he visto en esta guerra. Niños despedazados, convulsionando, contemplando impotentes su muerte. El horror. No es necesario entrar en el dilema moral de si la liberación de dos rehenes justifica la muerte de 74 personas -esa pregunta es superflua en una guerra tan cruel- para señalar el absoluto desprecio de Israel por las muertes colaterales. El día de la operación, Israel mató a 133 personas en toda Gaza, la mayoría de ellas, como es habitual en esta guerra, civiles inocentes, entre ellos muchos niños.

Todos nos alegramos de que fueran liberados, y la operación en sí misma fue moral y estuvo plenamente justificada. Pero el desprecio por la muerte de decenas de personas como si no fueran humanas es un ultraje. Liberar más y más rehenes, tantos como sea posible. Maravíllense, regocíjense y siéntanse orgullosos, pero mencionen al menos el terrible precio pagado por los gazatíes por esta justa operación. Los niños despedazados no participaron en la toma de los rehenes. Han sido destinados a pagar el cruel precio de lo que hizo Hamás. Junto a nuestra alegría, uno no puede evitar pensar en ellos y en su destino. Una operación no puede ser perfecta si ese es su precio.

El desprecio por 74 personas muertas en una operación justa y recta no debería sorprender a nadie. La deshumanización de los gazatíes en esta guerra se ha hundido a un nivel que no habíamos conocido antes, incluso después de décadas de deshumanización de los palestinos bajo la ocupación.

La vergonzosa falta de cobertura del sufrimiento de Gaza por parte de la mayoría de los medios de comunicación israelíes será recordada eternamente con vergüenza, al menos eso espero. Como resultado, los palestinos son vistos por la mayoría de los israelíes como no humanos e incluso no animales. En Israel, las más de 28.000 víctimas mortales de Gaza se consideran un mero número, nada más. El desarraigo y desplazamiento de millones de personas trasladadas de un lugar a otro como si fueran un rebaño de ovejas y la increíble y descarada presentación de esto como una “medida humanitaria” ha deshumanizado aún más a los gazatíes. Si uno cree que son seres humanos, seguramente no se puede tratar a la gente así. No se puede maltratar a la gente durante tanto tiempo si se cree que son humanos.

El primer ministro Benjamín Netanyahu no es el político más tempestuoso de su gobierno: ni siquiera la Corte Internacional de Justicia de La Haya ha podido dar con una sola declaración genocida suya (a diferencia de lo que ocurrió con el presidente Herzog). Sin embargo, expresó esta deshumanización de una forma especialmente pintoresca cuando comparó la guerra de Israel contra Hamás con un vaso de cristal que ya habíamos roto; ahora, dijo, quedan los fragmentos y los estamos pisando hasta que no quede nada.

Netanyahu hablaba de Hamás, pero al fin y al cabo, todo el mundo sabe que Gaza es Hamás. Rompimos el vaso de Gaza, ahora pisamos sus fragmentos hasta que se convierten en granos de arena, aire, nada: polvo humano, polvo subhumano.