Une ville verrouillée, des rues
désertes, des habitants enfermés chez eux - effrayés et furieux. Des colons à l’affût
dans leurs voitures, des soldats à chaque coin de rue, des bâtiments brûlés et
des carcasses noircies de voitures.
Le camion-citerne d’épuration de Youssef Damaidi, lundi à Huwara. Des
morceaux de métal et de verre en tombent après chaque coup de l’enfant Photo :
Moti Milrod
Lundi matin,
la tête décapitée d’une vache était suspendue à un crochet à l’entrée d’une
boucherie de la rue principale de Huwara. C’était la seule chose suspendue à l’extérieur
de la longue rangée de magasins, tous fermés, donnant à la ville de Cisjordanie
l’apparence d’être sous couvre-feu. L’armée avait en effet interdit aux
Palestiniens de circuler dans les rues ou d’ouvrir leurs commerces. La présence
d’une troupe de reporters et de photographes portant des gilets pare-balles,
des masques à gaz et des casques, évoquait des scènes de guerre.
Mais le
choc, la rage et le désespoir du lendemain matin dominaient tout dans ces rues
tranquilles. Tous ces sentiments étaient palpables malgré les fenêtres à
barreaux de chaque maison, à travers lesquelles des femmes et des enfants
effrayés jetaient un coup d’œil. Tous ces sentiments se reflétaient sur les
visages des quelques habitants qui s’aventuraient à l’extérieur pour évaluer
les dégâts, et émanaient également des fçades muettes de dizaines de bâtiments
calcinés et de centaines de voitures brûlées, certaines réduites à une pulpe
métallique gris terne.
Lendemains d’un pogrom
Les soldats
israéliens sont toujours postés sur les toits des immeubles, ces mêmes soldats
qui n’ont rien fait la veille pour empêcher des centaines de colons de se
déchaîner dans la ville de Huwara, située aux environs de Naplouse. Le
gouverneur palestinien de cette ville était arrivé un peu plus tôt pour
examiner la scène, suivi par une visite du ministre israélien de la Défense.
Pour le gouverneur, il s’agissait d’une visite de courtoisie sans importance ;
après tout, il est impuissant à protéger ses sujets, leurs biens ou leur
dignité.
Les conséquences du saccage des
colons à Hawara, cette semaine.Photo : Moti Milrod
“Ibrahim
Aluminum”, ”Peace Construction Materials” et ”Naji Air Conditioners” - des
panneaux en hébreu sont accrochés à l’extérieur des petites boutiques. “Des
vêtements pour toute la famille, des prix incroyables”, dit un autre panneau,
également en hébreu. Toutes ces enseignes sont des monuments aux anciens
clients, qui peuvent revenir ou pas.
La
formidable route de contournement de Huwara, actuellement en construction, sera
bientôt achevée, et les colons n’auront plus besoin de traverser la ville en
voiture - sauf pour perpétrer des pogroms. Huwara est une cible commode pour
les colonies violentes implantées sur la montagne qui la surplombe : de temps
en temps, les colons descendent, brûlent, détruisent, parfois tuent - et
repartent. Les maisons situées dans la partie nord de la ville, près des routes
menant aux colonies d’Itamar et de Yitzhar, sont les plus susceptibles d’être
attaquées.
Dimanche
dernier, des colons se sont déchaînés ici pendant cinq heures d’affilée, n’hésitant
pas à vandaliser les maisons et les commerces des habitants. Lorsque l’on se
trouve à Huwara le lendemain matin, il est impossible de ne pas se demander
comment 400 colons ont pu prendre d’assaut la ville pendant autant d’heures
sans que personne ne les arrête ou ne protège les habitants - à moins que l’armée
n’ait voulu que ce saccage ait lieu. Lorsque vous êtes à Huwara le lendemain
matin, il est également impossible de ne pas imaginer ce qui se serait passé si
400 Palestiniens avaient attaqué les colonies de Yitzhar, en haut de la
montagne, ou de Givat Ronen, Har Bracha et Itamar, incendiant les maisons et
les voitures de leurs habitants par vengeance. Après tout, le sang bouillonne
aussi à Huwara, tout comme il bouillonne à Har Bracha depuis l’attaque
terroriste de dimanche dernier qui a tué deux frères de cette colonie, alors qu’ils
traversaient en voiture la ville palestinienne voisine.
Des soldats et des colons
israéliens à Huwara cette semaine.Photo : Moti Milrod
À l’entrée
de la salle d’exposition du magasin de Raad et Hadi, qui vend des pièces
détachées pour véhicules de luxe, une telle voiture était exposée : Il ne
restait que la coquille nue et noircie de l’Audi qui avait été incendiée, ou
peut-être était-ce une Skoda.
Huwara est
en fait une rue principale qui a une ville. L’autoroute 60 la traverse sur
toute sa longueur, comme elle traverse toute la Cisjordanie. Mais ce n’est qu’ici
que cette artère principale passe par une localité palestinienne, du moins jusqu’à
l’achèvement de la route de contournement - qui, avec un système ramifié de
routes de contournement construites ces dernières années, déterminera l’avenir
du projet de colonisation de manière bien plus décisive qu’une autre centaine d’avant-postes
de colons qui y poussent. Construites sur des terres palestiniennes, bien sûr,
ces routes servent à rapprocher encore davantage les colonies d’Israël, à
faciliter leur intégration dans le pays et, d’une manière générale, à faciliter
la vie de leurs résidents.
En
attendant, il y a la carcasse calcinée de l’Audi et des centaines d’autres
voitures qui ont connu le même sort dans toute la région de Hawara, leurs pneus
ayant fondu en une bouillie noire. Certains de ces véhicules avaient été
utilisés, d’autres étaient garés dans des décharges où les propriétaires
espéraient les vendre pour leurs pièces détachées. L’un de ces parcs, le plus
grand d’entre eux, ressemblait cette semaine à un cimetière de victimes d’un
brasier.
Conséquences du saccage des colons
à Hawara, cette semaine. Photo : Moti Milrod
L’odeur de
la fumée flottait encore dans l’air lundi ; de la fumée s’échappait encore de
quelques véhicules incendiés. Le silence momentané a été soudainement rompu par
une vieille VW Golf verte arborant un drapeau israélien qui a dévalé l’autoroute
60. Comme tous ceux qui sont passés par ici ce jour-là, ses passagers ont
chahuté les habitants en criant et en faisant des gestes. Une pierre a été
jetée, la Golf s’est arrêtée. Les soldats se sont précipités pour intervenir,
tout semblait sur le point d’éclater à nouveau en violence.
« Qui a
jeté cette pierre ? », a crié un officier de l’armée, hystérique. « Sortez
vos chiens d’ici », a rétorqué courageusement un homme de la région. Seule
la présence de la presse locale et étrangère lui a apparemment épargné un
passage à tabac ou une arrestation.
« Rédempteurs
de la terre »- tel est le slogan collé sur la vieille Golf. Elle a été
rejointe par quelques autres voitures de colons qui sont arrivées à toute
vitesse, les passagers sortant avec empressement, apparemment prêts à se battre
ou à jeter un coup d’œil aux dégâts qu’ils ont causés la veille. Le vintage
semble être leur truc : au moins deux des véhicules des envahisseurs portaient
les plaques d’immatriculation spéciales des voitures de collection.
Un bâtiment incendié pendant le
pogrom de Huwara. Photo : Majdi Mohammed/AP
Ils sont là,
les colons : des hooligans religieux costauds, grossiers et vulgaires, se
promenant comme des seigneurs et affichant un comportement arrogant vis-à-vis
des Palestiniens et des soldats. Bottes quasi-militaires, pantalons rentrés
dans les bottes, T-shirts portant des inscriptions provocantes. Le conducteur
de la Golf était masqué, peut-être dans le but de paraître plus menaçant. Tous
ces gens savent qu’ils n’ont rien à craindre ici. Un soldat a posé doucement
une main sur l’épaule de l’un d’entre eux et l’a escorté vers une voiture. Les
colons que nous avons vus étaient presque certainement ici le dimanche.
« Je
vous ai tous à l’œil, faites gaffe », a sifflé l’officier aux nombreux
reporters et photographes palestiniens, qui essayaient d’obtenir un cliché des
colons et des soldats, frères d’armes. « Eitan, dis à Sagi d’appeler
Shapira », a-t-il hurlé.
Toutes les
quelques minutes, un bus blindé presque vide passait, empruntant les routes
habituelles desservant les colons. Les transports publics semblent être
meilleurs ici qu’à Tel Aviv. L’entrée d’une grande villa brune au bord d’une
route est carbonisée ; les restes des pneus qui l’ont incendiée gisent sur le
chemin, un jeu de cartes est éparpillé sous quelques oliviers et un grill de
barbecue se dresse désespérément. La maison est vide, ses occupants ont peur de
revenir. Des poteaux de clôture se trouvent le long du chemin menant à la
maison. Leur but est clair, mais une barrière aussi peu solide n’arrêtera
probablement pas les pogromistes de la montagne.
Conséquences du saccage des colons
à Hawara, cette semaine. Photo : Moti Milrod
Le mur
extérieur d’une autre grande maison de la ville est noirci sur toute sa
longueur - quatre étages de suie et de climatiseurs liquéfiés. Il est peu
probable que cette structure, l’une des plus hautes de Huwara, soit habitable.
Quelqu’un a déjà boulonné des tôles aux fenêtres du rez-de-chaussée, pour
empêcher les pillages. Les dégâts économiques sont particulièrement visibles
dans la rue principale. Les pots de fleurs brisés que les saccageurs ont jetés
sur leur passage ajoutent une dimension apocalyptique à la scène.
Sur la route
menant à Huwara se tient un groupe de femmes colons portant des drapeaux
israéliens, gardés par des soldats dans un véhicule blindé. Ces jours-ci, à
Huwara, il n’est permis d’arborer que le drapeau israélien - ostensiblement le
symbole national des habitants de la ville. Le fait que seules les voitures des
colons aient été autorisées à traverser la ville lundi était également une
forme de justice poétique : la récompense allait aux pogromistes et la punition
à leurs victimes, comme après le massacre perpétré contre les Palestiniens par
le colon Baruch Goldstein en un autre temps et lieu.
La cabine du
conducteur et le moteur du camion-citerne d’eaux usées appartenant à Yusuf
Damaidi, 37 ans, ont été ravagés par les flammes dimanche. La citerne elle-même
n’a pas été touchée. Le lendemain, de la fumée s’élevait encore de la partie
avant et des eaux usées s’écoulaient de l’arrière. Le jeune fils de Damaidi
frappe la cabine du conducteur avec un bâton, et des éclats de métal et de
verre tombent sur le sol.
Une maison visée par le
déchaînement des colons à Huwara, cette semaine. Photo : AMMAR AWAD/Reuters
Un complexe
appartenant à une autre famille (mais sans lien de parenté) nommée Damaidi, à l’est
de Huwara, possède deux bâtiments de deux étages, revêtus de pierre et carrelés
de marbre, une cour bien entretenue et une luxueuse résidence d’hôtes au
milieu. Mais la maison d’hôtes, dont la construction a été achevée il y a tout
juste quatre mois, nous a dit Radwan Damaidi, a été totalement ravagée par le
feu dimanche - ce qui évoque pour nous des images de l’incident de 2015 dans le
village de Douma, où une famille et sa maison ont été incendiées.
Radwan, son
père et son frère possèdent un magasin qui vend de l’or à Naplouse et ils ont
quelques voitures de luxe sur leur parking. L’une d’elles a été incendiée et la
lunette arrière d’un 4X4 a été brisée par des colons. Au départ, raconte
Radwan, ils étaient environ 25, qui ont sauté par-dessus le mur de pierre qui
entoure le complexe ;. Ils sont ensuite partis, pour revenir avec des dizaines
de hooligans en renfort. C’est alors qu’ils ont mis le feu à la maison d’hôtes
et au beau coin salon dans la cour.
Le panier de
za’atar frais qui était sur la table n’est plus qu’une bouillie de suie. Le
vélo d’appartement de la maison d’hôtes n’est plus qu’une carcasse brûlée.
Certaines des fenêtres des étages supérieurs de l’enceinte ont été brisées par
des pierres lancées par les colons, et une partie d’un escalier en marbre a été
fracassée. Quatre soldats se tenaient à l’entrée du complexe alors que le
pogrom faisait rage et n’ont rien fait, dit Radwan. Ils pensaient peut-être que
leur tâche était de protéger les colons. Fatma, la grand-mère de Radwan, s’est
évanouie lorsque les colons ont fait irruption dans la cour de sa maison. Chez
un voisin, une voiture a été carbonisée.
« C’est l’heure de Ben-Gvir »,
disait un autocollant sur l’une des voitures qui passaient en trombe dans la
rue principale.
Si les
forces de sécurité de l’[In]Autorité palestinienne, bien entraînées, n’ont pas
trouvé le moyen de protéger leurs compatriotes contre les attaques des colons,
elles sont toujours là pour les réprimer.
Des soldats israéliens se tiennent
devant un bâtiment incendié lors d’une attaque de colons à Huwara, en
Cisjordanie, lundi dernier.
Les cinq
heures pendant lesquelles des centaines de Juifs se sont déchaînés dans Huwara,
attaquant des personnes et des biens et allumant des incendies, ont résumé des
décennies d’encouragement à la violence des colons et le mépris et l’indulgence
calculés de la part de l’armée, de la police, des procureurs, des tribunaux et
des gouvernements successifs israéliens. Mais ces cinq heures ont également
prouvé une fois de plus à quel point l’[In]Autorité palestinienne se conforme à
la division artificielle de la Cisjordanie en zones A, B et C, établie par les
accords d’Oslo - une division qui était censée être temporaire et expirer en
1999.
C’est une
raison de plus pour laquelle le public palestinien méprise et déteste les
dirigeants de l’[In]Autorité palestinienne. Alors que ses forces de sécurité,
qui ont été formées dans des pays arabes et occidentaux, n’ont pas trouvé le
moyen de protéger leurs compatriotes contre les attaques des colons, elles sont
toujours là pour les réprimer.
L’Initiative
14 millions, qui tente de revitaliser l’Organisation de libération de la
Palestine et d’appeler à des élections pour un conseil national et une
assemblée législative entièrement palestiniens, avait prévu une conférence de
presse en direct du studio de Watan TV mercredi. Traitant le mot « élection »
comme une menace nucléaire, les forces de sécurité de l’[I]AP ont assiégé le
bâtiment abritant le studio et ont pénétré dans les bureaux afin de faire
échouer la conférence de presse. Ce n’était pas la première fois que cela se
produisait ; les forces de sécurité ont
perturbé une autre tentative de l’initiative en novembre.
La semaine
dernière, les forces de sécurité palestiniennes ont installé des barrages
routiers à la sortie de plusieurs villes de Cisjordanie, afin d’empêcher les
enseignants des écoles publiques, en grève depuis le 5 février, de se rendre à
un rassemblement central à Ramallah. L’[I]AP et le syndicat des enseignants des
écoles publiques avaient signé des accords sur une modeste augmentation de
salaire de 15 % et sur la tenue d’une élection libre et démocratique du
syndicat en mai 2022. Cet accord faisait suite à une initiative menée par
plusieurs associations éducatives à but non lucratif, des groupes de parents et
la Commission indépendante des droits de l’homme (un organisme
quasi-gouvernemental).
Une élection
n’a jamais eu lieu, comme prévu. Début février, les enseignants ont appris qu’en
dépit de l’accord, les salaires de janvier n’incluaient pas l’augmentation sur
laquelle ils s’étaient mis d’accord ; ils sont même restés à 80 % des niveaux
de salaire normaux, comme auparavant. Cela a conduit à la grève, qui en est
maintenant à sa quatrième semaine, à laquelle 50 000 enseignants se sont joints
et qui a retenu un million d’élèves à la maison. Les leaders de la grève
gardent un profil bas par peur d’être arrêtés, comme cela s’est produit lors de
précédentes manifestations d’enseignants.
Un Palestinien tire en l’air
pendant les funérailles de Montaser Shawwa, 16 ans, dans le camp de réfugiés de
Balata, à Naplouse, en Cisjordanie, le mois dernier.
Même si
leurs enfants sont à la maison, les associations de parents soutiennent les
revendications des enseignants. La crise financière est réelle : Israël
continue de retenir chaque année des centaines de millions de shekels
appartenant à l’[I]AP, soit l’équivalent des allocations que l’[I]AP verse aux
familles des prisonniers détenus par Israël, mais le public ne croit pas qu’il
n’y a pas d’argent pour payer des salaires décents aux enseignants.
Le message
de l’[I]AP est donc clair : elle continue à respecter ses accords avec Israël
(y compris la coordination de la sécurité) mais pas son accord avec les
enseignants, l’un des secteurs les plus importants qui garantissent le
bien-être commun.
Huwara(et la route encombrée qui la traverse) a été
classée il y a plus de 25 ans en zone B, dans laquelle il est interdit aux
policiers palestiniens d’opérer et de séjourner lorsqu’ils sont armés ou en
uniforme. Cependant, les FDI et la police aux frontières, lourdement armées,
sont présentes en permanence - près des garages et des magasins de proximité, des
stations-service et des stands de falafels. Tout le monde sait qui ils sont
censés protéger. Les colonies de la région sont réputées pour leur violence :
Yitzhar et ses avant-postes, qui poussent fébrilement comme des champignons
après la pluie ; Itamar et ses propres avant-postes en expansion ; l’avant-poste
de Givat Ronen, près de la colonie de Har Bracha.
Les villages
palestiniens de Burin, Madama, Einabus, Urif, Aqraba, Beita, Yanun et d’autres
vivent sous la menace de la terreur que font peser ces intrus depuis plusieurs
décennies. Les arbres abattus, les récoltes d’olives volées, les incendies
criminels, les tirs sur les agriculteurs, les Palestiniens agressés chez eux,
les sources d’eau du village captées - ce ne sont pas des actes de « vengeance »
commis après une attaque contre des Juifs. Il s’agit d’un plan concerté pour s’approprier
davantage de terres palestiniennes par la violence et l’intimidation. Tout, à l’époque
comme aujourd’hui, a été et est fait sous les auspices du monopole exercé par
les FDI sur la sécurité.
De toute
évidence, aucune agence de sécurité palestinienne n’a tenté de remettre en
cause cette situation afin de protéger les habitants de leurs assaillants
récidivistes. Au lieu de remercier l’[In]Autorité palestinienne pour son obéissance
et sa loyauté, le gouvernement Netanyahou-Smotrich-Ben-Gvir la rend responsable
de chaque décès israélien dans une zone sous contrôle israélien total, à savoir
l’ensemble de la Cisjordanie et Israël proprement dit. Dans le même temps,
Israël exige que l’[In]Autorité palestinienne discipline les jeunes
Palestiniens désespérés et maladroits qui se sont armés en Cisjordanie. Il n’est
pas étonnant que le public palestinien aime et admire ces jeunes hommes armés,
même s’ils ne sont pas capables, formés ou préparés à le protéger physiquement
contre les attaques des colons ou à déjouer le vol de leurs terres.
La nuit où
les Juifs ont saccagé Huwara, nombre de ses habitants qui se trouvaient à l’extérieur
de la ville n’ont pas pu rentrer chez eux. Grâce aux médias sociaux, les
habitants de Naplouse leur ont offert l’hospitalité. Ils ont été rejoints par l’appareil
de sécurité nationale palestinien, qui leur a ouvert son quartier général. Les
réponses ont été acerbes, a raconté un habitant de Naplouse à Haaretz. « Vous
êtes quoi, une organisation caritative ? », ont demandé des gens furieux,
sur un ton sarcastique.
L’expérience
nous enseigne que les soldats des FDI et les policiers aux frontières auraient
tiré et même tué tout Palestinien qui aurait tenté de dissuader les agresseurs
et de défendre sa famille, ses voisins ou ses biens, avec une arme à feu, un
gourdin ou un couteau. Ou bien il aurait été arrêté et reconnu coupable par un
tribunal militaire avant d’être condamné à de nombreuses années de prison pour
avoir possédé une arme illégale, tiré et mis en danger la vie des Juifs.
Même si des
policiers de l’[In]Autorité palestinienne avaient pu arriver rapidement à Huwarapour protéger leurs compatriotes des
assaillants juifs, l’armée les aurait bloqués, voire tués ou emprisonnés, les
juges militaires les condamnant à de longues peines de prison sans tenir compte
des explications de leurs avocats. Toute tentative locale de se défendre par
les armes se serait soldée par un bain de sang, principalement du côté
palestinien, et par une escalade incontrôlable. On comprend donc pourquoi une
telle intervention est pour l’instant improbable.
Mais au-delà
des déclarations, des condamnations et des demandes de protection
internationale par les Nations unies, depuis des années, les hauts responsables
palestiniens se sont abstenus de se soulever, de dénoncer un accord ou de fixer
des conditions claires et bien définies pour la poursuite de la coordination
sécuritaire avec Israël, en réponse à la violence des colons.
Au lieu d’envoyer
ses forces de sécurité pour déjouer les conférences de presse et les
manifestations qui appellent à la démocratisation, et au lieu d’espionner son
propre peuple, l’[In]AP aurait pu poster en permanence ces forces - non armées
et en civil, mais formées au contrôle des émeutes - dans les villages
fréquemment attaqués par les colons. Elle aurait pu informer Israël qu’elle
agit ainsi parce que l’armée et la police israéliennes ne remplissent pas leurs
fonctions, comme l’exigent le droit international et même les accords d’Oslo.
Elle aurait pu envoyer ses plus hauts commandants en tournée régulière dans ces
villages, pour participer au labourage et à la cueillette des olives, garder
les moutons avec les villageois tout en expliquant aux officiers israéliens qu’ils
n’étaient pas disponibles pour les réunions de coordination avec les FDI, le
Shin Bet et l’administration “civile”, puisqu’ils étaient occupés à protéger
leur peuple.
La conclusion évidente est que
les agences de sécurité palestiniennes et leur commandant suprême Mahmoud Abbas
tiennent pour sacrées non seulement la coordination de la sécurité avec Israël,
mais aussi les frontières des bantoustans créés par les divisions
temporaires-permanentes en zones A, B et C. C’est ainsi que les intérêts
personnels et économiques étroits du groupe dirigeant, si déconnecté de son
peuple, peuvent être préservés.
Nabil Mouline es un historiador y politólogo marroquí, becario de investigación en el
CNRS (Centro Nacional francés de
Investigación Científica), adscrito al Centre Jacques-Berque, Rabat. Bibliografía
Bajo un sol abrasador, varios
centenares de dignatarios del majzén e invitados esperan desde hace varias
horas en el patio delantero del palacio real -llamado el mishwar (lugar
de deliberación y consulta)- para participar o asistir a la ceremonia principal
del ‘id al-‘arsh (la Fiesta del Trono): hafl al-wala’ (la
ceremonia de lealtad). Mientras cada uno intenta pasar el tiempo a su manera a
la espera del fatídico momento, los guardias de seguridad y los sirvientes de
palacio ocupan sus puestos con serenidad, al menos en apariencia. Sólo los
encargados del protocolo real están ocupados. De repente, la tensión aumenta.
Comienza a correr el rumor de que Sidna (Nuestro Señor, título informal del
Rey) saldrá en breve. Comienza una carrera contrarreloj para poner a cada uno
en su sitio. Los invitados por un lado y los participantes por otro. Todo se
organiza en pocos minutos. La máquina está bien ensayada. Entonces las
trompetas anuncian la solemne llegada del cortejo real. Las puertas del palacio
se abren. Comienza el espectáculo ritual. El tiempo se suspende, por así
decirlo, durante unos minutos.
Dos escuderos de palacio
acompañados de varios sirvientes (mkhazniyya) llegan a la cabeza del
cortejo. Les siguen varios jinetes y mozos de cuadra. Les siguen otros dos
sirvientes llevando lanzas. Mientras que los sirvientes van todos vestidos con
caftanes blancos y tocados con gorros rojos en forma de cono (shashiyyat
al-wala’), los dos escuderos destacan por llevar turbante, espada y bastón.
Un carruaje de gala cierra la marcha. En el centro de este dispositivo está,
por supuesto, el soberano. Vestido de beige dorado y montado en un caballo con
todos los arreos, se cobija bajo la cúpula de una enorme sombrilla. Criados,
guardaespaldas, oficiales y algunos miembros de la familia real le rodean.
La procesión avanza lentamente al
son de una música solemne. El Rey gira primero la cabeza hacia la derecha para
saludar a la bandera de la dinastía que porta un oficial de la Guardia Real y
luego la gira hacia la izquierda para saludar a los miembros del Gobierno
alineados detrás de una línea blanca. La procesión llega finalmente ante una
cohorte de altos funcionarios del Ministerio del Interior dispuestos en varios
grupos: el ministro, los directores de la administración central, los ualíes [prefectos
de región], los gobernadores y los agentes de la autoridad de cada
provincia. La liturgia política propiamente dicha comienza cuando la comitiva
avanza lentamente por los distintos grupos. Delante de cada uno de ellos, un
sirviente declama incansablemente las siguientes réplicas:
Nuestro Señor os dice: que Dios
os ayude.
Nuestro Señor os dice: que Dios
os ponga en el buen camino.
Nuestro Señor te dice: que Dios
esté complacido contigo.
Ualíes, prefectos y alcaides,
nuestro Señor os dice: Que Dios os ponga en el buen camino y os apruebe.
Mientras los dignatarios de
Interior deben postrarse tras el final de cada fórmula, un grupo de sirvientes
repite una conocida antífona: “¡Que Dios conceda larga vida a nuestro señor!”
En total, los altos funcionarios de Interior se postran cinco veces.
Naturalmente, esta ceremonia, que
dura entre diez y veinte minutos, se retransmite en directo por la televisión
nacional, al igual que las demás ceremonias conmemorativas de la Fiesta del
Trono. El locutor utiliza todos los superlativos imaginables para alabar las
buenas acciones del soberano y reivindicar su importancia política y religiosa.
Hace especial hincapié en la bay’a: el juramento de fidelidad que
vincula al soberano con sus súbditos de forma inquebrantable. Según el locutor,
la bay’a representa la continuidad del Estado, la persistencia del Islam
y el apego de la población a su soberano. Pero más allá de los vuelos líricos y
las fórmulas prefabricadas, el discurso sigue siendo hueco y carece cruelmente
de datos fácticos y ejemplos históricos. Ni siquiera los “expertos” invitados a
los informativos de las distintas cadenas nacionales, en particular el Ministro
de Asuntos Islámicos, son de ayuda, y con razón: estamos ante un caso típico de
invención de la tradición.
La Fiesta del Trono, de reciente
creación (1933), es la instauración de un conjunto de prácticas rituales para
crear una continuidad ficticia con el pasado e inculcar normas de
comportamiento a la población, en nombre de la tradición. Los promotores de las
tradiciones inventadas eligen referencias y símbolos antiguos para responder a
las preocupaciones de su tiempo: legitimar de algún modo el orden existente. En
su forma actual, este ritual fue creado desde cero por Hassan II. Su hijo y
sucesor Mohammed VI lo ha asumido casi tal cual, mientras cumpla su función:
afirmar la centralidad y supremacía de la monarquía. Esta función dista mucho
del objetivo que los nacionalistas se habían fijado para el Día del Trono:
simbolizar y celebrar la nación marroquí.
Nacimiento de la primera fiesta
nacional
No fue hasta veinte años después del Tratado
de Fez, en 1912, cuando surgió una juventud nacionalista en los principales
centros urbanos del país, especialmente Rabat, Salé, Tetuán y Fez. Influidos
por las ideas europeas sobre la nación y el nacionalismo, tal y como se
presentaban en las publicaciones del Mashreq, estos jóvenes pensaban en
Marruecos como una unidad geográfica, política y cultural: un Estado nación. Es
la primera vez que se vislumbra tan claramente una identidad intermedia entre
la pertenencia local (linaje, localidad, región, etc.) y la pertenencia global
(islam). Pero queda todo por hacer. Hubo que crear o adoptar una serie de
conceptos, símbolos e imágenes para reforzar este proyecto y movilizar a la
población en torno a él, especialmente tras los acontecimientos que siguieron a
la promulgación del llamado dahir bereber en 1930.
Por razones que no están claras,
los jóvenes nacionalistas decidieron centrar el ideal y la construcción ideal
de la nueva nación no en el folclore, la lengua, la etnia, los valores o la
historia, sino en la persona del sultán. Probablemente querían desencadenar una
movilización colectiva que no rompiera demasiado con las estructuras
tradicionales para no despertar las suspicacias de la Residencia General, el
majzén y parte de la población. También querían aprovechar el capital simbólico
de la institución sultánica para hacer llegar sus mensajes más fácilmente. Pero
nada es seguro, porque este periodo de balbuceos se caracteriza por una gran
improvisación, debido al modesto nivel intelectual de la mayoría de los jóvenes
nacionalistas y también a su inexperiencia. El hecho es que estos jóvenes
optaron por movilizar a la población en torno a la figura del sultán y no en
torno a una ideología más o menos elaborada y a un proyecto político claro.
Para catalizar rápidamente la
imaginación del mayor número de personas, los jóvenes nacionalistas, en
particular los equipos de la revista al-Maghrib y del periódico L’Action
du peuple, decidieron celebrar la llegada al poder de Mohammed V
(1927-1961), considerado como el símbolo de la soberanía y la unidad
nacionales. En efecto, este acontecimiento podía ser una ocasión de oro para
reunir a la población en torno a sentimientos y aspiraciones comunes y propagar
las “ideas” nacionalistas sin preocupar a las autoridades. Así ocurrió en
Egipto, fuente inagotable de inspiración para los nacionalistas marroquíes,
donde el partido al-Wafd aprovechó las celebraciones anuales del ‘id al-yulus
(Día del Trono), instaurado en 1923, para organizar manifestaciones públicas de
exaltación del sentimiento nacional y de denuncia de la ocupación. Ni que decir
tiene que esta fiesta es de origen europeo, y más concretamente británico. Se
celebró por primera vez en el siglo XVI como Accession Day (Día de acceso al trono)
y fue adoptada por la mayoría de las demás monarquías del mundo con diversos
grados de adaptación a los contextos locales.
En julio de 1933, Muhammad Hassar (fallecido en
1936) publicó un artículo en la revista al-Maghrib, bajo el seudónimo de
al-Maghribi, titulado “Nuestro gobierno y las fiestas musulmanas”, en el que
pedía tímidamente a las autoridades francesas que el 18 de noviembre, día de la
entronización del sultán, fuera festivo (‘id watani). Unos meses más tarde, el
periódico L’Action du peuple, dirigido por Muhammad Hassan al-Uazzani
(fallecido en 1978), tomó el relevo. Entre septiembre y noviembre de 1933, el
periódico publicó varios artículos en los que pedía que este día fuera
"una fiesta nacional, popular y oficial de la nación y del Estado
marroquíes". Proponía la creación de comités organizadores en cada ciudad
y la creación de un fondo de caridad al que contribuiría toda la nación. El
periódico nacionalista también sugería a los organizadores embellecer y decorar
las calles, cantar el himno del Sultán, organizar reuniones en las que se recitarían
discursos y poemas, y enviar telegramas de felicitación al Sultán. Para
tranquilizar a los más conservadores, L’Action du peuple publica una
fatwa del ulema ‘Abd al-Hafiz al-Fasi (m. 1964) en la que se afirma que este
ritual y todo lo que lo acompaña -música, banderas, etc.- no son innovaciones reprochables.
Número
12 del periódico "L'Action du Peuple", en el que Mohammed Hassan El Uazzani
hace un llamamiento a sus compatriotas para que celebren la Fiesta del Trono
(18 de noviembre de 1933).
Las autoridades francesas siguen
muy de cerca esta dinámica. En efecto, temen las consecuencias políticas que
podría tener esta empresa de movilización colectiva. Han intentado obstaculizar
o incluso prohibir su organización. Pero ante el entusiasmo de los jóvenes y la
aquiescencia de los notables, finalmente ceden. La primera celebración de la
Fiesta del Trono, cuyo nombre aún no estaba claro (Día de la Adhesión, Día del
Sultán, Fiesta Nacional) tuvo lugar en Rabat, Salé, Marrakech y Fez. Varias
calles de las medinas se adornaron con banderas y la gente se reunió en cafés o
casas notables para escuchar música, poemas y discursos mientras tomaban té y
comían pasteles. La mayoría de las reuniones terminaron con invocaciones a
Marruecos y vítores al Sultán, a excepción de Salé, que también organizó un
espectáculo de fuegos artificiales. Por último, jóvenes y notables aprovecharon
la ocasión para enviar telegramas de felicitación a Mohammed V.
Jenny Uglow
(1947) est une biographe et historienne culturelle britannique. Son
dernier livre, Sybil and Cyril : Cutting Through Time, a été publié
aux USA en décembre 2022.
Edda Mussolini était autrefois considérée comme “la femme la plus
dangereuse d’Europe”, mais avait-elle un réel pouvoir politique ?
La Première ministre italienne, Giorgia Meloni, est arrivée au pouvoir
lors des élections législatives de septembre 2022 grâce à la coalition de
son parti de droite, les Frères d’Italie, avec la Lega de Matteo Salvini
(extrême droite) et Forza Italia de Silvio Berlusconi (centre droit). Bien
que l’extrême droite italienne ait toujours renié ses liens avec le
fascisme, Meloni a commencé sa carrière au sein du Mouvement social
italien (MSI), ouvertement néofasciste, formé en 1946 par d’anciens
partisans de Benito Mussolini. Son parti conserve le logo du MSI et se
plaît à proclamer un slogan entendu partout à l’époque de Mussolini :
Difenderemo Dio, patria, e famiglia (Nous défendrons Dieu, la
patrie et la famille).
Dans Mussolini’s Daughter, sa biographie, qui vient à point nommé, de la fille aînée de Mussolini,
Edda, « excentrique, intelligente et imprévisible », Caroline
Moorehead montre à quel point cet héritage est profondément ancré. Le
livre s’ouvre sur une description de la maison familiale des Mussolini,
située dans les environs de Forlì, qui reste un lieu de pèlerinage, où la
boutique de cadeaux vend
des tasses, des assiettes, des tabliers, des couteaux et même des
théières gravés d’insignes fascistes ; des bustes du Duce dans une
centaine de poses héroïques différentes ; des répliques des casquettes
et des chapeaux qu’il portait ; des livres et des photos encadrées ; des
couteaux.
Les couteaux sont sortis il y a un siècle, après un été de chaos au
parlement italien et de violence dans les rues. Le 24 octobre 1922,
Mussolini suscite un rassemblement fasciste à Naples en déclarant :
« Ou bien on nous donne le gouvernement, ou bien nous nous en
emparons en marchant sur Rome ». Dans les jours qui suivent, le
gouvernement s’effondre, et les fascistes descendent sur la capitale. Edda
a douze ans. Chez elle, à Milan, le 27 octobre, Mussolini l’emmène au
théâtre avec sa mère, Rachele. Alors qu’elles regardent le spectacle
depuis leur loge, Mussolini ne cesse de s’éclipser ; il attend un coup de
téléphone du roi Victor Emmanuel III, qui lui demande de former un
gouvernement. Finalement, il murmure » : « C’est le
moment » et les ramène précipitamment à la maison. Puis il prend le
train de nuit pour Rome, arrive avec une heure et quarante minutes de
retard, monte sur le quai et annonce que dorénavant, il fera en sorte que
les trains soient à l’heure.
Edda n’a jamais oublié cette nuit-là. Le père qu’elle « aimait et
admirait », écrit Moorehead, « était passé de fils de forgeron
et de bagarreur politique à devenir, à l’âge de trente-neuf ans, le
vingt-septième et plus jeune Premier ministre de l’histoire
italienne ».
Une biographie d’Edda Mussolini est aussi, forcément, une histoire de la
vie de son père et une analyse de la montée et de la chute du fascisme
italien. Il s’agit là d’un détour inattendu pour Moorehead, qui s’est
constitué un corpus distingué et émouvant de chroniques sur la lutte
contre le fascisme en France et en Italie.[1]
Ici, en revanche, elle ne se concentre pas sur la résistance mais sur les
mécanismes internes du pouvoir. Inévitablement, Mussolini domine souvent
le livre, mais il s’agit également du portrait captivant d’une jeune femme
contrainte de devenir un personnage public. « Tout au long des années
1930 et pendant la guerre », écrit Moorehead, Edda « a pris la
place de sa mère réticente pour donner l’image de ce que devait être une
véritable fille et femme fasciste. C’était, en fin de compte, une image
trompeuse ». Le tiraillement émotionnel vient de ces couches de
tromperie et des luttes d’Edda pour trouver sa propre voie et éviter
d’être écrasée par le père qu’elle adorait - et qu’elle a fini par
détester.
Moorehead a une tournure d'expression pleine d'entrain, un sens aigu du
détail révélateur et de la citation piquante, et un don pour rassembler
des documents complexes. Elle suit rapidement le parcours de Benito
Mussolini, depuis son enfance dans la région agricole de l’Émilie-Romagne
jusqu’à son retour à Forlì, près de son village natal de Predappio, en
passant par ses années d’engagement socialiste ardent en Italie et en
Suisse. En tant que secrétaire du parti socialiste local et rédacteur en
chef de son journal, La Lotta di Classe, il a enlevé sa petite amie
enceinte, Rachele, malgré l’opposition de sa famille : Edda est née le
1erseptembre 1910. Lorsqu’elle a deux ans,
ils déménagent à Milan, où Mussolini dirige Avanti, le journal
national du parti socialiste.
Un changement radical se produit en 1914, lorsqu’il passe du soutien à la
neutralité des socialistes pendant la Première Guerre mondiale à
l’exigence de « guerre et de révolution sociale », opinions
qu’il exprime dans son propre journal, Il Popolo d’Italia. En 1919,
convaincu de la mort du socialisme, il plaide en faveur de la domination
d’une élite, d’une bande de guerriers sous la direction d’un chef
impitoyable et suffisamment audacieux pour faire renaître la nation. En
mars de cette année-là, il lance les Fasci Italiani di Combattimento
devant une bande de partisans, « dont beaucoup d’Arditi, les vétérans
des troupes de choc [de l’armée italienne], portant des poignards et des
bâtons et portant des chemises noires sous leurs vestes militaires ».
En 1921, reconstitués sous le nom de Parti national fasciste, ils
remportent trente-cinq sièges à la Chambre des députés.
L’élection de Mussolini en tant que député le rend « toujours plus
héroïque et aventureux » pour Edda. Impulsive, obstinée et sujette à
des colères soudaines, elle était déjà connue comme “la cavallina matta”,
le petit cheval fou. « J’étais pieds nus, sauvage et affamée »,
se souvient-elle, « une enfant misérable ». À neuf ans,
maigrichonne, elle se plonge dans la lecture, se coupe les cheveux à la
garçonne et tente – pas pour la dernière fois - de s’enfuir. Mussolini,
fier de son indépendance volontaire, l’emmène avec lui au bureau, au
théâtre et dans les cafés, mais lorsqu’il s’installe à Rome, elle se
rebelle encore plus. Après la mort de sa grand-mère Anna, médiatrice dans
ses disputes avec Rachele, elle exige d’être envoyée en pension. Sans
surprise, elle déteste l’école catholique snob que son père a choisie, se
sentant étouffée par la formalité et échaudée par les ricanements des
autres filles : l’école demande bientôt au père de la retirer.
Tout au long de son enfance et de son adolescence, elle subit également
les violentes querelles domestiques liées aux nombreuses maîtresses de
Mussolini. Parmi celles-ci, la socialiste Angelica Balabanoff, la cultivée
Margherita Sarfatti (dont le livre à succès Dux, en 1925, le décrit
comme « incarnant à la fois la modernité et la grandeur des anciens
Romains ») et l’exigeante Ida Irene Dalser. La naissance du fils de
Dalser, Benito, et sa prétention à être la femme de Mussolini amènent
Rachele à insister sur le mariage en 1915. Pourtant, il y avait toujours
d’autres maîtresses, d’autres bébés, d’autres filles emmenées dans son
bureau pour « un accouplement rapide » sur le tapis. « Mon
appétit sexuel ne me permet pas la monogamie », disait-il
nonchalamment, mais l’impact sur Edda peut être jugé par sa propre
approche malaisée et agitée du sexe.
La haute société romaine trouve Mussolini charmant, imprévisible,
désordonné, avec une séduisante touche de danger. À partir du milieu des
années 1920, sa réputation grandit. Le pape Pie XI dit qu’il est envoyé
par la Providence ; Churchill admire sa « bataille victorieuse contre
les appétits bestiaux et les passions du léninisme »; Adolf Hitler
garde un buste de lui dans son bureau de Munich.
En 1925, lorsqu’il surmonte la crise consécutive à l’assassinat de son
opposant, le député socialiste Giacomo Matteotti, l’année précédente, qui
avait provoqué « une énorme lame de fond » contre les fascistes,
note Moorehead :
Le fascisme avait repris le contrôle de la situation et Mussolini, avec
sa démarche élastique et féline et ses maniérismes - la mâchoire
saillante, l’air renfrogné, la grosse tête chauve rejetée en arrière, le
regard fixe - qui allaient définir son long mandat, n’était pas près
d’en céder une parcelle. La discipline ne sera qu’un autre mot pour la
dictature. La “fascisation” de l’Italie a commencé.
Adolescente grande et trapue, Edda partage le regard déconcertant de son
père. Louée par la presse pour sa “grâce et son charme”, elle était en
réalité, nous dit Moorehead, “maladroite, piquante et combative”, cachant
son intelligence et ses compétences. Mussolini la laissait faire du vélo,
nager et porter des pantalons, mais pas fumer ni aller au bal. En 1929,
lorsque des rapports de police font état de « chasseurs de dot,
dépensiers et drogués » qui la poursuivent pendant les étés familiaux
à Riccione sur l’Adriatique et de sa propre « apparente allergie...
aux jeunes hommes convenables », il l’embarque pour une longue
croisière en Inde afin de l’“apprivoiser”.
Plus tard dans l’année, il transféra la famille à Rome et Edda s’installa
dans la vaste Villa Torlonia avec ses quatre frères et sœurs - Vittorio,
Bruno, Romano et la petite Anna Maria - et sa mère, qui transforma
rapidement les jardins paysagers en potagers, avec poulets et cochons. À
Rome, pour échapper à la surveillance oppressante de son père, elle décide
brusquement de trouver un mari et, après avoir expédié quelques
prétendants, elle choisit le comte Galeazzo Ciano, dont le père est un
riche armateur, un héros de la marine et un fasciste. Diplomate de
carrière qui avait servi en Argentine, au Brésil et à Pékin, Ciano était
beau et facile à vivre, avec « un talent utile pour ne rien dire,
tout en donnant l’impression de tout dire ».
La décision est rapide et pragmatique – « Il n’est pas question
d’amour » - et leur mariage en 1930 est un véritable spectacle
fasciste. (Les actualités disponibles sur YouTube montrent des files
d’enfants défilant, des petits garçons saluant et des filles agitant des
fleurs). Au début de leur lune de miel à Capri, Edda a paniqué, s’est
enfermée dans la salle de bains et a dit à Ciano que s’il la touchait,
elle se jetterait du haut d’une falaise : « “Rien en toi ne me
surprend”, a répondu Ciano, “mais j’aimerais savoir comment tu comptes t’y
prendre”. Ils ont ri ». Beaucoup plus tard, Edda a écrit : « Et
ainsi commença... notre première nuit de mariage, qui, pour être honnête,
n’était pas très amusante. Je détestais tout ça. Plus tard, les choses se
sont améliorées, mais ça a pris du temps ».
Bientôt, Ciano a été envoyé à Shanghai, une affectation qui a donné à
Edda, dit-elle, le moment le plus heureux de sa vie. Moorehead évoque
brillamment le Shanghai des années 1920, avec ses quais bondés, ses cafés
et ses clubs, où des blocs de glace rafraichissaient les danseurs
étouffant de chaleur qui tourbillonnaient au rythme du « Ragtime,
Dixieland Swing, Turkey Trot et Grizzly Bear ». Edda a pris goût au
gin et aux jeux d’argent, tandis que Ciano s’est laissé aller à des
aventures rapides (y compris, semble-t-il, avec Wallis Simpson [future maîtresse du roi Edouard VIII, qui abdiquera pour l’épouser,
NdT]). En réponse, Edda a juré de ne jamais être jalouse comme sa mère mais
de le considérer simplement comme un ami, et elle a développé une amitié
étroite avec un seigneur de guerre chinois, Hsueh-liang. Après un
accouchement difficile, le fils d’Edda et de Ciano, Fabrizio, naît à
Shanghai le 1eroctobre 1931 et est
accueilli par ce cri : « Mamma mia ! Quanto è brutto », comme il est moche. À sa grande fureur, lorsqu’elle tombe à
nouveau enceinte, Mussolini les convoque à la maison, insistant sur le
fait qu’elle a besoin de repos.
Dans le récit de Moorehead, le public et le privé se croisent. Le mariage
tumultueux des Ciano est mis en parallèle avec la façon dont Mussolini
persuade le public « avec beaucoup de ruse et de discrétion »
d’accepter et même d’être fier de son régime « profondément
illibéral ». Son programme de réforme agricole et de travaux publics
a aidé l’Italie à surmonter la Grande Dépression, et le culte du leader
s’est développé : « Comme le disait le slogan populaire “Mussolini ha sempre ragione”, Mussolini a toujours raison ». Les syndicats sont démantelés, la
liberté de la presse réduite et la dissidence surveillée par « une
toile d’araignée d’espions, d’informateurs et d’agents
provocateurs ». Les écoles deviennent des centres d’endoctrinement et
les universités sont purgées. Dans la vie domestique, l’adultère devient
un crime (« mais seulement pour les femmes »), et la procréation
est exaltée.
Edda se rend compte qu’elle doit être la tête d’affiche de ces politiques
: « Elle et Ciano devaient être le jeune couple doré de la nouvelle
aristocratie fasciste, des modèles du ‘stile fascista’,
consciencieux, efficaces, moraux et féconds ». Moorehead fait
remarquer qu’à bien des égards, cependant, ils étaient tout le contraire
de l’idéal fasciste du mâle italien martial et fort et de sa femme économe
et féconde. « Edda n’était pas maternelle, elle était mince, elle
avait des opinions bien arrêtées, elle buvait beaucoup et était une femme
au foyer épouvantable », tandis que Ciano, loin d’être impitoyable et
sportif, « était doux, vaniteux et incertain, avec des goûts de
luxe ». Et bien qu’Edda aime être choyée par les riches hôtesses
romaines avec « un étalage éhonté de flagornerie », selon les
mots de la Duchesse de Sermoneta, sa réserve rebute les gens. Des rumeurs
circulaient autour d’elle. Un rapport la décrit comme une nymphomane
vivant une vie sordide dans un brouillard alcoolique. Son masque, selon
son ami, le journaliste mondain et rusé Curzio Malaparte, semblait
« tantôt celui d’un assassin, tantôt celui d’un suicidé
potentiel ». Même à l’apogée du régime fasciste, elle avait un
sentiment d’effroi : « ‘Nous ne devons nous priver de rien,
disait-elle à un ami, car nous savons que la guillotine nous
attend’ ».
À leur retour de Chine, Ciano avait été nommé à la tête du bureau de
presse présidentiel, formant autour de lui une cour virtuelle à Rome. En
juin 1934, il organise la première rencontre entre son beau-père et
Hitler, tandis que le même mois, Edda est envoyée pour connaître la
réponse britannique à l’intention de Mussolini d’envahir l’Éthiopie. À
Londres, elle fut reçue à la cour, séjourna chez les
Astor à Cliveden
et fit un rapport fidèle : le baron de la presse Lord Rothermere
approuvait le fait que Mussolini s’en prenne à « ces misérables
Noirs », tandis que le Premier ministre Ramsay MacDonald était froid
mais déclarait que la Grande-Bretagne ne déclarerait pas la guerre à
l’Italie. Un deuxième voyage à Londres avec Ciano suivit en mai 1935 pour
tester à nouveau les sentiments britanniques. Si Edda, au début de la
vingtaine, considérait la politique internationale comme un simple jeu de
poker – « pour gagner, il faut de la ruse, de la rapidité et des
manières agréables » - le décor était désormais planté pour la
brutale et horrible guerre d’Éthiopie. Ciano et les frères d’Edda,
Vittorio et Bruno, participent à cette guerre en tant que pilotes de
bombardiers et reviennent avec de nombreuses médailles.
Au départ, Mussolini avait considéré Hitler comme un « petit clown
idiot », proclamant : « maintenant, il me suivra où je
veux ». En 1936, il se rend compte de la situation. Irrité par les
sanctions imposées par la Société des Nations après la campagne
d’Éthiopie, il se tourne vers le Reich pour obtenir un soutien. En juin,
il envoie Edda en Allemagne, où la nouvelle de la nomination de Ciano au
poste de ministre des Affaires étrangères fait accourir les grands
dignitaires nazis pour lui faire la cour. Elle se régale des flatteries,
devient amie avec Magda Goebbels, trouve Goering « extrêmement
sympathique » et Hitler « un véritable héros ». Ciano, qui
se rend en Allemagne peu après, pense le contraire. En novembre 1936, à
Milan, Mussolini dépeint pour la première fois Rome et Berlin comme un
“axe” autour duquel les États épris de paix [sic] pourraient
tourner.
En septembre suivant, en point d’orgue d’une somptueuse visite d’État,
Hitler et lui s’adressent à une foule d’un million de personnes dans le
stade olympique de Munich. (Avec un bon timing, l’affirmation de Mussolini
selon laquelle les deux pays sont « les plus grandes et les plus
authentiques des démocraties » est noyée par une pluie torrentielle
et un tonnerre puissant). Confronté au coût énorme de la guerre d’Éthiopie
et du soutien à Franco dans la guerre civile espagnole, il hésite encore
entre la proximité avec l’Allemagne et le rapprochement avec la
Grande-Bretagne et la France, mais la force de l’influence nazie se
manifeste dans le passage de son mépris initial pour l’antisémitisme à
l’adoption d’un Manifeste sur la race et de lois excluant les Juifs de la
vie publique, une politique à laquelle Ciano et Edda s’opposent.
Pendant toutes ces années, puisque Rachele fuyait les réunions mondaines,
Edda faisait office de première dame. Pourtant, d’après le récit de
Moorehead, elle ne s’y plaisait pas beaucoup. Ennuyée, elle se couchait
tard, faisait du shopping, buvait, jouait et sombrait dans la dépression.
Les voyages l’aident : escapades à Venise et longs séjours à Capri, où
elle se fait construire une maison moderne et surprenante et reçoit des
fascistes italiens intelligents et des dirigeants nazis en visite. L’île
est truffée d’espions. Entre deux retraites à Capri, elle accompagne Ciano
en Hongrie, en Yougoslavie et en Pologne, et en 1939, le couple est devenu
une célébrité internationale : lui fait la couverture de
Newsweek en mars, présenté comme un « missionnaire
fasciste », et elle est sur celle de Time en juillet ;
l’article qui l’accompagne la décrit comme « l’une des intrigantes et
des tireuses de ficelles les plus efficaces d’Europe » qui porte le
« pantalon diplomatique ». Ces profils étaient loin d’être
élogieux - en 1939, toute admiration précoce des USA pour les réformes de
Mussolini s’était dissipée - mais les auteurs étaient impressionnés par le
mélange de glamour et de pouvoir de Ciano et par le style élégant et à la
mode d’Edda. Quelques années plus tôt, un journaliste avait déclaré :
« Tout le monde sait que son père dirige l’Italie et qu’Edda dirige
son père ». En 1940, le magazine égyptien Images la qualifiait
de « femme la plus dangereuse d’Europe ».
Moorehead prend cela pour son sous-titre, mais il est difficile, à un
quelconque moment dans son livre, de voir qu’Edda avait beaucoup d’idées
intelligentes sur la politique, et encore plus d’évaluer à quel point elle
était « dangereuse ». Moorehead elle-même semble déconcertée,
demandant : « Influence certainement, mais pouvoir réel ? » Edda
et son père « parlaient constamment, mais ce qu’elle disait, ce
qu’elle conseillait, n’était jamais écrit ». Leurs relations étaient
cependant tendues par des disputes au sujet de la dernière maîtresse de
Mussolini, Claretta Petacci, qui avait un an de moins qu’Edda. Au fil de
l’histoire, Edda apparaît plus comme une victime que comme une
coupable.
Ciano a conclu le Pacte d’acier entre l’Allemagne et l’Italie en mai 1939
mais a passé les mois suivants de “non-belligérance” à essayer
désespérément de maintenir son pays en dehors du conflit, décrivant Hitler
et le ministre allemand des Affaires étrangères Joachim von Ribbentrop
comme “deux fous” et déclarant à un ami que Mussolini « veut la
guerre comme un enfant veut la lune ». Lorsque l’Italie entre
finalement en guerre le 10 juin 1940, il écrit : « Je suis triste,
très triste. L’aventure commence. Que Dieu aide l’Italie ». Edda, en
revanche, était ravie, ayant fortement poussé son père à la guerre et
admettant plus tard qu’elle était « extrêmement belliciste et
germanophile ». Elle a ensuite travaillé pour la Croix-Rouge
italienne, a failli se noyer lorsque son bateau a été torpillé, et a servi
dans des hôpitaux sur le front oriental et en Sicile.
Après avoir envahi la Grèce, une débâcle coûteuse dont Ciano est
largement responsable, l’Italie subit des pertes catastrophiques, d’abord
en Afrique du Nord, puis pendant la campagne de Russie. À l’intérieur du
pays, dans un contexte de bombardements constants et de faim croissante,
le culte du Duce s’effondre. Ciano, désespéré, n’ayant pas réussi à faire
pression sur Mussolini pour qu’il demande la paix, est désormais
ouvertement antiallemand et, lors d’un remaniement ministériel en février
1943, Mussolini, cédant aux exigences allemandes, l’écarte du ministère
des Affaires étrangères. Ciano s’empare du poste d’ambassadeur au Vatican,
ce qui lui donne ironiquement une plus grande liberté de manœuvre.
À partir de ce moment, la politique devient sinistrement personnelle et
les derniers chapitres denses de Moorehead ont une aura de tragédie
grecque : toxiques, incestueux, empestant la trahison, la peur et la
douleur. Après le débarquement allié en Sicile au début du mois de juillet
1943, dans un contexte de désastre militaire et de résistance intérieure,
les complots contre Mussolini se multiplient. Le bureau de Ciano au
Vatican devint un centre d’intrigues alors que les critiques - dont la
famille royale et le pape Pie XII - s’accordaient à dire que Mussolini
devait partir et que le pays devait chercher à sortir de la guerre.
Finalement, lors d’une réunion du Grand Conseil le 24 juillet, Ciano se
joint à ceux qui exigent qu’il remette son pouvoir militaire au roi.
Mussolini, qui avait été formellement informé avant la réunion, reste
défiant, mais la motion contre lui est finalement adoptée à deux heures du
matin. Techniquement, le conseil était un organe consultatif et son vote
était tout à fait légal, mais c’était néanmoins un coup d’État.
L’après-midi même, le roi exige la démission de Mussolini, au milieu d’un
flot d’excuses, tout en soulignant qu’il est « l’homme le plus
détesté d’Italie ». Dès qu’il est sorti de l’entrevue, il a été
arrêté.
Des attaques contre des fascistes de premier plan suivent. Dans
l’atmosphère de peur, libérée « de la longue ambiguïté de sa
position », Edda est enfin capable d’exprimer ses propres sentiments,
de montrer sa force et d’agir de manière décisive - mais pas efficace.
Elle organise sa fuite avec Ciano et leurs enfants, mais découvre que leur
avion ne s’envole pas vers l’Espagne, comme elle le pensait, mais vers
l’Allemagne, où ils seront les “invités” du Führer.
Après l’armistice entre l’Italie et les Alliés en septembre 1943, des
commandos allemands ont sauvé Mussolini, qui était alors un personnage
hagard souffrant d’ulcères à l’estomac, et Hitler l’a installé dans le
nord-est de l’Italie à la tête de la Repubblica Sociale Italiana fantoche,
connue sous le nom de “République de Salò”, du nom d’une ville voisine.
C’est à ce moment-là qu’Edda s’est précipitée d’Allemagne à Rome pour
trouver les journaux intimes de Ciano, qui compromettaient plusieurs
dirigeants allemands, en espérant pouvoir les échanger contre sa sécurité.
Mais pendant son absence, il est arrêté et remis au régime de Salò. Entre
le 8 et le 10 janvier 1944, après des tentatives désespérées pour le
sauver, il est jugé avec cinq autres personnes à Vérone, « une ville
forteresse pour les nazis et les fascistes » ; tous sont reconnus
coupables de trahison. Le lendemain matin, le 11 janvier, ils sont
attachés à des chaises et fusillés dans le dos par un peloton d’exécution
: un diplomate allemand qui était présent a commenté : « C’était comme
l’abattage de porcs ». Mussolini n’a pas tenté d’intervenir.
Le 27 avril 1945, alors qu’ils tentent de fuir leur base du lac de Côme,
Mussolini et Petacci sont capturés et, le lendemain, ils sont fusillés par
des partisans. Leurs cadavres et ceux de quinze de leurs partisans sont
emmenés à Milan et jetés sur la Piazzale Loreto. On pisse et on crache sur
ceux de Mussolini et Petacci avant de les pendre, la tête en bas, au toit
d’un garage. Ce jour-là, le 29 avril, la capitulation allemande en Italie
est signée.
Depuis son refuge dans un couvent suisse, Edda est livrée aux Italiens et
bannie sur l’île de Lipari. C’est là qu’elle eut une liaison tendre et
fugitive avec un homme de la région, Leonida Buongiorno [partisan communiste déporté aux îles par Mussolini et fondateur de
l’Hotel Oriente, NdT]. Souvent, dans le livre de Moorehead, Edda semble être un fantôme dans
sa propre histoire, mais à ce moment-là, peut-être parce que nous avons
des extraits de ses lettres de l’époque et que nous pouvons entendre sa
voix spontanée, elle prend vie. L’histoire d’amour ne pouvait pas durer.
Au cours de l’hiver 1946, à trente-six ans, elle rentre enfin à Rome. Elle
vend aux USAméricains les journaux de Ciano, qui sont publiés dans le
Chicago Daily News. Elle ne s’est plus jamais mariée mais a mené
une vie solitaire et sombre à Rome jusqu’à sa mort en 1995, refusant
jusqu’au bout de voir Ciano comme un traître et affirmant que « la
plus grande erreur de son père avait été de se laisser séduire par
l’adulation du peuple italien ».
Cette adulation n’est jamais totalement morte, et deux des petites-filles
de Mussolini sont entrées en politique : Alessandra est une ancienne
députée du Parlement italien et du Parlement européen pour Forza Italia de
Berlusconi, et Rachele est actuellement conseillère municipale à Rome pour
Frères d’Italie de Meloni. Son arrière-petit-fils Caio Giulio Cesare est
également un partisan des Frères d’Italie, candidat sans succès aux
élections du Parlement européen en 2019. Dans une interview, il a déclaré
: « Je n’aurai jamais honte de ma famille ».
En 1957, Edda avait supervisé le retour du corps de Mussolini dans la
tombe familiale de Predappio. « Aujourd’hui », écrit
Moorehead,
la crypte n’est ouverte que pour les anniversaires de la naissance et
de la mort de Mussolini, et le 28 octobre de chaque année, lorsque les
fidèles, ceux qui ont la nostalgie de l’époque où le fascisme dirigeait
leur vie, se rassemblent à Predappio pour se souvenir de la Marche sur
Rome.
Edda Mussolini n’a peut-être pas été dangereuse elle-même, mais
l’idéologie redoutable de son père, qui a régi sa vie, refuse d’être
enterrée pour de bon.
Note
[1]Un train en hiver : Une histoire extraordinaire de femmes, d’amitié
et de résistance dans la France occupée
(Harper, 2011, édition française) ; Village of Secrets: Defying the Nazis in Vichy France (Harper Perennial , 2014) [la résistance du village de Chambon-sur-Lignon, NdT]; A Bold and Dangerous Family: The Remarkable Story of an Italian
Mother, Her Two Sons, and Their Fight Against Fascism (Harper Perennial, 2018) [sur les frères Rosselli, assassinés en France en 1937 par des fascistes de La Cagoule sur ordre de Mussolini, et leur mère]; A House in the Mountains: The Women Who Liberated Italy from
Fascism (Harper, 2019) [sur les femmes partisanes antifascistes].
Lorsque vous vous trouvez dans la rue principale de Huwara, aujourd’hui soumise à une sorte de couvre-feu – les colons voyous passent, ne s’arrêtant que pour provoquer les habitants, et les visages alarmés et effrayés des femmes et des enfants apparaissent derrière les fenêtres grillagées - votre cœur sait exactement avec qui vous êtes. Il n’y a pas de dilemme. Dans votre cœur, votre âme et vos valeurs, vous êtes avec les victimes.
Vous n’avez
rien en commun avec les voyous qui sortent de leurs voitures avec leur démarche
seigneuriale et leurs énormes kippas, sifflant des remarques diaboliques à une
poignée d’habitants qui ont peur de ne serait-ce que respirer près d’eux après
cette nuit. L’hébreu est la seule chose qui reste en commun entre un Israélien
juif avec un reste de compassion et de conscience et ceux qui ont organisé un
pogrom dans la ville la nuit précédente. Vous n’avez rien en commun non plus
avec les femmes portant d’énormes coiffes qui se tiennent à l’entrée d’une
ville qui n’est pas la leur, brandissant des drapeaux israéliens - les seuls
autorisés ici, gardés par un véhicule militaire. Que sont-elles pour moi, ou que
suis-je, moi, pour elles ?
Le Premier
ministre palestinien Mohammad Shtayyeh inspecte les dégâts lors de sa visite
après le saccage des colons israéliens à Huwara, en Cisjordanie occupée par
Israël, le 1er mars 2023. Photo : Raneen
Sawafta / REUTERS
C’est ce qui
se passe dans les territoires occupés. Votre dos aux manifestants, votre visage
aux soldats : les soldats sont les amis de vos fils et les fils de vos amis, et
votre cœur est avec ceux qui se tiennent derrière vous. Ils sont les victimes
et ils ont raison. Noir et blanc. Les USAméricains disent, « Où vous vous
tenez dépend d’où vous êtes assis ». Mais à Huwara, c’est l’inverse : l’endroit
où tu t’assieds dépend de l’endroit où tu te tiens. Vous êtes à Huwara, ou dans
n’importe quelle ville ou village palestinien occupé, parce que votre cœur vous
le dit.
Il ne sert
plus à rien de feindre des sentiments. Il ne sert à rien de diffuser des
slogans contre « la violence de tous les côtés ». La violence dans
les territoires n’est pas symétrique, la justice non plus. Tout comme les
colons et leurs collaborateurs ne ressentent aucune compassion envers leurs
victimes lorsqu’ils les expulsent, les pillent ou commettent des pogroms à leur
encontre, il est impossible de ressentir de la compassion ou de la solidarité
envers les victimes et leurs actes. Même lorsque leur sacrifice est difficile à
supporter, on ne peut oublier qui est la véritable victime et de quel côté se
trouve la justice.
Parfois, il
est également difficile de sympathiser avec les soldats. Vous ne pouvez pas
sympathiser avec le stormtrooper, même s’il fait partie de votre peuple.
La nationalité, l’héritage, la langue et la culture communs perdent leur sens
au vu de certaines de leurs actions. L’uniforme et l’armée que vous avez
vénérés dans votre enfance ont été complètement souillés. Même les actes de
courage dont on vous a parlé dans votre enfance ne sont plus les leurs. Les
combattants palestiniens qui leur font face sont plus courageux et plus prêts
au sacrifice qu’eux. Quiconque est prêt à mourir sous la “cocotte-minute”
israélienne, à affronter des comportements plus barbares, est une personne
courageuse prête à tout sacrifier. Comment ne pas l’admirer, même lorsqu’elle
est dirigée contre vous et votre peuple ?
La droite a
attaqué ceux qui ont organisé des dons pour les victimes du pogrom de Huwara.
La gauche sioniste, étant la gauche sioniste, a immédiatement scellé le noble
geste par une tentative méprisable de faire examiner par les retraités du Shin
Bet le “dossier de sécurité” de ceux qui recevaient les dons. Peu importe. L’acte
reste noble, malgré le grotesque de la gauche sioniste.
Comment
peut-on s’opposer aux dons aux survivants d’un pogrom perpétré par son propre
peuple ? Israël, qui a envoyé des délégations d’aide aux survivants d’un
tremblement de terre en Turquie, n’est pas disposé à envoyer une aide, même
minime, aux victimes de ses propres émeutiers, qui ont reçu les louanges
implicites et explicites de toute la droite du spectre ? Pas même un bulldozer
pour évacuer les centaines de carcasses de voitures calcinées ? Pas même une
compensation pour ceux qui sont devenus des sans-abris à cause des yeux
délibérément fermés de l’armée, qui pense que son travail consiste à protéger
les émeutiers ?
Face aux
victimes de l’occupation, il n’y a pas de doute moral. Le choix entre Haroun
Abou Aram et le soldat qui lui a tiré dans le cou, le paralysant pour le
reste de sa courte vie parce qu’il a essayé de sauver un générateur, est
absolument clair. Votre cœur est avec Haroun, qui entre-temps est mort.