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01/02/2024

GIDEON LEVY
L’humilité des Israéliens après le 7 octobre a disparu. L’arrogance est de retour

Gideon Levy, Haaretz, 31/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Après la guerre du Kippour (octobre 1973), Israël a humblement baissé la tête et s’est remodelé. Le pays traumatisé s’est replié sur lui-même et a fait son deuil. L’arrogance et la vantardise de l’après-guerre des Six Jours (juin 1967) ont disparu, de même que le culte de la personnalité militariste et l’adoration de l’armée.


Il est d’ores et déjà clair que cette fois-ci, ce sera différent. L’arrogance, la vantardise et le culte de la puissance armée reviennent en force. En fait, ils n’ont jamais disparu. Le choc et l’impuissance, l’horreur et même l’humilité ont régné les premiers jours, mais l’arrogance est vite revenue.

Comme si Israël n’avait pas été pris par surprise et n’avait pas été attaqué par une armée assiégée et dépenaillée alors que sa propre armée était absente, sa puissance militaire s’était révélée peu fiable. Israël était plongé dans le deuil et l’inquiétude, comme après la guerre du Kippour, mais rien n’indiquait qu’il allait changer d’avis.

L’argument selon lequel continuer à vivre par l’épée ne peut que conduire Israël à la destruction est considéré comme une hérésie. Les dégâts de la guerre du 7 octobre 2023 sont donc pires que ceux de la guerre du 6 octobre 1973. Après cette dernière, il y a eu une correction ; cette fois-ci, il n’y a aucun signe de correction.

On aurait pu s’attendre à une réaction différente. Le 8 octobre, Haaretz a publié ce que j’avais écrit l’après-midi précédent, avant que l’ampleur des atrocités ne soit révélée : « L’arrogance israélienne est à l’origine de tout cela. Nous pensions que nous pouvions faire n’importe quoi sans jamais être pénalisés.

[…] Nous nous arrêterons, nous tuerons, nous abuserons, nous déposséderons, nous protégerons les colons pogromistes, nous ferons des pèlerinages au tombeau de Joseph, au tombeau d’Othniel, à l’autel de Josué et, bien sûr, au mont du Temple ; nous tirerons sur les innocents, nous crèverons des yeux et écraserons des visages.

Hier, Israël a vu sur les images du sud ce qu’il n’avait jamais vu auparavant. Des véhicules militaires palestiniens patrouillant dans ses villes, des motards franchissant ses portes. Ces images doivent faire tomber le voile de l’arrogance ».

Aujourd’hui, quatre mois plus tard, Israël agit comme si nous étions après le 5 juin 1967, et non après le 7 octobre 2023. Le discours est arrogant. Les généraux pérorent dans les studios : nous allons frapper ici, conquérir là, déplacer des forces de Beyrouth à Téhéran, en passant par la route Philadelphie et le Yémen, tandis que les soldats et les colons se déchaînent en Cisjordanie.

La discussion dans les médias passe des convulsions de l’armée à une effusion sirupeuse de sentiment national. Une guerre inutile est dépeinte sous un autre jour : celui des succès imaginaires. Il n’y a pas de soirée sans que l’on fasse l’éloge de la glorieuse armée, de la 162e division et de l’équipe de combat de la 401e brigade, comme s’il ne s’agissait pas de la même armée que celle du 7 octobre, comme si elle menait Israël vers une situation meilleure.

Personne n’exprime une opinion différente, sceptique, subversive. Il n’y a que des flatteries pour l’armée, pour la guerre, pour le peuple d’Israël, pour Israël pour toujours, pour tout le monde. La majorité des médias israéliens a trahi sa mission et son professionnalisme en faveur du déni, de la dissimulation et de l’embrigadement au service de la propagande.

Il y a une absence honteuse de reportages sur ce qui se passe dans la bande de Gaza - les ruines et les morts, les blessés, les estropiés, les affamés et les déplacés - accompagnée d’une arrogance qui s’est emparée de la discussion nationale et de la vie nationale.

Au Centre international des congrès de Jérusalem, nous construisons des colonies à Gaza. À Jénine, nous nous déguisons en équipesmédicales, en violation flagrante du droit international, sous les applaudissements. À Gaza, nous détruisons tout comme s’il n’y avait pas de lendemain. 

Dans les capitales du monde, nous menons une campagne pour définancer l’UNRWA, et à La Haye, nous essayons d’ignorer la Cour internationale de justice. Il n’y a nulle part d’humilité, de modestie, de pensée différente, de réflexion sur une nouvelle voie ou d’écoute du monde, ce qui est pourtant si important aujourd’hui.

Nous continuons à nous mentir sciemment, à croire que nous pouvons vivre éternellement par l’épée, que nous sommes toujours les plus justes, les plus forts, plus que tous les autres, plus que le monde entier. Ce ne serait pas si terrible si nous ne savions pas que cela mènera à la prochaine catastrophe.



29/01/2024

GIDEON LEVY
C’est le courant dominant d’Israël qui nous a amenés à La Haye, pas ses marginaux branquignols

 Gideon Levy, Haaretz, 28/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Isaac Herzog, Yoav Gallant, Israel Katz : le président, le ministre de la Défense et le ministre des affaires étrangères d’Israël. La présidente de la Cour internationale de justice de La Haye, Joan Donoghue, a choisi de les citer tous les trois comme suspects d’incitation au génocide en Israël.

Le président israélien Isaac Herzog signe un obus près de la frontière de la bande de Gaza. Photo : Haim Tzach / GPO

 La juge n’a pas cité les franges de l’extrême droite, ni Itamar Ben-Gvir, ni Eyal Golan, ni les généraux à la retraite Giora Eiland (laissons les épidémies se propager à Gaza), ni Yair Golan, l’homme de paix et le diagnosticien des processus (laissons Gaza mourir de faim).

La troisième des mesures provisoires émises par la cour vendredi, signée par l’ancien président de la Cour suprême israélienne Aharon Barak, juge ad hoc d’Israël dans cette affaire, ordonne à Israël de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique au génocide des Palestiniens de la bande de Gaza.

Il semblerait qu’Israël doive maintenant enquêter, et éventuellement punir, son président et ses deux ministres les plus importants, et ils auraient dû être convoqués par la police dès dimanche matin. Israël ne le fera pas, bien sûr, mais il est impossible d’ignorer les soupçons soulevés par la cour concernant le cœur même d’Israël.

L’arrêt de la CIJ est un chef-d’œuvre de prudence et de modération. Il n’y a qu’en Israël, qui se trompe lui-même et nie jusqu’à l’égarement, que l’on peut « pousser un soupir de soulagement » et même « se réjouir » dans la foulée. Un État qui fait l’objet d’un procès pour génocide devant le tribunal des Nations unies devrait avoir honte et pas se réjouir.

Un État dont le président et les principaux ministres sont soupçonnés d’incitation au génocide devrait faire amende honorable, et non s’émerveiller de sa propre réussite imaginaire. Chaque Israélien aurait dû se tortiller sur son siège vendredi du simple fait du procès, et ressentir un profond sentiment de honte et d’humiliation en entendant les explications de la décision.

25/01/2024

GIDEON LEVY
La Gaza que j’aimais ne sera plus jamais la même

Gideon Levy, Haaretz, 24/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Un courriel en anglais : « Je m’appelle Yuval Caspi et je suis la fille du Dr Yosef Caspi. Vous avez écrit un article sur mon père. J’espère que vous pourrez m’aider à le retrouver et à connaître la date de sa publication. » Je n’avais aucune idée de ce à quoi cela faisait référence. Les archives de Haaretz l’ont trouvé : le 14 juillet 1995, il y a 30 ans, j’ai accompagné le Dr Caspi lors d’une visite à l’hôpital pour enfants Nasser de Khan Younèss.


Enterrement de Palestiniens tués lors d’une frappe israélienne, dans l’enceinte de l’hôpital Nasser, car les Palestiniens ne peuvent pas se rendre au cimetière en raison de l’opération terrestre israélienne, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, lundi 22/1/2024. Photo : Ahmed Zakot / Reuters

Caspi, ancien médecin d’une unité d’élite des FDI et directeur du service de chirurgie pédiatrique de l’hôpital Soroka à l’époque, s’était porté volontaire pour traiter des patients cardiaques pédiatriques à Gaza. Il transférait certains de ces jeunes patients à Soroka pour y être soignés, lorsqu’il était en mesure d’obtenir les dons nécessaires.

La recherche de l’article oublié depuis longtemps a également été comme un voyage dans une machine à remonter le temps vers une réalité tout aussi oubliée. Aujourd’hui, l’hôpital Nasser est au centre des combats à Khan Younès. Les blessés et les morts y sont transportés quotidiennement par dizaines et par centaines.

Dans cette guerre, ce n’est plus un hôpital pour enfants. Difficile de dire si l’on peut encore parler d’hôpital, alors que des personnes meurent à même le sol, sans médicaments, et que le bâtiment est encerclé par l’armée israélienne. Le directeur de l’hôpital, le Dr Nahed Abu Taima, a déclaré cette semaine à Radio A-Shams : « Nous sommes pris dans une catastrophe ».

Il ne reste rien de ce qu’on trouvait à l’époque, dans les jours d’espoir de 1995. Le Dr Caspi ne vit plus ici non plus. Sa fille m’a dit qu’il avait déménagé aux USA peu de temps après, loin de Soroka et de Nasser. Il a aujourd’hui 71 ans.

Quant à Hani Al Hatum, il devrait avoir 40 ans aujourd’hui, s’il est encore en vie. Au cours de l’été 1995, Al Hatum a été admis à l’hôpital Nasser en raison d’une malformation congénitale de la valve cardiaque. Il avait une expression triste et des lèvres bleues. Sa tension artérielle menaçait de faire éclater les vaisseaux sanguins de son cerveau. Mohammed Batash était un patient plus jeune. Il n’était qu’un bébé à l’époque. Il devrait avoir 29 ans aujourd’hui. A-t-il survécu ? Il avait besoin d’une transplantation cardiaque. Les chances qu’il en reçoive une ne sont pas très grandes.

Farid Tartur, du camp de réfugiés de Bureij, n’est probablement plus en vie. Sa maison n’est sûrement plus debout. En 1995, il est venu à l’hôpital avec son bébé Yasser, qui avait un besoin urgent d’une greffe de moelle osseuse. Il avait entendu dire qu’il y avait un médecin israélien à l’hôpital et pensait qu’il pourrait peut-être sauver son fils. Il n’avait pas d’autre moyen de le sauver. Le père et le fils sont-ils encore en vie ? J’en doute fort.

Les enfants et les bébés de l’été 1995 sont aujourd’hui des combattants du Hamas. Quelles autres possibilités et opportunités avaient-ils dans la vie ? Ils sont nés sous l’occupation et ont grandi sous le blocus, sans aucune chance. Peut-être se battent-ils en ce moment même contre l’armée qui a envahi les restes de leur terre après que leurs camarades ont commis le massacre dans le sud d’Israël, ou peut-être fouillent-ils dans les décombres de ce qui reste de leurs maisons.

Depuis le début de la guerre, je n’ai pas osé téléphoner à qui que ce soit à Gaza. Je craignais qu’aucun des membres de mon petit cercle d’amis et de connaissances ne soit encore en vie. Et s’ils l’étaient, que leur dirais-je ? De s’accrocher ? D’être forts ? Dans le meilleur des cas, ils sont tous déracinés et n’ont plus rien à se mettre sous la dent.

Je pense souvent à eux. Y a-t-il une chance que Munir et Sa’id, deux chauffeurs de taxi dévoués et chers à mon cœur, soient encore en vie ? Munir, originaire de Beit Lahiya, s’est récemment remis d’une attaque cérébrale. La dernière fois que nous nous sommes parlé, il m’a demandé d’essayer de lui obtenir un permis de travail en Israël, malgré sa paralysie partielle. Il a suggéré qu’il travaille comme traducteur pour les ouvriers [gazaouis travaillant en Israël, NdT]. Je n’ai pas eu de nouvelles de Sa’id depuis longtemps.

J’ai adoré Gaza. Chaque visite était une expérience unique. Les Gazaouis sont différents des Palestiniens de Cisjordanie. Jusqu’à il y a 16 ans, c’était une communauté très chaleureuse, compatissante, courageuse, avec un sentiment de solidarité et, bien sûr, familière avec la souffrance. Pendant toutes les années où j’ai visité Gaza, je n’ai pas rencontré un seul “sauvage” ou “monstre”.

 Je n’ai aucune idée de ce que les 16 années de blocus lui ont fait subir. Aujourd’hui, la guerre est en train de la tuer pour de bon. Il n’est pas difficile de deviner ce qui poussera à Gaza en sa mémoire.

23/01/2024

GIDEON LEVY
Pourquoi les Israéliens aiment tant leur armée, malgré l’échec cuisant du 7 octobre

Gideon Levy, Haaretz, 21/1/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Les Israéliens aiment leur armée d’un amour aveugle, illimité et inconditionnel. La gauche sioniste aime les Forces de défense israéliennes encore plus que la droite.

On aurait pu s’attendre à une vague de rage, de critiques et de volonté de punir l’armée qui nous a abandonnés le 7 octobre.

Des soldats israéliens passent devant des maisons détruites le 7 octobre dans le kibboutz Be’eri, dans le sud d’Israël. Photo : Ariel Schalit/AP

Des milliers de personnes, Israéliens et Palestiniens, auraient été sauvées si seulement il y avait eu une armée le 7 octobre. Il n’y aurait eu ni morts, ni enlèvements, ni guerre.

On pourrait également s’attendre à ce que la droite, dont les objectifs - la conquête et la destruction du peuple palestinien - sont beaucoup mieux servis par l’armée que ceux de la gauche, aime l’armée plus que la gauche. Mais ce n’est pas le cas.

La gauche est toujours avec les FDI - et la droite l’est aussi, mais moins. Et rien n’a changé dans ce nombre d’or après le 7 octobre.

Nous sommes en temps de guerre, une période où il est facile de comprendre l’amour de la population pour ses soldats. C’est l’époque des paquets de soins pour les soldats, des remises, des soupirs, des histoires d’héroïsme et de chagrin. Il n’y a rien de plus humain que cela.

Des soldats israéliens visitent un abri anti-bombes dans lequel des personnes ont été attaquées alors qu’elles cherchaient refuge le 7 octobre. Photo : Amir Cohen/Reuters

Et pourtant, en même temps, on peut se demander comment il se fait qu’après le fiasco du 7 octobre, la confiance, l’admiration - pour ne pas dire l’adoration - pour l’armée soit restée la même qu’avant. Après que ses commandants ont assumé la responsabilité de ce qui s’est passé, le niveau d’adoration d’avant-guerre s’est maintenu comme si rien ne s’était passé.

Il est évident que les dirigeants politiques, et surtout le Premier ministre Benjamin Netanyahou, portent la plus grande part de responsabilité, mais c’est l’armée qui a été révélée dans toute sa nudité, sans que le déshonneur du 7 octobre ne lui colle aux bottes.

Malgré les sommes colossales qui lui ont été consacrées, malgré le prestige et la suffisance, il n’y avait pas de renseignements avant le 7 octobre et il n’y avait pas d’armée le jour du massacre. Les FDI ont disparu, se sont évaporées, dématérialisées, et Israël leur pardonne. Leurs commandants, anciens et actuels, sont les héros de l’heure.

17/01/2024

GIDEON LEVY
Israéliens, ne soyez pas surpris si une nouvelle intifada éclate en Cisjordanie

Gideon Levy, Haaretz, 17/1/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Le problème n'est pas seulement économique. Sous le couvert de la guerre et avec l'aide du gouvernement d'extrême droite, l'armée israélienne a dangereusement modifié sa conduite dans les territoires occupés - elle veut Gaza en Cisjordanie

Trois heures et demie. Trois heures et demie de Jénine à Toulkarem. En trois heures et demie, vous pouvez prendre l’avion pour Rome ou conduire jusqu’à Eilat. Mais aujourd’hui, en Cisjordanie occupée, cest à peine suffisant pour  aller en voiture entre deux villes voisines.

C’est le temps qu’il nous a fallu cette semaine pour aller de Jénine à Toulkarem, soit 35 kilomètres. Depuis le début de la guerre à Gaza, au bout de chaque route palestinienne de Cisjordanie il y a une barrière métallique verrouillée. Waze vous indique d’emprunter ces routes, mais même cette application intelligente ne sait pas qu’il y a une barrière verrouillée au bout de chacune d’entre elles.

S’il n’y a pas de barrière verrouillée, il y a un barrage routier « respirant ». S’il n’y a pas de barrage respirant, il y a un barrage étrangleur. Près de la gare ottomane de Sebastia, des soldats de réserve empêchent les Palestiniens d’emprunter le moindre chemin de gravier. Près de Shavei Shomron, les soldats autorisent les déplacements du sud vers le nord, mais pas dans la direction opposée. Pourquoi ? Parce que.

Les soldats du barrage suivant prennent des selfies, et toutes les voitures attendent qu’ils aient fini de se photographier pour recevoir le geste dédaigneux et condescendant de la main qui leur permettra de passer, tandis que l’embouteillage recule sur la route.

Le barrage d’Einav que nous avons traversé le matin a été fermé à la circulation dans l’après-midi par les soldats. Impossible de savoir quoi que ce soit. Le barrage de Huwara est fermé. La sortie de Shufa est fermée. De même que la plupart des voies de sortie des villages vers les routes principales. C’est ainsi que nous avons voyagé cette semaine, comme des cafards drogués dans une bouteille, trois heures et demie de Jénine à Toulkarem, pour atteindre la route 557 et retourner en Israël.

Telle est la vie des Palestiniens en Cisjordanie ces jours-ci. « Cela pourrait être mieux / cela pourrait être un désastre / bonsoir le désespoir et bonsoir l’espoir / qui est le prochain dans la file et qui est dans la prochaine file » (Yehuda Poliker et Yaakov Gilad). Le soir venu, des milliers de voitures dont les conducteurs se sont simplement arrêtés sur le bord du chemin, victimes de l’abjection, s’alignent le long des routes de Cisjordanie. Ils sont là, impuissants et silencieux. Il faut voir la peur dans leurs yeux lorsqu’ils parviennent à s’approcher du barrage ; le moindre faux pas peut entraîner leur mort. De quoi vous faire exploser.

Cela peut vous faire exploser de voir qu’Israël fait maintenant tout pour pousser la Cisjordanie à une nouvelle intifada. Ce ne sera pas facile. La Cisjordanie n’a ni le leadership ni l’esprit combatif de la seconde intifada, mais comment ne pas exploser ?

Quelque 150 000 ouvriers qui travaillaient en Israël sont au chômage depuis trois mois. On peut aussi exploser devant l’hypocrisie de l’armée. Ses commandants avertissent qu’il faut permettre aux ouvriers d’aller travailler, mais l’armée israélienne sera la principale responsable du soulèvement palestinien s’il éclate.

Le problème n’est pas seulement économique. Sous le couvert de la guerre et avec l’aide du gouvernement d’extrême droite, les FDI ont modifié dangereusement leur conduite dans les territoires occupés : elles veulent une autre Gaza en Cisjordanie. 

Les colons veulent Gaza en Cisjordanie afin de pouvoir chasser le plus grand nombre possible de Palestiniens, et l’armée les soutient. Selon les chiffres de l’ONU, depuis le 7 octobre, 344 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie, dont 88 enfants. Huit ou neuf d’entre eux ont été tués par des colons. Dans le même temps, cinq Israéliens ont été tués en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, dont quatre par les forces de sécurité.

La raison en est que, ces derniers mois, les FDI ont commencé à tirer depuis les airs pour tuer en Cisjordanie, comme à Gaza. Le 7 janvier, par exemple, l’armée a tué sept jeunes qui se tenaient sur un îlot de circulation près de Jénine, après que l’un d’entre eux a apparemment lancé une charge explosive sur une jeep et l’a manquée.

Il s’agissait d’un massacre. Les sept jeunes étaient membres d’une même famille, quatre frères, deux autres frères et un cousin. Cela n’intéresse pas Israël.

Aujourd’hui, les FDI déplacent des forces de Gaza vers la Cisjordanie. L’unité d’infiltration Douvdevan est déjà sur place, la brigade Kfir est en route. Ces forces reviendront en Cisjordanie, stimulées par les massacres aveugles perpétrés à Gaza, et voudront poursuivre leur excellent travail dans cette région également.

Israël veut une intifada. Peut-être même qu’il l’obtiendra. Il ne devra pas feindre la surprise lorsqu’elle se produira.

Tjeerd Royaards, Pays-Bas

14/01/2024

GIDEON LEVY
Si ce n’est pas un génocide à Gaza, alors c’est quoi ?

Gideon Levy, Haaretz, , 14/1/2024
Traduit par Fausto Giudice
, Tlaxcala 

Supposons que la position d’Israël à La Haye soit juste et équitable et qu’Israël n’ait pas commis de génocide ou quoi que ce soit qui s’en rapproche. Qu’en est-il alors ? Comment appelez-vous les massacres, qui se poursuivent alors même que ces lignes sont écrites, sans discrimination, sans retenue, à une échelle difficilement imaginable ?

Place Nelson Mandela, Ramallah, Cisjordanie occupée, 10 janvier 2024

 Comment appeler les enfants mourant par terre dans les hôpitaux, dont certains n’ont plus personne au monde, et les civils âgés et affamés qui fuient pour leur vie la menace incessante des bombes omniprésentes ? La définition juridique changera-t-elle leur sort ? Israël poussera un soupir de soulagement si le tribunal rejette l’accusation. En ce qui le concerne, s’il ne s’agit pas d’un génocide, sa conscience sera à nouveau tranquille. Si La Haye dit “pas de génocide”, nous serons à nouveau les plus moraux du monde.

Ce week-end, les médias israéliens et les réseaux sociaux ont fait assaut d’admiration et d’éloges à l’égard de l’équipe de juristes qui nous a représentés à La Haye. Quel anglais élégant et quels arguments convaincants ! La veille, les médias ont à peine rapporté la position de l’Afrique du Sud, qui était présentée dans un anglais encore meilleur que celui des Israéliens et qui était bien plus ancrée dans les faits et moins dans la propagande, prouvant une fois de plus que dans cette guerre, les médias israéliens ont atteint un nadir inégalé. Ils considèrent qu’il est de leur devoir de renforcer la position israélienne et d’annuler la position du “bras juridique du Hamas”. Regardez l’honneur juridique que ces experts nous ont apporté.

Supposons que nous parlions d’un pays jugé pour les violations les plus graves du droit international. Ceux qui portent des robes noires et des perruques blanches et ceux qui n’en ont pas ont présenté les arguments habituels d’Israël, dont certains sont justes, comme les descriptions de l’atrocité du 7 octobre.

À d’autres moments, il était difficile de savoir s’il fallait rire ou pleurer. Comme l’argument selon lequel le Hamas est le seul responsable de la situation à Gaza. Israël n’y est pour rien. Dire cela à une institution internationale prestigieuse, c’est mettre en doute et insulter l’intelligence de ses juges.

Et que penser des propos du chef de l’équipe de défense israélienne, le professeur Malcolm Shaw : « Les actions d’Israël sont proportionnées et ne visent que des forces armées » ? Mais qu’en est-il de la vérité ? Proportionnées à une telle destruction ? Si c’est à cela que ressemble la proportionnalité, à quoi ressemble la disproportion ? À Hiroshima ?

“Uniquement contre des forces armées”, avec des multitudes d’enfants morts ? De quoi parle-t-il ? « Passer des appels téléphoniques pour évacuer les personnes non impliquées » ; qui a encore un téléphone en état de marche à Gaza et où exactement sont-ils censés évacuer dans cet enfer où il ne reste plus une seule parcelle de terrain sûr ? Et le comble : « Même si les soldats ont violé les lois régissant la guerre, cela sera entendu par le système juridique israélien. »

Shaw n’a apparemment pas entendu parler du système juridique israélien et encore moins de ce qu’on appelle le système juridique militaire. Il n’a pas entendu dire qu’après l’opération “Plomb durci”, le conflit de 2008-2009 avec Gaza, seuls quatre soldats ont été inculpés pour des infractions pénales et qu’un seul d’entre eux a été envoyé en prison pour le délit de vol d’une carte de crédit ( !). Tous les autres qui ont lancé des obus et des bombes sur des innocents ne seront jamais inculpés.

Et que dire des remarques de la Dre Galit Rejwan, la découverte du week-end qui sera sans aucun doute choisie pour allumer la torche de cette année lors de la cérémonie du Jour de l’Indépendance sur le Mont Herzl : « L’armée israélienne déplace les hôpitaux vers un endroit plus sûr ». Al Shifa sera-t-il déplacé à Sheba ? Rantisi à Soroka ? De quels lieux sûrs à Gaza parle-t-elle et quels hôpitaux Tsahal déplacera-t-il ?

Bien entendu, rien de tout cela ne prouve qu’Israël a commis un génocide. Le tribunal en décidera. Mais se sentir bien devant de tels arguments pour la défense ? Se sentir bien après La Haye ? Se sentir bien après Gaza ?

GIDEON LEVY
L’albero (136 ostaggi israeliani) che nasconde la foresta (2,3 milioni di ostaggi e 30mila palestinesi morti)

Gideon LevyHaaretz, 11/01/2024
Tradotto da Alba Canelli, Tlaxcala

 Shai Wenkert è il padre di Omer Wenkert, 22 anni, che soffre di colite ed è tenuto in ostaggio da Hamas. La colite è una terribile malattia cronica che può peggiorare in condizioni di stress e in assenza di farmaci e di una corretta alimentazione. Provoca molta sofferenza alle persone che ne soffrono.

Emad Hajjaj

Il padre di Omer ha lanciato avvertimenti da ogni piattaforma possibile: suo figlio è in pericolo mortale. Cerca di non pensare alle condizioni di suo figlio, ha detto in un'intervista, ma non sempre ci riesce. Infatti, pensare a una persona affetta da colite e senza farmaci, prigioniera di Hamas, è come pensare all'inferno. Omer deve essere rilasciato o almeno procurarsi rapidamente le medicine di cui ha bisogno.

Non riusciamo a mantenere la calma di fronte agli appelli di suo padre. Non c'è nessuno che non sia inorridito al pensiero della sofferenza del giovane Omer. Allo stesso tempo, ci si può solo chiedere quante persone affette da colite ci siano attualmente a Gaza, nelle stesse condizioni di Omer, senza medicine, senza cibo e sotto stress.

Omer è imprigionato; i residenti della Striscia di Gaza che soffrono di colite e altre malattie croniche fuggono disperatamente per salvarsi la vita. Non hanno un letto su cui adagiare i loro corpi malati e doloranti, non hanno una casa, le loro condizioni igieniche sono pessime. Hanno vissuto per tre mesi nella costante paura della morte, sotto bombardamenti e colpi di artiglieria senza precedenti.

Omer è stato rapito ed è ostaggio. Anche gli abitanti della Striscia di Gaza sono ostaggi e le condizioni in cui vivono, compresi i malati, non sono migliori dell'inferno di Omer. Anche loro hanno bisogno di aiuto. Anche loro devono almeno ricevere rapidamente i farmaci di cui hanno bisogno. È un peccato che il padre di Omer pensi che negare gli aiuti umanitari a Gaza, anche alle persone affette da colite, sia il modo per salvare suo figlio. Tuttavia, non bisogna affrettarsi a giudicare una persona in crisi.

 

Allan McDonald

Non c'è differenza tra Omer e Mohammed, entrambi affetti da colite. Condividono un destino simile, di insopportabile crudeltà. Provo a immaginare il giovane Mohammed affetto da colite. Nei 16 anni in cui Gaza è stata sotto assedio, è improbabile che abbia ricevuto le migliori medicine disponibili per curare la sua malattia. È stato difficile, se non impossibile, farlo uscire dal ghetto di Gaza per ricevere cure mediche quando la sua malattia è peggiorata.

Oggi Omer è imprigionato in un tunnel buio e spaventoso e Mohammed vaga per le strade, affamato, rischiando di contrarre un'epidemia, un'infezione intestinale o altre malattie. In qualsiasi momento, il prossimo proiettile potrebbe colpirlo. Mohammed e Omer soffrono tormenti che non possiamo nemmeno immaginare.

Ai 136 ostaggi israeliani bisogna aggiungere 2,3 milioni di gazawi, ovvero il numero di loro ancora vivi, anch'essi ostaggi.

Gli israeliani sono ostaggi di Hamas, mentre gli abitanti di Gaza sono ostaggi sia di Israele che di Hamas [sic]. I loro destini sono legati. Quando gli ostaggi liberati da Hamas hanno parlato del magro cibo che ricevevano in prigionia, una pita al giorno con un po' di riso ogni tanto, hanno anche indicato che questo era esattamente ciò che veniva dato ai loro sequestratori. Qui ci sono spunti di riflessione, cosa che nessuno in Israele si è preso la briga di fare. Questo è ciò che sta accadendo adesso a Gaza, agli ostaggi e ai loro sequestratori, ma nessuno ne parla.

Fa male solo la sofferenza di Omer, non quella di Mohammed. Gli israeliani furono portati con la forza all'inferno. Anche gli abitanti della Striscia di Gaza sono stati portati con la forza nello stesso inferno. Hamas sapeva benissimo quanto sarebbe stata intensa la risposta di Israele, ma non si è preoccupata di predisporre alcuna protezione per gli abitanti di Gaza: niente ospedali, niente forniture di medicinali e cibo, niente rifugi. Questo è stato il primo rapimento di residenti di Gaza. A ciò si aggiungeva una nuova occupazione israeliana di Gaza, più crudele di tutte le precedenti.

Il padre di Omer, come è stato detto, cerca di non pensare a quello che sta passando suo figlio. Possiamo provare empatia per lui. È impossibile per un padre immaginare la sofferenza di suo figlio e sentirsi così impotente nel cercare di salvarlo. Ti si rivolta lo stomaco quando senti le grida di tuo padre. Ma non possiamo continuare a chiudere un occhio e indurire i nostri cuori di fronte alla sofferenza del resto degli ostaggi, dell’intera popolazione della Striscia di Gaza, compresi coloro che soffrono di colite.


Fadi Abou Hassan 

 

11/01/2024

GIDEON LEVY
L’arbre (136 otages israéliens) qui cache la forêt (2,3 millions d’otages et 30 000 morts palestiniens)

Gideon Levy, Haaretz, 11/12024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Shai Wenkert est le père d’Omer Wenkert, 22 ans, qui souffre de colite et est retenu en otage par le Hamas. La colite est une affreuse maladie chronique qui peut être aggravée dans des conditions de stress et en l’absence de médicaments et d’une alimentation appropriée. Elle cause beaucoup de souffrances aux personnes qui en sont atteintes.

Emad Hajjaj

 Le père d’Omer a lancé des avertissements depuis toutes les tribunes possibles : son fils est en danger de mort. Il essaie de ne pas penser à l’état de son fils, a-t-il déclaré lors d’une interview, mais il n’y parvient pas toujours. En effet, penser à une personne souffrant de colite et n’ayant pas de médicaments, captive du Hamas, c’est comme penser à l’enfer. Omer doit être libéré, ou au moins obtenir rapidement les médicaments dont il a besoin.

On ne peut pas garder son sang-froid face aux appels de son père. Il n’y a personne qui ne soit horrifié à l’idée de la souffrance du jeune Omer. En même temps, on ne peut que se demander combien de personnes souffrant de colite il y a actuellement à Gaza, dans les mêmes conditions qu’Omer, sans médicaments, sans nourriture et dans le stress.

Omer est emprisonné ; les habitants de la bande de Gaza atteints de colite et d’autres maladies chroniques fuient désespérément pour sauver leur vie. Ils n’ont pas de lit sur lequel poser leur corps malade et douloureux, ils n’ont pas de maison, leurs conditions d’hygiène sont épouvantables. Ils vivent depuis trois mois dans la peur constante de mourir, sous des bombardements et des tirs d’artillerie sans précédent.

Omer a été kidnappé et est un otage. Les habitants de la bande de Gaza sont également des otages et les conditions dans lesquelles ils vivent, y compris les malades, ne sont pas meilleures que l’enfer d’Omer. Eux aussi ont besoin d’aide. Eux aussi doivent au moins recevoir rapidement les médicaments dont ils ont besoin. Il est dommage que le père d’Omer pense que refuser l’aide humanitaire à Gaza, y compris aux personnes atteintes de colite, est le moyen de sauver son fils. Cependant, il ne faut pas se précipiter pour juger une personne en crise.

 

Allan McDonald

Il n’y a pas de différence entre Omer et Mohammed, tous deux atteints de colite. Ils partagent un destin similaire, d’une cruauté insoutenable. J’essaie d’imaginer le jeune Mohammed atteint de colite. Depuis 16 ans que Gaza est assiégée, il est peu probable qu’il ait reçu les meilleurs médicaments disponibles pour traiter sa maladie. Il était difficile, voire impossible, de le faire sortir du ghetto de Gaza pour qu’il reçoive un traitement médical lorsque sa maladie s’aggravait.

Aujourd’hui, Omer est emprisonné dans un tunnel sombre et effrayant et Mohammed erre dans les rues, affamé, au risque de contracter une épidémie, une infection intestinale ou toute autre maladie. À tout moment, le prochain obus peut l’atteindre. Mohammed et Omer souffrent de tourments que nous ne pouvons même pas imaginer.

Aux 136 otages israéliens, il faut ajouter 2,3 millions de Gazaouis, ou le nombre d’entre eux encore en vie, également otages.

Les Israéliens sont les otages du Hamas, tandis que les Gazaouis sont les otages à la fois d’Israël et du Hamas [sic]. Leurs destins sont liés. Lorsque les otages libérés par le Hamas ont parlé de la maigre nourriture qu’ils recevaient en captivité, une pita par jour avec un peu de riz de temps en temps, ils ont également indiqué que c’était exactement ce que recevaient leurs ravisseurs. Il y a là matière à réflexion, ce que personne en Israël n’a pris la peine de faire. C’est ce qui se passe actuellement à Gaza, pour les otages et leurs ravisseurs, mais personne n’en parle.

Seule la souffrance d’Omer fait mal, pas celle de Mohammed. Les Israéliens ont été emmenés de force en enfer. Les habitants de la bande de Gaza ont également été enlevés de force vers le même enfer. Le Hamas savait parfaitement à quel point la riposte d’Israël serait intense, mais il n’a pas pris la peine de préparer la moindre protection pour les habitants de Gaza : pas d’hôpitaux, pas d’approvisionnement en médicaments ou en nourriture, pas d’abris. Ce fut le premier kidnapping d’habitants de Gaza. À cela s’est ajoutée une nouvelle occupation israélienne de Gaza, plus cruelle que toutes les précédentes.

Le père d’Omer, comme on l’a dit, essaie de ne pas penser à ce que son fils traverse. On peut avoir de l’empathie pour lui. Il est impossible pour un père d’imaginer la souffrance de son enfant et de se sentir si impuissant à essayer de le sauver. L’estomac se retourne en entendant les cris du père. Mais on ne peut pas continuer à fermer les yeux et à endurcir son cœur face à la souffrance du reste des otages, de toute la population de la bande de Gaza, y compris les personnes atteintes de colite.


Fadi Abou Hassan