Luis Hernández Navarro,
La
Jornada, 29/1/2023
Original: Reivindicar
a Villa permitirá poner en relieve la insurgencia popular: Taibo II
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Comme s’il s’agissait
de la station de métro Balderas à l’heure de pointe, l’œuvre de l’écrivain Paco
Ignacio Taibo II est encombrée. Héctor Belascoarán Shayne, le célèbre détective
de ses romans policiers, est de retour (s’il est jamais parti). Sa biographie
en espagnol de Pancho Villa en est à sa 27e édition et une nouvelle
édition sera publiée à l’occasion de la commémoration nationale [centenaire
de son assassinat le 20 juillet, NdT]. Cette année également, la version
anglaise paraîtra aux USA. Enfin, on peut trouver ses deux derniers livres en
librairie : La libertad, Tres
historias de la historia et La historia del gueto de Varsovia.
L’écrivain Paco Ignacio Taibo II, dans les locaux de La
Jornada. Photo Yazmín Ortega Cortés
Peut-on
parler d’une renaissance belascoaranienne?
Oui,
c’est vrai. Les œuvres complètes de Belascoarán seront publiées en Espagne en
deux volumes. Le premier est déjà sorti, le second paraîtra en février. Et puis
il y a la série télévisée sur Netflix, le revival bélascoaraniste qu’elle a
provoqué et la façon dont les ventes de ses livres ont explosé.
Bon,
ce n’est pas vraiment un revival. ‘Belascoarán a toujours vendu régulièrement,
tant ses romans complets que les versions individuelles. Il a été en vie. Mais
la série télévisée a créé un renouveau de ses lectures qui a commencé à être
remarqué dans les salons du livre ces derniers mois. Il a connu un grand succès
dans des pays tels que le Mexique, l’Italie et la Grèce. En fait, il y a la
possibilité d’une deuxième saison de la série.
Avant
que Rafael Ramírez Heredia et toi ne vous aventuriez dans le genre, Rafael
Bernal a écrit Le
complot mongol. Après cela, il a proliféré. Pourquoi as-tu commencé à
écrire des romans policiers et que s’est-il passé ?
Lorsque
Rafael Ramírez et moi avons lancé le genre néo-policier au Mexique, nous avons
voulu faire revivre Le complot mongol. Le livre était une pièce détachée
qui est restée détachée, par un auteur très inégal. Lorsque nous nous sommes
adressés à l’éditeur Joaquín Mortiz pour le suggérer, il a répondu : “Pourquoi
pas, vu que j’ai les trois quarts de l’édition invendus”.
Les
autres qui étaient là, et qui auraient dû fonder le néo-polar mexicain, étaient
Jorge Ibargüengoitia, avec Las muertas et Dos crímenes, et
Vicente Leñero, avec Los albañiles. Mais ils ont refusé de dire qu’il s’agissait
de romans policiers. Comme s’ils avaient le syndrome de la haute littérature.
Ils n’ont pas créé de genre. Ce que Rafael Ramírez et moi avons fait, ça a été
de créer un genre au Mexique.
Nous
étions accompagnés par une vague qui, nous le savons aujourd’hui, était
internationale, mais nous ne le savions pas à l’époque car c’était une vague
invisible. Quand j’écrivais Días de combate, Manuel Vázquez Montalbán
écrivait Tatuaje. Aux USA, Roger L. Simon était en train d’être pûblié.
Ross Thomas était un challenger à New York. Jürgen Alberts le faisait en
Allemagne et Jean-Patrick Manchette en France.
Lorsque
nous nous sommes rencontrés, grâce aux bons offices de la Semana Negra de
Gijón, nous avons réalisé que nous étions un courant. Le premier à l’établir de
manière évidente a été une émission en France intitulée Du drapeau rouge au
roman noir, qui commençait en disant : « Où étiez-vous en 67, 68, 69 ? »,
puis recensait les romans policiers.
La
génération de 68 était entrée dans le roman policier avec l’idée claire,
transparente et décisive que la guerre continuait par d’autres moyens et que la
lutte contre le système avait trouvé refuge dans le roman policier. Nous étions
la génération qui disait : « Le capitalisme, c’est nul ».
On
se connaissait et on écrivait des avant-propos l’un pour l’autre. C’était un
phénomène courant pour nous aider à être publiés à l’échelle internationale, en
brisant les frontières.
Pourquoi
était-il considéré comme un genre mineur ?
Il
existe un analphabétisme fonctionnel. Aujourd’hui, au Mexique, les architectes
du politiquement correct continuent de penser que le roman policier est un
genre mineur. Ce qui se passe, c’est qu’ils n’osent pas le dire. Et pourtant,
certains auteurs de première ligne de l’expérimentalisme littéraire se sont
approchés du roman policier, car ils y trouvent une source narrative très
intéressante.
En
Espagne, la bataille a été gagnée par Vázquez Montalbán, qui était un
intellectuel tout terrain. Il était très difficile de discuter avec quelqu’un
qui était un leader politique, un excellent poète, un romancier expérimental et
aussi avec le créateur du néo-polar espagnol, accompagné par Andreu Martín et
Juan Madrid. Il était beaucoup moins difficile pour eux de gagner la bataille
en Espagne qu’au Mexique.
Villa
est de retour grâce à “quatre personnes (Jesús Vargas, Friedrich Katz, Pedro
Salmerón et Taibo II) qui, au cours des 20 dernières années, ont écrit des
livres sur lui et liquidé la légende noire", déclare Paico Ignacio Taibo
II dans son interview. Photo Yazmín Ortega Cortés
Pancho
Villa est de retour.
-Oui,
et je ne suis pas le seul à meen attribuer le mérite. Le mérite revient à
quatre personnes qui, au cours des 20 dernières années, ont écrit des livres
sur Villa qui ne sont pas discutables, qui ont balayé la légende noire. Le
travail de Katz, le mien, celui de Chuy Vargas et de Pedro Salmerón l’ont
balayée. Nous avons réduit en bouillie la légende noire qui était cachée,
dissimulée, qui résistait à reconnaître Villa comme un héros populaire, et qui lui
collait des étiquettes comme “sauvage, assassin, polygame”, et blablabla.
Les
livres qui ont raconté la véritable histoire de qui était Pancho Villa ont
changé le ton avec lequel il est reconnu aujourd’hui. Il y aura de nombreux
films gringos dans lesquels Villa apparaît bourré, mais un Mexicain moyennement
informé sait qu’il ne buvait pas d’alcool.
C’est
un personnage vraiment intéressant. Très mauvais dans les discours publics,
merveilleux dans les conversations courtes. Le verbiage autour du feu de camp,
les discussions, les potins, les anecdotes, étaient fabuleux. Sa conversation
avec Zapata est mémorable. Heureusement, elle a été notée en sténographie. Nous
savons qu’ils n’avaient aucun désir d’être président, bien au contraire. Ils disiaent
des choses comme : « À Mexico, quand je monte sur le trottoir, j’ai le
vertige ». « Allons-y ! Tu vas au sud pour faire la Réforme Agraire
et je vais au nord pour faire les brigades avec la División del Norte, les
Développements Agraires Paysans ».
Pour
quelqu’un comme moi, qui venait du roman, il avait le mérite d’être un tiroir
sans fin d’anecdotes. Ainsi, quand tu écris l’histoire de Villa, tu as une
accumulation d’histoires qui mettent du sel et te donnent le personnage. Cela
permet une lecture ouverte qui laisse le lecteur juge.
Ton
livre sur Villa fait des centaines de pages, comment un ouvrage aussi
volumineux peut-il en même temps être aussi populaire?
Parce
que c’est la même chose pour beaucoup de gens que pour moi : quand tu aimes un
livre, tu ne veux pas qu’il se termine.
Des
choses incroyables me sont arrivées avec le livre de Villa. Je suis à Durango
et on s’arrête chez une dame qui fait des gorditas* sur le comal. Mon guide, Jerry Segura,
me présente. Elle s’essuie les mains sur son tablier et sort de sous le comal
une édition de Pancho Villa, à moitié noiricie par la fumée. Neuf ou dix
personnes l’avaient lu. « Wow, c’est génial ! » me dit-elle. « Vous
savez pourquoi nous l’avons lu ? » Je lui ai demandé, avec une énorme
curiosité : « Pourquoi ? » « Parce que le général nous l’a
recommandé. Il dit que c’est très bon », répond-elle. Allez ! Je sors ma
timidité du placard et partage mes doutes : « Excusez-moi, madame, quel
général ? » « Pancho, parce qu’il vient parfois. Madero ne vient jamais,
mais Pancho vient parfois et quand il le fait, il dit, lisez le livre de Taibo
parce qu’il est très bon ».
« Bonne
mère ! », me suis-je dit. Je l’ai embrassée et enlacée pour lui dire au
revoir et j’ai signé son exemplaire.
Lorsque
je suis arrivé à la conférence que j’allais donner, je me suis dit : « Tu
n’as pas le cran, hein que tu n’oses pas dire au public que ce livre est
intéressant parce que Pancho Villa l’a recommandé ? « Et je n’ai pas
osé, je ne suis pas allé si loin.
Pourquoi
revendiquer Villa aujourd’hui ?
La
revendication de Villa va nous permettre de mettre en avant ce qu’était et ce
qu’est l’insurrection populaire. C’est un homme qui, pendant 50 jours en tant
que gouverneur de Chihuahua, a créé 50 écoles. Dans la 4T [la « Quatrième
Transformation » proclamée par le président Manuel Lopez Obrador, NdT],
nous devons encore sortir du labyrinthe bureaucratique de la gestion d’un État.
Villa l’a résolu par des actes. Je pense que cette image va avoir un impact sur
les lecteurs et leur dire que le problème des choses, c’est de les faire.
Mettre
Villa à l’ordre du jour, c’est la même chose que de parler de Madero, Zapata ou
Juárez. C’est le passé qui vit avec nous. Il a des règles. Vous ne pouvez pas
le sortir et le transporter à notre époque et l’utiliser comme exemple. Mais,
grâce à lui, tu peux réfléchir à nos origines, à notre identité et à notre
avenir.
C’est
là toute l’importance de Villa. J’ai écrit sa biographie pour l’intégrer dans
le calendrier des saints laïc. Je suis sans vergogne un villista dans l’âme.
NdT
^Gorditas : litt. « petites grosses »,
equivalent mexicain des empanadas, arepas, börek, samoussa, ftayer, ou pirojki,
autrement dit des chaussons de pâte feuilletée et farcis de divers ingrédients
selon les régions et les goûts.