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12/05/2023

AMIRA HASS
Chaque attaque sur Gaza entraîne son lot de “dommages collatéraux” et de dégâts absurdes

Amira Hass, Haaretz, 11/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les termes comme “dommages collatéraux” et “proportionnalité” ne tiennent pas compte des civils dont les vies ont été prises dans le dernier cycle inutile de douleur et de souffrance. Lorsque la logique qui sous-tend les attaques est si incompréhensible, les mots manquent.

L’hôpital Shifa dans la ville de Gaza, mercredi. Photo : AHMED ZAKOT/Reuters

Pour cette femme de 87 ans, malade dans sa maison de Khan Younis, les 75 dernières années se sont réduites à un seul moment, qui remonte à avril ou mai 1948. Csest à ce moment-là qu’elle et sa famille ont fui leur maison de Jaffa après qu’elle avait été bombardée par les miliciens de l’Irgoun et de la Haganah, qui existaient avant la création de l’État. Ils pensaient rentrer chez eux au bout de deux ou trois jours, une semaine ou deux tout au plus.

Mardi, elle a surpris sa famille en se réveillant d’un coma de deux jours. Ses enfants ont compris, à travers ses marmonnements, qu’à son réveil, elle se croyait redevenue celle qu’elle était à l’âge de 12 ans, une fille dont le monde avait été bouleversé en l’espace de quelques heures.

« Cela n’a rien à voir avec les récents attentats. Je ne pense pas qu’elle sache qu’il y a une nouvelle guerre », m’a dit sa petite-fille. « C’est courant. Même lorsque nos aînés perdent la mémoire, ils se souviennent d’eux-mêmes pendant la Nakba. Alors je me suis dit que peut-être, quand je serai vieille et atteinte d’Alzheimer, je ne me souviendrai de rien d’autre que de cette terrible guerre en 2008, quand j’avais 12 ans ».

Nous avons ici tout ce qu’il faut pour faire une remarque factuelle sur la Nakba en cours. Non pas une remarque conflictuelle, argumentative ou narrative, mais un simple fait : la Nakba, un désastre de dépossession et d’expulsion, n’a pas cessé un seul instant depuis que nous avons transformé le peuple palestinien en une nation de réfugiés. Et les Palestiniens - comme c’est irritant - refusent de s’adapter ou de se rendre à cette réalité. C’est le point de départ nécessaire pour comprendre les facettes politiques, militaires et sociales de la situation israélo-palestinienne.

 

Des garçons palestiniens dans une maison détruite par les frappes des FDI à Gaza, mercredi. Photo : MOHAMMED SALEM/Reuters

Mais les oncles de ma jeune interlocutrice sont préoccupés par un problème plus prosaïque. Leur mère a un rendez-vous pour une dialyse, mais ils ont peur de la conduire à l’hôpital. Que se passe-t-il si les FDI reçoivent l’image d’une voiture depuis l’un de leurs drones en vol stationnaire au-dessus de Gaza et que le commandant en charge décide que toute personne conduisant à cette heure-ci doit être un lanceur de roquettes et qu’un missile doit donc être tiré sur elle ?

Un militant du Hamas qui n’était  pas membre de l’aile militaire de l’organisation m’a dit un jour avec fierté : « Pendant la première Intifada, nous avons jeté des pierres - mais maintenant, nous avons des roquettes ». Pour notre part, nous, Israéliens, avions le mortier artisanal Davidka, et aujourd’hui nous avons le genre de bombes et d’avions militaires que la censure militaire nous interdirait de nommer. Chaque camp se vante du développement et de l’efficacité de ses armes, mais les organisations palestiniennes vivent dans un déni constant alors que l’écart entre leur arsenal et celui d’Israël ne cesse de se creuser.

« Je m’apprêtais à dormir. Soudain, j’ai ressenti des ondes de choc. Comme un tremblement de terre. Ce n’est qu’ensuite que le son a suivi », raconte la petite-fille, que je connais depuis qu’elle est enfant, à propos des bombardements de mardi matin. « J’ai pensé que, comme toujours, les Juifs bombardaient des zones ouvertes, des bases vides du Djihad ou du Hamas ». Elle a utilisé un terme blessant pour moi, qui est couramment utilisé par les Palestiniens, ne ressentant pas le besoin de remplacer “les Juifs” par “l’armée” par égard pour moi.

« Dans les cas précédents, nos organisations de résistance ont tiré sur Israël et savaient qu’aucun Israélien ne serait tué », a-t-elle poursuivi. « L’armée a bombardé et savait qu’aucun Palestinien ne serait tué », a-t-elle ajouté. « Chacun répondait à l’autre et nous pouvions revenir à la normale ».

 

Un homme marche parmi les ruines d’un bâtiment à Gaza, mercredi. Photo : IBRAHEEM ABU MUSTAFA/Reuters

C’est pourquoi le choc a été si grand cette fois-ci. « Quinze minutes seulement après le bombardement, nous avons commencé à entendre des informations faisant état de femmes et d’enfants tués. Mon amie et sa famille vivent dans le même immeuble que la famille du commandant du Jihad islamique, Tareq Izzeldeen. Ils se trouvaient dans l’appartement lorsque la maison a été bombardée, mais heureusement ils n’ont pas été blessés. Par contre, tout leur appartement est en ruine. Il est complètement détruit. Mon amie a quitté l’appartement et a vu des cadavres dans les escaliers ».

Ses propos rappellent l’inimaginable résilience des Palestiniens. « Nous sommes des héros malgré nous », m’ont dit mes amis de Gaza en 2008, 2012, 2014, 2021 et à de nombreuses occasions entre-temps, lors d’invasions militaires et d’attaques qui n’ont pas reçu le titre de “guerre”. Pourtant, à chaque guerre, cet “héroïsme à contrecœur” devient plus difficile.

Je discutais avec cette jeune amie mercredi en début d’après-midi, alors que les lance-roquettes du Djihad islamique étaient encore silencieux et que les alarmes de missiles n’avaient pas encore interrompu les émissions de la radio israélienne. « Tout le monde s’attend à ce que le Djihad réagisse », dit-elle. « La vue des enfants assassinés par Israël a choqué tout le monde ».

Je lui ai demandé, comme si elle était une experte du Djihad islamique ou une stratège militaire, pourquoi elle pensait qu’ils ne réagissaient pas. « Maintenir les Israéliens dans la peur est aussi une arme », a-t-elle expliqué. « Le problème, c’est que nous avons également peur. L’attente est parfois plus difficile que le moment même de l’attentat. Je pense aussi que le Jihad islamique doit réagir. Mais je ne souhaite pas une nouvelle guerre ».

 Des secouristes au travail à Gaza, mercredi. Photo : MOHAMMED SALEM/Reuters

C’est un témoignage de première main des contradictions internes dans le cœur de chacun. Je n’ai pas remarqué si elle a dit que le Hamas devait également réagir. En tant que parti au pouvoir, il a des considérations différentes de celles de la petite organisation militaire [le Djihad islamique, NdT]. Le Hamas n’aime pas la comparaison, mais il est passé par des étapes similaires à celles que son rival, le mouvement Fatah, a traversées au cours de la deuxième Intifada. Le Hamas ressent également la contradiction et la tension entre un mouvement de libération et un gouvernement au pouvoir avec des fonctionnaires et la responsabilité de payer les salaires et d’entretenir les écoles.

Une autre amie de la jeune femme à qui je parlais a survécu au cancer, après de nombreux traitements et un amour inébranlable pour la vie. Un rendez-vous a été fixé pour elle mercredi, dans un hôpital de Jérusalem. Il a été coordonné après de nombreux efforts et après que l’Autorité palestinienne a garanti la prise en charge des coûts du traitement. Mais les points d’entrée en Israël étaient fermés. « Combien d’autres patients qui devaient voyager pour recevoir un traitement vital n’ont pas pu le faire ? », s’est demandé mon amie.

La procureure générale d’Israël, Gali Baharav-Miara, qui a approuvé l’assassinat des hauts responsables du Jihad islamique et de leurs familles, a dû penser à des termes tels que “dommages collatéraux” et “proportionnalité” Mais ces dommages collatéraux et proportionnels sont les civils dont les vies ont été prises, et les nombreux autres cycles de douleur et de souffrance. Tous ceux qui ont été blessés et traumatisés à vie ; tous ceux qui auront besoin de traitements contre le stress et l’anxiété et contre le diabète qui pourrait se développer en raison de leur inquiétude et de leur peur ; tous ceux qui souffriront de dépression, d’apathie, d’une perte de jours d’école et même de mois sans éducation ; tous les traitements médicaux qui ont été reportés ou annulés. Et tout cela sans parler de l’immense dévastation matérielle.

L’écriture est un acte humain qui combine la logique et l’apprentissage, l’expérience et la créativité pour transmettre un message clair et éclairant. Mais il est difficile de faire appel à la créativité, encore et encore, pour décrire la destruction. Il est difficile de décrire la logique qui sous-tend chaque série d’obus, de bombardements, de tirs et de meurtres.

Que cette logique soit dictée par des considérations politiques et organisationnelles momentanées, des plans militaires à long terme ou des considérations nationales et patriotiques, lorsque la logique est si illogique, les mots manquent.

 

 

01/04/2023

AMIRA HASS
Les masses israéliennes protesteront-elles contre une injustice qu’elles ont causée ?

Amira Hass, Haaretz, 31/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le/la Cynique : Les Israéliens manifestent donc parce qu’ils craignent d’être arrêtés à l’étranger pour avoir commis des crimes de guerre et interrogé des Palestiniens sous la torture ?

Le/la Fan : C’est quoi ton problème ? Les agents du Shin Bet, les architectes qui ont conçu les colonies d’Ariel et de Ma’aleh Adumim, les avocats et les juges qui ont approuvé la coupure de la bande de Gaza du monde et la destruction des villages de Masafer  Yatta - ne sont qu’une minorité parmi les dizaines de milliers d’opposants à ce détestable coup d’État contre notre système de gouvernement.

Des manifestants contre la refonte du système judiciaire se rassemblent devant le Parlement israélien à Jérusalem, lundi. Photo : AHMAD GHARABLI - AFP

C : Mais ils sont du même milieu que les manifestants. Ils renoncent aux salauds de la Police des frontières et de La Familia, mais en même temps ils veulent assurer l’avenir de leurs enfants comme tortionnaires du Shin Bet, développeurs de logiciels espions, bombardeurs de Gaza, avocats qui approuvent les déportations et ainsi de suite, sans risquer d’être arrêtés lorsqu’ils débarqueront à La Haye ou à Madrid.

Des manifestants comparent Israël à une république bananière lors d’une manifestation à Jérusalem lundi. Photo : Emil Salman

F : C’est une image démagogique de la société israélienne. Tout d’abord, les juifs mizrahi manifestent également. Deuxièmement, la majorité d’entre eux sont des gens qui travaillent dur, des salariés comme toi et moi, sans pensions financées par l’État, avec des hypothèques et des dettes et de la colère face à la détérioration des systèmes d’éducation et de santé. Regarde comment ils ont réussi à saper l’arrogance capitaliste du Kohelet Forum.

26/02/2023

AMIRA HASS
Le raid israélien sur Naplouse prouve la volonté d'un plus grand nombre de jeunes Palestiniens de mourir dans une bataille sans merci

Amira Hass, Haaretz, 23/2/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'armée israélienne donne une image déformée de forces militaires égales, tandis que les Palestiniens pensent que les jeunes combattants envoient un message : la mort est préférable à la vie en prison ou à la reddition à l'occupant.

Un véhicule blindé israélien et des Palestiniens s'affrontant à Naplouse mercredi. Photo : Raneen Sawafta/Reuters

Naplouse est sous le choc, une fois de plus. Mercredi après-midi, cette ville du nord de la Cisjordanie a enterré 11 de ses fils, tandis que 100 autres ont été blessés, plus de la moitié d'entre eux par des tirs d'armes à feu, dont quatre seraient dans un état critique.

De longues enquêtes menées par des journalistes et des enquêteurs de terrain sont nécessaires pour obtenir une image complète du raid militaire israélien à Naplouse à la lumière du jour mercredi, avec les rues remplies de gens. Jusqu'à ce que ces enquêtes soient menées, si elles le sont, ce que nous retiendrons, ce sont les annonces immédiates de la police et de l'armée de « tirs massifs » de la part de Palestiniens armés et « d'échanges de tirs ».

Ce dont on se souviendra, ce sont les déclarations des autorités sur la façon dont « des commandants de haut rang de telle ou telle organisation ont été tués » et « on examine la possibilité que les Palestiniens morts aient été abattus par des terroristes » - comme cela a été affirmé après la mort de la journaliste Shereen Abu Akleh, et comme cela a été affirmé pour Majida Abid, qui a été tuée après que l'armée et la police des frontières ont effectué un raid dans le camp de réfugiés de Jénine à la fin du mois dernier.

La justification standard selon laquelle les morts avaient « planifié des attaques par balles » suffit à empêcher la plupart des Israéliens de s'interroger sur la nécessité de tels raids. Après tout, les Israéliens sont certains que les agences de renseignement comme le service de sécurité Shin Bet savent tout. Ce qu'ils ne savent pas, c'est quels jeunes Palestiniens désespérés, en colère et désorganisés préparent leur vengeance. Ils savent seulement qu'ils existent.

Véhicules blindés israéliens à Naplouse mercredi. Photo : Majdi Mohammed/AP

Comme d'habitude, le rapport officiel israélien omet de nombreux détails et crée une image déformée de forces militaires égales et de "combats", un "échange de tirs" presque symétrique. En réalité, de tels raids impliquent une énorme force militaire israélienne, et les soldats ne peuvent pas être vus car ils se cachent dans des positions de sniper, tandis que d'autres attendent à l'intérieur de leurs véhicules très bien protégés.

Les tireurs palestiniens, quant à eux, n'ont pas (et ne peuvent pas avoir) assez de temps, même pour s'entraîner au tir. Cette génération TikTok n'est pas douée pour opérer dans la clandestinité : il semble qu'elle ne soit pas très au fait des tactiques de guérilla. Par exemple, des habitants de Naplouse ont déclaré à Haaretz que le 25 octobre, les hommes de cette ville ont tiré plus de coups de feu en l'air pendant les funérailles des cinq personnes tuées que pendant le raid israélien sur la vieille ville plus tôt dans la journée.

Un homme qui a visité la prison de l'Autorité palestinienne à Jéricho - où les membres de la Tanière des Lions ont été emprisonnés dans le cadre de ce que l'on appelle la détention préventive (pour éviter d'être arrêté ou tué par Israël) - a déclaré à Haaretz que certains membres ne considèrent pas que le raisonnement qui sous-tend leur statut d'"hommes recherchés" soit pertinent. En d'autres termes, ils sont convaincus que les actes qu'Israël leur attribue leur auraient valu une peine mineure devant un tribunal militaire israélien.

Des hommes armés palestiniens lors d'un enterrement à Naplouse après les combats de mercredi.

Mercredi encore, les Palestiniens ont rapporté que l'armée avait empêché les ambulances et les équipes de secours d'atteindre les combats de Naplouse en tirant des coups de feu ou des gaz lacrymogènes, et que des soldats avaient tiré en direction des journalistes. De tels tirs de sommation sur les équipes de secours n'ont rien de nouveau. La nouveauté réside dans le fait que, lors du raid de l'armée sur le camp de réfugiés de Jénine le mois dernier, l'armée a informé à l'avance le Croissant-Rouge - via le comité palestinien de coordination de la sécurité - que les ambulances ne seraient pas autorisées à s'approcher trop près de la scène.

Nous ne savons toujours pas si une annonce similaire a été faite mercredi à Naplouse. L'affirmation de l'armée selon laquelle elle n'a demandé qu'à coordonner le mouvement des ambulances est similaire à la situation à Gaza pendant les guerres qui s'y déroulent. La coordination prend tellement de temps que les blessés peuvent mourir dans l'intervalle.

Est-ce là le sens des instructions verbales données aux Palestiniens et des tirs sur les ambulances sans avertissement ? Que l'armée considère chaque raid comme une situation de guerre ?

Selon les rapports palestiniens, l'armée a utilisé des drones mercredi. Les drones pour surveiller ou tirer des gaz lacrymogènes font désormais partie de la réalité en Cisjordanie, et pas seulement dans la bande de Gaza. Les Palestiniens savent que l'armée dispose également de drones qui tirent des balles, si bien qu'à chaque raid, les gens craignent non seulement les soldats invisibles qui tirent, mais aussi les éventuels tirs d'objets volants.

Les raids israéliens - par l'armée et la police - sur les villes, villages et camps de réfugiés palestiniens sont une routine. Selon le schéma habituel, des forces spéciales, principalement de la police, s'infiltrent sous une forme de couverture avant l'attaque proprement dite.

Mercredi, selon les rapports préliminaires, au moins deux camions ont été utilisés, déguisés pour ressembler à ceux d'une entreprise alimentaire palestinienne. Comme d'habitude, ils étaient remplis de policiers en civil qui sont arrivés dans la partie est de la vieille ville. Après eux, les très détestées jeeps blindées se sont déversées dans la ville, et elles ont bien sûr été la cible des pierres et autres objets que les jeunes ont fait pleuvoir sur elles.

Nous ne savons toujours pas si les forces spéciales se sont déployées en position de tir dans des bâtiments de la ville, et si oui, dans quels bâtiments et combien.

L'utilisation par l'armée et la police de véhicules ressemblant à des véhicules civils palestiniens n'est pas non plus une tactique nouvelle - et elle ne cesse de susciter la colère. Il est impossible de s'y habituer. Elle amène les gens à douter de l'identité des conducteurs de véhicules similaires et à s'interroger sur la manière dont les camions apparemment palestiniens sont parvenus aux forces de police. Les gens savent qu'à tout moment l'armée peut perturber leur routine quotidienne, un autre exemple de l'arrogance sans limite de la force d'occupation et de sa capacité à humilier et à semer le désordre.

Un soldat israélien en train de voiser à Hébron, en Cisjordanie, le mois dernier. Photo : Mussa Issa Qawasma/Reuters

Ce qui est différent cette fois-ci, c'est le moment choisi. Habituellement, les raids visant à procéder à l'arrestation - ou à l'assassinat planifié - de tireurs palestiniens ont lieu la nuit ou très tôt le matin. Il est vrai que le raid du 26 janvier dans le camp de réfugiés de Jénine a commencé vers 7 heures du matin. Le moment choisi a surpris les habitants, mais il était suffisamment tôt pour que les civils restent à l'intérieur et ne se mettent pas en danger pendant que l'armée encerclait une maison.

En revanche, à Naplouse, les habitants ont compris qu'une attaque militaire était en cours vers 9h30, et pas dans un endroit perdu, mais près du centre commercial bondé. Ces faits n'ont pas pu échapper aux commandants qui ont ordonné le timing. Sommes-nous maintenant les témoins d'un nouveau modèle : des dizaines de milliers de personnes provoquées en plein jour ?

Dans un communiqué, la Tanière des Lions a déclaré que six des onze morts étaient des membres du groupe ou du Jihad islamique. Le groupe a également exprimé ses condoléances aux familles des quatre civils tués, dont un homme de 72 ans et un autre de 61 ans, tandis qu'un homme de 66 ans est décédé plus tard des suites de ses blessures dues aux gaz lacrymogènes.

Les Palestiniens, qui ont annoncé une nouvelle journée de deuil, qualifient le raid israélien de massacre, comme ils ont décrit son prédécesseur à Jénine le mois dernier, lorsque 10 Palestiniens ont été tués.

Des Palestiniens à Jénine brûlent des pneus après l'entrée de l'armée israélienne dans la ville le mois dernier. Photo  : Majdi Mohammed/AP

La définition de "massacre" est exacte si elle implique que lorsque l'armée le veut, elle sait comment arrêter des gens sans les tuer, et sans tuer des civils non armés et secouer une ville entière. En même temps, cette définition occulte un fait important. De plus en plus de jeunes Palestiniens sont prêts à se faire tuer dans une bataille sans merci contre des soldats invisibles qui ont envahi leur ville. Ou bien ils refusent de quitter le bâtiment où ils sont assiégés, sachant pertinemment qu'il sera bombardé et s'effondrera sur eux.

Le public les considère comme de braves héros parce qu'ils renoncent à leur vie tout en envoyant un message collectif : les intrus militaires ne sont pas des invités, et la mort est préférable à la vie en prison dans l'acceptation de l'occupant et la reddition.

Y a-t-il un lien entre les raids sanglants de ces derniers mois à Jénine, Jéricho et Naplouse et le renversement du système judiciaire par le gouvernement Netanyahou ?

Y a-t-il un lien entre le raid sur Naplouse mercredi, en plein jour, et l'affaiblissement du shekel à cause du coup d'État du nouveau gouvernement qui est déterminé à avancer malgré tout ?

Est-il possible que la personne qui a donné l'ordre à l'armée et à la police mercredi ne sache pas qu'un grand nombre de morts palestiniens nous rapproche d'un nouveau bain de sang ?

Ce sont là aussi des questions dont les réponses ne se trouvent pas dans les communiqués de presse de l'armée.

13/12/2022

  AMIRA HASS
Des documents internes révèlent que les colons israéliens sont déterminés à chasser les “Arabes” de Cisjordanie

Amira Hass, Haaretz, 12/12/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Un document interne de l'Administration civile*, sous la forme d'une carte et d'une feuille de calcul Excel, montre l'étroite coopération entre l'État et les colons pour déposséder les Palestiniens.

Un bâtiment de l'administration civile en Cisjordanie. Photo : Amira Hass

 

Le vendredi 2 septembre, le shabbat a commencé à 18 h 36 au Conseil régional de Samarie. À 18 h 41, le coordinateur foncier du conseil a signalé à l'Administration civile israélienne qu'un engin de terrassement était en train d'améliorer la route d'accès au village palestinien de Qusra, au sud-est de Naplouse.

 

Le fait qu'il ait violé le jour saint du repos en faisant ce rapport ne semble pas l'inquiéter : lors de trois sabbats différents, en août et en octobre, il a également fait état de travaux effectués par des Palestiniens dans le nord de la Cisjordanie, dans l'espoir que les inspecteurs de l'Administration civile les arrêtent. Une fois, il a évoqué les préparatifs de la mise en place de lignes électriques entre les villages d'Aqraba et de Majdal, à l'est de Naplouse ; une autre fois, une route était en cours de construction vers le village d'Asira al-Shamaliya, au nord de Naplouse ; et le troisième incident concernait le défrichage du sol près du village de Qafin, à l'ouest de Jénine.

L'urgence de signaler, en dehors des heures de travail officielles, une réparation mineure effectuée sur un tronçon de route menant à un village palestinien, témoigne d'un dévouement qui va bien au-delà du rôle d'un employé d'un organisme public - surtout dans une administration locale où de nombreux résidents sont des sionistes religieux, voire des ultra-orthodoxes.

 

Ces rapports sont soumis au moyen d'un formulaire en ligne intitulé « Rapport sur les violations présumées des lois sur l'urbanisme et la construction », une plate-forme informatisée qui a remplacé le centre d'appel de la « salle des opérations C », un organe de l'Administration civile créé fin 2020.

 

Son objectif explicite : accélérer les opérations de contrôle et de démolition des constructions palestiniennes sur environ 61 % de la superficie de la Cisjordanie - c'est-à-dire dans les territoires connus sous le nom de zone C, dont les pouvoirs de planification et d'administration devaient rester temporairement entre les mains d'Israël, selon les accords d'Oslo. En 1999, les pouvoirs de planification, de construction et d'administration dans la majeure partie de ce territoire étaient censés être transférés à l'Autorité palestinienne, mais Israël n'a pas respecté les accords.

 

Lorsque le centre d'appel a été lancé, en janvier 2021, il a été décrit dans une publicité sur le site Internet de la colonie de Kokhav Ya'akov (qui est construite sur les terres de Kafr Aqab) comme une “ligne de mouchardage”.

 

L'annonce se lisait comme suit : « Avez-vous vu des travaux de construction effectués par des Palestiniens qui vous semblent suspects et non autorisés ? Avez-vous rencontré un problème sanitaire causé par des Palestiniens qui traitent la loi avec mépris ? A partir de maintenant, vous avez votre propre ligne de dénonciation - adressez-vous à elle à tout moment, de toutes les manières possibles et déposez une plainte ».

 

Contrairement au centre d'appels, en principe destiné à l'usage de tous, le formulaire en ligne est utilisé principalement par les “coordinateurs fonciers” ou “inspecteurs fonciers” travaillant pour les conseils régionaux israéliens en Cisjordanie.

 

Un document interne de l'Administration civile, que Haaretz a récemment obtenu sous la forme d'une carte et d'une feuille de calcul Excel intitulée “Operations Room C”, répertorie 1 168 signalements par le biais du formulaire en ligne au cours d'une période d'environ huit mois cette année, du 1er mars au 19 octobre.

 

Le document donne un autre aperçu de l'implication intense des colons dans les opérations de l'Administration civile et de l'armée israélienne, depuis les expulsions des Palestiniens de la majeure partie du territoire de la Cisjordanie et l'empêchement de leurs travaux de construction et d'infrastructure, jusqu'aux efforts méticuleux pour s'assurer qu'ils ne dépassent pas les limites des enclaves qu'Israël leur a attribuées.

 

La récente demande du parti de “Sionisme religieux” de contrôler les organes qui gèrent la vie des Palestiniens et leurs terres en Cisjordanie n'est pas sortie de nulle part : elle est la suite naturelle de la pression exercée depuis des années sur le terrain, à la Knesset, dans les médias et dans les tribunaux, par le lobby de la colonisation qui, depuis une trentaine d'années, présente une image fausse selon laquelle le territoire désigné comme zone C appartient uniquement à Israël et aux Juifs.

 

Dans une colonne séparée de la feuille de calcul que Haaretz a obtenue, on trouve les commentaires des personnes qui ont réalisé les rapports, qui reflètent à quel point la construction et les autres travaux entrepris par les Palestiniens en Cisjordanie sont devenus criminels selon les critères établis par l'Administration civile et les colons.

 

Par exemple : « défricher et déblayer la terre dans un endroit rocheux qui n'a pas été cultivé au cours des 20 dernières années «  ; « préparer un terrain pour la construction près de la route » ; « rouleau compresseur, tracteurs et camion en train de paver une route au nord du village de Kafr Laqif «  ; « préparation apparente d'un fossé dans lequel poser un tuyau » ; « construction massive et préparation de parcelles de terre » ; « travail dans la carrière illégale où une confiscation a été effectuée il y a quelques mois » ; « des Arabes construisent actuellement une structure près d'Al-Tuwani » ; « construction manuelle d'un campement et installation d'une citerne d'eau » ; « creusement d'un puits » ; « pelleteuse travaillant pour le deuxième jour consécutif au sud du village de Beitillu » ; « Arabes travaillant à l'intérieur de la Ligne bleue [zone qu'Israël prévoit de déclarer terre d'État] » ; « Des Arabes plantent des arbres » ; « Des Arabes placent une maison préfabriquée près de Kiryat Arba «  ; «  véhicules - Arabes faisant des travaux de terrassement » ; «  pelleteuse à Beitillu travaillant pour le troisième jour consécutif  ; et « [une pelleteuse] transforme un chemin en route ».

 

L'heure (y compris les minutes et les secondes) à laquelle chaque rapport a été rédigé apparaît dans le document, ainsi que l'heure à laquelle il a commencé à être abordé par les autorités, le nom de la personne qui l'a signalé, son numéro de téléphone et les outils et machines qu'elle a observés.

18/11/2022

AMIRA HASS
Mahmoud Abbas s'oppose à la réhabilitation de l'OLP et fait ainsi le jeu d'Israël

Amira Hass, Haaretz, 10/11/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Mahmoud Abbas a créé un nouveau conseil pour renforcer son emprise sur le système judiciaire, et poursuit sa règne successoral oppressif tout en restant fidèle aux accords d'Oslo

Deux mesures distinctes et apparemment sans rapport prises récemment par l'[In]Autorité palestinienne et son chef, Mahmoud Abbas, sont révélatrices de la nature de plus en plus autoritaire et autocratique du régime dans les enclaves palestiniennes de Cisjordanie. L'une des mesures concerne le système judiciaire palestinien et l'autre l'Organisation de libération de la Palestine, et toutes deux montrent à quel point l'[I)AP reste fidèle au rôle qui lui a été essentiellement assigné par les accords d'Oslo : maintenir un statu quo fluide et dynamique au détriment des Palestiniens tout en servant les intérêts sécuritaires israéliens. 

La première mesure a été le décret présidentiel signé par Abbas et publié le vendredi 28 octobre, annonçant la création d'un « Conseil suprême des organes et agences judiciaires ». Ce conseil, dont l'objectif déclaré est de discuter des projets de loi relatifs au système judiciaire, de résoudre les problèmes administratifs connexes et de superviser le système judiciaire, sera dirigé par nul autre que le président de l'[I]AP, M. Abbas, qui est également président de l'OLP et du Fatah.

Les autres membres sont les présidents et les chefs de la Cour constitutionnelle, de la Cour suprême, de la Cour de cassation, de la haute cour pour les questions administratives, des tribunaux des forces de sécurité et du tribunal de la charia. Le ministre de la Justice, le procureur général et le conseiller juridique du président feront également partie du conseil. Il est prévu qu'il se réunisse une fois par mois.

Des juristes palestiniens et des organisations de défense des droits humains ont annoncé leur opposition véhémente à ce nouveau conseil suprême, affirmant qu'il contredit le principe de séparation des pouvoirs - législatif, judiciaire et exécutif - et viole plusieurs sections de la loi fondamentale palestinienne ainsi que les conventions internationales dont l'[I]AP est signataire. Dans des interviews accordées aux médias, ces experts et organisations affirment qu'il s'agit de la dernière d'une série de décisions qui ont déplacé l'autorité législative vers le pouvoir exécutif et son chef, tout en portant atteinte à l'indépendance du système judiciaire et en le subordonnant à Abbas et à ses acolytes.

Peu après la victoire du Hamas aux élections palestiniennes de 2006, Abbas et le Fatah ont empêché le Conseil législatif palestinien de se réunir régulièrement et de faire son travail. Dans un premier temps, ils ont imputé cette situation aux arrestations par Israël de nombreux membres élus du Hamas, ainsi qu'à l'absence du quorum nécessaire à l'adoption de lois. Après la brève guerre civile qui a éclaté à Gaza en juin 2007 entre le Hamas et le Fatah, et avec la division de l'autonomie palestinienne entre les deux régions et les deux organisations, le parlement palestinien a officiellement cessé de fonctionner.

Néanmoins, les représentants du Hamas à Gaza ont continué et continuent à se réunir en tant que conseil législatif et à adopter des lois qui ne s'appliquent qu'à Gaza.

En Cisjordanie, en revanche, la “législation” se fait par le biais de décrets présidentiels. Au cours des 15 dernières années, Abbas a signé environ 350 décrets présidentiels - bien plus que les 80 textes de loi qui ont été débattus et adoptés par le premier conseil législatif au cours de sa décennie d'existence, de 1996 à 2006.

Abbas s'appuie sur une interprétation très large de l'article 43 de la loi fondamentale palestinienne modifiée de 2003, qui donne à un décret présidentiel le pouvoir de loi uniquement « en cas de nécessité qui ne peut être différée et lorsque le Conseil législatif n'est pas en session ».

Jusqu'en 2018, certains parlementaires de Cisjordanie ont continué à se réunir officieusement et ont tenté de participer aux discussions sur les “projets de loi” débattus par le gouvernement, et de représenter le public auprès des autorités. Mais cette année-là, sur instruction d'Abbas, la Cour constitutionnelle a jugé que le Conseil législatif devait être dissous, alors que la Loi fondamentale stipule que son mandat ne prend fin que lorsqu'une nouvelle élection est organisée. Selon la Loi fondamentale, en cas de décès du président de l'[I]AP, il doit être remplacé par le président du parlement. Ce poste était occupé par le représentant du Hamas, Aziz Dweik, d'Hébron. L'opinion générale était qu'en dissolvant le parlement, Abbas et ses alliés cherchaient à contrecarrer de manière préventive un tel scénario. Bien que la Cour constitutionnelle ait ordonné à l'époque la tenue d'une nouvelle élection dans les six mois, Abbas et les siens ont réussi à la repousser encore et encore.

07/09/2022

AMIRA HASS
Shireen Abu Akleh : quatre raisons pour lesquelles Israël peut s'en tirer avec ce meurtre aussi

Amira Hass, Haaretz, 6/9/2022
Traduit par Fausto Giudice

 En règle générale, les Israéliens ne croient pas les Palestiniens et sont convaincus que l'armée a toujours raison, mais dans le cas de Shireen Abu Akleh, la victime n'est pas anonyme. Cela n'a quand même pas empêché Tsahal de mener une opération de camouflage

Peinture murale sur Shireen Abu Akleh après sa mort, à Gaza, en mai. Photo : Adel Hana/AP

L'armée israélienne veut nous faire croire qu'il y a une “forte probabilité” qu'un de ses soldats de l'unité d'élite Duvdevan se soit trompé et ait pensé que la journaliste Shireen Abu Akleh était une Palestinienne armée (à cause du casque sur la tête et du gilet pare-balles qu'elle portait). C'est pourquoi il lui a tiré dessus à travers une lunette de visée, qui grossit par une puissance de quatre, depuis l'intérieur de la jeep blindée où il était assis. D'un point de vue civil, et non militaire, deux conclusions découlent de la nouvelle dissimulation de Tsahal, connue sous le nom d’« enquête ». La première est que si un soldat confond les journalistes et les hommes armés, et si ses commandants lui permettent de continuer à tirer dans cette confusion vers les journalistes au moins 10 balles, alors Tsahal est vraiment dans un sale état. La deuxième conclusion est qu'une telle confusion n'est possible que parce que Tsahal, ses commandants et ses soldats, ont un mépris profond et croissant pour la vie des civils palestiniens.

Les soldats sont programmés pour être “confus” et faire de telles erreurs professionnelles, parce qu'ils sont socialisés pour croire qu'ils sont la victime alors que le criminel est la population civile palestinienne qui est sous la domination étrangère israélienne.

L'annonce par l'unité du porte-parole des FDI des conclusions de la nouvelle enquête sur le meurtre de la journaliste, qui avait l'habitude de couvrir les invasions et les raids militaires, ignore le fait qu'avant de tirer et de la tuer, le soldat ou un autre soldat a tiré sur le journaliste Ali al-Samoudi et l'a blessé à l'épaule.

La déclaration du porte-parole des FDI et les reportages des médias passent également sous silence le fait que quelques minutes avant le tir mortel, le groupe de journalistes - portant des casques et des gilets pare-balles - est passé devant les soldats qui se trouvaient à l'intérieur de leurs véhicules blindés.

« Nous avons marché de manière rectiligne, alors que devant nous, à une distance d'environ 200 mètres, se trouvaient quelques jeeps de l'armée. Nous voulions que les soldats nous voient et nous reconnaissent en tant que journalistes », a expliqué le journaliste vétéran al-Samoudi à l'ONG israélienne de défense des droits humains B'Tselem. Comme sa collègue Abu Akleh, al-Samoudi avait l'expérience de la couverture de tels événements et avait appris quels moyens de prudence étaient nécessaires pour rester en sécurité.

Deux autres journalistes qui se trouvaient sur les lieux à Jénine et ont livré leurs témoignages à B'Tselem - Shatha Hanaysha et Mujahid al-Sa'adi - ont également souligné que leurs actes visaient à assurer aux soldats dans les jeeps qu'ils étaient des journalistes. S'il y avait eu une bataille à cet endroit, ils ne seraient pas passés devant les jeeps avec autant de confiance.

Selon les FDI, le soldat a tiré une vingtaine de balles, dont 10 sur la “zone” où se tenait Abu Akleh. Selon B'Tselem, les soldats ont tiré environ 16 balles en direction des journalistes. L'un des six premiers tirs a blessé al-Samoudi. Il s'est précipité pour s'abriter derrière une voiture en stationnement. Trois autres journalistes, dont Abu Akleh, ont reculé de l'endroit où ils se trouvaient. Puis sept coups de feu ont été tirés dans leur direction, dont l'un a touché Abu Akleh à la tête, par derrière. Alors qu'un habitant palestinien tentait de l'évacuer, les soldats ont tiré vers lui trois autres coups de feu. Alors, est-ce ce seul soldat qui a tiré ou plusieurs ? Nous ne le savons pas.

Il y a cinq conditions nécessaires pour que le meurtre ou la blessure de civils palestiniens par des soldats des FDI se passe tranquillement et sans aucune complication médiatique. Dans le cas du meurtre d'Abu Akleh, seules quatre de ces cinq conditions étaient réunies.

La première condition est que le public israélien croie les histoires de cow-boys dont il est gavé, comme si les soldats des FDI en Cisjordanie étaient envoyés au combat, même symétrique, contre des forces ennemies de même puissance qui n'ont aucune raison ou justification de résister à l'invasion militaire de leur quartier.

La dernière couverture en date fait état de tirs nourris en direction des jeeps blindées des FDI dans lesquelles se trouvaient les soldats. Il est vrai que de nombreux jeunes Palestiniens, en particulier dans la région et le camp de réfugiés de Jénine, se sont procuré des armes et ont juré de ne pas laisser l'armée envahir leurs villages et leurs quartiers sans résistance, comme si les soldats étaient des chasseurs en safari.

Sur les reportages occasionnels à la télévision, les tireurs armés ont effectivement l'air effrayants : des visages masqués, d'énormes fusils à la main. Parfois, ils parviennent même à toucher un soldat. Mais être considéré comme un héros par les Palestiniens et être prêt à sacrifier sa vie contre un ennemi équipé d'armes sophistiquées et avancées ne remplace pas les exercices d'entraînement et le développement continu des tactiques de combat dans des conditions de guérilla. Et ces deux éléments font manifestement défaut.

Les sources militaires, qui ont rendu compte de l'“enquête” et ont été citées dans la presse, ont fait état de tirs massifs, indiscriminés et mettant en danger la vie des soldats pendant la bataille. Personne ne peut douter de la peur subjective des soldats, mais est-il possible de croire la description faite par l'“enquête” d'une bataille dans laquelle les soldats des FDI sont décrits comme des civils presque innocents qui se trouvaient là par hasard ?

Des clips vidéo filmés en temps réel, obtenus et diffusés par des médias internationaux - tels que CNN et le New York Times - montrent qu'il n'y a eu aucune bataille, ni pendant ni avant que le soldat désorienté ne tire sur les deux journalistes. Si des balles ont touché les jeeps, cela ne s'est pas produit à ce moment-là. Alors de quelle bataille nous parle-t-on ?

La deuxième condition requise pour que la mort d'un civil palestinien passe complètement sous le radar est l'incrédulité et le discrédit automatiques de l'opinion publique israélienne à l'égard de tout témoignage oculaire palestinien et de toute enquête indépendante - que ce soit par des médias étrangers ou par des organisations de défense des droits humains.

Même si, après la publication de ces enquêtes et d'autres enquêtes journalistiques indépendantes, les FDI peuvent toujours se cacher derrière des termes comme “par erreur” et “forte probabilité” - c'est précisément parce qu'elles se sentent protégées par le même discrédit israélien de toute constatation palestinienne.

La troisième condition est le mépris collectif et constant des Israéliens pour la liste croissante de civils palestiniens tués ou blessés par des soldats des FDI ou des agents de la police des frontières, qui laisse entrevoir un modèle de règles d'engagement très indulgentes. B'Tselem documente chaque cas, dont certains obtiennent l'attention des lecteurs du Haaretz, et c'est tout. Les chiffres croissants ne tirent pas la sonnette d'alarme - ni pour le public, ni pour la Knesset, ni pour le ministère public, ni pour les tribunaux. Alors pourquoi les FDI devraient-elles se transformer et modifier leurs protocoles ?

La quatrième condition est que le public israélien considère comme naturelle et normale la mission des forces de sécurité - l'armée, les services de renseignement, la police - en tant que gardiens et protecteurs de l'entreprise de colonisation. Parce que le projet de colonisation s'étend sans opposition internationale, de plus en plus d'Israéliens en profitent directement et indirectement - une apparente normalité que les Palestiniens - également des manifestants non armés - perturbent parfois.

Et comme presque tous les foyers israéliens ont un fils ou un fille soldat auquel ils s'identifient automatiquement, la capacité cognitive à mettre en doute cette fausse normalité est altérée et paralysée. Le soldat a toujours raison. C'est pourquoi les FDI ont toujours raison aussi. (Sauf, bien sûr, si les commandants maltraitent les soldats ou leur donnent de la nourriture immangeable. C'est seulement dans ce cas que les parents gueulent).

La cinquième condition est l'anonymat des victimes palestiniennes. Lorsqu'un Israélien est blessé dans une attaque palestinienne, il est immédiatement reconnu et cher au public israélien : avec une histoire de vie, et le contexte sociologique qui est compris sans beaucoup de mots.

Le tueur inconnu de #ShireenAbuAkleh !, par Emad Hajjaj

Lorsque les morts et les blessés sont des Palestiniens - même si leurs noms sont publiés - ils sont étrangers, aucun des quelques détails connus ne peut susciter des associations d'affection et d'identification chez les Israéliens. Dans le cas d'Abu Akleh, c'est exactement la condition qui n'a pas été remplie. Elle était à la fois une citoyenne usaméricaine et une icône médiatique pour des centaines de millions de téléspectateurs de la chaîne de télévision Al Jazeera. Elle est également devenue célèbre pour ceux qui ne la connaissaient pas auparavant.

Mais cela n'a pas suffi pour que les FDI s'abstiennent d'étouffer l'affaire. C'est précisément le fait que les FDI aient ignoré la documentation vidéo et les témoignages de témoins palestiniens, publiés par des médias internationaux respectés, qui soulève des questions sur la véritable raison de la dissimulation dans cette affaire.

S'agissait-il vraiment d'un soldat confus (ou deux) qui a fait une erreur, ou d'un doigt léger sur la gâchette dans le cadre d'une routine - une routine que Tsahal n'a pas l'intention de changer parce qu'elle est un moyen de “gouvernabilité” nécessaire pour faire avancer l'entreprise de colonisation ?