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11/03/2023

GIANFRANCO LACCONE
Durabilité, consommateurs et Made in Italy*

Gianfranco Laccone, ClimateAid.it, 9/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Relier des faits apparemment éloignés, comme l’image de la production italienne et le changement climatique, n’est pas difficile si l’on a l’habitude de regarder la réalité en perspective et d’essayer de comprendre où elle va finir par aboutir. 

J’aborde cette question parce que les institutions italiennes et européennes vont bientôt légiférer sur la manière, le lieu et les raisons de produire des biens manufacturés de manière durable, en les intégrant dans un système d’économie circulaire. Ce débat est en cours au sein de notre Parlement, avec une enquête sur le “Made in Italy”, et il est bien avancé au sein des institutions européennes, qui sont désormais sur le point de lancer (si la médiation de la présidence suédoise porte ses fruits) un règlement-cadre pour l’élaboration de spécifications d’éco-conception {éco-design) pour les produits durables (abrogeant ainsi la directive 2009/125/CE actuellement en vigueur.


 En gros, on discutera de ce qu’il faut faire pour soutenir les marques italiennes et l’UE interviendra pour réglementer l’éco-conception, un secteur de production fondamental pour ceux qui prétendent, comme les entreprises italiennes, être des diffuseurs de qualité et d’originalité.

Je tiens pour acquis que les productions et les produits manufacturés affectent le changement climatique, qu’ils soient originaux et le fruit de l’ingéniosité locale ou fabriqués à l’aide de méthodes et de matériaux introduits artificiellement dans une région. La question est de savoir ce qu’il faut faire pour réduire leur impact sans provoquer des effets secondaires de plus en plus désastreux : qu’il s’agisse d’impacts négatifs tels que la pollution par des matériaux et résidus toxiques ou la destruction de la stabilité sociale, ou même d’impacts écologiquement positifs mais sans réelle articulation sociale (par exemple des produits trop chers pour être diffusés en masse), on tentera de réglementer et de contrôler leur organisation et leur diffusion, dans le but d’atteindre les objectifs de l’Agenda 2030 - de facto étendu à 2050 - en améliorant la condition sociale dans l’UE et, pour notre part, en faisant du Made in Italy une marque communautaire. Si seulement !

Le Made in Italy joue un rôle clé dans notre économie, par exemple dans des secteurs tels que l’agroalimentaire, le textile, l’habillement et la chaussure qui couvrent une grande partie des produits manufacturés et représentent les exportations italiennes en expansion. Son image est un élément d’affirmation sur les marchés, car elle permet de vendre certaines productions très particulières (produits sélectionnés parmi les vins, les vêtements, les chaussures, par exemple) comme des productions d’élite, entraînant également le prix et l’image des autres productions italiennes vers des niveaux plus élevés, en particulier à l’exportation. Un effet sonore, obtenu lorsqu’un produit est formellement imité, évoquant ses caractéristiques, sans utiliser ses ingrédients et sans reproduire les processus de production et les propriétés considérées comme “authentiques”, qui existe dans le Made in Italy lui-même et ne doit pas être sous-estimé. Il doit être corrigé car il est à la base d’un “effet papillon”, négatif à bien des égards, et pour le combattre, il suffirait d’étudier, d’innover et de produire selon les règles qui, à moyen terme, seront les seules à être utilisées pour la vie sur la planète.

Ici commencent les notes douloureuses car la propension actuelle des entreprises italiennes à innover est limitée : elle ne concerne qu’un tiers d’entre elles, et nous pensons que pour ceux qui veulent être à l’avant-garde dans le monde, il serait nécessaire que 75% des entreprises aient une telle propension. Les entreprises italiennes souffrent d’un manque d’évolution numérique et de niveaux de sécurité et de pollution souvent inférieurs aux normes de l’UE (je pense, par exemple, au secteur de la production animale dans la vallée du Pô). En outre, dans le système de production italien, il existe une condition particulière, la diffusion des petites entreprises, qui est sa croix et son bonheur : elle représente sa limite pour faire face à l’augmentation des coûts et, d’autre part, sa grande opportunité pour devenir un exemple de production durable et d’économie circulaire. En effet, ce n’est qu’au niveau local que l’on peut trouver les fondements de la circularité avec un faible impact environnemental, et en Italie, avec ses conditions spécifiques très répandues de climat, de territoire, de distribution sociale et d’organisation de la communauté, les conditions sont réunies pour une grande expérimentation de méthodes innovantes, circulaires et durables dans une économie avancée complexe.

12/02/2023

GIANFRANCO LACCONE
Mais le changement climatique est aussi une question sanitaire

Gianfranco Laccone, ClimateAid.it, 9/2/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

La relation très étroite entre le changement climatique et la situation sanitaire préoccupe les institutions internationales depuis des décennies, produisant des rapports de plus en plus alarmants sur l’influence sur la santé des populations de la planète. Aujourd’hui, elles le font de manière plus consciente et articulée, renforcés par l’expérience amère de la période la plus dramatique de la pandémie. Le tremblement de terre catastrophique entre la Turquie et la Syrie (bien que non imputable au climat, mais apportant des changements collatéraux dans ce domaine également), montre que tout cela ne suffit pas pour changer les comportements afin de vivre, même en présence du changement climatique. Aujourd’hui, plus personne ne doute de l’évolution climatique, après avoir constaté la hausse des températures, les "événements" extrêmes dans les régions les plus riches de la planète (dont les gouvernements se croyaient, à tort, indemnes de ces phénomènes et présumaient de toute façon les contrôler) et la montée des océans qui érodera les côtes peuplées des continents.

Mais cette reconnaissance tardive et partielle a empêché une réaction adéquate et la situation actuelle condamne d’emblée les plus faibles de la planète : les femmes, les pauvres et les minorités.

Osama Hajjaj, Jordanie

Ce qui est en vigueur actuellement est ce qui a été produit par les règles économiques qui ont été établies depuis les années 1980 : on théorise qu’il faut laisser la solution des problèmes, y compris les problèmes environnementaux, à l’action des « forces du libre marché» sans intervention publique et, en fait, la philosophie de l’homo homini lupus [l’homme, un loup pour l’homme] est sanctionnée, de plus en plus soutenue par l’utilisation des armes, des groupes criminels et de la corruption qui dominent le commerce. La santé de l’espèce humaine n’échappe pas à cette fatalité, bien que l’assemblée des Nations unies, en lançant les 17 objectifs de développement durable, ait inclus la « santé et le bien-être » comme troisième point, après ceux de la lutte contre la pauvreté et la faim. Si l’espèce humaine fait cavalier seul en essayant de ne pas atteindre les objectifs prévus, alors qu’elle les a planifiés avec des cibles à atteindre et des indicateurs pour les évaluer, le changement climatique complique leur réalisation, en exacerbant bon nombre des problèmes évalués lors de la promulgation de l’Agenda 2030.  Le récent rapport sur la relation entre le climat et la santé publié par Lancet, le “Lancet Countdown on health and climate change”, souligne la fréquence croissante des vagues de chaleur et des phénomènes météorologiques extrêmes tels que les incendies, les inondations et les sécheresses, qui constituent la base de la propagation des maladies infectieuses. Si l’on ajoute à ces “bases” la diffusion du CO2 dans l’atmosphère, élément essentiel à la formation des macromolécules, donc des virus, qui sont une forme de ces agrégats, on obtient un tableau que l’on peut résumer schématiquement comme suit :

 

Réchauffement climatique et stress thermique, avec des conséquences directes (coups de chaleur) et indirectes (aggravation de pathologies préexistantes).

Pollution de l’air, incendies et troubles respiratoires, entraînant des maladies respiratoires et de l’asthme.

Augmentation de la propagation des maladies infectieuses à transmission vectorielle, c’est-à-dire la propagation d’infections telles que la dengue, le Zika, le chikungunya et le paludisme, avec l’élargissement de leur zone de présence et la prolongation des conditions de transmission.

Les inondations, la qualité de l’eau et le risque de contamination bactérienne augmentent, mais il y a aussi des effets indirects, car la malnutrition qui en résulte provoque des diarrhées et donc une réduction de la capacité de l’individu à se nourrir.

 

Il est clair que le changement climatique est aussi une question de santé, qui ne peut être abordée avec quelques médicaments, mais en développant des systèmes de prévention des vagues de chaleur et des événements extrêmes et en préparant les systèmes de santé à leur impact. Cela soulève des questions délicates et lourdes de conséquences, comme, par exemple, les co-bénéfices qui peuvent être obtenus avec une meilleure nutrition et une amélioration des transports, mais aussi avec une meilleure organisation du système de santé et une formation professionnelle adéquate des opérateurs. Et c’est là que les problèmes se posent, car pour parvenir à des soins de santé préventifs, aussi capables d’atténuer les effets du changement que de s’y adapter, il est nécessaire de renforcer la médecine d’urgence et de catastrophe. Il semble toutefois que dans la majorité des pays (y compris l’Italie), nous suivons obstinément la direction opposée, en fermant les hôpitaux de zone et les “salles d’urgence”  De la même manière, la direction opposée est également parcourue en ce qui concerne la formation professionnelle : il y a peu de médecins par rapport aux besoins, les universités réduisent le nombre d’inscriptions en médecine et se tournent vers une médecine capable de produire des profits, les pratiques médicales traditionnelles sont abandonnées et oubliées, alors que, surtout dans la phase de soins primaires, elles pourraient être utilement combinées avec les pratiques médicales, élargissant ainsi la cible et la zone d’intervention.

 

27/01/2023

GIANFRANCO LACCONE
Prix des carburants et changement climatique

Gianfranco Laccone, ClimateAid.it, 26/1/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Expliquer en quelques lignes la relation entre le changement climatique et le prix des produits pétroliers est une tâche presque impossible, mais utile si l’on veut comprendre la nécessité de lutter contre le changement climatique.

 

Et le point de départ de tout cela, c’est le pétrole, la substance produite à partir de végétaux détruits et enterrés dans les entrailles de la terre il y a quelques centaines de millions d’années, qui a permis la création du plastique en plus de son utilisation directe. Le plastique et le pétrole sont les deux éléments qui caractérisent la révolution industrielle du XXe siècle, non seulement en raison de leurs caractéristiques techno-industrielles et de leur utilisation généralisée, mais aussi en raison de leur histoire, qui ne pourrait représenter notre société de manière plus significative. Ce sont l’énergie et la matière qui ont permis le développement économique du siècle dernier, car le pétrole a permis de disposer rapidement d’une énorme quantité d’énergie à des coûts limités (inférieurs à ceux nécessaires à l’extraction du charbon), tandis que le plastique (dérivé du pétrole) a été le matériau utilisé pour la fabrication d’objets de toutes sortes à faible coût, caractérisés par leur polyvalence et leur légèreté, une combinaison qui a permis l’explosion de la consommation et la mentalité consumériste qui caractérise les sociétés du marché mondial actuel. Le moyen par lequel cette propagation a pu avoir lieu est l’argent organisé par le système financier.

 Steve Sack

 Le pétrole est une matière première (commodity, en jargon) qui s’échange actuellement sur le marché financier par le biais de contrats à terme, cotés sur deux marchés distincts (le NYMEX - New York Mercantile Exchange - à New York, et l’ICE Futures Europe - Intercontinental Exchange - situé à Londres). Il est clair que les aspects financiers caractérisent son marché de manière substantielle. C’est l’évolution qui s’est produite dans la seconde moitié du 20ème  siècle avec le passage, après le choc pétrolier de 1973, d’une structure de prix basée sur le prix du pétrole brut offert aux USA (zone à coûts élevés) par les grandes raffineries aux producteurs indépendants, elle est passée sous le contrôle de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole, qui regroupe les principaux pays producteurs du Moyen-Orient à l’exception d’Omān, d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine), qui a décidé de prendre en charge à la fois le volume de la production et le prix, afin de maintenir le premier au plus bas et le second au plus haut, augmentant ainsi la part du pays producteur. Cette décision, qui a provoqué des pénuries de produits en Italie et les premiers dimanches sans voiture, a eu d’autres conséquences plus importantes : attirées par les gains possibles, de grandes masses de capitaux se sont aventurées sur le marché au comptant (spot market), une forme de commerce à haut risque qui consistait à acheter et à vendre des lots de pétrole à l’endroit où se trouvaient les navires de transport, puis à diriger le navire vers tel ou tel acheteur ; c’était une sorte de “contrôle” du prix acceptable, comme lorsque vous jouez au poker et que vous allez “voir les cartes” et, comme dans ce cas, vous pouvez gagner ou perdre beaucoup. Cette importante course à la hausse s’est interrompue en 1985, lorsque l’Arabie saoudite a lié son pétrole brut à celui du gisement de Brent en mer du Nord et a provoqué l’effondrement du prix, et le commerce au comptant a servi de base au passage au marché à terme (futures), ce qui est le scénario actuel.

Les contrats à terme sont basés sur deux types de pétrole brut “léger”, le West Texas Intermediate (WTI) et le Brent, qui représentent un faible pourcentage de la production mondiale mais attirent les acheteurs et les vendeurs, dont la grande majorité sont des spéculateurs, qui négocient un prix convenu pour une livraison fixée après certains jours, mois ou années. Cette clause permet de renégocier les différents lots un très grand nombre de fois, ce qui entraîne un nombre énorme de transactions (en un jour de marché, on négocie théoriquement plus que la totalité de la production pétrolière d’une année) et représente une zone importante pour le capital-risque à la recherche d’un emploi rentable. Nous devons nous rappeler que ce jeu risqué se joue sur de nombreux produits et même de services, et nous ne devrions pas être surpris si les grandes sociétés d’investissement jouent sur différents tableaux.

Une baisse du rendement des obligations d’État ou des obligations produit un flux de capitaux hors de ces obligations et vers les contrats à terme sur le pétrole, produisant une augmentation de la demande (fictive, car elle n’implique pas une demande réelle du produit, mais augmente son prix), et vice versa. Maintenant que les taux ont augmenté, des changements sont susceptibles de se produire.

Par conséquent, le marché du pétrole brut est un marché spéculatif extrêmement sensible aux plus petites variations des attentes des traders individuels, qui répondent très souvent aux attentes non pas tant du marché pétrolier que du marché financier (un marché dans lequel les taux d’intérêt, l’inflation et les taux de change sont importants).

Là aussi, la situation qui s’est progressivement créée a entraîné des changements substantiels chez tous les acteurs : les compagnies pétrolières ne gèrent plus le marché du pétrole brut (elles seraient devenues des preneurs de prix [price takers], alors qu’auparavant elles étaient des faiseurs de prix [price makers]) et ne visent plus à intégrer la chaîne de production (exploration, extraction, transport, vente) ; l’OPEP contrôle le volume de la production, mais tout le monde se désintéresse désormais de problèmes tels que le transport et le raffinage (ceux qui affectent le plus directement nos vies) qui sont devenus des coûts courants - variables - et non des investissements (ainsi, une raffinerie comme Priolo, qui était à l’origine un investissement de l’État italien par le biais de l’ENI, devient un produit “commercial” à vendre à des tiers pour la gestion). Même l’exploration et l’extraction sont confiées à des tiers et les entreprises ne conservent que les fonctions de décision et les négociations avec les pays producteurs. Dans la pratique, chaque compagnie pétrolière contrôle la lecture électronique de toutes les lignes sismiques (système de lecture) dans son propre dépôt, ce qui augmente la capacité de découvrir de nouveaux gisements. Sur le marché pétrolier, les entreprises opèrent souvent par l’intermédiaire de négociants, vendeurs et acheteurs, qui ont une position d’indépendance et constituent un centre de profit autonome au sein de l’entreprise, pouvant vendre toute leur production, en choisissant l’option la plus rentable pour obtenir ce dont l’entreprise a besoin pour le raffinage et la distribution des produits.

Il est important de comprendre que les compagnies pétrolières participent au marché à terme comme tout autre opérateur et que la tendance des traders à se professionnaliser les a influencées au point qu’elles se comportent de la même manière que les grandes organisations financières et bancaires opérant sur ce marché.


Au terme de cette explication, on pourrait se demander : mais les problèmes de pollution pétrolière directe et indirecte, ceux des effets de la combustion du pétrole, avec le rejet de CO2 et d’autres substances dans l’atmosphère, sans parler des problèmes produits par les matières plastiques, où se sont-ils retrouvés dans cette grande mobilisation du capital ? Ils sont complètement ignorés ; au contraire, ils ont été transformés en une nouvelle forme de profit avec le marché des “droits de pollution”, connu sous le nom de marché ETS.

Il est peut-être même pléonastique d’essayer de comprendre à quel point cette intervention d’un peu plus d’un siècle a modifié les tendances climatiques de la planète. Après avoir constaté qu’elle a une incidence, même minime, nous devons agir pour limiter cette contribution qui, en ce qui nous concerne, détériore considérablement les perspectives de vie des prochaines générations.  Et nous devons le faire en commençant par ce qui est en notre plein pouvoir : le marché financier.

Rendre la vie de milliards de personnes dépendante du jeu financier (c’est-à-dire virtuel) de quelques (rares) sociétés est le fruit de l’histoire du XXe siècle, qui a vu dans les guerres et la diffusion de deux produits (les voitures et le plastique) les moyens de réaliser cette dépendance.

Face à une telle dimension, discuter de la question de savoir si les prix à la pompe dépendent de quelques “pollueurs” qui augmentent arbitrairement le prix de vente de quelques centimes, ou si la réduction des accises peut affecter la tendance du marché, c’est penser que l’on peut vider la mer avec un seau. 

La défense contre l’extrême volatilité structurelle des prix du pétrole brut ne peut se faire qu’en soustrayant les consommateurs à la nécessité de consommer du pétrole et en demandant à l’offre, aux compagnies pétrolières devenues aujourd’hui des sociétés financières, de commencer à investir dans des activités qui stabilisent les prix de l’énergie et rendent le coût de production plus bas, à la fois parce qu’il est possible sur les lieux de consommation et parce qu’il est exempt des coûts cachés que produit la pollution pétrolière.

Pour en venir à des faits plus proches de nous, la situation actuelle des prix des carburants (pour le gaz le discours est similaire) n’est pas une urgence, mais un élément structurel avec lequel il faut vivre et contre lequel il faut se défendre.

Seule parmi toutes les associations de consommateurs, l’ACU [Association Consommateurs Usagers], lors de sa rencontre avec le ministre délégué pour traiter cette patate chaude, a exprimé son mécontentement à l’égard des mesures prévues, en soulignant certains aspects :

Il n’existe actuellement aucune stratégie concernant le prix des carburants sur le marché, mais seulement des mesures d’endiguement et une augmentation des contrôles et des amendes. Nous sommes en faveur d’une plus grande transparence du marché et de la réduction ou de l’annulation de la TVA (une mesure qui rendrait la hausse des prix moins injuste pour les bas revenus et les revenus fixes, qui n’ont aucun moyen de récupérer la TVA) afin de stabiliser le prix à la pompe.  Mais ce n’est certainement pas cette intervention tampon, ou la menace de plus de contrôles et de sanctions, qui arrêtera la course aux prix. Il est nécessaire de s’attaquer à la hausse généralisée des prix, un fait central qui ne dépend pas uniquement de l’augmentation des prix des carburants.

En ce qui concerne l’approvisionnement en carburant au détail, aucune stratégie n’a été proposée pour coordonner les entreprises, du moins au niveau national, afin de faire baisser les prix. Mais il y a une absence manifeste de proposition au niveau de l’UE pour établir un marché commun de l’énergie dont le moment est venu, et, au niveau national, une proposition qui responsabiliserait et impliquerait l’ENI, une entreprise dans laquelle l’État a un poids prépondérant et qui a une position capable de guider le marché lui-même. Il serait significatif, sur un plan symbolique, de parler à ENI, surtout maintenant qu’elle lance une nouvelle image et un paquet d’actions à vendre, et de proposer un geste qui guiderait le marché.

Du côté de la demande, aucune stratégie n’a été proposée pour réduire la pression des consommateurs : à ceux qui, sans alternative, doivent utiliser leur voiture pour se déplacer quotidiennement, que proposez-vous ? Nous parlons de mesures visant à réduire rapidement le parc automobile polluant en circulation, à convertir les moteurs utilisés, à stimuler l’utilisation d’énergies de traction alternatives, à soutenir les transports publics.

La situation actuelle n’est pas une situation d’urgence, c’est une situation qui, selon nous, sera normale dans un avenir proche, une phase dans laquelle le changement climatique modifiera notre comportement et dans laquelle le Covid et les guerres en cours (pour mieux le dire avec le Pape François, la troisième guerre mondiale en cours) créeront les conditions pour la hausse des prix et la spéculation.

Enfin, nous pensons que la stratégie de confrontation utilisée, en créant des tables techniques séparées entre les distributeurs (stations-service), les syndicats et les consommateurs, est utile pour les mesures d’urgence, alors que nous considérons aujourd’hui qu’il est opportun de disposer d’une seule table permanente et stratégique qui aborde le problème de la hausse des prix et de l’inflation et qui implique les associations d’entreprises, les syndicats, les associations de consommateurs, les associations environnementales et le tiers secteur.

Ce qui s’est produit n’est pas une urgence qu’il faut surmonter, ce n’est pas le résultat d’une spéculation généralisée, mais une orientation du marché des carburants, la pointe de la tendance générale des prix qu’il faut changer radicalement pour donner un avenir à l’Italie et à l’Europe.

 

 

15/12/2021

GIANFRANCO LACCONE
Des étourneaux et des sangliers : à qui appartient la ville ?

Gianfranco Laccone, Comune-Info, 28/11/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

 

Les pages locales des quotidiens parlent de plus en plus des animaux « sauvages » dans les villes. Des ours, cerfs et élans qui, en Amérique du Nord, errent parmi les maisons et les poubelles, aux images récentes d'une famille de sangliers dans la banlieue nord de Rome, pendant les heures de classe, se promenant parmi les citoyens effrayés et d'autres personnes décidées à prendre les inévitables photos. Et puis il y a les étourneaux, dont la photo de leur vol attire de nombreux likes sur les réseaux dits sociaux, provoquant des commentaires contradictoires : admirables pour leur vol, insupportables pour leurs déjections. Qu'ont en commun ces animaux considérés comme sauvages et, surtout, qu'ont-ils en commun avec nous, les sapiens (comme nous appellent ironiquement les animaux de la série de films d'animation « Madagascar ») ?

 

À Rome, ils traversent (en bande) dans les bandes

 

Tout d'abord, nous parlons de deux espèces animales, le sanglier (classé Sus scrofa par Linné en 1758), un mammifère artiodactyle appartenant à la famille des suidés, et l'étourneau sansonnet (Sturnus vulgaris, Linné, 1758), un oiseau de la famille des sturnidés, qui appartiennent à deux mondes apparemment éloignés, mais qui sont unis par certaines capacités peu prises en compte par « l'homme occidental » : l'intelligence, l'adaptabilité et la capacité de migration, éléments communs avec le genre humain, ainsi que la capacité de choix et la curiosité. Les observations et les différentes études réalisées sur ces animaux nous amènent à considérer ces aspects comme fondamentaux. Bien qu'ils puissent sembler peu orthodoxes pour la plupart, ils parlent du fonctionnement de la psyché et de la mémoire, des mécanismes qui ont été jusqu'à présent peu étudiés, même dans l'espèce humaine.

 

La lecture des textes scientifiques est souvent corroborée par l'expérience directe et, pour ceux qui vivent à Rome, par les témoignages recueillis dans la ville (Rome est la première commune agricole d'Europe) : une ville qui a toujours vu des volées d'oiseaux circuler dans les parcs au cœur de la métropole, auxquelles s'ajoutent désormais des familles de sangliers, et un vol saisonnier d'étourneaux estimé, selon les vagues, entre un et quatre millions et demi d'individus par vague migratoire. De plus, pour ceux qui, comme moi, vivent dans un immeuble qui a la particularité originale d'avoir deux magnolias géants dans son petit jardin intérieur, il est possible d'observer le retour et le départ quotidien des étourneaux, hôtes d'un collège-dortoir.

Chez les animaux que nous appelons sauvages, il existe un truc imprévisible résultant de la volonté, de la recherche d'harmonie, qui s'exprime de manière différente mais significative. Les deux exemples du sanglier et de l'étourneau sont quelques-unes des nombreuses manifestations de cette imprévisibilité : tant dans le vol des étourneaux que dans le trot calme et curieux d'une famille de sangliers dans la circulation romaine.

Un vol d'étourneaux à Rome

08/10/2021

GIANFRANCO LACCONE
Le marché de l'immunité

Gianfranco Laccone, Comune-Info, 5/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala


Gianfranco Laccone est un agronome italien, membre de la présidence de l'ACU - Associazione Consumatori Utenti (Association Consommateurs Usagers) . @GianfrancoLacc1

 

Tout vaccin, comme tout médicament et tout produit en vente, est soumis aux règles du marché : règles nationales (car la vaccination - c'est-à-dire la chaîne de vaccination - est lancée selon les règles que chaque pays se fixe) et règles internationales. En effet, la disponibilité des vaccins dépend de l'offre des fabricants, de leurs politiques et des contrats qu'ils ont signés avec chaque pays, ainsi que du système de stockage et d'auto-approvisionnèrent que chaque pays a mis en place ; comme on peut le constater, ces conditions dépendent du marché international.

Ainsi, le vaccin et son utilisation sont le résultat de l'intersection entre les stratégies de protection de la santé mises en œuvre par chaque pays, et en leur sein par les individus, et les stratégies de marché qui, à leur tour, impliquent de multiples facteurs dépendant des producteurs, des détenteurs de brevets, de la chaîne d'approvisionnement et, finalement, des "consommateurs" du vaccin. Tous les acteurs de cette affaire semblent avoir des rôles clairement définis : l'offre est assurée par les multinationales, la demande est constituée par les citoyens, avec la médiation des États. Mais à y regarder de plus près, ces rôles sont moins bien définis qu'il n'y paraît : pour tenter de "choisir" le vaccin ou de faire des choix contre son utilisation, le rôle des citoyens, mais surtout celui des États, peut se situer non pas du côté de la demande, mais plutôt du côté de l'offre (comme dans le cas des USA ou de l'Inde) ou pencher vers un ou plusieurs producteurs (comme au Royaume-Uni), et le comportement de tous les acteurs peut changer.

 


Vaccinationalisme, par Rodrigo de Matos, Portugal

La question du comportement, qui est aujourd'hui centrée de manière presque obsessionnelle sur le vaccin dans les pays les plus riches, concerne en réalité surtout la masse des habitants de la planète (plusieurs milliards d'individus) qui se trouvent en dehors de cette zone, qui ne disposeront pas de vaccins, qui échappent au système de contrôle efficace des États (et je ne parle pas ici des citoyens de l'UE ou des grands pays industrialisés), qui continueront à vivre en utilisant des stratégies de survie alternatives en présence d'une épidémie dont les taux réels de propagation ne seront même pas connus dans ces cas.

Nous sommes encore loin d'appréhender cet aspect, mais la propagation de la pandémie a été et sera de nature à remettre en cause les structures du marché mondial, notamment telles qu'elles ont été construites au cours des trente dernières années. L'exemple de l'Inde est frappant : grand producteur de vaccins anti-Covid-19 (qu'elle exporte dans le monde entier), elle a subi une résurgence de la pandémie, avec un nombre de victimes particulièrement élevé. La stratégie de développement économique théorisée par l'OMC, qui veut que la clé de l'amélioration économique et sociale d'un pays soit l'augmentation des transactions commerciales (c'est-à-dire la suppression de tous les obstacles qui peuvent les ralentir), se heurte à la nécessité pour chaque pays de protéger avant tout sa population, en l'occurrence en limitant les transactions commerciales, même si elles sont très favorables d'un point de vue économique.

12/05/2021

Après la décroissance

Gianfranco Laccone, Comune-Info, 27/4/2021

Traduit par Vanessa De Pizzol

Gianfranco Laccone (Bari, 1953) est un agronome italien, expert en économie, en politiques agricoles et environnementales et en droits des consommateurs.

« Il n’y a rien de pire qu’une société de croissance sans croissance »
Serge Latouche

En ces mois de pandémie et de quarantaine, il m’est arrivé de relire de nombreux livres et articles : pour donner un sens à la situation que nous vivons et réunir des éléments en mesure de reconstruire les origines du désastre actuel qui, avec le temps qui passe, apparaissent de plus en plus corrélés à des comportements erronés vis-à-vis de nos semblables, des autres animaux, de la nature. Ainsi, des années plus tard, il arrive de mieux saisir la profondeur de certaines analyses en mesure d’éclairer l’obscurité du présent. Les mots repris en ouverture sont l’incipit d’un entretien donné il y a désormais huit ans par Serge Latouche, le théoricien de la décroissance, auquel faisaient suite des propos qui aujourd’hui prennent le sens d’une dénonciation lucide et presque prophétique : « Ce que nous sommes en train de vivre est la crise d’une société qui voudrait continuer à croître, mais qui n’y arrive pas, […] qui génère une austérité imposée, un chômage atteignant des niveaux incroyables, une crise très grave des finances publiques, et, avec elle, l’épuisement des ressources pour financer ce qui garantissait un minimum de qualité de vie dans une société capitaliste (santé, culture, éducation, etc.) » [1]

Ces propos semblent avoir été écrits hier, et non il y a dix ans. À l’époque, tandis qu’on chantait les louanges de la société 4.0 qui transformerait nos vies, certains pressentaient déjà le désastre que nous vivons aujourd’hui. L’entretien évoquait une transition semblable à celle que nous sommes en train de vivre, efficacement résumée dans le titre « Fin de course » : « …il me semble que le scénario d’une transformation lente et progressive est peu probable. Moi je n’y crois pas. La situation dans laquelle nous sommes est évidente depuis au moins cinquante ans : si nous datons les premiers pas de la critique écologique en 1962, avec la sortie du livre de Rachel Carlson Silent spring [2], tout était déjà suffisamment clair alors… Dans les faits, la force, la capacité de résistance du système est tellement forte que seul l’effondrement peut ouvrir la voie à une issue. Une fois arrivés là, quelle sera donc l’issue ? C’est toute la question. Ce sera « l’écosocialisme » ou bien « la barbarie ». À présent nous sommes plus ou moins arrivés à l’heure de vérité ».

Donc ce que nous vivons est un parcours que certain.e.s spécialistes avaient prévu, auquel nous aurions dû nous préparer depuis longtemps et sur lequel plusieurs courants de pensée réfléchissent encore aujourd’hui. En revanche, la plupart des gens l’abordent naïvement, comme ceux qui pensent pouvoir traverser le désert en emportant une simple bouteille d’eau.

Si nous avions perdu moins de temps à polémiquer sur l’idée de décroissance, souvent moquée parce que tournée vers la recherche d’une « décroissance heureuse », si nous avions accepté l’idée de devoir modifier substantiellement les bases de notre façon de vivre, nous serions moins démunis face à une situation qui semble être sans issue. Et cela depuis une année d’exhortations (« tout ira bien ! ») et l’utilisation inutilement surabondante de termes tels durabilité, résilience, économie circulaire, proposant l’idée d’une reprise générale succédant à la pandémie, sans failles ni défauts.

J’éviterai toute polémique ou tentative d’explication de la décroissance et je considérerai ce fait évident : le monde décroît, inexorablement et globalement, au-delà de toutes les bonnes intentions. Dans les vingt premières années de ce millénaire, nous avons assisté aux tentatives les plus variées pour relever l’économie de la planète, qui a continué à décroître uniquement virtuellement à travers les spéculations en bourse et les artifices financiers. La « bulle spéculative des produits dérivés » [3] née en 2008, continue encore de produire ses effets : chaque fois que l’on tente de retrouver un rythme de croissance égal à celui des « trente glorieuses » [4], ponctuellement un évènement se produit, considéré comme imprévu, qui renvoie tout au début, comme dans un « jeu de l’oie ».