Franco «Bifo» Berardi, Cronica della psicodeflazione, 1 et 2 21/12/2021
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
1
Défaitisme
de masse, désertion et sabotage : proposition d'une stratégie paradoxale de
résignation/démission (en attendant les Communautés Autonomes Opérationnelles
de Survie)
Le Long
Covid de l'esprit social
Dans les
dernières pages de son livre La Peste, Camus raconte le retour festif à
la vie de la ville d'Oran après l'extinction de l'épidémie. Aujourd'hui, à
l'automne 2021, rien ne laisse présager une célébration imminente à l'horizon.
Au contraire, il semble que les signes de malaise psychosocial s'accentuent, et
si, en l'absence de lieux de rencontre, quelqu'un ose organiser une rave party,
il risque d'être attaqué comme empoisonneur.
Au début du
fléau, le crétinisme publicitaire disait : nous en sortirons meilleurs. C’est
tout le contraire qui est vrai : nervosité généralisée, racisme rampant,
violence prédatrice des grandes entreprises, inégalités galopantes. L'avidité de
propriétaire du Big Pharma a empêché la production locale de vaccins et le
résultat est Omicron. Les vieux hommes blancs se sont injecté les troisièmes
doses qui auraient dû aller aux autres, mais le virus est plus malin et se
prépare à tuer quelques millions de plus, peut-être même moi.
Mais ce qui
m'intéresse, ce n'est pas la persistance du virus, mais une sorte de Long Covid
de l'esprit social.
On appelle Long
Covid la persistance prolongée de symptômes de divers types après l'infection
et la guérison. Une amie qui en souffrait m'a dit que son principal symptôme
était un épuisement constant, une perte d'énergie et même une confusion
mentale. En effet, l'épuisement et la confusion mentale semblent dominer la
scène contemporaine. Le chaos (économique, géopolitique et psychique) que le
virus a produit semble se poursuivre, voire s'intensifier, au-delà des effets
positifs de la vaccination de masse. Les manifestations de rue, la résistance
aux vaccins, la rébellion contre le Green Pass, quelles que soient leurs
motivations, alimentent un sentiment de panique.
Le virus a
agi comme un catalyseur de fantasmes opposés : les fantasmes paranoïaques du
complot et les fantasmes hypocondriaques de la peur qui envahissent et
paralysent la subjectivité.
Le discours
public est envahi par des alternatives paradoxales et des doubles contraintes.
L'injonction sanitaire provoque une réaction qui se manifeste d'abord par le
déni, puis par la phobie (attribution de pouvoirs maléfiques au vaccin,
obsessions conspirationnistes). La réaction des gouvernements et de la majorité
de l'opinion publique à l'encontre des hérétiques no vaxx revêt un
caractère autoritaire, paternaliste ou agressif : licenciement, charges
policières, stigmatisation publique, censure. Cela produit une victimisation de
masse et, à long terme, la prophétie paranoïaque (le vaccin est un complot
visant à imposer une forme totalitaire) finit par s’autoréaliser.
Si nous
pensons que la résistance au vaccin est déraisonnable (je ne l'affirme ni ne le
nie, je n'ai pas l'intention de m'occuper de questions qui ne relèvent pas de
ma compétence), nous devons l'interpréter comme le symptôme d'un trouble, et il
est absurde de criminaliser le porteur du symptôme, tout comme il est inutile
de lui faire des sermons sur la responsabilité. Le porteur du symptôme doit
être traité, mais c'est toute la société qui est envahie par les formes
psychotiques.
Qui soigne
qui ?
Tout en
imposant une obéissance totale aux ordres du complexe industrialo-sanitaire,
les gouvernements utilisent l'état d'urgence comme la condition parfaite pour
imposer furieusement des politiques de privatisation et de précarisation.
L'urgence ne doit donc jamais cesser, et les médias doivent poursuivre
éternellement la campagne de panique qui inonde le discours collectif depuis
près de deux ans. Chaque jour, nous sommes abreuvés d'heures d'images
télévisées répétitives qui ont pour seule fonction de terroriser : des
infirmières en blouse verte, des masques et des combinaisons de protection, des
ambulances en marche, et des ampoules, des flacons, des seringues, des
injections, des dizaines d'injections, des centaines d'injections.
L'effet de
cette offensive qui mobilise l'ensemble du système médiatique dans une campagne
de terreur est visible : le corps social est rétréci dans une crise
d'hypocondrie interminable, comme s'il avait peur de renoncer à la peur. Cette
paralysie de l'imagination et ce rétrécissement ne sont pas un effet du virus,
mais la conséquence de l'impuissance prolongée de la société, qui est incapable
d'arrêter l'appauvrissement, la dévastation de l'environnement physique et
mental : la rage impuissante est un état hautement pathogène.
Mais les
techniques thérapeutiques qui peuvent guérir une épidémie psychique générée par
l'impuissance, la colère et la solitude ne peuvent être que paradoxales.