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08/01/2024

GIDEON LEVY
Bonne chance à la Cour internationale de Justice, les Israéliens devraient espérer qu’elle décidera d’arrêter l’opération à Gaza

Gideon Levy, Haaretz, 7/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Israël n’est pas entré en guerre pour commettre un génocide - cela ne fait aucun doute - mais il le commet dans la pratique, même s’il n’en a pas l’intention [?]. Chaque jour qui passe dans cette guerre, avec ses centaines de morts, renforce les soupçons qui pèsent sur Israël.

Emad Hajjaj

Quiconque voit la poursuite inutile de la guerre et l’ampleur du massacre et de la destruction dans la bande de Gaza, quiconque veut mettre fin à la souffrance inhumaine de plus de deux millions d’êtres humains doit espérer, ne serait-ce qu’au fond de son cœur, que la Cour internationale de Justice de La Haye prononcera une mesure provisoire ordonnant la suspension des opérations militaires d’Israël dans la bande de Gaza.

Il n’est pas facile pour un Israélien de souhaiter une décision de justice contre son pays qui pourrait également conduire à des mesures punitives à son encontre, mais y a-t-il un autre moyen d’arrêter la guerre ?

Il n’est pas facile de savoir que son État est poursuivi par un État qui en sait long sur les régimes injustes et le mal, et dont le dirigeant fondateur était un modèle moral pour le monde entier. Il n’est pas facile d’être traduit devant le tribunal mondial par l’Afrique du Sud ; il n’est pas facile d’être accusé d’un génocide qui aurait été commis par un État fondé sur les cendres du plus vaste génocide de l’histoire.

Il n’est plus possible d’ignorer que des soupçons des pires crimes contre l’humanité et le droit international planent sur la tête d’Israël. On ne parle plus d’occupation, mais d’apartheid, de transfert involontaire de population, de nettoyage ethnique et de génocide. Qu’y a-t-il de plus grave que cela ? Il semble qu’aujourd’hui, aucun autre État ne puisse être accusé de toutes ces infractions.

Ces accusations ne peuvent être ni écartées d’un revers de main, ni mises sur le compte de l’antisémitisme. Même si certaines d’entre elles sont exagérées et même sans fondement [ ?], l’indifférence avec laquelle elles sont accueillies ici - et, comme toujours, retournées contre l’accusateur - pourrait être une bonne voie vers le déni et la répression, mais pas pour laver le nom d’Israël, et encore moins pour la réparation et la guérison du pays.

Plus de 20 000 morts en trois mois, dont des milliers d’enfants, et la destruction totale de quartiers entiers, ne peuvent que faire naître des soupçons de génocide. Les propos invraisemblables tenus par d’importantes personnalités israéliennes sur la nécessité de nettoyer la bande de Gaza de ses habitants, voire de les détruire, font peser le soupçon d’une volonté d’épuration ethnique. Israël mérite d’être jugé pour les deux.

Israël n’est pas entré en guerre pour commettre un génocide - cela ne fait aucun doute - mais il le commet dans la pratique, même s’il n’en a pas l’intention [ ?]. Chaque jour qui passe dans cette guerre, avec ses centaines de morts, renforce le soupçon. À La Haye, il faudra prouver l’intention, et il est possible qu’elle ne soit pas prouvée. Cela disculpera-t-il Israël ?

Les soupçons de projets de nettoyage ethnique, qui ne seront pas discutés à La Haye pour l’instant, sont plus fondés. Ici, l’intention est ouverte et déclarée. La ligne de défense d’Israël, selon laquelle ses ministres les plus importants ne représentent pas le gouvernement, est ridicule. Il est douteux que quelqu’un la prenne au sérieux.

Si le partisan du transfert Bezalel Smotrich ne représente pas le gouvernement, que fait-il en son sein ? Si Benjamin Netanyahou n’a pas licencié Itamar Ben-Gvir, en quoi le premier ministre est-il irréprochable ?

Mais c’est l’atmosphère générale en Israël qui devrait nous inquiéter encore plus que ce qui se passe à La Haye. L’air du temps indique qu’il est largement légitime de commettre des crimes de guerre. Le nettoyage ethnique de Gaza, puis de la Cisjordanie, fait déjà l’objet d’un débat. Le massacre des habitants de Gaza n’est même pas un thème dans le discours israélien.

Le problème de Gaza a été créé par Israël en 1948, lorsqu’il a expulsé des centaines de milliers de personnes vers ce territoire dans le cadre de ce qui était certainement un nettoyage ethnique complet du sud d’Israël : demandez à Yigal Allon. Israël n’en a jamais accepté la responsabilité.

Aujourd’hui, des membres du cabinet demandent que le travail soit terminé dans la bande de Gaza également. La manière écœurante dont la question du “jour d’après” est abordée - l’essentiel étant qu’Israël décide de quoi et qui se trouve à Gaza - montre seulement que l’esprit de 1948 n’est pas mort. C’est ce qu’Israël a fait à l’époque et c’est ce qu’il veut refaire.

La Cour internationale de justice décidera si cela suffit pour une condamnation pour génocide ou autres crimes de guerre. Du point de vue de la conscience, la réponse a déjà été donnée.

 

Le Palais de la Paix, siège de la Cour internationale de Justice (CIJ) à La Haye, 2013. Photo AP

 

06/01/2024

GIDEON LEVY
Quelqu’un dans l’armée israélienne a décidé de faire entrer cette zone tranquille de Cisjordanie dans le cercle de la violence
Un missile israélien a tué 6 jeunes dans le camp de réfugiés de Nur Shams

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 5/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Un missile des FDI tiré sur le centre d’un camp de réfugiés de Cisjordanie a tué six jeunes et en a blessé sept. L’armée a d’abord refusé aux ambulances l’accès au site, et la police des frontières a frappé les blessés à coups de pied et de poing. Quelques jours plus tard, les troupes ont de nouveau envahi le camp

L'endroit près duquel le missile a explosé la semaine dernière, dans le camp de réfugiés de Nur Shams. Il a été tiré par un drone directement sur un groupe de jeunes qui, dit-on, ne faisaient rien de mal.

Au cours des derniers mois, même avant le 7 octobre, le camp de réfugiés de Nur Shams*, situé à la périphérie orientale de Toulkarem, dans le centre de la Cisjordanie, a été dans le collimateur des Forces de défense israéliennes. Il ne se passe pas une nuit sans qu’une incursion d’une violence inouïe n’ait lieu ; les routes d’accès et les rues à l’intérieur du camp ont depuis longtemps été détruites par les bulldozers.

Depuis le début de la guerre, les FDI ont intensifié ses frappes et se sont mises à tuer depuis les airs au moyen de drones. C’est ainsi qu’a commencé, dans la nuit de mardi à mercredi de la semaine dernière, une horrible série d’assassinats aveugles et de mauvais traitements infligés aux blessés, qui a duré jusqu’au début de cette semaine. Il ne faut pas longtemps pour que l’inspiration du comportement des FDI dans la bande de Gaza passe en Cisjordanie : ce qui est permis à Khan Younès l’est aussi à Nur Shams.

Le quartier d’Al Mahajar (“la carrière”) se trouve sur le flanc nord du camp, de part et d’autre de l’autoroute menant à Toulkarem. Al Mahajar est considéré comme relativement calme : jusqu’à la semaine dernière, les FDI y effectuaient rarement des raids, pas même lors de leurs incursions nocturnes dans le quartier Al Manshiya du camp, de l’autre côté de la route principale. Mais quelqu’un dans l’armée a décidé de faire entrer cette zone tranquille dans le cercle de la violence et de la résistance - et quel meilleur moyen que de tirer un missile, tard dans la nuit, directement sur un groupe de jeunes qui, selon des témoins, se tenaient innocemment dans le quartier. Six d’entre eux ont été tués d’un seul coup et sept autres blessés, certains ayant ensuite subi des violences physiques.

Lundi dernier, les rues du camp se sont remplies d’enfants : il n’y a pas d’école ici le jour de l’an. Nur Shams ressemble à Gaza, avec ses ruelles étroites et ses ordures qui jonchent le sol. À côté de l’endroit où le missile est tombé, en face de l’épicerie locale, des techniciens de la compagnie de téléphone palestinienne s’affairent à réparer les poteaux et les lignes endommagés. Le cratère que le missile a creusé dans la route a déjà été comblé.

Le fils de la famille Shehadeh, Mohammed, 25 ans, qui marche à l’aide d’une béquille, nous attend dans la maison des réfugiés. Enseignant à l’école primaire, il a été blessé au bassin par des éclats d’obus. Il a rapidement été rejoint par son cousin et meilleur ami, Awas Shehadeh, 23 ans, gardien de but de l’équipe nationale de football de Palestine et titulaire d’une maîtrise en éducation physique du Kadoorie College de Toulkarem. Awas est également le gardien de but de l’équipe de football Al Quds, basée à Al Ram, juste à côté de Jérusalem. Le 9 octobre, l’équipe devait s’envoler pour le Tadjikistan. Aujourd’hui, sa tête est bandée et lui aussi peut à peine marcher. Des fragments du missile l’ont frappé à la tête.

Awas et Mohammed Shehadeh cette semaine. L’un des soldats a demandé à Mohammed où il avait été blessé et, lorsqu’il a indiqué l’endroit où il saignait au niveau du bassin, il a commencé à lui donner des coups de pied à cet endroit.

 Les deux hommes ont raconté avec force détails ce qui leur est arrivé cette nuit-là, ainsi que la nuit de samedi dernier. Leurs pères - des frères qui travaillent tous deux depuis des dizaines d’années en Israël et qui ont demandé à ce que leur nom ne soit pas mentionné - écoutent.

L’invasion du camp a commencé vers 23 heures le 26 décembre, dans le quartier d’Al Manshiya. Les bruits des tirs et des explosions étaient très bien entendus ici et atteignaient également le village distant d’Atil, où vit Abdulkarim Sadi, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem. Il nous a courageusement accompagnés jusqu’au centre du camp de réfugiés - il n’est pas facile d’escorter des Israéliens dans ce camp en temps de guerre.

Revenons à cette nuit-là : Environ 13 jeunes du quartier sont descendus dans la rue et se tenaient à côté de l’épicerie. Le quartier est construit sur la pente d’une colline, d’où l’on peut observer la partie sud du camp, qui était alors pris d’assaut par l’armée.

Vers minuit, alors qu’ils étaient là à regarder les événements se dérouler, un missile tiré par un drone au-dessus de leur tête s’est abattu sur le groupe dans un grondement de tonnerre. « Ça a été un moment terrible », se souvient Mohammed. « Une scène de terreur difficile à décrire ». Il a ressenti un coup violent au niveau de la hanche et s’est écroulé sur le sol. Awas a été projeté dans les airs et a atterri sur la route, avant de découvrir qu’il saignait de la tête et du cou à cause des fragments qui l’avaient frappé.

Autour d’eux, il y avait des morts et des mourants. Deux membres du groupe sont morts sur le coup, un autre a perdu ses deux jambes, le visage d’un autre a été déchiqueté, trois autres sont dans un état très grave. Les cris des blessés, qui se mêlaient à ceux des gens qui s’étaient précipités dans la rue, étaient insupportables, raconte Mohammed. La plupart des morts et des blessés étaient plus jeunes que lui et Awas.

Mohammed a entendu un bruit dans sa tête qui n’a pas cessé de l’accompagner pendant un certain temps. Il a senti qu’il perdait connaissance. Lui et Awas disent avoir eu peur que le premier missile soit suivi d’un second, comme cela s’était produit deux semaines plus tôt à côté du camp, lorsque, alors que les habitants évacuaient les morts et les blessés, un autre missile a explosé au milieu d’eux. Adham Shehadeh, 33 ans, leur ami, qui s’est joint à notre conversation, était allé aux toilettes une minute avant l’explosion du missile et a donc été épargné. « J’ai été sauvé par un miracle", dit-il dans son hébreu d’ouvrier.

Des techniciens réparent les lignes téléphoniques endommagées par le missile, cette semaine. « ça a été un moment terrible », se souvient Mohammed. « Une scène de terreur difficile à décrire. »

Deux ambulances ont été dépêchées sur place, l’une du Croissant-Rouge, l’autre d’Al Shifa, une clinique privée. En attendant leur arrivée, les blessés ont été aidés par des jeunes du camp, dont beaucoup ont suivi des cours de premiers secours, qui sont désormais très demandés ici. La première ambulance est arrivée au bout d’une demi-heure, après avoir été bloquée sur l’autoroute, et a accueilli les trois jeunes les plus gravement blessés avant de repartir. La seconde ambulance n’a pas eu d’autre choix que d’entasser trois blessés dans son espace étroit : Awas, Mohammed et un autre jeune, Mahmoud Rashad, 19 ans, dont la jambe saignait. Ils ont ensuite été confrontés à un autre problème.

Au bout de la route qui descend du quartier, un important dispositif de la police des frontières les attendait. Tirant en l’air, ils ont ordonné à l’ambulancier de s’arrêter, de couper le moteur et de ne regarder que vers l’avant, selon le témoignage qu’il a donné à Sadi. L’ambulancier a déclaré que son arrivée dans le camp avait été organisée par l’intermédiaire de la Direction de la coordination et de la liaison. La police des frontières a ouvert les portes latérales et arrière de l’ambulance. Ils ont attrapé Mohammed, qui était assis sur le siège à côté de la porte latérale, et l’ont jeté sur la route. Mohammed a entendu l’un des hommes dire à un autre : « Tire-lui une balle dans la tête », et la terreur l’a envahi. La terreur l’envahit : « Pourquoi ? Je n’ai rien fait ! », a-t-il crié, impuissant.

Les soldats ont menotté Mohammed dans le dos, lui ont fait écarter les jambes pour le fouiller, lui ont bandé les yeux et lui ont demandé de s’agenouiller sur le sol, la tête baissée. L’un des soldats lui a demandé où il avait été blessé et, lorsqu’il a indiqué le point de saignement dans son bassin, a commencé à lui donner des coups de pied à cet endroit. Chaque coup de pied était accompagné de jurons. Selon Mohammed, ce fut le début d’une série de coups de poing et de pied de la part de nombreux agents de la police des frontières, qui se sont relayés pour le frapper alors qu’il était agenouillé sur le sol. La plupart des soldats étaient masquées. Quelques-uns l’ont frappé à la tête avec la crosse de leur fusil. L’un d’eux lui a donné un coup de pied dans les testicules. Un autre lui a demandé « Tu veux ta jambe ? » en pointant son fusil sur la jambe de Mohammed.

Entre-temps, ils ont également vérifié et découvert qu’il avait un casier judiciaire vierge. Les deux autres Palestiniens blessés attendaient dans l’ambulance, étourdis et perdant du sang. Lorsque Mohammed a dit à un officier qui l’a interrogé sur place, par téléphone, qu’il avait été battu, les soldats l’ont puni en le frappant à nouveau. « Personne n’est propre à Nur Shams, vous êtes tous des putes et de fils de pute », lui ont-ils dit, comme le disent leurs copains de Gaza.

Cette semaine, un porte-parole de la police israélienne a déclaré à Haaretz : « Au cours des opérations menées par les forces de sécurité pour prévenir le terrorisme, des terroristes ont lancé des engins [explosifs] dans leur direction et ont mis en danger la vie de nos forces. Les combattants ont agi pour préserver la sécurité, ont examiné les suspects et ont permis aux blessés d’être évacués en ambulance ».

Les ruelles de Nur Shams

Lorsqu’il cesse de se sentir dans les vapes, il découvre qu’il est dans l’ambulance et que sa tête a été bandée. « Tu resteras ici jusqu’à ce que tu crèves, tu n’iras pas à l’hôpital », a menacé l’un des soldats. Un autre a pris un selfie avec le blessé en guise de souvenir. Ils ont maudit les blessés palestiniens et se sont moqués d’eux. Ce n’est qu’au bout d’une heure environ que l’ambulance a été autorisée à partir et qu’elle s’est rendue à l’hôpital Thabet Thabet, une institution gouvernementale située à Toulkarem.

Samedi soir dernier, les FDI ont à nouveau pénétré dans le camp de réfugiés. Selon des témoins oculaires, il y avait environ 200 soldats. Entrant dans les maisons du quartier d’Al Mahajar, ils ont ordonné à tous les hommes de plus de 14 ans de se rassembler dans une seule maison, où ils ont tous été ligotés et ont eu les yeux bandés. Mohammed, qui était sorti de l’hôpital au bout de deux jours, faisait partie de ce groupe. Une quinzaine d’hommes et d’adolescents ont été entassés dans chacune des pièces, dans une grande promiscuité. Il a entendu les soldats : « Ce sont des connards du Hamas, peut-être qu’on va les prendre et les jeter dans le Jourdain ? » « Non, si on les jette dans le Jourdain, ils vont revenir. » « Peut-être qu’on devrait leur tirer à chacun une balle dans la tête ? » « Non, c’est dommage de gaspiller l’argent que coûte une balle, 10 agurot [quelques centimes] par balle. On les prend et on les jette à Gaza. » « Il n’y a plus de Gaza. On les emmène dans le Sinaï. » « Qu’ils aillent se faire voir à Khan Younès, on va raser toutes leurs maisons ici et on agrandira le pays pour nous ».

Ça a continué comme ça dans les chambres bondées de 2 h 30 à 10 h du matin, le dimanche. Quiconque demandait à se soulager se voyait répondre : « Qu’est-ce que tu crois, que tu es à l’école ? Pisse dans ton froc ».

Cette semaine, l’unité du porte-parole des FDI a fait la déclaration suivante à Haaretz : « Dans la nuit du 26 décembre, les forces des FDI, du Shin Bet et de la police des frontières ont entrepris une opération anti-terroriste dans le camp de réfugiés de Nur Shams, qui est sous l’autorité de la brigade territoriale Menashe. Au cours de l’action, les soldats ont identifié des terroristes qui leur ont lancé des engins [explosifs]. Un véhicule aérien de l’armée de l’air a attaqué le gang, et six des terroristes ont été éliminés.

« Dans la nuit du 31 décembre, les FDI ont de nouveau mené une opération dans le camp de réfugiés de Nur Shams, au cours de laquelle des dizaines de suspects ont été interrogés. Cinq d’entre eux ont été arrêtés et transférés pour être interrogés par les forces de sécurité. Certains des suspects ont été détenus pendant plusieurs heures en raison de la longueur de l’opération et de la nature de l’interrogatoire. Les forces ont permis à ceux qui le souhaitaient de satisfaire leurs besoins physiques. Tout au long de l’action, il y a eu des échanges de tirs, ce qui explique que les forces aient retenu certains des suspects pendant toute la durée de l’opération. Lorsque les forces ont quitté les lieux, les suspects ont été relâchés ».

Finalement, les soldats sont partis, laissant les dizaines d’hommes toujours ligotés et les yeux bandés. En sortant, les troupes ont éclaté quelques pare-brise de voitures. Nous les avons vus cette semaine, brisés.

NdT
*Le camp de Nur Shams (« Lumière du soleil »), à 3 km de Toulkarem, comptait 13 519 habitants dont 4 440 enfants en 2022. Il a été établi en 1952 par des habitants de Haïfa chassés par la Nakba, après que leur premier campement, près de Jénine, eut été détruit par une tempête de neige. Le camp est surpeuplé, avec une densité de 64 376 habitants au km2 (à comparer avec Toulkarem : 2 725, ou Haifa : 4 714)

04/01/2024

GIDEON LEVY
Aucun soldat israélien ne s’est levé pour refuser de participer à cette guerre infernale

Gideon Levy
, Haaretz, 3/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Personne ne s’est levé. Jusqu’à présent, pour autant que l’on sache, aucun cas de désobéissance n’a été enregistré au sein de Tsahal depuis le début de la guerre, à l’exception d’un jeune homme avant son recrutement.

Les pilotes bombardent comme jamais auparavant, les opérateurs de drones tuent à distance dans des quantités jamais atteintes auparavant, les artilleurs bombardent plus que jamais, les opérateurs de matériel lourd détruisent comme jamais auparavant, et même les gardiens de prison maltraitent les prisonniers comme jamais auparavant - et personne ne s’est levé.

Des Palestiniens se rassemblent pour recevoir leur part de nourriture offerte par des bénévoles, dans un contexte de pénurie alimentaire dans le sud de la bande de Gaza, le mois dernier. Photo : IBRAHEEM ABU MUSTAFA/ REUTERS

Parmi les centaines de milliers de réservistes et d’engagés - laissons de côté les soldats appelés en raison de leur âge, de leur statut et du lavage de cerveau dont ils font l’objet - il n’y a pas un seul soldat ou officier, pilote ou artilleur, parachutiste ou soldat de Golani qui ait dit : « C’est assez : Ça suffit. Je ne suis pas prêt à continuer à participer au massacre, je ne suis pas prêt à être associé à la souffrance inhumaine ». Aucun gardien de prison ne s’est non plus levé pour dire la vérité sur ce qui se passe entre les prisons de sécurité de Sde Teiman et de Megiddo, et poser les menottes sur la table.

A priori, les FDI devraient se réjouir d’une guerre totalement consensuelle, sans bruits de fond. Mais l’absence totale de désobéissance devrait susciter des réflexions inquiétantes ; elle témoigne d’une obéissance automatique plutôt que d’une bonne citoyenneté. Une guerre aussi brutale qui n’a pas encore suscité de doutes parmi les combattants témoigne d’un aveuglement moral. Les pilotes et les opérateurs de drones sont une chose, ils voient leurs victimes comme de petits points sur un écran. Mais les soldats et les officiers au sol à Gaza voient ce que nous avons fait. La plupart d’entre eux sont des réservistes, des parents d’enfants.

Des Palestiniens déplacés s’abritent dans un camp de tentes à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, vendredi. Photo : Shadi Tabatibi/REUTERS

Ils voient plus d’un million de personnes dépourvues de tout s’entasser à Rafah. Ils voient les corps dans les rues, les restes de vie dans les ruines, les poupées des enfants et leurs lits, les haillons en lambeaux et les meubles cassés. Tous les soldats pensent-ils que le Hamas est à blâmer, que tout Gaza est le Hamas, qu’ils méritent tout cela et que cela profitera à Israël ?

L’absence d’insubordination est encore plus évidente si l’on considère ce qui s’est passé ici l’année dernière, avant le 7 octobre. La désobéissance était devenue une arme plus légitime et plus courante que jamais ; des milliers de pilotes et de réservistes ont menacé de l’utiliser.

En juillet, le mouvement des Frères et Soeurs d’armes a annoncé qu’environ 10 000 réservistes de 40 unités ne se porteraient pas volontaires pour le service de réserve si le coup d’État judiciaire du régime était adopté. Ils ont rejoint les 180 pilotes et navigateurs qui avaient déjà déclaré en mars qu’ils ne se présenteraient pas aux exercices d’entraînement, ainsi que 300 médecins militaires et 650 soldats de réserve des opérations spéciales et de la cybernétique. Avec autant de personnes menaçant de désobéir, l’absence totale de désobéissance aujourd’hui est particulièrement tonitruante.


Les manifestants de Frères et Sœurs d’armes au carrefour Hemed en juillet 2023 Photo : Olivier Fitoussi

La conclusion est que de nombreux soldats de carrière et de réserve sont convaincus que le coup d’État du régime était une cause juste et appropriée d’insubordination, contrairement à l’effusion de sang et à la destruction de Gaza. L’armée saccage une région entière avec ses habitants, et cela ne dérange pas la conscience de nos forces. La clause de raisonnabilité a davantage dérangé certains d’entre eux. Où sont les 10 000 soldats qui avaient menacé de désobéir à cause de Benjamin Netanyahou et de Yariv Levin ? Où sont les 180 pilotes ?

Ils sont occupés à bombarder Gaza, à l’aplatir, à la détruire et à tuer ses habitants sans distinction, y compris ses milliers d’enfants. Comment se fait-il qu’en juillet 2002, le bombardement de la maison de Salah Shehadeh, qui avait tué 14 habitants, dont 11 enfants, ait conduit à la “lettre des pilotes”, dans laquelle 27 pilotes déclaraient qu’ils refuseraient de participer à des missions d’attaque - et qu’aujourd’hui, il n’y ait pas même une carte postale d’un seul pilote ? Qu’est-il arrivé à nos pilotes depuis 2003, et qu’est-il arrivé aux soldats ?

La ville de Khan Younès, dans le sud de Gaza, le mois dernier. Photo : Mohammed Salem/Reuters

La réponse semble claire. Israël affirme qu’après l’horreur du 7 octobre, il est autorisé à faire n’importe quoi, et que tout ce qu’il fait est digne, moral et légal. L’insubordination en temps de guerre est une mesure beaucoup plus radicale que l’insubordination à l’entraînement, et elle frise même la trahison. Elle peut nuire aux frères et sœurs au combat. Mais l’absence totale de désobéissance après quelque 90 jours de guerre infernale n’a rien de réjouissant. Ce n’est pas bon. Peut-être que dans quelques années, certains le regretteront. Peut-être que certains en auront honte.

 

30/12/2023

GIDEON LEVY
Un Palestinien désespéré de se rendre à son travail est abattu par des soldats israéliens


Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 29/12/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Depuis le début de la guerre, la famille Hajar n’a plus le droit d’accéder à son usine d’aluminium en Cisjordanie. Lorsque deux des fils ont tenté de se faufiler à travers la barrière de sécurité, les soldats ont abattu l’aîné.

Le frère de Selim, Seif (à droite), et son oncle, Raad.

 Barta’a est un village divisé - plus ou moins. Sa partie orientale, palestinienne, a longtemps été située en Cisjordanie, tandis que sa partie occidentale se trouvait en Israël. Toutefois, lorsque la barrière de sécurité a été érigée il y a une vingtaine d’années, tout le village a été laissé à l’ouest de celle-ci, comme s’il avait été annexé à Israël. Ainsi, aujourd’hui, les Palestiniens de Cisjordanie qui souhaitent visiter ne serait-ce que la partie orientale de Barta’a ont besoin d’un permis d’entrée spécial. En outre, les Palestiniens de Cisjordanie qui possèdent une entreprise à Barta’a mais n’y résident pas ont besoin d’un permis d’entrée pour accéder à leur propriété dans la partie palestinienne.

La vie sous l’occupation est remplie d’autres absurdités kafkaïennes, avec lesquelles les habitants ont appris à vivre, jusqu’à ce que la guerre à Gaza éclate et bouleverse la situation en Cisjordanie également. Les propriétaires d’entreprises et les travailleurs sont désormais empêchés de se rendre sur leur lieu de travail dans la ville palestinienne de Barta’a. Pourquoi ? À cause de la guerre. Ainsi, il ne suffit pas que 150 000 Palestiniens soient empêchés depuis plus de deux mois de se rendre à leur travail en Israël - certains ne peuvent même pas se rendre à leur travail dans les territoires palestiniens.

Que peut faire quelqu’un dans cette situation ? Essayer de se faufiler. Que font les Forces de défense israéliennes ? Elles vous abattent. Des Palestiniens désespérés qui tentent de se rendre à leur travail dans un village palestinien sont abattus. Le désespoir est omniprésent.

La famille Hajar vit dans une maison spacieuse à Shuweika, un village palestinien situé au nord de Toulkarem et devenu une banlieue de cette ville. Le père de famille, Nasser, 54 ans, a deux filles et deux fils. Il possède une usine d’aluminium à Barta’a, non loin de là. Lui et ses fils - Selim, un ingénieur automobile de 27 ans, et Seif, 19 ans, qui étudie l’ingénierie automobile à Kadoorie, un collège technique de Toulkarem - avaient l’habitude de se rendre tous les matins en voiture à leur usine, qui fabrique des produits tels que des cadres de fenêtres, des stores et des portes, pour des clients en Israël.

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Nasser et ses deux fils ont un permis d’entrée permanent en Israël, et leur entreprise reposait sur des bases solides. Le frère aîné de Nasser, Raad, possède un garage à Barta’a ; lui aussi travaille principalement avec des clients israéliens. Cette semaine, le téléphone de Raad n’a pas cessé de sonner ; toutes les conversations se déroulaient en hébreu et portaient sur l’achat et la vente de voitures, ainsi que sur des devis pour des travaux de réparation. Les membres de ce foyer travaillent en hébreu.

« Nous avons vécu parmi vous », nous a dit Nasser lundi dernier lorsque nous lui avons rendu visite chez lui en compagnie d’Abdulkarim Sadi, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem.

La route vers Shuweika passe par le camp de réfugiés de Nur Shams, que les FDI ont à nouveau attaqué la semaine dernière, ajoutant de nouvelles destructions aux anciennes. On a parfois l’impression que les soldats de Cisjordanie sont jaloux de leurs copains de la bande de Gaza - qui peuvent tuer et détruire à leur guise - et qu’ils essaient de prendre des mesures semblables à celles d’un temps de guerre ici aussi. La route principale menant à Toulkarem, en face de l’entrée de Nur Shams, a été sérieusement endommagée par les opérations de l’armée, si bien que la circulation se fait de manière léthargique, les conducteurs contournant les nids-de-poule. Lorsqu’il pleut, ceux-ci se remplissent d’eau et de boue et la route devient presque impraticable. Mais pourquoi l’armée israélienne s’en soucierait-elle ? Les colons n’empruntent pas cette route.

Jusqu’à ce que la guerre éclate, les Hajar allaient travailler à leur usine et en revenaient tous les soirs. Ils devaient laisser leur voiture au poste de contrôle de Reihan et continuer jusqu’à Barta’a dans un taxi collectif ; ils n’étaient pas autorisés à utiliser leur propre véhicule pour se rendre à leur usine. Ils ont suivi la même procédure le samedi 7 octobre. « Au début, nous ne savions pas qui était contre qui ici », raconte Nasser. Ils sont rentrés chez eux le soir même et ont fait profil bas pendant un certain temps. Le mardi, ils ont repris le chemin du travail en empruntant le point de passage de Reihan à 7 h. À 7 h 15, celui-ci a été fermé - pour une durée indéterminée. Les trois hommes ont réussi à rentrer chez eux ce soir-là, mais n’ont pas pu se rendre à leur usine depuis lors.

Ils ont pourtant essayé : deux ou trois fois par semaine, ils se sont rendus à Reihan et ont introduit leurs cartes d’identité magnétiques dans le scanner afin de passer comme d’habitude, mais elles ont été rejetées. Personne n’entre dans la partie palestinienne de Barta’a ces jours-ci. Après tout, il y a la guerre à Gaza. La dernière fois qu’ils ont essayé, c’était le 12 décembre, et la carte a de nouveau été rejetée. Ils se sont renseignés à plusieurs reprises, mais l’administration palestinienne chargée de la coordination et de la liaison leur a simplement répondu que personne ne savait avec certitude quand la route et le point de contrôle seraient rouverts.

Selim Hajar

Pendant ce temps, dans l’usine déserte des Hajar, les matières premières restent inutilisées et les commandes et autres documents administratifs s’accumulent. Il y a une grosse commande de Pardes Hanna (Karkour), une autre d’une école du centre d’Israël, etc. La pression des clients et des entrepreneurs s’accentue. La famille, qui n’avait jamais eu de problèmes avec les autorités israéliennes auparavant, était complètement désemparée. Il y a deux semaines, Selim et Seif ont persuadé leur père qu’ils n’avaient pas d’autre choix que d’essayer de passer clandestinement du côté israélien avec l’aide de l’un des contrebandiers locaux.

Leur plan était de se rendre à Barta’a et d’y rester jusqu’à la fin de la guerre afin de remettre sur pied leur entreprise qui s’effondrait. Ils ont préparé des sacs à dos avec des vêtements et d’autres articles pour un long séjour. Les fois précédentes, Nasser avait opposé son veto à l’idée, mais cette fois-ci, il s’est rendu compte que la guerre et la fermeture allaient s’éterniser et qu’il fallait bien que quelqu’un aille travailler.

Les passeurs palestiniens prélèvent 300 shekels (environ 80 €) pour l’entrée de chaque personne en Israël, via des brèches dans la barrière de séparation, et pour le transport jusqu’à Barta’a. L’argent est réparti entre les chauffeurs de chaque côté de la barrière et, selon les Hajar, également entre les Israéliens impliqués dans cette industrie du trafic d’êtres humains. Selon eux, des milliers de travailleurs ont utilisé ces services depuis le début de la guerre. Nasser affirme que de grands gangs sont impliqués, et peut-être même des soldats, mais Haaretz n’a trouvé aucune confirmation de cette information. L’unité du porte-parole des FDI a déclaré : 3Aucun incident n’a été signalé au cours duquel des combattants auraient aidé des éléments non autorisés à franchir la clôture de la ligne de démarcation ».

Le samedi 16 décembre, les deux frères ont pris leurs bagages et sont partis dans la voiture du passeur qui les avait pris à leur domicile. Quarante-six travailleurs ont tenté d’entrer en Israël ce jour-là, à raison de quatre par voiture, dans un convoi. Les brèches dans la barrière de sécurité étaient situées entre deux portes qui ferment des champs de culture, l’une à Atil, l’autre à Deir al-Ghusun. Les FDI y construisent un mur en béton pour remplacer la barrière, mais il n’est pas encore achevé.

Arrivés près de la barrière, Selim et Seif, qui se trouvaient dans la deuxième voiture du convoi, en sont sortis et ont couru à travers le trou de la barrière, se retrouvant dans l’oliveraie du côté israélien, en face de la communauté arabe de Zemer. La plupart des candidats à l’infiltration se sont également cachés dans les arbres, en attendant de faire la deuxième partie du voyage : des chauffeurs israéliens assurent le transport jusqu’à Barta’a. Les deux frères se précipitent vers la voiture qui est venue les chercher.

Ils n’avaient parcouru que quelques mètres lorsque, soudain, une jeep de l’armée a surgi de nulle part et leur a barré la route. Les frères sont immédiatement sortis de la voiture et ont couru pour sauver leur vie, mais les soldats à bord du véhicule ont ouvert le feu sur eux. Selim et Seif courent dans deux directions différentes. Seif s’est abrité derrière un rocher et s’est couvert de feuilles sèches et de brindilles. Il a entendu d’autres coups de feu.

Selim a été touché par une seule balle à la tête.

Seif avait peur de sortir de sa cachette - il est resté là pendant près de quatre heures, ne bougeant presque pas, craignant d’être attrapé ou tué. Au début, il ne savait pas que Selim avait été abattu, mais depuis sa cachette, il a vu des soldats déshabiller un homme blessé. Une ambulance israélienne du Magen David Adom est arrivée au bout d’une heure environ, se souvient Seif, et a évacué le blessé (vers l’hôpital Beilinson de Petah Tikva, comme il l’a appris plus tard).

Seif a pensé que leur chauffeur avait peut-être été blessé. Ce n’est qu’après que l’ambulance et les soldats ont quitté les lieux que Seif a remarqué les vêtements et les chaussures du blessé qui gisaient sur la route, à une vingtaine de mètres de là. Ils appartenaient à Selim. Seif n’avait aucune idée de l’état de santé de son frère, ni même s’il était en vie. Il a fini par se rendre à Zemer, puis au poste de contrôle de Reihan, avant de rentrer chez lui. Il ne savait toujours pas ce qui était arrivé à Selim.

Nasser Hajar dans le village de Shuweika cette semaine, avec un poster de son fils Selim, tué par des soldats. « Que vous ne voyiez jamais rien de tel dans votre vie », dit le père endeuillé avec amertume.

Alors qu’il se cachait encore, vers 10 h 45, Seif a envoyé un SMS à son père et lui a demandé de veiller à charger son téléphone portable afin qu’il puisse l’appeler. Il a prévenu Nasser de ne pas l’appeler parce qu’il avait peur de parler à voix haute. Nasser avait un mauvais pressentiment ; il n’avait aucune idée de ce qui se passait avec ses fils. Il a essayé, en vain, d’appeler Selim pour lui demander s’ils avaient traversé la frontière sans encombre et s’ils avaient atteint l’usine.

Vers midi, quelqu’un répond enfin au téléphone de Selim et parle en arabe. Il a dit à Nasser qu’il s’appelait Amir et que Selim avait été hospitalisé dans un état grave à l’hôpital Beilinson. Il a refusé de donner plus de détails et a raccroché. Nasser a commencé à appeler toutes les personnes qu’il connaissait en Israël, y compris un ami à Zichron Yaakov, des membres de la grande famille Hajar à Acre, Taibeh et Fureidis, ainsi qu’un beau-frère à Rahat.

Il appelle également Beilinson, mais ne parvient pas à obtenir d’informations sur son fils. Finalement, il joint un médecin arabe de l’hôpital et lui demande de lui confirmer que Selim a été admis comme patient et qu’il est dans un état grave, afin que lui, Nasser, puisse obtenir un permis d’entrée en Israël pour voir son fils avant qu’il ne soit trop tard.

Nasser a également appelé l’administration civile, où quelqu’un lui a dit, après quelques heures éprouvantes, que pendant la guerre, il lui serait impossible d’entrer en Israël pour voir son fils blessé. Entre-temps, Raad, le frère de Nasser, a appris par ses propres contacts que son neveu était dans un état critique, mais il n’a pas transmis cette nouvelle à son frère. Peu après, Raad apprend que Selim a succombé à ses blessures. Il demande au beau-frère de Rahat de se rendre à Beilinson et de photographier le corps, afin qu’ils sachent avec certitude quel sort a été réservé à leur proche. Le beau-frère s’est rendu à l’hôpital, mais il a été refoulé.

« Que vous ne voyiez jamais rien de tel dans votre vie », dit Nasser avec amertume.

Lundi, la famille a entrepris des démarches pour récupérer le corps de Selim. Dans un premier temps, l’unité de coordination et de liaison a promis qu’il serait rendu rapidement. « Votre fils est mort par erreur », a-t-on dit à Nasser. Mais le ton a changé lorsqu’il est apparu qu’un soldat avait trébuché et s’était apparemment cassé la jambe en poursuivant les infiltrés. On leur a alors annoncé, pour une raison inconnue ou aléatoire, qu’il faudrait attendre un mois ou un mois et demi avant que le corps du jeune homme ne soit rendu.

La famille est effondrée. Elle attend désespérément le corps de Selim, qui, d’après ce que l’on sait, n’a fait de mal à personne et voulait seulement se rendre à son lieu de travail dans l’usine familiale.

L’unité du porte-parole des FDI a déclaré cette semaine, en réponse à une question de Haaretz : 3Les observateurs ont identifié des dizaines d’infiltrés qui ont franchi la barrière près du village de Deir al-Ghusun, sur le territoire de la brigade Menashe, le 16 décembre 2023. Une unité des FDI arrivée sur le site a lancé une poursuite des suspects, à l’issue de laquelle tous les suspects ont été appréhendés.

« Ensuite, des recherches ont été menées dans la zone, au cours desquelles l’un des suspects, blessé à la tête, a été localisé. La force a administré les premiers soins sur le terrain, après quoi l’infiltré a été évacué vers un hôpital. Son décès a été signalé par la suite. Les circonstances de l’incident sont en cours d’éclaircissement. Le corps de l’infiltré est détenu par les FDI conformément aux procédures habituelles, dans l’attente d’une décision des responsables politiques ».

 

GIDEON LEVY
Il n’y a pas moyen d’“expliquer” le degré de mort et de destruction à Gaza

Gideon Levy, Haaretz, 28/12/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Il n’y a pas moyen d’“expliquer” la conduite d’Israël dans la bande de Gaza. La destruction, le massacre, la famine et le siège dans des dimensions aussi monstrueuses ne peuvent plus être expliqués ou justifiés, même par une machine de propagande efficace comme la diplomatie publique israélienne (hasbara).


Des drapeaux israéliens flottent à côté des décombres de bâtiments détruits à Gaza, vus depuis le sud d’Israël, Samedi dernier. Photo : Violeta Santos Moura / Reuters

Le mal ne peut plus être caché par la propagande. Même la combinaison gagnante israélienne de victimisation, de Yiddishkeit, de peuple élu et d’Holocauste ne peut plus brouiller l’image. Personne n’a oublié les horribles événements du 7 octobre, mais ils ne peuvent justifier ce à quoi nous assistons à Gaza. Le propagandiste qui pourrait expliquer l’assassinat de 162 enfants en un jour - un chiffre rapporté par les médias sociaux cette semaine - n’est pas encore né, sans parler de l’assassinat de quelque 10 000 enfants en deux mois.

Israël est déjà en train de mettre en place son nouveau “Yad Vashem”. Des centaines de fonctionnaires juifs des USA sont acheminés par navette aérienne vers les kibboutzim incendiés du sud. Natan Sharansky s’est également rendu à Kfar Azza cette semaine, pour voir et montrer à ces antisémites ce qu’ils nous ont fait.

Désormais, aucun invité officiel ne pourra atterrir en Israël sans être contraint de passer par le kibboutz Be’eri. Et par la suite, s’il ose tourner son regard vers la bande de Gaza, il sera taxé d’antisémitisme. Attendre les bus de Birthright avec un soldat surveillant chacun d’entre eux, fusil tchèque dégainé. Eux aussi sont déjà en route pour Nir Oz.

Il est très douteux que cela serve à quelque chose. La hasbara est désormais une machine immorale. Quiconque se contente d’être choqué par ce qui nous a été fait tout en ignorant ce que nous avons fait depuis n’a ni intégrité ni conscience. On ne peut pas ignorer Gaza et n’être choqué que par Kfar Azza. Bien sûr, il est obligatoire de dire et de montrer au monde ce que le Hamas nous a fait. Mais l’histoire ne fait que commencer. Elle ne s’arrête pas là. Ne pas raconter sa suite est un acte méprisable.

À côté des terribles souffrances israéliennes, qu’il ne faut pas sous-estimer, la bande de Gaza connaît aujourd’hui des souffrances bien plus grandes. Elles sont d’une ampleur énorme et provoque le désespoir. Elles n’ont pas d’explication et n’en ont pas besoin. Il suffit de lire les rapports provenant de Gaza et diffusés dans le monde entier, à l’exception d’un minuscule État dont les yeux sont fermés et le cœur scellé.


Des Palestiniens prient devant les corps de personnes tuées lors de bombardements israéliens avant de les enterrer dans une fosse commune dans la ville de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le mois dernier. Photo Mohammed Dahman / AP

La hasbara israélienne est une mystification. Elle raconte une histoire qui n’est pas toute la vérité. En cachant plus de la moitié de la vérité, la hasbara aurait dû être considérée comme une activité honteuse. Mais ce n’est pas le cas. En Israël, une figure grotesque comme Noa Tishbi [“hasbariste” de choc, ex-“envoyée spéciale chargée de combattre l’antisémitisme et la délégitimation d’Israël” du gouvernement Lapid-Gantz, NdT] est devenue l’héroïne du moment. L’attaque ridicule contre Benny Gantz, qui a assisté à une fête en son honneur dans la maison du père endeuillé Eyal Waldman et a été photographié souriant, un verre dans une main et Tishbi dans l’autre, n’a pas compris l’essentiel.

Le fait est que les imposteurs, ici, sont transformés en héros. La navigation sur le compte X de Tishbi vous fera vomir. Une autre Nataly Dadon [mannequin, influenceuse, NdT], mais avec de la poussière d’Hollywood, du new age, des embrassades, des larmes et des sourires Colgate, du kitsch et de la mort en provenance directe de la zone proche de la frontière gazaouie. La nation juive est le peuple indigène d’Israël, nous sommes d’ici, dit la femme qui a émigré loin d’ici. Dès qu’elle a atterri à l’aéroport Ben Gourion, elle a dû courir se mettre à l’abri, en se filmant bien sûr pour faire trembler le cœur de tous les “amis d’Israël” et les faire pleurer.

Et les bijoux, oh les bijoux sur Tishbi : deux étoiles de David, pas une, juste pour être sûr ; un collier Chai et une carte du fleuve à la mer, le tout en or. Un quart de million d’adeptes. Hanoukka est une fête sioniste. Tel Aviv est une ville attaquée. « Il faut imaginer à quoi ressemblera le Moyen-Orient une fois le Hamas vaincu », dit-elle à Piers Morgan de TalkTV.

Vous voulez savoir à quoi ressemblera le Moyen-Orient ? Gaza détruite, deux millions de sans-abri et en face d’eux, également couvert de cicatrices et battu, un État d’apartheid dont Tishbi n’a même pas entendu parler.