Traduit par Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
Je fais partie d'un mouvement de parents de soldats des FDI (Forces de défense israéliennes) qui ont soutenu la guerre, mais qui s'opposent aujourd'hui à ce qui est devenu un piège mortel inutile pour nos enfants, une guerre menée par un gouvernement extrémiste qui ne veut jamais y mettre fin.
C'est un dimanche matin très tôt. Je raccompagne mon fils cadet à sa base militaire dans le sud d'Israël. Il n'est rentré que depuis deux jours, l'une des seules pauses qu'il ait eues après avoir participé aux combats actifs à Gaza pendant environ six mois - cela en fait maintenant presque huit. Alors que nous roulons, je sais qu'il retournera probablement à Gaza le lendemain.
Je n'arrive pas à croire que je fais cela. Je lutte pour ne pas pleurer, je lui tends un autre sandwich que j'ai préparé pour le voyage. Je me sens comme Abraham après que Dieu lui a dit de sacrifier son fils Isaac.
Tout ce que je veux, c'est faire demi-tour et m'enfuir, m'enfuir. Au lieu de cela, nous discutons de la lutte contre les “forces obscures”, le thème central des livres de Harry Potter que nous aimions lire tous les deux lorsqu'il était jeune.
Une fois arrivés à la base, je prends une photo de mon fils, pour lui porter chance, me dis-je. Nous nous serrons fort dans les bras et je le vois s'éloigner de moi. Je commence à rentrer chez moi, mais je dois m'arrêter sur le bas-côté car je n'arrive plus à voir à travers mes larmes ni à repousser mes pensées angoissantes. C'est insupportable. Je me demande si c'est à cela que ressemble la folie.
Je partage ces mots en tant que mère et membre d'un mouvement de parents de soldats israéliens qui se battent à Gaza depuis près de huit mois. Le message que nous adressons à nos dirigeants, aux décideurs, est simple : “Arrêtez ! Ça suffit !” C'est d'ailleurs le nom que nous nous sommes donné : « Parents de soldats combattants criant : “Assez !” ».
Nous demandons qu'une solution politique légitime soit trouvée après ces longs mois de guerre et d'effusion de sang. Nous pensons qu'une réponse militaire était inévitable au lendemain de l'horrible attaque du Hamas contre Israël. Mais aujourd'hui, alors qu'aucune solution politique négociée ne se profile à l'horizon, nous constatons que nous ne nous rapprochons pas de la libération des otages et que de plus en plus de soldats sont tués et blessés chaque jour. Et bien que cela ne fasse pas les gros titres en Israël, nous savons également que de nombreux civils palestiniens souffrent et meurent chaque jour.
Nous assistons donc, dans la souffrance, à l'augmentation du nombre de morts, mais sans aucun objectif clairement atteignable. Nous comprenons maintenant la guerre comme une guerre qui se poursuit en raison de la dynamique politique interne israélienne de ce gouvernement. Une guerre qui se poursuit a pour objectif de garantir le pouvoir du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et de son gouvernement d'extrême droite. Même notre ministre de la Défense et d'autres experts militaires l'ont dit.
Nous avons adressé au cabinet de la défense une lettre signée par 900 parents de soldats en service actif à Gaza et plus de 2 000 sympathisants. Cette lettre demandait au gouvernement d'assumer la responsabilité de la vie de nos fils et de ceux qui combattent à Gaza, et de ne pas les sacrifier dans un piège mortel en l'absence d'une solution politique légitime. Nous n'avons toujours pas reçu de réponse.
Je suis la mère de trois fils. L'aîné étudie aux USA et lutte contre l'antisémitisme sur le campus. Les deux fils cadets ont combattu à Gaza, l'un dans la réserve et l'autre dans le cadre de son service obligatoire.
Mon fils cadet, âgé de 21 ans, se bat depuis le 7 octobre, en commençant par la bataille du kibboutz Nahal Oz, où il s'est battu contre les attaquants du Hamas et a ensuite été témoin des conséquences des atrocités qu'ils y ont commises. Comme l'a dit un membre du kibboutz, les survivants doivent leur vie à l'unité de mon fils.
De là, lui et son unité ont été envoyés combattre dans le nord de Gaza, puis à Khan Younès et maintenant à Rafah. Mon fils a perdu des amis et des commandants tués au combat.
Nous sommes une famille patriotique, nos fils ont été élevés dans les valeurs de la responsabilité sociale et de la contribution personnelle. Je n'ai pas de mots pour exprimer le sentiment terrifiant et permanent d'avoir un fils au combat depuis tant de mois.
Nous vivons dans un état permanent de terreur et d'anxiété, sans sommeil et sans, à peine, semble-t-il, respirer. Nous craignons chaque fois que l'on frappe à la porte. Au cours de ces mois, mon fils n'a été à la maison que pour quatre courtes périodes et pour des vacances plus longues pendant la Pâque, avant d'entrer à Rafah. Nous vivons un cauchemar permanent.
En rejoignant ce mouvement et en rencontrant d'autres mères qui vivent la même expérience, je me suis sentie soutenue et j'ai trouvé un moyen d'être proactive, alors que nous nous efforçons de faire la différence, d'avoir une certaine influence.
J'écris ces mots avant tout en tant que mère et citoyenne profondément concernée, mais aussi en tant que psychologue. J'ai soigné des enfants évacués de leur maison à cause de la guerre et des enfants qui ont perdu un parent à cause de la guerre. J'ai été immergée dans le traumatisme et la douleur qu'ils éprouvent. Le traumatisme est une expérience très répandue dans de nombreuses familles israéliennes aujourd'hui.
Le traumatisme nous laisse sans voix, sans parole, vivant dans une existence quotidienne sans fin, en mode de survie, sans aucun sens de l'avenir.
Mon doctorat portait sur les expériences quotidiennes des mères de jeunes enfants et sur leurs façons d'exprimer leur voix et leur identité. La guerre a remis en question la signification fondamentale de la maternité, à savoir l'obligation pour une mère de protéger ses enfants.
Lorsque nous avons considéré la guerre comme inévitable au début, nous avons fait de notre mieux en tant que mères pour soutenir nos fils et nos filles qui s'y battaient. Mais aujourd'hui, nous ressentons en tant que mères le sacrifice inutile d'une guerre sans fin. Nous ne pouvons pas rester silencieuses, nous devons donner une voix à nos convictions. Les soldats de Gaza font leur devoir, notre obligation en tant que mères est de donner une voix à leurs préoccupations.
Nous trouvons nos fils brisés par l'épuisement, posant des questions sur le résultat de leur engagement et de leur sacrifice alors qu'ils entrent dans les mêmes lieux encore et encore, et qu'ils voient d'autres compagnons d'armes perdre la vie. Nous nous inquiétons sérieusement de leur santé mentale. Il n'y a jamais eu de guerre aussi longue et intensive dans ce pays, et le fardeau repose sur les épaules d'un même groupe de soldats.
En tant que parents, mères et pères, nous crions : « Stop ! Maintenant ! ». Nous disons à nos dirigeants qu'ils doivent accepter un accord pour la libération des otages tant qu'ils sont en vie (nous ne pourrons pas guérir au niveau personnel ou national tant qu'ils n'auront pas été libérés) et la fin de cette guerre.
En tant que nation, nous devons créer un horizon d'espoir pour nos enfants, pour nous-mêmes. Continuer sur la voie actuelle n'est pas une option. Nous devons arrêter cette voie du désastre avant qu'il ne soit trop tard.
Noorit Felsenthal Berger est psychologue et mère d'un soldat israélien servant à Gaza. Elle est membre de l'organisation Parents of Combat Soldiers Shouting out, “Enough !” (Parents de soldats combattants criant “Assez !”)
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