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07/12/2022

MOHAMMED ABDEL QADER
Farha,un film sur la Nakba, donne des boutons aux ministres israéliens du gouvernement de “changement” sortant

Mohammed Abdel Qader, Haaretz, 6/12/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

L'auteur est étudiant en droit à l'Université Bar-Ilan, à Ramat Gan (Tel Aviv).

Lundi soir, le film jordanien Farha a été projeté au théâtre Alsaraya de Jaffa. Le film contient une scène dans laquelle un nouveau-né est laissé à mourir de faim afin de « ne pas gaspiller une balle sur lui ». En réponse, le gouvernement sortant s'est prononcé contre le film et le cinéma qui l'a projeté, affirmant qu'il ne présente pas les FDI sous un jour positif. Le ministre de la Culture Hili Tropper et le ministre des Finances Avigdor Lieberman ont déjà annoncé qu'ils examineraient la possibilité de révoquer le budget du théâtre.

La productrice Deema Azar et l'acteur Ashraf Barhom présentent Farha lors du festival des Journées du cinéma palestinien, dans la ville de Ramallah, en Cisjordanie, en novembre. Photo : FILM LAB PALESTINE/ REUTERS

Le film n'est pas flatteur pour les FDI, mais la solution n'est pas de le faire taire, mais plutôt de parler sérieusement de ce qui s'est réellement passé pendant la guerre de 1948. Nous devons nous rappeler à quoi ressemblait une guerre « sans la Haute Cour et sans B'Tselem », et avoir une discussion publique de fond sur la guerre et ses victimes, et pas seulement un débat mesquin sur « qui a commencé », comme si la réponse justifiait de faire du mal à des innocents. Mais selon les ministres Tropper et Lieberman, une telle discussion n'est pas nécessaire, et toute personne qui soulève ces questions devrait se voir retirer son financement.

La productrice du film affirme que Farha est une œuvre artistique qui ne prétend pas être un documentaire, et que les critiques à son encontre et à l'encontre du cinéma qui a choisi de le projeter sont donc étranges. Sommes-nous censés accepter l'idée qu'une œuvre culturelle qui ne plaît pas à quelqu'un n'a pas le droit d'exister ? Cette conception est particulièrement troublante car elle est le fruit d'une attitude qui nie les faits et insiste pour dire que la Nakba et le peuple palestinien, ça n’existe pas. La réaction des ministres au film fait écho à l'amendement sur la “loyauté culturelle” que Miri Regev a essayé de promouvoir autrefois, mais alors que l'initiative de Regev s'est immédiatement attirée les foudres des artistes et d'une grande partie des médias, aucune critique de Tropper et Lieberman ne se fait entendre.

Tropper et Lieberman, ministres du gouvernement sortant de “guérison et de changement”, ont essentiellement montré que rien n'a changé et qu'ils souhaitent perpétuer les politiques de Regev et du gouvernement précédent. Ils n'incarnent pas une alternative intellectuelle et idéologique, mais choisissent plutôt d'être une imitation du gouvernement de droite de Netanyahou. Il n'est donc pas surprenant que le public choisisse l'original plutôt que la copie.

La critique du ministre de la Culture n'est pas cohérente avec la position d'unité et de conciliation qu'il est censé soutenir. Par exemple, lors de la remise des Ophir Awards l'année dernière, il a déclaré : « Lorsque les choses sont clarifiées de manière appropriée et respectueuse, c'est bienvenu ». Et aussi : « Pour ma part, j'ai une identité claire. Entre autres choses, elle inclut le fait d'être juif, sioniste et patriote israélien, c'est mon identité. J'en suis heureux, j'en suis fier, mais précisément parce que j'en suis si sûr, je n'ai aucun problème à écouter et à accepter la critique ».

Si vous n'avez aucun problème avec la critique, ministre Tropper, je m'attendrais à ce que vous soyez le premier à faire la queue pour voir le film. Mais vous demandez la suppression du financement sans même l'avoir vu. Ce n'est pas ainsi que l'on exprime une identité sûre.

Je suis allé au théâtre Alsaraya de nombreuses fois. Je peux témoigner de la grande qualité des films qui y sont projetés et du fait que ce cinéma présente une véritable coexistence fondée sur l'égalité intellectuelle et culturelle.

 L'un des films que j'y ai vu était Tantoura, un documentaire sur les crimes de guerre présumés commis par des combattants des FDI dans le village dont le film porte le nom. Ce film n'est pas non plus flatteur pour les FDI, et il a également été projeté à la Cinémathèque de Tel Aviv. Mais, bien sûr, Hili Tropper et Avigdor Lieberman ne sont pas sur le point d'arrêter le financement de la Cinémathèque de Tel Aviv.

Ce qu'ils veulent faire à Alsaraya donnera une base et une légitimité à la politique du gouvernement Netanyahou-Ben-Gvir, qui pourrait effectivement chercher à supprimer le financement de la Cinémathèque. Et alors, avec le recul, nous comprendrons que non seulement la gauche [sic] a perdu dans les urnes, mais qu'elle n'a même pas fait l'effort d'être un acteur sur le terrain.

Lire sur le même sujet

Farha, un film de Darin Sallam : l'histoire de la Palestine à travers le regard d’une adolescente

 NdT

Le film devait être diffusé sur Netflix à partir du 1er décembre 2022, mais il ne l'est pas à ce jour. On peut donc le voir ici :

GIUSEPPE GARIAZZO
Farha, un film de Darin Sallam : l'histoire de la Palestine à travers le regard d’une adolescente

Giuseppe Gariazzo, ilmanifesto, 17/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Se tourner vers le passé pour parler du présent. Revenir sur une année décisive pour la Palestine et se rendre compte que, plus de soixante-dix ans plus tard, rien n'a changé. Placer l'histoire en 1948, lorsque les Britanniques sont partis et que les Israéliens ont commencé la dévastation systématique d'une terre et de ceux qui y avaient vécu jusqu'alors, pour dire que depuis lors, le peuple palestinien continue de souffrir d'une occupation qui semble interminable. 

Dépeindre, à travers le personnage d'une adolescente, la tragédie mais aussi la détermination de toute une population contrainte à l'errance et à l'apatridie (comme le résume Tawfiq Saleh "pour toujours" dans Les Dupes (1972), basé sur le roman Des hommes dans le soleil de l'écrivain palestinien Ghassan Kanafani). 

L'adolescente s'appelle Farha et son nom donne le titre au film de Darin J. Sallam (au Festival du film de Rome), une réalisatrice jordanienne qui fait ses débuts en long métrage avec une œuvre d'une grande maturité, puissante, dense et poignante.

05/12/2022

SHAY HAZKANI
Qui a peur de révéler les “secrets” palestiniens de 1948 ?

Shay Hazkani, Haaretz, 4/12/2022

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Shay Hazkani est professeur associé d'histoire à l'université du Maryland. Son livre “Dear Palestine: A Social History of the 1948 War a remporté le Korenblat Book Award in Israel Studies pour 2022. Un documentaire basé sur ses recherches, “L'opinion du soldat”, a été présenté en première au Festival du film de Jérusalem en 2022. Le Dr Hazkani a participé à diverses luttes concernant les politiques de déclassification des archives en Israël. En 2019, il a adressé une pétition à la Cour suprême israélienne avec l'Association pour les droits civils, afin de contraindre le service de renseignement intérieur israélien, le Shin Bet, à ouvrir ses archives au public. Avant sa carrière universitaire, Shay a travaillé comme journaliste couvrant la Cisjordanie et l'armée israélienne.

Lorsque les Archives de l'État d'Israël refusent de diffuser des documents pillés aux Palestiniens sous prétexte que cela « porterait atteinte à la sécurité nationale », il est clair qu'il s'agit d'une couverture pour une crainte totalement différente.

Des réfugiés palestiniens quittant leur village, lieu inconnu, 1948. Photo : UNRWA

 

Vous vous êtes sans doute demandé à un moment donné, comme moi, quel genre d'État arabe les Palestiniens envisageaient en 1948 s'ils avaient gagné la guerre. Quels étaient leurs plans ? Où avaient-ils l'intention de construire leur version de l'autoroute Ayalon ? Voulaient-ils aussi assécher le marécage de Hula pour rendre plus disponibles les terres agricoles ?

 

Oh, et que pensaient-ils des 628 000 Juifs qui vivaient dans ce qui est maintenant Israël à la veille de la guerre ? Qu'avaient-ils l'intention de faire d'eux ?

 

Chaque semaine, le chroniqueur Ben-Dror Yemini raconte à ses lecteurs dans le Yedioth Ahronoth que les dirigeants arabes de 1948 ont appelé à jeter les Juifs à la mer. En d'autres termes, ils avaient l'intention de procéder à un massacre systématique.

 

Ainsi, sans accabler les lecteurs de Haaretz avec une recherche académique aride, je pense qu'il est utile de les informer qu'en 15 ans de recherche, au cours desquels j'ai lu des centaines de documents de propagande de 1947 à 1949, je n'ai rencontré qu'un seul cas dans lequel un dirigeant arabe a mentionné “mer” et “Juifs” dans la même phrase. Il s'agissait de l'Égyptien Hassan al-Banna, fondateur des Frères musulmans, dans un appel à expulser les Juifs d'Égypte.

 

Les citations plus familières (comme celle attribuée au secrétaire général de la Ligue arabe de l'époque, Azzam Pacha) ne sont pas étayées par des sources arabes fiables, et il n'est pas certain qu'elles aient jamais été prononcées.

 

Quoi qu'il en soit, je n'ai trouvé aucun appel au meurtre de Juifs au seul motif qu'ils étaient Juifs, que ce soit dans la propagande ou dans le matériel éducatif destiné aux Palestiniens et aux combattants arabes en 1948. À en juger par les documents que j'ai rassemblés pour mon dernier livre, les affirmations concernant un plan arabe visant à “jeter les Juifs à la mer” sont en fait ancrées dans la propagande sioniste officielle. Cette propagande a commencé pendant la guerre, peut-être pour encourager les combattants juifs à laisser aussi peu de Palestiniens que possible dans les zones qui allaient faire partie d'Israël. (Soit dit en passant, une comparaison de la propagande arabe et juive en 1948 révèle que la propagande des Forces de défense israéliennes et de leur précurseur, la Haganah, était beaucoup plus violente).

 

J'ai récemment pensé qu'une occasion en or d'en apprendre un peu plus sur les plans des Palestiniens en cas de victoire  en 1948 m'était tombée dessus. Cinq ans après avoir demandé l'autorisation d'examiner plusieurs dossiers qui avaient été pillés dans des institutions palestiniennes pendant la guerre et dont l'existence avait été dissimulée, les Archives de l'État d'Israël m'ont fourni une liste de dossiers provenant d'un département secret du ministère des Affaires étrangères appelé “département politique” (qui est devenu plus tard le Mossad). En 1948 et 1949, il était dirigé par un agent de renseignement nommé Boris Guriel.

 

Deux dossiers de la liste ont immédiatement attiré mon attention. Le premier, le dossier MFA 5/6100, était intitulé « Palestine - un État arabe indépendant ». Il contenait des documents produits par la Ligue arabe, apparemment dans le cadre de sa correspondance avec le gouvernement en exil de “Toute la Palestine” qui s'est installé dans la bande de Gaza pendant la guerre.

 

Selon les archives, ce dossier contenait « de la correspondance et des rapports sur la création d'un État arabe indépendant ». Mais il est tellement secret que ce n'est que 90 ans après sa création - c'est-à-dire en 2040 - que je serai autorisé à le lire.

 

Bien, ai-je pensé. Peut-être qu'ils ne peuvent pas me dire ce que les Palestiniens prévoyaient pour leur État indépendant, mais chaque enfant en Israël sait que lorsqu'il s'agit du célèbre mufti de Jérusalem, tout est déjà connu et ouvert à l'examen. Après tout, les liens d'Amin al-Husseini avec de hauts responsables du parti nazi et l'horrible propagande qu'il a diffusée à la radio pendant la Seconde Guerre mondiale sont les sujets favoris de la machine de diplomatie publique d'Israël depuis maintenant sept décennies.

 

Mais il s'avère que je me suis encore trompé. Les dossiers du département politique comprenaient également des documents écrits par le mufti entre 1946 et 1948 (dossier MFA 3/6100). Or, les archives m'ont informé que ces documents ne pouvaient être consultés que 90 ans après leur rédaction.

 

Mais ne vous inquiétez pas, ils ont accepté de partager la correspondance du mufti avec de hauts responsables nazis. Seule la question triviale de savoir ce que faisait le leader du mouvement national palestinien pendant la guerre ne peut être révélée.

 

Ces deux dossiers ne sont que la partie émergée de l'iceberg du patrimoine politique et culturel palestinien dissimulé dans les archives d'Israël. Ces documents ont été pris comme butin aux institutions et aux individus palestiniens en 1948, 1956, 1967 et 1982 (et bien sûr aussi dans les décennies suivantes), mais seule une partie d'entre eux peut être consultée.

 

Selon mes estimations, des dizaines de milliers de pages de documents arabes qui n'ont pas encore été mis à la disposition du public se trouvent dans les archives de l'État d'Israël, les archives des Forces de défense israéliennes, les archives du Mossad et les archives du service de sécurité Shin Bet. Ce dernier, selon un témoignage, a brûlé une partie de ces documents dans les années 1960.

 

Le fait que les archives du Shin Bet soient complètement fermées au grand public, avec l'approbation de la Haute Cour de justice, rend impossible de savoir ce qu'elles contiennent ou non. Mais même dans les autres archives, de nombreux dossiers pillés sont gardés cachés ; dans certains cas, même une liste de leur contenu n'est pas disponible.

 

D'ailleurs, il ne s'agit pas seulement de documents de l'élite politique palestinienne. À ma demande, un petit nombre de dossiers palestiniens pillés dans les archives de l'armée israélienne ont récemment été mis à disposition, contenant des milliers de pages de documents sur des personnes ordinaires.

 

L'un de ces dossiers, consacré à un homme nommé Wadia Iskander Azzam, comprend toute sa vie : le document d'enregistrement de sa maison à Safed, son certificat de mariage, les cartes de visite qu'il a collectionnées au cours de sa vie, son journal intime et quelques poèmes qu'il a écrits - tout un monde de documents sur une personne dont le monde a été détruit en 1948.

 

Lorsque les Archives de l'État d'Israël refusent de divulguer les documents pillés aux Palestiniens sous prétexte que cela « porterait atteinte à la sécurité nationale », il est clair que cela cache une toute autre crainte. Il n'y a pas et il ne peut pas y avoir de secrets d'État dans les documents arabes écrits par les Palestiniens, comme leurs plans pour un État palestinien indépendant ou les documents d'un orphelinat de Jaffa.

 

Le plus grand secret est l'existence même de ces documents, qui sont un mémorial à une civilisation palestinienne détruite. Ce « secret », craignent les fonctionnaires responsables de la déclassification des documents, pourrait ébranler le récit sioniste israélien et susciter des doutes chez les personnes désireuses d'examiner l'histoire d'un œil critique.

 

Imaginez qu'un autre pays possède les archives d'une communauté juive d'Europe de l'Est qui a été détruite pendant l'Holocauste, ou d'une communauté juive dans un pays musulman. Bien sûr, il n'y a pas de comparaison possible, mais que dirait Yad Vashem ? Ou les organisations juives des USA ? Le gouvernement usaméricain interviendrait-il pour mettre ces documents en sécurité ?

 

En fait, vous n'avez pas besoin d'imaginer, car il y a eu une pléthore de cas comme celui-ci au cours des 70 dernières années. L'un d'entre eux, toujours en cours, concerne les archives de la communauté juive de Bagdad, que les forces d'occupation usaméricaines ont prises au siège des services de renseignement irakiens en 2003.

 

Les USAméricains ont scanné l'ensemble des archives et les ont mises en ligne, et ils prévoient maintenant de les rendre au gouvernement irakien. Mais les représentants de la communauté juive irakienne exigent que les documents de Bagdad, où il ne reste plus de Juifs, ne soient pas rendus. La bataille fait toujours rage.

 

Israël aussi aura du mal à continuer à conserver l'héritage culturel d'un autre peuple, surtout lorsque la plupart des membres de ce peuple n'ont pas le droit d'accéder aux archives israéliennes pour étudier cet héritage. Tout comme d'autres aspects du conflit israélo-palestinien ont été internationalisés, le vol et la possession illégale par Israël du patrimoine des Palestiniens finiront par être portés devant les tribunaux internationaux. Israël serait bien avisé d'empêcher cela en publiant systématiquement les documents qu'il détient et en les rendant accessibles.

01/09/2022

YAIR AURON
Le poème qui a dénoncé les crimes de guerre israéliens en 1948
Nathan Alterman et le massacre d'Al Damawyia

Yair Auron, Haaretz, 18/3/2016
Traduit par
Fausto Giudice

Le professeur Yair Auron (1945) est un spécialiste israélien des études sur les génocides et de l'éducation en la matière. Depuis plus de 30 ans, il fait des recherches sur l'attitude d'Israël à l'égard du génocide d'autres peuples, en particulier les Arméniens. Depuis 2005, il est directeur du Département de sociologie, de science politique et de communication de l'Université ouverte d'Israël et professeur associé. Il est membre de Neve Shalom/Wahat as-Salam, le seul village judéo-arabe d'Israël, où il a fondé le Jardin des sauveteurs. Bibliographie

Un poème publié par Nathan Alterman pendant la guerre d'indépendance d'Israël critiquant les violations des droits humains a été salué par le Premier ministre Ben-Gourion, qui en a même distribué 100 000 exemplaires aux soldats ; d'autres témoignages de ce genre ont disparu.

Le 19 novembre 1948, Nathan Alterman [1], dont l'influente « Septième Colonne » – une chronique sous forme de poésie – paraissait chaque vendredi dans le quotidien Davar, organe du parti MAPAI (précurseur du parti travailliste) au pouvoir en Israël, publiait un poème intitulé « Pour ça (Al zot) » :

« En ces jours de batailles, le ministre de la Défense a remarqué ces choses, et a ajouté à ce qui est dit ici sa propre autorité, cet acte, qui n'est pas très courant en matière de guerre, vaut le poids de tout poème, du point de vue de l'efficacité aussi bien que de la moralité.

Monté sur une jeep, il avait traversé la ville conquise :
un garçon courageux et doux, un lion de garçon.

Dans la rue, où on s’'était battu,

un vieil homme et une femme

étaient pressés contre le mur : tout ce qu'ils avaient.

 

Et le garçon avait alors souri ; avec des dents blanches laiteuses :

« J'essaierai la mitrailleuse »... Et il a essayé.

Le vieil homme a juste protégé son visage à mains nues

et le mur s’est couvert de sang.


Cet instantané des batailles de liberté si chère,

ils sont plus courageux que ceux-là, alors ils sifflent.

Notre guerre demande donc une oreille poétique

très bien, chantons pour ça.

 

Chantons donc maintenant les “Affaires délicates”

qu'il vaut mieux appeler, simplement, massacres.

Chantons les discours qui déguisent toutes les traces

de culpabilité à propos des gars qui “ne font que jouer”.

 

Ne nous contentons pas de dire « ce ne sont que des détails mineurs »

car détails et principes

sont toujours mariés.

Si le public écoute juste les détails ainsi racontés

et n'emprisonne pas les têtes de criminel.

 

Car les porteurs d'armes, et avec eux, nous aussi ;

que ce soit dans l'action

ou avec une tape dans le dos,

nous sommes contraints par les discours de “vengeance”, comme on dit.

à des actes criminels très noirs.

 

La guerre est si cruelle ! Celui qui expose la morale

aura son visage arraché d’un coup de poing!

Mais parce que c'est ainsi

les limites de la décence

doivent être droites et dures comme une masse !

 

Et à ceux qui ne peuvent chanter que les splendeurs de la guerre

et qui sont tenus de verser du miel sur chacune de ses plaies.

qu'on les punisse cruellement et plus encore

et les défère immédiatement devant la cour martiale.

 

Que le silence qui chuchote “c'est comme ça”

soit frappé et n'ose pas montrer son visage.

 

La guerre du peuple qui s'est dressé sans peur

contre sept armées ;

les rois de l'Orient

ne craindront pas de dire aussi “Ne l'annoncez point dans Gath”[2].

ce n'est pas si lâche que ça !

Extrêmement ému par les vers, David Ben-Gourion, alors président du Conseil d'État provisoire dans l'État juif naissant, a écrit à Alterman : « Félicitations pour la validité morale et la puissante expressivité de votre dernière chronique sur Davar Vous êtes un porte-parole pur et fidèle de la conscience humaine, qui, si elle n'agit pas et ne bat pas dans nos cœurs dans des temps comme ceux-ci, nous rendra indignes des grandes merveilles qui nous ont été accordées jusqu'à présent.

« Je vous demande la permission de faire imprimer 100 000 exemplaires de l'article – qu'aucune colonne blindée de notre armée ne dépasse en force de combat – par le ministère de la Défense pour distribution à chaque soldat en Israël. »

À quels crimes de guerre se référait le poème ?

Les massacres perpétrés par les forces israéliennes à Lydda (Lod) et dans le village d'Al Dawayima, à l'ouest d'Hébron, ont été parmi les pires massacres de toute la guerre d'indépendance. Dans une interview à Haaretz en 2004, l'historien Benny Morris (auteur de « La naissance du problème des réfugiés palestiniens, 1947-1949 ») a déclaré que les massacres les plus flagrants « ont eu lieu à Saliha, en Haute Galilée (70-80 victimes), à Deir Yassin à la périphérie de Jérusalem (100-110), à Lod (50), à Dawamiya (des centaines) et peut-être à Abu Shusha (70) ».


Lod a été conquise lors de l'opération Dani (9-19 juillet 1948), qui visait également Ramle. Les dirigeants politiques et militaires ont estimé que la prise de ces deux villes était cruciale, car la concentration des forces arabes dans ces villes menaçait Tel-Aviv et ses environs. Concrètement, l'objectif était que les Forces de défense israéliennes naissantes dégagent les routes et permettent l'accès aux communautés juives sur la route Tel-Aviv-Jérusalem – qui restait sous contrôle arabe – et prennent le contrôle des zones vallonnées s'étendant de Latrun à la périphérie de Ramallah. Cela signifierait un affrontement avec les unités de la Légion arabe jordanienne, qui étaient déployées – ou censées l’être – dans la région.

Un autre objectif de l'opération Dani, menée par Yigal Allon avec Yitzhak Rabin comme adjoint, était d'étendre les territoires du jeune État juif au-delà des frontières définies par le plan de partition de l'ONU.

Le 10 juillet, Lod a été bombardée par l'armée de l'air israélienne, la première attaque de ce type dans la guerre d'indépendance. Une grande force terrestre avait également été constituée, comprenant trois brigades et 30 batteries d'artillerie, sur la base de l'évaluation de l'armée selon laquelle de grandes forces jordaniennes se trouvaient dans la région.

À leur grande surprise, les unités de Tsahal n'ont rencontré que peu ou pas de résistance. Malgré cela, il existe des sources palestiniennes et d'autres sources arabes qui prétendent que 250 personnes ont été massacrées après la prise de Lod. L'historien israélien Ilan Pappe affirme que l'armée a tué 426 hommes, femmes et enfants dans une mosquée locale et dans les rues environnantes. Selon lui, 176 corps ont été trouvés dans la mosquée, et le reste à l'extérieur. Le témoignage d'un Palestinien de Lod vient étayer ces estimations : « Les [troupes israéliennes], en violation de toutes les conventions, ont bombardé la mosquée, tuant tous ceux qui se trouvaient à l'intérieur. J'ai entendu des amis qui ont aidé à enlever les morts de la mosquée dire qu'ils ont déplacé 93 corps ; d'autres ont dit qu'il y en avait beaucoup plus d'une centaine. » Il est clair, cependant, qu'il n'y a pas de chiffres précis et convenus, et les estimations des deux parties sont tendancieuses.

Les troupes israéliennes sont allées de maison en maison, expulsant les habitants restants vers la Cisjordanie. Dans certains cas, des soldats ont pillé des maisons abandonnées et volé des réfugiés.

Les intentions de Ben-Gourion à l'égard de Lod restent un sujet de débat. Des années plus tard, Rabin raconta comment, lors d'une réunion avec lui et Allon, Ben-Gourion, lorsqu'on lui demanda quoi faire des habitants de Ramle et de Lod, il fit un geste de la main et dit : « Expulsez-les. » Cette version des événements aurait dû être incluse dans les mémoires de Rabin mais a été interdite de publication en Israël, en 1979. Son récit est apparu dans le New York Times à l'époque, et a causé une furie. Allon, qui participa aussi à la rencontre avec Ben-Gourion, nia avec véhémence le compte rendu de Rabin. Le 12 juillet, la Brigade de Yiftah donna l'ordre « d'expulser rapidement les résidents de Lod. Ils doivent être dirigés vers Beit Naballah [près de Ramle] ».

« Seulement quelques coups de feu »

En ce qui concerne Al Dawayima, certains faits sont clairs. Le 29 octobre 1948, au cours de l'opération Yoav (alias Opération Dix plaies) dans le sud, le 89e  bataillon, une unité de commando, conquit le village. À ce moment-là, plus de trois mois après le massacre de Lod, il était évident qu'Israël gagnait la guerre. Maintenant, l'objectif était d'ajouter plus de territoire, de vider le pays des Arabes autant que possible et d'entamer des pourparlers d'armistice dans des conditions avantageuses. De vastes zones au nord, et peut-être même plus au sud, ont été conquises presque sans bataille. Les FDI ont balayé un village après l'autre.

Al Dawayima, qui comptait environ 4 000 habitants, situé sur les pentes occidentales des collines du sud d'Hébron, dans le Néguev (aujourd'hui Moshav Amatzia) fut un cas d’école. De nombreux villageois, y compris des personnes âgées, des femmes et des enfants, ont été assassinés par les forces israéliennes. Le village n'a offert aucune résistance – même ceux qui ont cherché une explication, ou une justification possible, pour le crime reconnaissent que les FDI n'ont rencontré que de légères oppositions et que leurs véhicules blindés ont subi « seulement quelques coups de feu, tirés à partir de quatre fusils », selon Avraham Vered, l'un des commandants de l'opération.

17/08/2022

ALON SCHWARZ
Comment camoufler un massacre : le cas de Tantoura

 Alon Schwarz, Haaretz, 12/8/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala
 

Alon Schwarz est un cinéaste israélien, réalisateur des films documentaires "Les secrets d'Aïda" (2017) et "Tantoura" (2022)|.  

 

Le sionisme doit évoluer pour survivre, écrit le réalisateur du documentaire « Tantoura ». Les Israéliens devraient être assez forts pour reconnaître les souffrances de l'autre partie. Reconnaître la Nakba est un premier pas vers un avenir de paix


Les habitants de Tantoura, trois semaines après la bataille. Prendre ses responsabilités ne signifie pas renvoyer les réfugiés à Tantoura et expulser les kibboutzniks de Nahsholim.Photo : Benno Rothenberg / Meitar Collection, Pritzker Family National Photography Collection, National Library of Israel

La principale technique utilisée pour faire taire Teddy Katz il y a près d'un quart de siècle était de rechercher quelques erreurs dans les citations qui apparaissent dans sa thèse de maîtrise sur l'affaire de Tantoura – qui faisait des centaines de pages – et de le menacer ensuite d'un procès-bâillon [alléguant la diffamation mais en réalité destiné à l’intimider pour qu’il se taise]. Le but était de rejeter toute sa thèse comme indigne et aussi de le faire récuser.

Des articles d'opinion récents sur le sujet dans Haaretz en hébreu – par le rédacteur de musique du journal Haggai Hitron, et par l'avocat Giora Erdinast - ainsi qu'un article publié par l'historien Yoav Gelber sur un autre site en hébreu, ont été écrits en réponse à mon film «Tantoura ». Tous sont des exemples du phénomène si commun à la gauche et à la droite d'Israël de nier ou de minimiser la « Nakba » palestinienne (arabe pour « catastrophe ») pendant la guerre de 1948.

C'est l'une des tentatives les plus sérieuses de l'histoire israélienne pour cacher des crimes de guerre et faire taire un débat. Les articles d'Erdinast, Hitron, Gelber et d'autres personnes partageant les mêmes idées incluent de nombreux détails biaisés ou incorrects. Ils ont pour effet de jeter du sable dans les yeux des Israéliens ordinaires, qui ne possèdent pas nécessairement les outils nécessaires pour vérifier les affirmations des auteurs.

Beaucoup d'Israéliens trouvent du réconfort dans ces articles, dont le véritable but est de préserver la belle histoire réchauffant le cœur avec laquelle nous avons grandi, et ainsi permettre à la répression nationale de notre propre histoire de continuer : Nous n'avons expulsé personne, les Arabes se sont enfuis tout seuls, les Forces de défense israéliennes sont l'armée la plus morale du monde, nos soldats ne commettent jamais de massacres.

Avant de traiter de la fausseté de ces articles, j'aimerais ajouter une observation générale qui s'applique également à la lettre que le recteur de l'Université de Haïfa, le professeur Gur Alroey, a envoyée à tous les professeurs en juin dernier la veille de la projection de mon film. « Tantoura » n'aspire ni à aborder la qualité de l'écriture académique de Teddy Katz ni la question de savoir s'il a mal cité quelques-unes des interviews qu'il a enregistrées au magnéto il y a 23 ans lorsqu'il était étudiant. Ce ne sont pas les questions intéressantes, et c'est pourquoi le film ne les traite pas. Ce qui est intéressant, c'est ce qui s'est réellement passé à Tantoura le 23 mai 1948, et comment cela a été obscurci et réduit au silence dans la société israélienne, presque obsessionnellement, depuis. Le film permet au public d'écouter directement le matériau brut enregistré par Katz. Il combine également des entretiens récents avec des soldats qui se trouvaient sur les lieux et présente les conclusions d'une enquête approfondie et nouvelle fondée sur des documents, des photographies aériennes militaires et d'autres documents d'archives.

L'affirmation selon laquelle les inexactitudes dans un petit nombre de citations dans l'œuvre de Katz signifient que le film mérite d'être ignoré est simplement une tromperie visant à réduire au silence toute l'affaire. La thèse principale de Katz était qu'au cours de la journée du 23 mai 1948, après la fin de la bataille nocturne, les FDI ont tué de nombreux hommes désarmés à Tantoura, commettant des crimes de guerre horribles. Je maintiens que Katz a raison.

Contrairement à ce qu'Hitron a écrit sur Haaretz en juin dernier, le film ne se concentre pas sur la question de savoir si 12, 20 ou 200 personnes ont été tuées à Tantoura. Cette affirmation est une tentative d'aplatir et de cadrer le sujet, en le limitant au débat sur un nombre qui est de toute façon inconnu. Le documentaire raconte une histoire beaucoup plus large, qui inclut le contexte de la guerre de 1948 et examine comment la mémoire personnelle et nationale est construite et réprimées Il comprend différentes versions de ce qui s'est passé à Tantoura, y compris les récits de nombreuses personnes interrogées qui nient qu'un massacre ait eu lieu.

Pour lire la suite, télécharger le document 

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Un documentaire israélien reconstitue le massacre de Tantoura en mai 1948 : ses auteurs passent aux aveux

Trailer du film