Qassam Muaddi,
Mondoweiss, 12/6/2024
Traduit par Fausto
Giudice, Tlaxcala
La politique israélienne a désormais deux visions différentes de l'évolution de la guerre. Netanyahou voudrait que la guerre se poursuive sans fin, tandis que Gantz accepterait un cessez-le-feu mais trouverait un prétexte pour reprendre les combats une fois les captifs libérés.
Huit mois après le début de la guerre génocidaire menée par Israël contre la population de Gaza, le cabinet de guerre israélien commence à se désagréger. La démission du chef de l'opposition, Benny Gantz, dimanche dernier, est intervenue après des semaines d'attente.
Gantz a annoncé sa démission après avoir lancé un ultimatum au Premier ministre Netanyahu pour qu'il présente un plan d'après-guerre à la mi-mai. Dans une déclaration télévisée, il a accusé Netanyahou d'empêcher Israël de remporter une « véritable victoire » dans la guerre contre Gaza en faisant obstruction à des décisions importantes pour son propre profit politique.
Gantz a exprimé son soutien à la proposition usaméricaine de cessez-le-feu et d'échange de prisonniers et a appelé à des élections anticipées. Il a également demandé à d'autres politiciens de se retirer du cabinet.
L'un des autres membres qui a également quitté le cabinet est Gadi Eisenkot, une autre figure centriste de l'establishment militaire israélien, auteur de l’infâme doctrine Dahiya après la guerre du Liban de 2006. La présence d'Eisenkot et de Gantz au sein du cabinet de guerre depuis le début du conflit était censée refléter l'unité nationale au service de l'effort de guerre. Cette unité semble aujourd'hui s'effilocher.
L'impact le plus important de la démission de Gantz est qu'il existe désormais deux visions différentes de la fin de la guerre au sein de la politique israélienne. La première voudrait que la guerre se poursuive indéfiniment, avec l'objectif irréalisable de « détruire le Hamas » et de refuser tout arrêt, même temporaire, des combats. C'est l’option Netanyahou, avec le soutien enthousiaste et strident de ministres intransigeants comme Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir, qui menacent de se retirer de la coalition gouvernementale de droite et de la faire s'effondrer si la guerre s'arrête.
La seconde, représentée par les démissionnaires, privilégierait un accord d'échange de captifs qui conduirait inévitablement à la fin des combats, mais qui, de manière cruciale, pourrait les reprendre à mi-chemin de l'accord en trouvant un prétexte pour le saboter.
Désunion politique et déroulement de la guerre
Le gouvernement d'unité mis en place au début de la guerre a commencé à se fracturer au fil des mois, sans que les objectifs déclarés de la guerre ne soient atteints. Les tensions politiques internes ont atteint un point d'ébullition à mesure que le coût de la guerre et le nombre de victimes augmentaient, avec notamment l'annonce que des captifs israéliens avaient été tués par l'armée israélienne. Le mécontentement s'est manifesté dans les rues de Tel-Aviv, où le nombre de manifestants réclamant la démission de Netanyahou et un échange de prisonniers a augmenté de façon exponentielle.
Les échecs d'Israël tout au long de la guerre se reflètent sur le terrain à Gaza et sur la scène internationale.
À Gaza, Israël a épuisé tous ses choix militaires sans atteindre aucun de ses objectifs. Le Hamas, en tant qu'organe dirigeant de Gaza, a non seulement survécu jusqu'à présent, mais il comble le vide laissé par le retrait des troupes israéliennes. Son aile militaire, ainsi qu'un certain nombre d'autres groupes de guérilla palestiniens, continuent de se battre dans toute la bande, infligeant quotidiennement des pertes aux forces israéliennes.
Au niveau international, Israël est accusé de génocide devant la Cour internationale de justice (CIJ). À la Cour pénale internationale (CPI), des demandes de mandats d'arrêt ont été déposées à l'encontre de Netanyahou et de son ministre de la guerre, Yoav Gallant. Israël a subi un certain nombre de crises diplomatiques avec plusieurs pays d'Amérique latine et d'Afrique, alors que plusieurs États européens ont reconnu l'État de Palestine.
Plus important encore, Israël n'a pas réussi à amener la communauté internationale à fermer l'UNRWA ou à accepter l'expulsion massive des Palestiniens de Gaza.
Mais le plus grand échec de tous est la démonstration répétée par les habitants de Gaza que leur cohésion sociale et leur détermination à reprendre la vie au milieu des décombres n'ont pas été brisées.
Ces conditions et l'absence d'un plan clair sous la direction de Netanyahou ont renforcé les demandes de l’opinion d'un accord d'échange.
Un fossé idéologique
« Jusqu'à présent, la majorité des Israéliens continuent de soutenir la poursuite de la guerre », a déclaré à Mondoweiss Razi Nabulse, analyste politique et chercheur à l'Institut d'études palestiniennes. « Cependant, le pourcentage de ceux qui sont en faveur d'un accord d'échange de prisonniers, même si cela signifie la fin de la guerre, augmente de manière exponentielle, atteignant 47 % selon les sondages israéliens", a-t-il indiqué.
« La division des Israéliens autour d'un accord
de cessez-le-feu est également idéologique. À droite, ils pensent que puisque
plus de soldats ont été tués qu'il n'y a de captifs, il est absurde d'arrêter
la guerre sans avoir atteint ses objectifs et de libérer les captifs par le
biais d'un accord », poursuit Nabulse. « Au centre, plus libéral, ils
pensent qu'il est absurde de continuer à sacrifier des soldats et de tuer
potentiellement plus de captifs alors qu'ils peuvent être libérés grâce à un
accord et que la vie des individus est plus importante que les objectifs de la
guerre, qui ne sont manifestement pas atteints.
« La démission de Gantz ne manquera
pas d'accentuer cette division et d'accroître la pression sur Netanyahou, à la
fois pour qu'il accepte l'accord proposé par les USA et pour qu'il aille aux
élections. Mais en même temps, elle laissera la direction de la guerre sous
l'influence des alliés d'extrême droite de Netanyahou », a-t-il expliqué.
« Il est peu probable que la démission de Gantz entraîne la chute de Netanyahou »,
souligne Nabulse. « Tout simplement parce que tous les membres de la
coalition gouvernementale de droite, qui dispose d'une majorité de 64 sièges à
la Knesset, comprennent que la droite est trop faible aujourd'hui en raison de
la guerre et de ses résultats. Il n'est pas dans leur intérêt d'aller aux
élections maintenant ».
« Cependant, il est également peu
probable que Netanyahou fasse entrer ses alliés d'extrême droite, comme
Ben-Gvir et Smotrich, dans le cabinet de guerre », a ajouté Nabulse. « Il
dissoudra plutôt le cabinet de guerre et dirigera la guerre à partir du
gouvernement régulier, où il a une majorité d'alliés. En bref, la direction de
la guerre sera plus homogène, mais avec une plus grande pression de la part de
l'opposition ».
Priorités régionales et élections américaines
Cette redistribution des cartes politiques internes à
Israël s'inscrit également dans un contexte international plus large, dans
lequel les USA s'efforcent de parvenir à un échange de prisonniers et à un
accord de cessez-le-feu. Dimanche, les USA ont fait pression pour l'adoption
d'une proposition de résolution sur le cessez-le-feu au Conseil de sécurité des
Nations unies, qui a été adoptée à la majorité des voix. Cela marque un net
changement dans la position usaméricaine par rapport aux premiers mois de la
guerre, lorsque les USA ont opposé leur veto aux résolutions de cessez-le-feu
trois fois de suite.
Alors que la guerre se poursuit, la
course à la présidence des USA approche de la ligne d'arrivée, alors que la
base électorale démocrate est sérieusement désenchantée par le soutien
inconditionnel de l'administration Biden au génocide israélien.
La conclusion d'un accord pourrait permettre de faire avancer la normalisation entre Israël et l'Arabie saoudite, qui est en suspens depuis le 7 octobre. Elle pourrait également permettre de relancer le projet d'intégration économique régionale pro-américain destiné à contrer l'Iran, la Russie et la Chine.
« D'une part, la dispute entre Netanyahou et Biden augmente la popularité de Netanyahou », dit Nabulse. « D'autre part, à l'approche des élections usaméricaines, le temps joue en faveur de Netanyahou, qui souhaite faire du soutien à la guerre d'Israël contre les Palestiniens une question centrale du débat électoral ».
« Je ne doute pas que la démission de Gantz ait été convenue avec les USAméricains afin de faire pression sur Netanyahou », fait-il remarquer. « Sinon pour encourager d'autres membres de son cabinet à démissionner et à mettre fin à son gouvernement, du moins à ce qu'ils acceptent l'accord de cessez-le-feu, qu'il pourrait très bien accepter pour ensuite essayer de le saboter et de reprendre la guerre ».
Cela signifie en substance que les opinions divergentes au sein de l'establishment politique israélien sur la poursuite de la guerre ne sont pas aussi divergentes que la rhétorique au vitriol pourrait le suggérer. Netanyahou et Gantz sont tous deux d'accord pour dire que l'effort de guerre doit se poursuivre sous une forme ou une autre ; le désaccord porte sur la place des captifs israéliens dans cet effort. Gantz préférerait parvenir à un accord de cessez-le-feu sur lequel il pourrait ensuite trouver une raison de revenir ou de saboter une fois qu'une grande partie des captifs auront été libérés, tandis que Netanyahou ne peut même pas envisager une telle pause temporaire, car cela menacerait l'éclatement de sa coalition et ouvrirait la porte à la reddition de comptes pour les échecs du 7 octobre.
-Laisse-moi faire !
-Non, laisse-moi !
Carlos Latuff, 2019
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