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22/08/2024

JAIME JIMÉNEZ
Les va-et-vient de Colombia Humana et de Gustavo Petro

Jaime Jiménez, La Pluma, 22/8/2024
Traduit par 
Fausto GiudiceTlaxcala

L’auteur est un historien et avocat colombien

Au sein de Colombia Humana, le parti fondé par le président Gustavo Petro, il y a eu une grande effervescence à l’occasion de la deuxième assemblée ordinaire du parti qui s’est tenue à Bogota les 17 et 18 août. Il s’agissait d’une affaire tortueuse dès sa convocation, puisqu’il y avait deux assemblées, l’une autoproclamée « populaire », tenue à la CODEMA de Bogotá, et l’autre officielle, à laquelle ont participé le président Petro, des députés, des parlementaires, des délégués, des invités, etc., tenue au centre de congrès CORFERIAS.


Ce texte se réfère à l’Assemblée officielle. Selon des rapports fragmentaires sur les réseaux sociaux, il y a eu des moments de désordre absolu, de cris et de sabotage des interventions de la part de certains participants. L’élection du Conseil de coordination a laissé de nombreux participants satisfaits, d’autres mécontents. Espérons que cet organe trouvera les mécanismes adéquats pour garantir la démocratie interne et éradiquer les coutumes telles que le fait que les listes pour participer aux élections régionales soient choisies à Bogota, ou que les postes gouvernementaux soient choisis en fonction de l’appartenance au cercle d’amis de hauts responsables de l’administration et non en fonction de la trajectoire et de l’engagement de celles et ceux qui occuperaient ces postes, après consultation de la base dans les régions.

Sans aucun doute, l’intervention la plus marquante a été celle du camarade Petro et les lignes qui suivent s’y réfèrent, car ses paroles, ses pauses et ses silences donnent des indices sur la conception que le président de la République a du pays.


1. Petro citoyen libre contre Petro collaborateur et solidaire (organisateur)

Son discours présente une énorme incohérence philosophique : peut-on être un citoyen libre et s’engager dans une organisation populaire ? En principe, oui, du point de vue de la liberté qui accompagne chaque personne d’adhérer ou non à l’organisation de son choix, mais cette liberté est limitée en ce sens qu’elle doit assumer les conclusions et les tâches issues de la délibération populaire, qui devraient avoir un effet contraignant. Ainsi, affirmer « j’ai été en politique plus un homme libre qu’un homme de parti » (minute 13:00 et 25:34), c’est sous-entendre que le membre du parti, du mouvement, du front, de la coalition ou autre, n’est pas soumis à ses décisions, car « je suis un homme libre », « un citoyen libre » qui fait ce qu’il veut, arrive à l’heure qu’il veut, sabote ce qu’il veut, et qui dira « je suis un homme libre », comme le président Petro.

La collaboration, la solidarité, l’amour, pour être efficaces, comme le dirait le prêtre Camilo Torres, exigent une forte dose d’organisation, de discipline et de travail, car il s’agit de construire une nouvelle société. Le président, dans de nombreux discours, dont celui-ci (1:02:20), appelle à l’organisation populaire, mais il pense qu’elle germe spontanément. Le travail des masses prend des années, surtout dans notre pays, qui porte un lourd fardeau de désunion et de jalousies hérité des Espagnols et qui, de plus, a l’épée de Damoclès du terrorisme d’extrême droite suspendue au-dessus de sa tête. L’État doit fournir les instruments permettant de tisser cet univers d’organisations naturelles de manière à devenir un réseau indestructible. L’organisation populaire construite uniquement sur le temps libre des gens et financée par l’argent du marché est faible et vulnérable.

2. Petro avant-gardiste

Il a rappelé avec insistance la « volonté de pouvoir » de son organisation, le M-19 (13:20), qu’ils avaient bien la volonté de puissance, que les autres ne voulaient que participer. Bien qu’il ait mentionné de manière tangentielle les 5000 morts de l’Union Patriotique, il oublie que ce n’est pas seulement le M-19 qui, dans l’opposition, a eu une volonté de pouvoir. Jaime Pardo Leal et Bernardo Jaramillo Ossa, assassinés respectivement en 1987 et 1990, n’avaient-ils pas une volonté de pouvoir ? Les milliers de morts tombés pour défendre une utopie, que ce soit dans l’insurrection ou dans les organisations sociales, n’avaient-ils pas la volonté de pouvoir ?

Il convient d’examiner la matrice politique du M-19. Il s’agit d’une organisation originale, qui plonge ses racines dans le Parti communiste et les FARC, dont certains de ses fondateurs étaient membres. Ils se sont « nourris du peuple » en soutenant un parti conservateur comme l’Alianza Nacional Popular (ANAPO), dirigé par un militaire génocidaire pendant l’« Ère de la violence » (1946-1958), en plus d’être méga-corrompu, avec sa fille María Eugenia et son mari Samuel, un organisateur efficace des chulavitas [équivalent colombien des tontons macoutes haïtiens ou des escadrons de la mort brésiliens, NdT] s pendant la « Violence »[1].

Organisation audacieuse qui se démarquait des autres guérillas, le M-19 se proposait des projets politiques et militaires qui restèrent à mi-chemin. Voyons ses actions les plus significatives. Le vol d’armes au Cantón Norte de Bogota (Opération Baleine Bleue), une opération hollywoodienne fin 1978 début 1979, 7 200 armes tombées aux mains de la guérilla, un camouflet pour les militaires : mais un important lot d’armes fut récupéré par l’armée parce que le cerveau de l’opération avait désobéi à l’ordre de quitter la ville et, une fois arrêté et torturé, indiqua la planque principale[2].

La prise de l’ambassade de la République dominicaine en février 1980, une action spectaculaire au cours de laquelle 16 ambassadeurs furent pris en otage en échange de la libération d’un grand nombre de prisonniers politiques. Aucun prisonnier ne fut libéré, en échange d’une énorme publicité, d’une importante somme d’argent et du transfert des participants à l’opération vers Cuba.

Puis, en 1981, un important groupe de guérilleros cubains a voulu faire des incursions en Colombie. Oubliant la maxime guévariste selon laquelle « un mouvement de guérilla sans le soutien des masses est le prélude à un désastre inévitable », ils tentèrent d’atteindre la région caféière par le Chocó et furent anéantis ; il en fut de même dans le Nariño et le front du Caquetá s’éteignit peu à peu.

Un processus de paix lancé en 1984, qui n’a pas été respecté par les élites politiques et militaires, a tenté d’être relancé après la prise du Palais de Justice de Bogota en novembre 1985. Le fait que les hautes juridictions aient jugé le président Belisario Betancur, avec leurs magistrats en armes dans leurs tribunaux, a violé l’aspect le plus sacré d’un juge : son indépendance. De plus, le président de la Cour suprême n’était pas l’ambassadeur des USA, ce qui signifiait que la plus haute juridiction colombienne n’allait pas répéter ce qui s’était passé à l’ambassade dominicaine cinq ans plus tôt. Le massacre du Palais de justice a marqué un tournant dans le conflit colombien ; les élites ont pris conscience de leur vulnérabilité et ont décidé qu’elles devaient enlever l’eau au poisson comme formule efficace pour anéantir l’insurrection en Colombie : le terrorisme d’État était né.

Après la tragédie du Palais de justice, le M-19 a mené une grande initiative internationaliste : le Bataillon Amérique. Composé de militants de différentes organisations nationales et étrangères, 420 combattants se regroupent en décembre 1985 et mènent une campagne admirable dans la région du Cauca ; plusieurs villages écoutent leurs harangues et leurs fusils, jusqu’au quartier de Pance à Cali. Mais les pertes sont évidentes, la logistique d’une telle force n’est pas aisée, et le Bataillon Amérique s’évapore [3].

C’est alors qu’apparaît la Coordination guérilléra Simón Bolívar (CGSB), précédé par le Coordination guérilléra nationale (CNG). Lors d’un sommet des commandants de la CNG tenu à La Havane à la fin de l’année 1986, Carlos Pizarro fait au gouvernement de Virgilio Barco une proposition de négociation ambitieuse, mais le reste des organisations n’est pas d’accord ; Pizarro déclare qu’ils prendront seuls l’initiative : l’esprit unitaire est mis à mal. Quelque temps plus tard, la CGSB est fondé en 1987 et, lors des premier et deuxième sommets, il est convenu de suivre un scénario similaire en termes de propositions stratégiques ; certaines opérations militaires sont même revendiquées au nom de la CGSB, mais deux mois après le deuxième sommet, le M-19 enlève Álvaro Gómez Hurtado à Bogota, le 29 mai 1988. Gómez était l’intermédiaire idéal pour une proposition de paix du M-19, qui incluait la recette de l’élite : concentration, démobilisation et désarmement du groupe rebelle [4].

Le M-19 a à son actif une dose d’audace et de créativité qu’aucune autre guérilla colombienne n’a jamais eue, ainsi qu’une part de superficialité et d’irresponsabilité dans les actes du Palais de Justice, car ils ont déclenché une réponse qui aurait dû être plus tard accompagnée de plus d’audace, de créativité, de courage et de soutien de la part des autres organisations de guérilla. Elles ne l’ont pas fait. Il aurait pu fusionner avec les FARC ou l’ELN, mais non, il a préféré commencer à négocier : il n’en pouvait plus, car depuis 1986 il se savait défait.

La lutte armée révolutionnaire n’a pas commencé en 1974, avec la fondation du M-19, ni ne s’est terminée en 1990, lorsqu’ils se sont officiellement rendus et ont déposé les armes. Cette organisation a cessé de combattre, a cru à la paix, alors que des dizaines de milliers de Colombiens étaient massacrés de la manière la plus dantesque, que la polarisation brutale qu’ils ont contribué à déclencher était dénoncée par eux dans l’arène législative, presque à la fin d’une époque aussi macabre, et les auteurs intellectuels de ces crimes restent impunis.

Les FARC ont tenu le coup pendant plus de 25 ans après cette époque, l’ELN, avec toutes ses incohérences, est toujours en activité : un peu de modestie et de respect pour ceux qui ont emprunté des chemins si difficiles ferait du bien à l’unité nationale.

3. Petro le messianique : « la gauche ne m’a jamais vraiment soutenu ».

Dans un avertissement énergique aux militants qui se disputent dans  les régions, Petro les compare à des chevaux qui courent dans une course hippique poussés par leur égocentrisme, affirme que ce n’est pas ainsi que l’on construit un leadership et condamne : « Je suis une démonstration de leadership politique, je n’ai pas utilisé de partis politiques, la gauche ne m’a jamais vraiment soutenu [...] j’étais seul avec les gens et avec quelques équipes qui restaient de la politique... » (39:14 à 39:40). Fatal. En d’autres termes, soit le Pacte historique, une coalition de partis, est de droite, soit ils ne l’ont pas soutenu. L’Unión Patriótica-Partido Comunista, le Polo Democrático Alternativo, l’Alianza Democrática Amplia, le Movimiento Alternativo Indígena y Social, le Partido del Trabajo de Colombia, Unida et Todos Somos Colombia, entre autres, doivent être assez pensifs.

Notre président ne se souvient-il pas qu’il a représenté le Polo Democrático Alternativo aux élections présidentielles de 2010, obtenant 1,4 million de voix ? Non, dit-il, « la gauche ne l’a jamais soutenu ».

Le leadership politique ou populaire est une chose, l’organisation du peuple en est une autre. Le M-19 dans sa transhumance guérillera n’a pas appris à organiser les communautés. Le Parti communiste colombien, les FARC, voire l’ELN, en savent un peu long sur comment organiser le peuple...

4. Petro a besoin d’un intellectuel organique pour concevoir les stratégies de l’État

De l’extérieur, le gouvernement est perçu comme étant géré sur la base de cercles d’amis, selon que l’on est plus ou moins ami du président ou d’un certain dignitaire. Cela pose deux problèmes. D’une part, les amis ont tendance à dire à leurs supérieurs ce qu’ils veulent entendre et, d’autre part, en temps de crise, l’amitié cède la place au chacun pour soi.

« Selon Gramsci, les intellectuels sont tous ceux qui interviennent dans la conception et l’organisation des politiques publiques de l’État ». Et ils doivent être organiques dans la mesure où ils doivent être organisés pour que leurs contributions parviennent au bon endroit et au bon moment. L’intellectuel organique doit être comme le miroir, qui ne ment jamais à celui qui est devant lui, et comme son ombre, qui ne le quitte jamais.

Le progressisme authentique tend inexorablement vers la gauche, sinon, surtout en Colombie, il tombera entre les mains des bourreaux du peuple colombien.

5. Par son ingérence dans les affaires vénézuéliennes, Petro fait le jeu de l’Empire et de la droite internationale

Bien que le sujet du Venezuela n’ait pas été abordé dans son discours, il s’agit de quelque chose de capital. Petro a proposé un Front National (alternance de partis pendant un certain temps) et un remake des élections au Venezuela. Le président oublie que le Front national colombien a donné naissance au M-19, dans la mesure où la fraude électorale de 1970 a été l’un des moteurs de cette insurrection. Or, suggérer de refaire des élections, c’est ignorer que le pays voisin dispose d’institutions qui savent compter les voix et de juges pour trancher les différends.

Les recommandations de Petro ont été une mauvaise décision de politique étrangère, et ont laissé en lambeaux l’excellente image du Président au niveau international.

Notes

[1] Nous recommandons le livre d’Alberto Donadio et Silvia Galvis : EL JEFE SUPREMO : Rojas Pinilla en la Violencia y el poder.

[2] Nous recommandons l’ouvrage de Hollman Morris : Operación Ballena Azul.

[3] Villamizar, Darío. Las guerrillas en Colombia. Bogotá : Debate, 2017, pp.. 517-521

[4] Villamizar, Idem. pp. 529, 532-558

NdT

L’Assemblée de Colombia Humana a adopté à l’unanimité la décision de convertir le mouvement Pacto Histórico, qui regroupe 12 partis et mouvements, en parti unitaire dans la perspective des élections de 2026. Certaines composantes du pacte ont exprimé leur désaccord avec cette décision. À suivre


 

 

Nous avons servi dans le camp de concentration de Sde Teiman. Voilà ce que nous avons fait aux Gazaouis détenus
Les témoignages de 8 réservistes israéliens sur la banalisation du mal

Mains et pieds entravés. Yeux bandés. Pas un mouvement. Pas un mot. Et, parfois, des coups violents. Des jours et des semaines s’écoulent ainsi au centre de détention de Sde Teiman pour les “terroristes du Hamas” et les civils palestiniens de Gaza. Les personnes interviewées en savent quelque chose. Elles y ont servi.

Shay Fogelman, Haaretz, 16/8/2024
Dean Teplitsky a participé à la rédaction de ce rapport d’enquête.
Traduit par 
Fausto GiudiceTlaxcala

 

 



 

21/08/2024

We Served on Israel's Sde Teiman Base. Here's What We Did to Gazans Detained There

 

Hands and feet in shackles. Eyes blindfolded. No moving. No talking. And, sometimes, violent beatings. Days upon days, weeks upon weeks pass like this at the Sde Teiman facility for Hamas terrorists and Palestinian civilians from Gaza. These interviewees know. They served there

Shay Fogelman was born in Haifa, Israel, in 1971, raised in Petah Tikva. Graduate of History and Philosophy from Tel Aviv University. Worked as a researcher, cinematographer and script editor in various documentaries. He works as an investigative journalist for Ha'aretz supplement. Editor of Hebrew literature. The documentary CHASING YEHOSHUA (2019) is his latest work.

In the days after the surprise attack on southern Israel on October 7, a total of some 120 Hamas militants, members of the movement's Nukhba military wing and Palestinian civilians from the Gaza Strip were taken into custody in Israel. They were sent to a detention facility specially created on a military police base at the Sde Teiman camp, between the town of Ofakim and Be'er Sheva in the Negev. In the months that followed, more than 4,500 additional inhabitants of the Strip, among them terrorists from various organizations, and civilians, were incarcerated there.

Not long after the facility began to operate, were published in both Israeli and foreign media to the effect that detainees there were being starved, beaten and . It was also alleged that the conditions of detention did not conform to international law. Further allegations were made concerning the treatment at the field hospital set up nearby. Staff testified that detainee-patients were fed through a straw, forced to relieve themselves in a diaper and handcuffed so tightly, for 24 hours a day, that there were a number of cases of amputation of limbs.

Two months ago, it was learned that the Israel Defense Forces was conducting a criminal investigation against soldiers allegedly involved in the death of 36 detainees in the camp. Last month, 10 reservists were arrested there on suspicion of brutal . Regular or reservist soldiers assigned to Sde Teiman are subordinate to the military police, which has ultimate authority over the goings-on there.

In the wake of the many testimonies that surfaced, five human rights organizations petitioned the High Court of Justice, calling for the site to be shut down. In early June, the state announced in response that it intended to transfer most of the detainees to facilities run by the Israel Prison Service and to restore the camp to its original mission "as a facility for temporary, short-term [incarceration] for purposes of interrogation and classification only." In another response to the High Court of Justice earlier this month, the state declared that there were now only 28 detainees in the facility.

Since the war broke out, thousands of Israeli soldiers in regular and reservist forces have served at Sde Teiman. Most were posted there within the framework of a mission with which their unit was tasked. Others volunteered to serve there for a variety of reasons. In recent months, a number of soldiers and medical professionals agreed to talk with Haaretz about their time there. Eight of the testimonies follow, anonymously and in chronological order, from the earliest stint to the most recent.

N., a student from the north, reservist

"I was mobilized with the whole battalion on . We were sent to secure communities in the western Negev, and after two weeks we moved to Be'er Sheva. I was involved in activity not related to the battalion when I saw on the company's WhatsApp group announcements that we had another mission – something new: guard duty at Sde Teiman. It wasn't so clear at first.

"When I got back to my company people were already whispering about the place. Someone asked if I'd heard about what was happening there. Someone else said, 'You know you have to hit people there,' as though he was taunting me and wanted to test my reaction, whether I was a leftist or something like that. There was also a soldier in the company who boasted that he'd beaten people at the facility. He told us that he had gone with a shift officer from the military police and they had beaten one of the detainees with clubs. I was curious about the place, and the stories sounded a little exaggerated to me, so I pretty much volunteered to go there.

"In Sde Teiman we guarded the detainees' lockup. We did 12-hour shifts during the day or night. The battalion's doctors and medics did 24-hour shifts at the field hospital. At the end of each shift we returned to Be'er Sheva to sleep.

"The detainees were in a large hangar with a roof and walls on three sides. Instead of a fourth wall, facing us, there was a fence with a double gate and two locks, like in dog parks. A barbed-wire fence surrounded everything. Our positions were close to the two corners of the fence, at a kind of diagonal, behind concrete blocks in a U shape. A soldier stands at each post, watching the detainees and guarding the military police personnel in charge of operating the place. We did shifts of two hours on, two hours off. If you weren't guarding you could go to the rest area, a kind of tent that had drinks and snacks.

"The inmates sat in eight rows on the ground, with about eight people in each. One hangar held 70 people and the second around 100. The military police told us that they had to sit. They were not allowed to peek out from their blindfolds. They were not allowed to move. They were not allowed to talk. And that if… what they [the military police] said was that if they broke the rules, it was permitted to punish them."

How were they punished?

"For minor things, you could force them to stand in place [for about 30 minutes]. If the person continued to make trouble, or for more serious violations, the military police officer could also take him aside… and beat him with a club."

Do you remember such an incident?

"One time someone took a peek at a female soldier – at least, that's what she claimed… She said he peeked at her from under the blindfold and was doing something under his blanket. The thing is that it was winter and they had 'scabies blankets'… like army issue [rough, coarse blankets]. And they were always scratching underneath. I was at the other post and wasn't looking in that direction. Then she called the officer and told him. The detainee was sitting in the first row and he was like… well, sort of a problematic guy. After all, they're not allowed to talk. It seemed to me that over time, some of them became on edge… unstable. Sometimes they would start to cry, or begin to lose it. He was also one of those, who didn't look very stable.

"When the military police officer arrived, the shawish [a derogatory term with many connotations in Arabic, but used to describe an inmate put in charge of other inmates here] tried to explain to him, 'Listen, it's tough. He's been here for 20 days. He doesn't change clothes and barely ever showers.' Like, the guy tried to mediate for him. But the female soldier said again that he had looked at her. The officer told the shawish to bring the guy to the double gate and to take him outside. In the meantime he [the officer] called another soldier from his company, who was then in the rest area, who was always talking about how he wanted to beat the detainees.

RIFAT KASSIS
Pourquoi le “camp de la paix” israélien a disparu

 Il appartient avant tout aux Israéliens de rejeter l’occupation coloniale, les lois d’apartheid, le gouvernement actuel et les partis nationalistes. L’alternative signifie la perte de leur humanité.

Rifat Kassis, Mondoweiss, 18/8/2024
Traduit par 
Fausto GiudiceTlaxcala

 

Rifat Odeh Kassis, Palestinien chrétien né à Beit Sahour, est coordinateur de Kairos Palestine, le plus vaste mouvement œcuménique chrétien palestinien non violent, qui appelle à la paix pour mettre fin à toutes les souffrances en Terre sainte en œuvrant pour la justice, l’espoir et l’amour. Il a fondé en 1991 la section palestinienne de l’organisation internationale de défense des droits de l’enfant Defence for Children International (DCI) et en a été le président. Meta

Depuis sa création en 1948, Israël a été impliqué dans de nombreuses guerres avec les Palestiniens et certains pays arabes. Historiquement, ces guerres ont suscité des débats en Israël, avec des segments non négligeables de la population exprimant leur inquiétude quant au traitement sévère des Palestiniens et plaidant pour le respect de leurs droits humains. Toutefois, la récente guerre contre Gaza a été marquée par une absence frappante de toute dissidence interne significative ou même de débat timide. Cela soulève une question cruciale : Comment la société israélienne s’est-elle transformée au point que les protestations publiques contre les guerres et les violations des droits humains des Palestiniens ont largement disparu ?

Tout au long de l’histoire d’Israël, il y a eu des occasions d’opposition interne aux actions militaires de l’État. Pendant la guerre du Liban de 1982, le mouvement « La paix maintenant » a organisé des manifestations de masse pour dénoncer l’invasion et l’occupation de certaines parties du Liban. La première Intifada, à la fin des années 1980, a également suscité une opposition importante, certains Israéliens ayant été confrontés aux implications morales de l’occupation militaire et aux mesures sévères prises à l’encontre des Palestiniens. Même pendant la seconde Intifada et les guerres ultérieures contre Gaza, certains groupes de la société israélienne ont protesté activement, appelant à une approche plus humaine et à une solution fondée sur la coexistence de deux États.

 Les forces d’occupation israéliennes bloquent des militants pacifistes palestiniens et israéliens qui manifestent à l’entrée de Huwara, en Cisjordanie, le 3 mars 2023 suite à un premier pogrom commis par des colons. Photo : Mohammed Nasser/APA Images

Mais ces dernières années, lorsqu’il s’agit du traitement des Palestiniens par Israël, cette tradition de dissidence s’est affaiblie et, lors de la guerre contre Gaza, elle a pratiquement disparu. Les voix de protestation, autrefois vibrantes, ont été remplacées par un silence glacial.

Pourquoi ?

1. Un glissement politique vers la droite

L’un des facteurs les plus importants de cette transformation a été le glissement constant vers la droite de la politique israélienne. Au cours des deux dernières décennies, le paysage politique israélien a été de plus en plus dominé par des partis de droite, nationalistes et fascistes. Cette évolution s’est accompagnée d’un durcissement des attitudes à l’égard des Palestiniens et d’une importance croissante accordée à la sécurité personnelle. La montée en puissance de dirigeants comme Benjamin Netanyahou, qui a cultivé une propagande de menace perpétuelle et de danger existentiel, a contribué à créer une atmosphère sociétale dans laquelle la dissidence est considérée non seulement comme malavisée, mais aussi comme une trahison potentielle.

2. Normalisation de la guerre et de l’occupation par les colons

Pour de nombreux Israéliens, l’occupation et les escalades périodiques à Gaza font désormais partie de la vie quotidienne, d’un statu quo accepté. Cette normalisation est aggravée par le fait que de nombreux jeunes Israéliens ont grandi sans rien connaître d’autre, ayant été élevés dans une société où la guerre est une constante. Il en résulte un sentiment de fatalisme et de résignation, le changement étant soit impossible, soit indésirable.

Le traumatisme et la peur persistants générés par des années de conflit ne doivent pas être passés sous silence. De nombreux Israéliens ont fait l’expérience directe de la violence de la guerre et des attaques militaires. Ce sentiment permanent de menace a créé une mentalité d’assiégés, où toute mesure prise au nom de la sécurité est considérée comme justifiée.

3. Érosion des libertés civiles et des normes démocratiques

Ces dernières années, on a assisté à une érosion notable des libertés civiles et des normes démocratiques en Israël. Des lois et des règlements ont été introduits pour étouffer la dissidence et limiter la capacité des organisations à critiquer le gouvernement et ses politiques. L’étiquetage des ONG en tant qu’« agents étrangers », la désignation de certaines d’entre elles comme que factions terroristes, le ciblage des activistes et la suppression de la liberté des médias ont contribué à créer un environnement dans lequel il est de plus en plus difficile et dangereux de protester publiquement. Cette érosion a créé un effet de refroidissement, où ceux qui auraient pu autrefois s’exprimer sont aujourd’hui réduits au silence par peur des répercussions.

4. Évolution de la perception du public et du cadrage des médias

Le cadrage du conflit par les médias israéliens a joué un rôle crucial dans l’évolution de la perception du public. Les médias israéliens et, dans une large mesure, les médias internationaux présentent souvent un récit qui met l’accent sur l’agression palestinienne et minimise ou justifie les agressions israéliennes et les violations du droit international. Ce discours, combiné à une couverture nettement unilatérale de la guerre à Gaza et à la présentation du conflit comme un jeu à somme nulle où toute critique du gouvernement est assimilée à un manque de patriotisme, a rendu difficile l’émergence de voix alternatives. Le résultat est une société où la majorité de la population soutient les actions du gouvernement ou reste indifférente.

5. Tendances mondiales et montée du populisme

La montée mondiale du populisme et de l’autoritarisme a eu un impact sur la société israélienne. Les leaders populistes se nourrissent souvent d’un discours « nous contre eux ». En Israël, cela s’est traduit par un sentiment accru de nationalisme et une diminution de la tolérance à l’égard de la dissidence. L’influence des tendances mondiales, où des dynamiques similaires peuvent être observées dans des pays comme les USA et de nombreux autres pays, a renforcé l’évolution vers une société plus autoritaire et moins tolérante.

6. L’industrialisation de l’Holocauste et de l’antisémitisme

L’exploitation de l’Holocauste et de l’antisémitisme a contribué à réduire au silence les dernières forces progressistes au sein de la société israélienne. En Israël, ces tragédies historiques sont parfois utilisées pour créer un récit qui assimile la critique interne des politiques gouvernementales - en particulier en ce qui concerne le traitement des Palestiniens - à de la déloyauté ou à de la haine de soi, voire à de l’antisémitisme. Cela a créé un climat de peur et d’autocensure, où les voix dissidentes sont marginalisées et où le débat ouvert sur des questions cruciales est étouffé. Le poids émotionnel de l’Holocauste et la menace de l’antisémitisme sont des outils puissants qui peuvent être utilisés pour unifier les Israéliens contre leurs ennemis internes et externes, mais au prix de la suppression du discours critique, de la montée de la cruauté entre les gens et de la perte de leur humanité.

Sur la scène internationale, ce récit est également utilisé pour détourner les critiques des politiques israéliennes en les présentant comme intrinsèquement antisémites ou comme un déni de la souffrance juive. Cette stratégie peut réduire au silence les voix internationales qui cherchent à rendre Israël responsable de ses actes, notamment en ce qui concerne les violations des droits humains commises à l’encontre des Palestiniens. En invoquant l’Holocauste et en lançant l’accusation d’antisémitisme, le gouvernement israélien et ses partisans peuvent décourager l’examen et détourner l’attention des réalités actuelles de la région. Non seulement cette attitude entrave les efforts déployés pour lutter contre le nettoyage ethnique et le génocide en cours, mais elle risque également de confondre critique légitime et sectarisme, compliquant ainsi le discours mondial sur la question israélo-palestinienne.

Tout en reconnaissant ces réalités, les dirigeants mondiaux et les membres informés de la société civile savent que l’avenir des Israéliens et des Palestiniens est inextricablement lié. Nous, chrétiens palestiniens, l’avons exprimé dans le document de Kairos Palestine, Un moment de vérité (2009): «Notre avenir et le leur ne font qu’un : ou bien un cercle de violence dans lequel nous périssons ensemble, ou bien une paix dont nous jouissons ensemble. (4.3) ».

Il appartient en premier lieu aux Israéliens de rejeter l’occupation coloniale, les lois d’apartheid, le gouvernement actuel et les partis nationalistes qui perpétuent le conflit et la division. En reconnaissant le destin commun des deux peuples, les Israéliens devraient prendre position contre les politiques et les pratiques qui violent les droits et les vies des Palestiniens, en reconnaissant que la paix et la justice pour tous est la seule voie vers un avenir sûr et harmonieux. Cette compréhension mutuelle et le rejet de l’oppression sont essentiels pour que les deux peuples puissent prospérer ensemble sur la terre qu’ils considèrent tous deux comme sainte.


La Terre sainte, par Darrin Bell