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25/08/2024

GIDEON LEVY/ALUF BENN
Les véritables motivations et objectifs de Netanyahou

C’est l’idéologie qui motive Netanyahou, pas seulement le pouvoir

Gideon Levy, Haaretz, 25/8/2024
Traduit par  Fausto GiudiceTlaxcala

Peut-être n’avons-nous pas suffisamment dénigré son mode de vie ; en tout cas, il s’en est bien sorti malgré tout ce dénigrement. Mais notez que ses nombreux détracteurs s’abstiennent de l’attaquer sur un point : son idéologie. Pour tous ses détracteurs, il n’a pas d’idéologie, il n’a qu’un désir profond de rester en place, une soif de pouvoir sans limite. Pour eux, les membres de la brigade « tout sauf Bibi », il est un opportuniste creux, dépourvu de toute vision du monde. S’il en a jamais eu une, il l’a vendue il y a longtemps, juste pour rester au pouvoir.

Le rédacteur en chef de Haaretz, Aluf Benn, pense le contraire. Selon lui [voir article ci-dessous], Benjamin Netanyahou a un objectif primordial, et ce n’est pas nécessairement de rester au pouvoir. Netanyahu, dit Benn, se bat pour un objectif bien plus important : l’occupation permanente de la bande de Gaza.

Pour l’atteindre, le premier ministre est prêt à payer un lourd tribut, y compris l’abandon des otages et le risque d’une guerre régionale, à condition qu’Israël contrôle la bande de Gaza pour toujours. Personne n’a jamais analysé les motivations de Netanyahou de cette manière. La question de ses motivations reste cruciale.

La réponse de Benn ne diminue pas la nécessité de combattre Netanyahou, mais elle révèle la pauvreté intellectuelle de ses opposants. Ils ne l’attaquent pas pour son idéologie, mais seulement pour son mode de vie obscène, parce que c’est beaucoup plus commode pour eux.

Il est également facile d’attaquer Netanyahou sur l’échec du 7 octobre en raison de sa responsabilité suprême, mais ce camp s’abstient de le critiquer pour sa vision du monde parce qu’il sait très bien qu’il n’a pas de réelles différences idéologiques avec lui et aucun plan réalisable pour sortir Israël du nadir dans lequel il s’est enfoncé.

De tous les candidats possibles pour remplacer Netanyahou - Yoav Gallant, Benny Gantz, Gadi Eisenkot, Naftali Bennett, Avigdor Lieberman, Gideon Sa’ar, Yossi Cohen et Yair Golan - il n’y en a pas un seul qui soit prêt à libérer tous les prisonniers palestiniens et à se retirer de l’ensemble de la bande de Gaza. En d’autres termes, personne n’est véritablement en faveur de la fin de la guerre et de la libération des otages. Il n’y a personne non plus qui ait l’intention de se retirer un jour dans les frontières d’avant 1967.

Dans ces conditions, ils évitent de critiquer le plan de Netanyahou. Les crimes et les échecs de son gouvernement, qui ont non seulement valu à Israël d’être accusé de génocide, mais l’ont également transformé en un pays du tiers monde pourri, corrompu et dysfonctionnel, sont décourageants. Ce qui est tout aussi décourageant, c’est qu’aucun de ses critiques virulents ne propose quelque chose de différent.

L’idéologie de Netanyahou est bien plus dangereuse que son style de vie flamboyant et sa corruption. Contrairement à ce que pensent ses détracteurs, il a adhéré à son idéologie au fil des ans. Netanyahou n’a jamais cru aux accords avec les Palestiniens. Il est un fervent adepte de la vie par l’épée pour toujours ; il n’a jamais reculé.

Depuis la supercherie transparente et presque avouée du « discours de Bar-Ilan », Netanyahou a agi et prospéré : Il a définitivement écarté la possibilité de créer un État palestinien et a empêché tout engagement en faveur d’autres solutions.

Il n’a jamais cru à une solution diplomatique et est resté fidèle à sa conviction. La prochaine étape est la conquête de Gaza, et le fait d’en faire une occupation permanente ajoute une nouvelle série de briques à son plan visant à « résoudre » la question palestinienne par la seule guerre.

Netanyahou aurait dû être attaqué sans pitié pour cette vision du monde, avant toute autre chose, y compris son mode de vie. C’est ce qui a semé les graines de la destruction du pays, bien avant l’avion Aile de Sion*, son fils Yair, sa femme Sara et les procès pour corruption.

La rénovation sans fin de la maison de Césarée est odieuse, tout comme le traitement des employés de la résidence du Premier ministre, mais le projet de Netanyahou de perpétuer l’apartheid est le plus grand danger posé par le Premier ministre le plus décrié/révéré de l’histoire d’Israël.

Pour cela, pour l’immortalisation de l’apartheid, aucun leader d’un parti sioniste ne peut attaquer Netanyahou : d’Itamar Ben-Gvir à Yair Golan, ils sont tous d’accord avec lui. Et c’est là la véritable cause du désespoir, c’est la plus grande de toutes les raisons de désespérer.

 NdT

* Il s’agit d’un Boeing 767 reconfiguré et modernisé ayant une capacité de 60 passagers, qui a effectué son premier vol en juillet dernier, pour la visite de Netanyahou à Wasington. « Aile de Sion » fait l’objet d’une lutte politique en Israël depuis plusieurs années, Netanyahou et ses partisans affirmant qu’il s’agit d’une mesure de sécurité nécessaire, tandis que ses détracteurs le considèrent comme un gaspillage de l’argent des contribuables et un symbole de corruption. Chaque vol coûte plus de 200 000 dollars.

 


L’objectif de guerre de Netanyahou n’est pas le retour des otages, c’est l’occupation de Gaza

Aluf Benn, Haaretz, 21/8/2024

Aluf Benn, né Bomstein (Ramat HaSharon, 1965) est depuis 2011 rédacteur en chef du quotidien israélien Haaretz, où il travaille depuis 1989. @alufbenn

57 ans d’occupation israélienne en Cisjordanie nous ont appris qu’aucune grande ville juive ne sera érigée demain à Gaza ; l’« occupation rampante » fera avancer caravane après caravane, avant-poste après avant-poste.

Lorsqu’il a annoncé mardi 20 août qu’il torpillait les négociations en vue d’un accord de cessez-le-feu avec le Hamas, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a parlé de « notre défense et de nos atouts stratégiques » - le contrôle des routes de Philadelphie et de Netzarim - qu’Israël perdrait s’il acceptait l’accord actuellement sur la table.

Le discours public en Israël se concentre sur les otages et leur sort, mais Netanyahou les considère comme une nuisance médiatique, un bélier pour ses opposants politiques et une distraction par rapport à l’objectif : une occupation prolongée de la bande de Gaza ou, comme il l’a déclaré à plusieurs reprises depuis le début de la guerre, le « contrôle de la sécurité israélienne ».

Le contrôle de la route de Philadephie et du « corridor de sécurité » le long de la frontière permet à Israël d’encercler les frontières terrestres de Gaza et de l’isoler de l’Égypte. Le contrôle de la route de Netzarim divise en pratique le nord de Gaza, où il ne reste que quelques Palestiniens dont les maisons et les infrastructures ont été détruites, de la partie sud de l’enclave côtière, qui regorge de réfugiés venus de toute la bande de Gaza.

Dans la pratique, un accord à long terme pour le « jour d’après » est en cours d’élaboration. Israël contrôlera le nord de la bande de Gaza et chassera les 300 000 Palestiniens qui s’y trouvent encore. Le général de division (réserviste) Giora Eiland, idéologue de la guerre, propose de les faire mourir de faim ou de les exiler pour vaincre le Hamas. La droite israélienne envisage une colonisation juive de la région, qui présente un vaste potentiel immobilier grâce à une topographie favorable, une vue sur la mer et la proximité du centre d’Israël.

Les 57 années d’occupation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est montrent qu’il s’agit d’un long processus qui exige beaucoup de patience et de capacité de manœuvre diplomatique. Aucune grande ville juive ne sera construite à Gaza demain, mais les progrès se feront acre par acre, mobile home par mobile home, avant-poste par avant-poste - tout comme à Hébron, Elon Moreh et Gilad Farm.

Le sud de la bande de Gaza sera laissé au Hamas, qui devra s’occuper des habitants démunis sous le siège israélien, même lorsque la communauté internationale se désintéressera de l’histoire et passera à d’autres crises. Netanyahou est convaincu qu’après les élections usaméricaines, l’influence des manifestants pro-palestiniens sur la politique usaméricaine diminuera, même si la vice-présidente Kamala Harris l’emporte.

Naturellement, si Donald Trump bouleverse le jeu et revient à la Maison Blanche, Netanyahou s’attend à avoir les coudées franches à Gaza. Dans les deux scénarios, l’USAmérique, avec ses porte-avions, est censée dissuader l’Iran d’une escalade générale, ou s’impliquer elle-même dans une guerre pour sauver Israël.

Ne vous méprenez pas : l’occupation est l’objectif pour lequel Netanyahou se bat, même au prix de la mort des derniers otages et au risque d’une guerre régionale. Les échafaudages qui soutiennent son régime, le ministre de la sécurité nationale Itamar Ben Gvir et le ministre des finances Bezalel Smotrich, resteront en place tant qu’il cherchera, par ses paroles et ses actes, à obtenir une occupation permanente et une annexion rampante de la bande de Gaza.

Lors de la réunion du cabinet de cette semaine, M. Netanyahu a réitéré son slogan de 1996 contre les accords d’Oslo: « Donner et prendre, pas donner et donner ». En termes plus simples : les territoires occupés ne seront pas restitués, même sous la pression internationale et même aujourd’hui, face aux appels des otages. Tel est le but de sa guerre.

 
Brandan Reynolds, Business Day, Afrique du Sud

Jesse W. Lewis Jr.
En 1963 le racisme l‘a empêché d’accéder à l’espace. 61 ans plus tard, il y est parvenu

J’ai interviewé Ed Dwight en 1963, alors qu’il s’apprêtait à devenir le premier astronaute noir, et de nouveau après son triomphe tardif.

Jesse W. Lewis Jr., The Washington Post, 25/8/2024
Traduit par  
Fausto GiudiceTlaxcala

Jesse W. Lewis Jr. (1937) a travaillé pour le Washington Post entre 1962 et 1974, d’abord comme copiste, puis comme reporter, éditorialiste et correspondant étranger, couvrant notamment la guerre du Vietnam et la guerre des Six Jours en 1967. Il a ensuite travaillé dans le corps diplomatique, puis dans la sécurité maritime. En 2009, il a créé Fresh Eye, Clear Lens Productions, qui produit des films documentaires sur l’Afrique du Sud

C’était un mercredi après-midi, le 6 novembre 1963, lorsque j’ai interviewé le capitaine Edward J. Dwight Jr. au Pentagone.

Il avait 30 ans, était pilote de chasse de l’armée de l’air usaméricaine, avec plus de 1 500 heures de vol à son actif, et venait d’être sélectionné comme premier Afro-Américain à suivre une formation d’astronaute.

J’avais 26 ans et j’étais jeune reporter au Washington Post. Comme j’étais l’un des quatre journalistes noirs du Post à l’époque, j’ai été chargé de couvrir l’événement. De plus, les rédacteurs en chef connaissaient mon intérêt - et mon expérience - pour l’aviation.

Le journaliste du Washington Post Jesse Lewis interviewe le capitaine Edward J. Dwight Jr. au Pentagone le 6 novembre 1963, alors que Dwight devait devenir le premier astronaute noir. Il est finalement allé dans l’espace cette année. Photo : Ed Dwight et Armée de l’air US

À l’époque, l’USAmérique était différente.

En 1955, à l’âge de 17 ans, j’ai volé en solo sur un Piper J-3 Cub. Mais pour voler en solo et obtenir plus tard une licence d’élève-pilote, je devais passer un examen médical, y compris un test de vision, auprès d’un médecin agréé par l’Agence fédérale de l’aviation (FAA). Le seul médecin agréé par la FAA à Wichita Falls, au Texas, où je vivais à l’époque, était blanc, et je devais emprunter la porte arrière de la ruelle pour entrer dans son cabinet.

En 1963, le Post avait coutume d’affecter des journalistes noirs à la couverture de l’actualité noire, y compris l’importance croissante de la lutte pour les droits civiques - et maintenant la nouvelle du premier astronaute noir stagiaire au monde.

Il s’agissait d’une assignation marquante pour le jeune reporter que j’étais, notamment en raison de l’intérêt que je portais depuis toujours à l’aviation.

Après la publication de l’article, j’ai perdu la trace de Dwight. Il avait été confronté à un racisme flagrant dans le cadre du programme de formation et, moins de trois semaines après notre entretien, il a perdu son protecteur dans le bureau ovale lorsque le président John F. Kennedy a été assassiné. Il est rapidement « désélectionné » du programme et démissionne de l’armée de l’air en 1966. Il devient sculpteur et historien.

 L'équipe du NS-25. De gauche à droite : Gopi Thotakura, Mason Angel, Carol Schaller, Ed Dwight, Ken Hess et Sylvain Chiron

Et voilà que, 61 ans après avoir été sélectionné pour s’entraîner à quitter l’orbite terrestre, il est finalement allé dans l’espace à bord de la capsule New Shepard-25 de Blue Origin le 19 mai, devenant ainsi, à 90 ans, la personne la plus âgée à avoir jamais quitté l’atmosphère de la planète.

Ed Dwight a été le premier stagiaire noir du programme spatial Apollo. Il est ensuite devenu sculpteur. Photo Matthew Staver pour le Washington Post

« Je me suis vraiment senti bien », m’a dit Ed Dwight lors d’un entretien téléphonique. C’était notre première conversation depuis un bref entretien en 2019, après qu’une photo de nous deux ensemble après notre rencontre de 1963 avait été diffusée dans un documentaire de PBS sur le 50e  anniversaire du module lunaire Eagle d’Apollo 11, le 20 juillet 1969.

« Le voyage à bord de la capsule Blue Origin a comblé mon imagination [...] en décollant et en étant capable de regarder la Terre depuis le bord de l’espace », m’a-t-il dit. « C’était absolument fantastique ».

Il a ajouté : « ça faisait longtemps qu’on attendait ça».

La race et la course à l’espace*

Alors que la course à l’espace battait son plein en 1963, les défenseurs des droits civiques ont convaincu Kennedy que les Noirs usaméricains devaient jouer un rôle visible dans le programme spatial. Leurs efforts ont abouti à la sélection de Dwight, qui s’est faite en fanfare.

Mais elle a été critiquée par certains officiers supérieurs de l’armée de l’air.

« C’était décevant », dit Dwight, « et tellement mesquin ».

Le colonel Charles « Chuck » Yeager, qui a franchi le mur du son en 1947, s’est vivement opposé à la participation de Dwight au programme. Dans son autobiographie, Yeager écrit que Dwight « n’était pas un mauvais pilote, mais il n’était pas non plus exceptionnellement doué. En volant avec un bon groupe dans un escadron, il pouvait probablement s’en sortir. Mais il ne pouvait tout simplement pas rivaliser, dans le cadre du programme spatial, avec les meilleurs pilotes d’essai militaires expérimentés ».

Plus douloureux encore pour Dwight, sa sélection n’a pas été bien accueillie par certains membres des Tuskegee Airmen, la célèbre unité entièrement noire de l’armée de l’air usaméricaine qui s’était distinguée au combat pendant la Seconde Guerre mondiale. Dix-huit ans après la fin de la guerre, les premiers Tuskegee Airmen avaient dépassé la limite d’âge de 30 ans pour la formation d’astronaute, mais certains n’appréciaient toujours pas d’avoir été écartés.

« Cela a été particulièrement pénible parce que la NASA et le Pentagone ont activement encouragé ma sélection, mais je n’ai pas reçu le même enthousiasme de la part des anciens Tuskegee Airmen », dit Dwight.

Et d’ajouter : « J’ai été assailli de lettres de leur part me demandant : “Qui êtes-vous ?”. J’étais le premier de ma classe à voler en solo. J’avais accumulé 1 500 heures de vol sur des avions à réaction. Voilà qui j’étais ».

Il se souvient : « J’ai rencontré de nombreux sénateurs usaméricains, dont [le ségrégationniste convaincu] Strom Thurmond, et des membres de la Chambre des représentants - tous m’ont tapoté le dos et m’ont souhaité bonne chance ».

Mais il précise que Benjamin O. Davis Jr, alors major général et directeur des effectifs et de l’organisation de l’armée de l’air et ancien commandant des Tuskegee Airmen, a refusé de le rencontrer.

Dwight m’a dit que la NASA et le département d’État avaient largement diffusé mon article de 1963, ainsi qu’une photo de moi en train d’interviewer Dwight, auprès des ambassades usaméricaines à l’étranger et des ambassades étrangères à Washington, afin de montrer que les Afro-Américains faisaient partie du programme spatial usaméricain et pour contrer les préjugés raciaux omniprésents. La photo et l’article ont contribué à réduire la vandalisation des stations de repérage à l’étranger, en Afrique et en Asie, a déclaré M. Dwight.

Aujourd’hui, les Afro-USAméricains participent régulièrement au programme spatial, en tant que pilotes et spécialistes de mission, et occupent des postes de direction.

De 2009 à 2017, l’administrateur de la NASA était Charles F. Bolden Jr, un Afro-USAméricain retraité du corps des Marines, pilote de chasse et astronaute ayant participé à quatre vols spatiaux. Bolden, ainsi que d’autres astronautes noirs, ont été honorés pour leur participation au programme spatial usaméricain lors d’une cérémonie organisée au Smithsonian’s Udvar-Hazy Center à Chantilly, en Virginie, le 27 juillet. Dwight avait été invité, mais des problèmes médicaux l’ont empêché d’y assister.

Un « dédommagement » après une brillante carrière

Après avoir quitté l’armée de l’air en 1966, Dwight, encore âgé d’une trentaine d’années, a travaillé dans l’immobilier et a tenu un restaurant de grillades, entre autres. Il a également créé des œuvres d’art à partir de ferraille et a ravivé son intérêt pour l’histoire des Noirs.

George L. Brown, le premier gouverneur noir du Colorado, lui a commandé une statue pour le Capitole de l’État en 1974. Quatre ans plus tard, Brown lui a commandé une statue à son effigie.

Dwight a également créé une statue de Frederick Douglass qui est exposée dans la maison historique de l’abolitionniste à Anacostia, dans le sud-est de Washington.

Depuis, Dwight a créé de nombreuses autres sculptures qui ornent des espaces publics à travers les USA. Au total, il y a 128 œuvres publiques et à grande échelle, ainsi que des œuvres de galerie plus petites. Dans la région de Washington, on peut citer le Kunta Kinte-Alex Haley Memorial, qui montre Haley, l’auteur de « Roots », lisant à trois enfants, sur le quai de la ville d’Annapolis, et une sculpture intitulée « Black Madonna », exposée dans la chapelle Our Mother of Africa de la basilique du sanctuaire national de l’Immaculée Conception, sur le campus de l’université catholique.

Son buste d’A. Philip Randolph, qui a dirigé la Fraternité des porteurs de wagons-lits, le premier syndicat afro-usaméricain couronné de succès, normalement exposé dans le hall de l’Union Station à New-York, est en cours de réparation après avoir été endommagé par des actes de vandalisme.

Dwight a déclaré que sa vie riche et variée - pilote, historien et sculpteur - ne se serait pas déroulée de cette manière s’il n’avait pas été désélectionné du programme d’entraînement des astronautes.

Bien qu’il garde en mémoire la façon dont il a été traité en 1963, son récent voyage dans l’espace a jeté un nouvel éclairage sur son passé.

« Aujourd’hui, je me sens dédommagé et j’éprouve un sentiment de justice après que diverses choses - des forces des ténèbres - ont été mises en travers de mon chemin », dit-il. « Aujourd’hui, j’ai bouclé la boucle et, avec le recul, j’ai ouvert le débat sur la présence des Noirs usaméricains dans l’espace. J’ai contribué à mettre cette question sur la table ».

NdT

*L’original, “Race and the space race”, est un jeu de mots sur le double sens du mot race en anglais (race et course)

 


 

24/08/2024

ARI SHAVIT
La survie du plus fort, un entretien avec Benny Morris (2004)
Une plongée dans la psycopathie sioniste


 Ari Shavit, Haaretz, 8/1/2004
Traduit et présenté par  
Fausto GiudiceTlaxcala

Ari Shavit (Rehovot, 1957) a été journaliste au quotidien Haaretz de 1995 à 2016, quand il a quitté le journal suite à des accusations de harcèlement sexuel de la part d’une consœur usaméricaine rencontrée à Los Angeles. Il lui a présenté des excuses publiques et privées et a disparu de la vie publique pendant 2 ans. En 2018, dans un entretien avec la juriste Orit Kamir, auteure de la loi isrélienne sur le harcèlement sexuel, il déclare : « J’ai réalisé que j’avais été aveugle au pouvoir que j’avais en tant qu’homme blanc privilégié ». Il est l’auteur du livre à succès Ma terre promise (JC Lattès, 2015)

Benny Morris (Kibboutz Ein HaHoresh, 1948) est un historiographe israélien qui a ouvert la voie à ceux qu’il a appelé les « nouveaux historiens » israéliens, lesquels ont, chacun à sa manière, remis en cause par leurs travaux le narratif sioniste. À la différence d’Ilan Pappé -contraint à l’exil en Grande-Bretagne en 2007 -, et avec lequel il a polémiqué sur la nature exacte de la Nakba de 1948, Morris est resté sioniste, malgré la longue liste de crimes commis par les sionistes tout au long de l’histoire de l’État d’Israël, qu’il a étudié et en partie mis au jour. Son itinéraire et son discours sont emblématiques de l’implosion de la gauche israélienne, qui s’est fait hara kiri depuis un bon quart de siècle, retournant “à la maison”. De lui on peut lire en français Victimes : Histoire revisitée du conflit arabo-sioniste (Complexe/INHTP, 2003, 852 pp.) [voir à la fin de l’article]. L’entretien ci-dessous a fait sensation lors de sa parution il y a 20 ans et apporte une perspective effrayante sur le génocide en cours à Gaza. Ce que dit Morris en 2004, Netanayahou & Co. le font en 2024. Plongée dans la psychopathie sioniste, qui n’a fait que s’aggraver depuis lors. Accrochez-vous, ça va secouer !

Benny Morris affirme qu’il a toujours été sioniste. Les gens se sont trompés en le qualifiant de post-sioniste, en pensant que son étude historique sur la naissance du problème des réfugiés palestiniens avait pour but d’affaiblir l’entreprise sioniste. C’est absurde, dit Morris, c’est totalement infondé. Certains lecteurs ont simplement mal lu le livre. Ils ne l’ont pas lu avec le même détachement, la même neutralité morale que celui qui l’a écrit. Ils sont donc arrivés à la conclusion erronée que lorsque Morris décrit les actes les plus cruels perpétrés par le mouvement sioniste en 1948, il les condamne, que lorsqu’il décrit les opérations d’expulsion à grande échelle, il les dénonce. Ils ne concevaient pas que le grand documenteur des péchés du sionisme s’identifie en fait à ces péchés. Qu’il pense que certains d’entre eux, au moins, étaient inévitables.

Il y a deux ans, des voix différentes ont commencé à se faire entendre. L’historien considéré comme un gauchiste radical a soudain affirmé qu’Israël n’avait personne à qui parler. Le chercheur accusé de haïr Israël (et boycotté par l’establishment universitaire israélien) a commencé à publier des articles en faveur d’Israël dans le journal britannique The Guardian.

Alors que le citoyen Morris s’est avéré être une colombe pas tout à fait blanche comme neige, l’historien Morris a continué à travailler sur la traduction en hébreu de son énorme ouvrage « Righteous Victims : A History of the Zionist-Arab Conflict, 1881-2001 », écrit dans l’ancien style de la recherche de la paix. Dans le même temps, l’historien Morris a achevé la nouvelle version de son livre sur le problème des réfugiés, qui va renforcer les mains de ceux qui abominent Israël. Ainsi, au cours des deux dernières années, le citoyen Morris et l’historien Morris ont travaillé comme s’il n’y avait aucun lien entre eux, comme si l’un essayait de sauver ce que l’autre s’obstinait à éradiquer.

Les deux livres paraîtront le mois prochain. Le livre sur l’histoire du conflit sioniste-arabe sera publié en hébreu par Am Oved à Tel Aviv, tandis que Cambridge University Press publiera « The Birth of the Palestinian Refugee Problem Revisited » (il a été publié à l’origine, chez CUP, en 1987). Ce livre décrit avec une précision effrayante les atrocités de la Nakba. Morris n’est-il pas effrayé par les implications politiques actuelles de son étude historique ? Ne craint-il pas d’avoir contribué à faire d’Israël un État presque paria ? Après quelques instants de dérobade, Morris admet que oui. Parfois, il est vraiment effrayé. Parfois, il se demande ce qu’il a fait.

Il est petit, rondouillard et très intense. Fils d’immigrants anglais, il est né au kibboutz Ein Hahoresh et a été membre du mouvement de jeunesse de gauche Hashomer Hatza’ir. Dans le passé, il a été journaliste au Jerusalem Post et a refusé de faire son service militaire dans les territoires occupés depuis 1967. Il est aujourd’hui professeur d’histoire à l’université Ben-Gourion du Néguev, à Be’er Sheva. Mais assis dans son fauteuil, dans son appartement de Jérusalem, il n’endosse pas le costume de l’universitaire prudent. Loin de là : Morris crache ses mots, rapidement et énergiquement, débordant parfois sur l’anglais. Il ne réfléchit pas à deux fois avant de lancer les déclarations les plus tranchantes et les plus choquantes, qui sont loin d’être politiquement correctes. Il décrit avec désinvolture des crimes de guerre horribles, peint des visions apocalyptiques le sourire aux lèvres. Il donne à l’observateur le sentiment que cet individu agité, qui a ouvert de ses propres mains la boîte de Pandore sioniste, a encore du mal à faire face à ce qu’il y a trouvé, à gérer les contradictions internes qui sont son lot et notre lot à tous.

Viol, massacre, transfert

Benny Morris, la nouvelle version de votre livre sur la naissance du problème des réfugiés palestiniens doit être publiée dans le mois qui vient. Qui sera le moins satisfait de ce livre : les Israéliens ou les Palestiniens ?

« Le livre révisé est une arme à double tranchant. Il s’appuie sur de nombreux documents qui n’étaient pas à ma disposition lorsque j’ai écrit le livre original, la plupart d’entre eux provenant des archives des forces de défense israéliennes. Ces nouveaux documents montrent que les massacres perpétrés par les Israéliens ont été beaucoup plus nombreux que je ne l’avais pensé. À ma grande surprise, il y a également eu de nombreux cas de viols. Au cours des mois d’avril et de mai 1948, des unités de la Haganah [la force de “défense” d’avant la création de l’État, précurseur des FDI] ont reçu des ordres opérationnels indiquant explicitement qu’elles devaient déraciner les villageois, les expulser et détruire les villages eux-mêmes.

« En même temps, il s’est avéré qu’il y avait une série d’ordres émis par le Haut Comité arabe et par les niveaux intermédiaires palestiniens pour retirer les enfants, les femmes et les personnes âgées des villages. Ainsi, d’une part, le livre renforce l’accusation portée contre la partie sioniste, mais d’autre part, il prouve également que beaucoup de ceux qui ont quitté les villages l’ont fait avec l’encouragement de la direction palestinienne elle-même. »

Selon vos nouvelles conclusions, combien de cas de viols israéliens ont été recensés en 1948 ?

« Une douzaine. À Acre, quatre soldats ont violé une jeune fille et l’ont assassinée, ainsi que son père. À Jaffa, des soldats de la brigade Kiryati ont violé une fille et tenté d’en violer plusieurs autres. À Hunin, en Galilée, deux filles ont été violées puis assassinées. Il y a eu un ou deux cas de viol à Tantura, au sud de Haïfa. Il y a eu un cas de viol à Qula, dans le centre du pays. Dans le village d’Abu Shusha, près du kibboutz Gezer [dans la région de Ramle], il y avait quatre prisonnières, dont l’une a été violée à plusieurs reprises. Et il y a eu d’autres cas. En général, plus d’un soldat était impliqué. En général, il y avait une ou deux filles palestiniennes. Dans une grande partie des cas, l’acte s’est terminé par un meurtre. Étant donné que ni les victimes ni les violeurs n’aimaient rapporter ces événements, nous devons supposer que la douzaine de cas de viols qui ont été rapportés et que j’ai trouvés ne représentent pas toute l’histoire. Ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg ».

Selon vos conclusions, combien d’actes de massacre israéliens ont été perpétrés en 1948 ?

« Vingt-quatre. Dans certains cas, quatre ou cinq personnes ont été exécutées, dans d’autres, le nombre était de 70, 80, 100. Il y a également eu beaucoup d’exécutions arbitraires. Deux vieillards sont aperçus en train de marcher dans un champ - ils sont abattus. Une femme est trouvée dans un village abandonné - elle est abattue. Il y a des cas comme celui du village de Dawayima [dans la région d’Hébron], où une colonne est entrée dans le village avec tous les fusils et a tué tout ce qui bougeait.

« Les cas les plus graves sont ceux de Saliha (70-80 tués), Deir Yassin (100-110), Lod (250), Dawayima (des centaines) et peut-être Abu Shusha (70). Il n’y a pas de preuve sans équivoque d’un massacre à grande échelle à Tantura, mais des crimes de guerre y ont été perpétrés [cela fera l’objet d’une polémique avec Ilan Pappé, qui avait soutenu le travail d’enquête de Teddy Katz, NdT]. A Jaffa, il y a eu un massacre dont on ne savait rien jusqu’à présent. Il en va de même à Arab al Muwassi, dans le nord. Environ la moitié des actes de massacre ont été commis dans le cadre de l’opération Hiram [dans le nord, en octobre 1948] : à Safsaf, Saliha, Jish, Eilaboun, Arab al Muwasi, Deir al Asad, Majdal Krum, Sasa. Lors de l’opération Hiram, il y a eu une concentration inhabituellement élevée d’exécutions de personnes contre un mur ou à côté d’un puits, de manière ordonnée.

« Ce n’est pas un hasard. C’est un modèle. Apparemment, les différents officiers qui ont participé à l’opération ont compris que l’ordre d’expulsion qu’ils avaient reçu leur permettait d’accomplir ces actes afin d’encourager la population à prendre la route. Le fait est que personne n’a été puni pour ces actes de meurtre. Ben-Gourion a étouffé l’affaire. Il a couvert les officiers qui ont commis les massacres ».

Ce que vous me dites ici, comme si c’était en passant, c’est que dans l’opération Hiram, il y avait un ordre d’expulsion complet et explicite. Est-ce exact ?

« Oui. L’une des révélations du livre est que le 31 octobre 1948, le commandant du front nord, Moshe Carmel, a ordonné par écrit à ses unités d’accélérer l’expulsion de la population arabe. Carmel a pris cette mesure immédiatement après une visite de Ben-Gourion au Commandement du Nord à Nazareth. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que cet ordre émane de Ben-Gourion. Tout comme l’ordre d’expulsion de la ville de Lod, signé par Yitzhak Rabin, a été émis immédiatement après la visite de Ben-Gourion au quartier général de l’opération Dani [juillet 1948]. »

Êtes-vous en train de dire que Ben-Gourion était personnellement responsable d’une politique délibérée et systématique d’expulsion massive ?

« A partir d’avril 1948, Ben-Gourion projette un message de transfert. Il n’y a pas d’ordre explicite écrit de sa part, il n’y a pas de politique globale ordonnée, mais il y a une atmosphère de transfert [de population]. L’idée du transfert est dans l’air. L’ensemble des dirigeants comprend qu’il s’agit de l’idée. Le corps des officiers comprend ce qu’on attend d’eux. Sous Ben-Gourion, un consensus sur le transfert est créé ».

Ben-Gourion était un « transfériste » ?

« Bien sûr. Ben-Gourion était un transfériste. Il avait compris qu’il ne pouvait y avoir d’État juif avec une minorité arabe importante et hostile en son sein. Un tel État n’existerait pas. Il n’aurait pas pu exister.

Je ne vous entends pas le condamner.

« Ben-Gourion avait raison. S’il n’avait pas fait ce qu’il a fait, un État n’aurait pas vu le jour. Cela doit être clair. Il est impossible de l’éluder. Sans le déracinement des Palestiniens, un État juif n’aurait pas vu le jour ici ».

Quand le nettoyage ethnique est justifié

Benny Morris, depuis des décennies, vous faites des recherches sur la face cachée du sionisme. Vous êtes un expert des atrocités commises en 1948. En fin de compte, justifiez-vous tout cela ? Êtes-vous un défenseur du transfert de 1948 ?

« Il n’y a aucune justification pour les actes de viol. Rien ne justifie les actes de massacre. Ce sont des crimes de guerre. Mais dans certaines conditions, l’expulsion n’est pas un crime de guerre. Je ne pense pas que les expulsions de 1948 aient été des crimes de guerre. On ne peut pas faire une omelette sans casser des œufs. Il faut se salir les mains ».

Nous parlons du meurtre de milliers de personnes, de la destruction d’une société entière.

« Une société qui veut vous tuer vous oblige à la détruire. Quand on a le choix entre détruire ou être détruit, il vaut mieux détruire. »

Le calme avec lequel vous dites cela a quelque chose d’effrayant.

« Si vous vous attendiez à ce que j’éclate en sanglots, je suis désolé de vous décevoir. Je ne le ferai pas. »

Ainsi, lorsque les commandants de l’opération Dani observent la longue et terrible colonne des 50 000 personnes expulsées de Lod qui se dirigent vers l’est, vous vous tenez à leurs côtés ? Vous les justifiez ?

« Je les comprends tout à fait. Je comprends leurs motivations. Je ne pense pas qu’ils aient eu de remords de conscience, et à leur place, je n’aurais pas eu de remords de conscience. Sans cet acte, ils n’auraient pas gagné la guerre et l’État n’aurait pas vu le jour. »

Vous ne les condamnez pas moralement ?

« Non.

Ils ont perpétré un nettoyage ethnique.

« Il y a des circonstances dans l’histoire qui justifient le nettoyage ethnique. Je sais que ce terme est complètement négatif dans le narratif du XXIe  siècle, mais quand le choix est entre le nettoyage ethnique et le génocide - l’anéantissement de votre peuple - je préfère le nettoyage ethnique. »

Et c’était la situation en 1948 ?

« C’était la situation. C’est ce à quoi le sionisme a été confronté. Un État juif n’aurait pas vu le jour sans le déracinement de 700 000 Palestiniens. Il était donc nécessaire de les déraciner. Il n’y avait pas d’autre choix que d’expulser cette population. Il fallait nettoyer l’arrière-pays, les zones frontalières et les routes principales. Il fallait nettoyer les villages d’où l’on tirait sur nos convois et nos campements ».

Le terme « nettoyer » est terrible.

« Je sais que cela ne sonne pas bien, mais c’est le terme qu’ils utilisaient à l’époque. Je l’ai adopté à partir de tous les documents de 1948 dans lesquels je suis plongé ».

Ce que vous dites est difficile à écouter et à digérer. Vous semblez avoir le cœur dur.

BENNY MORRIS
Netanyahou n’est pas Churchill : on se souviendra de lui comme du pire Premier ministre d’Israël

L’histoire prendra Bibi à partie, écrit le célèbre historiographe israélien, fort soucieux de l’avenir du sionisme, dont le destin s’inscrit pourtant désormais en lettres de feu à l’horizon : “NO FUTURE”, avec ou sans Bibi.

Benny Morris, Haaretz, 23/8/2024
Traduit par 
Fausto GiudiceTlaxcala

 

Lors d’une interview sur Canal 12 à la mi-juillet, le chef du Conseil national de sécurité, Tzachi Hanegbi, qui par le passé donnait l’impression d’être une personne intelligente, a déclaré : « Netanyahou entrera dans l’histoire comme quelqu’un qui a réussi à renforcer Israël. » Dans le contexte de ce qui est arrivé à Israël le 7 octobre et de ses conséquences, le commentaire de Hanegbi semble grotesque. Il s’agit d’une flatterie sans fondement et illogique.

Je pense savoir quelque chose sur l’écriture de l’histoire, et je n’ai aucun doute que Benjamin Netanyahou sera dépeint dans les livres d’histoire qui seront écrits dans les décennies à venir comme le pire Premier ministre d’Israël. On peut raisonnablement supposer qu’il aspire depuis des mois à remporter la fameuse « victoire totale » sur le Hamas, ne serait-ce que pour « mériter » une bonne place dans l’histoire de notre peuple. Mais même s’il y a une victoire « totale » sur le Hamas, je ne crois pas que cela changera fondamentalement le jugement de l’histoire. Les stigmates du 7 octobre - et oui, aussi les étiquettes des bouteilles de champagne, c’est-à-dire l’odeur de la corruption - lui colleront à la peau pour toujours.

Un Israël renforcé ? Israël est aujourd’hui faible et est perçu comme tel par ses ennemis, malgré le stock de bombes dans les sous-sols, malgré ses divisions blindées et ses légendaires unités d’opérations spéciales. Le principal responsable de cette situation est le premier ministre des 15 dernières années (avec une interruption d’environ un an et demi en 2021-2022). Depuis plus de 10 mois, Israël, avec une armée d’un demi-million de soldats, n’a pas réussi à éradiquer une organisation terroriste de 30 000 combattants équipés principalement de fusils d’assaut, de lanceurs RPG et de missiles antichars dans une zone géographique minuscule (et je suis conscient des réalités urbaines complexes de la bande de Gaza et du labyrinthe de tunnels pour lesquels Israël n’a pas trouvé de solution rapide et efficace).

Et Israël n’ose pas frapper sérieusement le Hezbollah, qui déverse quotidiennement une pluie de roquettes, de missiles et de drones sur les colonies du nord d’Israël, ni s’attaquer à l’Iran, qui orchestre depuis plus de 10 mois l’offensive multi-arènes contre notre pays. Israël est fort ?

Netanyahou mentionne fréquemment le premier ministre britannique de la Seconde Guerre mondiale, Winston Churchill, et aime se faire photographier avec des livres qui lui sont consacrés. Implicitement, au moins, il se compare à ce noble Rosbif.

Mais aucune comparaison n’est plus ridicule. Churchill était un leader, audacieux et chaleureux, qui a eu la clairvoyance de reconnaître le danger qui menaçait son pays et qui a été capable, en fin de compte, d’unir son peuple face à la menace nazie*. Contrairement à Churchill, Netanyahou, malgré les avertissements continus des chefs de l’establishment de la défense, n’a pas réussi à identifier la menace sécuritaire à laquelle Israël est confronté et, au cours des deux dernières années, il a également réussi à diviser profondément les Israéliens en s’efforçant de saper les institutions démocratiques du pays et en procédant à diverses manipulations liées au déroulement de la guerre et au problème des otages israéliens retenus à Gaza.

Un Churchill est capable de décider et d’agir résolument face à des problèmes dramatiques. Netanyahou, en revanche, excelle depuis des années dans l’hésitation et la procrastination - certains diraient par lâcheté - qu’il a su, avec beaucoup d’habileté, faire passer auprès de ses partisans ignorants pour du discernement et de la sagesse. Au début de la guerre de Gaza - à laquelle il a donné le nom particulier d’« épées de fer » (un nom qui sera oublié au fil des ans, tout comme a été oublié le nom d’« opération Paix en Galilée », nom que le prédécesseur de Netanyahou à la tête de la droite, Menahem Begin, avait donné à la guerre du Liban en 1982) - Netanyahou a repoussé à plusieurs reprises l’étape de l’invasion terrestre de Gaza et a rejeté la proposition du ministre de la défense du 12 octobre de lancer une attaque préemptive massive contre le Hezbollah. Il a agi de la même manière lors des précédents combats contre le Hamas.

En effet, Netanyahou reporte la décision concernant le Hezbollah depuis 10 mois et plus. Et tout au long de ses années en tant que Premier ministre, il a reporté à plusieurs reprises une décision concernant le projet nucléaire iranien, qui semble aujourd’hui sur le point d’être achevé. En outre, tout au long de son mandat, Netanyahou a évité de prendre une décision sur l’avenir de la Cisjordanie. Il n’est pas allé de l’avant avec l’annexion, alors qu’en même temps, il a toujours opposé son veto à la voie de la séparation d’avec les Palestiniens dans le cadre d’une paix fondée sur deux États pour les deux peuples. Il s’est abstenu et a reporté, reporté et reporté. « Irrésolu » pourrait être le deuxième prénom de Netanyahou.

Au cours de sa longue carrière, Churchill a souvent été un personnage controversé et, en tant que ministre du gouvernement britannique, il a pris des mesures qui ont suscité l’opposition de divers milieux (le débarquement de Gallipoli pendant la Première Guerre mondiale, la répression de la grève générale en Grande-Bretagne en 1926). Mais il est resté une figure appréciée du grand public et, en 1940, il a uni sa nation autour d’un objectif sinistre et noble.

Contrairement à Churchill, Netanyahou, tout au long de sa carrière, a excellé dans l’incitation et la division. Il a incité simultanément contre les libéraux et contre Yitzhak Rabin, contre les Israéliens laïques et contre la gauche (« Ils ont oublié ce que c’est que d’être juif ») et a lancé les Sépharades contre les Ashkénazes. Inciter et diviser, inciter et diviser, tel a été son mode opératoire constant. Un ancien premier ministre du Likoud, Yitzhak Shamir, a qualifié à juste titre Netanyahou d’« ange du sabotage ». Actuellement, Netanyahou et ses laquais sont occupés à inciter les chefs de l’establishment de la défense (c’est-à-dire les chefs des Forces de défense israéliennes, du Mossad et du service de sécurité Shin Bet) et les familles des otages de Gaza ; il y a un an, il a incité contre le système judiciaire et les forces de l’ordre - tout cela au service de ses besoins personnels, à savoir continuer à gouverner et ne pas aller en prison.

Churchill, 1940

Il existe d’autres différences majeures entre Netanyahou et Churchill. Ce dernier, par exemple, avait un esprit vif et se moquait parfois de lui-même. Je ne me souviens pas que Netanyahou ait jamais ri, en tout cas pas de lui-même, et ses (rares) sourires traduisent généralement le mépris pour les autres. La comparaison avec Churchill tombe également à plat lorsqu’il s’agit des compétences linguistiques en anglais. Churchill avait une rare maîtrise de la langue et a su l’utiliser efficacement pour mobiliser son peuple et obtenir un soutien extérieur pour la Grande-Bretagne dans les moments les plus difficiles. Il a réussi à consolider l’alliance anglo-usaméricaine.

23/08/2024

AIDA ALAMI
Somali·es et USAméricain·es : portrait d’une communauté du Minnesota

Le Minnesota compte la plus grande communauté de personnes originaires de Somalie aux USA : elles étaient 86 610 en 2023, dont 37 048 nées en Somalie. La plus célèbre est sans doute Ilhan Omar, élue au Congrès pour le 5ème district en 2018 et qui vient de remporter les primaires démocrates pour les prochaines élections face à Don Samuels, soutenu et financé par le lobby israélien. Née à Mogadiscio en 1982, Ilhan fait partie du noyau initial de “The Squad”, “l’équipe” des 4 députées progressistes de choc démocrates, avec la Palestinienne Rashida Tlaib, la Latina Alexandria Ocasio-Cortez et l’Afro-Usaméricaine Ayanna Pressley, rejointes par 5 autres membres du Congrès. Ilhan a été la première congressiste d’origine somalienne et la première porteuse de hijab élue au Congrès (l’interdiction qui y prévalait a été abrogée en son honneur). Elle dénonce le génocide en cours à Gaza et est une partisane résolue du mouvement de boycott d’Israël. Ci-dessous un portrait de la communauté somalienne du Minnesota, dont le gouverneur est le candidat à la vice-présidence Tim Waltz. Ce reportage a été réalisé avec le soutien du programme Round Earth Media de l’International Women’s Media Foundation.-FG

Aida Alami, The New York Review of Books, 2/7/2019
Photos Paul Middlestaedt
Traduit par 
Fausto GiudiceTlaxcala

Aida Alami est née à Fès, a grandi à Marrakech et a émigré à New York à l’âge de 18 ans. Elle est journaliste marocaine indépendante et collabore régulièrement, entre autres, à la New York Review of Books, au New York Times et à la BBC.
Elle a contribué à l’anthologie Our Women on the Ground : Essays by Arab Women Reporting from the Arab World. Elle est professeure invitée à l’École de journalisme de Columbia (New York), où elle a obtenu son diplôme @AidaAlami

Fondée par des colons européens au XIXe siècle, cette ville était autrefois appelée « White Cloud » (nuage blanc). Mais aujourd’hui, cette ville de 68 000 habitants a vu arriver un nombre croissant de réfugiés somaliens au cours des deux dernières décennies, pour travailler dans les usines de viande ou fréquenter le campus local de l’université d’État.


Fosia Omar, 20 ans, profite d’une conversation avec des amis en attendant le coucher du soleil pour rompre le jeûne de la journée, le 25 mai 2018. Cette habitante de Waite Park est étudiante à l’université d’État de St. Cloud et prévoit de se spécialiser en psychologie.

Les réfugiés disent souvent que la guerre ressemble à une vague de violence qui les submerge, laissant derrière elle mort et destruction. Ce sentiment n’a pas été différent pour Katra Ali Hethar, qui a fui la Somalie déchirée par la guerre en 1991 avec ses neuf jeunes enfants.

Être responsable de tant de vies était un cauchemar logistique. Mais même dans les moments d’urgence, lorsqu’elle avait la possibilité de monter dans un camion ou une voiture, elle refusait d’en laisser un seul derrière elle. Elle a décidé qu’ils survivraient ou périraient tous ensemble, choisissant de les porter à tour de rôle sur son dos. Finalement, ils ont réussi à traverser la rivière Shebelle, jusqu’à la sécurité d’un camp de réfugiés au Kenya.

Deux ans plus tard, toute la famille, y compris son mari, qui avait été victime d’une attaque cérébrale mineure nécessitant des soins médicaux immédiats et qui a quitté la Somalie séparément, a trouvé refuge aux USA. Après avoir vécu brièvement à New York, puis quelques années à Atlanta, la famille s’est installée dans le centre du Minnesota en 2006. Depuis près de trente ans, la mère qui a survécu à la guerre et à ce voyage périlleux a soutenu tous ses enfants, dont trois sont nés depuis son arrivée, jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge adulte. Les USA leur ont offert un foyer et la sécurité.

Comme la plupart des histoires de migration, la sienne est empreinte à la fois de tristesse et d’espoir. L’adaptation à la vie dans un nouveau pays a eu son lot de difficultés. Déménager à St.Cloud, puis à Waite Park, une petite ville qui est pratiquement une banlieue de sa grande voisine, a été un autre type de voyage pour une femme qui n’a jamais travaillé en dehors de la maison, mais qui a consacré sa vie à ses enfants et à sa communauté.

Lors d’une des premières soirées chaudes du printemps tardif de cette année, je me suis retrouvée dans l’appartement d’Ali Hethar pour un événement très spécial. Elle avait invité un groupe de personnes rencontrées dans un centre pour personnes âgées à St. Cloud, une ville dont près de 80 % de la population est blanche et non musulmane, à partager un repas pour rompre le jeûne du ramadan et apprendre à mieux connaître les membres de différentes communautés. La plupart des invités à son Iftar étaient ses voisins habituels, des USAméricains blancs d’un certain âge.

Les femmes et les hommes ont enlevé leurs chaussures et se sont assis par terre sur une moquette bleue agréablement douce, portant des badges avec leurs noms et échangeant quelques mots. Ils conversaient avec leurs hôtes somaliens pendant que, sur un téléviseur muet, les Bucks de Milwaukee affrontaient les Raptors de Toronto dans le cadre des séries éliminatoires de la NBA. Au coucher du soleil, ils ont mangé des dattes, bu de l’eau, puis dégusté un repas somalien composé de sambusas à la viande, de chèvre cuite au four et de riz, avec des malawax (crêpes sucrées) en guise de dessert.


Katra Ali Hethar, avec Hanni App et d’autres invités, lors d’un dîner d’Iftar, Waite Park, Minnesota, 25 mai 2019.

Née à Djibouti, un petit pays d’Afrique de l’Est situé à la frontière nord de la Somalie, Ali Hethar n’est pas sûre de son âge. Son passeport indique qu’elle est née en 1946, mais elle pense qu’elle est née bien plus tard, en 1958 - le dernier jour du ramadan, en fait. Elle n’a jamais appris l’anglais, mais pendant que je la regardais, elle saluait, embrassait et souriait à ses invités, communiquant verbalement grâce à la traduction de l’une de ses filles.

Malgré son atmosphère décontractée, cette réunion sociale n’avait rien d’anodin. Le Minnesota, un État à tendance bleue [Démocrates], est à bien des égards exceptionnellement accueillant pour les immigrés ; il compte la deuxième plus grande population de Hmong d’Indochine du pays et abrite plus de Somaliens que n’importe quel autre État du pays. Mais le Minnesota central, où se trouve St. Cloud, à environ une heure à l’ouest de Minneapolis, n’est pas un endroit où il est si facile pour les étrangers de s’installer. Il est marqué par une forte tradition catholique et compte un grand nombre d’électeurs partisans d’une question unique, à savoir [la prohibition de ] l’avortement. Plus de 60 % des électeurs ont voté pour Trump en 2016.

Cette année-là, cependant, une jeune Somalienne-USAméricaine du nom d’Ilhan Omar a battu un élu démocrate de longue date pour un siège à la Chambre d’État ; deux ans plus tard, elle a été élue au Congrès des USA pour représenter le cinquième district du Minnesota (qui est centré sur Minneapolis). Son élection témoigne de l’engagement politique de la communauté somalienne. Alors qu’Omar a acquis une grande notoriété sur la scène nationale - à la fois comme l’un des démocrates de 2018 de l’aile fortement progressiste du parti, et pour la controverse suscitée par certaines de ses déclarations les plus combatives - deux autres Somaliens-USAméricains siègent à l’Assemblée législative du Minnesota, et d’autres aux conseils municipaux de Minneapolis et de Saint-Paul.