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01/10/2023

GIDEON LEVY
Jafer remballait son étal au marché d’Hébron lorsqu’une policière israélienne lui a tiré dessus, lui fracassant le visage

Gideon Levy, Haaretz, 30/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Le visage de Jafer Abou  Ramouz a été brisé lorsqu’une policière des frontières, sans raison apparente, lui a tiré à bout portant une balle métallique à pointe éponge. Ce marchand de vêtements se tenait alors près de son étalage. Il a fallu plus d’un mois à ses enfants pour s’habituer à son nouveau visage.

 

Jafer Abou  Ramouz chez lui avec son fils d’un an, deux mois après qu’une policière des frontières lui a tiré dessus à bout portant. Photo : Alex Levac

 

Trois photos. Sur l’une d’elles, un homme musclé et séduisant, vêtu d’un tee-shirt bleu et le sourire aux lèvres, porte son fils d’un an dans les bras. Sur la seconde, le visage du père est brisé, horriblement défiguré : Son nez est écrasé, ses yeux sont exorbités, la chair est à vif, tout est couvert de caillots de sang. Le visage évoque un homme mort. Cette photo a été prise il y a deux mois. Sur la troisième image, son visage se rétablit, mais il est encore tordu et marqué, il lui manque quelques dents et son nez est de travers. Cette photo a été prise cette semaine.

 

Voici ce qui se passe lorsqu’une policière des frontières, qui s’ennuie ou qui cherche de l’action, ou encore qui est vicieuse ou négligente dans l’exercice de ses fonctions, tire une balle en métal à bout éponge d’une distance illégalement proche de quelques mètres, directement sur le visage d’un vendeur de vêtements sur le marché animé d’Hébron, alors qu’il se tient innocemment à côté de son stand.

 

Les autorités d’occupation ferment le marché du quartier de Bab Al Zawiya, avec ses centaines d’étals, chaque fois que les colons de la ville célèbrent un jour saint juif et veulent se rendre sur la tombe du juge biblique Othniel Ben Kenaz, qui se trouve à côté du marché. C’est ce qui s’est passé le 27 juillet, jour de jeûne de Tisha B’Av [9ème jour du mois d’Av], lorsque les colons d’Hébron se sont rendus en masse sur la tombe.


Jafer Abou  Ramouz à l’hôpital, après avoir été blessé par balle.

 

Ce matin-là, Jafer Abou  Ramouz s’est rendu comme d’habitude au marché de Bab Al Zawiya pour ouvrir son stand, dont les revenus permettent à sa famille de vivre depuis six ans. Il est arrivé à 8 heures, comme d’habitude, a sorti la marchandise de son stand fermé à clé et l’a exposée, comme d’habitude. Rien ne laissait présager ce qui allait se passer quelques heures plus tard, le neuvième jour du mois hébraïque d’Av, désigné comme jour de jeûne en mémoire des tragédies qui ont frappé le peuple juif en ce jour.

 

Abou  Ramouz ne vend que des chemises pour hommes, à 20 shekels [=5 €] pièce ; les bons jours, il en vend 20. Le marché était calme, malgré sa proximité avec un complexe de la police des frontières et avec la colonie de Tel Rumeida. Le travail se déroule normalement. Aucun des centaines de marchands du marché ne se doutait que c’était Tisha B’Av, jour où tous les stands doivent être fermés et où les Palestiniens doivent se faire discrets, afin que les colons puissent observer leur commémoration sans entrave. Cette procédure se répète non seulement pour Tisha B’Av, mais aussi pour d’autres fêtes juives, selon le bon plaisir des colons.

 

La journée s’est déroulée comme toutes les autres jusqu’à ce que, peu après 16 heures, les forces de la police des frontières fassent irruption sur le marché et ordonnent aux marchands de fermer immédiatement leurs stands - c’était le jour sacré de Tisha B’Av. Les enfants qui travaillent sur le marché ou qui y traînent ont commencé à jeter des pierres sur les troupes israéliennes, ce qui fait également partie de la routine de l’occupation ici.

 

Comme les autres, Abou  Ramuz, 49 ans, qui a sept enfants et n’a jamais eu d’ennuis avec les autorités, a commencé à remballer ses marchandises et à fermer son stand. Il a vu quatre agents de la police des frontières poursuivre des enfants qui lançaient des pierres en montant et en descendant les escaliers qui mènent au marché, et leur tirer des gaz lacrymogènes. Des images tournées par l’un des marchands montrent les magasins et les stands en train de fermer et le marché en train de se vider. Sur la vidéo, quatre agents de la police des frontières, dont une femme, observent les événements sans rien faire, fusils au poing, bien sûr.


La police des frontières au marché d’Hébron, quelques minutes avant que Jafer Abou  Ramouz ne soit abattu d’une balle au visage.

 

Soudain, l’un d’entre eux ouvre le feu sur une cible inconnue sans raison apparente, un rire bref est entendu en arrière-plan et la vidéo s’arrête. Ce n’est pas ce tir qui a décidé du sort d’Abou Ramuz. Le coup de feu de la vidéo a été tiré quelques minutes avant celui qui l’a touché, mais on ne sait pas exactement pourquoi, ni si quelqu’un a été blessé par ce tir. Dans le clip, que nous avons fait écouter à Abou  Ramuz, celui-ci identifie les quatre soldats comme étant ceux qu’il a vus dans la rue avant d’être abattu, parmi lesquels se trouve la policière qui lui a tiré dessus, comme des témoins oculaires le lui ont dit par la suite.

 

Abou Ramouz et sa famille vivent au cœur de la ville très peuplée d’Hébron, dans le quartier d’Al Hares ; se rendre chez lui a pris beaucoup de temps cette semaine en raison de la circulation très dense - rien d’inhabituel dans le centre de la ville. Leur logement est petit et modeste, mais de bon goût - Jafer l’a construit lui-même et il a décoré les murs et les plafonds d’ornements.

 

Une photo encadrée de sa fille Jouri portant une robe de fin d’études - en l’occurrence pour marquer la fin du jardin d’enfants - est accrochée dans le salon. Jouri, six ans, qui est maintenant en première année, est rentrée à la maison pendant notre visite. Vêtue de son uniforme d’écolière, les cheveux tressés, elle a embrassé les joues des invités.

 

Pendant des années, Jafer a travaillé en Israël, distribuant des boissons non alcoolisées dans les magasins de Jérusalem-Ouest. Il n’a jamais eu d’ennuis.

 

Il a été abattu vers 16h30 - il ne se souvient pas de l’heure exacte. Il se tenait devant son étalage ; la rue était calme, dit-il, il n’y avait pas de jets de pierres. Soudain, il a senti un coup puissant au visage et a entendu un bruit d’explosion. Il a commencé à perdre connaissance et s’est assis par terre, tandis que du sang suintait de son visage. Il y a un an, il a eu une crise cardiaque et prend depuis des anticoagulants, ce qui a probablement aggravé l’hémorragie. Sa première pensée a été qu’on lui avait tiré dessus à balles réelles et que sa vie était sur le point de s’arrêter. Il affirme que les agents de la police des frontières se trouvaient à 4 ou 5 mètres de lui avant de lui tirer dessus.

 

Face à face entre colons et Palestiniens à Hébron, en novembre dernier. Photo : MUSSA ISSA QAWASMA/Reuters

 

Cette semaine, un porte-parole de la police israélienne a fait la déclaration suivante à Haaretz : "Sans faire référence à une affaire ou à une autre, nous noterons que les forces de sécurité étaient en train de protéger les fidèles sur la tombe d’Othniel Ben Kenaz dans les allées d’Hébron. Au cours de l’activité, un trouble de l’ordre a commencé, dans lequel des pierres, des bouteilles en verre, de la peinture et des pneus ont été lancés dans une tentative de pénétrer le cercle de sécurité. Face à la violence des troubles et au risque de blessures pour les forces de l’ordre, des moyens de dispersion de la foule ont été utilisés. Nous constatons que l’événement que vous décrivez n’est pas connu [de la police]".

 

L’événement n’est pas connu. Sans faire référence à une affaire ou à une autre. Enfin, la perturbation : la fermeture du marché pour la commémoration des colons constitue un ordre, la résistance naturelle à la fermeture est une perturbation de l’ordre.

 

Les personnes présentes sur le marché ont immédiatement embarqué Abou  Ramouz dans une voiture privée et l’ont emmené à l’hôpital Alia de la ville. La photo prise à ce moment-là montre ses vêtements ensanglantés et son visage bandé. Les témoins oculaires ont raconté qu’après la fusillade, les agents de la police des frontières ont poursuivi leurs activités normalement, comme si rien ne s’était passé. Ils sont passés de l’autre côté de la rue et ont continué à veiller à la fermeture du marché avant la grande commémoration. Quelqu’un a photographié l’étal d’Abou  Ramouz après qu’il a été transporté à l’hôpital - le sol devant l’étal est taché de sang.

 

Son fils Youssouf, âgé de deux ans, est maintenant blotti dans ses bras. Lorsque le personnel d’Alia a constaté la gravité de la blessure, il a appelé une ambulance pour l’emmener d’urgence à l’hôpital Ahli, plus avancé et mieux équipé. Il a été immédiatement emmené au bloc opératoire - une opération de quatre heures pour tenter de sauver son visage fracassé. Il a reçu six transfusions sanguines et a passé sept jours en soins intensifs, jusqu’à ce qu’il soit suffisamment rétabli pour sortir de l’hôpital.

 


Jafer Abou  Ramouz avec son fils à Hébron, il y a un an.

 

Il est rentré chez lui le visage bandé. Ses deux filles aînées, âgées de 12 et 15 ans, devaient changer le pansement tous les jours et voyaient - avec effroi - le visage défiguré de leur père. Seuls ses deux fils aînés, âgés de 19 et 22 ans, lui ont rendu visite à l’hôpital ; les autres enfants ne l’ont vu qu’à son retour à la maison. Les petits ont tressailli de peur. Il leur a fallu plus d’un mois pour s’habituer à sa nouvelle apparence.

 

Le chemin vers la guérison complète est encore long. Lorsque les plaies auront cicatrisé et que la douleur se sera estompée, il subira d’autres opérations pour corriger son nez, ses dents et ses mâchoires. En attendant, il ne peut manger que des aliments liquides ou mous. Les douleurs restent vives, même deux mois après l’incident. Et deux mois après avoir été abattu, il n’est toujours pas retourné à son étal de marché - il se dit incapable de travailler - et la famille vit de petits prêts accordés par des personnes bienveillantes. Elle n’a aucun revenu. Dernièrement, il a commencé à s’inquiéter que ses yeux aient également été touchés par la balle, car les choses lui semblent de plus en plus sombres. Il n’a cependant pas les moyens de consulter un ophtalmologiste.

 

Jafer Abou  Ramouz semble un homme brisé, une personne dont le monde s’est effondré en un clin d’œil, bien qu’il n’ait rien fait de mal.

 

23/09/2023

GIDEON LEVY
Milad Al Rai détestait les soldats israéliens : ils l’ont exécuté

Gideon Levy et  Alex Levac (photos), Haaretz, 22/9/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Il n’en pouvait plus de la présence de l’armée israélienne dans son camp de réfugiés : Milad Al Rai , 15 ans, a lancé un cocktail Molotov sur le mur en béton du mirador d’où les soldats contrôlent le camp. Un tireur d’élite l’a abattu d’une balle dans le dos, le tuant. Milad rêvait de devenir musicien, comme son père

 

Mundher Al Rai se tient devant le portrait tout frais de Milad, son fils de 15 ans exécuté, peint par un cousin sur le mur extérieur de sa maison. Quelques semaines avant d’être tué par les forces de défense israéliennes, Milad avait interrogé son père sur le paradis.

Il n’était pas un garçon ordinaire et tenait en cela de son père. Il rêvait de devenir musicien, comme son père, ou joueur de football, comme Ronaldo. Mais surtout, il ne supportait pas la présence des soldats israéliens qui envahissaient le camp de réfugiés où il vivait ; jour et nuit, ils étaient là, assiégeant le camp 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, depuis une tour fortifiée située à l’entrée du camp. Au début de l’année, il a même écrit une lettre aux soldats israéliens, qui se lit aujourd’hui comme les dernières volontés et le testament d’un jeune qui savait qu’il allait mourir. Il a demandé à ce que cette lettre ne soit pas montrée à ses parents de son vivant - et il n’avait que 15 ans. La semaine dernière, son père a encadré la lettre, écrite de la main du jeune homme et remplie de ratures et de corrections. Elle sert désormais de mémorial au garçon qui détestait les soldats.

Le père est également une personne spéciale. Chanteur palestinien qui se produit dans le monde entier, il n’essaie pas de dissimuler la haine que son fils nourrissait à l’égard des soldats. Il affirme également qu’il est tout à fait possible que son fils ait jeté un cocktail Molotov sur le mur de la tour, comme l’affirme l’armée. Alors que la plupart des parents palestiniens endeuillés tentent de brouiller les actions de leurs enfants et de les présenter comme n’ayant rien fait, Mundher Al Rai n’occulte rien.

Milad a peut-être lancé une bouteille incendiaire sur la tour, mais il ne fait aucun doute qu’il n’a pas mis en danger la vie et la sécurité des soldats blindés qui se trouvent en haut de la tour. Les murs des maisons privées situées à proximité de la tour, ainsi que le mur de la tour elle-même, sont roussis par les cocktails Molotov qui ont été lancés ici par le passé, sans blesser personne et sans causer de dégâts matériels. C’est également la routine des protestations dans le camp de réfugiés densément peuplé, que les soldats assiègent depuis la tour et où ils tirent parfois sur les garçons, les tuant de sang-froid, comme ils ont tué Milad.

La façade de la maison de son père, au cœur du camp de réfugiés d’Al-Arroub, entre Bethléem et Hébron, est aujourd’hui ornée d’une immense et sombre peinture en gros plan du visage de Milad. La peinture murale, œuvre du cousin de Milad, Mohammed Al Rai, 25 ans, n’est pas terminée ; il manque le texte qui sera inséré en dessous et qui sera tiré de la lettre de Milad.

Le camp de réfugiés d’Al Arroub, la semaine dernière

Voici ce que le garçon a écrit dans sa lettre aux soldats israéliens, la lettre qu’un parent a remise à son père seulement après que son fils a été tué : « Avis aux soldats de l’armée israélienne. Vous nous haïssez toujours et vous nous maltraitez, mais nous vivrons toujours dans la bonté grâce à Dieu. Je vous aime, amis et membres de ma famille, j’espère que les générations futures seront libres. Je n’appartiens à aucune organisation, seulement au drapeau palestinien. Je t’aime, papa ». Quelques semaines avant que les forces de défense israéliennes ne le tuent, Milad avait interrogé son père sur le paradis.

Il était élève en seconde dans l’école voisine de sa maison, un garçon de 15 ans qui s’entraînait dans l’académie de football du camp. Son père raconte qu’il était un élève moyen, car la vie, la musique et le football l’attiraient plus que l’école. Les chansons de Mundher Al Rai sont adaptées de poèmes de Mahmoud Darwish et d’autres poètes ; il s’est produit dans toute l’Europe et jusqu’en Australie. Ce mois-ci, il devait donner deux concerts au Caire, qui ont naturellement été annulés parce qu’il est en deuil.

C’est un bel homme de 57 ans, vêtu de noir, marié en secondes noces et père de trois fils : Milad était celui du milieu. Aujourd’hui, il ne reste plus que Vadia, 18 ans, et Adam, 9 ans. Mundher Al Rai est assis dans le salon de sa modeste maison, fumant un narghileh et parlant de son fils cadet. Ce n’est qu’à deux reprises au cours de la conversation qu’il est sur le point de fondre en larmes, mais il se retient au dernier moment à chaque fois. L’un de ces moments survient lorsque nous lui demandons de nous montrer le clip que Milad a filmé de lui-même en train de chanter une chanson de rap, en lisant les paroles sur son téléphone portable. « Malgré toute la douleur, malgré tout ce qui se passe, je suis fort et grand. J’aime être, je vis dans un camp, je m’accroche, je suis patient, j’espère voler un jour, j’espère jouer [d’un instrument], je suis un être humain et il y a du bon en moi. Le ciel est à moi, la mer est à moi, demandez à ma mère, demandez à mon père, je suis une baleine dans la mer, je suis un aigle dans le ciel ». La chanson a été coécrite par le père et le fils, et Milad l’a enregistrée il y a quelques mois. Elle s’intitule Malgré la douleur.


Il a été tué le 9 septembre, il y a deux semaines, lors de ce qui s’est avéré être le dernier samedi de sa vie. C’était “Shabbat shalom”, dit Mundher Al Rai avec ses quelques mots en hébreu. « Ils l’ont abattu depuis la tour. De la tour. Je veux la réponse officielle à la question de savoir pourquoi ils l’ont tué. Pourquoi ? Pourquoi un soldat de 20 ans a-t-il décidé d’être un tireur d’élite et de tuer un garçon de 15 ans ? Qu’est-ce qu’il a fait ? Vous savez, ce soldat aurait pu l’attraper. Milad n’était pas un soldat et il n’était pas armé ».

Mundher Al Rai tient la chemise de son fils, montrant l’impact de la balle.

Le père disparaît à l’arrière du petit appartement et revient avec une chemise noire. « Je vais vous montrer comment il a été tué », dit-il en étouffant à nouveau ses larmes. Mundher Al Rai étale la chemise. Il y a un petit trou dans le dos, fait par la balle qui a explosé dans le corps de son fils, dévastant plusieurs organes internes, dont les reins, les poumons et la rate. Sous l’impact de la balle, il y a une grande tache de sang de son fils. Ils lui ont tiré dans le dos.

« Milad les détestait », explique son père. « Il détestait la présence des soldats dans le camp. Ce sont eux qui l’ont tué, ce sont eux qui nous ont enfoncés ans la boue. Milad a résisté ». Il raconte qu’une fois, son fils a essayé de quitter le camp et de traverser la route en direction de l’antenne d’ Al Arroub du Kadoorie College, où les habitants du camp se rendent pour prendre l’air et s’entraîner au football. Les soldats l’ont bloqué et l’ont ramené au camp. Pas de sortie.

Milad leur demandait : « Pourquoi vous êtes là ? Et pourquoi il y a une tour à l’entrée de notre camp ? » Une fois, il a été arrêté et détenu pendant quelques heures pour avoir jeté des pierres sur l’autoroute. Il a nié l’accusation. Son père a également été convoqué pour un interrogatoire et les deux ont été relâchés avec un avertissement de ne plus jeter de pierres. Une semaine avant sa mort, raconte son père, ils ont eu une discussion musclée. Mundher Al Rai a exhorté son fils à ne plus s’engager dans des confrontations avec les soldats. «  Il jouait à Tom et Jerry  avec eux », raconte-t-il. Je lui ai dit : « Khalas, ça suffit ! « 

Le dernier jour de sa vie, Milad s’est rendu à la piscine de la ville de Doura, avec un groupe de garçons, dans le cadre d’une
“journée de loisir” organisée par une ONG locale. Comme la plupart des enfants réfugiés à Al Arroub, Milad n’était jamais allé à la mer, bien qu’elle se trouve à une heure de route de chez lui. La piscine de Doura était son substitut. Il est rentré chez lui vers 14 heures. Dans la soirée, son père lui a demandé d’aller dans un magasin pour changer une ampoule qui ne fonctionnait pas.

Milad ne s’est apparemment jamais rendu au magasin. Avec deux amis, il s’est équipé de cocktails Molotov et est allé les lancer sur le mur de la tour de l’armée. Il n’y avait aucun soldat au niveau du sol à l’extérieur qui aurait pu être en danger. Basel Adra, nouveau chercheur de terrain à Hébron pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, a noté qu’à part les trois garçons, il n’y avait pas de foule dans la rue. Milad a reçu une balle dans le dos alors qu’il tentait de s’enfuir pour sauver sa vie. Il a réussi à faire quelques pas avant de s’effondrer dans les bras de ses amis.

Le père et le frère de Milad tiennent une photo de l’adolescent décédé.

Alors que son père se faisait couper les cheveux dans le camp, vers 20h30, un proche l’a appelé pour lui dire que Milad avait été blessé. Immédiatement après, la mère de Milad, Samah, l’a appelé pour lui transmettre le même message. Cependant, Mundher Al Rai était certain que son fils avait été tué. « Milad est mort », a-t-il dit à son ex-femme.

Un parent qui vit à la périphérie du camp de réfugiés, à côté de la tour, a vu Milad tomber au sol, blessé, et l’a emmené d’urgence dans sa voiture à la clinique de la ville voisine de Beit Fajar. Le camp lui-même ne dispose même pas d’un poste de premiers soins. Lorsque son père est arrivé et a vu son fils, il a déclaré : « Ce garçon a quitté la vie ». Ses yeux étaient encore ouverts mais son cœur avait cessé de battre. Le parent a raconté qu’en chemin, Milad avait gémi deux fois, puis avait cessé de respirer.

De Beit Fajar, il a été transporté en ambulance à l’hôpital Al Yamamah de Bethléem, mais les tentatives de réanimation ont échoué. À un moment donné, Mundher Al Rai a demandé qu’on arrête d’essayer. Son fils était mort.

Cette semaine, l’unité du porte-parole des FDI a répondu à Haaretz qui demandait si Milad avait mis en danger la vie des soldats dans la tour fortifiée : « Des terroristes ont lancé des cocktails Molotov sur des combattants des FDI et sur une route proche du camp de réfugiés d’Al Arroub dans [le territoire de] la brigade d’Etzion. L’un d’entre eux a pénétré dans la position de l’armée où se trouvaient les combattants. Les forces des FDI ont répondu par des moyens de dispersion de la manifestation et par des tirs. Une cible a été identifiée. Par la suite, on a appris que l’un des terroristes était mort. Les circonstances de l’affaire sont en cours d’éclaircissement ».

C’est ainsi qu’est mort le “terroriste” Milad Al Rai . Il avait 15 ans.

 

09/09/2023

GIDEON LEVY
Loin des yeux du monde, un incroyable transfert de population est en cours en Cisjordanie

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 9/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Terrorisés par les colons, les bergers palestiniens de Cisjordanie sont contraints de quitter les villages où ils vivent depuis des décennies. La semaine dernière, c’était au tour d’Al-Baqa’a

Réfugiés d’Al-Baqa’a dans leur nouveau lieu de survie, à cinq kilomètres de là

Dans la vallée, il ne reste plus que de la terre noire et brûlée, souvenir de ce qui était, jusqu’à la semaine dernière, un lieu d’habitation humaine. Il y a aussi une bergerie, que les habitants bannis ont laissée derrière eux en guise de souvenir ou peut-être aussi dans l’espoir de jours meilleurs, lorsqu’ils pourront retourner sur leurs terres - une perspective qui semble bien lointaine à l’heure actuelle.

Sur le sol noirci se dressent deux tentes présages de malheur, ainsi qu’une camionnette et un tracteur, tous appartenant aux seigneurs de la terre : les colons qui ont envahi cette communauté de bergers et terrorisé ses habitants jour et nuit jusqu’à ce que, vendredi dernier, la dernière des familles, qui vivait ici depuis plus de 40 ans, prenne la route du désert à la recherche d’un nouveau lieu d’habitation. Elles ne pouvaient plus supporter les attaques et les raids des colons, leur façon éhontée de faire paître les troupeaux sur les terres des Palestiniens, leur intimidation des enfants des bergers, les menaces, les vols et les agressions. Même le soumoud - la résilience - vanté par les Palestiniens a ses limites.

Communauté après communauté, les bergers bédouins, la population la plus faible et la plus démunie de Cisjordanie, quittent la terre qu’ils habitent depuis des décennies, ne pouvant plus supporter la violence des colons, qui s’est fortement accrue ces derniers mois. Loin des yeux des Israéliens et de la communauté internationale, un incroyable transfert systématique de population est en cours - il s’agit en fait d’un nettoyage ethnique de vastes zones dans le sud des collines d’Hébron, dans la vallée du Jourdain et, désormais, dans le cœur de la Cisjordanie.

En juillet, nous avons assisté au départ de la famille Abu Awwad de son village, Khirbet Widady, après qu’elle en eut été chassée par les tactiques d’intimidation des colons de Havat Meitarim. Et un mois auparavant, nous avons accompagné 200 membres de familles qui vivaient à Aïn Samiya et qui ont dû fuir pour sauver leur vie sous le harcèlement violent des colons des avant-postes non autorisés près de la colonie de Kochav Hashahar.

Mohammed Melihat. Pendant des générations, sa famille a vécu à Al-Baqa’a, mais sa vie et ses biens étant en jeu, elle a été contrainte, comme d’autres Bédouins, de céder, de se rendre et d’abandonner sa maison

Cette semaine, nous sommes arrivés à Al-Baqa’a, une étendue aride au pied des montagnes désertiques qui bordent la vallée du Jourdain. Les quelque 60 membres de cette communauté ont été contraints de laisser derrière eux la terre sur laquelle ils vivaient depuis 40 ans, et avec elle leurs souvenirs, avant de se disperser dans le paysage désertique. La mainmise des colons ne fait pas que priver les gens de leurs biens, elle déchire aussi des communautés habituées à vivre ensemble depuis des générations.

La terre - qui, dans ce cas, appartient aux habitants du village palestinien de Deir Dibwan, situé au sommet d’une colline - est rocailleuse, desséchée et pratiquement inaccessible. L’épuration ethnique dans cette région se poursuit à un rythme soutenu. La région doit être exempte d’Arabes, aussi “pure” que possible - une condition qui est plus facilement atteinte lorsque des communautés de bergers bédouins sont impliquées.

Nous rencontrons le chef de la communauté d’Al-Baqa’a, Mohammed Melihat, 59 ans, sur le nouveau site où ses deux fils ont installé leur maison, à environ cinq kilomètres au sud de l’endroit où ils vivaient auparavant, au milieu de nulle part.

Les deux fils ont planté ici cinq tentes en lambeaux. Un chien et un coq s’abritent sous le conteneur d’eau, essayant de survivre dans la chaleur torride de l’été. Les membres de la famille élargie ont emménagé ici le 7 juillet ; depuis, ils ont reçu trois ordres d’expulsion de l’unité de l’administration “civile” du gouvernement militaire. La date limite de départ est fixée au 20 septembre.

Un panneau solaire à Al-Baqa’a cette semaine

Melihat a six fils et une fille ; deux des fils, Ismail, 23 ans, et son frère aîné, Ali, 28 ans, sont venus s’installer ici avec leur famille. Leur père loge chez un ami dans le village de Ramun, au nord d’Al-Baqa’a, mais il aide ses fils à établir leur nouvel “avant-poste” sur un terrain privé qu’ils ont reçu des habitants de Deir Dibwan. Sur les 600 moutons que comptait la famille à l’origine, il n’en reste plus que 150.

Al-Baqa’a était leur lieu de vie depuis 1980. Les 25 premières familles qui s’y sont installées se sont progressivement dispersées à la suite des ordres de démolition émis par les autorités israéliennes et de la violence exercée par les colons israéliens. Ces dernières années, il ne restait plus que 12 familles, dont 30 enfants, qui ont commencé à se disperser dans tous les sens. Seuls les Melihat se sont retrouvés sur le nouveau site que nous visitons.

Il est inconcevable qu’un être humain puisse vivre dans cette région inhospitalière, montagneuse et aride, sans eau courante ni électricité, sans route d’accès, sans école ni dispensaire en vue. Dans un pays bien géré, cette région deviendrait un site du patrimoine : « C’est ainsi que les bergers vivaient il y a des siècles ». On y amènerait les écoliers pour qu’ils découvrent cette merveille. Mais en Israël, ce n’est qu’une cible supplémentaire de la cupidité des colons et de leur soif insatiable de terrains.

Le pire, c’est que ces gens n’ont aucune protection contre leurs oppresseurs. Rien du tout. Ni de la police, ni de l’armée, ni de l’administration “civile”, ni de l’Autorité palestinienne. Leur vie et leurs biens étant en jeu, ils ont été contraints de céder, de se rendre et d’abandonner leur maison. Sans défense, la famille Melihat n’a eu d’autre choix que de suivre le mouvement.

Un garçon à Al-Baqa’a

Depuis 2000, la vie à Al-Baqa’a était devenue impossible. Les colons, apparemment soutenus par les soldats et parfois même avec leur participation active, ont fait de leur vie un enfer. Des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes ont été lancés dans les tentes, des abreuvoirs et des moutons ont été volés. Au début, les maraudeurs venaient de l’avant-poste de Mitzpeh Hagit, dirigé par un colon nommé Gil. Selon Mohammed, l’agence humanitaire des Nations unies OCHA a tout documenté. Patrick Kingsley, chef du bureau du New York Times pour Israël et les territoires occupés, arrive pendant que nous nous entretenons avec lui au cours de notre visite cette semaine. Lui et son journal s’intéressent beaucoup plus au sort de la population que la plupart des médias israéliens.

En septembre 2019, un colon du nom de Neria Ben Pazi a envahi une zone près de Ramun, ce qui a aggravé les problèmes des habitants. Quelques mois auparavant, Ben Pazi avait commencé à faire paître ses moutons sur des terres appartenant à des Bédouins. Il a été expulsé à deux reprises par l’administration “civile”, mais est revenu à chaque fois quelques heures plus tard, grâce à ce que l’on peut interpréter comme le consentement tacite et l’inaction des autorités israéliennes. L’affaire était entendue.

 Arik Aschermann : “JE SUIS INVISIBLE parce que vous refusez de me voir”

Selon le rabbin Arik Ascherman, directeur de l’ONG Torat Tzedek - Torah of Justice, qui a passé de nombreux jours et nuits ces derniers mois à protéger les habitants d’Al-Baqa’a de la violence des colons, Ben Pazi est le “champion” des avant-postes de colons. Il en a déjà établi quatre ; certains de ses fils vivent avec lui.

Les colons ont commencé à voler des biens et du matériel agricole aux bergers, y compris des pièces détachées pour les tracteurs. Au début, dit Ascherman, ils étaient prudents, mais après l’arrivée du gouvernement actuel, ils ont perdu toute retenue et la violence est devenue plus brutale. Les résidents locaux ont demandé la protection de l’administration “civile” et l’un de ses représentants, le “capitaine Fares”, leur a dit de rester en contact en cas de problème. Il ne se passe pas un jour sans qu’il y ait des problèmes, mais il est inutile d’envisager de déposer une plainte.

Au cours des derniers mois, les actions des colons contre les bergers bédouins misérables ont été documentées par Iyad Hadad, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem. Les colons ont empêché les camions-citernes des bergers d’atteindre la communauté et ont amené leurs propres troupeaux aux abreuvoirs des bédouins pour qu’ils s’y abreuvent. À une occasion, ils ont également brûlé une tente. Résultat : Quelque 4 000 dounams (400 hectares) de terres ont été vidés de leurs Palestiniens et confisqués par les avant-postes.

Le 10 juillet, la plupart des familles ont quitté Al-Baqa’a, seules deux sont restées sur place. L’une d’entre elles, la famille de Mustafa Arara, a rapidement plié bagage après que son fils de 7 ans a été blessé par un colon. La deuxième famille, celle de Musa Arara, est partie une semaine plus tard, après la disparition des 13 abreuvoirs : Ascherman a vu les conteneurs être emportés par un tracteur appartenant aux colons.

La famille de Musa a déménagé pour le moment dans la région du Wadi Qelt, qui prend sa source près de Jérusalem et se jette dans la mer Morte ; Mustafa et sa famille ont déménagé dans la région de Jab’a, dans le centre de la Cisjordanie. Trois autres familles vivent près de Taibe, au nord-est de Jérusalem. Le tissu même de leur vie familiale, culturelle et sociale a été déchiré.

Où allons-nous aller ? La question de Mohammed Melihat est engloutie dans l’immensité du désert. « S’ils viennent tout démolir ici, où irai-je ? », demande-t-il encore, en vain. Ses ancêtres de la tribu Kaabneh - qu’Israël a expulsée des collines du sud d’Hébron en 1948 et dont les terres ont été intégrées à l’État d’Israël - se sont posé la même question.

« Imaginez ce que c’est », dit Melihat, « de quitter un village dans lequel vous avez vécu la majeure partie de votre vie et où vos enfants sont nés ».

26/08/2023

GIDEON LEVY
Qusai, 16 ans, se rendait en scooter chez son oncle. Il a été exécuté par la police israélienne

 Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 26/8/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 Un adolescent palestinien de Jéricho se rendait chez des parents dans la banlieue de la ville lorsqu’il a été pris dans un raid de la police des frontières. Une seule balle l’a abattu et tué. « Deux terroristes ont été éliminés, dont le sujet de votre enquête », a déclaré la police à Haaretz

 

Le père endeuillé, Omar Walaji

 

Le scooter, un SYM 125 cc, est abîmé et éraflé à l’avant et sur les deux côtés. Des taches de sang séché parsèment le plancher, le siège et la carrosserie. Une photo de son conducteur - le jeune, ou plutôt le garçon - Qusai Walaji, est accrochée au guidon du véhicule cassé. Il est garé dans l’arrière-cour de la maison des Walaji, dans la rue Kitaf al-Wad, dans un quartier résidentiel de Jéricho. Cette semaine, il est devenu le mémorial à Qusai, qui y a été tué par balle. Il avait 16 ans au moment de sa mort.

 

Lorsque nous avons rendu visite cette semaine au père endeuillé, Omar Walaji, nous avons parlé pendant un bon moment de son fils et de son exécution par la police des frontières une semaine auparavant. Pendant tout ce temps, Omar s’est montré cordial, facile à vivre, parlant de son fils, qui avait été tué si peu de temps auparavant, comme s’il parlait de l’enfant des voisins. Mais vers la fin de notre conversation, lorsque nous lui avons redemandé s’il avait craqué et à quel moment - il avait d’abord éludé la question - son visage s’est soudain crispé et ses lèvres ont tremblé. Il a essayé de toutes ses forces d’étouffer ses larmes, mais sa retenue a cédé. Il a ouvertement versé les larmes amères d’un père qui pleure son fils bien-aimé.

 

« Vous avez ouvert sa blessure », a dit l’un des deux autres fils d’Omar, qui se trouvaient dans la pièce.

 

Omar a raconté qu’il n’avait pleuré que lorsqu’il avait vu le corps de son fils à l’hôpital de Jéricho, alors que les médecins essayaient, en vain, de le réanimer. Il n’avait pas pleuré depuis, mais là, les larmes coulent de manière incontrôlée. Embarrassé, il s’est précipité dans la salle de bain pour se laver le visage, comme un garçon puni qui a été renvoyé, et est revenu en se cachant le visage dans une serviette. Les pleurs ne se sont pas calmés facilement. Qusai n’est plus là.

 

Qusai a abandonné l’école en dixième année pour aider à subvenir aux besoins de sa famille. Il a travaillé dans un magasin de légumes à Jéricho, qui appartient à son oncle, puis, la nuit, il a travaillé à la maison avec son frère pour préparer des feuilles de molokhia [ou mouloukhiya/mloukhiyé, corète, jute rouge] utilisées pour faire de la soupe, afin de compléter ses revenus. Lors de notre visite, des sacs de plantes étaient posés au fond du salon. La famille du jeune homme est originaire du village de Wallaja, à côté de Jérusalem. En 1948, ils ont perdu leurs terres et se sont réfugiés dans le camp de Deheisheh, près de Bethléem, avant de s’installer à Jéricho. La maison des Walajis est un immeuble de trois étages qui abrite la famille élargie.

 

Il fait extrêmement chaud à Jéricho au mois d’août, et les grands refroidisseurs d’air portables Emek Coolers, fabriqués en Israël, travaillent d’arrache-pied. Omar est un homme petit et trapu de 51 ans qui, jusqu’à la semaine dernière, avait cinq enfants. Ses fils aînés, Ahmed, 26 ans, et Mohammed, 22 ans, tous deux grands et beaux, servent à leurs invités du café amer et des dattes sucrées. Mohammed travaillait jusqu’à récemment dans une succursale de la chaîne de supermarchés Rami Levy dans la colonie de Mishor Adumim - dans « l’exécution des commandes », dit-il en hébreu. Cependant, lorsque la police des frontières a tué son frère, son permis de travail a été automatiquement révoqué. Les familles palestiniennes endeuillées sont toujours punies deux fois : une première fois par la mort d’un être cher et une seconde fois par la privation de leurs moyens de subsistance.

 

Mohammed, à gauche, et Ahmed Wajali, avec le scooter que conduisait leur frère Qusai lorsqu’il a été abattu.

Les frères de Qusai ont essayé de le persuader de retourner à l’école, mais il n’aimait pas étudier et n’y est jamais retourné. Il travaillait au magasin de légumes tous les jours de 16 heures à 2 heures du matin, avant de rentrer chez lui pour s’occuper des feuilles de molokhia. Pendant l’été, les gens préfèrent travailler la nuit et dormir le jour. En effet, lorsque nous avons traversé la ville sous le soleil brûlant de l’après-midi en début de semaine, les rues elles-mêmes semblaient s’être dissoutes sous l’effet de la chaleur.


Le dernier jour de sa vie, Qusai n’est pas allé travailler mais est resté à la maison pour se reposer, comme il le faisait à l’occasion. Seul Mohammed est allé travailler au magasin de leur oncle ; ils avaient l’habitude de s’y rendre ensemble sur le scooter de Qusai. Ce jour-là - le lundi 14 août - Qusai travaillait avec les feuilles, et vers 2h30 du matin le mardi, il est sorti pour acheter des cigarettes. Environ une heure plus tard, il a pris le scooter et s’est rendu au camp de réfugiés d’Aqabat Jabr, situé à la périphérie sud de Jéricho.

 Ces derniers mois, Aqabat Jabr est devenu un lieu militant et sanglant. Presque chaque nuit, les Forces de défense israéliennes et les troupes de la police des frontières font des descentes dans le camp pour exécuter des « opérations d’arrestation » aussi provocatrices qu’inutiles ; à certaines occasions, les soldats se montrent également dans la journée, comme nous l’avons vu lors de notre précédente visite en mars dernier.

Début février, à la suite d’un incident au cours duquel un restaurant appartenant à des colons au carrefour d’Almog Junction, près de la mer Morte, a été la cible de tirs - personne n’a été blessé - les forces des FDI et de la police des frontières ont lancé un assaut de grande envergure sur le camp, d’où elles pensaient que les suspects venaient, et ont tué cinq jeunes gens en une seule nuit, selon les autorités israéliennes. Mais les habitants du camp affirment qu’on ne sait toujours pas exactement qui et combien de personnes ont été tuées, car Israël a conservé les corps. Une mère, qui pensait que son fils avait été blessé, est arrivée dans un hôpital en Israël et a été consternée de découvrir que le patient dans le lit n’était pas son fils - qui, s’est-il avéré, avait été tué ("Jours tragiques dans les annales d’un camp de réfugiés palestiniens, 31/3/2023).

Au cours de l’année écoulée, 13 jeunes Palestiniens ont été tués à Aqabat Jabr - un nombre important pour un petit camp, autrefois considéré comme calme. Le 10 avril, des soldats y ont tué un jeune de 15 ans, Mohammed Balahan ; la semaine dernière, c’était un jeune de 16 ans.

 

Mardi à l’aube, Qusai se rendait chez son oncle et ses cousins, la famille Indi, dans le camp de réfugiés, où il se rendait fréquemment. Environ un quart d’heure après son départ, ses frères ont reçu un message d’un ami du camp indiquant que Qusai avait été blessé et transporté à l’hôpital de Jéricho. Avec leur père, ils se sont précipités à l’hôpital, apprenant quelques minutes plus tard que l’adolescent avait été déclaré mort. Qusai a été enterré aux premières lueurs du jour, car la famille ne voulait pas conserver son corps en chambre froide, nous disent-ils.

 

Cette nuit-là, la police des frontières avait organisé un raid à grande échelle sur Aqabat Jabr, pénétrant dans le camp peu de temps avant l’arrivée de Qusai. S’il avait su que les forces armées étaient entrées dans le camp, il ne se serait pas approché, affirment ses frères. La police des frontières avait pour mission de placer en détention un homme du Fatah, Abu al-Assal, une opération qui a suscité la résistance de militants armés. Les soldats ont pris position sur les toits.

 

Qusai Wajali

 L’oncle de Qusai habite non loin de la maison où l’homme recherché a été arrêté. Dans une autre partie du camp, la police des frontières avait déjà tué Mohammed Najum, un maître-nageur de 25 ans de la piscine de Jéricho, apparemment au cours d’échanges de coups de feu avec les militants. Mais Qusai, un jeune de 16 ans, venait d’arriver en scooter ; il est difficile de croire qu’il avait une arme ou qu’il a participé à la résistance. A-t-il jeté des pierres depuis le SYM 125 ? Cela défie l’entendement. Sa famille dit qu’elle ne peut même pas concevoir un tel scénario. Elle admet qu’elle ne connaît pas encore tous les détails de ce qui s’est passé ; elle n’a pas enquêté elle-même sur l’incident.

 

Selon Aref Daraghmeh, chercheur de terrain dans la vallée du Jourdain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, Qusai est arrivé par hasard sur les lieux après être entré dans le camp et a été abattu à quelques dizaines de mètres de distance. Il est convaincu que Qusai n’était pas armé. Une balle a atteint l’adolescent à la poitrine et il est tombé sur le scooter. Des jeunes l’ont embarqué dans une voiture privée et ont filé à l’hôpital.

 

Un porte-parole de la police israélienne a déclaré cette semaine, en réponse à une question posée par Haaretz : « Le 15/8/23, les forces de sécurité sont arrivées pour procéder à l’arrestation d’un individu recherché et pour fouiller sa maison à la recherche d’armes. Dans le cadre des échanges de tirs qui ont eu lieu entre les forces et les terroristes, deux terroristes qui ont ouvert le feu sur les forces ont été éliminés, y compris le sujet de votre enquête ».

 

L’objet de notre enquête était donc un terroriste.

 

« Il était jeune », dit son père en pleurs, la voix brisée. « Si jeune ».