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08/03/2025

GIDEON LEVY
Des semaines plus tard, personne ne peut expliquer pourquoi les soldats israéliens ont tué un autre garçon palestinien non armé en Cisjordanie

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 7/3/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Alors qu’il se trouvait par hasard près d’un jardin d’enfants géré par Save the Children dans le village de Sebastia, en Cisjordanie, Ahmad Jazar, 15 ans, a été abattu par un soldat israélien. « Depuis le début de la guerre à Gaza », déclare le chef du conseil local, « il n’y a rien de plus facile pour les Israéliens que de tirer sur les Palestiniens ».

Rashid et Wafa Jazar, avec un poster de leur fils Ahmad, chez eux cette semaine dans le village de Sebastia

Une photo déchirante d’Ahmad Jazar, prise la veille de son assassinat. La main de sa mère est posée sur son épaule, comme si elle s’apprêtait à le serrer dans ses bras ; tous deux sourient légèrement en regardant l’appareil photo. La photo a été prise par Mira, la sœur aînée d’Ahmad, étudiante en décoration d’intérieur âgée de 19 ans, à Naplouse, alors qu’Ahmad rendait visite à sa mère. Ahmad avait demandé à sa sœur de les prendre en photo. Personne n’imaginait que ce serait sa dernière.

Le lendemain, 19 janvier, Ahmad a été abattu par un soldat des forces de défense israéliennes à une distance de quelques dizaines de mètres, dans sa ville natale de Sebastia, dans le nord de la Cisjordanie. Il se tenait alors près de l’entrée d’un jardin d’enfants géré par l’organisation internationale Save the Children. Des images d’enfants joyeux, naïfs et colorés, ornent la clôture en pierre qui entoure le bâtiment. À côté, Ahmad, un jeune homme de 15 ans issu d’une famille pauvre, s’est effondré sur le sol, en sang, et est mort.

Trois jours plus tard, Mira a fait imprimer la photo, y a ajouté un cœur blanc et l’a placée sous le grand poster de son frère, dans le cadre d’un coin commémoratif improvisé dans le salon.

À Sebastia, près de Naplouse, les colons ont fondé une véritable terre de colonisation. C’est dans la vieille gare abandonnée de l’époque ottomane, près du village, que les membres de l’organisation Gush Emunim ont convergé durant l’été 1969 - accompagnés de trois futurs premiers ministres : Menachem Begin, Ariel Sharon et Ehud Olmert - et s’en sonr emparés.

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L’accord conclu la même année, parfois appelé « compromis de Sebastia » (qui n’était pas du tout un compromis), a laissé les colons sur place même après qu’ils étaient censés évacuer, ce qui a été le signe avant-coureur d’une entreprise de colonisation tentaculaire dans tout le Shomron, alias la Samarie. Cinquante-six ans plus tard, les FDI y tuent des enfants, dans la partie nord de la Cisjordanie.

Sebastia est le site de la ville biblique de Shomron, dont les ruines se trouvent à la périphérie du village palestinien ; l’accès à cette zone est interdit à ses habitants depuis juillet dernier. Pendant ce temps, à environ sept kilomètres de là, se profile la colonie de Shavei Shomron.

Lorsque nous nous sommes rendus dans la région cette semaine, toutes les voitures palestiniennes circulant sur la route étaient bloquées par un véhicule militaire blindé garé en diagonale, afin d’ouvrir la voie à deux véhicules de colons se dirigeant vers le nord, en direction de la colonie de Homesh. Il est évident qu’ici, ce sont les seigneurs de la terre qui sont en place.

Dans son bureau, le chef du conseil du village de Sebastia, Mahmoud Azzam, nous montre des vidéos de colons attaquant son village. Il ne se passe pas un jour sans que ces maraudeurs n’attaquent ou que l’armée ne fasse une incursion, dit-il. « Depuis le début de la guerre à Gaza », ajoute-t-il, « il n’y a rien de plus facile pour les Israéliens que de tirer sur les Palestiniens. Depuis le 7 octobre, ils ont également commencé à mettre la main sur nos terres ».

Sebastia est un village coloré qui, dans un autre univers, serait un site touristique prospère - une combinaison d’anciennes structures en pierre et d’attractions historiques plus récentes. Les résidents locaux gèrent deux maisons d’hôtes bien tenues, mais les touristes et les pèlerins n’ont pas vraiment afflué depuis un an et demi.

Le 19 janvier, l’armée a de nouveau fait une incursion à Sebastia. La veille au soir, quelques jeunes s’étaient réunis dans le café du coin, les autres habitants étaient cloîtrés chez eux. Ici, il ne se passe pas grand-chose à la nuit tombée.


Le jardin d’enfants de Save the Children. Ahmad se trouvait à proximité lorsque les soldats ont ouvert le feu

Un appartement dans une vieille maison en pierre de deux étages au plafond voûté et aux murs nouvellement crépis, au centre du village. Nous y étions cette semaine avec Salma a-Deb’i, chercheuse de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem. La famille Jazar, endeuillée et appauvrie, avait emménagé quelques jours auparavant, grâce à l’aide financière d’un parent et d’autres résidents.

Rashid, le père, âgé de 57 ans, est un peintre en bâtiment qui a travaillé pendant des années en Israël mais qui, comme tous les autres Palestiniens de Cisjordanie, n’a pas pu entrer dans le pays depuis le 7 octobre. Le 5 octobre 2023, il travaillait encore à Petah Tikva, effectuant des travaux de rénovation pour un entrepreneur juif. Il n’est pas revenu depuis et a été privé de son gagne-pain. Lui et sa femme, Wafa, 40 ans, ont huit enfants.

La situation économique désastreuse de la famille les a contraints à vivre séparément au cours des 17 derniers mois. Wafa et sept des enfants ont déménagé à Naplouse, où elle a trouvé un emploi de couturière, tandis que Rashid et Ahmad vivaient dans un minuscule appartement d’une pièce à Sebastia. Ahmad est allé à l’école jusqu’à la septième année, puis il a abandonné l’école pour aider à subvenir aux besoins de la famille. Il a essayé de vivre à Naplouse avec sa mère, mais ne s’y est pas plu. Il est donc rentré chez lui, où son père et lui ont fait des petits boulots.

Ce dimanche-là, ils n’avaient pas de travail et Ahmad s’est levé à midi. Rashid se souvient que son fils est allé rendre visite à des amis et qu’il a ensuite mangé du houmous et des falafels. Le garçon a passé l’après-midi, son dernier, à la maison, à jouer sur son téléphone. Vers 18 h 30, il a dit à son père qu’il allait au café, à quelques pas de chez eux. Ensuite, il est allé acheter du pain pita dans la seule épicerie qui acceptait encore de vendre à crédit à la famille.

En chemin, il apprend que l’armée est entrée dans le village. « C’est un enfant, ce n’est pas comme toi et moi », explique son père dans son hébreu d’ouvrier. « Il entend que l’armée est dans les parages et il rentre à la maison dare-dare ». Rashid lui-même s’était rendu dans un autre café du village, en face du bâtiment du conseil municipal, pour passer le temps. Vers 8 heures, des jeunes sont arrivés et ont annoncé que quelqu’un avait été blessé par les soldats. Ils ne lui ont pas dit qu’il s’agissait de son fils.

Ahmad se trouvait apparemment dans la rue, non loin du jardin d’enfants, à quelques dizaines de mètres de quatre soldats et de leur jeep. L’un d’entre eux a tiré quelques coups de feu sur lui - on ne sait toujours pas pourquoi - et une balle l’a atteint à la poitrine. Les autres ont touché les murs et la clôture. Nous avons vu les trous cette semaine ; heureusement, il n’y avait personne dans le jardin d’enfants à cette heure-là.

L’unité du porte-parole des FDI s’est contentée de la réponse suivante cette semaine : « À la suite de l’incident, une enquête a été lancée par la division des enquêtes criminelles de la police militaire. Naturellement, nous ne pouvons pas nous étendre sur une enquête en cours ».

Il est donc impossible pour l’instant d’entrer dans les détails, et si l’“enquête en cours” se termine un jour, personne ne s’intéressera à la raison pour laquelle les soldats ont tué un autre jeune non armé qui, par hasard, se tenait quelque part près d’eux.

Ahmad s’est effondré et a été immédiatement emporté par quelques jeunes qui se trouvaient à proximité, derrière un mur de béton. À ce moment-là, Rashid est également arrivé. Un véhicule privé a transporté d’urgence l’adolescent, couché sur les genoux de son père, à l’hôpital An-Najah de Naplouse. Ahmad était mort à son arrivée, mais les médecins ont néanmoins tenté de le ranimer et ont dit à son père qu’avec l’aide de Dieu, le garçon survivrait.

Mais, raconte Rashid, « je me suis dit tout de suite : c’est fini. Son histoire est terminée ». Quelques minutes plus tard, un médecin est sorti et a déclaré : « Dieu a pris Ahmad ». La mère d’Ahmad, qui se trouvait dans sa maison de Naplouse, est arrivée quelques minutes plus tard, accompagnée de quatre de ses enfants. Elle raconte qu’elle s’est évanouie en apprenant la nouvelle.

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Wafa, une femme peu loquace, était en noir cette semaine, le visage marqué par l’agonie. Après la catastrophe qui les a frappés, elle a quitté son travail en ville et est revenue à Sebastia avec ses derniers enfants pour vivre avec son mari, dans l’appartement qu’un parent leur a donné. Les villageois se sont cotisés pour couvrir leur loyer symbolique.

De son côté, Wafa explique qu’elle a quitté Naplouse pour être près d’Ahmad : elle se rend tous les jours sur sa tombe.

 


05/02/2025

SOUMAYA GHANNOUCHI
Gaza est une terre palestinienne, pas une station balnéaire de luxe pour Trump

Le président usaméricain considère ce territoire bombardé comme un bien immobilier de premier ordre. Mais les Palestiniens n’iront nulle part ailleurs.

Soumaya Ghannouchi, MiddleEast Eye ,4/2/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

 

Soumaya Ghannouchi, fille du leader tunisien emprisonné Rachid Ghanouchi, est une écrivaine tuniso-britannique et experte en politique du Moyen-Orient. Elle est rédactrice en chef du magazine en arabe Meem. Elle a été condamnée le 5 février 2025 par contumace à 25 ans de prison par un tribunal de Tunis.

 « Les gens se déplacent vers le nord pour rentrer chez eux et voir ce qui s’est passé, puis ils font demi-tour et partent... il n’y a pas d’eau ni d’électricité ».

Steve Witkoff, promoteur immobilier milliardaire et envoyé du président Donald Trump au Moyen-Orient a prononcé ces mots à Axios comme s’il décrivait un malheureux désagrément. Mais en y regardant de plus près, vous verrez leur plan.

C’est le résultat que veut Trump, et le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyaohu, a déjà mis les choses en route. Gaza n’a jamais été destinée à être reconstruite. Elle était destinée à être vidée, aplatie, effacée.

Et qui mieux que les magnats de l’immobilier pour superviser ce nettoyage ? Pour Trump et Witkoff, Gaza n’est pas la patrie d’un peuple ; c’est une opportunité de développement, une portion de côte méditerranéenne de premier ordre qui attend d’être « réaffectée » une fois que ses habitants auront été chassés.

Trump n’a jamais caché qu’il considérait Gaza comme un bien immobilier de premier ordre, s’émerveillant de sa « situation phénoménale » sur la mer et de son « meilleur temps », comme s’il arpentait un terrain pour une station de luxe.

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Il ne considère pas Gaza comme faisant partie de la Palestine. Il ne la considère pas comme une patrie appartenant à son peuple. Il y voit une opportunité inexploitée pour les riches, un terrain de jeu pour les investisseurs, une future station balnéaire pour les touristes et les étrangers - tout le monde sauf les Palestiniens de Gaza.

Mais Gaza n’est pas un bien immobilier à vendre. Ce n’est pas un projet de développement. Ce n’est pas un lieu de villégiature pour les étrangers. Gaza fait partie de la Palestine.


Tjeerd Royaards

Ils vont le faire

Les USA n’ont pas dépensé des milliards de dollars, déployé des milliers de tonnes de bombes et supervisé l’anéantissement de 70 pour cent des bâtiments de Gaza pour que le territoire puisse être reconstruit.

Les bombes n’ont jamais été destinées à faire place à la reconstruction. Elles visaient à faire en sorte qu’il ne reste rien. L’idée que la population survivante de Gaza, celle que les bombes n’ont pas réussi à tuer, serait autorisée à récupérer ses terres, n’a jamais fait partie du plan.

Et Trump l’a dit clairement : il n’y a pas d’alternative. Lors d’une récente conférence de presse, un journaliste l’a interrogé sur sa suggestion d’envoyer les Palestiniens de Gaza en Jordanie ou en Égypte Il a également demandé si des pressions, telles que des droits de douane, pouvaient être exercées pour leur forcer la main. 

La réponse de Trump, dégoulinante d’arrogance, a fait froid dans le dos par sa certitude : « ls vont le faire. Ils le feront. Ils vont le faire ».

13/01/2025

JONATHAN POLLAK
“J'ai vu que le sol était plein de sang. J'ai ressenti de la peur comme de l'électricité dans mon corps. Je savais exactement ce qui allait arriver”
Témoignages sur le goulag sioniste

Viol. Faim. Coups mortels. Maltraitance. Quelque chose de fondamental a changé dans les prisons israéliennes. Aucun de mes amis palestiniens qui ont récemment été libérés n’est resté la personne qu’il était auparavant.

Jonathan Pollak, Haaretz , 9/1/2025
Traduit par Shofty Shmaha, Tlaxcala

Jonathan Pollak (1982) est l’un des fondateurs en 2003 du groupe israélien Anarchistes contre le mur. Blessé et incarcéré à plusieurs reprises, il collabore au quotidien Haaretz. Il a notamment refusé de comparaître devant un tribunal civil, exigeant d’être jugé par un tribunal militaire, comme un vulgaire Palestinien, ce qui lui a évidemment été refusé

Jonathan Pollak face à un soldat israélien lors d’une manifestation contre la fermeture de la route principale du village palestinien de Beit Dajan, près de Naplouse, Cisjordanie occupée, vendredi 9 mars 2012. (Anne Paq/Activestills)


Jonathan Pollak au tribunal de première instance de Jérusalem, arrêté dans le cadre d’une campagne juridique sans précédent menée par l’organisation sioniste Ad Kan, le 15 janvier 2020. (Yonatan Sindel/Flash90)


Des militants brandissent des affiches de soutien à Jonathan Pollak lors de la manifestation hebdomadaire dans la ville palestinienne de Beita, en Cisjordanie occupée, le 3 février 2023. (Wahaj Banimoufleh)


Jonathan Pollak aux côtés de son avocate Riham Nasra au tribunal de Petah Tikva lors de son procès pour avoir jeté des pierres lors d’une manifestation contre l’avant-poste de colons juifs d’Eviatar à Beita, en Cisjordanie occupée, le 28 septembre 2023. (Oren Ziv)

Lorsque je suis revenu dans les territoires [occupés depuis 1967] après une longue détention suite à une manifestation dans le village de Beita, la Cisjordanie était très différente de ce que je connaissais. Ici aussi, Israël a perdu son calme. Meurtres de civils, attaques de colons agissant avec l’armée, arrestations massives. Peur et terreur à chaque coin de rue. Et ce silence, un silence écrasant. Déjà avant ma libération, il était clair que quelque chose de fondamental avait changé. Quelques jours après le 7 octobre, Ibrahim Alwadi, un ami du village de Qusra, a été tué avec son fils Ahmad. Ils ont été abattus alors qu’ils accompagnaient quatre Palestiniens abattus la veille — trois par des colons qui ont envahi le village, le quatrième par des soldats qui les accompagnaient.

Après ma libération, j’ai compris que quelque chose de très mauvais se passait dans les prisons. Au cours de l’année écoulée, alors que je retrouvais ma liberté, des milliers de Palestiniens — y compris de nombreux amis et connaissances — ont été arrêtés en masse par Israël. À mesure qu’ils commençaient à être libérés, leurs témoignages ont dressé un tableau systématique de la torture. Les coups mortels sont un motif récurrent dans chaque récit. Cela se produit dans les comptages des détenus, lors des fouilles des cellules, à chaque mouvement d’un endroit à l’autre. La situation est si grave que des détenus demandent à leurs avocats de tenir les audiences sans leur présence, car le chemin de la cellule à la salle où est installée la caméra est un chemin de douleurs et d’humiliations.

 J’ai longtemps hésité sur la façon de partager les témoignages que j’ai entendus de mes amis revenus de la détention. Après tout, je ne révèle pas ici de nouveaux détails. Tout, dans les moindres détails, remplit déjà volumes sur volumes dans les rapports des organisations de droits humains. Mais pour moi, ce ne sont pas les histoires de gens lointains. Ce sont des personnes que j’ai connues et qui ont survécu à l’enfer. Aucun d’eux n’est plus la personne qu’il était auparavant. Je cherche à raconter ce que j’ai entendu de mes amis, expérience partagée par d’innombrables autres, même en changeant leurs noms et en masquant les détails identifiables. Après tout, la peur de représailles revenait dans chaque conversation.

 Les coups et le sang

J’ai rendu visite à Malak quelques jours après sa libération. Une porte jaune et une tour de garde bloquaient le chemin qui menait autrefois au village depuis la route principale. La plupart des autres routes passant par les villages voisins sont toutes bloquées. Seule une route sinueuse, celle qui passe près de l’église byzantine qu’Israël a fait exploser en 2002, est restée ouverte. Pendant des années, ce village avait été pour moi comme une seconde maison, et c’est la première fois que j’y retourne depuis ma libération.

Malak a été détenu pendant 18 jours. Il a été interrogé trois fois, et lors de tous les interrogatoires, il a été questionné sur des banalités. Il était donc convaincu qu’il serait transféré en détention administrative — c’est-à-dire sans procès et sans preuves, sans qu’il soit accusé de quoi que ce soit, sous un vernis de soupçons secrets et sans limite de temps. C’est en effet le sort de la plupart des détenus palestiniens en ce moment.

Après le premier interrogatoire, il a été emmené au jardin des supplices. Pendant la journée, les gardiens retiraient les matelas et les couvertures des cellules, et les restitueraient le soir lorsqu’ils étaient à peine secs, et parfois même encore mouillés. Malak décrit le froid des nuits d’hiver à Jérusalem comme des flèches pénétrant dans la chair jusqu’aux os s. Il raconte comment ils le battaient, comme les autres détenus, à chaque occasion. À chaque comptage, à chaque fouille, à chaque mouvement d’un endroit à l’autre, chaque chose était une occasion de frapper et d’humilier.

« Une fois, lors du comptage du matin », m’a-t-il dit, « nous étions tous à genoux, le visage tourné vers les lits. Un des gardiens m’a attrapé par derrière, m’a menotté les mains et les pieds, et m’a dit en hébreu ‘Viens, bouge’. Il m’a soulevé par les menottes aux mains, dans le dos, et m’a conduit courbé à travers la cour à côté des cellules. Pour sortir, il y a une sorte de petite pièce qu’il faut traverser, entre deux portes avec une petite fenêtre ». Je sais exactement de quelle petite pièce il parle, je l’ai traversée des dizaines de fois. C’est un passage de sécurité où à un moment donné, seule une des portes peut être ouverte. « Alors nous y sommes arrivés », continue Malek, « et ils m’ont plaqué contre la porte, le visage contre la fenêtre. J’ai regardé à l’intérieur et j’ai vu que le sol était couvert de sang coagulé. J’ai ressenti la peur passer comme de l’électricité dans mon corps. Je savais exactement ce qui allait arriver. Ils ont ouvert la porte, un est entré et s’est tenu près de la fenêtre au fond, l’a bloquée, et l’autre m’a jeté à l’intérieur sur le sol. Ils m’ont donné des coups de pied. J’ai essayé de protéger ma tête, mais mes mains étaient menottées, je n’avais pas vraiment de moyen de le faire. C’étaient des coups meurtriers. Je pensais vraiment qu’ils allaient peut-être me tuer. Je ne sais pas combien de temps ça a duré. À un moment donné, je me suis souvenu que la nuit précédente, quelqu’un m’avait dit “Quand ils te frappent, crie de toutes tes forces. Qu’est-ce que ça peut te faire ? Ça ne peut pas être pire, et peut-être que quelqu’un entendra et viendra”. Alors j’ai commencé à crier vraiment fort, et effectivement, quelqu’un est arrivé. Je ne comprends pas l’hébreu, mais il y a eu quelques cris entre lui et eux. Et puis ils sont partis et il m’a emmené d’ici. J’avais du sang qui coulait de ma bouche et de mon nez ».

 Khaled, l’un de mes amis les plus proches, a également souffert de la violence des gardiens. Lorsqu’il est sorti de prison après une détention administrative de huit mois, son fils ne l’a pas reconnu de loin. La distance entre la prison d’Ofer et sa maison de Beitunia, il l’a parcourue en courant. Plus tard, il a dit qu’on ne lui avait pas dit que la détention administrative était terminée, et il avait peur qu’il y ait eu une erreur et qu’ils allaient bientôt l’arrêter à nouveau. Cela s’était déjà produit pour quelqu’un qui était avec lui dans la cellule. Sur la photo que son fils m’a envoyée quelques minutes après leur rencontre, il a l’air d’une ombre humaine. Sur tout son corps — ses épaules, ses bras, son dos, son visage, ses jambes — on voyait des signes de violence. Quand je suis venu lui rendre visite, il s’est levé pour m’embrasser, mais quand je l’ai pris dans mes bras, il a gémi de douleur. Quelques jours plus tard, les examens ont montré un œdème autour de la colonne vertébrale et une côte qui avait guéri.

Prison de Megiddo


Chaque action est une occasion de frapper et d’humilier

Un autre témoignage que j’ai entendu de la bouche de Nizar, qui était déjà en détention administrative avant le 7 octobre, et depuis il a été transféré dans plusieurs prisons, dont Megiddo. Un soir, les gardiens sont entrés dans la cellule voisine et il a pu entendre depuis sa cellule les coups, les cris de douleur. Après un certain temps, les gardiens ont pris un détenu et l’ont jeté seul dans la cellule d’isolement. Pendant la nuit et le jour suivant, il a gémi de douleur et n’a pas cessé de crier “mon ventre” et d’appeler à l’aide. Personne n’est venu. Cela a continué aussi la nuit suivante. Vers le matin, les cris ont cessé. Le lendemain, lorsqu’un infirmier est venu faire un tour dans le quartier, ils ont compris d’après le tumulte et les cris des gardiens que le détenu était mort. Jusqu’à aujourd’hui, Nizar ne sait pas qui c’était. Il était interdit de parler entre les cellules, et il ne sait pas quelle était la date.

Après sa libération, il a compris que pendant la période où il était détenu, ce détenu n’avait pas été le seul à mourir à Megiddo. Taoufik, qui a été libéré en hiver de la prison de Gilboa, m’a raconté que pendant une vérification du quartier par des officiers de la prison, un des détenus s’est plaint de ne pas être autorisé à sortir dans la cour. En réponse, l’un des officiers lui a dit : “Tu veux la cour ? Dis merci de ne pas être dans les tunnels du Hamas à Gaza”. Ensuite, pendant deux semaines, chaque jour pendant le comptage de midi, ils les faisaient sortir dans la cour et leur ordonnaient de s’allonger sur le sol froid pendant deux heures. Même sous la pluie. Pendant qu’ils étaient allongés, les gardiens se promenaient dans la cour avec des chiens. Parfois, les chiens passaient entre eux, et parfois ils marchaient vraiment sur les détenus allongés ; ils leur marchaient dessus.

 Selon Taoufik, chaque rencontre d’un détenu avec un avocat avait un prix. « Je savais à chaque fois que le chemin de retour, entre la salle de visite et le quartier, me rajouterait au moins trois volées de coups. Mais je n’ai jamais refusé d’y aller. Toi, tu étais dans une prison cinq étoiles. Tu ne comprends pas ce que c’est d’être 12 personnes dans une cellule où on était à l’étroit même à six. C’est vivre dans un cercle fermé. Ça ne me dérangeait pas du tout ce qu’ils allaient me faire. Juste voir quelqu’un d’autre qui parle avec toi comme un humain, voir peut-être quelque chose dans le couloir en chemin, ça valait tout pour moi ».

Mondher Amira  — le seul ici à apparaître sous son vrai nom — a été libéré de prison par surprise avant la fin de sa période de détention administrative. Même aujourd’hui, personne ne sait pourquoi. Contrairement à beaucoup d’autres qui ont été avertis et craignent des représailles, Amira a raconté aux caméras la catastrophe dans les prisons, les qualifiant de cimetières pour vivants. À moi, il a raconté qu’une nuit, une unité Kt’ar a fait irruption dans leur cellule à la prison d’Ofer, accompagnée de deux chiens. Ils ont ordonné aux détenus de se déshabiller jusqu’à leurs sous-vêtements et de s’allonger sur le sol, puis ont ordonné aux chiens de renifler leur corps et leur visage. Ensuite, ils ont ordonné aux prisonniers de s’habiller, les ont conduits aux douches et les ont rincés à l’eau froide habillés. Une autre fois, il a essayé d’appeler un infirmier à l’aide après qu’un détenu a tenté de se suicider. La punition pour avoir appelé à l’aide a été une autre descente de l’unité Kt’ar. Cette fois, ils ont ordonné aux détenus de s’allonger les uns sur les autres et les ont frappés avec des matraques. À un moment donné, un des gardiens a écarté leurs jambes et les a frappés aux testicules avec une matraque. 

 La faim et les maladies

Mondher a perdu 33 kilos pendant sa détention. Je ne sais pas combien de kilos Khaled a perdus, lui qui a toujours été un homme mince, mais sur la photo qui m’a été envoyée, j’ai vu un squelette humain. Dans le salon de sa maison, la lumière de la lampe a ensuite révélé deux profondes dépressions à l’endroit où se trouvaient ses joues. Ses yeux étaient entourés d’un contour rouge, celui d’une personne qui n’a pas dormi depuis des semaines. Sur ses bras maigres pendaient une peau lâche qui semblait avoir été fixée artificiellement, comme un emballage en plastique. Les analyses sanguines des deux ont montré des carences graves. Tous ceux avec qui j’ai parlé, quelle que soit la prison où ils sont passés, ont répété presque exactement le même menu, qui est parfois mis à jour, ou plutôt réduit. La dernière version que j’ai entendue, de la prison d’Ofer, était : au petit-déjeuner, une boîte et demi de fromage pour une cellule de 12 personnes, trois tranches de pain par personne, 2 ou 3 légumes, généralement un concombre ou une tomate, pour toute la cellule. Une fois tous les quatre jours, 250 grammes de confiture pour toute la cellule. Au déjeuner, un gobelet en plastique jetable avec du riz par personne, deux cuillères de lentilles, quelques légumes, trois tranches de pain. Au dîner, deux cuillères (à café, pas à soupe) de houmous et de tahini par personne, quelques légumes, trois tranches de pain par personne. Parfois un autre gobelet de riz, parfois une boule de falafel (une seule !) ou un œuf, qui est généralement un peu avarié, parfois avec des points rouges, parfois bleu. Voilà.  Nazar m’a dit à ce sujet : « Ce n’est pas seulement la quantité. Même ce qui a déjà été apporté n’est pas comestible. Le riz est à peine cuit, presque tout est avarié. Et tu sais, il y a même de vrais enfants là-bas, ceux qui n’ont jamais été en prison. Nous avons essayé de prendre soin d’eux, de leur donner de notre nourriture pourrie. Mais si tu donnes un peu de ta nourriture, c’est comme si tu te suicidais. Dans la prison, il y a maintenant une famine (maja’a  مَجَاعَة), et ce n’est pas une catastrophe naturelle, c’est la politique du service pénitentiaire ».

Récemment, la faim a même augmenté. En raison de l’exiguïté, le service pénitentiaire trouve des moyens de rendre les cellules encore plus étroites. Espaces publics, cantine — tout endroit est devenu une cellule supplémentaire. Le nombre de prisonniers dans les cellules, qui étaient déjà surpeuplées auparavant, a encore augmenté. Il y a des sections où 50 prisonniers supplémentaires ont été ajoutés, mais la quantité de nourriture est restée la même. Il n’est donc pas surprenant que les prisonniers perdent un tiers, voire plus, de leur poids en quelques mois.

La nourriture n’est pas la seule chose qui manque en prison, et les détenus ne sont en fait pas autorisés à posséder quoi que ce soit d’autre qu’un seul ensemble de vêtements. Une chemise, une paire de sous-vêtements, une paire de chaussettes, un pantalon, un sweat-shirt. C’est tout. Pour toute la durée de leur détention. Je me souviens qu’une fois, lorsque l’avocate de Mondher, Riham Nasra, lui a rendu visite, il est arrivé dans la salle de visite pieds nus. C’était en hiver et il faisait un froid glacial à Ofer. Quand elle lui a demandé pourquoi, il a simplement dit : « Il n’y en a pas ».  Un quart de tous les prisonniers palestiniens sont atteints de gale, selon une déclaration du service pénitentiaire lui-même au tribunal. Nizar a été libéré lorsque sa peau était en phase de guérison. Les lésions sur sa peau ne saignent plus, mais les croûtes couvrent encore de grandes parties de son corps. « L’odeur dans la cellule était quelque chose qu’on ne peut même pas décrire. Comme la décomposition, nous étions là et nous nous décomposions, notre peau, notre chair. Nous ne sommes pas des êtres humains là-bas, nous sommes de la chair en décomposition », dit-il. « Maintenant, comment ne pas l’être ? La plupart du temps, il n’y a pas d’eau du tout, souvent seulement une heure par jour, et parfois nous n’avions pas d’eau chaude pendant des jours. Il y a eu des semaines entières sans que je prenne de douche. J’ai mis plus d’un mois à recevoir du savon. Et nous restons là, dans les mêmes vêtements, car personne n’a de vêtements de rechange, et ils sont pleins de sang et de pus et il y a une puanteur, pas de saleté, mais de mort. Nos vêtements étaient imbibés de nos corps en décomposition ».

 Taoufik a raconté qu’« il n’y avait de l’eau courante qu’une heure par jour. Pas seulement pour la douche, mais en général, même pour les toilettes. Donc, pendant cette heure-là, 12 personnes dans la cellule devaient faire tout ce qui nécessitait de l’eau, y compris les besoins naturels. Évidemment, c’était insupportable. Et aussi, parce que la plupart de la nourriture était avariée, nous avions tous des troubles digestifs presque tout le temps. Tu ne peux pas imaginer à quel point notre cellule puait ».

Dans ces conditions, l’état de santé des prisonniers se détériore, évidemment. Une perte de poids aussi rapide, par exemple, pousse le corps à consommer ses propres tissus musculaires. Lorsque Mondher a été libéré, il a raconté à Sana, sa femme, qui est infirmière, qu’il était si sale que sa sueur avait teint ses vêtements en orange. Elle l’a regardé et a demandé, « Et l’urine ? » Il a répondu : « Oui, j’ai aussi pissé du sang ». « Espèce d’idiot », lui a-t-elle crié, « ce n’était pas de la saleté, c’était ton corps qui rejetait les muscles qu’il avait mangés ».

Les analyses de sang de presque toutes mes connaissances ont montré qu’ils souffraient de malnutrition et de graves carences en fer, en minéraux essentiels et en vitamines. Mais même les soins médicaux sont un luxe. On ne sait pas ce qui se passe dans les infirmeries de la prison, mais pour les prisonniers, elles n’existent pas. Les traitements réguliers ont simplement cessé. De temps en temps, un infirmier fait un tour dans les cellules, mais aucun traitement n’est administré, et « l’examen » se résume à une conversation à travers la porte de la cellule. La réponse médicale, au mieux, est du paracétamol et, le plus souvent, quelque chose du genre « bois de l’eau ». Il va sans dire qu’il n’y a pas assez d’eau dans les cellules, car il n’y a pas d’eau courante la plupart du temps. Parfois, une semaine ou plus passent sans que même l’infirmier ne passe dans le bloc.


Et si l’on parle peu de viol, il n’y a pas besoin de parler des humiliations sexuelles — des vidéos de prisonniers conduits complètement nus par le service pénitentiaire ont été diffusées sur les réseaux sociaux. Ces actes n’auraient pas pu être documentés autrement que par les gardiens eux-mêmes qui cherchaient à se vanter de leurs actes. L’utilisation de la fouille comme une opportunité pour une agression sexuelle, souvent en frappant l’aine avec la main ou le détecteur de métaux, est une expérience presque constante, dont la description revient régulièrement chez les prisonniers qui ont été dans différentes prisons.

Je n’ai pas entendu parler des agressions contre les femmes de première main, évidemment. Ce que j’ai entendu, et pas une seule fois, c’est le manque de matériel hygiénique pendant les règles et son utilisation pour humilier. Après les premiers coups le jour de son arrestation, Mounira a été emmenée à la prison de Sharon. À l’entrée de la prison, tout le monde passe par une fouille corporelle, mais une fouille à nu n’est pas la norme et nécessite un motif raisonnable de soupçonner que la détenue cache un objet interdit. Une fouille à nu nécessite également l’approbation de l’officier responsable. Pendant la fouille, aucun officier n’était là pour Mounira, et certainement pas une procédure organisée pour vérifier un soupçon raisonnable. Mounira a été poussée par deux gardiennes dans une petite pièce de fouille, où elles l’ont forcée à enlever tous ses vêtements, y compris ses sous-vêtements et son soutien-gorge, et à se mettre à genoux. Après quelques minutes où elles l’ont laissée seule, l’une des gardiennes est revenue, l’a frappée et est partie. À la fin, ses vêtements lui ont été rendus et elle a été autorisée à s’habiller. Le lendemain était le premier jour de ses règles. Elle a reçu une serviette hygiénique et devait s’en débrouiller pour toute la période de ses règles. Et c’était pareil pour toutes. Lorsqu’elle a été libérée, elle souffrait d’une infection et d’une grave inflammation des voies urinaires.

Épilogue

Sde Teiman était le lieu de détention le plus terrible, et c’est soi-disant la raison pour laquelle ils l’ont fermé. En effet, il est difficile de penser aux descriptions de l’horreur et de l’atrocité qui sont sorties de ce camp de torture sans penser à l’endroit comme l’un des cercles de l’enfer. Mais ce n’est pas sans raison que l’État a accepté de transférer ceux qui y étaient détenus vers d’autres endroits — principalement Nitzan et Ofer. Sde Teiman ou pas Israël détient des milliers de personnes dans des camps de torture et au moins 68 d’entre elles y ont perdu la vie. Rien que depuis début décembre, la mort de quatre autres détenus a été signalée. L’un d’eux, Mahmad Walid Ali, 45 ans, du camp de Nour Shams près de Toulkarem, est mort une semaine seulement après son arrestation. Les tortures sous toutes leurs formes, la faim, l’humiliation, l’agression sexuelle, la promiscuité, les coups et la mort, ne sont pas le fruit du hasard. Elles constituent ensemble la politique israélienne. Voilà la réalité.


 



13/12/2024

NIR HASSON
Une base de données massive de preuves, compilée par un historien israélien, documente les crimes de guerre d’Israël à Gaza

Une femme accompagnée d’un enfant est abattue alors qu’elle brandit un drapeau blanc ■ Des fillettes affamées sont écrasées à mort dans la file d’attente pour du pain ■ Un homme de 62 ans menotté est écrasé, manifestement par un char d’assaut ■ Une frappe aérienne vise des personnes qui tentent d’aider un garçon blessé ■ Une base de données de milliers de vidéos, photos, témoignages, rapports et enquêtes documente les horreurs commises par Israël à Gaza.

Nir Hasson, Haaretz , 5/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Journaliste à Haaretz depuis 2008, Nir Hasson est auteur du livre URSHALIM : Israéliens et Palestiniens à Jérusalem, 1967-2017 (en hébreu), Books in the Attic/Yediot Books, 2017

Une femme gazaouie porte le corps d’un enfant, la semaine dernière. Photo Omar El Qattaa/AFP

La note de bas de page n° 379 du document très fouillé et très complet que l’historien Lee Mordechai a rédigé contient un lien vers un clip vidéo. On y voit un gros chien ronger quelque chose au milieu de buissons. « Ouaï, ouaï, il a pris le terroriste, le terroriste est parti - parti dans les deux sens du terme », dit le soldat qui a filmé le chien en train de manger un cadavre. Après quelques secondes, le soldat lève la caméra et ajoute : « Mais quelle vue magnifique, quel magnifique coucher de soleil ! Un soleil rouge se couche sur la bande de Gaza ». Il s’agit bien d’un magnifique coucher de soleil.

Le rapport que le Dr Mordechai a mis en ligne - « Bearing Witness to the Israel-Gaza War » - constitue la documentation la plus méthodique et la plus détaillée en hébreu (il existe également une traduction en anglais) des crimes de guerre perpétrés par Israël dans la bande de Gaza. Il s’agit d’un acte d’accusation choquant composé de milliers d’entrées relatives à la guerre, aux actions du gouvernement, des médias, des forces de défense israéliennes et de la société israélienne en général. La traduction anglaise de la septième version du texte, la plus récente à ce jour, compte 124 pages et contient plus de 1 400 notes de bas de page renvoyant à des milliers de sources, notamment des rapports de témoins oculaires, des séquences vidéo, des documents d’enquête, des articles et des photographies.
Par exemple, il y a des liens vers des textes et d’autres types de témoignages décrivant des actes attribués à des soldats des FDI qui ont été vus « tirant sur des civils agitant des drapeaux blancs, maltraitant des individus, des captifs et des cadavres, endommageant ou détruisant allègrement des maisons, diverses structures et institutions, des sites religieux et pillant des biens personnels, ainsi que tirant au hasard avec leurs armes, tirant sur des animaux locaux, détruisant des propriétés privées, brûlant des livres dans des bibliothèques, dégradant des symboles palestiniens et islamiques (y compris en brûlant des Corans et en transformant des mosquées en espaces de restauration) ».
Un lien renvoie à une vidéo montrant un soldat à Gaza brandissant une grande pancarte prise dans un salon de coiffure de la ville de Yehud, dans le centre d’Israël, avec des corps éparpillés autour de lui. D’autres liens renvoient à des images de soldats déployés à Gaza lisant le Livre d’Esther, comme il est d’usage lors de la fête de Pourim, mais à chaque fois que le nom du méchant Haman est prononcé, ils tirent un obus de mortier au lieu de se contenter d’agiter les bruiteurs traditionnels. Un soldat est vu en train de forcer des prisonniers ligotés et les yeux bandés à envoyer des salutations à sa famille et à dire qu’ils veulent être ses esclaves. Des soldats sont photographiés tenant des piles d’argent qu’ils ont pillées dans les maisons de Gaza. Un bulldozer des FDI est vu en train de détruire une grande pile de paquets de nourriture provenant d’une agence d’aide humanitaire. Un soldat chante la chansonnette des enfants « L’année prochaine, nous brûlerons l’école », alors qu’on voit une école en flammes à l’arrière-plan. Et il y a de nombreuses séquences de soldats montrant des sous-vêtements féminins qu’ils ont pillés.
La note de bas de page n° 379 figure dans une sous-section intitulée « Déshumanisation dans les forces de défense israéliennes », incluse dans le chapitre intitulé « Discours israélien et déshumanisation des Palestiniens ». Elle contient des centaines d’exemples du comportement cruel de la société israélienne et des institutions de l’État à l’égard des habitants de Gaza qui souffrent - d’un premier ministre qui parle d’Amalek, au chiffre de 18 000 appels d’Israéliens sur les médias sociaux à raser la bande, aux médecins israéliens qui soutiennent le bombardement des hôpitaux de Gaza, en passant par l’humoriste qui plaisante sur le fait que les Palestiniens ne sont pas les seuls à souffrir, à un humoriste qui plaisante sur la mort de Palestiniens, en passant par un chœur d’enfants chantant gentiment « Dans un an, nous anéantirons tout le monde, puis nous reviendrons labourer nos champs », sur la mélodie de la chanson emblématique de l’époque de la guerre d’indépendance, « Shir Hare’ut » (Chanson de la camaraderie).
Les liens de « Bearing Witness to the Israel-Gaza War » mènent également à des images graphiques de corps éparpillés, dans toutes les conditions possibles, de personnes écrasées sous les décombres, de flaques de sang et de cris de personnes qui ont perdu toute leur famille en un instant. Des documents attestent de l’assassinat de personnes handicapées, d’humiliations et d’agressions sexuelles, d’incendies de maisons, de privations forcées de nourriture, de tirs au hasard, de pillages, d’abus de cadavres et de bien d’autres choses encore.
Même si tous les témoignages ne peuvent être corroborés, l’image qui s’en dégage est celle d’une armée qui, dans le meilleur des cas, a perdu le contrôle de nombreuses unités, dont les soldats ont fait ce qui leur plaisait, et qui, dans le pire des cas, laisse son personnel commettre les crimes de guerre les plus atroces que l’on puisse imaginer.
Mordechai cite des preuves des horribles situations difficiles que la guerre a imposées aux habitants de Gaza. Un médecin qui ampute la jambe de sa nièce sur une table de cuisine, sans anesthésie, à l’aide d’un couteau de cuisine. Des gens qui mangent de la chair de cheval et de l’herbe, ou qui boivent de l’eau de mer pour apaiser leur faim et leur soif. Des femmes obligées d’accoucher dans une salle de classe bondée. Desmédecins regardant, impuissants, des blessés mourir parce qu’il n’y a aucun moyen de les aider. Des femmes affamées poussées dans une file chaotique à l’extérieur d’une boulangerie ; selon le rapport, deux filles de 13 et 17 ans et une femme de 50 ans ont été écrasées à mort lors de cet incident.
Selon « Bearing Witness », dans les camps de personnes déplacées de la bande de Gaza en janvier, il y avait en moyenne un cabinet de toilette pour 220 personnes et une douche pour 4 500 personnes. Un grand nombre de médecins et d’organisations de santé ont signalé que des maladies infectieuses et des affections cutanées se propageaient parmi un grand nombre de Gazaouis.

Le quartier de Shujaiya’ah dans la ville de Gaza, le 7 octobre 2024. "Il n’est pas nécessaire qu’il y ait des camps de la mort pour que cela soit considéré comme un génocide. Photo  Omar El Qattaa/AFP


De plus en plus d’enfants
Lee Mordechai, 42 ans, ancien officier du Corps des ingénieurs de combat des FDI, est actuellement maître de conférences en histoire à l’Université hébraïque de Jérusalem, où il se spécialise dans les catastrophes humaines et naturelles des époques antique et médiévale. Il a écrit sur la peste de Justinien au VIe siècle et sur l’hiver volcanique qui a frappé l’hémisphère nord en 536 de l’ère chrétiennee. Il a abordé le sujet de la catastrophe de Gaza d’une manière académique et historique, avec une prose sèche et peu d’adjectifs, en utilisant la plus grande diversité possible de sources primaires ; ses écrits sont dépourvus d’interprétation et ouverts à l’examen et à la révision. C’est précisément la raison pour laquelle les visages reflétés dans son texte sont si épouvantables.
« J’ai senti que je ne pouvais pas continuer à vivre dans ma bulle, que nous parlions de crimes capitaux et que ce qui se passait était tout simplement trop important et contredisait les valeurs dans lesquelles j’avais été élevé ici », explique Mordechai. « Je ne cherche pas à me confronter avec les gens ou à polémiquer. J’ai rédigé ce document pour qu’il soit connu de tous. Ainsi, dans six mois, un an, cinq ans, dix ans ou cent ans, les gens pourront revenir en arrière et constater que c’est ce que l’on savait, ce qu’il était possible de savoir, dès janvier ou mars dernier, et que ceux d’entre nous qui ne savaient pas ont choisi de ne pas savoir.
« Mon rôle en tant qu’historien, poursuit-il, est de donner la parole à ceux qui ne peuvent pas s’exprimer, qu’il s’agisse d’eunuques au XIe siècle ou d’enfants à Gaza. Je cherche délibérément à ne pas faire appel aux émotions des gens et je n’utilise pas de mots qui pourraient être controversés ou obscurs. Je ne parle pas de terroristes, de sionisme ou d’antisémitisme. J’essaie d’utiliser un langage aussi froid et sec que possible et de m’en tenir aux faits tels que je les comprends ».
Mordechai était en congé sabbatique à Princeton lorsque la guerre a éclaté. Lorsqu’il se réveille le 7 octobre, c’est déjà l’après-midi en Israël. En quelques heures, il a compris qu’il y avait une disparité entre ce que le public israélien voyait et la réalité. Cette compréhension découle d’un système alternatif de réception des informations qu’il avait créé pour lui-même neuf ans plus tôt.
« En 2014, pendant l’opération Bordure protectrice [à Gaza], je suis rentré de mes études doctorales aux USA et de mes recherches dans les Balkans. J’ai alors eu l’impression qu’il n’y avait pas de discours ouvert en Israël ; tout le monde disait la même chose. J’ai donc fait un effort conscient pour accéder à d’autres sources d’information - [basées sur] les médias étrangers, les blogs, les médias sociaux. Cela ressemble aussi à mon travail d’historien, qui consiste à rechercher des sources primaires. Je me suis donc créé une sorte de système personnel pour comprendre ce qui se passait dans le monde. Le 7 octobre, j’ai activé le système et j’ai rapidement réalisé que le public en Israël avait un retard de quelques heures - Ynet a publié un bulletin sur la possibilité que des otages aient été pris, mais j’avais déjà vu des clips d’enlèvements. Cela crée une dissonance entre ce qui est dit sur la réalité de la situation et la réalité réelle, et ce sentiment s’intensifie ».
Le rapport contient plus de 1 400 notes de bas de page faisant référence à des milliers de sources. Il détaille les cas où les troupes israéliennes ont tiré sur des civils brandissant des drapeaux blancs, maltraité des individus, des captifs et des cadavres, tiré au hasard, détruit allègrement des maisons, brûlé des livres et dégradé des symboles islamiques.
En fait, la disparité entre ce que Mordechai a découvert et les informations parues dans les médias israéliens et étrangers n’a fait que s’accroître. « Au début de la guerre, l’histoire la plus marquante était celle des 40 nourrissons israéliens décapités le 7 octobre. Cette histoire a fait les gros titres des médias internationaux, mais lorsqu’on la compare à la liste [officielle de l’Assurance nationale] des personnes tuées, on se rend très vite compte qu’elle n’a pas eu lieu.
Mordechai a commencé à suivre les informations en provenance de Gaza sur les réseaux sociaux et dans les médias internationaux. « Dès le début, j’ai été inondé d’images de destruction et de souffrance, et j’ai compris qu’il y avait deux mondes séparés qui ne se parlaient pas. Il m’a fallu quelques mois pour comprendre quel était mon rôle ici. En décembre, l’Afrique du Sud a présenté sa plainte officielle pour génocide à l’encontre d’Israël en 84 pages détaillées avec de multiples références à des sources pouvant être recoupées.
« Je ne pense pas que tout doive être accepté comme une preuve », ajoute-t-il, “mais il faut s’y frotter, voir sur quoi cela repose, examiner ses implications”. » Au début de la guerre, j’ai voulu retourner en Israël pour faire du bénévolat pour une organisation de la société civile, mais pour des raisons familiales, je n’ai pas pu. J’ai décidé d’utiliser le temps libre dont je disposais pendant mon congé sabbatique à Princeton pour essayer d’éclairer le public israélien qui ne consomme que les médias locaux ».
Il a publié la première version de « Bearing Witness », de huit pages seulement, le 9 janvier. Selon le ministère de la santé de Gaza, officiellement connu sous le nom de ministère palestinien de la santé - Gaza, le nombre de personnes tuées dans la bande de Gaza s’élevait alors à 23 210. « Je ne crois pas que ce qui est écrit ici entraînera un changement de politique ou convaincra beaucoup de gens », écrit-il au début de ce document. « J’écris plutôt ceci publiquement, en tant qu’historien et citoyen israélien, afin de faire connaître ma position personnelle concernant l’horrible situation actuelle à Gaza, au fur et à mesure que les événements se déroulent. J’écris en tant qu’individu, en partie à cause du silence général décevant sur ce sujet de la part de nombreuses institutions académiques locales, en particulier celles qui sont bien placées pour le commenter, même si certains de mes collègues se sont courageusement exprimés ».

Depuis lors, Mordechai a passé des centaines d’heures à collecter des informations et à écrire, continuant à mettre à jour le document qui apparaît sur le site web qu’il a créé. Depuis qu’il s’est lancé dans ce projet, il a amélioré sa façon de travailler : il compile méticuleusement des rapports provenant de différentes sources sur une feuille de calcul Excel, à partir de laquelle, après un examen plus approfondi, il sélectionne les éléments qui seront mentionnés dans le texte. Il utilise une grande variété de sources : images filmées par des civils, articles de presse, rapports des Nations unies et d’autres organisations internationales, médias sociaux, blogs, etc.
Bien qu’il reconnaisse que certaines de ces sources ne respectent pas les normes journalistiques ou éthiques, Mordechai est convaincu de la crédibilité de sa documentation. « Ce n’est pas comme si je copiais-collais tout ce que quelqu’un d’autre trouve. D’un autre côté, il est clair qu’il y a un fossé entre ce qui existe et ce que nous aimerions voir : Nous aimerions que chaque incident dans la bande de Gaza soit examiné correctement par deux organisations internationales indépendantes et non indépendantes, mais cela n’arrivera pas.
C’est pourquoi j’examine les sources, je vérifie si elles ont été prises en flagrant délit de mensonge, si un organisme à but non lucratif ou un blogueur a transmis des informations dont je peux prouver qu’elles sont incorrectes - et si c’est le cas, je cesse de les utiliser et je les supprime. Je donne plus de poids aux sources neutres, comme les organisations de défense des droits humains et les Nations unies, et je fais une sorte de synthèse entre les sources pour voir si elles [les informations] sont cohérentes. Je travaille également de manière très ouverte et j’invite tous ceux qui le souhaitent à me contrôler. Je serais très heureux de voir que je me suis trompé dans ce que j’ai écrit, mais ce n’est pas le cas. Jusqu’à présent, j’ai dû faire très peu de corrections ».
La lecture du rapport de Mordechai permet de dissiper le brouillard qui recouvre les Israéliens depuis le début de la guerre. Le nombre de morts en est un bon exemple : La guerre du 7 octobre est la première guerre dans laquelle Israël ne fait aucun effort pour comptabiliser le nombre de tués dans l’autre camp. En l’absence de toute autre source, de nombreuses personnes dans le monde - gouvernements étrangers, médias, organisations internationales - s’appuient sur les rapports du ministère palestinien de la santé - Gaza, qui sont jugés tout à fait crédibles. Israël s’efforce de nier les chiffres du ministère. Les médias locaux indiquent généralement que la source de ces données est le « ministère de la santé du Hamas ».

Enfants palestiniens dans un centre de distribution de nourriture à Deir al-Balah, la semaine dernière. Mordechai affirme que plus d’enfants ont été tués à Gaza que tous les enfants de toutes les guerres du monde, au cours des trois années précédant le 7 octobre. Photo AFP/OMAR AL-QATTAA

Cependant, peu d’Israéliens savent que non seulement les FDI et le gouvernement israélien ne disposent pas de leurs propres chiffres concernant le nombre de morts, mais que des sources israéliennes haut placées, ne disposant pas d’autres données, finissent par confirmer celles publiées par le ministère à Gaza. De quel rang ? Benjamin Netanyahou lui-même. Le 10 mars, par exemple, le premier ministre a déclaré dans une interview qu’Israël avait tué 13 000 militants armés du Hamas et estimé que pour chacun d’entre eux, 1,5 civil avait été tué. En d’autres termes, jusqu’à cette date, entre 26 000 et 32 500 personnes avaient été tuées dans la bande de Gaza. Ce jour-là, le ministère palestinien a publié un chiffre de 31 112 morts à Gaza, dans la fourchette citée par Netanyahou. À la fin du mois, Netanyahou a parlé de 28 000 morts, soit environ 4 600 de moins que le chiffre officiel palestinien. Fin avril, le Wall Street Journal a cité une estimation d’officiers de haut rang des FDI selon laquelle le nombre de morts s’élevait à environ 36 000, soit plus que le chiffre publié par le ministère palestinien à l’époque.
Mordechai : « Il semble que, du côté israélien, on choisisse de ne pas s’occuper des chiffres, bien qu’Israël puisse ostensiblement le faire - la technologie existe, et Israël contrôle le registre de la population palestinienne. L’establishment de la défense dispose également d’images faciales ; il pourrait les recouper et voir si une personne déclarée morte est passée par un point de contrôle. Allez, montrez-moi ! Donnez-moi des preuves et je changerai d’approche. Cela me compliquera la vie, mais je serai beaucoup moins contrarié.
Je pense que nous devons nous demander quelle « barre » de preuves est nécessaire pour que nous changions d’avis sur le nombre de Palestiniens qui ont été tués. C’est une question que chacun d’entre nous doit se poser - peut-être que pour vous les preuves que je cite ne sont pas suffisantes - parce qu’il doit y avoir une sorte d’étape réaliste dans l’accumulation des preuves à partir de laquelle nous accepterons les chiffres comme fiables ».
« Pour moi, explique-t-il, ce stade est arrivé il y a longtemps. Une fois que l’on a fait le sale boulot et que l’on comprend un peu mieux les chiffres, la question n’est plus de savoir combien de Palestiniens sont morts, mais pourquoi et comment le public israélien continue de douter de ces chiffres après plus d’un an d’hostilités et en dépit de toutes les preuves ».
Dans son rapport, il cite les chiffres du ministère palestinien qui mentionnent, parmi les personnes tuées depuis le début de la guerre jusqu’en juin dernier, 273 employés des Nations unies et des organisations humanitaires, 100 professeurs, 243 athlètes, 489 travailleurs de la santé (dont 55 médecins spécialistes), 710 enfants de moins d’un an et quatre prématurés qui sont morts après que les FDI ont forcé l’infirmier qui s’occupait d’eux à quitter l’hôpital. L’infirmier s’occupait de cinq prématurés et a décidé de sauver celui qui semblait avoir les meilleures chances de survie. Les corps en décomposition des quatre autres ont été retrouvés dans des couveuses deux semaines plus tard.
La note de bas de page du texte de Mordechai concernant ces nourrissons ne fait pas référence à un tweet d’un habitant de Gaza ou à un blog pro-palestinien, mais à une enquête du Washington Post. Les Israéliens qui s’interrogent sur « Bearing Witness to the Israel-Gaza War » au motif qu’il s’appuie sur les médias sociaux ou sur des rapports non vérifiés doivent savoir qu’il s’appuie également sur des dizaines d’enquêtes menées par presque tous les médias occidentaux qui se respectent. De nombreux médias ont examiné les incidents survenus à Gaza en appliquant des normes journalistiques rigoureuses - et ont trouvé des preuves d’atrocités. Une enquête de CNN a corroboré l’affirmation palestinienne concernant le « massacre de la farine », au cours duquel environ 150 Palestiniens venus chercher de la nourriture auprès d’un convoi d’aide le 1er mars ont été tués. Les FDI ont déclaré que c’était la foule et la bousculade des habitants de Gaza eux-mêmes qui les avaient tués, et non les tirs d’avertissement effectués par les soldats dans la zone. En fin de compte, l’enquête de CNN, basée sur une analyse minutieuse de la documentation et sur 22 entretiens avec des témoins oculaires, a révélé que la plupart des victimes mortelles avaient effectivement été tuées par des tirs d’avertissement.
Interrogé sur l’image qui l’a le plus marqué, Mordechai mentionne la photo du corps de Jamal Hamdi Hassan Ashour, 62 ans, qui aurait été écrasé par un char d’assaut, le corps mutilé au point d’être méconnaissable. L’image a été publiée sur une chaîne Telegram israélienne avec la légende « Vous allez adorer ça ! ».
Le New York Times, ABC, CNN, la BBC, des organisations internationales et l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem ont publié les résultats de leurs propres enquêtes sur des actes de torture, des abus, des viols et d’autres atrocités perpétrés contre des détenus palestiniens dans la base de Sde Teiman des FDI dans le Néguev et dans d’autres installations. Amnesty International a examiné quatre incidents dans lesquels il n’y avait pas de cible militaire ni de justification à l’attaque, et au cours desquels les FDI ont tué 95 civils au total.
Une enquête menée fin mars par Yaniv Kubovich dans Haaretz a montré que les FDI créaient des « zones de mort » dans lesquelles de nombreux civils étaient abattus après avoir franchi une ligne imaginaire délimitée par un commandant sur le terrain ; les victimes étaient classées comme terroristes après leur mort. [Israël a créé des “zones de mise à mort” à Gaza : quiconque y pénètre est abattu]
 La BBC a mis en doute les estimations des FDI concernant le nombre de terroristes que ses forces ont tués en général ; CNN a fait un rapport détaillé sur un incident au cours duquel une famille entière a été éliminée ; NBC a enquêté sur une attaque contre des civils dans des zones dites humanitaires ; le Wall Street Journal a vérifié que les FDI s’appuyaient sur des rapports de décès à Gaza publiés par le ministère palestinien de la santé ; le New Yorker et le Telegraph ont publié les résultats d’enquêtes approfondies sur des cas d’enfants dont les membres ont dû être amputés, et bien d’autres choses encore, toutes mentionnées dans « Bearing Witness ». »
Le rapport publié cette semaine par le ministère palestinien de la santé à Gaza, selon lequel, depuis le 7 octobre, 1 140 familles ont été totalement rayées du registre de la population locale - très probablement victimes de bombardements aériens, n’est pas inclus dans l’ouvrage.
Mordechai cite de nombreux éléments relatifs au laxisme des règles d’engagement des FDI dans la bande de Gaza. Un clip montre un groupe de réfugiés avec une femme à l’avant, tenant son fils d’une main et un drapeau blanc de l’autre ; on la voit se faire tirer dessus, probablement par un sniper, et s’effondrer tandis que l’enfant lui lâche la main et s’enfuit pour sauver sa vie. Un autre incident, largement diffusé fin octobre, montre Mohammed Salem, 13 ans, appelant à l’aide après avoir été blessé lors d’une attaque de l’armée de l’air ; lorsque des personnes s’approchent pour offrir de l’aide, elles sont la cible d’une autre attaque de ce type. Salem et un autre jeune ont été tués, et plus de 20 personnes ont été blessées.
Mordechai reconnaît que regarder les témoignages visuels de la guerre a endurci son cœur - aujourd’hui, il peut visionner même les scènes les plus horribles. « Lorsque les vidéos d’ISIS ont été publiées [il y a des années], je ne les ai pas regardées. Mais là, j’ai senti que c’était mon obligation, parce que c’est fait en mon nom, donc je dois les voir pour transmettre ce que j’ai vu. Ce qui est important, c’est la quantité, ce sont des enfants et encore des enfants et encore des enfants ».

Mordechai : « J’ai écrit cela pour que dans un semestre ou dans 100 ans, les gens reviennent en arrière et voient que c’est ce qu’il était possible de savoir, dès janvier, et que ceux d’entre nous qui ne savaient pas, ont choisi de ne pas savoir ». Photo Olivier Fitoussi

Lorsqu’on lui demande laquelle des milliers d’images, qu’il s’agisse de vidéos ou de photos, de personnes mortes, blessées ou souffrantes l’a le plus marqué, Mordechai réfléchit et mentionne la photo du corps d’un homme qui a été identifié plus tard comme étant Jamal Hamdi Hassan Ashour. Ashour, 62 ans, aurait été écrasé par un char d’assaut en mars, son corps ayant été mutilé au point d’être méconnaissable. Une menotte à zip sur l’une de ses mains atteste qu’il avait été détenu auparavant, selon des sources palestiniennes. L’image a été publiée sur une chaîne Telegram israélienne avec la légende suivante : « Vous allez adorer ça ! ».
« Je n’ai jamais rien vu de tel dans ma vie », déclare Mordechai à Haaretz. « Mais le pire, c’est que l’image a été partagée par des soldats dans un groupe Telegram israélien et qu’elle a suscité des réactions très favorables ». Outre les informations concernant Ashour, « Bearing Witness » fournit des liens vers les images d’un certain nombre d’autres corps dont l’état suggère qu’ils ont été écrasés par des véhicules blindés. Dans un cas, selon un rapport palestinien, les victimes étaient une mère et son fils.
Un cas mentionné uniquement dans une note de bas de page témoigne des questions relatives aux méthodes de Mordechai et aux dilemmes auxquels il a été confronté. Fin mars, Al Jazeera a diffusé une interview d’une femme qui s’était présentée à l’hôpital Shifa de Gaza et avait déclaré que des soldats des FDI avaient violé des femmes. Peu après, la famille de cette femme a démenti les allégations qu’elle avait faites et Al Jazeera a supprimé le reportage, mais de nombreuses personnes avaient encore des doutes.
« Selon ma méthodologie, après la suppression par Al Jazeera, l’information n’est pas crédible et n’a pas eu lieu », explique Mordechai. « Mais je me pose aussi la question : Peut-être que je participe à la réduction au silence de cette femme ? Et ce n’est pas pour honorer la vérité que cette femme est réduite au silence, mais au nom de son honneur et de celui de sa famille. Est-ce parfait ? Ce n’est pas parfait, mais en fin de compte, je suis un être humain et c’est à moi de décider. J’ai donc expliqué dans une note de bas de page qu’il s’agissait de l’allégation d’une femme et j’ai ajouté [qu’elle était] « presque certainement fausse » pour exprimer mes réserves.
« Je ne garantis pas que chaque témoignage soit totalement fiable. En fait, personne ne sait exactement ce qui se passe à Gaza - ni les médias internationaux, ni les Israéliens, ni même les forces de défense israéliennes. Dans « Bearing Witness », je soutiens que le fait de faire taire les voix de Gaza - de restreindre les informations qui en sortent - fait partie de la méthode de travail qui rend la guerre possible. Je soutiens la synthèse que j’utilise et j’aimerais avoir tort. Mais du côté israélien, il n’y a rien. Je parle de preuves - apportez-moi des preuves ! »
L’un des cas décrits dans le document, même si de nombreux Israéliens auront du mal à le croire, concerne l’utilisation par les FDI d’un drone qui émettait le son des pleurs d’un nourrisson afin de déterminer où se trouvaient les civils et peut-être de les faire sortir de leur abri. Dans la vidéo référencée par le lien donné par Mordechai, on entend des pleurs et on voit les lumières d’un drone.
« Nous savons qu’il existe des drones équipés de haut-parleurs, peut-être qu’un soldat qui s’ennuie décide de le faire pour plaisanter et que cela est perçu comme une horreur par les Palestiniens », explique-t-il. « Mais est-ce si exagéré qu’un soldat, au lieu d’être filmé avec des culottes et des soutien-gorge ou de dédier l’explosion d’une rue à sa femme, fasse quelque chose de ce genre ? C’est peut-être une invention, mais c’est compatible avec ce que je vois ». Cette semaine, Al Jazeera a diffusé un reportage d’investigation sur les « drones pleureurs » et a affirmé que leur utilisation avait été confirmée par un certain nombre de témoins oculaires qui ont tous raconté la même histoire.
« Nous pouvons toujours contester les témoignages anecdotiques de ce type, mais il est plus difficile de le faire face à des montagnes de témoignages plus étayés », note Mordechai. « Par exemple, des dizaines de médecins américains qui ont travaillé bénévolement à Gaza ont rapporté qu’ils voyaient presque tous les jours des enfants qui avaient reçu une balle dans la tête. Est-ce que nous essayons même d’expliquer ou de faire face à cela ? »
Plus d’enfants ont été tués à Gaza que dans toutes les guerres du monde au cours des trois années précédant le 7 octobre. Au cours du premier mois de la guerre, le nombre d’enfants tués a été dix fois supérieur au nombre d’enfants tués au cours de la guerre d’Ukraine en un an.
L’un des sommets de la brutalité militaire israélienne à Gaza a été atteint lors du deuxième grand raid sur l’hôpital Shifa à la mi-mars, ajoute l’historien, qui lui consacre d’ailleurs un chapitre distinct. Les FDI ont affirmé que l’hôpital était un centre d’activité du Hamas à l’époque et qu’il y avait eu des échanges de tirs pendant le raid, à la suite duquel 90 membres du Hamas avaient été arrêtés, dont certains de haut rang.
Cependant, l’occupation de Shifa par les FDI s’est poursuivie pendant environ deux semaines. Pendant cette période, selon des sources palestiniennes, l’hôpital est devenu une zone de meurtres et de tortures. Apparemment, 240 patients et membres du personnel médical ont été enfermés dans l’un des bâtiments pendant une semaine, sans accès à la nourriture. Les médecins présents sur place ont rapporté qu’au moins 22 patients étaient décédés. Un certain nombre de témoins oculaires, y compris des membres du personnel, ont décrit des exécutions. Une vidéo tournée par un soldat montre des détenus ligotés et les yeux bandés, assis dans un couloir, face à un mur. Selon les sources, après le retrait des FDI de l’hôpital, des dizaines de corps ont été découverts dans la cour. Un certain nombre de clips documentent la collecte des corps, certains mutilés, d’autres enterrés sous des décombres ou gisant dans de grandes mares de sang coagulé. Une corde a été nouée autour du bras de l’un des hommes morts, ce qui montre peut-être qu’il a été ligoté avant d’être tué.
D’autres sommets de brutalité ont été atteints au cours des deux derniers mois dans le cadre de l’opération militaire en cours dans la partie nord de la bande de Gaza. L’opération a commencé le 5 octobre. Les FDI ont coupé Jabalya, Beit Lahia et Beit Hanoun de la ville de Gaza, et les habitants ont reçu l’ordre de partir. Beaucoup l’ont fait, mais plusieurs milliers sont restés dans la zone assiégée.
À ce stade, l’armée a lancé ce que l’ancien chef d’état-major des FDI et ministre de la défense, Moshe Ya’alon, a qualifié cette semaine de « nettoyage ethnique » de la région : les groupes d’aide ont été interdits d’accès, le dernier dépôt de farine a été incendié et les deux dernières boulangeries fermées, et même les activités des équipes de défense civile qui évacuaient les blessés ont été interdites. L’approvisionnement en eau a été interrompu, les ambulances ont été mises hors service et les hôpitaux ont été attaqués.
Mais l’effort principal de l’armée s’est concentré sur les raids aériens. Presque chaque jour, les Palestiniens font état de dizaines de morts lors du bombardement d’immeubles d’habitation et d’écoles, devenus des camps de déplacés. Le rapport de Mordechai cite des dizaines de témoignages bien documentés sur les campagnes de bombardement : familles ramassant les corps de leurs proches parmi les ruines, funérailles dans d’immenses fosses communes, blessés couverts de poussière, adultes et enfants en état de choc, personnes pleurant avec des morceaux de corps éparpillés autour d’elles, etc.

Les conséquences de l’opération de deux semaines menée par les forces de défense israéliennes à l’hôpital Shifa, en avril. Photo Dawoud Abu Alkas/Reuters

Dans un clip vidéo datant du 20 octobre, on voit deux enfants extraits des décombres. Le premier a l’air abasourdi, les yeux exorbités et totalement couvert de sang et de poussière. À côté de lui, on retire un corps sans vie, apparemment celui d’une fille.
Au cours des deux dernières semaines, Haaretz a, pour sa part, envoyé des questions à l’unité du porte-parole des FDI concernant une trentaine d’incidents, la plupart à Gaza, au cours desquels de nombreux civils ont été tués. L’unité a répondu qu’elle avait classé la plupart d’entre eux comme des événements inhabituels et qu’ils avaient été renvoyés à l’état-major général pour une enquête plus approfondie.
Mordechai rejette d’emblée l’affirmation couramment entendue par les Israéliens selon laquelle ce qui se passe à Gaza n’est pas si terrible par rapport à d’autres guerres. « Bearing Witness » montre, par exemple, que plus d’enfants ont été tués à Gaza que tous les enfants tués dans toutes les guerres du monde au cours des trois années qui ont précédé la guerre du 7 octobre. Dès le premier mois de la guerre, le nombre d’enfants morts était dix fois supérieur au nombre d’enfants tués dans la guerre en Ukraine en un an.
Plus de journalistes ont été tués à Gaza que pendant toute la Seconde Guerre mondiale. Selon une enquête publiée par Yuval Avraham sur le site web Sicha Mekomit (Local Call), concernant les systèmes d’intelligence artificielle utilisés dans les campagnes de bombardement des FDI à Gaza, l’autorisation a été donnée de tuer jusqu’à 300 civils afin d’assassiner des personnalités de haut rang du Hamas. En comparaison, des documents révèlent que pour les forces armées américaines, ce chiffre s’élevait à un dixième de ce nombre - 30 civils - dans le cas d’un meurtrier d’une envergure supérieure à celle de Yahya Sinwar : Oussama Ben Laden.
« Il n’est pas nécessaire qu’il y ait des camps de la mort pour que l’on puisse parler de génocide. Tout se résume à la commission des actes et à l’intention, et l’existence des deux doit être établie. »
Lee Mordechai
Un rapport d’enquête du Wall Street Journal affirme qu’Israël a déversé plus de bombes sur Gaza au cours des trois premiers mois de la guerre que les USA n’en ont largué sur l’Irak en six ans. Quarante-huit prisonniers sont morts dans les centres de détention israéliens au cours de l’année écoulée, contre neuf à Guantanamo au cours de ses 20 années d’existence. Les chiffres sont également éloquents lorsqu’il s’agit des données concernant les décès dans les guerres menées par d’autres pays : Les forces de la coalition en Irak ont tué 11 516 civils en cinq ans, et 46 319 civils ont été tués en 20 ans de guerre en Afghanistan. Selon les estimations les plus indulgentes, quelque 30 000 civils ont été tués dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre 2023.
Le rapport de Mordechai reflète non seulement les horreurs qui se produisent à Gaza, mais aussi l’indifférence d’Israël à leur égard. « Au début, on a tenté de justifier l’invasion de l’hôpital Shifa ; aujourd’hui, il n’y a même pas cette prétention - vous attaquez des hôpitaux et il n’y a pas de discussion publique. Nous ne faisons face d’aucune manière aux implications de ces opérations. Vous ouvrez les médias sociaux et vous êtes submergés par la déshumanisation. Qu’est-ce que cela nous fait ? J’ai grandi dans une société dont l’éthique était totalement différente. Il y a toujours eu des pommes pourries, mais regardez l’affaire du bus n° 300 [un événement survenu en 1984, au cours duquel des agents du Shin Bet sur le terrain ont exécuté deux Arabes qui avaient détourné un bus] et voyez où nous en sommes aujourd’hui. Il est important pour moi de tendre un miroir, il est important pour moi que ces choses soient connues. C’est ma forme de résistance.
Un sombre secret
Dans les versions les plus récentes de « Bearing Witness », Mordechai a ajouté une annexe qui explique pourquoi, selon lui, les actions d’Israël à Gaza constituent un génocide, un sujet qu’il développe au cours de notre conversation. « Nous devons déconnecter la façon dont nous concevons le génocide en tant qu’Israéliens - les chambres à gaz, les camps de la mort et la Seconde Guerre mondiale - du modèle qui apparaît dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide [de 1948] », explique-t-il. « Il n’est pas nécessaire qu’il y ait des camps de la mort pour que cela soit considéré comme un génocide. Tout se résume à la commission d’actes et à l’intention, et l’existence de ces deux éléments doit être établie. En ce qui concerne la commission d’actes, il s’agit de meurtres, mais pas seulement - [il y a] aussi des blessures, des enlèvements d’enfants et même de simples tentatives d’empêcher les naissances au sein d’un groupe particulier de personnes. Ce que tous ces actes ont en commun, c’est la destruction délibérée d’un groupe.
« Les personnes à qui je parle ne discutent généralement pas des actes commis, mais de l’intention. Ils diront qu’il n’existe aucun document montrant que Netanyahou ou [le chef d’état-major des FDI] Herzl Halevi ont ordonné un génocide. Mais il y a des déclarations et des témoignages. Il y en a beaucoup, beaucoup. L’Afrique du Sud a soumis un document de 120 pages contenant un grand nombre de témoignages prouvant l’intention. Le journaliste Yunes Tirawi a recueilli des déclarations sur le génocide et le nettoyage ethnique sur les médias sociaux de plus de 100 personnes ayant des liens avec Tsahal - apparemment de nombreux officiers de réserve.
« Que faisons-nous avec tout cela ? De mon point de vue, les faits parlent. Je vois une ligne directe entre ces déclarations, l’absence de tentative de lutte contre ces déclarations et la réalité sur le terrain qui correspond à ces déclarations ».
La version anglaise de « Bearing Witness » fait référence à des articles rédigés par six autorités israéliennes de premier plan, qui ont déjà déclaré qu’à leur avis, Israël commet un génocide : Omer Bartov, spécialiste de l’Holocauste et du génocide ; Daniel Blatman, chercheur sur l’Holocauste (qui a écrit que ce que fait Israël à Gaza se situe entre le nettoyage ethnique et le génocide) ; l’historien Amos Goldberg ; Raz Segal, spécialiste de l’Holocauste ; Itamar Mann, expert en droit international ; et l’historien Adam Raz.
« La définition est moins importante », déclare Mordechai. « Ce qui est important, ce sont les actions. Admettons que la Cour internationale de justice de La Haye déclare dans quelques années qu’il ne s’agit pas d’un génocide mais d’un quasi-génocide. Cela atteste-t-il d’une victoire morale d’Israël ? Ai-je envie de vivre dans un endroit qui perpétue un « quasi-génocide » ? Le débat sur le terme attire l’attention, mais les choses se produisent d’une manière ou d’une autre, qu’elles atteignent la barre ou non. En fin de compte, nous devons nous demander comment arrêter cela et comment nous répondrons à nos enfants lorsqu’ils nous demanderont ce que nous avons fait pendant la guerre. Nous devons agir ».
Mais la définition est importante. Vous dites aux Israéliens : « Regardez, vous vivez à Berlin en 1941. » Quel est l’impératif moral pour les personnes qui vivaient à Berlin à l’époque ? Qu’est-ce qu’un citoyen est censé faire lorsque son État commet un génocide ?
« Une position morale a toujours un prix. S’il n’y a pas de prix, il s’agit simplement d’une position normative acceptée. La valeur d’une chose pour une personne est exprimée par le prix qu’elle est prête à payer pour l’obtenir. D’un autre côté, je suis conscient que les gens ont aussi d’autres considérations et d’autres besoins - ramener de la nourriture à la maison, préserver les liens avec leur famille - chacun doit prendre ses propres décisions. De mon point de vue, ce que je fais, c’est parler et continuer à parler, que les gens m’écoutent ou non. Cela me prend beaucoup de temps et de force mentale, mais je suis arrivé à la conclusion que c’est la chose la plus utile que je puisse faire ».
Après notre séparation, Mordechai m’a envoyé un dernier lien. Celui-ci ne concernait pas les témoignages sur les atrocités commises à Gaza, mais une nouvelle de la regrettée romancière américaine Ursula K. Le Guin, « The Ones Who Walk Away from Omelas » (Ceux qui partent d’Omelas). L’histoire parle de la ville d’Omelas, où les gens sont beaux et heureux, et où leur vie est intéressante et joyeuse. Mais à l’âge adulte, les citoyens d’Omelas apprennent peu à peu le sombre secret de leur ville : leur bonheur dépend de la souffrance d’un enfant qui est contraint de rester dans une pièce insalubre sous terre, et ils ne sont pas autorisés à le consoler ou à l’aider. « C’est l’existence de l’enfant, et la connaissance de son existence, qui rend possible la majesté de leur architecture, l’intensité poignante de leur musique, la profondeur de leur science. C’est à cause de l’enfant qu’ils sont si doux avec les enfants», écrit Le Guin.
La majorité des habitants d’Omelas continuent à vivre avec ce savoir, mais de temps en temps, l’un d’entre eux rend visite à l’enfant et ne revient pas, mais continue à marcher et abandonne la ville. L’histoire se termine ainsi : « […] ils marchent devant eux, dans l’obscurité, et ils ne reviennent pas. Le lieu vers où ils marchent est un lieu encore moins imaginable pour la plupart d’entre nous que la cité du bonheur. Je ne peux pas du tout le décrire. Il est possible qu’il n’existe pas. Mais ils semblent savoir où ils vont, ceux qui partent d’Omelas».

Le bureau du porte-parole des FDI a répondu que les FDI « n’opèrent que contre des cibles militaires et prennent toute une série de précautions pour éviter de blesser des non-combattants, notamment en lançant des avertissements à la population. En ce qui concerne les arrestations, tout soupçon de violation des ordres ou du droit international fait l’objet d’une enquête et est traité. En général, si l’on soupçonne un soldat de s’être mal comporté et d’avoir commis un acte criminel, une enquête est ouverte par la division des enquêtes criminelles de la police militaire ». [donc, circulez, ya rien à voir, NdT]