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07/12/2024

“La destruction de Gaza définira désormais nos vies et celles de nos enfants” : le témoignage d’un soldat israélien


L'important est de refléter ce qui se passe pour le public israélien. Faire remonter les choses à la surface. Ainsi, les gens ne diront pas après coup qu'ils ne savaient pas.

Le nord de la bande de Gaza, ce mois-ci. Comment une personne trouve-t-elle la force de se lever face à l'horreur ? Photo : Omar Al-Qattaa / AFP

Anonyme, Haaretz , 28/11/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'auteur est un soldat de réserve israélien qui a participé aux opérations terrestres au Liban et dans la bande de Gaza au cours de l'année écoulée.

Ce qui est vraiment surprenant, c'est la rapidité avec laquelle tout en vient à sembler normal et raisonnable. Au bout de quelques heures, on s'efforce d'être impressionné par l'ampleur des destructions, on se dit des phrases comme « C'est de la folie », mais en réalité, on s'y habitue assez vite.
Ça devient banal, kitsch. Un autre tas de pierres. Ici, il s'agissait probablement d'un bâtiment d'une institution officielle, là, de maisons et ici, d'un quartier. Dans toutes les directions, on voit des tas de barres d'armature, de sable, de béton et de parpaings. Des bouteilles d'eau en plastique vides et de la poussière. Jusqu'à l'horizon. Jusqu'à la mer. Le regard se porte sur un bâtiment encore debout. « Pourquoi n'ont-ils pas démoli ce bâtiment ? », demande ma sœur sur WhatsApp après que je lui ai envoyé une photo. « Et aussi, ajoute-t-elle, pourquoi diable es-tu allé là-bas ? »
La raison de ma présence ici est moins intéressante. Je ne suis pas le sujet de l'histoire. Et il ne s'agit pas non plus d'un réquisitoire contre les forces de défense israéliennes. Ça a sa place ailleurs, dans les éditoriaux, à la Cour pénale internationale de La Haye, dans les universités des USA, au Conseil de sécurité des Nations unies.
L'important est de refléter ce qui se passe pour le public israélien. De faire remonter les choses à la surface. Ainsi, les gens ne diront pas après coup qu'ils ne savaient pas. Je voulais savoir ce qui se passait ici. C'est ce que j'ai dit à tous mes amis, trop nombreux pour être comptés, qui m'ont demandé : « Pourquoi es-tu allé à Gaza ? »
Il n'y a pas grand-chose à dire sur les destructions. Elles sont partout. Elles sautent aux yeux lorsqu'on s'approche de ce qui était un quartier résidentiel depuis le point d'observation d'un drone : un jardin cultivé entouré d'un mur brisé et d'une maison pulvérisée. Une cabane improvisée avec un toit en tôle au fond d'une allée. Des taches sombres dans le sable, les unes à côté des autres : apparemment, il y avait là une sorte de bosquet. Peut-être une oliveraie. C'est la saison de la récolte des olives. Et il y a du mouvement - une personne grimpant sur un tas de décombres, ramassant du bois sur un trottoir, écrasant quelque chose avec une pierre. Le tout vu depuis la trajectoire de vol d'un drone.
Plus on se rapproche des routes logistiques - Netzarim, Kissufim, Philadelphi - moins il y a de structures encore debout. La destruction est énorme, et elle est là pour durer. Et c'est ce que les gens doivent savoir : tout cela ne sera pas effacé dans les 100 prochaines années. Quels que soient les efforts déployés par Israël pour la faire disparaître, pour l'estomper, la destruction de Gaza définira désormais nos vies et celles de nos. C'est le témoignage d'un déchaînement effréné. Un ami a écrit sur le mur de la salle des opérations : « Au silence répondra le silence, à Nova répondra la Nakba ». Les commandants de l'armée ont repris ce graffiti.
Pour un militaire, la destruction est inévitable. Combattre un ennemi bien équipé dans une zone urbaine densément peuplée signifie une destruction massive des bâtiments - ou une mort certaine pour les soldats. Si un commandant de brigade devait choisir entre la vie des soldats sous son commandement et la destruction du territoire, un F-15 chargé de bombes se dirigerait déjà vers la piste de la base aérienne de Nevatim et une batterie d'artillerie serait en train d'aligner son tir. Personne ne prendra de risques. C'est la guerre.
Israël peut se battre ainsi grâce au flux d'armes qu'il reçoit des USA, et la nécessité de contrôler le territoire avec un minimum d'effectifs est poussée à son paroxysme. Il en va de même pour Gaza et le Liban. La principale différence entre le Liban et l'enfer jaune qui nous entoure réside dans les civils. Contrairement aux villages du sud du Liban, à Gaza les civils sont toujours là. Ils se traînent d'un nœud de combat à l'autre, traînant des sacs à dos surchargés, des jerricanes. Des mères avec leurs enfants marchent péniblement le long de la route. Si nous avons de l'eau, nous la leur donnons. Les capacités technologiques de l'armée israélienne se sont développées de manière impressionnante au cours de cette guerre. La puissance de feu, la précision, la collecte de renseignements par des drones : elles font contrepoids aux mondes souterrains que le Hamas et le Hezbollah ont construits pendant de nombreuses années.
Vous vous retrouvez à regarder de loin, pendant des heures, un civil qui traîne une valise sur quelques kilomètres sur la route de Salah al-Din. Le soleil brûlant tape sur lui. Et vous essayez de comprendre : est-ce un engin explosif ? S'agit-il de ce qui reste de sa vie ? Vous observez les gens qui s'affairent près de l'enceinte de tentes au milieu du camp, vous cherchez des engins explosifs et vous regardez les dessins sur le mur dans des tons gris de charbon de bois. Ici, par exemple, c'est l'image d'un papillon.
Cette semaine, j'ai surveillé un camp de réfugiés à l'aide d'un drone. J'ai vu deux femmes marcher main dans la main. Un jeune homme est entré dans une maison à moitié détruite et a disparu. Peut-être s'agit-il d'un agent du Hamas venu délivrer un message par une entrée cachée dans un tunnel où des otages sont détenus ? D'une hauteur de 250 mètres, j'ai suivi une personne à vélo le long de ce qui avait été une route à la limite du quartier - une sortie d'après-midi au milieu d'une catastrophe. À l'une des intersections, le cycliste s'est arrêté près d'une maison d'où sortaient quelques enfants, puis il a continué dans les profondeurs du camp de réfugiés lui-même.
Tous les toits sont troués par les bombardements. Sur chacun d'entre eux se trouvent des tonneaux bleus destinés à recueillir l'eau de pluie. Si vous voyez un baril sur la route, vous devez en informer le centre de contrôle et le marquer comme un possible engin explosif. Ici, un homme fait cuire des pitas. À côté de lui, un homme dort sur un matelas. Par quelle force d'inertie la vie continue-t-elle ? Comment une personne peut-elle se réveiller au milieu d'une telle horreur et trouver la force de se lever, de trouver de la nourriture, d'essayer de survivre ? Quel avenir le monde lui offre-t-il ? Chaleur, mouches, puanteur, eau sale. Un jour de plus s'écoule.
J'attends l'écrivain qui viendra écrire sur ce sujet, le photographe qui le documentera, mais il n'y a que moi. Les autres combattants, s'ils ont des pensées hérétiques, les gardent pour eux. Nous ne parlons pas des politiciens parce qu'ils l'ont demandé, mais la vérité est que cela n'intéresse tout simplement pas ceux qui ont fait 200 jours de service de réserve cette année. Les réserves s'effondrent. Ceux qui se présentent sont déjà indifférents, préoccupés par leurs problèmes personnels ou par d'autres questions. Enfants, licenciements, études, conjoints. Ils ont renvoyé le ministre de la défense. Einav Zangauker, dont le fils Matan est retenu en otage quelque part ici. Les sandwichs à la schnitzel sont arrivés.
Les seuls qui s'excitent pour quelque chose, ce sont les animaux. Les chiens, les chiens. Ils remuent la queue, courent en masse, jouent les uns avec les autres. Ils chassent les restes de nourriture que l'armée a laissés derrière elle. Ici et là, ils osent s'approcher des véhicules dans l'obscurité, tentent d'emporter une boîte contenant des saucisses kabanos [version israélienne de saucisses de port d’origine polonaise, cachérisée avec de la viande de poulet ou de dinde, NdT]et sont chassés par une cacophonie de cris. Il y a aussi beaucoup de chiots.
Au cours des deux dernières semaines, la gauche israélienne s'est inquiétée de voir l'armée creuser les routes est-ouest de la bande de Gaza. La route de Netzarim, par exemple. Qu'est-ce qui n'a pas été dit à ce sujet ? Qu'elle est en train d'être goudronnée, qu'il y a des bases cinq étoiles dessus. Que les FDI sont là pour rester, que sur la base de cette infrastructure, le projet de colonisation dans la bande de Gaza va reprendre.
Je ne rejette pas ces préoccupations. Il y a suffisamment de fous qui n'attendent que l'occasion. Mais les routes de Netzarim et de Kissufim sont des zones de combat, des zones entre d'énormes concentrations de Palestiniens. Une masse critique de désespoir, de faim et de détresse. Ce n'est pas la Cisjordanie. Le retranchement le long de la route est tactique. Plus que d'assurer une emprise civile sur le territoire, il s'agit d'assurer la sécurité de soldats usés. Les bases et les avant-postes sont des structures portables qui peuvent être démontées et enlevées par un convoi de camions en quelques jours. Bien sûr, ça pourrait changer.
Pour nous tous, de la salle de contrôle aux derniers combattants, il est clair que le gouvernement ne sait absolument pas comment procéder à partir d'ici. Il n'y a pas d'objectifs à atteindre, pas de capacité politique à reculer. À l'exception de Jabalya, il n'y a pratiquement pas de combats. Il n'y a que des combats à la périphérie des camps. Et encore, ces combats sont partiels, par crainte de la présence d'otages. Le problème est diplomatique, non militaire et non tactique. Il est donc clair pour tout le monde que nous serons appelés une nouvelle fois, pour les mêmes missions. Les réservistes viendront encore, mais moins nombreux.
Où se situe la limite entre la compréhension de la « complexité » et l'obéissance aveugle ? Quand avez-vous gagné le droit de refuser de participer à un crime de guerre ? C'est moins intéressant. Ce qui est plus intéressant, c'est de savoir quand le grand public israélien se réveillera, quand un leader se présentera pour expliquer aux citoyens dans quel terrible pétrin nous nous trouvons, et qui sera le premier porteur de kippa à me traiter de traître. Car avant La Haye, avant les universités usaméricaines, avant la condamnation au Conseil de sécurité, c'est d'abord et avant tout une affaire interne pour nous. Et pour 2 millions de Palestiniens.


Casablanca, Marruecos : el levantamiento del 7 y 8 de diciembre de 1952, un hito histórico

He aquí dos artículos, traducidos por Tlaxcala, que recuerdan los motines del 7 y 8 de diciembre de 1952 en Casablanca, Marruecos, que fueron brutalmente reprimidos por las autoridades coloniales francesas del llamado Protectorado. Al día de hoy, no se conoce todavía el número exacto de víctimas.

7 y 8 de diciembre de 1952: motines en las Canteras Centrales de Casablanca tras el asesinato del líder sindical Farhat Hached en Túnez.

Sabrina El Faiz, lebrief.ma, 5/12/2024

Canteras Centrales. El nombre resuena
en la memoria de los habitantes de Casablanca y Marruecos. Los días 7 y 8 de diciembre de 1952, Casablanca fue escenario de violentos disturbios. Estos acontecimientos, que tuvieron lugar en el barrio de Carrières Centrales, fueron desencadenados por el asesinato de Farhat Hached, dirigente sindical tunecino y ferviente defensor de la independencia de los países del Magreb. La revuelta de los trabajadores y vecinos de este barrio precario se convirtió rápidamente en un símbolo de la lucha anticolonial en Marruecos. Inmersión...


Farhat Hached
(2 de febrero de 1914 - 5 de diciembre de 1952)


Para el noticiero de British Pathé, todo eso eran “disturbios comunistas”.

A principios de la década de 1950, Marruecos vivía bajo el protectorado francés, establecido en 1912. Aunque este régimen colonial se basaba en una administración modernizadora, había engendrado numerosas desigualdades sociales, marginado a las poblaciones rurales y suprimido toda forma de reivindicación política.
Casablanca, como centro económico del país, simbolizaba todas estas disparidades.
Las Canteras Centrales, para quien no las conozca, es un barrio obrero de la periferia de la ciudad. En aquella época, albergaba a una población predominantemente marroquí que vivía en condiciones precarias. El barrio era un refugio para los trabajadores empleados en las industrias y obras de construcción de Casablanca, a menudo explotados y privados de los derechos más elementales. En este contexto creció considerablemente la influencia de los sindicatos y los movimientos nacionalistas, como el partido Istiqlal.
Farhat Hached, Secretario General de la Unión General Tunecina del Trabajo (UGTT) y figura emblemática de la lucha independentista en Túnez, era considerado un aliado natural por los militantes marroquíes. Su asesinato el 5 de diciembre de 1952 por miembros de la Liga Anticomunista, grupo paramilitar próximo a los colonos, conmocionó a todo el norte de África.

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La prensa preponderante se desencadena

El estallido de los disturbios

El 7 de diciembre se celebraron manifestaciones en todo Marruecos para denunciar el asesinato de Farhat Hached. En Casablanca, las protestas fueron especialmente intensas en las Canteras Centrales. La ira de los habitantes se expresó inicialmente mediante concentraciones pacíficas. Trabajadores, activistas nacionalistas y sindicalistas convocaron una huelga general para expresar su solidaridad con los tunecinos y su rechazo a la violencia colonial.
 Pero las tensiones no tardaron en aumentar. El aumento de la presencia de la policía francesa, que había acudido para sofocar cualquier protesta, avivó la ira de los manifestantes. Estallaron enfrentamientos entre los residentes y la policía, convirtiendo las calles del distrito en un campo de batalla. Las protestas, en principio pacíficas, se convirtieron en violentos disturbios.
Las fuerzas coloniales, sorprendidas por la amplitud de la movilización, reaccionaron con extrema brutalidad. La policía y el ejército se desplegaron en masa para dispersar a los manifestantes. Se disparó munición real, causando numerosas víctimas. Según fuentes históricas, varias decenas de personas murieron y centenares resultaron heridas.

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Las autoridades francesas también llevaron a cabo una oleada de detenciones. Activistas nacionalistas, sindicalistas y residentes ordinarios fueron arrestados en masa. Testimonios posteriores relataron escenas de violencia sin precedentes, marcadas por exacciones y actos de humillación contra los marroquíes.
A pesar de esta feroz represión, las revueltas de las Canteras Centrales tuvieron una amplia repercusión nacional e internacional. Demostraron el alcance del rechazo al régimen colonial.
Estos acontecimientos no se limitaron a Casablanca. Manifestaciones similares estallaron en varias ciudades marroquíes, mostrando la solidaridad de los marroquíes frente a la represión colonial. Los disturbios de diciembre de 1952 se convirtieron en un símbolo de la resistencia popular contra la opresión y dieron un nuevo impulso al movimiento nacionalista.

11 décembre

En la escena internacional, estos acontecimientos llamaron la atención sobre la situación de los países del Magreb bajo dominio colonial. Las reivindicaciones de los movimientos independentistas marroquíes ganaron en legitimidad, sobre todo en la Organización de las Naciones Unidas (ONU).

 Aún hoy, los disturbios de diciembre de 1952 permanecen grabados en la memoria colectiva de Marruecos, y especialmente de Casablanca. Son un recordatorio de los sacrificios realizados por la libertad y de la importancia de la solidaridad entre los pueblos del Magreb en su búsqueda de la emancipación.

Casablanca 1952: la arquitectura al servicio de la lucha anticolonial o de la contrarrevolución


Léopold Lambert, The Funambulist, 9/8/2018
Traducido por
Tlaxcala

Recientemente viajé a Argelia para hacer algunas investigaciones para mi próximo libro sobre el espacio del estado de emergencia francés; espero escribir pronto algunos de esos artículos no rigurosos al respecto pero, mientras tanto, me gustaría escribir un breve artículo sobre una lucha de liberación nacional contra el imperio colonial francés que generalmente mencionamos con menos frecuencia que la Revolución argelina: la lucha de liberación marroquí. Un momento de esa lucha reviste especial importancia a la hora de hablar de la relación entre colonialismo y arquitectura, sobre todo si se compara con las estrategias adoptadas por los sucesivos gobiernos franceses en Argelia en los años posteriores a ese momento concreto.
El acontecimiento en cuestión consiste en dos días de huelgas y manifestaciones organizadas por la Union. Générale des Syndicats Confédérés du. Maroc (UGSCM) y el principal partido nacionalista marroquí (Istiqlal) en diciembre de 1952, descritos con precisión por Jim House en un ensayo titulado 
L’impossible contrôle d’une ville coloniale ? [¿El control imposible de una ciudad colonial?] (Genèses vol. 86, 2012). Aunque este artículo está motivado en parte por el intento de traducir ciertos elementos de la descripción de House de la huelga de 1952 (a la que se dedica la primera parte de este artículo), también encuentra su motivación en la falta de consideración de su artículo por la transformación urbana masiva que las autoridades coloniales estaban llevando a cabo en ese momento. Este punto, y lo que nos dice sobre las responsabilidades de los arquitectos en la contrarrevolución colonial, será por tanto el tema de la segunda parte de este artículo.
 


 Farhat Hached (de traje oscuro) a la cabeza de una manifestación de la UGTT, la confederación sindical tunecina

Manifestación anticolonial en las Canteras Centrales de Casablanca 

El 5 de diciembre de 1952, el nacionalista y sindicalista tunecino Farhat Hached es asesinado en un complot en el que parecen estar implicadas las autoridades coloniales francesas en Túnez. Como respuesta transnacional, la UGSCM marroquí y el Istiqlal organizaron una huelga general en Marruecos el 7 de diciembre. La huelga se originó en el barrio de chabolas de Carrières Centrales (ahora Hay Mohammadi) en Casablanca, donde vivían más de 130.000 personas colonizadas. Algunos de ellos se habían trasladado allí desde las zonas rurales del país; otros habían sido desplazados del centro de la ciudad en 1938, después de que una epidemia de fiebre tifoidea sirviera de pretexto a las autoridades para destruir los pequeños barrios de chabolas adyacentes a los "barrios europeos" y expulsar a sus habitantes fuera de lo que entonces eran los límites de la ciudad. 
El chabolismo masivo que existía a principios de la década de 1950 fue visto por las autoridades francesas como una amenaza política para el orden colonial -veremos en la segunda parte en qué consistió la estrategia contrarrevolucionaria que siguió-. En consecuencia, se puso en marcha un plan específico de represión para responder a cualquier movimiento anticolonial en las Carrières Centrales: además de los agentes de policía franceses y marroquíes (estos últimos a las órdenes del Majzén), las autoridades coloniales idearon varios niveles de refuerzos militares como tiradores marroquíes o senegaleses, goums (unidades militares bereberes) y otras ramas del ejército colonial.

 La huelga organizada originalmente por el Istiqlal se conocía como la “huelga del ratón”. Consistía en negarse a salir de casa para ir a trabajar. Sin embargo, la noche del 7 de diciembre, los pregoneros circularon por el barrio de chabolas para declarar que la huelga estaba prohibida y que todo el mundo debía abrir sus comercios como en un día normal. Momentos después, la policía abrió fuego contra los vecinos que les habían lanzado piedras en respuesta a la prohibición. Los manifestantes se concentraron frente a la comisaría local; algunos murieron por disparos. La policía comenzó entonces a registrar el poblado de chabolas, entrando sistemáticamente en las casas y deteniendo a activistas nacionalistas. Al día siguiente, los colonos que vivían cerca fueron evacuados y la policía volvió a disparar en el barrio, matando a un muchacho de 15 años que había estado cavando una zanja dentro de su casa para proteger a su familia. 
El 8 de diciembre por la tarde se organizó una marcha multitudinaria, que salió de los barrios marroquíes pobres y se dirigió al centro de la ciudad, hacia la Casa de los Sindicatos, donde estaba prevista una reunión. Al describir los acontecimientos, la prensa francesa se refirió a un "intento de invasión de la ciudad europea". La policía disparó y mató al menos a 14 personas de la procesión. Muchas otras personas fueron detenidas. Un pequeño número fue liberado en medio de una multitud de colonos que les atacaron. Mientras tanto, se solicitaron grandes refuerzos militares para acordonar los barrios pobres marroquíes. Aviones de reconocimiento sobrevolaron a baja altura estos barrios en un esfuerzo que era tanto de vigilancia como de intimidación. Asimismo, tanques ligeros y ametralladoras desfilaron por las Carreras Centrales. En el propio distrito, la policía marroquí obligó a los residentes a abrir sus tiendas y destruyó las que permanecían cerradas, en lo que prefiguró la respuesta francesa a la huelga general organizada por el FLN en Argelia cinco años después.
En los días siguientes, miles de policías y soldados se desplegaron en los barrios marroquíes y 1.206 personas fueron declaradas culpables de alteración del orden público por los tribunales coloniales. Algunos de los manifestantes detenidos fueron torturados con electricidad en las comisarías, un presagio de los años siguientes de la revolución argelina (1954-1962). 51 sindicalistas franceses próximos al movimiento nacionalista marroquí también fueron deportados a Francia. 
Como suele ocurrir en las masacres coloniales (el Estado tiene interés en impedir que existan archivos), el número de manifestantes muertos durante estos días de represión sigue sin estar claro, pero se cree que osciló entre 100 y 300 (Jim House, "L'impossible contrôle d'une ville coloniale?", 2012).


El Plan Écochard y el chabolismo. Hemeroteca del Ministerio de Vivienda marroquí


Arquitectos y contrarrevolución 
 

Como se ha mencionado anteriormente, la información proporcionada por Jim House en su ensayo es extremadamente valiosa, pero tampoco menciona cómo las Carrières Centrales fueron al mismo tiempo el lugar de una drástica transformación urbana que sigue siendo bien conocida en la historia de la arquitectura actual. Por lo tanto, la narrativa política e histórica no implica a la arquitectura y, como era de esperar, la mayoría de las narrativas arquitectónicas no implican la violencia del colonialismo o lo hacen con demasiado poco énfasis. 
Siendo director del Departamento de Planificación Urbana de Marruecos (1946 a 1952), el arquitecto y urbanista francés Michel Écochard diseñó un plan director para las Carrières Centrales con su colectivo, cuyo nombre, GAMMA por Grupo de Arquitectos Modernas Marroquíes, induce a error en cuanto al tipo de arquitectos implicados (“marroquíes” significa aquí franceses y occidentales en Marruecos, como Shadrach Woods o Georges Candilis).
Como ya se ha dicho, este plan director y su reconocible cuadrícula de 8×8 metros, así como sus intentos (más o menos orientalistas) de adaptarlo a la población marroquí, pertenecen a la historia canónica de la arquitectura. En las raras ocasiones en que se menciona el contexto político de este proyecto (no “simplemente” el orden colonial francés en Marruecos, sino también la supresión del movimiento nacionalista marroquí), este contexto se entiende como el trasfondo del proyecto, más que como su propia esencia. 
Esta es, en mi opinión, una dimensión fundamental para entender no sólo el papel de la arquitectura aquí, no sólo la relación que la arquitectura tiene con el colonialismo, sino, más ampliamente, la propia función de la arquitectura en la cristalización y la imposición de órdenes políticos (y, quizás en las más raras ocasiones, del desorden).
En otras palabras, no debería sorprendernos simplemente el hecho de que la masacre de 1952 se produjera mientras estaba en marcha la transformación urbana del poblado chabolista, sino que deberíamos ver esta transformación como el esfuerzo colonial por silenciar el movimiento anticolonial, como ocurriría más tarde en Argelia a finales de la década de 1950 con la construcción de complejos residenciales masivos por parte de las autoridades francesas como la segunda oleada contrarrevolucionaria (después y al mismo tiempo que la oleada judicial y militar) contra la revolución anticolonial. Por supuesto, el proyecto en sí no fue una respuesta a la huelga de 1952, sino más bien una respuesta preventiva a dicha lucha política. 
Afirmar esto no es sugerir que la historia deba releerse a través del prisma de una conspiración colonial en la que participaron arquitectos y urbanistas en todos los niveles de la toma de decisiones militares y administrativas. Personalmente, no he leído ningún relato que implique a Écochard y a los militares sobre los rasgos contrarrevolucionarios de su proyecto urbano, y no sé si existe alguno, al igual que no lo hice con Fernand Pouillon en Argel unos años más tarde. 
Sin embargo, el grado de intencionalidad mostrado por los arquitectos a la hora de participar en el orden colonial es secundario cuando los clientes son precisamente los guardianes de ese orden, y los arquitectos miembros de la sociedad colonial. Además, con su extremo énfasis en la racionalidad, la arquitectura moderna, quizás más que ninguna otra, encarna el paradigma espacial ideal cuando se trata de controlar a la población (véase este artículo de 2014 sobre Brasilia, por ejemplo) y enmarcar la mayoría de los aspectos de la vida cotidiana de sus residentes. 
Por tanto, los diversos complejos modernistas construidos por las autoridades coloniales francesas en Marruecos y Argelia deben verse, tanto política como operativamente, como lo que son: armas arquitectónicas contrarrevolucionarias.


El edificio “Nid d'Abeilles” [Nido de abejas] diseñado por Georges Candilis y Sadrach Woods en 1952 y 2016. Fotos de Léopold Lambert

Arquitectura y revolución anticolonial

 Como he dicho muchas veces en The Funambulist, estoy convencido de que la arquitectura tiene propensión a encarnar el orden colonial. Su violencia intrínseca materializa fácilmente los muros que el Estado colonial necesita para mantenerse, y nada es más fácil que extruir una línea trazada en un mapa donde las fronteras son construcciones coloniales. Una parte de mí sigue creyendo que se puede lograr un diseño anticolonial si se está dispuesto de algún modo a abrazar esa violencia intrínseca en favor de una agenda anticolonial. Sin embargo, la relación entre arquitectura y revolución anticolonial nunca es mayor que cuando el orden encarnado por la primera se subvierte (voluntaria o involuntariamente) en favor de la segunda. Aunque la liberación de Marruecos tuvo lugar en 1956, y es dudoso que tal proceso ya se hubiera logrado para entonces en el entramado Écochard de las Carrières Centrales, una visita a la arquitectura moderna del actual Hay Mohammadi sugiere sin duda tal subversión en la dificultad que incluso podríamos experimentar al intentar reconocerla.
Por supuesto, la subversión aquí se basaba principalmente en la apropiación de un espacio doméstico para las necesidades cotidianas, no en un esfuerzo político anticolonial; sin embargo, al igual que los arquitectos coloniales no necesitan contribuir voluntariamente al orden colonial para hacerlo, los residentes colonizados y poscoloniales (Hay Mohammadi sigue siendo hoy un barrio proletario) no necesitan subvertir voluntariamente ese orden para hacerlo.
Si se nos permite concluir con una última comparación con Argel, la Casba no necesitó ser transformada políticamente para constituir una condición espacial ideal para la revolución argelina; su existencia continuada en desacuerdo con la lógica colonial, así como su encarnación de una multitud de procesos racionales (en oposición a un proceso uniforme, siempre manifestado en un plan maestro), hicieron que lo fuera. Por ello, las fotografías siguientes, en comparación con la anterior del plan Écochard, representan menos la eficacia de una lucha anticolonial pasada que el símbolo de su potencial presente o futuro en la subversión del orden colonial que encarnan.

Abajo fotografías de Hay Mohammadi, Casablanca, de Léopold Lambert (2016).



Agradecimientos: este artículo solo ha podido escribirse hoy gracias a una invitación a Hay Mohammadi de las amigas Karima El Kharraze y Hélène Harder en 2016, y a la generosa introducción de Karim Rouissi a la historia proletaria de la ciudad. También me gustaría aprovechar este párrafo adicional para decir que, por supuesto, he leído varios de los textos de Marion Von Osten sobre el tema, y por lo tanto estoy obligado a ser influenciado de una manera u otra por su trabajo en este artículo; sin embargo, sigo siendo incapaz de articular una respuesta a ella porque su discurso parece estar formulado más para los fines de la historia de la arquitectura que para la historia del colonialismo y los movimientos anticoloniales abordados a través de la perspectiva de la arquitectura, como me interesa hacer.

LÉOPOLD LAMBERT
Casablanca 1952 : l’architecture au service de la lutte anticoloniale ou de la contre-révolution


Léopold Lambert, The Funambulist, 9/8/2018
Traduit par
Tafsut Aït Baamrane, Tlaxcala

Je me suis récemment rendu en Algérie pour faire quelques recherches en vue de mon prochain livre consacré à l’espace de l’état d’urgence français ; j’espère écrire bientôt quelques-uns de ces articles non rigoureux à ce sujet mais, en attendant, j’aimerais écrire un court article sur une lutte de libération nationale contre l’empire colonial français que nous évoquons généralement moins souvent que la Révolution algérienne : la lutte de libération marocaine. Un moment de cette lutte revêt une importance particulière lorsqu’il s’agit d’évoquer la relation entre le colonialisme et l’architecture, notamment en la comparant aux stratégies adoptées par les gouvernements français successifs en Algérie dans les années qui suivront ce moment spécifique. 

L’événement dont il est question ici consiste en deux journées de grève et de manifestations organisées par l’Union. Générale des Syndicats Confédérés du. Maroc (UGSCM) et le principal parti nationaliste marocain (Istiqlal) en décembre 1952, décrites avec précision par Jim House dans un essai intitulé « L’impossible contrôle d’une ville coloniale ? ».(Genèses vol. 86, 2012). Bien que cet article soit partiellement motivé par la tentative de traduire certains éléments de la description de la grève de 1952 par House (ce à quoi la première partie de cet article est consacrée), il trouve également sa motivation dans l’absence, dans son article, de considération pour la transformation urbaine massive que les autorités coloniales entreprenaient à l’époque. Ce point, ainsi que ce qu’il nous apprend sur les responsabilités des architectes dans la contre-révolution coloniale, fera donc l’objet de la deuxième partie de cet article.


Farhat Hached (en costume sombre) en tête d'une manifestation de l'UGTT, la confédération syndicale tunisienne


Une manifestation anticoloniale dans les Carrières Centrales de Casablanca

Le 5 décembre 1952, le nationaliste et syndicaliste tunisien Ferhat Hached est assassiné dans un complot qui semble impliquer les autorités coloniales françaises en Tunisie. En guise de réponse transnationale, l’UGSCM marocaine et l’Istiqlal organisent une grève générale au Maroc le 7 décembre. Cette grève trouve son origine dans le bidonville des Carrières Centrales (aujourd’hui Hay Mohammadi) à Casablanca, où vivent plus de 130 000 colonisés. Certains d’entre eux ont quitté les zones rurales du pays pour venir s’installer ici ; d’autres ont été déplacés en 1938 du centre-ville après qu’une épidémie de typhoïde a servi de prétexte aux autorités pour détruire les petits bidonvilles adjacents aux « quartiers européens » et expulser leurs habitants en dehors de ce qui était alors les limites de la ville. 

Le bidonville massif qui existe donc au début des années 1950 est considéré par les autorités françaises comme une menace politique pour l’ordre colonial - nous verrons dans la deuxième partie en quoi a consisté la stratégie contre-révolutionnaire qui s’en est suivie. En conséquence, un plan de répression spécifique est mis en place pour répondre à tout mouvement anticolonial dans les Carrières Centrales : en plus des policiers français et marocains (ces derniers étant sous les ordres du makhzen), les autorités coloniales imaginent plusieurs niveaux de renforts militaires tels que des tirailleurs marocains ou sénégalais, des goums (unités militaires berbères), et d’autres branches de l’armée coloniale.

La grève organisée à l’origine par l’Istiqlal est appelée « grève des souris ». Elle consiste à refuser de sortir de chez soi pour aller travailler. Dans la soirée du 7 décembre cependant, des crieurs publics circulent dans le bidonville pour déclarer que la grève est interdite et que tout le monde devra ouvrir son magasin comme un jour normal. Quelques instants plus tard, la police ouvre le feu sur les habitants qui leur jetaient des pierres en réponse à l’interdiction. Les manifestants se rassemblent devant le poste de police local ; certains sont tués par balle. Les policiers entreprennent alors de fouiller le bidonville et pénètrent systématiquement dans les maisons, tandis que des militants nationalistes sont arrêtés. Le lendemain, les colons qui vivent à proximité sont évacués et de nouveaux tirs sont effectués par la police dans le quartier, tuant notamment un garçon de 15 ans qui creusait une tranchée à l’intérieur de sa maison pour protéger sa famille.

Dans l’après-midi du 8 décembre, une marche massive est organisée, quittant les quartiers pauvres marocains et se dirigeant vers le centre-ville, vers la Maison des Syndicats, où une réunion est prévue. En décrivant les événements, la presse française évoque une « tentative d’invasion de la ville européenne ». La police tire et tue au moins 14 personnes dans le cortège. De nombreuses autres personnes sont arrêtées. Certaines sont relâchées en petit nombre au milieu d’une foule de colons qui les agressent. Pendant ce temps, d’importants renforts militaires sont appelés pour circonscrire les quartiers pauvres marocains. Des avions de reconnaissance volent à basse altitude au-dessus de ces quartiers dans un effort qui relève autant de la surveillance que de l’intimidation. De même, des chars légers et des mitrailleuses paradent autour des Carrières Centrales. Dans le quartier lui-même, la police marocaine oblige les habitants à ouvrir leurs magasins et détruit ceux qui restent fermés, dans ce qui préfigure la réponse française à la grève générale organisée par le FLN en Algérie cinq ans plus tard.

Dans les jours qui suivent, des milliers de policiers et de soldats sont déployés dans les quartiers marocains et 1206 personnes sont jugées coupables d’atteinte à lordre public par les tribunaux coloniaux. Certains des manifestants arrêtés sont torturés à l’électricité dans les commissariats - préfigurant là encore les années suivantes de la révolution algérienne (1954-1962). 51 syndicalistes français, proches du mouvement nationaliste marocain, sont également expulsés vers la France.

Comme c’est souvent le cas dans les massacres coloniaux (l’État ayant tout intérêt à empêcher les archives d’exister), le nombre de manifestants tués au cours de ces journées de répression reste flou, mais se situerait entre 100 et 300. (Jim House, « L’impossible contrôle d’une ville coloniale ? », 2012).

 
Le Plan Écochard et le bidonville. Photothèque du ministère de l’habitat marocain


Les architectes et la contre-révolution

Comme mentionné plus haut, les informations fournies par Jim House dans son essai sont extrêmement précieuses, mais omettent également de mentionner comment les Carrières Centrales ont été en même temps le lieu d’une transformation urbaine drastique qui reste aujourd’hui bien connue dans l’histoire de l’architecture. Le récit politique et historique n’implique donc pas l’architecture et, sans surprise, la plupart des récits architecturaux n’impliquent pas la violence du colonialisme ou le font avec trop peu d’insistance. 

Alors qu’il était directeur de la Direction de l’urbanisme du Maroc (1946 à 1952), l’architecte et urbaniste français Michel Écochard a conçu un plan directeur pour les Carrières Centrales, avec son collectif, dont le nom, GAMMA pour Groupe d’Architectes Modernes Marocains, trompe sur le type d’architectes impliqués (« marocains » signifie ici français et occidentaux au Maroc, comme Shadrach Woods ou Georges Candilis).

Comme mentionné ci-dessus, ce plan directeur et sa grille reconnaissable de 8×8 mètres, ainsi que ses tentatives (plus ou moins orientalistes) de l’adapter à la population marocaine, appartiennent à l’histoire canonique de l’architecture. Dans les rares occasions où le contexte politique de ce projet est mentionné (pas « simplement » l’ordre colonial français au Maroc, mais aussi la suppression du mouvement nationaliste marocain), ce contexte est compris comme l’arrière-plan du projet, plutôt que comme son essence même.

Il s’agit, à mon avis, d’une dimension fondamentale pour comprendre, non seulement le rôle de l’architecture ici, non seulement la relation que l’architecture entretient avec le colonialisme, mais plus largement, la fonction même de l’architecture dans la cristallisation et l’application des ordres politiques (et, dans de très rares occasions peut-être, des désordres).


En d’autres termes, nous ne devrions pas simplement être frappés par le fait que le massacre de 1952 s’est produit alors que la transformation urbaine du bidonville était en cours - nous devrions considérer cette transformation comme l’effort colonial pour faire taire le mouvement anticolonial, comme ce sera plus tard le cas en Algérie à la fin des années 1950 avec la construction de complexes résidentiels massifs par les autorités françaises comme la deuxième vague contre-révolutionnaire (après et en même temps que la vague judiciaire et militaire) contre la révolution anticoloniale. Bien sûr, le projet lui-même n’est pas une réponse à la grève de 1952, mais il constitue plutôt une réponse préventive à une telle lutte politique.

Affirmer cela n’est pas une proposition pour relire l’histoire à travers le prisme d’une conspiration coloniale impliquant des architectes et des urbanistes à tous les niveaux des décisions militaires et administratives. Je n’ai personnellement pas lu de compte-rendu impliquant Ecochard et les militaires sur les caractéristiques contre-révolutionnaires de son projet urbain et je ne sais pas s’il en existe - pas plus que pour Fernand Pouillon à Alger quelques années plus tard.

Cependant, le degré d’intentionnalité manifesté par les architectes lorsqu’il s’agit de participer à l’ordre colonial est secondaire lorsque les clients sont précisément les gardiens de cet ordre, et que les architectes sont des membres de la société de colonisation. De plus, par sa valorisation extrême de la rationalité, l’architecture moderne, peut-être plus que toute autre, incarne le paradigme spatial idéal lorsqu’il s’agit de contrôler la population (voir cet article de 2014 sur Brasilia par exemple) et d’encadrer la plupart des aspects de la vie quotidienne de ses résidents.

Les différents ensembles modernistes construits par les autorités coloniales françaises au Maroc et en Algérie doivent donc être considérés, tant au niveau politique qu’opérationnel, pour ce qu’ils sont : des armes architecturales contre-révolutionnaires.


L’immeuble dit « Nid d’Abeilles » conçu par Georges Candilis et Sadrach Woods en 1952 et en 2016. Photos Léopold Lambert.

 L’architecture et la révolution anticoloniale

Comme je l’ai exprimé à maintes reprises sur The Funambulist, je suis convaincu que l’architecture a une propension à incarner l’ordre colonial. Sa violence intrinsèque matérialise facilement les murs dont l’État colonial a besoin pour se maintenir, et rien n’est plus facile que d’extruder une ligne tracée sur une carte où les frontières sont des constructions coloniales. Une partie de moi croit encore qu’un design anticolonial peut être réalisé si, d’une manière ou d’une autre, on accepte d’embrasser une telle violence intrinsèque en faveur d’un programme anticolonial. Néanmoins, la relation entre l’architecture et la révolution anticoloniale n’est jamais plus grande que lorsque l’ordre incarné par la première est subverti (volontairement ou non) en faveur de la seconde. Bien que la libération du Maroc ait eu lieu en 1956 et qu’il soit douteux qu’un tel processus ait déjà été réalisé à ce moment-là dans la grille Écochard des Carrières Centrales, la visite de l’architecture moderne de l’actuel Hay Mohammadi suggère certainement une telle subversion dans la difficulté que nous pourrions même éprouver en essayant de la reconnaître. 

Bien sûr, la subversion ici était principalement basée sur l’appropriation d’un espace domestique pour les besoins quotidiens, et non sur l’effort politique anticolonial ; cependant, tout comme les architectes colons n’ont pas besoin de contribuer volontairement à l’ordre colonial pour le faire, les résidents colonisés et post-coloniaux (Hay Mohammadi reste aujourd’hui un quartier prolétaire ) n’ont pas besoin de subvertir volontairement cet ordre pour le faire. 

Si nous pouvons conclure par une ultime comparaison avec Alger, la Casbah n’a pas eu besoin d’être transformée politiquement pour constituer une condition spatiale idéale pour la révolution algérienne, son existence continue en décalage avec la logique coloniale, ainsi que son incarnation d’une multitude de processus rationnels (par opposition à un processus uniforme, toujours manifesté dans un plan directeur), l’ont rendue ainsi. Que les photographies suivantes, en comparaison avec la précédente du plan Ecochard, représentent donc moins l’efficacité d’une lutte anticoloniale passée, que le symbole de sa potentialité au présent ou au futur dans la subversion de l’ordre colonial qu’elles incarnent.

Ci-dessous des photographies de Hay Mohammadi, Casablanca
par Léopold Lambert (2016)



Remerciements : cet article n’a pu être écrit aujourd’hui que grâce à l’invitation à Hay Mohammadi des amies Karima El Kharraze et Hélène Harder en 2016, et à la généreuse introduction à l’histoire prolétarienne de la ville par Karim Rouissi. Je profite également de ce paragraphe supplémentaire pour dire que j’ai bien sûr lu plusieurs textes de Marion Von Osten sur la question, et que je suis donc forcément influencé d’une manière ou d’une autre par son travail dans cet article ; pourtant, je reste incapable d’articuler une réponse à celui-ci car son discours semble être formulé davantage pour les besoins de l’histoire de l’architecture que pour l’histoire du colonialisme et des mouvements anticoloniaux abordée à travers la perspective de l’architecture, comme cela m’intéresse de le faire.

7 et 8 décembre 1952 : les émeutes des Carrières Centrales de Casablanca après l'assassinat de Farhat Hached en Tunisie

Carrières Centrales. Ce nom résonne dans la
mémoire des Casablancais et des Marocains. Les 7 et 8 décembre 1952, Casablanca fut le théâtre d’émeutes violentes. Ces événements, qui se déroulèrent dans le quartier des Carrières Centrales, furent déclenchés par l’assassinat de Farhat Hached, leader syndicaliste tunisien et fervent défenseur de l’indépendance des pays du Maghreb. La révolte des ouvriers et habitants de ce quartier précaire devint rapidement un symbole de la lutte anticoloniale au Maroc. Immersion…

Farhat Hached
(2 février 1914 - 5 décembre 1952)

Sabrina El Faiz, lebrief.ma, 5/12/2024

Pour les actualités de British Pathé, tout ça, ça n'était que des "émeutes communistes"

Au début des années 1950, le Maroc vivait sous le protectorat français, instauré en 1912. Bien que ce régime colonial se soit appuyé sur une administration modernisatrice, il avait engendré de nombreuses inégalités sociales, marginalisé les populations rurales et réprimé toute forme de revendication politique !

Casablanca, en tant que centre économique du pays, symbolisait, à elle seule, toutes ces disparités.

Les Carrières Centrales, pour ceux qui ne le connaissent pas, est un quartier ouvrier situé en périphérie de la ville. A l’époque, il accueillait une population majoritairement marocaine, vivant dans des conditions précaires. Ce quartier était le repère des ouvriers travaillant dans les industries et chantiers de Casablanca, souvent exploités et privés des droits les plus fondamentaux. C’est dans ce contexte que l’influence des syndicats et mouvements nationalistes, tels que le parti de l’Istiqlal, s’y était considérablement développée.

Farhat Hached, secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et figure emblématique des luttes indépendantistes en Tunisie, était perçu comme un allié naturel par les militants marocains. Son assassinat, le 5 décembre 1952, par des membres de la Ligue anticommuniste, un groupe paramilitaire proche des colons, fut un choc pour l’ensemble du Maghreb.

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La presse des prépondérants se déchaîne

Le déclenchement des émeutes

Le 7 décembre, des manifestations furent organisées à travers le Maroc pour dénoncer le meurtre de Farhat Hached. À Casablanca, les protestations prirent une ampleur particulière dans les Carrières Centrales. La colère des habitants s’exprima d’abord par des rassemblements pacifiques. Des ouvriers, des militants nationalistes et des syndicalistes appelèrent à une grève générale pour exprimer leur solidarité avec les Tunisiens et leur rejet de la violence coloniale.
Mais la tension monta rapidement. La présence renforcée des forces de l’ordre françaises, venues réprimer toute contestation, attisa la colère des manifestants. Des affrontements éclatèrent entre les habitants et la police, transformant les rues du quartier en champ de bataille. Les protestations initialement pacifiques se transformèrent en émeutes violentes.

Les forces coloniales, surprises par l’ampleur de la mobilisation, réagirent avec une brutalité extrême ! La police et l’armée furent déployées en masse pour disperser les manifestants. Des tirs à balles réelles furent rapportés, causant de nombreuses pertes humaines. Selon les sources historiques, plusieurs dizaines de personnes furent tuées et des centaines d’autres blessées.

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Les autorités françaises procédèrent également à une vague d’arrestations. Des militants nationalistes, des syndicalistes et de simples habitants furent arrêtés en masse. Les témoignages recueillis plus tard évoquèrent des scènes de violence inouïe, marquées par des exactions et des actes d’humiliation envers les Marocains.

Malgré cette répression féroce, les émeutes des Carrières Centrales ont connu un retentissement national et international. Elles démontrèrent l’ampleur du rejet du régime colonial.

Ces événements ne restèrent pas confinés à Casablanca. Dans plusieurs villes marocaines, des manifestations similaires éclatèrent, montrant la solidarité des Marocains face à la répression coloniale. Les émeutes de décembre 1952 devinrent symbole de résistance populaire contre l’oppression et donnèrent une nouvelle impulsion au mouvement nationaliste.

11 décembre

Sur la scène internationale, ces événements attirèrent l’attention sur la situation des pays du Maghreb sous domination coloniale. Les revendications des mouvements indépendantistes marocains gagnèrent en légitimité, notamment auprès de l’Organisation des Nations unies (ONU).

Aujourd’hui encore, les émeutes de décembre 1952 restent gravées dans la mémoire collective marocaine et surtout casablancaise. Elles rappellent les sacrifices consentis pour la liberté, ainsi que l’importance de la solidarité entre les peuples du Maghreb dans leur quête d’émancipation.

06/12/2024

Susan Abulhawa : « Vous devrez soit partir soit apprendre enfin à vivre avec les autres sur un pied d’égalité »
Discours au débat de l’Oxford Union

L’Oxford Union Society, communément appelée Oxford Union, est une société de débat dans la ville d’Oxford, en Angleterre, dont les membres proviennent principalement de l’université d’Oxford. Fondée en 1823, c’est l’une des plus anciennes associations étudiantes britanniques et l’une des plus prestigieuses au monde. Elle vient d’organiser un débat sur la motion « Cette chambre croit qu’Israël est un État d’apartheid responsable de génocide ». La motion a été adoptée par 278 voix contre 59 par la « chambre », une copie conforme du parlement britannique.
 

Les orateurs intervenant en faveur de la motion étaient l’écrivaine usaméricaine d’origine palestinienne Susan Abulhawa, le poète palestinien Mohammed el Kurd et l’écrivain israélien antisioniste Miko Peled et Ebrahim Osman-Mowafy, président de l’Union.

Les orateurs de l’opposition étaient Jonathan Sacerdoti, journaliste britannique sioniste, Natasha Hausdorff, directrice juridique de UK Lawyers for Israel, Yoseph Haddad, militant sioniste israélo-arabe, et Mosab Hassan Yousef, fils d’un fondateur du Hamas, qui a été un informateur du Shin Bet d’Israël pendant dix ans avant de s’enfuir aux USA.

L’événement, auquel assistaient de nombreux étudiants d’Oxford, s’est déroulé dans une atmosphère tendue, avec de fréquentes interruptions et des échanges animés, les orateurs ayant été interpellés à plusieurs reprises par des membres de l’auditoire.
« Nous l’avons fait »

L’orateur de l’opposition Mosab Hassan Yousef a suscité la controverse en demandant si le public aurait condamné l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre 2023 s’il en avait eu connaissance à l’avance.
La réponse a été mitigée, seuls quelques députés ayant levé la main.
Yousef a accusé la majorité du public d’être des « terroristes », provoquant l’indignation, et a en outre déclaré que les Palestiniens n’existent pas, affirmant que l’Oxford Union avait été « détournée par les musulmans ».
Le débat a atteint son point d’ébullition lorsque l’orateur de l’opposition, Yoseph Haddad, ardent défenseur d’Israël, a été prié de quitter l’hémicycle.
Haddad, connu pour son approche provocatrice, a utilisé de nombreux accessoires et affiches pendant son discours et a porté un tee-shirt avec une image du chef du Hezbollah assassiné, Hassan Nasrallah, accompagnée de la légende suivante : « Votre héros terroriste est mort ! « Votre héros terroriste est mort ! C’est nous qui l’avons fait ».
Pendant le discours de Haddad, un étudiant palestinien de Gaza s’est levé, s’est dit personnellement offensé et a demandé au président du syndicat d’expulser Haddad. L’échange s’est intensifié lorsque Haddad a répliqué, ce qui a incité le président à lui donner un avertissement.
L’étudiant, qui étudie les mathématiques et la physique, a ensuite prononcé un discours impromptu pendant l’entracte, ajoutant une perspective profondément personnelle au débat.

 
Attaque du 7 octobre : « Héroïque »
Les partisans de la motion ont concentré leurs arguments sur les violations des droits de l’homme et le bilan civil dévastateur à Gaza.
Le poète et activiste palestinien Mohammed El-Kurd, après avoir prononcé un discours enflammé, a quitté l’hémicycle, qualifiant par la suite l’opposition de « négationnistes du génocide ».
Le président de l’Oxford Union, Ebrahim Osman-Mowafy, qui soutient la motion, a raconté l’histoire poignante de Shaban al-Daloum, 19 ans, brûlée vive en octobre lors d’une frappe aérienne israélienne sur l’hôpital Al-Aqsa, dans le nord de la bande de Gaza.
Osman-Mowafy a décrit la mort de Shaban comme faisant partie de « l’holocauste » qu’Israël continue de perpétrer contre Gaza.
Le débat a été marqué par des moments peu conventionnels. La sortie immédiate de Mohammed El-Kurd après son discours a laissé une tension palpable, tandis que l’activiste et auteur israélo-usaméricain Miko Peled, un autre partisan de la motion, a qualifié l’attaque du 7 octobre d’« héroïque », ce qui a provoqué un tollé de la part des orateurs de l’opposition et d’une partie de l’auditoire.
Fondée il y a 201 ans, l’Oxford Union a une longue tradition de débats sur des sujets controversés, qui attirent souvent l’attention du monde entier.
Bien que l’issue du débat n’ait pas d’implications politiques directes, elle met en lumière la dynamique changeante de l’opinion publique sur les atrocités commises par Israël à Gaza, en particulier au sein des espaces universitaires.

Ci-dessous notre traduction de l’intervention de Susan Abulhawa


Je ne répondrai pas aux questions tant que je n’aurai pas fini de parler ; je vous prie donc de ne pas m’interrompre.
Répondant à la question de savoir ce qu’il fallait faire des habitants indigènes du pays, Chaim Weizman, un juif russe, a déclaré au Congrès sioniste mondial en 1921 que les Palestiniens étaient comparables aux « rochers de Judée, des obstacles qu’il fallait franchir sur un chemin difficile ».
David Grün, un juif polonais, qui a changé son nom en David Ben Gurion pour paraître pertinent dans la région, a déclaré : « Nous devons expulser les Arabes et prendre leur place »
Il existe des milliers de conversations de ce type parmi les premiers sionistes qui ont comploté et mis en œuvre la colonisation violente de la Palestine et l’anéantissement de son peuple autochtone.
Mais ils n’ont que partiellement réussi, assassinant ou nettoyant ethniquement 80 % des Palestiniens, ce qui signifie que 20 % d’entre nous sont restés, un obstacle durable à leurs fantasmes coloniaux, qui est devenu l’objet de leurs obsessions dans les décennies qui ont suivi, en particulier après la conquête de ce qui restait de la Palestine en 1967.
Les sionistes ont déploré notre présence et ont débattu publiquement dans tous les cercles - politiques, universitaires, sociaux, culturels - de ce qu’ils allaient faire de nous ; de ce qu’ils allaient faire de la natalité palestinienne, de nos bébés, qu’ils considéraient comme une menace démographique.
Benny Morris, qui devait être ici à l’origine, a un jour regretté que Ben Gourion « n’ait pas fini le travail » en se débarrassant de nous tous, ce qui aurait évité ce qu’ils appellent le « problème arabe ».
Benjamin Netanyahou, un juif polonais dont le vrai nom est Benjamin Mileikowsky, a un jour déploré l’occasion manquée, lors du soulèvement de la place Tiananmen en 1989, d’expulser de larges pans de la population palestinienne « alors que l’attention du monde était concentrée sur la Chine ».
Parmi les solutions qu’ils ont formulées pour remédier à la nuisance de notre existence figure la politique consistant à « leur briser les os » dans les années 80 et 90, ordonnée par Yitzhak Rubitzov, juif ukrainien qui a changé de nom pour devenir Yitzhak Rabin (pour les mêmes raisons).
Cette politique horrible, qui a paralysé des générations de Palestiniens, n’a pas réussi à nous faire partir. Et frustré par la résilience palestinienne, un nouveau discours a vu le jour, surtout après la découverte d’un énorme gisement de gaz naturel au large de la côte du nord de Gaza, d’une valeur de plusieurs milliards de dollars.
Ce nouveau discours trouve un écho dans les propos du colonel Efraim Eitan, qui a déclaré en 2004 : « nous devons tous les tuer ».
Aaron Sofer, un soi-disant intellectuel et conseiller politique israélien, a insisté en 2018 sur le fait que « nous devons tuer, tuer et tuer. Toute la journée, tous les jours. »
Lorsque j’étais à Gaza [lire ici et ici], j’ai vu un petit garçon qui n’avait pas plus de 9 ans et dont les mains et une partie du visage avaient été arrachées par une boîte de nourriture piégée que des soldats avaient laissée derrière eux pour les enfants affamés de Gaza. J’ai appris par la suite qu’ils avaient également laissé de la nourriture empoisonnée pour les habitants de Shujaiyya et que, dans les années 1980 et 1990, les soldats israéliens avaient laissé des jouets piégés dans le sud du Liban, qui explosaient lorsque des enfants excités les ramassaient.
Le mal qu’ils font est diabolique, et pourtant, ils s’attendent à ce que vous croyiez qu’ils sont les victimes. Invoquant l’holocauste européen et criant à l’antisémitisme, ils attendent de vous que vous suspendiez la raison humaine fondamentale pour croire que les tirs quotidiens sur des enfants, appelés « coups de feu mortels », et les bombardements de quartiers entiers qui enterrent des familles vivantes et anéantissent des lignées entières relèvent de l’autodéfense.
Ils veulent vous faire croire qu’un homme qui n’avait rien mangé depuis plus de 72 heures, qui a continué à se battre alors qu’il n’avait qu’un bras en état de marche, que cet homme était motivé par une sauvagerie innée et une haine ou une jalousie irrationnelle des Juifs, plutôt que par le désir indomptable de voir son peuple libre dans sa propre patrie.
Il est clair pour moi que nous ne sommes pas ici pour débattre de la question de savoir si Israël est un État d’apartheid ou un État génocidaire. Ce débat porte en fin de compte sur la valeur des vies palestiniennes, sur la valeur de nos écoles, de nos centres de recherche, de nos livres, de notre art et de nos rêves, sur la valeur des maisons que nous avons travaillé toute notre vie à construire et qui contiennent les souvenirs de générations entières, sur la valeur de notre humanité et de notre action, sur la valeur de nos corps et de nos ambitions.
Car si les rôles étaient inversés - si les Palestiniens avaient passé les huit dernières décennies à voler les maisons des Juifs, à les expulser, à les opprimer, à les emprisonner, à les empoisonner, à les torturer, à les violer et à les tuer ; si les Palestiniens avaient tué environ 300 000 Juifs en un an, pris pour cible leurs journalistes, leurs penseurs, leurs travailleurs de la santé, leurs athlètes, leurs artistes, bombardé tous les hôpitaux, universités, bibliothèques, musées, centres culturels et synagogues d’Israël, tout en installant une plate-forme d’observation où les gens venaient assister à leur massacre comme s’il s’agissait d’une attraction touristique ;
si les Palestiniens les avaient rassemblés par centaines de milliers dans des tentes fragiles, les avaient bombardés dans des zones dites sûres, les avaient brûlés vifs, leur avaient coupé la nourriture, l’eau et les médicaments ;
si les Palestiniens avaient obligé les enfants juifs à marcher pieds nus avec des casseroles vides, à rassembler la chair de leurs parents dans des sacs en plastique, à enterrer leurs frères et sœurs, leurs cousins et leurs amis, à sortir de leurs tentes au milieu de la nuit pour dormir sur les tombes de leurs parents, à prier pour mourir afin de rejoindre leur famille et de ne plus être seuls dans ce monde terrible, et s’ils les avaient terrorisés au point que leurs enfants perdent leurs cheveux, leur mémoire et leur esprit, et que ceux qui n’ont que 4 ou 5 ans meurent d’une crise cardiaque ;
si nous forcions impitoyablement leurs bébés de l’unité de soins intensifs néonatals à mourir, seuls dans des lits d’hôpitaux, en pleurant jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus pleurer, en mourant et en se décomposant au même endroit ;
si les Palestiniens utilisaient des camions d’aide à la farine de blé pour attirer les Juifs affamés, puis ouvraient le feu sur eux lorsqu’ils se rassemblaient pour collecter le pain d’une journée ; si les Palestiniens autorisaient finalement une livraison de nourriture dans un abri où se trouvaient des Juifs affamés, puis mettaient le feu à l’ensemble de l’abri et au camion d’aide avant que quiconque ne puisse goûter à la nourriture ;
si un tireur d’élite palestinien se vantait d’avoir brisé 42 rotules juives en une journée, comme l’a fait un soldat israélien en 2019 ; si un Palestinien admettait sur CNN qu’il avait écrasé des centaines de Juifs avec son char d’assaut, leur chair écrasée restant dans la bande de roulement du char ;
si les Palestiniens violaient systématiquement les médecins, patients et autres captifs juifs avec des tiges métalliques brûlantes, des bâtons dentelés et électrifiés, et des extincteurs, violant parfois jusqu’à la mort, comme cela s’est produit avec le Dr Adnan Al Bursh et d’autres ;
si les femmes juives étaient forcées d’accoucher dans la saleté, de subir des césariennes ou des amputations de jambe sans anesthésie ; si nous détruisions leurs enfants puis décorions nos chars avec leurs jouets ; si nous tuions ou déplacions leurs femmes puis posions avec leur lingerie...
si le monde assistait en temps réel à l’anéantissement systématique des Juifs, il n’y aurait pas de débat sur la question de savoir s’il s’agit d’un acte terroriste ou d’un génocide.
Et pourtant, deux Palestiniens - moi-même et Mohammad el-Kurd - sont venus ici pour faire exactement cela, endurant l’indignité de débattre avec ceux qui pensent que nos seuls choix de vie devraient être de quitter notre patrie, de nous soumettre à leur suprématie ou de mourir poliment et tranquillement.
Mais vous auriez tort de penser que je suis venue pour vous convaincre de quoi que ce soit. La résolution de la chambre, bien que bien intentionnée et appréciée, n’a que peu d’importance au milieu de l’holocauste de notre époque.
Je suis venue dans l’esprit de Malcolm X et de Jimmy Baldwin, qui se sont tous deux tenus ici et à Cambridge avant ma naissance, face à des monstres bien habillés et s’exprimant bien, qui nourrissaient les mêmes idéologies suprémacistes que le sionisme - ces notions de droit et de privilège, d’être favorisé, béni ou choisi par la divinité.
Je suis ici pour le bien de l’histoire. Pour parler aux générations qui ne sont pas encore nées et pour les chroniques de cette époque extraordinaire où le bombardement en tapis de sociétés indigènes sans défense est légitimé.
Je suis ici pour mes grands-mères, qui sont toutes deux mortes en tant que réfugiées sans le sou alors que des Juifs étrangers vivaient dans leurs maisons volées.
Je suis également venue pour m’adresser directement aux sionistes d’ici et d’ailleurs.
Nous vous avons accueillis dans nos maisons lorsque vos propres pays ont tenté de vous assassiner et que tous les autres vous ont repoussés.  Nous vous avons nourris et habillés, nous vous avons donné un abri et nous avons partagé avec vous les richesses de notre terre, et lorsque le moment est venu, vous nous avez chassés de nos propres maisons et de notre patrie, puis vous avez tué, volé, brûlé et pillé nos vies.
Vous avez creusé nos cœurs parce qu’il est clair que vous ne savez pas comment vivre dans le monde sans dominer les autres.
Vous avez franchi toutes les limites et nourri les pulsions humaines les plus viles, mais le monde entrevoit enfin la terreur que nous avons endurée entre vos mains pendant si longtemps, et il voit la réalité de ce que vous êtes, de ce que vous avez toujours été. Ils observent avec stupéfaction le sadisme, l’allégresse, la joie et le plaisir avec lesquels vous dirigez, observez et encouragez les détails quotidiens de la destruction de nos corps, de nos esprits, de notre avenir et de notre passé.
Mais quoi qu’il arrive à partir d’ici, quels que soient les contes de fées que vous vous racontez et que vous racontez au monde, vous n’appartiendrez jamais vraiment à cette terre. Vous ne comprendrez jamais le caractère sacré des oliviers, que vous coupez et brûlez depuis des décennies, juste pour nous contrarier et nous briser le cœur un peu plus. Aucun natif de cette terre n’oserait faire une telle chose aux oliviers. Aucun habitant de cette région ne bombarderait ou ne détruirait un patrimoine aussi ancien que Baalbek ou Battir, ou ne détruirait des cimetières anciens comme vous détruisez les nôtres, comme le cimetière anglican de Jérusalem ou le lieu de repos des anciens savants et guerriers musulmans à Mamilla. Ceux qui sont originaires de cette terre ne profanent pas les morts ; c’est pourquoi ma famille s’est occupée pendant des siècles du cimetière juif du Mont des oliviers, en tant que travail de foi et de soin pour ce que nous savons être une partie de nos ancêtres et de notre histoire.
Vos ancêtres seront toujours enterrés dans vos pays d’origine, en Pologne, en Ukraine et ailleurs dans le monde, d’où vous êtes venus. Le mythe et le folklore du pays vous seront toujours étrangers.
Vous ne maîtriserez jamais le langage vestimentaire des thobes que nous portons, qui ont jailli de la terre par l’intermédiaire de nos aïeules au fil des siècles - chaque motif, dessin et modèle évoquant les secrets de la tradition locale, de la flore, des oiseaux, des rivières et de la faune.
Ce que vos agents immobiliers appellent dans leurs annonces à prix élevé « maison arabe ancienne » conservera toujours dans ses pierres les histoires et les souvenirs de nos ancêtres qui les ont construites. Les photos et les peintures anciennes de la terre ne vous contiendront jamais.
Vous ne saurez jamais ce que l’on ressent lorsqu’on est aimé et soutenu par ceux qui n’ont rien à gagner de vous et, en fait, tout à perdre.  Vous ne connaîtrez jamais le sentiment des masses du monde entier qui se déversent dans les rues et les stades pour chanter votre liberté ; et ce n’est pas parce que vous êtes juifs, comme vous essayez de le faire croire au monde, mais parce que vous êtes des colonisateurs violents et dépravés qui pensent que votre judaïté vous donne droit à la maison que mon grand-père et ses frères ont construite de leurs propres mains sur des terres qui appartenaient à notre famille depuis des siècles. C’est parce que le sionisme est un fléau pour le judaïsme et, en fait, pour l’humanité.
Vous pouvez changer vos noms pour qu’ils soient plus adaptés à la région et vous pouvez prétendre que le falafel, le houmous et le zaatar sont vos anciennes cuisines, mais dans les recoins de votre être, vous sentirez toujours la piqûre de cette falsification et de ces vols épiques, c’est pourquoi même les dessins de nos enfants accrochés aux murs à l’ONU ou dans un service hospitalier provoquent une crise d’hystérie chez vos dirigeants et vos juristes.
Vous ne nous effacerez pas, quel que soit le nombre d’entre nous que vous tuerez, jour après jour. Nous ne sommes pas les rochers que Chaim Weizmann pensait pouvoir éliminer de la terre. Nous sommes son sol même. Nous sommes ses rivières, ses arbres et ses histoires, parce que tout cela a été nourri par nos corps et nos vies pendant des millénaires d’occupation continue et ininterrompue de cette parcelle de terre entre le Jourdain et la Méditerranée, depuis nos ancêtres cananéens, hébreux, philistins et phéniciens, jusqu’à tous les conquérants et pèlerins qui sont allés et venus, qui se sont mariés ou ont violé, aimé, réduit en esclavage, converti d’une religion à l’autre, se sont installés ou ont prié sur notre terre, laissant des morceaux d’eux-mêmes dans nos corps et dans notre héritage. Les histoires légendaires et tumultueuses de cette terre sont littéralement inscrites dans notre ADN. Vous ne pouvez pas tuer ou propager cela, quelle que soit la technologie de la mort que vous utilisez ou les arsenaux médiatiques d’Hollywood et des grandes entreprises que vous déployez.
Un jour, votre impunité et votre arrogance prendront fin. La Palestine sera libre ; elle retrouvera sa gloire pluraliste multireligieuse et multiethnique ; nous rétablirons et développerons les trains qui vont du Caire à Gaza, à Jérusalem, Haïfa, Tripoli, Beyrouth, Damas, Amman, Koweït, Sanaa, et ainsi de suite ; nous mettrons fin à la machine de guerre usaméricano-sioniste de domination, d’expansion, d’extraction, de pollution et de pillage
... et vous devrez soit partir soit apprendre enfin à vivre avec les autres sur un pied d’égalité.