Odeh Bisharat, Haaretz, 12/10/2021
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Odeh Bisharat est né en 1958 dans une famille
originaire de Ma'alul, un village palestinien détruit en 1948, et vit
aujourd'hui à Yafiah, en Galilée, avec sa femme et leurs trois enfants. Il a été
impliqué dans des activités politiques et sociales toute sa vie, d'abord en
tant que responsable du Comité national des lycéens arabes israéliens, puis en
tant que responsable de l'Organisation des étudiants arabes à l'université de
Haïfa. Il a également été actif dans divers mouvements judéo-arabes et a
travaillé comme rédacteur en chef du journal pour jeunes Al-Jad. Au
début des années 2000, Bisharat a été secrétaire général du parti politique
Hadash (Front démocratique pour la paix et l'égalité). Actuellement, il est
chroniqueur d'opinion pour les journaux Haaretz et Al-Atikhad. Il
a publié trois romans en arabe : The Streets of Zatunia (traduit en
hébreu et en finnois), Donia (traduit en hébreu) et The Late Tammam
Mekehoul. @OdehBisharat
S'il y avait un prix Nobel pour l'incitation [à
la haine, NdT], il y aurait certainement de la place pour l'appel du
journaliste Akiva Novik à attribuer un prix Nobel de la paix à l'ancien Premier
ministre Benjamin Netanyahou pour les accords d'Abraham. L'ancien président usaméricain
Donald Trump (à qui Novik voulait également accorder un prix de la paix pour
les Accords) peut se voir offrir un prix Nobel de la malhonnêteté. Vraiment,
quel rapport y a-t-il entre Netanyahou, "l'ange de la destruction"
selon le défunt Premier ministre Yitzhak Shamir, et ce prix humain ?
Et maintenant, le point principal : cette
année, les responsables du prix ont pensé autrement. Ils sont partis du principe qu'il
existe un lien étroit entre "paix" et "vérité", sinon ils n'auraient pas accordé le prestigieux prix à
deux journalistes, Maria Ressa des Philippines et Dmitry Muratov de Russie, car
les journalistes ne s'occupent pas directement de promouvoir des relations
pacifiques entre les pays et les nations, ils s'occupent d'extraire la vérité
des mâchoires mensongères du gouvernement - presque chaque gouvernement.
À cette
occasion, je peux proposer deux explications à cette décision. La première : la
paix et la vérité sont du côté du bien, de la vie, alors que la guerre et le
mensonge sont du côté du mal. Aussi, afin de renforcer la fraternité du bien,
le comité a jugé bon d'honorer la vérité dans les rangs du royaume de la paix.
Pas mal. Je suis d'accord.
Et une autre explication qui me vient à
l'esprit : il est vrai que les lauréats ne sont pas les premiers journalistes à
recevoir le prix Nobel de la paix - auparavant, deux journalistes ont reçu le
prix, en 1907 [Ernesto Teodoro Moneta, pacifiste italien] et en 1935 [Carl von Ossietzky, alors
emprisonné par les nazis] - mais la guerre entre les mensonges, la
désinformation et la manipulation des faits, d'une part, et un reportage
équilibré et véridique, d'autre part, est aujourd'hui le principal champ de
bataille dans notre monde turbulent. Les mots ont remplacé les coups de feu,
les enquêtes ont remplacé l'artillerie et les images ont remplacé les bombes.
Aujourd'hui, il est difficile d'entrer dans
les médias sociaux sans être frappé par les éclats de l'incitation. Si on la compare à un tir réel, on
peut compter de nombreuses
victimes. Il est
vrai que l'incitation ne laisse pas de morts et de blessés derrière elle, mais
son impact psychologique négatif sur le comportement humain est énorme, surtout
lorsque ce champ de bataille est géré par des géants tels que Facebook qui,
selon les enquêtes, enflamme les éléments négatifs de notre discours. Nous
pouvons certainement
considérer la décision actuelle du comité du prix Nobel comme une sorte
d'expression d'aversion pour le discours superficiel des médias sociaux.
Je suis donc impressionné par le fait que ce
prix important ait été décerné à des journalistes. À l'époque actuelle, ils
sont les leaders de la diffusion de la vérité dans le monde. Sans la vérité,
tout est fragile et sur le point de s'effondrer. D'autre part, on ne peut rien
construire sur des mensonges, on ne peut que détruire, et à mon avis, le moment
est venu d'offrir un nouveau prix, qui ne soit pas une annexe du prix de la
paix ou un invité d'honneur - un prix Nobel de la vérité. La vérité mérite un
prix, car souvent, ceux qui la révèlent le paient cher : atteinte à leurs
moyens de subsistance, marginalisation, menaces et parfois, comme dans les pays
des lauréats actuels, des choses bien plus terribles.
Il est vrai que le chemin de
la vérité est difficile et plein de déceptions, alors que le mensonge a de
nombreux consommateurs et applaudisseurs, mais un monde sans vérité est un
monde cruel, désolé et déprimant. Bien que le journaliste, après avoir révélé
la vérité, ne puisse rien faire de plus, même sans changer la réalité, nous
pouvons au moins trouver une consolation dans le fait que le mal ne marchera
pas droit.
La caméra de Basel al-Adra n'a
pas changé la réalité à Khirbet
al-Mufkara dans les collines du sud d'Hébron, mais a exposé l'armée et les
émeutiers dans leur disgrâce. La vérité érode la confiance en soi des
oppresseurs et donne espoir et confiance aux opprimés. Ce n'est pas une mince
affaire.
En Israël, il y a un certain
nombre de journalistes qui révèlent la vérité, et qui paient un prix élevé pour
cela. Nous devons leur en être reconnaissants, mais le problème est que, malgré
cela, la plupart des Israéliens ne remarquent même pas le monstre dans la pièce
- l'occupation. Par conséquent, je pense que nous devrions également décerner
le prix Nobel de la vérité au journaliste Gideon Levy, qui, semaine après semaine,
nous montre la laideur du monstre invisible.