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22/04/2023

GIDEON LEVY
Azzoun : les jeunes hommes de cette ville palestinienne continuent de mourir

 Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 22/4/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

 

Ayid Salim, un étudiant palestinien de 20 ans en architecture d’intérieur, a participé à des manifestations contre les troupes israéliennes qui ont effectué des raids sur sa ville natale. Un soldat qui pensait qu’Ayid lançait des pétards lui a tiré dessus à cinq reprises. C’est le troisième homme à mourir ainsi à Azzoun en un an

 

Azam Salim, le père d’Ayid

 La ville d’Azzoun est un lieu déshérité, militant, gorgé de souffrance. Pour son malheur, elle est située sur l’autoroute 55, la principale voie de communication entre Naplouse et Qalqilyah, dans le nord de la Cisjordanie, où la circulation des colons est intense. Deux grandes colonies - Karnei Shomron et Alfei Menashe - sont situées à l’est et à l’ouest, Azzoun étant coincé entre les deux. Parmi les habitants écoeurés de la ville, avec ses quelques garages et ateliers de métallurgie, la tentation de jeter des pierres sur les voitures des colons est très grande.

Les habitants sont condamnés à être assiégés, emprisonnés derrière des monticules de terre et une porte en fer jaune à l’entrée de la ville, qui est fermée par une chaîne pendant des jours et parfois des semaines, apparemment de façon arbitraire. Même lorsque le portail est grand ouvert, il est presque toujours gardé par des soldats des Forces de défense israéliennes. Les habitants qui sortent d’Azzoun ou ceux qui cherchent à y entrer vivent dans la crainte des forces étrangères qui gardent l’entrée jour et nuit. Trois jeunes gens ont été tués dans la ville au cours de l’année écoulée, tous de la même manière. Aucun d’entre eux n’était armé, ils n’ont apparemment mis personne en danger. S’il s’était agi de manifestants juifs ou de supporters de football de Jérusalem, le genre de personnes connues pour lancer des pétards, personne n’aurait songé à leur tirer dessus à balles réelles, avec l’intention de tuer. Si un policier ou un soldat tuait sans réfléchir un juif qui lançait des pierres ou des pétards, il serait probablement jugé. Mais à Azzoun, les soldats qui font cela aux Palestiniens “font leur devoir”, peut-être même sont-ils considérés comme des parangons d’héroïsme.

 

Ainsi, avec une insupportable désinvolture, sans susciter le moindre intérêt dans les médias ou ailleurs, des jeunes gens qui n’ont pratiquement rien fait de mal sont abattus. On abrège la durée de vie de personnes qui commencent à peine à vivre. Chez eux, les familles endeuillées se noient dans le chagrin et l’agonie, tandis que les soldats font comme si de rien n’était.

 

 
La ville d’Azzoun en 2020

Nous nous étions rendus à Azzoun il y a moins d’un an pour documenter les circonstances de l’assassinat de Yahya Adwan, âgé de 27 ans au moment de sa mort (“The suspected offense: throwing a firebomb. The punishment: death”, 13/5/2022). Adwan a d’abord été arrêté pour avoir jeté des pierres à l’âge de 14 ans et a été condamné à deux ans et demi de prison, après quoi il a dû quitter l’école. Il a passé une grande partie des années qui lui restaient à vivre dans les prisons israéliennes, soit un total de huit années de sa vie, pour avoir jeté des pierres, jusqu’à ce que des soldats le tuent.

 

C’était le vendredi soir, 29 avril 2022 - pendant le Ramadan précédent, lorsque l’armée a organisé une autre de ses opérations d’arrestation, des enlèvements pour la plupart inutiles qui provoquent inévitablement une résistance violente de la part des jeunes gens locaux - lorsqu’une jeep blindée de Tsahal s’est arrêtée dans la rue principale d’Azzoun. Sa portière s’est ouverte et un soldat à l’intérieur a tiré trois balles sur Adwan. Des images vidéo montrent l’acte de tuer. En un clin d’œil, la portière s’est refermée et la jeep a poursuivi sa route, tandis que le jeune homme se vidait de son sang.

 

À l’époque, Abdulkarim Sadi, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, avait noté que, d’après ses données, il s’agissait du cinquième cas, au cours des dernières semaines, où des soldats avaient ouvert le feu à balles réelles à partir d’une jeep blindée, avant de repartir. Les blessures par balles d’Adwan montrent qu’il a été abattu alors qu’il s’enfuyait. Quelques minutes plus tôt, un cocktail Molotov lancé sur la jeep avait explosé et s’était éteint sur le véhicule blindé, sans causer de dommages. On ne sait pas si c’est Adwan qui l’avait lancé.

 

Forces israéliennes en Cisjordanie en août. Photo : bureau du porte-parole des FDI

 Il a été abattu dans la rue principale de la ville, non loin de son domicile, à côté d’un supermarché qui porte le nom idyllique de Paradise, un véritable Eden. Le 2 mars dernier, Mohammed Salim, 17 ans, a été tué à côté de l’école locale, également par des soldats israéliens. C’était encore le Ramadan, et l’armée semait à nouveau la mort.

 

Le dernier chahid (martyr) de la ville a été abattu comme ses prédécesseurs. Il a lui aussi été tué dans la rue principale, non loin de chez lui, à une différence près : au lieu d’être tué à côté d’un supermarché ou d’une école, il a été abattu à côté d’une fontaine publique. Tout le reste est étonnamment similaire dans la vie et la mort des jeunes qui tombent à Azzoun.

 

Cette semaine, lorsque nous nous sommes rendus au domicile d’Ayid Salim, abattu le 8 avril, nous avons pu entendre en arrière-plan la psalmodie enregistrée de versets du Coran. Il avait 20 ans. Le père endeuillé, Azam Salim, est un chauffeur de camion de 55 ans ; sa femme, Kifah, 50 ans, est vêtue de noir. Ils ont cinq filles, et maintenant un seul fils. Ayid a abandonné l’école en seconde et a travaillé dans un atelier de réparation de pneus près de chez lui, pour aider à subvenir aux besoins de la famille. Il y a deux ans, il a suivi un cours de trois mois sur la décoration et l’aménagement de la maison, dans un établissement d’enseignement supérieur situé à Qalqilyah, non loin de là. Il n’a pas pu trouver d’emploi dans son nouveau domaine et a continué à travailler dans l’atelier de réparation de pneus. Son frère aîné Ali, 27 ans, travaille comme terrassier, mais il ne peut pas économiser suffisamment d’argent pour une future vie de couple en raison de la situation économique de sa famille. Les murs du salon des Salim sont nus, certains n’ont même pas été enduits ; quelques chaises en plastique sont empilées dans un coin, pratiquement le seul mobilier présent.

Ayid Salim, qui a été tué ce mois-ci. Son cousin avait vu un jeune homme allongé sur le sol en train de saigner, s’était approché pour l’aider - et avait alors vu qu’il s’agissait d’Ayid. Photo famille Salim

La vie d’Ayid Salim se déroulait généralement entre le travail et la maison ; il partait à 8 heures du matin et rentrait à 17 heures. Il dînait généralement avec sa famille et rendait ensuite visite à l’une de ses sœurs mariées, ou allait rencontrer des amis qui se retrouvaient dans la rue principale. Comme la plupart des jeunes d’Azzoun, Ayid a également participé aux affrontements avec les soldats près de la porte d’entrée de la ville.

 

En décembre dernier, il a été arrêté pour la première fois de sa vie. Des soldats ont fait une incursion nocturne dans sa maison - une autre incursion audacieuse derrière les lignes - et ont kidnappé Ayid dans son lit. Il a été libéré 15 jours plus tard sans condition, les soupçons des autorités quant à son implication dans des jets de pierres n’ayant pas abouti.

 

Le samedi 8 avril, il travaille comme d’habitude et rentre chez lui en fin d’après-midi. Il attend l’iftar (repas de rupture du jeûne), qu’il prend avec sa famille, puis sort. Kifah raconte qu’elle est également sortie et qu’à son retour, sa fille Isra lui a dit qu’Ayid avait pris son enceinte portable et qu’il allait voir des amis. Quelques minutes plus tard, Kifah a entendu une volée de coups de feu provenant de la rue principale, à quelques dizaines de mètres de la maison. Elle estime avoir entendu une trentaine de coups de feu.

 

La mère d’Ayid Salim, Kifah, et son cousin, Abderrahmane Salim

 

Kifah a paniqué et s’est précipitée hors de la maison dans la rue. Un parent l’a appelée pour lui demander si elle savait où se trouvait son fils, puis l’a informée qu’Ayid avait été blessé à la jambe ; il a précisé qu’il avait été transporté dans le petit hôpital local et qu’il était en bon état. Le docteur Mustafa Salim, médecin de garde, a écrit dans son rapport qu’Ayid avait été amené aux urgences vers 21 heures dans un véhicule privé, après avoir reçu cinq balles dans le haut du corps. Il souffrait de graves blessures à la poitrine, à l’épaule et à l’estomac et est arrivé à l’hôpital dans un état de mort clinique - tous les efforts pour le réanimer ont été vains.

 

Peu de temps auparavant, le cousin d’Ayid circulait en voiture dans la rue principale d’Azzoun. Abderrahmane Salim, 30 ans, revenait de son travail dans un magasin de pièces détachées dans le village voisin de Jayus. Soudain, il a vu un jeune homme étendu sur le sol, en sang. Il s’est arrêté et a emporté la victime grièvement blessée dans sa voiture. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il s’est rendu compte qu’il s’agissait de son cousin. Il a vu un trou béant dans la poitrine d’Ayid et s’est souvenu plus tard que le jeune homme ne répondait pas et semblait ne plus respirer.

 

Abderrahmane nous a dit cette semaine qu’il avait remarqué un soldat qui se tenait au milieu de la rue à environ 150 mètres d’Ayid - peut-être était-ce celui qui lui a tiré dessus. Il a également raconté qu’avant la fusillade, il n’y avait pas eu d’affrontements à cet endroit et que les soldats étaient apparemment sortis de derrière la barrière à l’entrée d’Azzoun pour tendre une embuscade à des jeunes qui leur avaient jeté des pétards et les avaient poursuivis. Lorsque Ayid a été abattu, dit son cousin, il n’y avait que quelques jeunes autour de lui.

 Azzoun en 2019. Photo: Moti Milrod

 L’unité du porte-parole des FDI a déclaré cette semaine, en réponse à une question de Haaretz : « Le 8 avril 2023, au cours d’une activité de protection des routes, des combattants de Tsahal ont tiré sur un suspect qui leur avait lancé un engin à côté du village d’Azzoun, sur le territoire de la brigade régionale d’Ephraïm. Un touché a été observé [sic]. Par la suite, le décès d’Ayid Salim a été signalé. Les circonstances de sa mort sont en cours d’éclaircissement ».

 

Pour sa part, Sadi, l’enquêteur sur le terrain, a déclaré que quelque 20 000 personnes ont assisté aux funérailles d’Ayid par une journée particulièrement chaude en plein Ramadan.

 

Plus tard, nous nous sommes rendus dans le magasin de vidange et d’accessoires automobiles d’Ifrah Efendi, près d’une fontaine d’eau potable pour les passants. C’est là qu’Ayid s’est effondré et est mort.

 

21/04/2023

GIANFRANCO LACCONE
La méchante ourse, l’humain et la Constitution

 Gianfranco Laccone, climateaid.it, 20/4/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Un fil rouge relie le racisme, le sexisme et le spécisme, qui désigne la croyance que l’espèce humaine est différente et supérieure aux autres, alors que, selon notre Constitution, la République doit protéger l’environnement, la biodiversité et les écosystèmes.

 


L’ourse Gaia jj4 est l’un des premiers ours nés en Italie, en 2006. Ses parents Joze et Jurka (‘où sa désignation comme "jj4"), étaient deux des dix ours importés de Slovénie pour repeupler les Alpes centrales de cette espèce. Elle a trois petits. Elle avait été condamnée à mort par une ordonnance du président de la province de Trente une première fois en 2020, pour avoir blessé deux chasseurs mais la sentence avait été suspendue. Le 5 avril, elle a tué un coureur, de toute apparence pour protéger ses petits et a donc été capturée le 18 avril, ses petits étant laissés en liberté, et installée dans un espace de confinement, au Casteller, qu’elle partage avec son dangereux congénère Papillon M49, enfermé là depuis 3 ans. L’exécution de l’ordonnance de mise à mort ayant été réactivée, une organisation animaliste (Ligue antivivisection) a pu la bloquer devant le Tribunal administratif régional, qui doit juger l’affaire le 11 mai prochain. Il y a aujourd’hui une centaine d’ursidés dans le Trentin. En Slovénie, où vivent 1100 ours, le gouvernement a donné le feu vert à l’exécution de 230 ours bruns en 2023. En 2022, on en avait tué 206. Les loups et les lynx y sont aussi victimes de semblables décisions, comme en Suède, en Autriche et en Suisse*. [NdT].

 La tragique affaire de l’ourse Gaia jj4 dans le Trentin est la némésis du rapport de l’humain à la nature et représente l’impasse dans laquelle s’est engagée la société italienne, composée d’individus qui, dans une période difficile pour la société, préfèrent se fermer aux “ennemis”, identifiés de temps en temps comme des éléments étrangers : les immigrés, la Russie, la France, les stations-service, l’UE, les amateurs de rave-parties, les sangliers, les loups et, maintenant, les ours.  Ceux qui pratiquent cette fabrication du “bouc émissaire” se montrent incapables de penser à autre chose qu’à la protection de leur propre bien-être individuel, à obtenir bien sûr sans se soucier des autres, surtout lorsqu’il s’agit d’animaux non humains. Et ce n’est pas un hasard si, dans le discours public, on avance le récit d’un pays assiégé qui serait attaqué en essayant même de pratiquer la “substitution ethnique” [le fameux “Grand Remplacement”], comme l’a dit de manière ridicule un ministre de cette république [Francesco Lollobrigida, petit-neveu de Gina l’actrice, beau-frère de Giorgia Meloni et ministre de l’Agriculture]. Il s’agit d’une vision globale dans laquelle la tâche de chaque Italien est de protéger sa propre pureté, son propre territoire, comme s’il ne s’agissait pas d’un espace commun, mais d’une propriété à laquelle on a droit par descendance, à laquelle on attribue également la tâche de choisir les espèces animales ou végétales que l’on aime. On ne s’expliquerait pas autrement le malaise (parfois la haine) à l’égard de certaines espèces comme les étourneaux, les perruches, les mouettes, les loups, les sangliers, voire certaines plantes : autant d’êtres qui ne devraient pas vivre une vie propre selon cette logique, mais rester à l’endroit que l’on a choisi pour eux, même s’ils ne le savent pas. Ici, nous les retirons des zones, nous les confinons dans des espaces qui, bien que contrôlés et délimités, n’arrêtent certainement pas leurs mouvements. Que faire alors si les animaux ou les plantes ne restent pas à leur place ? Pour les plantes, la destruction par désherbage (généralement effectué avec des produits nocifs pour nous) ou l’abattage est considérée comme normale ; pour les animaux, la même solution est pratiquée, mais de manière plus déguisée : pour certains d’entre eux, définis comme d’élevage, la naissance et la mise à mort sont un destin programmé ; pour d’autres, la mise à mort est le même destin, médiatisé par des “états de nécessité” ou par la chasse.

Le fait que le sort de l’ourse ait été décidé par la propagande médiatique était évident dès les premiers reportages ; d’autre part, si certains Italiens pensent qu’en cas de crime, la peine de mort devrait être rétablie pour le coupable, pensez-vous peut-être qu’un animal qui tue un homme (quelles qu’en soient les raisons) pourrait avoir un meilleur sort? Le fait que le président de la province de Trente - Fugatti - ait tenté dans le passé d’organiser un banquet avec de la viande d’ours n’est certainement pas un signe positif pour un animal qui n’a même pas de nom (les médias ayant effacé le nom original donné en Slovénie, d’où les spécimens d’ours ont été importés pour le repeuplement), mais seulement un acronyme - comme les détenus des camps de concentration ou les vaches d’élevage qui ont des numéros de série -, contrairement à ces autres animaux qui pour nous ont des personnalités et sont considérés comme des individus et à qui nous donnons un nom, que nous laissons vivre près de nous, auxquels nous donnons une sépulture. Mais pour eux aussi, la fin est la même, s’ils transgressent les règles tacites que nous connaissons et qu’ils ignorent souvent. 

Un fil rouge relie le racisme, le sexisme et le spécisme, qui désigne la croyance que l’espèce humaine est différente et supérieure aux autres ; un fil rouge qui sous-tend le comportement décrit ici et qui est très bien expliqué, avec un exemple que nous pourrions également comprendre comme une métaphore de cette triste histoire, par l’anthropologue Annamaria Rivera dans son livre “La Bella, la Bestia e l’Umano” (La Bête, la Bête et l’Humain. Sexisme et racisme sans exclure le spécisme, ediesse, 2010) : 

    « Une femme italienne petite-bourgeoise avec deux enfants a à son service une employée de maison ukrainienne ou philippine, moldave ou péruvienne, qui s’occupe de la maison, en son absence également de la progéniture, et éventuellement aussi des parents âgés de la dame.... Supposons qu’elle soit mariée à un homme qui a un travail subalterne, stressant et insatisfaisant et qu’elle soit harcelée par un employeur qui lui rend la vie impossible ; son mari la trompe, l’humilie ou la maltraite ; pour évacuer sa colère, elle se laisse aller à des accès de rage au cours desquels elle maltraite l’aide ménagère, les enfants et surtout le chien de la maison. Et supposons que l’aide ménagère, qui n’aime pas les animaux et déteste ces enfants, dans des moments de fatigue et d’exaspération, en l’absence des adultes de la maison, crie sur les enfants et maltraite le chien. Dans ce cas fictif - mais, je le répète, tout à fait réaliste - presque toute la hiérarchie de la domination est représentée... L’imbrication de multiples formes de domination-subordination... fait que les mêmes personnes peuvent être à la fois privilégiées et pénalisées... Les seuls qui n’exercent pas de formes de pouvoir sont les enfants et les animaux. Or, dans le cas imaginaire que j’ai illustré, les enfants pourraient se venger des torts qu’ils ont subis en maltraitant le chien, et le chien pourrait un jour réagir à la maltraitance de tous en mordant les enfants. Dans ce cas, les différents dominants se ligueraient contre le chien et l’abattraient ».

Comme c’est souvent le cas avec la création du “monstre à la une”, dans le cas de cette pauvre ourse, l’acquisition d’opinions s’est poursuivie en prenant pour acquis certaines vérités (non prouvables) telles que la férocité de la bête et l’inévitabilité de sa propension meurtrière, après le “crime”. Peu importe qu’en 150 ans, il s’agisse de la première attaque qui se soit terminée tragiquement, alors que chaque année les parties de chasse enregistrent des dizaines de morts causées par le “tir ami” des fusils à double canon. Peu importe que la victime n’ait pas eu de clochette ou de bipeur comme ceux dont sont équipés les visiteurs des parcs naturels usaméricains ; peu importe que l’ourse ait probablement défendu des oursons qui occupaient la zone de passage de la personne qui courait à ce moment-là.

Que ferait une mère si elle voyait quelqu’un courir vers son enfant ? Pourquoi un animal, qui de surcroît n’utilise pas notre langage et n’y est pas habitué, se comporterait-il différemment ? Enfin, peu importe l’inertie et la négligence considérables des institutions et des autorités locales, où les élus se déclarent peut-être “le maire de tous”, mais ils devraient aussi se déclarer le maire de tous les animaux et de tous les êtres vivants et prendre en compte les situations qui existent pour les raisons qui sont aujourd’hui évidentes. La capture d’un ours a toujours fait la une des journaux. Dans toutes les cultures, il a représenté quelque chose de “divin” et dans certaines, il est considéré comme un habitant de la forêt doté d’une personnalité propre, si semblable à l’humain qu’il peut coexister avec lui. Cette coexistence n’a pas seulement consisté en la condition humiliante des “ours dansants”, animaux qui, comme des esclaves, étaient exhibés dans les foires de village en Europe jusqu’à il y a quelques décennies, mais elle a également revêtu des significations profondes.

Le mythe part de l’histoire de Polyphonte, une jeune fille vouée au culte d’Artémis qui, pour échapper au mariage, se réfugia dans une forêt et Aphrodite, pour la punir, la fit tomber amoureuse d’un ours, de la relation avec lequel naquirent deux fils, Agrius et Orychus, sauvages comme leur père. Sur le sort de Polyphonte et de ses fils, les récits mythiques sont divisés : dans certains récits, Artémis, pour punir la jeune femme d’avoir perdu sa virginité, l’a condamnée à être déchiquetée par les animaux de la forêt ; dans d’autres récits, le destin tragique auquel Zeus aurait destiné ses fils a été épargné par Arès, qui les aurait transformés, eux et leur mère, en oiseaux de proie. Au cours des siècles passés, des légendes, mais aussi des chroniques et même des documents judiciaires ont témoigné de jeunes humains (surtout des femmes) capturés par des ours et “gardées” dans la tanière, non pas pour servir de “nourriture pour l’hiver” ou de jeux pour éduquer les petits de l’animal, mais pour leur tenir compagnie, en notant dans tous les cas décrits (qu’ils soient vrais ou non) l’engouement particulier et l’affection de l’animal en question pour la personne qu’il s’était appropriée. Ce mythe s’est perpétué jusqu’à nos jours, dans une version farfelue du film “L’armata Brancaleone”, lorsque certains protagonistes retrouvent un compagnon nommé Pecoro dans la tanière d’une ourse, qui l’avait sauvé après qu’il était tombé dans le précipice, en le soignant et en l’adoptant comme son propre compagnon. Aujourd’hui, le lien qui a conduit à la formation de ces mythes est détruit, et avec lui les normes minimales de coexistence avec le monde “sauvage”. Paradoxalement, tout cela se produit à un moment de l’histoire où notre espèce est la plus répandue sur la planète et où il est nécessaire de coexister avec d’autres dont nous limitons les espaces de vie. Les changements climatiques évoluent indépendamment de notre volonté et les hivers doux peuvent favoriser de nombreuses espèces, en leur donnant un rythme de vie parallèle au nôtre, en réduisant l’hibernation et en favorisant la recherche de nourriture dans des lieux que nous fréquentons également.  

La fin de la fonction du mythe qui faisait de l’ours une figure plus proche de “l’homme sauvage”, à comprendre, à respecter et à craindre, ne s’est pas produite en peu de temps, mais est le résultat du développement progressif de la vision positiviste, à travers laquelle l’homme a cru pouvoir dominer la nature et ses lois, en s’en détachant et en créant une dimension plus élevée pour ses actions et ses interventions que n’importe quel autre animal. L’admission de l’échec de cette conception ne s’est pas accompagnée d’un repositionnement progressif de l’action humaine par rapport à celle des autres animaux, de sorte que nous nous retrouvons avec deux manières différentes de comprendre simultanément le “naturel” et le “sauvage” dans notre société. Dès le XIXe siècle, le poète Giacomo Leopardi a réfléchi sur la nature, écrivant dans son Éloge des oiseaux :

    « ... maintenant, dans ces choses, une très grande partie de ce que nous appelons naturel ne l’est pas ; en fait, c’est plutôt artificiel : comme pour dire que les champs cultivés, les arbres et autres plantes éduqués et arrangés en ordre, les rivières rétrécies sous certains termes et dirigées vers un certain cours, et d’autres choses semblables, n’ont pas cet état ni ces apparences qu’ils auraient naturellement. Ainsi, la vue de tout pays habité par une génération d’hommes civilisés, sans compter les villes et autres lieux où les hommes sont réduits à être ensemble, est une chose artificielle et très différente de ce qu’elle serait dans la nature ».

Il s’est rendu compte qu’une grande partie du paysage n’était pas une construction naturelle, mais le résultat d’interventions millénaires. Et au cours des trente dernières années, dans les discussions au niveau international, par exemple sur ce que devraient être les indicateurs agro-environnementaux, les deux conceptions différentes se sont affrontées entre ceux qui croyaient qu’il existait un dualisme substantiel et une séparation entre la nature (sauvage et incontrôlée) et les activités humaines (capables de rendre le système naturel contrôlable) et ceux qui croyaient au contraire qu’il existait un système dans lequel nos activités et la “nature” formaient un unicum, tellement entrelacé que même dans les endroits les plus éloignés de la civilisation humaine, le signe de ce modèle était présent. Et c’est ce modèle qui nous a conduits à comprendre la nature du changement climatique, un modèle dans lequel les paysages naturels existants sont tels parce que l’homme, avec sa “civilisation de marché” actuelle, a décidé qu’ils existaient.

La coexistence de deux façons de comprendre le naturel a produit certains paradoxes qui se sont révélés tragiques dans cette affaire : le premier, relatif à la reconnaissance de la nature par le marché, qui en fait un produit commercial ; le second, dans lequel le lien environnemental, considéré comme fondamental par tous les spécialistes, ne l’est toujours pas pour l’ensemble de la société.

C’est ainsi que l’on peut comprendre le dualisme présent dans les vingt-cinq années qui se sont écoulées depuis la réintroduction de l’ours dans le Trentin (un ours qui y serait de toute façon revenu de la Slovénie voisine, mais à des époques et selon des modalités très différentes) : le projet, inspiré par l’idée de reconstruire l’équilibre environnemental de l’unicum à partir de la multiplicité des êtres vivants, et poursuivi selon cette logique ; son acceptation au niveau social et de masse, en revanche, qui s’est produite en grande partie en raison de considérations de marché (plus d’environnement naturel = plus de tourisme). Les autorités locales ont commis l’erreur de croire que les gens seraient capables de trouver un modus vivendi avec les ours sans une formation et une éducation adéquates et sans comprendre que tout être présent dans un lieu modifie son espace disponible et son comportement. Le territoire n’appartient pas à l’humain et les dynamiques de coexistence ne sont pas déterminées par des réglementations, même si celles-ci peuvent en orienter le cours. On s’aperçoit aujourd’hui que ce principe est valable pour la cohabitation avec les animaux, les plantes, les virus, les migrants....   Les mots du père de la victime s’appliquent : « La vengeance symbolique ne nous intéresse pas, la responsabilité de la tragédie ne peut pas être limitée à un ours. Le tuer n’est pas une justice. Nous exigeons une prise de responsabilité morale de la part de ceux qui ont géré les ours dans le Trentin pendant près d’un siècle, poussant tout le monde vers le désastre auquel nous assistons ».

Mais la gravité du comportement des institutions locales, qui ne s’occupent des problèmes que lorsqu’ils sont définis comme une “urgence”, réside dans le manque de respect constitutionnel, un élément central présent dans les raisons exprimées par le père de la victime et ceux qui soutiennent “les raisons de l’ourse”.

Dans notre Constitution, à l’article 9, parmi les principes fondamentaux de la République, il y a un paragraphe inséré par l’article 1(1) de la loi constitutionnelle n° 1 du 11 février 2022, qui stipule :  

« La République protège l’environnement, la biodiversité et les écosystèmes, y compris dans l’intérêt des générations futures. La loi de l’État réglemente les modalités et les formes de la protection des animaux ».

Ici, le non-respect de la dernière phrase est la responsabilité coupable de ceux qui aujourd’hui, pour se laver les mains et donner l’exemple, ont condamné l’ours à mort. Condamnation par voie administrative, sans procès, parce qu’il n’y a pas d’autre moyen de réglementer les formes de protection des animaux que par voie administrative, surtout pour les animaux dits sauvages. La protection des animaux prévoit leur droit, un droit qui est aussi indirectement corroboré par le jugement de culpabilité, donné par la suspicion de réitération du “crime” par l’ourse, au point de la considérer comme socialement dangereuse, de lui retirer sa progéniture (sans d’ailleurs la protéger comme le prévoit la Constitution) et de la condamner même en l’absence de ces conditions vétérinaires qui déterminent l’euthanasie. S’il existe un droit des animaux, il est possible de faire appel à un acte de clémence de la part du plus haut garant de notre Constitution. Un acte du président de la République qui réaliserait de facto le diktat constitutionnel et comblerait le vide qui existe dans la discipline de la protection. Si les animaux ont un droit à la protection réalisé, ils devraient également avoir droit, dans ces cas, à un procès et à une défense équitables et enfin à un pardon.

De nombreuses associations, parcs naturels et résidences en Italie et dans toute l’Union européenne se sont déclarés prêts à accueillir l’ourse et ses petits. La poursuite de l’intention punitive, qui, à mon avis, n’a pas de légitimité constitutionnelle, ne remédiera pas au passé et ne contribuera pas à construire l’avenir.

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Fiche pratique — Infos et chiffres clés sur les grands carnivores en Europe
Cette fiche pratique présente des données clés sur les populations de loups, lynx et ours en Europe.

 

20/04/2023

ABDEL BARI ATWAN
La guerre par procuration au Soudan

Abdel Bari Atwan, Rai Al Youm, 18/4/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Une nouvelle calamité montée de toutes pièces par les USA et Israël avec la complicité des régimes arabes

Dagalo, à g., et Al Burhan

Alors que la guerre au Yémen s’achève ou commence à s’achever, une nouvelle guerre est déclenchée au Soudan. Ces deux conflits, qui se déroulent de part et d’autre de la mer Rouge, ont en commun d’être en grande partie des guerres par procuration, dans lesquelles l’intervention extérieure (en particulier celle des pétromonarchies du Golfe) joue un rôle majeur.

C’est vers l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis que le secrétaire d’État usaméricain Anthony Blinken s’est tourné pour les exhorter à redoubler d’efforts afin de rétablir le calme et de mettre un terme à la guerre qui a éclaté samedi entre les deux grands alliés : Le général Abdelfattah Al Burhan et son adjoint le général Mohamed Hamdan Dagalo (alias Hemedti, “Petit Mohamed”). Ce dernier a atteint son grade élevé sans avoir fréquenté aucune académie militaire ou civile, mais grâce à sa direction des Forces de soutien rapide (FSR, milice), fortes de 100 000 hommes - notoirement connues pour leurs meurtres et leur répression (au Darfour) - et à l’acquisition de vastes quantités d’or volé.


Tjeerd Royaards

Plusieurs indices ont mis en évidence les allégeances des parties qui se battent pour le pouvoir au Soudan et l’identité de leurs soutiens extérieurs.

Tout d’abord, l’attaque par les FSR du personnel égyptien stationné à la base militaire de Merowe, dont beaucoup ont été capturés, implique que l’Égypte est accusée de soutenir Burhan et l’armée régulière qu’il commande.

Deuxièmement, les liens étroits entre Hemedti, qui contrôle le commerce de l’or et les mines du Soudan, et le groupe russe Wagner. Les USA ont fait pression sur Burhan pour qu’il expulse le groupe au motif qu’il est un partenaire dans l’extraction et la vente de cet or et qu’il utilise les recettes pour financer la guerre de la Russie en Ukraine, qu’il est le fer de lance de l’influence russe en Afrique et qu’il prépare le terrain pour l’établissement d’une base militaire russe au Soudan.

Direction les Émirats - Omar Dafalla
 
Troisièmement, les Émirats arabes unis sont devenus le plus gros investisseur extérieur au Soudan. Il y a quelques jours, ils ont acheté pour 1,5 milliard de dollars d’or soudanais, que Hemedti contrôle, ainsi que des millions d’hectares de terres agricoles. Les deux parties sont manifestement très proches. Le FSR de Hemedti a combattu aux côtés des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite dans la guerre au Yémen, en y envoyant des milliers de ses combattants.

Quatrièmement, la position saoudienne reste floue et hésite entre les deux parties. Le fait que les liens de l’Arabie saoudite soient tendus avec l’Égypte et les Émirats arabes unis, qui sont les principaux soutiens des deux camps rivaux, complique la situation. Les Émirats arabes unis ont envoyé un conseiller présidentiel, plutôt que leur ministre des Affaires étrangères, à la récente conférence ministérielle de Djeddah sur la Syrie, convoquée par le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salman. Les relations avec l’Égypte ne sont pas non plus au beau fixe. Le président Abdelfattah Al Sissi n’a pas réussi, lors de sa brève visite de Ramadan à Djeddah, à obtenir le paquet rapide d’aide financière qu’il recherchait. Faisant preuve d’une neutralité affichée, l’Arabie saoudite a exhorté Hemedti et Burhan à se rencontrer à Riyad pour négocier la fin de leur guerre.



Hemedti (le serpent) face à Burhan avec son projet de "Damj" (la fusion des FSR dans l'armée officielle) -Omar Dafalla

Sur le papier, l’armée régulière soudanaise se classe au 75e rang mondial, avec 205 000 hommes, 191 avions de guerre (vieillissants) et 170 chars d’assaut. En théorie, cela signifie qu’elle a le dessus et qu’elle a plus de chances de vaincre les forces rebelles de Hemedti. Mais cela est loin d’être acquis, compte tenu de l’intervention extérieure croissante.

Cette guerre ne peut se terminer que si l’une des parties bat et écrase l’autre, et non par une médiation ou des appels éloquents à un arrêt immédiat. Tout indique qu’elle pourrait se prolonger et se transformer en une guerre civile ou interrégionale qui entraînerait une anarchie armée dans le pays.

Si la guerre du Yémen, qui devait être réglée en trois mois, a duré huit ans, et la guerre civile libanaise quinze ans, combien de temps pourrait durer une guerre civile soudanaise si elle était déclenchée ?

Ce serait une perspective terrible. Les combats ont déjà fait 200 morts et des centaines de blessés, dont de nombreux civils. Il faut espérer qu’un cessez-le-feu sera rapidement conclu*. Mais l’inquiétude et le pessimisme sont justifiés par l’ingérence des acteurs extérieurs qui ont contribué à déclencher cette guerre et qui continuent à jeter de l’huile sur le feu, ainsi que par l’aggravation des querelles entre eux.

Le seul point positif parmi les rapports contradictoires sur le déroulement de la guerre est que le bon peuple soudanais ne soutient aucun des deux camps. Ils les tiennent tous deux pour responsables de l’effondrement économique, de l’insécurité, de la faim croissante (un tiers des Soudanais se trouvent sous le seuil de la faim selon le Programme alimentaire mondial) et, surtout, de l’échec de l’accord visant à transférer le pouvoir aux groupes civils qui ont mené à bien la révolution contre le régime militaire et ses coups d’État en série.

Le Soudan est victime d’une grande machination qui peut déboucher sur n’importe quelle issue, y compris la partition ou la guerre civile. L’establishment militaire est sans conteste le principal responsable de cette calamité. Les luttes de pouvoir entre les généraux et les commandants sont motivées par des raisons purement égoïstes, sans tenir compte de l’unité territoriale du pays ni des intérêts et du bien-être de sa population.


La "tatbia" (normalisation des relations avec Israël) - Omar Dafalla

C’est ce qui résulte de la normalisation et de la grande escroquerie usaméricaine qui a promis au peuple soudanais la prospérité et la générosité si Burhan serrait la main de Benjamin Netanyahou et si Hemedti se prosternait devant Tel-Aviv et considérait Israël comme un État ami qui résoudra tous les problèmes du Soudan.

En bref, nous assistons à un nouveau désastre majeur concocté par les USA et Israël avec la complicité, volontaire ou involontaire, des régimes arabes.

 NdT

*Un cessez-le-feu humanitaire de 24 heures du 19 au 20 avril, conclu sous les auspices du Triple Mécanisme (ONU-UA-IGAD) n'a tenu que quelques heures. Antonio Guterres vient d'appeler les parties au conflit à un cessez-le-feu de 3 jours à l'occasion de l'Aïd El Fitr.

LUIS E. SABINI FERNÁNDEZ
A 75 años de la Nakba y la reacción israelí ante su conmemoración por la ONU

Luis E. Sabini Fernández, 20-4-2023

Estamos a punto de cumplir los 75 años del día en que los sionistas “consagraron” la primera tapa de la conquista del territorio palestino, hasta entonces en disputa cada vez más sangrienta.  Cuando los ingleses retiran sus “fuerzas del orden” de la Palestina histórica que administraron como colonia, aunque siempre con una tendencia a favorecer los reclamos de los judíos sionistas y no los de la vieja comunidad judía (llamada Antiguo Yishuv) y menos todavía a la población árabe, tenida por minusválida (homo non europaeus), llega lo que para los sionistas es su “hora de la verdad”. Fecha del despojo de la sociedad palestina y fundacional para el Estado de Israel: el 14 de mayo de 1948 (5 de lyar de 5708 en el calendario hebreo, 5 de Rayab de 1367 en el calendario musulmán).

El plan sionista para la toma del territorio había quedado puesto a punto el 10 de marzo de ese mismo año, con el nombre de Plan Dalet, que programaba la destrucción de más de 500 aldeas palestinas y el vaciado de varios barrios urbanos. Ese plan se tradujo en miles de palestinos matados (los ataques sionistas fueron apenas repelidos, puesto que se trataba de población civil, casi desarmada (o con escopetas de caza) y varios cientos de miles de palestinos desalojados con violencia de sus moradas, campos y territorios.

El plan (Dalet) estaba a punto, pero fue el retiro militar británico el que dio carta blanca a la acometida. Que los palestinos llaman Nakba.

Ante semejante efeméride y a la vista del agravamiento, siempre mayor del conflicto, y del arrebato cada vez más violento y desembozado de las tropas de una sociedad supermilitarizada, como la israelí, sobre los territorios palestinos, permanentemente bajo maltrato y reducción, redes palestinas han procurado recordar tan triste efeméride desde la ONU.

No deja de ser paradójico, puesto que fue la ONU la que finalmente cohonestó la solución sionista con desconocimiento radical de la presencia y la historia palestina en ese mismo territorio en disputa.

Pero es que las denominaciones, los estados de conciencia, la crítica moral, cambian con los tiempos. Es muy distinto el trámite dado en la ONU, con sus cincuenta y ocho estados miembros en 1948 a la cuestión palestina, con la guía entonces inapelable de EE.UU., el apoyo soviético, la defensa de políticas de apartheid, a lo que podemos observar hoy día, con esta “otra” ONU, con sus casi doscientos estados miembros, donde ha desaparecido el bloque soviético, el Consejo de Seguridad −ahora ligeramente ampliado− no tiene una China perteneciente al eje occidental (y lo que queda de aquella China prooccidental, hoy República de China, es Taiwan), donde ahora se condena expresamente el racismo y todo apartheid, donde ahora sí los estados árabes, −dejados de lado cuando se nombra la Comisión Especial para Palestina (UNSCOP por su sigla en inglés)− tienen cierta presencia.

Es esta ONU de los 75 años la que decidió conmemorar la Nakba.

No vaya nadie a creer que el cambio de la ONU es fuerte y radical. Más bien cosmético, pero necesario por el desgaste. Y cambio al fin. La conmemoración se aprobó apenas con el voto de 90 estados (menos de la mitad de sus componentes), con 30 en contra –una minoría de peso− y 47 abstenciones (faltando por lo tanto los que se abstuvieron hasta de abstenerse, es decir, según la nómina, otros 26).


Es cierto que de la nómina de 193 “estados miembros de la ONU” hay una larga veintena de unidades políticas nominales, con poblaciones de pocos miles de habitantes (no sabemos si no habrá incluso alguna con centenares…), muchas de las cuales tienen adhesión poco menos que permanente a algunas “grandes naciones” de las que son como apéndices. También hay que recordar que en esa nómina no figuran ni palestinos ni kurdos, ni tantas otras naciones sin reconocimiento jurídico.

Pero de cualquier modo, la presencia de, grosso modo, media ONU atenta al abuso de la ocupación sionista, calificando la relación del “Estado de conquista” [1] de Israel con la población palestina como inaceptable, nos revela cuán difícil es preservar indefinidamente un atropello impunemente, y nos permite ver la reacción sionista e israelí ante la denuncia.

Sucintamente, pasemos revista a las instancias. El 1º de diciembre de 2022, hace apenas 4 meses, la Asamblea General de la ONU vota un reconocimiento a la Nakba, ante su inminente 75º aniversario, el 14 de mayo de 2023 (falta menos de un mes). Con los resultados de la votación que acabamos de ver.



Junto con ese resultado, reñido pero demoledor para la preservación de la “intocabilidad” de Israel, sobrevinieron varias otras resoluciones que atienden cuestiones claves del conflicto; por ejemplo, la que pide se  “detenga[n
] todas las acciones contrarias al Derecho Internacional destinadas a alterar la composición demográfica y estatutos de los Territorios Palestinos Ocupados y el fin de las actividades en asentamientos.” [2]

Se trata del rechazo frontal a la política habitual y normal de Israel… desde hace décadas. Es como si estuviéramos viendo que el cántaro que fue tantas veces con impunidad…  se rompió.

De todos modos, como parece inherente a estas grandes estructuras burocráticas y globales, otra resolución postula, vuelve a postular, “soluciones” que se han encarado reiteradamente y que nunca solucionaron un ápice:

“La A. G. de la ONU ha aprobado una resolución en la que subraya la necesidad ‘urgente’ de realizar esfuerzos colectivos para lanzar negociaciones creíbles sobre todos los asuntos de estatus final y lograr una paz justa y duradera, fundamentada en las resoluciones del organismo internacional.”[3] Lo que ignora, deliberadamente, esta resolución y sus piadosos firmantes es que tales “esfuerzos colectivos” se hicieron a esta altura del proyecto colonizador, muchas veces –resoluciones ONU 181 (1947), 194 (1948), 242 (1967), 338 (1973), 446 (1979), 479 (1980)− y muchas más, además de las negociaciones bipartitas o tripartitas todas aclamadas como inminentes triunfos y todas fallidas; las de Camp David, de Taba, de Oslo, y un largo etcétera.

¿Por qué tales fracasos?

Sintetizando, porque ambas partes han sido irreductibles. Con una diferencia fundamental: los palestinos fueron hollados, vejados, maniobrados y ante la resistencia, matados, y eso no ha sido proclive a conversación o diálogo alguno.


Los judíos que organizaron el proyecto sionista tenían tal superioridad material, tal claridad en el proyecto político, que constituyeron siempre la parte fuerte ante una sociedad inicialmente desconcertada y que iba siendo despojada de a poco. Y por eso, nunca, entiéndase bien, nunca aceptaron retacear sus objetivos, con salidas tipo “solución de dos estados”, por ejemplo. Un proyecto colonialista niega de raíz toda equivalencia o igualdad entre colonizadores y colonizados. Forma parte de la estructura mental y material de tal tipo de proyectos.

Por eso, si estaba ‘a punto de estallar la paz’, los sionistas buscaron los resortes para agravar el conflicto. Entendámonos: un pueblo organizado y armado siempre tiene enorme, aplastante ventaja contra un pueblo desarmado, incluso cuando en ese pueblo se gesten agrupaciones armadas, guerrillas de resistencia.

Basta comparar los planteles militares del Estado israelí, con decenas de miles de hombres y mujeres armados y dispositivos militares y securitarios de enorme voltaje, con las agrupaciones armadas irregulares que se han ido creando a lo largo de las décadas entre los palestinos para ver la enorme diferencia en dispositivos militares y violentos a disposición.

Por todo lo que hemos estado reseñando, el reconocimiento de la ONU a la Nakba constituye una amenaza inquietante al proyecto del Estado de Israel. Por ejemplo (con cierta tardanza que no hay, sino que interpretar políticamente), en 2022 la ONU ha resuelto condenar la anexión israelí de los Altos de Golán, arrebatados a Siria en 1967, una ocupación “legalizada” por Israel en 1981 y reconocida únicamente por USA en 2019. Cuarenta y un año después, la ONU declara “nula” esa “ampliación” territorial de Israel. Pensemos todo lo que tendría que decirse sobre el arrebato tira a tira del territorio palestino que no fuera conquistado/arrebatado en 1948.[4]

Riyad Mansur, el representante de palestinos ante la ONU, contestó a ciertas críticas elevadas por representantes de varios países que rechazan “criticar exclusivamente a Israel”, adoptando una suerte de equidistancia ante el conflicto y sus secuelas más penosas. Mansur aclaró: “Lo que señala únicamente a Israel no es la cantidad de críticas legítimas dirigidas a sus crímenes y violaciones sino el nivel de impunidad del que disfruta pese a las condenas.” [5] Touché! Mencionar la impunidad, la carta blanca de que dispone Israel, resulta auspicioso.

Mansur remató su alocución en la ONU sosteniendo que “la única forma de acabar con la ocupación israelí es acabar con la impunidad". Me permito pensar que la única forma de acabar con la impunidad es acabar con la ocupación. Y el primer paso, mencionar “la cosa”.

Gilad Erdan, a su vez el representante israelí ante la ONU, criticó que las resoluciones aprobadas busquen "culpar a Israel de todo lo que pasa en Oriente Próximo, absolviendo a los palestinos de su responsabilidad en esta situación.”[6] En rigor, dado que el ataque a la sociedad palestina provino de un sionismo violento, hay motivo para culpar a Israel de “todo”. Recordemos que para la misma ONU el rechazo y la violencia defensiva, del atacado, tiene otro valor que la violencia del desencadenante de todo conflicto.

Erdan ha sostenido que "cada vez que se presentan propuestas de paz, los palestinos las rechazan, negándose a negociar o a ceder una pulgada”. Esto es psicológica o psiquiátricamente llamativo: que un representante del estado israelí sostenga que son los palestinos quienes jamás han cedido ni un tranco de pollo, cuando a lo largo de las décadas, si vemos una parte que jamás ha cedido un ápice, territorial, judicial, laboral, ambiental, ha sido Israel.

Erdan finalmente se quejó ante el pedido de conmemoración del 75º aniversario de la Nakba, que es a la vez el 75º aniversario de la creación del Estado de Israel. “Han plantado una cláusula que presenta su visión distorsionada de la verdad”. No es versión distorsionada, porque los hechos históricos a los que se refiere la Nakba son ciertos, ilevantables. Pero, eso sí, muy incómodos para que suenen junto a la conmemoración del 75o. aniversario de la creación del Estado de Israel.  “Nunca es triste la verdad, lo que no tiene es remedio.”

La exhortación final de este embajador israelí es por demás preocupante (siempre según la fuente Europa Press, 1º de dic. 2022): "Dejen de apoyar los libelos palestinos y de votar a favor de estas invenciones peligrosas".

La descalificación moral por “libelos” califica más bien al autor. Invocar “invenciones”  palestinas, cuando la ideación del Estado de Israel no provino de la realidad, sino, en todo caso, como una inferencia milenaria a partir de un libro entendido como libro de historia sin serlo,  convocando así el sionismo a corporizar un sueño o aspiración, lo que a su vez  también se lo puede considerar una invención, no deja de ser penoso.

Y si advertimos que el sionismo ha constituido una invención peligrosa, la invocación de Erdan es realmente, permítaseme el neologismo, esquizopeligrosa.

 Notas

[1]   Así describe con acierto el historiador Miguel Ibarlucía el asentamiento sionista (Editorial Canaán, Buenos Aires, 2012).

[2]   Resolución de la A. G. de la ONU, 28 nov. 2022.

[3]   EUROPA PRESS INTERNACIONAL, 1o. dic. 2022.

[4]   En 1947 la UNSCOP propone por mayoría (con el rechazo de la minoría que no acepta la partición) un 52% para un estado judío y un 47% para un estado palestino (y el 1% restante como territorio internacionalizado, administrado por la ONU, en Jerusalén). Con el retiro británico, los dispositivos militares del recién inaugurado Estado de Israel se apropian del 78% de la Palestina histórica. Y a lo largo de las décadas, Israel ha ido tomando tierra de lo que fue quedando en manos palestinas, asfixiando más y más la vida material y cotidiana de la población remanente.

[5]    E P I, ob. cit.

[6]   Ibíd.

 Viñetas de Carlos Latuff, Brasil

ACTIVIDAD ABIERTA Y GRATUITA A TRAVÉS DE ZOOM CON INSCRIPCIÓN PREVIA