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21/05/2023

Six faits essentiels sur la Nakba que tout le monde devrait connaître

Dotan Halevy, Maayan Hillel et les éditeurs de l’Atelier d’histoire sociale, Haaretz, 18/5/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Dotan Halevy est chercheur postdoctoral à l’Académie Polonsky pour les études avancées en sciences humaines et sociales de l’Institut Van Leer de Jérusalem.

Maayan Hillel est chargée de cours au Crown Family Center for Jewish and Israel Studies de la Northwestern University (Evanston, Illinois, USA).
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Le Social History Workshop est un blog fondé par des historiens et des spécialistes du Moyen-Orient afin de rendre accessible à un large public des études de pointe sur la région et le monde.
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Il y a quelques semaines, Israël a célébré son 75e jour d’indépendance. Le 15 mai, le jour de la Nakba a été célébré pour la première fois par les Nations unies. Plusieurs faits doivent être compris afin d’appréhender la signification durable de cet anniversaire

Une femme couverte du drapeau palestinien participe à une marche pour commémorer le 75ème jour de la Nakba, près du kibboutz de Megiddo, sur la zone où se trouvait autrefois le village palestinien de Lajjun.

Contrairement à ce que prétend la propagande, pour les Palestiniens, le jour de la Nakba ne consiste pas à marquer l’événement de la création d’Israël comme une catastrophe. Il s’agit de la catastrophe qui a été le sort permanent des Palestiniens depuis lors, conséquence d’une politique persistante d’Israël et de nombreux autres pays, qui refusent de considérer les Palestiniens comme un peuple et un groupe national ayant droit à l’autodétermination.

Le jour de la Nakba marque une catastrophe historique en cours et exhaustivement documentée, une catastrophe sur laquelle l’État d’Israël tel que nous le connaissons a été construit. Les dimensions de cette catastrophe, son déroulement, la violence qu’elle a entraînée et ses ramifications à long terme pour les Palestiniens, les Israéliens et le Moyen-Orient sont encore en cours d’apprentissage. Soixante-quinze ans après le déplacement de centaines de milliers de Palestiniens, il existe quelques faits fondamentaux que chacun devrait connaître pour comprendre l’importance persistante de la Nakba.

1. La population : Avant la guerre de 1948, 600 000 Juifs et 1,4 million de Palestiniens vivaient dans la Palestine mandataire britannique. Sur ces 1,4 million de Palestiniens, 900 000 vivaient dans le territoire qui allait devenir l’État d’Israël après la guerre. La majeure partie de cette population, soit 700 à 750 000 personnes, a été activement expulsée ou a fui au-delà de la frontière - vers la Syrie, le Liban, l’Égypte ou la Transjordanie - ou vers les zones contrôlées par les armées arabes impliquées dans la guerre (la Cisjordanie et la bande de Gaza).

Des personnes participent à la marche commémorant le 75ème  jour de la Nakba, près du kibboutz de Megiddo, sur la zone où se trouvait autrefois le village palestinien de Lajjun.

Ainsi, à la fin de la guerre, une minorité palestinienne de 156 000 personnes restait à l’intérieur des frontières d’Israël. Sur ce nombre, 46 000 étaient des réfugiés internes qui avaient été expulsés ou avaient fui leurs maisons et leurs terres et avaient dû continuer à vivre dans d’autres endroits à l’intérieur d’Israël.

Contrairement à la croyance populaire en Israël, le seul cas documenté où les dirigeants arabes ont appelé la population arabe à fuir est celui de Haïfa. Ils ont quitté la ville lorsqu’elle a été attaquée par les forces paramilitaires de la Haganah, malgré les exhortations de certains dirigeants juifs à rester. Les recherches historiques n’ont trouvé aucune preuve que les dirigeants arabes aient donné un ordre général à la population de fuir leurs maisons. Cette affirmation trouve apparemment son origine dans la propagande israélienne des années 1950 et 1960, qui tentait de présenter le déracinement des Palestiniens comme le résultat d’un choix volontaire.

2. La terre : À quelques exceptions près, les réfugiés palestiniens n’ont jamais été autorisés à retourner dans leurs maisons et sur leurs terres, une politique israélienne déclarée qui a été élaborée dès la guerre. Empêcher le retour des réfugiés palestiniens (appelé “infiltration” dans le jargon israélien) était un projet clé dans les premiers jours de l’État israélien. À cette fin, pendant la guerre et dans les années qui ont suivi, Israël a détruit environ 400 villages palestiniens abandonnés et quartiers palestiniens dans les villes, ou y a installé des immigrants juifs. Au fil du temps, les noms des villages ont été effacés de la carte, marqués comme “ruines” ou rebaptisés en hébreu.

La plupart des terres de ces villages ont été accaparées immédiatement après la guerre de 1948 et sont devenues des terres d’État en vertu de la loi sur la propriété des absents, qui définissait les réfugiés palestiniens internes comme des “présents-absents”. D’autres expropriations ont suivi au cours des décennies suivantes. Les réfugiés palestiniens internes n’ont pas pu retourner dans leurs villages en raison des restrictions de mouvement imposées par l’administration militaire qui a gouverné les Palestiniens en Israël jusqu’à la fin de l’année 1966.

Une femme palestinienne et un enfant dans le camp de l’UNRWA à Khan Younès, dans la bande de Gaza, en 1948

Au total, 85 % des terres appartenant aux Palestiniens dans la région qui est devenue l’État d’Israël avant 1948 ont été expropriées et sont devenues propriété de l’État. En conséquence, les terres agricoles qui constituaient les principales sources de revenus de la minorité palestinienne restée en Israël ont également été saisies par l’État.

3. Culture et politique : Outre l’expulsion de la population palestinienne et la saisie de ses sources de revenus, la Nakba a également éliminé une communauté nationale dynamique dotée d’une culture florissante profondément enracinée dans la terre qui est devenue la Palestine mandataire en 1917.

À quelques exceptions près, les réfugiés palestiniens n’ont jamais été autorisés à retourner dans leurs maisons et sur leurs terres, une politique israélienne déclarée qui avait déjà été élaborée pendant la guerre.

Dans les années 1930 et 1940, Haïfa, Jaffa, Jérusalem, Acre, Gaza et d’autres villes sont devenues des centres florissants d’affaires et de loisirs palestiniens. Ces villes comptaient des cabinets d’avocats et de comptables arabes, des cinémas, des théâtres, des cafés, des restaurants, des hôtels, des bibliothèques, des plages et des clubs sportifs. Elles abritaient également des associations culturelles que les Palestiniens visitaient quotidiennement et où ils renforçaient leurs liens de longue date avec des intellectuels, des artistes et des hommes politiques de tout le Moyen-Orient.

Comme la population sioniste, dès la fin de l’ère ottomane, la population palestinienne se voyait avancer à grands pas vers un futur État souverain et démocratique. La guerre de 1948 a interrompu ce processus. À la fin de la guerre, Nazareth était la seule ville arabe restant en Israël, tandis que les Palestiniens devenaient une petite minorité dans les autres grandes villes.

4. Les causes de la Nakba : Les Palestiniens ont-ils provoqué la catastrophe de 1948 en s’opposant au plan de partage des Nations unies de 1947 ? Cette question a une réponse normative et une réponse pratique.

Des femmes marchent dans le camp de réfugiés de Nahr al-Bared, au Liban, en 1952

D’un point de vue normatif, la question doit être posée honnêtement : si, aujourd’hui, une communauté d’immigrants venait en Israël, revendiquait la propriété historique de la terre et proposait que nous, Israéliens juifs, la partagions, penserions-nous que c’est justifié et serions-nous prêts à faire un “compromis” sur le partage de la terre ? Pour les Palestiniens, le plan de partage revenait à dire : « Vous avez envahi ma maison, et maintenant vous êtes prêts à faire un compromis sur le partage des pièces ».

Une nette majorité de Palestiniens et leurs dirigeants politiques étaient prêts à accepter les immigrants juifs en Palestine en tant que minorité jouissant de droits égaux au sein d’un futur État à majorité arabe. Cependant, même pour la minorité qui était prête à faire un compromis sur la partition de la terre, le plan de partage des Nations unies de 1947 constituait une division injuste du territoire et des ressources.

Cela nous amène à la réponse pratique. Lorsque le plan de partage a été voté, la plupart des terres de l’État juif proposé n’appartenaient pas à des Juifs et abritaient 350 000 Arabes palestiniens. L’État juif devait inclure la ville de Haïfa et son port, principal atout économique du pays, la plaine côtière qui abritait l’essentiel de l’industrie palestinienne des agrumes, les routes traversant le pays dans sa longueur et les terres fertiles des vallées. L’ensemble du Néguev a été désigné pour l’État juif en dépit d’une propriété foncière juive extrêmement limitée, en partant du principe que les Juifs avaient un plus grand potentiel de développement à l’avenir que les droits de propriété ou les droits fonciers existants.

5. Pourquoi les Palestiniens ne mettent-ils pas le passé derrière eux ?

Pour les Palestiniens, la Nakba n’est pas le passé. C’est le présent. Le processus qui a débuté en 1948 n’a, pour l’essentiel, jamais pris fin. Après la guerre, Israël a exproprié les terres palestiniennes et a imposé une administration militaire à ses citoyens palestiniens, qui a duré jusqu’en 1966. Puis, en 1967, Israël a imposé un régime militaire en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza. Le gouvernement militaire et le projet de colonisation continuent de s’approprier de plus en plus de terres palestiniennes, outrepassant les libertés individuelles, les droits humains et la dignité fondamentale des Palestiniens, détruisant pratiquement la possibilité pour les Palestiniens d’établir un État indépendant à l’avenir.

Un homme peint le drapeau palestinien et des branches sur une toile, dans le cadre de la marche pour commémorer le Jour de la Nakba, avril 2023. Photo : Fadi Amun

La réalité de la vie en tant que réfugiés a condamné des générations de Palestiniens à une vie de souffrance et de pauvreté qui se poursuit des décennies après la guerre. Leur situation n’a fait qu’empirer lors des guerres de 1967 et de 1982, ainsi que lors des guerres périodiques et du siège de Gaza depuis 2007.En effet, Israël n’est pas le seul responsable de la condition des Palestiniens dans les camps de réfugiés ou de ces affrontements militaires. Mais les racines de ces conflits remontent incontestablement à 1948 comme moment formateur, et l’imprègnent chaque fois d’un sens nouveau. C’est pourquoi les Palestiniens ne considèrent pas la Nakba comme un simple événement historique, mais comme une forme d’existence permanente. Elle est réaffirmée à chaque rencontre avec un soldat à un poste de contrôle, à chaque expropriation de terre et restriction de mouvement, ou à chaque guerre contre Gaza. Ainsi, le traumatisme de 1948 continue d’être un pilier de l’identité palestinienne et de la mémoire collective.

Cela signifie-t-il qu’il n’y a pas d’issue à la situation actuelle ? Pas du tout. Tout au long de l’histoire commune des Israéliens et des Palestiniens, il y a eu d’innombrables occasions de remédier à l’injustice de 1948 par une reconnaissance honnête par Israël de la tragédie palestinienne, des droits nationaux des Palestiniens, de l’indemnisation de leurs pertes matérielles, du retour d’une partie des réfugiés sur leurs terres et, enfin, du tracé de frontières durables ou de la décision conjointe d’établir un État binational par le biais d’accords politiques appropriés. Israël a choisi de ne pas le faire, pour des raisons qui lui sont propres, mais il pourrait aussi choisir différemment à l’avenir.

6. La Nakba est l’affaire des Palestiniens - Pourquoi les Israéliens devraient-ils s’en préoccuper ?

Parce que la guerre de 1948 n’était pas une guerre entre deux pays distincts dans laquelle l’un des deux camps a simplement perdu. C’est l’élimination de la population palestinienne qui a permis la formation d’Israël en tant que pays démocratique à nette majorité juive. L’effacement de la culture et de l’histoire palestiniennes a permis à l’État moderne d’Israël d’établir un lien direct entre lui-même et l’ère biblique, tout en ignorant la longue et riche histoire arabe du pays.

En d’autres termes, sans la Nakba, Israël tel que nous le connaissons n’aurait pas pu voir le jour. Il incombe donc aux Israéliens juifs de reconnaître la perte sur laquelle leur pays s’est construit.

Mais le plus important, c’est le présent et l’avenir de tous les habitants de ce pays. Si les Israéliens veulent léguer à leurs enfants une réalité qui ne soit pas un conflit perpétuel fondé sur l’oppression, la violence et l’effacement, ils doivent s’attaquer aux blessures de 1948.

La reconnaissance et la solidarité avec la catastrophe et la douleur palestiniennes ne nient pas l’israélité, la judéité ou le droit des Israéliens à vivre en paix et en sécurité. Cette reconnaissance et cette solidarité constituent une chance réelle de vivre en paix et en sécurité en Israël.

20/05/2023

GIDEON LEVY
Munira et Amer Sabah avaient déjà perdu six enfants lorsque leur fils de 15 ans a été abattu par des soldats israéliens : il avait un fusil en bois

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 20/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Mustafa aspirait à devenir policier et s’était fabriqué un fusil en bois qu’il tenait à porter sur lui. C’est peut-être pour cette raison que les soldats lui ont tiré dessus

Amer Sabah avec une photo de son défunt fils Mustafa

Lorsque Mustafa Sabah, 15 ans, est décédé le mois dernier, ses parents avaient déjà perdu six de leurs onze enfants. Mustafa menait pourtant une vie normale. Aspirant à devenir policier, il s’était fabriqué un fusil en bois et insistait pour le porter sur lui. C’est peut-être pour cette raison que les soldats lui ont tiré dessus

Munira et Amer Sabah ont eu 11 enfants. Cinq sont morts de maladie, un s’est étouffé en mangeant, un autre est en prison. Il y a trois semaines, les soldats des Forces de défense israéliennes ont tué le seul de leurs enfants qui était encore en bonne santé et libre - Mustafa, un garçon de 15 ans. Même l’agonie et la douleur indélébiles exprimées sur le visage de Munira, ou la souffrance gravée sur celui d’Amer, ne racontent pas toute l’histoire de cette famille. Il est difficile de le dire, difficile voire impossible de l’imaginer, mais dans le cimetière de la ville palestinienne de Tuqu’, à l’orée du désert de Judée, reposent les tombes de sept enfants de cette famille malheureuse, toutes alignées.

Toutes les tombes ont été creusées ces dernières années. La dernière en date est celle de Mustafa, dans la poitrine duquel un soldat israélien a tiré une balle de dumdum qui a immédiatement ravagé ses organes internes. Mustafa s’est effondré, mort. Il était en classe de seconde et représentait pratiquement le dernier espoir de ses parents de retrouver un peu de normalité dans leur vie. Aujourd’hui, cet espoir s’est éteint.

Mustafa a été tué il y a trois semaines, le 28 avril, à Khirbet Tuqu’ (site de la Teqoa biblique et de la colonie moderne du même nom), à quelques centaines de mètres de son domicile. Cette semaine, nous avons visité le site où le garçon a été abattu. Nous avons gravi une colline rocheuse, parsemée d’épines, dont le sol est déjà jaune et desséché par la chaleur. Au sommet de la colline, nous avons vu un petit cercle de pierres qui marque l’endroit où Mustafa est mort. Une affiche avec sa photo se trouve au centre.

C’est là qu’il s’est rendu ce vendredi après-midi avec ses amis, apparemment pour jeter des pierres aux soldats qui avaient investi la ville de 14 000 habitants ; c’est là que les soldats ont ouvert le feu à une distance d’environ 50 mètres. Il y avait 20 à 25 enfants et autres jeunes sur la colline, et six soldats au milieu des oliviers au pied de la colline.

Un petit cercle de pierres marque l’endroit où Mustafa est mort

Qu’est-ce que les soldats faisaient là, à une distance considérable de la colonie israélienne la plus proche et aussi assez loin de la route d’Hébron qui se trouve en contrebas ? À Tuqu’, dont deux des trois routes d’accès sont bloquées depuis des mois par l’armée, plus personne ne se demande “pourquoi”. Selon les témoignages recueillis par Amer Aruri, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, Mustafa était le plus proche des soldats ; c’est peut-être pour cela qu’il est devenu une cible. Deux de ses amis se tenaient à quelques mètres derrière lui. L’un d’eux, un homme de 27 ans, l’a averti de ne pas s’approcher des soldats, mais en vain.

Un poster de Mustafa mort attend les visiteurs de la maison familiale ; un autre grand poster est accroché au centre de l’élégant salon. Aucun des autres enfants décédés n’est commémoré ici, seul Mustafa, le chahid (martyr), dont la mort est aussi la plus récente.

Amer Sabah, 44 ans, père sept fois endeuillé, est chauffeur de taxi sur l’axe Tuku’-Bethléem ; Munira est une femme au foyer de 36 ans. Le couple est cousin, ce qui explique la mort de quatre de leurs filles d’une maladie génétique qui a affecté leur cerveau.

La première à mourir a été Maram, en 2004 ; elle avait 7 ans et était paralysée depuis la naissance. Iman, 8 ans, est morte ensuite, en 2013, après avoir été paralysée depuis l’âge de six mois. L’année suivante, Jadulin est décédée à l’âge de 10 ans ; Aisha s’est éteinte en 2020, à l’âge de 9 ans. Ce n’est pas là toute la mesure des tourments et des deuils subis par cette malheureuse famille : une cinquième fille, Reina, est décédée en 2021 à l’âge de 8 mois, après s’être étouffée en mangeant. Entre les décès des deux dernières filles, l’aîné, Mohammed, est mort d’un cancer. Il avait 17 ans.

Il y a seize mois, le fils des Sabah, Yazen, 18 ans, a été arrêté parce qu’il était soupçonné d’avoir jeté des pierres. Depuis, il est détenu à la prison de Megiddo et attend d’être jugé. Mustafa, 15 ans, ses deux sœurs - Ruah, 6 ans, et Salam, 18 mois - et un frère, Rifa’at, né aveugle et paralysé il y a six mois, sont toujours à la maison.

Munira Sabah, dont le fils Mustafa a été tué par balle. Il lui a dit qu’il avait fabriqué le fusil et que personne n’avait le droit de le lui enlever.

Mustafa rêvait d’être policier, il s’est donc fabriqué un fusil en bois, ce qui a peut-être scellé son destin (nous reviendrons sur ce fusil). (Il aimait nager dans la piscine du village voisin et était un joueur de football passionné. Le dernier jour de sa vie, il s’est levé vers 9 heures, a pris son petit-déjeuner, s’est rendu à la mosquée pour la prière du vendredi, puis est rentré chez lui. Il a travaillé dans le jardin familial pendant que ses parents emmenaient la petite Rifa’at passer un examen médical à Bethléem. Ils ont dit à Mustafa qu’à leur retour, ils iraient faire un barbecue avec sa grand-mère dans un bosquet près de leur maison. Mais à leur retour, vers 15 heures, Mustafa n’était pas à la maison.

Canapés en velours marron dans le salon. Les parents s’assoient séparément. Munira fixe le sol. Ni elle ni son mari ne pleurent pendant notre conversation - leurs larmes semblent s’être taries.

Ils racontent qu’ils ont cherché Mustafa chez sa grand-mère, mais qu’il n’y était pas. À 15 h 30, un habitant a appelé le frère d’Amer pour lui dire que Mustafa se trouvait dans la clinique locale. Ses parents s’y sont précipités. Mustafa gisait là, mort, la poitrine ouverte par une blessure par balle, mais sans une goutte de sang sur ses vêtements. Ses amis l’avaient porté jusqu’à la route et, de là, un habitant l’avait transporté en voiture jusqu’à la clinique, mais il n’était déjà plus là.

« Le dumdum a explosé à l’intérieur de son corps », explique son père sèchement.

Aujourd’hui, ses parents décrivent ce qui s’est passé dans les semaines précédant sa mort. Ils sont convaincus que cette série d’événements a conduit à ce qu’ils considèrent comme l’exécution de leur fils. 

Une affiche sur la clôture de la maison de Sabah porte des photos de Mustafa (à gauche) et de son frère Yazen, détenu en Israël depuis 16 mois. 

 Quarante jours avant sa mort, Mustafa jouait avec son fusil en bois dans la rue, en visant ses amis. Soudain, une patrouille de l’armée ou de la police des frontières est arrivée ; les soldats, qui se trouvaient non loin de sa maison, l’ont poursuivi et ont tiré sur lui, mais il leur a échappé. Sa mère a entendu les coups de feu et s’est précipitée. Elle a trouvé son fils en train de fuir et l’a supplié de se débarrasser de son fusil. Mustafa a refusé. Il a dit à sa mère que c’était son fusil, qu’il l’avait fabriqué et que personne n’avait le droit de le lui prendre, et qu’il ne le jetterait pas.

Il est rentré le soir et ils ont tous dîné ensemble. Elle pensait que l’histoire était terminée. Après tout, le garçon ne faisait que jouer avec un fusil jouet.

Le lendemain matin, un drone a survolé Tuqu’ et un groupe important de soldats et d’agents du Shin Bet est arrivé pour arrêter Mustafa chez lui. Mais une fois de plus, il leur a échappé, se cachant dans la maison de son oncle, située à proximité. Des dizaines de soldats ont encerclé la maison, se souviennent aujourd’hui les parents. L’un d’eux a saisi la chemise d’Amer et lui a dit : « Tu dois ramener Mustafa immédiatement, ou on t’arrête ». Les soldats ont fouillé la maison, mais n’ont pas trouvé le fusil en bois. Ils ont rapporté l’ordre à Amer d’amener son fils.

Mustafa a suivi les événements depuis la fenêtre de son oncle. Lorsqu’il a entendu des cris dans sa maison, provenant à la fois des soldats et de ses parents, il a décidé de se rendre. « Je suis Mustafa », a-t-il dit aux soldats en arrivant chez lui. L’un d’eux l’a saisi et l’a emmené dans la pièce voisine. Ses parents ont entendu les soldats insulter leur fils. Ils ont exigé que Mustafa leur remette le fusil et ont ordonné à Amer de dire à son fils de leur donner l’ “arme”. La femme soldat, dont Mustafa se souvenait depuis l’incident dans la rue, a affirmé qu’à l’époque, il avait pointé le fusil vers elle et avait essayé de lui tirer dessus. Mustafa a répondu, selon ses parents, « Ce n’est pas ma faute si la soldate a cru qu’il s’agissait d’un vrai fusil ».

Dans la pièce voisine, Mustafa a été battu. Les soldats voulaient son fusil. L’agent du Shin Bet qui accompagnait les soldats a menacé de le tuer s’il ne le remettait pas. Mustafa a été menotté, la carte d’identité de son père a été prise et l’unité est partie avec le garçon.

« Il faudra beaucoup de temps avant que vous ne revoyiez votre fils », a dit l’homme du Shin Bet à Amer. Ce dernier en était persuadé. Le lendemain soir, vers 10 heures, Mustafa a appelé son père pour lui dire qu’il avait été libéré et lui a demandé de venir le chercher - il se trouvait près de la prison d’Ofer, à l’extérieur de Ramallah, à une certaine distance au nord de son domicile. Il a dit à son père qu’il avait été emmené au centre d’Etzion, non loin de Tuqu’, qu’il avait été battu mais pas interrogé, et qu’il avait été libéré le lendemain à Ofer.

Dix jours plus tard, il jouait à nouveau avec le fusil dans la rue lorsque des soldats sont arrivés. Ils ont tiré sur ses jambes, mais il n’a pas été touché. Finalement, ils l’ont emmené en détention, dans la tour militaire qui domine Tuqu’, où ils l’ont battu une fois de plus. Entre-temps, Amer a appris que son fils avait essuyé des tirs et avait été arrêté. Inquiet, il s’est dirigé vers la tour et a demandé aux soldats si son fils avait été arrêté, mais ils ont nié. Il a demande au bureau de coordination et de liaison du district si Mustafa avait été blessé ou arrêté. Au bout d’un certain temps, il est informé que son fils n’a pas été blessé mais qu’il est en détention.

La ville palestinienne de Tuqu’, ce mois-ci

Vers 21h30 ce soir-là, Mustafa a rappelé son père pour lui dire qu’il avait été libéré, mais qu’il n’avait aucune idée de l’endroit où il se trouvait. Il a hélé un taxi palestinien, le chauffeur lui a dit qu’il se trouvait près de la colonie d’Efrat, dans le bloc de colonies d’Etzion, non loin de sa maison, et son père est venu le chercher une deuxième fois. Il a raconté à son père que les soldats l’avaient forcé à monter et à descendre de la tour, les yeux bandés.

Son père déclare aujourd’hui que la famille pense que les soldats qui ont abattu son fils deux semaines plus tard savaient qui ils visaient. Munira intervient : « La famille ne le pense pas, elle en est convaincue ».

Cette semaine, nous avons interrogé l’unité du porte-parole de l’IDF sur l’allégation des parents et avons reçu une réponse laconique : « Le 28 avril 2023, dans la région de Tekoa, une foule désordonnée composée de dizaines de personnes a jeté des pierres sur des combattants de Tsahal. Une unité des FDI qui se trouvait sur place a utilisé des moyens pour disperser les troubles et a ensuite tiré sur l’un des principaux participants aux troubles. La mort de Sabah a ensuite été signalée et une enquête de la police militaire a été ouverte. À l’issue de celle-ci, les conclusions seront transmises à l’unité de l’avocat général militaire pour examen ».

Cette semaine, Munira est allée rendre visite à Yazen à la prison de Megiddo, pour la première fois depuis la mort de son frère. Israël n’a cependant pas autorisé le père de Yazen à la suivre. Amer est désormais le père d’un chahid et, à ce titre, il lui est interdit, pour des raisons de sécurité, de rendre visite à son fils incarcéré, presque le seul de ses enfants qui lui reste. Les mots manquent.

19/05/2023

DAVIDE GALLO LASSERE
Nove teses sobre o internacionalismo hoje

Davide Gallo Lassere, euronomade.info/, 31-3-2023
Traduzido por  Florence Carboni, editado por Fausto Giudice, Tlaxcala

Davide Gallo Lassere (1985) é um filósofo italiano que recebeu seu doutorado de Nanterre e Turim com uma tese sobre "Dinheiro e capitalismo. De Marx para as moedas do comum" em 2015. Ele é Professor de Política Internacional e Chefe de Admissões no Instituto da Universidade de Londres, em Paris. PublicaõesFB

Nós também vimos primeiro o desenvolvimento capitalista e, a seguir as lutas dos trabalhadores. Isto é um erro. Devemos reverter o problema, mudar o sinal, partir do princípio: e o princípio é a luta da classe trabalhadora.

(Mario Tronti)

 

Desde o século XIX, o internacionalismo tem sido um dos pilares fundamentais dos movimentos revolucionários, sejam eles antiescravatura, operários, anticoloniais ou outros. O internacionalismo, enquanto extensão do campo de luta além do Estado-nação, é uma das três principais características dos movimentos comunistas, juntamente com a abolição da propriedade privada e o desmantelamento da forma Estado. 

Londres, 1864: fundação da primeira International

Entretanto, se considerarmos a vastidão e a importância da história dos movimentos inter ou transnacionais (de acordo ao modo como se desdobram - se entre ou além das fronteiras nacionais), ficamos surpresos com a riqueza do material empírico e historiográfico em comparação com uma certa pobreza em teorização [1]. De fato, pode-se argumentar que o internacionalismo, enquanto fenômeno histórico e político, é fundamentalmente sub-teorizado. Portanto, poderíamos perguntar até que ponto é possível desenvolver, se não uma filosofia política, ao menos uma teoria social e política do internacionalismo? Ou, ao contrário, indo mais longe, imaginar que existe uma ontologia e uma epistemologia específicas dos movimentos inter e/ou transnacionais? E então, para além das peculiaridades nominais, qual ou quais denominações são mais apropriadas: internacionalismo ou transnacionalismo? internacionalismo subnacional ou transnacional (Van der Linden, 2010)? Local ou global (Antentas, 2015)? Forte ou fraco (Antentas, 2022)? Material ou simbólico? Revolucionário ou burocrático? Comunista ou liberal? Operário? Feminista? Antirracista? Ecologista? O internacionalismo em si mesmo é um meio ou um fim? E, é claro, a lista poderia continuar [2]...

 Paris, 14 de julho de 1889: fundação da Segunda Internacional

Contudo, o que é altamente significativo, hoje mais do que nunca - em um momento de grande crise econômica e social, quando os ventos de guerra entre as potências mundiais estão soprando novamente, em um mundo pós-pandêmico e superaquecido - é o fato de que a questão estratégica do internacionalismo está voltando à vanguarda dentro dos movimentos sociais e políticos: há uma consciência crescente de que estas forças hostis não podem ser derrotadas lutando em ordem aleatória, cada homem por si, confinado dentro do perímetro de nossos Estados-nação, ou permanecendo ancorado nos territórios, implementando exclusivamente práticas micropolíticas. É necessário poder intervir no mesmo nível destes processos, que são por definição globais e planetários. Para isso, devemos ser capazes de desenvolver raciocínios e práticas que estejam à altura dos desafios colocados pela geopolítica, mecanismos de governança, do mercado global às mudanças climáticas etc. Mas, na história dos movimentos radicais e revolucionários, tais raciocínios e práticas são chamados de internacionalismo e, em menor medida, de cosmopolítica [3].

É por isso que hoje parece mais importante do que nunca repensar o internacionalismo. A boa notícia é que não estamos começando do zero. Na verdade, os anos 2010 foram pontuados pela erupção de numerosos protestos e revoltas contra as consequências radicalmente antissociais e antidemocráticas das diversas crises (econômica, política, sanitária, climática, etc.). A má notícia é que a década atual, e as que virão, são, e serão cada vez mais, perturbadas pela intensificação dos confrontos geopolíticos e pelo aprofundamento das possibilidades de uma catástrofe ecológica. Ciclos futuros de luta surgirão em um mundo cada vez mais perturbado por claras contradições e antagonismos. E eles serão forçados a operar neste contexto modificado. O que segue, portanto, são apenas nove teses simples, elaboradas a partir de algumas experiências francesas e europeias, com o objetivo de destacar o que poderia ser considerado os pontos fortes e fracos dos movimentos globais dos anos 2010. Elas pretendem ser uma pequena e parcial contribuição ao debate político imanente a esses movimentos, mas também uma tentativa preliminar e não exaustiva de enquadrar a questão do internacionalismo de forma original, de modo a reler em luz de fundo a história bicentenária das lutas inter ou transnacionais, desde as ressonâncias globais de 1789 até o ciclo altermundialista, passando pelas datas simbólicas de 1848, 1917 e 1968 [4].

 

 Moscou, 1919: fundação da Terceira Internacional

Tese 1: Ontologia I: Fábrica Terrestre

As lutas sociais e políticas estão no centro da transição para o Antropoceno. Enquanto motores do desenvolvimento capitalista, elas são cruciais para compreender os processos que definem as múltiplas crises ecológicas contemporâneas. Dito de outra forma: a explosão das emissões de CO2 na atmosfera e a progressiva destruição da natureza estão intimamente ligadas às lutas de classe e anticoloniais; são um "efeito colateral" da resposta capitalista aos impasses induzidos pelas práticas de resistência e de contrasujeição de subalternos. O aquecimento global, por exemplo, é o resultado de antagonismos entre grupos humanos e, como tal, alimenta ainda mais as tensões sociais, econômicas e políticas. Esta é a ideia básica de parte da historiografia ecomarxista, seu diagnóstico do presente e suas perspectivas de ruptura futura. A mudança de temperatura na Terra - provocada principalmente pelo uso capitalista de combustíveis fósseis - é um produto impuro de conflitos sociopolíticos passados e presentes. Quer se tenha uma visão sincrônica, global ou focalizada na Inglaterra (pré)vitoriana, continua clara a centralidade da luta de classes. De fato, desde meados do século 19, em todo o mundo, a adoção dos combustíveis fósseis como fonte primária de acumulação de capital tem sido imposta à força em reação à rejeição do trabalho e à apropriação da terra pelos trabalhadores e pelos colonizados; foi a combatividade dos explorados que levou o capital e os governos a introduzir primeiro o carvão e a seguir o petróleo e o gás. Como Andreas Malm (2016) e Timothy Mitchell (2013) mostram admiravelmente, a mudança do carvão para o vapor por volta de 1830 e do carvão para o petróleo por volta de 1920 é melhor entendida como projetos políticos que respondem aos interesses de classe do que como necessidades econômicas inerentes às duras leis do mercado.

O que talvez não seja suficientemente enfatizado por esses estudiosos é o fato de que as medidas postas em prática pelas classes dirigentes para domar o conflito implicaram não apenas mudanças sócio energéticas, mutações tecno organizacionais e reconfigurações geoespaciais, mas também uma socialização mais consistente das forças produtivas e uma crescente integração da natureza nas malhas do capital. Desta forma, a Terra - e não apenas a sociedade - tem se transformado cada vez mais em uma espécie de fábrica gigante. Hoje, uma quantidade crescente de relações sociais e naturais está direta ou indiretamente subjugada ao capital. Desde a instrução e a saúde da força de trabalho até as inúmeras externalidades positivas proporcionadas gratuitamente pelo meio ambiente, pelas plantas e pelos animais, quase nada hoje escapa à lógica do lucro. E o domínio da produção social sobre a reprodução natural está alterando o equilíbrio dos ecossistemas ao ponto de ameaçar as próprias condições de sobrevivência da humanidade. Portanto, o próprio internacionalismo requer uma revisão radical. Se, de fato, a globalização do comércio e da produção constituiu a base material do internacionalismo abolicionista e operário, e se a dimensão global do imperialismo representou a arena geopolítica do internacionalismo anticolonial, os efeitos planetários das crises ecológicas configuram toda a Terra como o teatro dos novos confrontos que estão ocorrendo. Esta mudança de paradigma, no entanto, não implica simplesmente uma ampliação de escala e uma complexificação do quadro de referência, mas sim uma verdadeira revolução em nossos hábitos de pensamento e de ação.

Aqui, então, está a primeira tese sócio-ontológica através da qual pode ser elaborado um internacionalismo adequado aos desafios colocados pelo Antropoceno: dentro da fábrica terrestre - que também é resultado de ciclos globais de conflitos anteriores - há não apenas grupos opostos de seres humanos lutando uns contra os outros, mas também seres não-humanos e não-vivos participando plenamente da tragédia histórica em curso. De fato, a destruição de ecossistemas, ambientes, natureza, etc. em uma parte do mundo produz cada ciclos retroativos, imprevisíveis, com efeitos catastróficos em regiões completamente diferentes. E os ambientes e entidades perturbados pela pegada humana são cada vez menos meros fundos inertes; sua violenta irrupção na cena política, como no caso da pandemia de Covid-19, muitas vezes polariza ainda mais os antagonismos, sem que, necessariamente, se abram cenários cor-de-rosa.

Paris, 1938: fundação da Quarta Internacional

Tese 2: Epistemologia: Composição sócio-ecológica

A inclusão do outro-que-humano, não apenas no tabuleiro político, como também enquanto tabuleiro político, vira a mesa de modo profundo. Entre outras coisas, uma tal reviravolta, de tal alcance geral, reveste uma grande importância para a velha questão da classe, de sua composição e organização. De acordo com uma "corrente quente" do marxismo que vai desde os escritos histórico-políticos de Marx até o operaismo italiano, não há classe sem luta de classes. Esse pressuposto atribui uma primazia ontológica à subjetivação política em relação às determinações socioeconômicas. Mario Tronti (2013) relatou esta epopeia antagônica, cujos protagonistas - trabalhadores e capital - encarnam as características místicas de uma filosofia da história culminante na sociedade sem classes. Se a convicção em um futuro radiante não parece mais apropriada, esta abordagem relacional, dinâmica e conflituosa da realidade de classe ainda é válida hoje. Contrários a qualquer visão sociologisante e/ou economicista, os operaístas jamais se conformaram com simples descrições empíricas destinadas a destrinçar a posição objetiva dos sujeitos dentro das estruturas sociais. Para eles, a transição do proletariado para a classe operária não aconteceu automaticamente com base em uma simples concentração em massa de trabalhadores dentro das grandes fábricas do século XIX. Ao contrário, foi o resultado de um salto inteiramente político-organizacional e autoconsciente. Para reconhecer e explicar uma tal mudança qualitativa, os operaístas forjaram o conceito de composição de classe, que esclarece as diferenças materiais e subjetivas que caracterizam a força de trabalho e que devem ser levadas em conta na questão da organização.

18/05/2023

GIDEON LEVY
Nous étions l’avenir d’Israël

Gideon Levy, Haaretz, 18/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Nous étions l’avenir, pour reprendre le titre d’un livre de Yael Neeman. Mais aujourd’hui, il est derrière nous. Mardi, nous nous sommes retrouvés une fois de plus sur les rives de la rivière Yarkon pour notre réunion de classe des anciens élèves du lycée Ironi Aleph de Tel Aviv.

Des chars israéliens lors d’un défilé militaire à Tel Aviv, le "jour de l’indépendance", en 1959. Photo : Moshe Pridan, GPO

Nous avons tous environ 70 ans aujourd’hui ; nous en avions 60 la dernière fois que nous nous sommes rencontrés. Mais peu de choses ont changé. Daniella est morte deux jours avant la réunion, Reuven quelques semaines plus tôt. Et pourtant, malgré tout, la plupart d’entre nous sont venus. Nous étions 219 en 1971. En mai 2013, il y a eu 10 décès, 18 ont émigré et 14 ont disparu. J’ai écrit à l’époque : « Nous étions 219 gosses, avec 2 190 rêves ». Il ne reste pas grand-chose de ces rêves. Je rêvais d’être Premier ministre ou chauffeur de bus, selon ce qui arriverait en premier. Mais cela n’a pas été le cas, et cela ne le sera manifestement jamais.

C’était une soirée mélancolique ; peut-être que le succès de ces réunions réside précisément dans leur tristesse. C’est une belle tristesse. C’est l’occasion de regarder en arrière, et il n’y a pas moyen de ne pas être triste - de regarder en arrière pour voir à quel point nous étions beaux et innocents, ce que nous avons accompli et ce que nous n’avons pas accompli. Et malgré tout, nous étions si heureux de nous rencontrer, à en juger par les réactions du lendemain. Nos photos ont défilé sur l’écran - nos enfants et nos professeurs. Ils nous ont semblé si vieux à l’époque, mais aujourd’hui, la vérité est révélée : La plupart d’entre eux avaient l’âge qu’ont nos enfants aujourd’hui. Mon grand-père, à l’âge que nous avons aujourd’hui, marchait déjà avec une canne. Certains de nos professeurs étaient des survivants fous de l’Holocauste, tout comme certains de nos parents.

L’Holocauste était partout, mais nous ne voulions pas le savoir ou l’entendre, ni de la part de nos parents, ni de la part de nos professeurs. Nous pensions qu’ils étaient allés à l’abattoir comme des moutons. Bien sûr, nous n’avons jamais entendu parler de la Nakba, pas même de son nom. Nous n’avons jamais posé de questions sur les ruines qui se trouvaient partout et sur ce qui était arrivé à leurs propriétaires.

Nous étions la première génération de l’État, nés cinq ans après sa création à Tel Aviv, ville laïque, ashkénaze et égalitaire. Aucun d’entre nous n’était très riche ou très pauvre. Nous étions presque tous des sionistes et des patriotes convaincus, à l’exception de Nitza, qui faisait partie du mouvement antisioniste Matzpen.

À la suite d’une rencontre fortuite avec elle sur les marches de Beit Sokolow, Amir et moi avons été envoyés chez le directeur adjoint, qui a sorti les photos que le service de sécurité Shin Bet lui avait remises, exigeant des explications, C’était 50 ans avant le coup d’État qui a détruit la démocratie israélienne.

Nous avons grandi, nous avons grandi. Il y a dix ans, j’écrivais : « La prochaine fois, nous serons moins nombreux et nous serons accompagnés par des auxiliaires de vie philippines », une autre de mes prédictions qui s’est avérée fausse. Nous étions effectivement moins nombreux, mais sans une seule Philippin. Dov a déclaré que la date qui compte pour lui est ce mois d’octobre, le 50e anniversaire de la guerre du Kippour de 1973. Puis il s’est lancé dans un long et douloureux monologue qui montrait qu’il était toujours coincé là, au bord du canal de Suez.

Yigal, qui a vécu aux Pays-Bas pendant des années en tant qu’assistant du gourou de la méditation transcendantale, Maharishi Mahesh Yogi, est venu spécialement d’Amérique, où il est thérapeute. Il portait une grande kippa colorée. Notre dernière rencontre remonte à 31 ans, lorsqu’il a essayé de me persuader d’interviewer un candidat à la présidence des USA appartenant au parti de la loi naturelle. Yigal s’est marié en Amérique il y a quelques années, et lui et sa femme ont adopté un adolescent malien.

Amir m’a rappelé notre voyage à Eilat, qui a commencé au marché de gros de Tel Aviv par la recherche d’un chauffeur de camion pour nous emmener vers le sud. Il s’est poursuivi par un trajet nocturne la nuit où Neil Armstrong a marché sur la lune, le 21 juillet 1969. Et il s’est terminé par un sommeil perturbé sur le sol d’une station-service à l’extérieur d’Eilat. Et j’ai été si heureux de revoir Idit, la première fille que j’ai embrassée, dans la cage d’escalier du 19, rue Bloch.

Il y a dix ans, je pensais que nous étions une génération de ratés, d’enfants moyens qui suivaient le courant, manquaient à l’appel, décevaient et réussissaient peu, à l’exception des 40 avocats que notre classe a produits. Cette semaine, c’était un peu différent : nous avons vécu notre vie. Nous avons fait la paix avec ce qui était, et aussi avec ce qui n’était pas. Il ne nous reste plus qu’à arriver à assister à la prochaine réunion.

17/05/2023

GIDEON LEVY
Les Israéliens veulent-ils vraiment continuer à vivre comme ça ?

 Gideon Levy, Haaretz, 14/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Voulez-vous vraiment continuer à vivre comme ça ? Vivre par l’épée, guerre après guerre, toutes plus inutiles les unes que les autres, toutes des guerres de choix, le choix d’Israël, sans avenir et sans but ? C’est la 17e opération contre Gaza en 19 ans. Une guerre presque chaque année. Parfois même, comme en 2004, deux guerres. La dernière devait se terminer samedi soir, à la veille de son sixième jour. Une guerre de six jours.


Des roquettes sont tirées depuis la ville de Gaza en direction d’Israël, le 13 mai 2023. Photo : MAHMUD HAMS - AFP

C’était peut-être la plus inutile et la plus banale de toutes. Une guerre sans but, à laquelle peu de gens s’intéressent. Pendant ce temps, Tel-Aviv profitait d’un concert d’Aviv Geffen dans le parc, et plus tard, on a regardé l’Eurovision. La guerre a éclaté parce qu’on a intentionnellement laissé mourir un détenu. Même les raisons officielles invoquées sont devenues insignifiantes. Ce qui s’est passé ensuite s’est répété avec une précision à glacer le sang, le début, le milieu et la fin, comme lors du tour précédent et de celui d’avant. Seules les quantités de sang et de destruction ont changé d’une guerre à l’autre - dont l’écrasante majorité est toujours du côté palestinien.

C’est l’effroyable banalité de cette dernière guerre qui la rend si dangereuse. Les Israéliens se sont habitués à l’idée que c’est comme ça, qu’il n’y a rien à faire. La pluie en hiver et la guerre en été. Une guerre chaque année, sans cause, sans rien à gagner, sans résultats, sans gagnants ni perdants, juste une saignée périodique, comme un check-up tous les 10 000 kilomètres pour votre voiture. Voulez-vous vraiment continuer à vivre ainsi ? Cette question est plus cruciale que toutes les autres, y compris le bouleversement de la réforme judiciaire, et elle n’est même pas discutée.

Continuer à vivre ainsi, c’est accepter la situation comme un décret du ciel, ou des politiciens faucons et cyniques, avec l’encouragement enthousiaste des commentateurs et journalistes bellicistes, les pom-pom girls de toutes les guerres israéliennes. Il n’y a pas d’opposition à la guerre en Israël, en tout cas pas dans ses phases préliminaires, et donc aucune alternative n’est présentée.

Voulez-vous vraiment vivre ainsi ? La réponse est toujours : “Quel choix avons-nous ?” Il y a une alternative, qui n’a jamais été essayée, mais elle ne peut même pas être proposée. L’éventail des options présentées aux Israéliens ne va que du massacre à la tuerie, de la frappe aérienne à l’opération terrestre. Nous sommes en guerre. Il n’y a rien d’autre.

Continuer à vivre ainsi signifie tuer des gens en nombre effroyable, y compris des enfants et des femmes, pour satisfaire les chefs de guerre, et parfois aussi pour se faire tuer, et ensuite, bien sûr, jouer les victimes. Cela signifie vivre dans la terreur dans le sud et parfois dans le centre d’Israël et ignorer avec une effroyable opacité la terrible terreur qui règne à Gaza. Cela signifie être asservi par les médias qui, la plupart du temps, ne rapportent pas les souffrances de Gaza et qui, lorsqu’ils le font, auraient mieux fait de ne pas le faire.

Encore une fois, il était impossible de comprendre l’ampleur de l’horreur de cette petite guerre sans Al Jazeera. Alors que les médias israéliens étaient occupés à parler de mariages reportés et de concerts annulés, Al Jazeera montrait l’horreur à Gaza. Cette fois, le monde n’était pas intéressé. Il est fatigué. Laissons-les saigner. Une condamnation, un bâillement, un pipi et au lit.

Lorsque les Israéliens commenceront à se demander s’ils veulent vraiment continuer à vivre ainsi, des alternatives apparaîtront. Il n’y a pas de solutions miracles ni de garanties de succès. Une seule chose est sûre : les alternatives n’ont jamais été essayées. On n’a jamais pensé à agir avec maîtrise de soi et retenue. C’est pour les faibles. Nous ne nous sommes jamais demandé quel était le résultat de toutes ces tueries et de tous ces assassinats. Nous n’avons jamais cherché à savoir si ces guerres contribuaient à notre sécurité ou si elles ne faisaient que l’affaiblir. Aujourd’hui, le djihad s’attaque déjà à Tel-Aviv, qui est assiégé. Un jour, les gens apprendront à apprécier la détermination et le courage de ceux qui ont réussi à établir une telle force de résistance à l’intérieur d’une cage, même si nous continuons à crier et à hurler “organisations meurtrières”.

Voulons-nous continuer à vivre comme ça ? Oui. Sans aucun doute. Si nous voulions vivre autrement, il y a longtemps que nous aurions changé de cap, que nous aurions levé le siège de Gaza et que nous aurions discuté de son avenir avec ses dirigeants. Si nous n’avons pas encore essayé, c’est le signe que nous voulons continuer à vivre comme ça.