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23/01/2025

SARAH KAY
Sur les cessez-le-feu : la véritable audace de l’espoir


Sarah Kay, Reign of Terror, 19/1/2025
 Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Sarah Kay est une avocate algéro-irlandaise née à Dublin et élevée à Belfast, spécialisée dans les droits humains et active au sein de l’Association of Mixed Race Irish (Association des Irlandais métis)

À l’heure où j’écris ces lignes, un cessez-le-feu doit entrer en vigueur dans la bande de Gaza après 15 mois de bombardements ininterrompus, de déplacements, de destructions et de blocus de l’aide humanitaire. Les négociations menées par le Qatar entre le Hamas et Israël ont finalement abouti à un accord le 15 janvier 2025. Après des retards dans la ratification israélienne du cessez-le-feu, à laquelle s’opposent Netanyahou et la droite dure intérieure, des manifestations ont éclaté à Jérusalem, exigeant un vote négatif sur l’accord qu’ils considèrent comme une capitulation. Ces manifestations ne sont toutefois pas représentatives de l’ensemble d’un pays qui s’est lassé de son Premier ministre, déjà accusé de corruption, d’une guerre génocidaire qui a détruit l’économie et a mis le pays encore plus à l’écart de l’État de droit mondial, et des menaces de représailles déjà ressenties de la part de l’Iran, du Liban et du Yémen. Malheureusement, cette dichotomie n’a eu aucun effet positif sur le peuple palestinien et son sort extrême dans une guerre d’anéantissement.

Le cessez-le-feu est un terme général qui désigne la cessation des hostilités. Un cessez-le-feu est un simple ordre de faire taire les armes et les bombes pour que les décideurs puissent parler. Sa permanence dépend du respect des conditions convenues et du courage politique de la mener à bien. Il ne s’agit cependant pas d’une fin, mais d’une simple suspension. Un cessez-le-feu permanent n’est jamais totalement permanent. Le vrai travail commence après : le retour des personnes déplacées, la reconstruction de ce qui a été détruit et l’immense chagrin que nous devrons ressentir, en tant que communauté internationale, pour un certain nombre de morts dont nous savons qu’ils ne seront jamais complètement et entièrement pris en compte. Quelque part, dans les décombres de Gaza, se trouve l’idéal que nous avons oublié que nous étions censés protéger : le droit à la vie, à la sûreté et à la sécurité de la personne, des droits inaliénables définitivement mutilés par le préjudice moral de l’occupation.

Les conditions d’un cessez-le-feu

L’accord de cessez-le-feu en trois phases contient un nombre important de mises en garde, ce qui ne devrait pas donner à qui que ce soit un fort sentiment de stabilité et de cohérence pour l’avenir. L’annonce elle-même a cependant été accueillie par de grandes célébrations à Gaza, aussi grandes que le nombre de survivants le permettait. Comme c’est souvent le cas lorsque les cessez-le-feu ne sont pas déclarés immédiatement, plus de 77 Palestiniens ont été tués entre l’annonce du vendredi et l’heure limite du dimanche matin. Il ne s’agit pas d’un cessez-le-feu permanent : une période de 42 jours commence aujourd’hui, au terme de laquelle Israël est autorisé à reprendre ses opérations militaires.

Tout au long de la phase 1, le Hamas accepte de libérer 33 otages israéliens, en particulier des enfants et des personnes âgées de plus de 50 ans. Dans une demande de contrepartie cyniquement nécessaire, Israël accepte de libérer 30 Palestiniens actuellement incarcérés pour chaque otage libéré, et 50 pour chaque soldat enrôlé. En septembre 2024, l’organisation non gouvernementale israélienne B’Tselem fait état de 3 340 Palestiniens en détention administrative, un nombre qui a plus que quadruplé après le 7 octobre 2023. Le terme correct est détention arbitraire : la détention administrative est une détention sans inculpation ni procès, et elle est en grande partie indéfinie. Cette violation des droits humains à grande échelle fait partie de l’évaluation de l’accusation d’apartheid portée contre Israël, qui s’octroie le pouvoir d’incarcérer sans procédure régulière, faisant ainsi « disparaître » des Palestiniens sans justification transparente et légitime. B’Tselem rapporte qu’en juin 2024, 226 de ces détenus à vie étaient des mineurs.

Les personnes extérieures aux négociations ne savent pas très bien comment ces équivalences ont été établies. Le plus souvent, la vie palestinienne est jetable. Elle est résumée dans des statistiques, discutée en termes de charge et abordée comme des données quantitatives aux fins de la préservation d’une occupation. Pourtant, ces vies ont maintenant une chance d’être libérées, de retourner dans les communautés auxquelles elles appartiennent et de participer au travail de survie et de reconstruction à grande échelle qui doit avoir lieu. Ce qui est encore plus préoccupant dans ces échanges d’otages, ce sont les conséquences de la torture - dont nous savons qu’elle est monnaie courante dans les prisons israéliennes - et la manière dont ces expériences et leur récit façonneront la future gouvernance de la bande de Gaza.

Les forces de défense israéliennes (FDI) devront se retirer de certaines parties des zones les plus densément peuplées de la bande de Gaza - celles qui subsistent encore - ce qui devrait permettre l’acheminement d’une aide humanitaire indispensable. Toutefois, d’après les documents actuellement disponibles, il n’est pas clair si tous les convois seront autorisés ou si l’aide sera acheminée au compte-gouttes dans la bande de Gaza sous le contrôle des FDI, comme cela a été le cas par le passé. Après ces 42 jours, la phase 2 commencera, et si l’échange d’otages réussit, une « déclaration de calme durable » sera faite. La formulation est extrêmement éloignée d’une cessation des hostilités ; rien n’indique la fin - par opposition à une suspension - des opérations militaires, et encore moins la notion de paix. Le « retour des Palestiniens déplacés », qui semblait donner à beaucoup tant d’espoir d’un droit au retour plus large, semble être un déplacement interne. Divisé en deux le long du corridor de Netzarim, on ne sait toujours pas si le contrôle des mouvements à l’intérieur de la bande de Gaza sera abandonné. Extrait de l’Associated Press :

« Cependant, alors que les discussions se poursuivaient mardi, un responsable israélien a insisté sur le fait que l’armée garderait le contrôle de Netzarim et que les Palestiniens retournant vers le nord devraient passer des inspections à cet endroit, bien qu’il ait refusé de fournir des détails. Le fonctionnaire a parlé sous le couvert de l’anonymat pour évoquer les négociations à huis clos. »
Les cessez-le-feu dépendent de tant de facteurs externes qu’on ne peut les décrire que comme étant maintenus par un mince - et de plus en plus mince - fil d’espoir. Pourtant, ils exigent une vigilance constante quant à leur application. La position du Maroc est souvent négligée dans les rapports actuels. Alors que le roi Mohammed VI a toujours affirmé que sa position était celle de la paix, son ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a fait valoir hier un point très important: 
« Dans de nombreux discours depuis le début de la crise, Sa Majesté a souligné que la priorité urgente était d’établir un cessez-le-feu. Sa Majesté a également précisé dans de multiples déclarations que ce cessez-le-feu devait être permanent, contrôlable et déboucher sur une voie durable ».

La surveillance et les rapports des opérations de maintien de la paix seront essentiels à la mise en œuvre d’un cessez-le-feu. C’est une responsabilité que nous devons tous assumer et que nous devons nous efforcer de faire respecter.


Cesser le feu

Aujourd’hui marque le dernier jour de l’administration Biden aux USA et, ce qui est peut-être plus inquiétant, le dernier jour de la République telle qu’elle existe actuellement. Lors de son départ, le secrétaire à la Défense Anthony Blinken a fait part de nombreuses informations sur les communications et les relations entre les USA et Israël, qui ne laissent entrevoir rien d’aussi substantiel qu’un cessez-le-feu permanent. L’un d’entre eux est la réplique extrêmement peu diplomatique selon laquelle Israël devrait bombarder Gaza à sa guise, puisque les USA ont « bombardé Berlin et largué la bombe atomique ». Bien qu’elle soit tout à fait correcte, cette réponse renvoie au concept de la boucle de l’impunité infinie. Sans obligation de rendre des comptes pour garantir la non-récurrence, les mêmes objectifs absolus continueront d’annoncer la fin de notre civilisation. Deuxièmement, l’admission que le prétendu objectif légitime de l’opération israélienne, à savoir « éradiquer le Hamas »,n’a pas seulement échoué, mais a en fait aggravé la situation. C’était inévitable. On l’avait prédit. On l’avait partagé. Mais on ne l’a jamais entendu.

Au début de la guerre contre la terreur, les mêmes discours naïfs et destructeurs sur l’éradication ont été tenus. C’était une erreur à l’époque, et c’est encore une erreur aujourd’hui. Cela n’existe pas, le risque zéro n’existe pas, il n’y a pas de contrôle total possible d’un ordre sociopolitique qui ne nécessite pas de tyrannie. La leçon n’a pas été apprise assez vite. Guantanamo compte toujours 15 « détenus à vie ». L’Afghanistan a recommencé à souffrir sous le régime des talibans. L’Irak peine à se libérer de l’occupation de l’ISIS. La poursuite de l’impossible a détruit plus de choses qu’elle n’en a libéré. Une fois de plus, la leçon n’a pas été tirée assez rapidement. Une estimation très prudente de 47 000 morts n’est pas une victoire, pas plus qu’elle n’est, d’une manière ou d’une autre, une garantie de sécurité future. L’esprit de représailles ne cessera jamais de planer tant que l’injustice prévaudra. La seule sécurité que nous puissions vraiment avoir est celle qui est assurée par une gouvernance juste et équitable, par l’autodétermination et par la jouissance des droits humains. La poursuite de la répression après tant de destructions n’entraînera jamais l’absence de résistance armée. La question n’est plus de savoir si la résistance armée est légitime. La question est de savoir si Israël est prêt à accepter qu’il a engendré son propre conflit, ou si nous devrons continuer à financer, avec l’argent de nos impôts, la quête désespérée de pouvoir d’un despote corrompu.



Ce cessez-le-feu est le fruit d’un effort soutenu et engagé. Il ne faut pas le sous-estimer ; pendant trop longtemps, beaucoup ont pensé qu’il n’était pas possible. Le nombre de « si », bien plus nombreux que les « quand », ne fait que souligner la fragilité des négociations avec un État déterminé à l’usure et un groupe armé dont l’existence est liée à l’occupation elle-même. Sans un mouvement clair et déterminé pour mettre fin à l’un ou à l’autre, nous continuerons à vivre une autre guerre de Gaza. Une autre atrocité diffusée sur nos téléphones. Un autre crime qui choque la conscience de l’humanité, sans lui accorder la possibilité d’obtenir réparation. Au moins, le travail du cessez-le-feu commence vraiment maintenant. Nous n’avons pas le droit de le laisser échouer.

Reconstruire

Au cours des 15 derniers mois, je suis restée en contact avec un avocat de Gaza, Adham Madi. Avant le 7 octobre 2023, Adham commençait sa carrière d’avocat. Il avait acheté sa première voiture, ce qui lui procurait un sentiment de fierté. Gaza, l’un des endroits les plus jeunes du monde, affiche également un taux élevé de réussite scolaire. Grâce à sa carrière, Adham espérait pouvoir subvenir aux besoins de sa famille et naviguer dans les cercles juridiques internationaux en défendant les droits humains. Aujourd’hui, il me parle sous une tente de réfugié, à l’extérieur de laquelle il doit faire bouillir de l’eau et de la farine pour manger. Un sac de farine coûte actuellement 220 dollars et plus à Gaza. J’ai demandé à Adham si le cessez-le-feu lui avait donné un sentiment d’espoir ou de soulagement.

"Quel genre de sentiment puis-je décrire ? Ce sont des sentiments épars, entre tristesse et joie, mais plus proches de la tristesse qui étouffe l’âme. J’ai envie de pleurer... de libérer toutes les larmes que j’ai retenues dans mon cœur, toutes les douleurs qui m’ont déchiré de l’intérieur et que je n’ai pas osé laisser sortir. Je veux pleurer jusqu’à ce que mon âme soit vidée de cette oppression qui me serre.
Dois-je me réjouir parce que le sang a enfin arrêté de couler ? Ou est-ce que je me réjouis parce que ma mère et moi avons échappé à une mort certaine alors que la mort dévorait tout le monde autour de nous ? Ou est-ce que je pleure mes amis qui ont été martyrisés l’un après l’autre ? Pour leurs visages que je ne reverrai jamais et leurs rires qui ne sont plus qu’un écho dans ma mémoire ?
Est-ce que je pleure pour ma maison qui n’est plus qu’une épave... un souvenir de cendres et de destruction ? Ou pour mon bureau, qui contenait mes rêves et des années d’efforts, et qui n’est plus qu’un tas de gravats ? Ou pour ma voiture, dont j’ai rassemblé le prix avec beaucoup de difficultés, pour la voir écrasée sans pitié sous les chenilles d’un char, comme si elle n’était rien ?
Je pleure pour ma vie qui était pleine de beaux détails, qui était comme un tableau parfait, et qui n’est plus qu’un souvenir déchiré ! Je pleure pour la douleur que j’ai vécue et que je ne me suis pas permis de pleurer à l’époque, parce que je ne voulais pas paraître faible devant qui que ce soit. Ou est-ce que je pleure parce que j’ai trouvé en moi une force que je n’aurais jamais imaginée ? Une force qui a surpassé toute cette douleur, une force dont je ne sais pas d’où elle vient, mais qui m’a permis de rester en vie.
J’écris ces mots les mains tremblantes, le cœur battant violemment comme s’il hurlait de l’intérieur... Les mots peuvent-ils décrire l’ampleur de ce qui m’habite ?
"

Adham avant la guerre, en juin 2023

J’espère voir Adham dans une nouvelle vie, une vie différente, une vie qui le verra bénéficier des mêmes droits à l’égalité que je peux exercer, du même respect pour ses qualifications que nous pouvons tous commander, et de la même liberté que j’apprécie de vivre et de respirer sans peur. La réalité des conflits armés est qu’ils ne volent pas seulement des vies humaines. Ils emportent avec eux la capacité de s’épanouir. Reconnu comme le résultat direct de la paix, de l’égalité et de la justice, le droit à l’épanouissement exige l’autodétermination, la liberté de mouvement et l’absence de discrimination. Le droit des droits humains reconnaît que la vie ne doit pas et ne peut pas être réduite à la simple survie. Les droits sociaux et économiques, dont les Palestiniens ont été privés en raison de l’absence d’État et de 77 années d’occupation, sont la seule possibilité pour Adham, sa mère et ses amis d’envisager un avenir pacifique.

Reconstruire Gaza est une tâche sysiphéenne gigantesque. Guerre après guerre, des milliards sont dépensés pour reconstruire ce que ces mêmes milliards serviront à détruire des années plus tard. La Banque mondiale a estimé les dégâts à 18,5 milliards de dollars, et ce uniquement en février 2024. La tâche littérale qui consiste à évacuer des décombres a déjà été quantifiée : elle s’élève à 50 millions de tonnes. Il faudra une génération pour effacer les conséquences de l’horreur. Qu’est-ce qui peut pousser ? Qu’est-ce qui peut s’élever ? Faut-il reconstruire s’il n’y a pas de solution permanente à la violence régulière et cyclique qui frappe Gaza ? L’éventualité d’un retour aux opérations militaires ne correspond pas à la notion de « calme durable ». L’inquiétude des services de renseignement, qui craignent que le génocide plausible n’ait en fait fourni au Hamas un terrain fertile pour le recrutement, a été confirmée quelques semaines après l’assaut d’octobre 2023.

La paix est si lointaine. La paix n’est jamais tout à fait proche. Nous confondons trop souvent l’absence de violence avec la paix. La paix n’existe pas lorsque l’on entend au loin le bruit des chars d’assaut. Ce n’est pas la paix si l’ombre d’un drone est toujours visible, même s’il n’y a pas de tir de munitions. Ce n’est pas la paix si des troupes armées patrouillent dans les rues pour s’assurer que l’apartheid est maintenu à tout prix. Ce n’est pas la paix avec la pratique de la torture, la détention indéfinie et les déplacements forcés. La paix pour la Palestine est une toile blanche. Elle n’est cependant pas sans précédent. La Palestine a connu la paix. Elle sait ce que c’est que de prospérer à partir du sol et de s’occuper d’une terre libre et juste. Parfois, la créativité de la loi doit s’appuyer sur des pratiques ancestrales, à une époque où ces armes n’avaient pas encore été forgées. La justice devrait toujours inclure la possibilité de quiétude.

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