04/10/2021

SHANY LITTMAN
« Le boulot n'a pas été fini en 1948 : le pays n'a pas été vidé de ses Arabes »
Avi Mograbi sur son dernier documentaire, « Les 54 premières années - Un manuel abrégé d'occupation militaire »

Shany Littman, Haaretz, 4/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Le dernier documentaire du cinéaste israélien chevronné Avi Mograbi s'appuie sur les témoignages accablants de soldats pour dénoncer l'occupation israélienne. Ne vous attendez pas à le voir à la télévision israélienne ou dans un festival de cinéma local.

 

Avi Mograbi : il n’est pas surpris par la série de rejets en Israël. Photo : Hadas Parush

Le nouveau film d'Avi Mograbi, "The First 54 Years - An Abbreviated Manual for Military Occupation" [Les 54 premières années - Un manuel abrégé d'occupation militaire], n'a figuré à l'affiche d'aucun des festivals du film organisés en Israël cette année et, jusqu'à présent, aucune chaîne de télévision israélienne n'a souhaité le diffuser. Les fondations à but non lucratif qui soutiennent habituellement les films documentaires n'ont pas non plus voulu s'impliquer cette fois-ci, bien que Mograbi soit un cinéaste de longue date très apprécié, dont les films précédents ont connu un grand succès et ont été présentés dans des dizaines de festivals de cinéma dans le monde entier.

Le nouveau film de Mograbi a également commencé à faire le tour des festivals internationaux de cinéma et a obtenu une mention honorable au Festival du film de Berlin. Mais Mograbi n'a pas été très surpris par la série de rejets dont le film a fait l'objet en Israël.

"Même si [la précédente ministre de la culture] Miri Regev n'a pas été en mesure de faire passer la loi sur la loyauté culturelle, j'ai eu le sentiment que le message n'a pas été reçu", dit, faisant référence à la législation proposée par Regev qui aurait suspendu le financement gouvernemental à des institutions "enfreignant les principes du pays."

"Certes, on peut toujours dire que je suis le réalisateur blessé et aigri. Mais c'est un continuum intéressant. Soit c'est un film affreux, soit il y a quelque chose là-dedans que les gens ne veulent pas aborder. D'un autre côté, c'est un énorme succès à l'étranger."

Vous a-t-on donné des explications sur les rejets en Israël ?

"Non. Et je ne suis pas non plus du genre à aller enquêter. Je savais que ce film allait soulever des problèmes".

L'une des raisons, pense-t-il, est que le film est basé sur des témoignages de soldats recueillis par Breaking the Silence, l'organisation israélienne anti-occupation fondée par des vétérans de l'armée. Le groupe recueille des témoignages d'abus présumés commis par l'armée dans les territoires occupés depuis 1967 et de situations troublantes dans lesquelles les soldats se sont trouvés pendant leur service militaire.

"Breaking the Silence ne fait pas partie des organisations les plus populaires en Israël, c'est le moins que l'on puisse dire", plaisante Mograbi. "J'ai aussi le sentiment que le personnage que j'incarne dans le film met même en colère les gauchistes, en raison du cynisme [du personnage], du fait qu'à sa base, il y a le mal. Parce que même lorsque nous faisons de mauvaises choses, nous ne voulons pas penser que nous agissons par malveillance. Mais ce personnage ne se soucie pas de cela. Tout ce qui lui importe, c'est d'accomplir les objectifs qu'il s'est fixés."

Mograbi joue une sorte d'expert ou de conférencier qui explique comment mener une occupation militaire de la manière la plus efficace possible. L'"expert" organise le film autour du développement chronologique de l'occupation dans les territoires et autour de quelques principes importants qui la soutiennent. Entrecoupées de témoignages d'anciens soldats, les explications de l'expert machiavélique révèlent l'effrayante méthodologie du processus. Le résultat est un film délibérément didactique, pratiquement un film d'instruction. "Si vous voulez faire votre propre métier, je vous aiderai à sauter certaines parties ennuyeuses", plaisante Mograbi.

En fait, vous coupez court à l'obscurcissement et présentez l'occupation presque comme une formule mathématique, montrant qu'il n'y a rien d'aléatoire.

"Quand on regarde le résultat, on comprend que ça n'a pas pu arriver comme ça. Quelqu'un, quelque part, a dû s'asseoir et y réfléchir. Je ne dis pas que ce manuel existe dans un coffre-fort de la direction des opérations du ministère de la défense, mais il existe dans l'esprit des nombreuses personnes qui ont créé cette chose", affirme-t-il.

Un logiciel espion avancé de la société israélienne Candiru a été découvert sur des ordinateurs russes, turcs et palestiniens

 Amitai Ziv, Haaretz, 3/10/2021
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le logiciel malveillant très ciblé est vendu par l'entreprise israélienne à des clients qui l'utilisent pour espionner des journalistes, des dissidents et d'autres personnes, indique la société de cybersécurité ESET dans un nouveau rapport.

Un logiciel espion fabriqué par Candiru, une société d'outils de piratage basée à Tel-Aviv, a été découvert sur plusieurs ordinateurs en Europe et au Moyen-Orient, a indiqué la société de cybersécurité ESET.

L'entrée du bureau de Candiru à Tel Aviv, en 2018. Photo : Ofer Vaknin

Dans son rapport de septembre, ESET écrit que selon les recherches publiées par Citizen Lab et le Microsoft Threat Intelligence Center en juillet au sujet du maliciel Devils Tongue de Candiru, celui-ci est "vendu à des tiers, qui peuvent en abuser pour espionner diverses victimes, notamment des défenseurs des droits humains, des dissidents, des journalistes, des militants et des politiciens".

Selon le rapport, les chercheurs d'ESET ont "découvert des indications du maliciel DevilsTongue dans nos données de télémétrie, affectant environ 10 ordinateurs" en Albanie, en Russie et au Moyen-Orient. Le malware a été trouvé en Israël, dans les territoires palestiniens, en Turquie et dans d'autres parties de la région.

Il indique également que "le maliciel est très ciblé : chaque victime de DevilsTongue que nous avons identifiée disposait d'un échantillon personnalisé avec des ressources PE uniques pour cette victime". La mention de l’"obscure firme d'espionnage mercenaire israélienne", comme Candiru est surnommée dans le rapport, est susceptible de perturber les Israéliens.

En juillet, Microsoft et Google ont signalé un certain nombre de vulnérabilités de type "zero-day" découvertes dans le système d'exploitation Windows et dans le populaire navigateur ouèbe Chrome. Candiru avait exploité ces vulnérabilités afin d'attaquer des cibles dans une centaine de pays, de l'Iran et du Liban à l'Espagne et au Royaume-Uni.

Pourquoi nous sommes solidaires de Mimmo Lucano, le hors-la-loi

Gaetano Lamanna , il manifesto, 3/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

13 ans et 2 mois de prison : c’est la condamnation incroyable prononcée en première instance par le tribunal de Locri contre Mimmo Lucano, l’ancien maire de Riace, en Calabre, suspendu en 2018, dont le crime est d’avoir hébergé et intégré des immigrants, faisant ainsi revivre ce village frappé par la désertification. Ci-dessous la réaction d'un encien dirigeant communiste et syndical calabrais, aujourd'hui actif dans le Syndicat des retraités de la CGIL-FG

Délit d’'humanité. Il s'agit d'une contradiction flagrante entre le droit et la justice, qui ne vont pas toujours de pair. Souvent, pour rendre ou faire rendre justice, il faut changer une loi. Cela s'est produit à plusieurs reprises.

Traité comme un criminel. Avant le procès, on lui a ordonné de quitter Riace. Il ne pouvait pas retourner dans son village, même pour rendre visite à son père âgé et malade. Il était considéré comme pire qu'un mafioso. Or, il se trouve que Mimmo Lucano n'est pas un mafioso, mais un citoyen honnête, bon et généreux. Une tête dure, comme beaucoup en Calabre. Nous sommes confrontés à une contradiction flagrante entre le droit et la justice. La loi n'est pas toujours en accord avec la justice. Souvent, pour rendre ou faire rendre justice, il faut changer une loi. Cela a été fait à de nombreuses reprises. Mais c'est un processus long et laborieux. Il faut parfois des batailles, des mouvements, des pétitions populaires, des référendums, pour que le parlement se décide à changer une loi injuste ou à promouvoir des droits.

Ce fut le cas avec le Statut des travailleurs. Il en était de même pour le ius soli (droit du sol). Il en va de même pour les crimes d'honneur, l'avortement, le divorce, et bien d'autres exemples pourraient être cités. La loi, qui est la base du droit, évolue, suit l'histoire et est mise à jour en fonction des changements historiques et politiques. Aux époques grecque et romaine, l'esclavage n'était pas illégal. Au Moyen Âge, les privilèges féodaux et le servage étaient légaux. Le droit n'est pas neutre.

La plupart du temps, il ne fait que codifier des règles, des conventions, des coutumes, déjà en usage. Il transforme le statu quo en loi. Il prend généralement acte des relations de pouvoir. Avec la Révolution française, la bourgeoisie montante a renversé l'ancien monde féodal, façonné à la mesure de l'aristocratie, serré par des contraintes, des privilèges et des règles qui empêchaient l'accumulation du capital, le libre marché et le développement industriel. Plus récemment, sous les gouvernements dirigés par Berlusconi, nous avons également vu des lois ad personam, des crimes déclassés ou faits disparaître du code du jour au lendemain.

03/10/2021

SUE HALPERN
Les coûts humains de l'Intelligence Artificielle

Sue Halpern, The New York Review of Books, 21/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Sue Halpern est rédactrice au magazine New Yorker et collabore régulièrement à la New York Review of Books. Elle est l'auteure de sept livres, dont les best-sellers "A Dog Walks into a Nursing Home" et "Four Wings and a Prayer", qui a fait l'objet d'une version cinématographique nominée aux Emmy Awards. Elle est chercheuse en résidence et enseignante au Middlebury College dans le Vermont. @suehalpernVT

L'intelligence artificielle ne nous vient pas comme un deus ex machina, mais plutôt par le biais d'un certain nombre de pratiques extractives déshumanisantes, dont la plupart d'entre nous n'ont pas conscience.

'Data Pools', un projet d'usurpation de géolocalisation par Adam Harvey et Anastasia Kubrak qui a relocalisé virtuellement les téléphones des gens dans les piscines des PDG de la Silicon Valley, 2018. Adam Harvey/Anastasia Kubrak

 

Livres recensés :

Atlas of AI: Power, Politics, and the Planetary Costs of Artificial Intelligence 

by Kate Crawford

Yale University Press, 327 pp., $28.00

We, the Robots?: Regulating Artificial Intelligence and the Limits of the Law

by Simon Chesterman

Cambridge University Press, 289 pp., $39.99

Futureproof: 9 Rules for Humans in the Age of Automation

by Kevin Roose

Random House, 217 pp., $27.00

The Myth of Artificial Intelligence: Why Computers Can’t Think the Way We Do

by Erik J. Larson

Belknap Press/Harvard University Press, 312 pp., $29.95

En 2015, une cohorte de scientifiques et d'entrepreneurs de renom, dont Stephen Hawking, Elon Musk et Steve Wozniak, ont publié une lettre publique exhortant les technologues qui développent des systèmes d'intelligence artificielle à "rechercher comment tirer parti de ses avantages tout en évitant les pièges potentiels." À cette fin, ont-ils écrit : "Nous recommandons une recherche élargie visant à garantir que les systèmes d'IA de plus en plus performants soient robustes et bénéfiques : nos systèmes d'IA doivent faire ce que nous voulons qu'ils fassent."

Plus de huit mille personnes ont maintenant signé cette lettre. Si la plupart sont des universitaires, les signataires comprennent également des chercheurs de Palantir, la société de surveillance secrète qui aide l'ICE (Agence de police de l’immigration et des frontières) à rafler les immigrants sans papiers, les dirigeants de Vicarious, une société de robotique industrielle qui se vante de réduire pour ses clients de plus de 50 % les heures de travail - c'est-à-dire le travail effectué par des humains - et les fondateurs de Sentient Technologies, qui avaient auparavant développé la technologie de reconnaissance de la langue utilisée par Siri, l'assistant vocal d'Apple, et dont l'entreprise a depuis été intégrée à Cognizant, une société qui a fourni une partie de la main-d'œuvre sous-payée et excessivement stressée chargée de "modérer" le contenu de Facebook.

Musk, quant à lui, ne vise pas seulement les voitures à conduite autonome équipées d'IA. Sa société de puces cérébrales, Neuralink, vise à fusionner le cerveau avec l'intelligence artificielle, non seulement pour développer des applications médicales susceptibles de changer la vie des personnes souffrant de lésions de la moelle épinière et de troubles neurologiques, mais aussi, à terme, pour tout le monde, afin de créer une sorte d'esprit de ruche. L'objectif, selon Musk, est un avenir "contrôlé par la volonté combinée des habitants de la Terre - [puisque] c'est évidemment l'avenir que nous voulons".

Il s'avère donc que le point le plus important à retenir d'une lettre mettant en garde contre les dangers potentiels de l'intelligence artificielle pourrait être son insistance sur le fait que les systèmes d'IA "doivent faire ce que nous voulons qu'ils fassent". Et qu'est-ce que c'est ? Même aujourd'hui, à peine six ans plus tard, la liste est trop longue pour être énumérée. La plupart d'entre nous ont rencontré des robots de service à la clientèle scénarisés et dotés d'une intelligence artificielle, dont le principal objectif semble être d'éviter les conversations avec de véritables humains. Nous avons fait confiance à l'IA pour nous dire quelles émissions de télévision regarder et où dîner. L'IA a aidé des personnes souffrant de lésions cérébrales à faire fonctionner des bras robotisés et à déchiffrer des pensées verbales en mots audibles. L'IA fournit les résultats de nos recherches sur Google et nous propose des publicités basées sur ces recherches. L'IA façonne le goût des hamburgers à base de plantes. L'IA a été utilisée pour surveiller les champs des agriculteurs, calculer des scores de crédit, tuer un scientifique nucléaire iranien, corriger des copies, remplir des ordonnances, diagnostiquer divers types de cancers, rédiger des articles de journaux, acheter et vendre des actions et décider des acteurs à engager dans des films à gros budget afin de maximiser le retour sur investissement. Aujourd'hui, l'IA est aussi présente que l'internet lui-même. Pour reprendre les termes de l'informaticien Andrew Ng, l'intelligence artificielle est "la nouvelle électricité".

ARIEL FELTON
« Ce sont nos ancêtres » : des descendants de personnes réduites en esclavage font évoluer le tourisme de plantation en Caroline du Sud

Ariel Felton, The Washington Post, 1/10/2021. Photos de Gavin McIntyre pour le Washington Post
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

 

Ariel R. Felton (1990) est un écrivaine et rédactrice usaméricaine ayant plus de 8 ans d'expérience dans le journalisme, la rédaction et l'édition de livres. @Ariel_R_Felton

Dans trois plantations de Charleston, en Caroline du Sud, des Afro-descendants renouent avec l'histoire de leur famille et contribuent à en modifier le récit.

 Des visiteurs entrent et sortent des cabanes où vivaient les esclaves à la Magnolia Plantation de Charleston, en Caroline du Sud.

 CHARLESTON, S.C. - Robert Bellinger roulait sur Ashley River Road à Charleston, S.C., profitant du paysage de chênes verts et de mousse espagnole, lorsqu'il s'est rendu compte de l'endroit exact où il se rendait et de la raison de sa visite.

 "Ça m'a frappé", se souvient Bellinger à propos de son trajet en novembre 2016. "Je me suis dit que je me rendais à une réunion de famille sur une plantation où mes ancêtres avaient été réduits en esclavage".

 Bellinger, un historien et chercheur de Boston, se rendait à Middleton Place, une ancienne plantation de riz située dans le couloir historique de la rivière Ashley. Aujourd'hui, Middleton Place est un monument historique national et un musée, et il abrite les plus anciens jardins paysagers des USA.

 Bellinger a appris le lien de sa famille avec Middleton Place des décennies avant de décider de faire le voyage. En 1983, sa cousine Mamie Garvin Fields, alors âgée de 90 ans, a publié "Lemon Swamp and Other Places : A Carolina Memoir", qui relate les liens entre les générations de la famille et le Bas-pays, y compris les histoires du grand-père esclave de Mme Fields. Ses propres recherches familiales ont aidé Bellinger à trouver des ancêtres à Middleton remontant à 1790.

Il a également appris que Middleton Place organisait des réunions de descendants tous les deux ans, rassemblant des descendants noirs et blancs pour un week-end de présentations de recherches sur place, de conférences historiques et de dialogues informels. Avec un peu d'appréhension, il a décidé d'y assister.

 "Juste trois jours avant, nous avons eu une élection présidentielle dont les résultats ne m'ont pas trop emballé", dit Bellinger. "Je me disais, maintenant, pourquoi est-ce que je me dirige vers une plantation dans ce climat ?".

 Ty Collins se promène dans les jardins de Middleton Place à Charleston, en Caroline du Sud.

GIDEON LEVY
Quand le général israélien rencontre le paysan palestinien

Gideon Levy, Haaretz, 3/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Voici de bonnes nouvelles : Le chef du commandement central de l'armée israélienne, Yehuda Fuchs, a visité le village où le pogrom a eu lieu, Khirbet al-Mufkara.

 

Les commandants militaires israéliens Yehuda Fuchs et Avihay Zafrani lors d'une visite à Khirbet al-Mufkara, samedi

Il est vrai que la visite a été très courte, environ un quart d'heure. Certes, chaque fois que les résidents ont prononcé le mot "colons" en arabe, le chef de l'administration civile israélienne pour la région d'Hébron, Salim Saadi, a pris soin de le traduire pour le major général par "résidents". Et il est vrai que le général a répété comme un perroquet la phrase creuse selon laquelle "le travail de l'armée est de protéger la sécurité de tous les résidents", même si l'armée ne fait rien de tel. Néanmoins, il est rare qu'un général rende visite aux résidents palestiniens et parle avec eux - pas seulement dans ce village isolé et meurtri des collines d'Hébron Sud, mais dans tous les territoires occupés depuis 1967. Le général de division Fuchs mérite des éloges pour cette visite hâtive. Il nous a rappelé, même si ce n'est qu'implicitement, le minimum que l'occupation est obligée de faire mais qu'elle n'a jamais fait - voir les gens qu'elle soumet comme des êtres humains. Fuchs a rencontré des Palestiniens pour un rare moment et a vu des êtres humains, peut-être pour la première fois de sa vie. La plupart de ses collègues de l'état-major général n'ont même jamais fait cela. 

01/10/2021

GIDEON LEVY
Beita : si le sniper israélien pouvait voir les ravages qu'il a causés, il ne tirerait plus jamais

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 1/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Israeli military ready to evict 2,000 West Bank Jewish settlers | World |  The Times

Tué par un sniper des FDI lors de la manifestation hebdomadaire contre l'avant-poste d'Evyatar, Mohamed Khabisa, père d'une petite fille de 8 mois, est devenu la septième victime de son village, Beita, depuis mai.

Le père et le bébé de Mohamed Khabisa visitent l'endroit où il a été tué vendredi dernier

Ghazal est née il y a huit mois. C'est un gros bébé qui a des boucles d'oreilles minuscules. Lundi de cette semaine, sa famille l'a assise sous un olivier dans le bosquet qu'ils possèdent, au centre d'un petit cercle de pierres sur lesquelles des taches de sang sont encore visibles. Ghazal sourit, n'ayant naturellement aucune idée de l'endroit où son grand-père et son oncle l'ont placée. Les taches de sang sont celles de son père : Il a coulé de sa tête lorsqu'un sniper des Forces de défense israéliennes a tiré et l'a tué à distance, trois jours avant notre arrivée.

Les taches de sang sont éparpillées sur des dizaines de mètres sur les rochers de cette oliveraie bien entretenue, l'itinéraire d'évacuation de la victime. Son père était assis ici la semaine dernière, sous ses arbres, et depuis le haut de la colline d'en face, un sniper a pointé son fusil et a tiré une balle qui s'est écrasée sur sa tête et lui a fracassé le crâne. Les photographies de la tête explosée et de la cervelle renversée sont choquantes. Si seulement le sniper pouvait les voir. Il ne tirerait pas à nouveau. Si seulement il pouvait aussi voir le grand-père du bébé, le père endeuillé de Mohamed Khabisa, et son frère endeuillé, son oncle, asseoir le nourrisson orphelin de père à l'endroit où son père est tombé trois jours plus tôt. Le père du défunt, Ali, et son frère, Ibrahim, éclatent en sanglots déchirants. Ils sont rejoints par les amis du défunt, qui se sont également rassemblés autour de l'olivier. Une affiche avec la photo de la victime est enroulée autour de l'arbre. Quelqu'un est en train de faire une vidéo de l'événement, pour la montrer à Ghazal quand elle sera plus grande.

Ghazal était l'unique enfant de Mohamed Khabisa, un peintre en bâtiment de 28 ans du village de Beita. Le sniper des FDI qui l'a abattu vendredi dernier l'a fait à balles réelles, avec l'intention de tuer. C'est parfois la façon dont les FDI mettent fin aux manifestations du village contre l'avant -poste de colons non autorisé d’Evyatar, qui a été construit illégalement sur les terres de Beita en mai. Les colons ont été retirés par la suite, mais les structures sont toujours intactes et le terrain n'a pas été restitué à ses propriétaires. Le mont Sabih, le mont des oliviers de Beita, avec des bosquets cultivés sur ses pentes, est surmonté par l'abcès d'Evyatar. Huit personnes ont été tuées dans les manifestations qui ont eu lieu ici depuis mai, dont sept de Beita. Le sang est sur les mains des colons, du ministre de la Défense et des FDI.

MARTIN CHULOV
Asad, el proscrito, se vende a Occidente como la clave de la paz en Oriente Medio

Martin Chulov, The Guardian, 26/9/2021
Traducido del inglés por Sinfo Fernández, Tlaxcala
 


Martin Chulov cubre la información sobre Oriente Medio para The Guardian desde hace dieciséis años. En 2015 recibió el Premio Orwell de periodismo.@martinchulov

Tras diez años de derramamiento de sangre, los aliados extranjeros intentan rehabilitar al líder sirio


Carteles en Damasco con imágenes de Bashar al-Asad poco antes de las elecciones presidenciales del pasado mayo (Foto: Firas Makdesi/Reuters)

 
Qamishli, Siria.- Durante casi una década fue un paria que luchaba por conseguir alguna reunión en el extranjero o incluso por hacerse valer ante sus visitantes. En gran medida solo en su palacio, excepto por la presencia de sus ayudantes de confianza, Bashar al-Asad presidía un Estado roto cuyos escasos amigos exigían un precio humillante para protegerle y no temían demostrarlo.
Durante sus viajes regulares a Siria, Vladimir Putin organizó reuniones en bases rusas, obligando a Asad a ir trás de él en los actos. Irán impuso con demasiada facilidad su voluntad, dictando a menudo las condiciones militares o dejando de lado al líder sirio en decisiones que determinaban el curso de su país.
Pero con el estruendo de la guerra y la insurrección retrocediendo y una región exhausta que intenta configurarse nuevamente tras diez años agotadores, está surgiendo una dinámica improbable: Asad, el marginado, está siendo muy requerido. Los enemigos que se oponían a él cuando Siria se desintegraba, consideran cada vez más a Damasco como la clave para recomponer una región rota. La barbarie que supuso la muerte de medio millón de personas,-las autoridades dejaron de contar las víctimas en 2015- ya no parece ser el obstáculo que era. Tampoco lo es el papel central de Asad en una catástrofe que desarraigó a la mitad de la población del país e infectó el cuerpo político de Europa y más allá.

30/09/2021

Mohamed Majadleh, journaliste vedette palestinien d’Israël, veut que les Juifs sachent la vérité

Hilo Glazer, Haaretz, 24/9/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

À 28 ans, Mohamed Majadleh, le premier Arabe à devenir un commentateur régulier d'un grand journal télévisé israélien, n'a pas l'intention de gaspiller la rare plateforme qui lui a été offerte au cœur du prime time israélien. Mais il sait aussi que la moindre erreur pourrait le faire passer de star à ennemi...

 

Mohamed Majadleh : « Je me suis dit, pourquoi moi ? Pourquoi ai-je besoin de ça ? Puis un collègue juif dira que les Arabes ont aidé les prisonniers, "et je dis : "Tu as un rôle ici, arrête de pleurnicher". » Photo : Emil Salman

 
 

Un calme apaisant règne sur la pelouse devant les studios de Channel 12 News à Neve Ilan, environ une heure et demie avant le début d'"Ulpan Shishi" ("Studio du vendredi"), le magazine d'information hebdomadaire de la chaîne de télévision la plus populaire d'Israël. Ici, à l'extérieur de Jérusalem, on a l'impression que l'automne est arrivé tôt, mais Mohamed Majadleh s'attend à ce que les choses se réchauffent.

« Pour moi, c'est une zone de guerre », déclare le nouveau commentateur résident de la chaîne. « Quand les commentateurs juifs arrivent, c'est leur terrain de jeu. Ils peuvent se permettre de se tromper dans leurs évaluations, leurs informations et leurs faits, et ils s'en sortiront. Mais une erreur de ma part ne sera jamais pardonnée. En un instant, je peux passer du statut de journaliste et de star celui d'ennemi et de traître. Surtout un jour comme aujourd'hui, où l'on sait comment on va s'engager, mais où l'on n'a aucune idée de la façon dont on va s'en sortir ».

Nous sommes quatre jours après que six prisonniers de sécurité palestiniens se sont échappés d'une prison du nord d'Israël, quelques heures avant que quatre d'entre eux ne soient arrêtés. Et en effet, il ne s'écoule pas une minute avant qu'une femme de l'équipe de l'émission n'arrive et ne demande à Majadleh de rentrer et de se préparer à une bataille avec son principal adversaire du panel de commentateurs, Amit Segal, un juif pratiquant dont l'analyse a été préenregistrée. Majadleh met un casque et écoute Segal dénigrer les députés arabes, en particulier les dirigeants de la Liste commune, qui ont publié une déclaration appelant à la fin des mauvais traitements infligés aux Palestiniens incarcérés en Israël. Selon Segal, les membres arabes de la Knesset soutiennent effectivement l'évasion.

Le rédacteur en chef de l'émission, Ron Yaron, lui demande : "Alors, il vous a énervé ?" et prépare Majadleh à une autre question qui lui sera posée pendant l'émission, sur le fait que les évadés sont considérés comme des héros par la communauté arabe d'Israël. Majadleh sourit. Il est peut-être le petit nouveau du panel, mais il a beaucoup d'expérience dans le rôle pour lequel il a été choisi. "Je suis le type qui se présente toujours pour réfuter ce que les autres disent, et généralement pas pour dire ce que je pense", dit-il lorsque nous retournons sur la pelouse. "Ma position de départ est défensive".


Le commentaire de Segal ne semble pas lui poser un défi exceptionnel. "Il y a ceux qui opinent et ceux qui informent", s'amuse Majadleh, dans sa réponse. "La liste commune, dans ses déclarations, faisait référence à la punition collective qui a été imposée aux autres prisonniers de l'établissement. De là à prétendre qu'ils soutiennent les prisonniers qui se sont échappés ? L'une des choses irritantes dans les médias de langue hébraïque est la recherche incessante d'ennemis internes, d'une cinquième colonne. Comment [les autorités] expliquent-elles une défaillance systémique de l'administration pénitentiaire ? "Les Arabes sont des collaborateurs". Quelle excuse la police offre-t-elle pour justifier son incapacité à lutter contre la criminalité ? Les querelles entre clans arabes».

Et il y a toujours quelqu'un qui publiera ces briefings mot pour mot.

« Écoutez, c'est une méthode de travail de certains journalistes qui épousent certaines opinions. Ce qui me gêne, non seulement en tant qu'Arabe mais surtout en tant que journaliste, c'est l'imprécision - qu'elle soit délibérée ou non. Et ce qui me réjouit, c'est qu'alors que jusqu'à il n'y a pas longtemps, avant mon époque, cela passait tout simplement tel quel - aujourd'hui, ce n’est plus le cas ».

 

Vendredi soir au studio. "C'est déprimant de voir que les personnes les plus puissantes de l'industrie essaient de vous faire passer pour un menteur", dit Majadleh . "Quand il y a un Arabe dans le panel, tout le monde se dispute pour savoir qui est le plus grand patriote. Photo : Emil Salman


GIDEON LEVY
Israël : On ne peut pas tout reprocher à la police

Gideon Levy, Haaretz, 30/9/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Il y a quelque chose d'injuste à faire porter toute la responsabilité de la violence dans la société arabe d’Israël sur les épaules de la police : il y a aussi quelque chose de commode, de lâche et de trompeur dans cette démarche. Si c'est seulement la police, alors la société n'est pas responsable - ni la société juive, qui devrait avoir une culpabilité insupportable envers la communauté des survivants qui sont restés ici et portent les cicatrices, dont l'une est la criminalité ; ni la société arabe, qui porte une part de responsabilité dans le comportement de ses fils.

 La police sur une scène de crime dans le sud de Tel-Aviv, en 2018.Photo : Ilan Assayag

Mais les partisans de la loi et de l'ordre ne veulent que plus de police, de police des frontières, de police anti-terroriste Yamam, de patrouille spéciale de police Yasam et, bien sûr, de services de sécurité Shin Bet, ou, en d'autres termes, restaurer le régime militaire dans les rues de Taibeh. Alors, le calme reviendra, et la surveillance des Arabes sera aussi comme autrefois : si les directeurs d'école sont à nouveau des collaborateurs du Shin Bet, nous résoudrons le problème.

Ce n'est pas une coïncidence si c'est la droite qui est en première ligne pour s'inquiéter de ce qui se passe dans la société arabe - voici une nouvelle occasion de les traiter d'une main lourde, d'utiliser la force, d'arrêter, d'espionner, de blesser et même de tuer, comme dans les territoires, sous le couvert du souci de leur sécurité.

Mais ce n'est pas la sécurité des Arabes qui préoccupe les prédicateurs. Plus que tout, ils veulent donner des Arabes l'image qu'ils aiment : des animaux sauvages assoiffés de sang, qui s'entretuent et, demain, nous aussi. La réponse à cela est bien sûr la force.