12/09/2021

EYAL PRESS
Les blessures du guerrier des drones

Eyal Press, The New York Times Magazine, 13/6/2018
Photos Dina Litovsky/Redux, pour le New York Times.
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala  

Eyal Press est un écrivain et journaliste qui contribue au New Yorker, au New York Times et à d'autres publications. Depuis le printemps 2021, il est également titulaire d'un doctorat en sociologie de l'université de New York. Il a grandi à Buffalo, qui a servi de toile de fond à son premier livre, Absolute Convictions (2006). Son deuxième livre, Beautiful Souls (2012), examinait la nature du courage moral à travers les histoires de personnes qui ont risqué leur carrière, et parfois leur vie, pour défier des ordres injustes. Choix de la rédaction du New York Times, le livre a été traduit dans de nombreuses langues et choisi comme lecture commune dans plusieurs universités, dont Penn State et son alma mater, l'université Brown. Son livre le plus récent, Dirty Work (2021), examine les emplois moralement troublants que la société tolère tacitement et la classe cachée des travailleurs qui les accomplissent. L’article ci-dessous, publié en 2018, est un élément de ce livre. Lauréat du James Aronson Award for Social Justice Journalism, il a reçu une bourse Andrew Carnegie, une bourse du Cullman Center à la New York Public Library et une bourse de la Puffin Foundation au Type Media Center. @EyalPress

Même les soldats qui combattent les guerres à une distance sûre se sont retrouvés traumatisés. Leurs blessures pourraient-elles être d'ordre moral ?

Un drone MQ-9 sous un pare-soleil sur la base aérienne de Creech au Nevada

Au printemps 2006, Christopher Aaron a commencé à travailler 12 heures d'affilée dans une pièce sans fenêtre du Centre d'analyse aéroporté de lutte contre le terrorisme (CTAAC) à Langley, en Virginie. Il était assis devant un mur de moniteurs à écran plat qui diffusaient en direct des flux vidéo classifiés provenant de drones en vol stationnaire dans des zones de guerre éloignées. Certains jours, Aaron a découvert que peu de choses intéressantes apparaissaient sur les écrans, soit parce qu'une couverture de nuages masquait la visibilité, soit parce que ce qui était visible - des chèvres broutant sur une colline afghane, par exemple - était banal, voire serein. D'autres fois, ce qui se déroulait devant les yeux d'Aaron était étonnamment intime : des cercueils transportés dans les rues après des frappes de drones ; un homme accroupi dans un champ pour déféquer après un repas (les excréments généraient une signature thermique qui brillait dans l'infrarouge) ; un imam parlant à un groupe de 15 jeunes garçons dans la cour de sa madrasa. Si un missile Hellfire tue la cible, se dit Aaron en fixant l'écran, tout ce que l'imam aurait pu dire à ses élèves sur la guerre de l'Amérique contre leur foi serait confirmé.

Les capteurs infrarouges et les caméras haute résolution fixés sur les drones ont permis de recueillir de tels détails depuis un bureau en Virginie. Mais comme Aaron l'a appris, il n'est pas toujours facile d'identifier qui se trouve dans la ligne de mire d'une frappe potentielle de drone. Les images sur les moniteurs pouvaient être granuleuses et pixellisées, ce qui permettait de confondre facilement un civil marchant sur une route avec une canne avec un insurgé portant une arme. Les personnages à l'écran ressemblaient souvent moins à des personnes qu'à des taches grises sans visage. Comment Aaron pouvait-il être certain de leur identité ? « Dans les bons jours, lorsqu'une foule de facteurs environnementaux, humains et technologiques étaient réunis, nous avions la forte impression que ce que nous regardions était la personne que nous recherchions », dit Aaron. « Les mauvais jours, nous devions littéralement deviner ».

Au début, les bons jours étaient plus nombreux que les mauvais pour Aaron. Il n'était pas gêné par les longs quarts de travail, les décisions sous haute pression ou l'étrangeté de pouvoir traquer - et potentiellement tuer - des cibles à des milliers de kilomètres de distance. Bien qu'Aaron et ses pairs passaient plus de temps à faire de la surveillance et de la reconnaissance qu'à coordonner des frappes, il leur arrivait de transmettre des informations à un commandant sur ce qu'ils voyaient à l'écran, et « 60 secondes plus tard, en fonction de ce que nous avions rapportés, vous pouviez voir si un missile avait été tiré ou non », dit-il. D'autres fois, ils suivaient des cibles pendant des mois. Les premières fois qu'il a vu un drone Predator libérer sa charge mortelle - la caméra zoomant, le laser se verrouillant, un panache de fumée s'élevant au-dessus du terrain brûlé où le missile a frappé - il a trouvé cela surréaliste, m'a-t-il dit. Mais il trouvait aussi cela impressionnant. Souvent, il ressentait une poussée d'adrénaline, alors que les analystes présents dans la salle échangeaient des high-five [« tape m’en cinq », signe de victoire, NdT].

Le parcours d'Aaron vers le programme de drones était inhabituel. Il a grandi à Lexington, dans le Massachusetts, dans un foyer où la viande rouge et les jeux vidéo violents étaient interdits. Ses parents étaient d'anciens hippies qui ont manifesté contre la guerre du Vietnam dans les années 1960. Mais Aaron vénérait son grand-père, un homme calme et imperturbable qui avait servi pendant la Seconde Guerre mondiale. Aaron avait aussi le goût de l'exploration et des épreuves de force : la randonnée et l'errance dans les bois du Maine, où sa famille passait ses vacances chaque été, et la lutte, un sport dont l'exigence de discipline martiale le captivait. Aaron a fréquenté le College of William & Mary en Virginie, où il s'est spécialisé en histoire, avec une mineure en commerce. Athlète doué, indépendant et aventureux, il est une figure charismatique sur le campus. Un été, il s'est rendu seul en Alaska pour travailler comme matelot sur un bateau de pêche.

Pendant l'année junior [équivalent de la classe de 1ère au lycée, NdT] d'Aaron, en 2001, il est réveillé un matin par un appel téléphonique de son père, qui lui annonce que les tours jumelles et le Pentagone ont été attaqués. Aaron a immédiatement pensé à son grand-père, qui avait servi pendant trois ans comme officier de police militaire sur le front européen après l'attaque de Pearl Harbor. Il voulait faire quelque chose de tout aussi héroïque. Un an plus tard, après avoir repéré au bureau des services d'orientation professionnelle de William & Mary une brochure sur la National Geospatial-Intelligence Agency [NGA], une agence de sécurité nationale spécialisée dans l'analyse géographique et l'analyse d'images, il a posé sa candidature.

Aaron a commencé à travailler comme analyste en imagerie à la NGA en 2005, étudiant les images satellites de pays qui n'avaient aucun lien avec la guerre contre le terrorisme. Peu de temps après son arrivée, un courriel a circulé au sujet d'un groupe de travail du ministère de la Défense qui était en train d'être créé pour déterminer comment les drones pourraient aider à vaincre Al-Qaïda. Aaron a répondu à l'appel à volontaires et a rapidement travaillé au Centre d'analyse aéroporté de lutte contre le terrorisme. Il trouve exaltant de participer directement à une guerre qu'il considère comme le défi majeur de sa génération. Sa fierté s'est accrue lorsqu'il est devenu évident que la task force [force opérationnelle] avait un impact significatif et que l'utilisation des drones était en augmentation.

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11/09/2021

FAUSTO GIUDICE
Talibanistán: cementerio de imperios, cuna de imaginarios

Fausto Giudice, Basta Yekfi!, 5/9/2021
Traducido por María Piedad Ossaba, Tlaxcala & LaPluma

 

La entrada de los talibanes en Kabul el 15 de agosto de 2021 ha hecho tambalear muchas de las certezas que la maquinaria de propaganda mediática ha generado durante los últimos 20 años, empezando por la primera: que constituirían el mal absoluto. La prueba: negociamos con ellos, conversamos con ellos, intercambiamos información con ellos, los entrevistamos, los acompañamos en las patrullas, en definitiva, nos embarcamos con ellos.  Poco a poco pero con seguridad, la imagen de locos furiosos de Dios está siendo sustituida por la de padres tranquilos con chalecos amarillos que pretenden administrar su país como buenos padres de familia. Las manitas yihadistas pastunes de finales del siglo XX se han convertido en profesionales, en todos los ámbitos: militar, político, diplomático, comunicacional. En definitiva, en 20 años han aprendido la lección. Y han aprendido inglés. Lo hablan, mal, pero se les entiende. Un adjetivo aparece a menudo: “inclusive”, inclusivo. Van a incluir a todo el mundo en el Afganistán de la década de 2020: las mujeres, las minorías, e incluso los colaboradores bastardos que se fueron con la pasta, como  Nour o Dostom, y, por qué no, incluso el pequeño Massoud de Panshir. En resumen, a partir de ahora los talibanes van a afeitar gratis.

Viendo los reportajes y documentales producidos sobre Afganistán en los últimos 30 años, una cosa me llama la atención: los muyahidines de las montañas parecen hippies de los años 1960 y 1970, con sus barbas, sus largas cabelleras teñidas con henna y sus ojos delineados con khol. Son tímidos, reservados y desconfiados al primer contacto, pero, una vez establecido el contacto, son alurosos y fraternales. Un verdadero sueño gay californiano. Peace and Love más kalash, 4X4, youtube y walkie-talkie. Sólo queda esperar la serie de Netflix Love in Hindukush, cuya consecuencia lógica debería ser una decisión del Banco Mundial y del FMI de conceder un importante préstamo al Emirato Islámico para la reconstrucción del cementerio de los imperios. Estamos de verdad viviendo una época maravillosa.

 

Kabul, 1971. Fotos Jack Garofalo/Paris Match via Getty Images




Afghanistan: the new Taliban government
List of ministers and key figures


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Folter: Was Guantánamo aus ihnen machte

 

Im Kampf gegen den Terror sollte Mister X den Gefangenen Mohamedou Slahi brechen. Er folterte ihn – und ging selbst daran kaputt. Nun haben die beiden wieder miteinander gesprochen.

Bastian Berbner und John Goetz, DIE ZEIT Nr. 36/2021, 2.9. 2021

Mister X (links) folterte immer nachts. Mohamedou Slahi war der Gefangene 760 – der wichtigste Häftling im Lager. © Balazs Gardi für DIE ZEIT (links); Daouda Corera für DIE ZEIT (rechts)

Der Mann, der sich in Guantánamo "Mister X" nannte, trug, wenn er folterte, eine Sturmmaske und eine verspiegelte Sonnenbrille. Der Mensch, den er quälte, sollte sein Gesicht nicht sehen. Jetzt, 17 Jahre später, steht Mister X in seiner Garage in Irgendwo, Amerika, an einer Töpferscheibe. Ein Mann mit Glatze und ergrauendem Bart, am Nacken tätowiert. Seine Hände, groß und stark, formen einen graubraunen Klumpen Ton. Das Töpfchen wird nicht besonders schön werden, das sieht man schon. Er sagt, so sei das mit seiner Kunst, er fühle sich eher zu Hässlichem hingezogen.

Mister X hat lange überlegt, ob er Journalisten empfangen und darüber reden will, was damals geschah. Es wäre das erste Mal, dass sich ein Folterer aus Guantánamo öffentlich zu seinen Taten äußert. Dem Treffen an diesem Tag im Oktober 2020 sind zahlreiche Mails vorausgegangen. Jetzt endlich sind wir bei ihm. Ein Interview von mehreren Stunden liegt schon hinter uns, in dem Mister X uns von seiner grausamen Arbeit berichtet hat. Wir haben ihm erzählt, dass auch der Mann, den er damals malträtierte, gern mit ihm sprechen würde. Mister X hat geantwortet, einerseits habe er ein solches Gespräch 17 Jahre lang herbeigesehnt – andererseits habe er es 17 Jahre lang gefürchtet. Er hat um eine halbe Stunde Bedenkzeit gebeten. Beim Töpfern könne er gut denken.

Der Mann, der gern mit ihm sprechen möchte, heißt Mohamedou Ould Slahi und galt im Sommer 2003 als wichtigster Gefangener im Lager Guantánamo Bay. Von den knapp 800 Häftlingen dort wurde, nach allem, was bekannt ist, niemand so heftig gefoltert wie er.

Es gibt Ereignisse, die bestimmen eine Biografie. Die entfalten, auch wenn sie gemessen an der Lebenszeit gar nicht so lange andauern, in diesem Fall knapp acht Wochen, eine Kraft, die alles Davor in Vergessenheit geraten lassen und alles Danach in ihren Bann ziehen.

Damals, im Sommer 2003, war Mister X Mitte dreißig und Verhörer in der amerikanischen Armee. Er gehörte zum sogenannten Special Projects Team, dessen Aufgabe es war, Slahi zu brechen. Der Häftling hatte bisher hartnäckig geschwiegen, die Geheimdienste waren aber überzeugt, dass er wichtige Informationen besaß. Vielleicht sogar solche, die den nächsten Großanschlag verhindern oder zu Osama bin Laden führen könnten, der damals der meistgesuchte Terrorist der Welt war: der Anführer von Al-Kaida, der Hauptverantwortliche der Anschläge vom 11. September 2001.

Die Mission des Teams war es, das Böse zu besiegen. Um das zu erreichen, setzte es ihm ein anderes Böses entgegen.

Mister X folterte immer nachts. Mit jeder Nacht, die Slahis Schweigen andauerte, probierte er eine neue Grausamkeit aus. Er sagt, Folter sei letztlich ein kreativer Prozess. Wenn man Mister X zuhört, wie er schildert, was er getan hat, kann einem der Atem stocken, und manchmal scheint es Mister X beim Erzählen selbst so zu gehen. Dann schüttelt er den Kopf. Hält inne. Fährt sich durch den Bart. Kämpft Tränen zurück. Er sagt: "Mann, ich kann das selbst nicht glauben."

So wie er spricht, hat man nicht den Eindruck, dass das alles lange her ist. Tatsächlich ist es auch gar nicht zu Ende. Mister X sagt, es gebe kaum einen Tag, an dem er nicht über Slahi nachdenke oder an dem dieser ihn nicht im Traum heimsuche. Slahi war der Fall seines Lebens, im schlimmsten aller Sinne. 

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10/09/2021

ANAND GOPAL
Las otras mujeres afganas

Anand Gopal, The New Yorker, 13/9/2021
Traducido del inglés por Sinfo Fernández, Tlaxcala  

Anand Gopal es profesor adjunto de investigación del Centro sobre el Futuro de la Guerra, de la Escuela de Política y Estudios Globales de la Universidad Estatal de Arizona (ASU). Es periodista y sociólogo (doctorado por la Universidad de Columbia) y ha trabajado extensamente en Afganistán, Siria e Iraq. Ha realizado reportajes para New Yorker, New York Times Magazine y otras publicaciones, al tiempo que ha elaborado estudios basados en su trabajo de campo y en el análisis de redes complejas. Su libro “No Good Men Among the Living : America, the Taliban and the War Through Afghan Eyes fue finalista del Premio Pulitzer 2015 de no ficción general y del National Book Award 2014. Ha ganado un National Magazine Award, un George Polk Award y tres premios del Overseas Press Club por sus reportajes sobre Oriente Medio. Su trabajo actual se centra en la democracia y la desigualdad, y está escribiendo un libro sobre las revoluciones árabes. Habla árabe, dari y pastún. @Anand_Gopal_

En el campo, la interminable matanza de civiles puso a las mujeres en contra de unos ocupantes que decían ayudarlas.

Más del 70% de los afganos no viven en las ciudades. En las zonas rurales la vida bajo la coalición liderada por USA y sus aliados afganos se convirtió en puro peligro; incluso tomar té en un campo iluminado por el sol, o ir en coche a la boda de tu hermana, era una apuesta potencialmente mortal. (Foto: Stephen Dupont/Contact Press Images)

 

Una tarde del pasado agosto, Shakira oyó golpes en la puerta de su casa. En el valle de Sangin, en la provincia de Helmand, al sur de Afganistán, las mujeres no deben ser vistas por hombres que no sean parientes suyos, así que su hijo de diecinueve años, Ahmed, fue a abrir la puerta. Afuera había dos hombres con bandoleras y turbantes negros, que llevaban rifles. Eran miembros de los talibanes, que habían emprendido una ofensiva para arrebatar el campo al Ejército Nacional Afgano. Uno de los hombres advirtió: “Si no os marcháis de inmediato, va a morir todo el mundo”.
Shakira, que ronda los cuarenta años, reunió a su familia: su marido, un comerciante de opio, estaba profundamente dormido tras haber sucumbido a las tentaciones de su producto, y sus ocho hijos, incluida la mayor, Nilofar, de veinte años -de la misma edad que la propia guerra-, a la que Shakira llamaba su “sustituta”, porque ayudaba a cuidar de los más pequeños. La familia cruzó una vieja pasarela que atravesaba un canal, y luego se abrió paso entre juncos y parcelas irregulares de judías y cebollas, atravesando casas oscuras y vacías. Sus vecinos también habían sido advertidos y, salvo por las gallinas errantes y el ganado huérfano, el pueblo estaba vacío.
La familia de Shakira caminó durante horas bajo un sol abrasador. Empezó a sentir el traqueteo de golpes lejanos y vio cómo la gente iba fluyendo desde las aldeas de la ribera: hombres agachados bajo bultos abarrotados de todo lo que no podían soportar dejar atrás, mujeres caminando tan rápido como les permitían sus burkas.
El golpeteo de la artillería llenaba el aire, anunciando el comienzo de un asalto talibán a un puesto de avanzada del ejército afgano. Shakira mantenía en equilibrio a su hija menor, de dos años, sobre su cadera mientras el cielo centelleaba y tronaba. Al anochecer habían llegado al mercado central del valle. Los escaparates de hierro corrugado habían sido en gran parte destruidos durante la guerra. Shakira encontró una tienda de una sola habitación con el techo intacto y su familia se instaló allí para pasar la noche. Para los niños, sacó un juego de muñecas de tela, una de las muchas distracciones que había practicado durante los años de huir de las batallas. La tierra tembló mientras sostenía las figuras a la luz de una cerilla.
Al amanecer, Shakira salió al exterior y vio que unas cuantas docenas de familias se habían refugiado en el abandonado mercado. Antes había sido el bazar más próspero del norte de Helmand, con tenderos que pesaban el azafrán y el comino en balanzas, carros cargados de vestidos de mujer y escaparates dedicados a la venta de opio. Ahora sobresalían por todas partes pilares sueltos y el aire olía a restos de animales en descomposición y a plástico quemado.
A lo lejos, el suelo estallaba de repente creando fuentes de tierra. Los helicópteros del ejército afgano zumbaban por encima, y las familias se escondían detrás de las tiendas, considerando cuál podría ser su próximo movimiento. Había combates a lo largo de las murallas de piedra del norte y de la ribera del río al oeste. Al este, el desierto de arena roja se extendía hasta donde Shakira podía ver. La única opción era dirigirse al sur, hacia la frondosa ciudad de Lashkar Gah, que seguía bajo el control del gobierno afgano.
El viaje implicaba atravesar una llanura árida plagada de bases estadounidenses y británicas abandonadas, donde anidaban francotiradores, y cruzar alcantarillas potencialmente llenas de explosivos. Unas cuantas familias se pusieron en marcha. Incluso si llegaban a Lashkar Gah, no podían estar seguros de lo que encontrarían allí. Desde el comienzo del bombardeo de los talibanes, los soldados del ejército afgano se habían rendido en masa, suplicando un pasaje seguro a casa. Estaba claro que los talibanes no tardarían en llegar a Kabul, y que los veinte años y los billones de dólares dedicados a derrotarlos habían quedado en nada. La familia de Shakira estaba en el desierto, discutiendo la situación. Los disparos sonaban cada vez más cerca. Shakira vio vehículos talibanes corriendo hacia el bazar y decidió quedarse. Estaba cansada hasta los huesos, con los nervios a flor de piel. Afrontaría lo que viniera después, lo aceptaría como una sentencia. “Llevamos toda la vida huyendo”, me dijo. “No voy a ir a ninguna parte”.
La guerra más larga de la historia de Estados Unidos terminó el 15 de agosto, cuando los talibanes capturaron Kabul sin disparar un solo tiro. Hombres barbudos y desaliñados con turbantes negros tomaron el control del palacio presidencial, y alrededor de la capital se izaron las austeras banderas blancas del Emirato Islámico de Afganistán. Cundió el pánico. Algunas mujeres quemaron sus expedientes escolares y se escondieron, temiendo volver a los años noventa, cuando los talibanes les prohibieron aventurarse solas en las calles y prohibieron la educación de las niñas. Para los estadounidenses, la posibilidad muy real de que los logros de las dos últimas décadas pudieran borrarse parecía plantear una terrible elección: comprometerse de nuevo con la aparentemente inacabable guerra o abandonar a las mujeres afganas.

CHRISTOS PARIDIS
Mikis Theodorakis (1925 - 2021) : les étapes d'une vie légendaire

 Moments d'une immense carrière musicale et d'une vie bien remplie

Christos Paridis, LIFO, 2/9/2021
Traduit du grec par Jacques Boutard, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

Christos Paridis est um journaliste indépendant et traducteur grec, né à Thessalonique et vivant à Athènes, qui a étudié le théâtre et le cinéma au Bard College de New York. Il est le directeur artistique de la « Boîte Noire », une plateforme théâtrale et musicale de la Fondation Mikhalis Cacoyannis. @rueLepsius

Lorsque Mikis Theodorakis a rencontré Konstantinos Karamanlis  pendant la période houleuse que fut l'été 1974,  marqué par le débarquement à Chypre, l'effondrement du régime des colonels et le danger imminent de guerre avec la Turquie, l'homme d’état lui demanda s'il participerait à un gouvernement de salut national, il répondit par un refus : « Quand je dirige l'orchestre, je m’habille en noir et je deviens le « prêtre de la démocratie », c'est mon rôle, j'utilise mes mains comme si j'embrassais tout l’orchestre et que le monde entier chantait avec moi. Si vous êtes sur la bonne voie, celle à laquelle je crois, je serai de votre côté. »

Mikis Theodorakis à Londres en 1970

Cette description du style familier avec lequel il dirigeait l'orchestre lors de ses concerts, était en même temps l’admission de sa part d’un extrême dévouement envers les Grecs et la Grèce qui a joué un rôle clé dans ses choix musicaux et politiques. Ce dévouement envers le pays lui a servi de boussole à toutes les périodes de sa longue vie, provoquant d'innombrables malentendus chez ses admirateurs comme chez ses compatriotes, car cette attitude était parfois la source de réactions enthousiastes et, à d'autres moments, de brouilles, voire d’une guerre acharnée contre lui.

Dans les nombreuses interviews qu'il a accordées une fois parvenu à l’âge de sa plus grande maturité, il disait souvent : « Je suivrais le diable pour défendre mon pays ». Pour la majorité des progressistes grecs, c'était comme s'il était effectivement « parti avec le diable », lorsqu'il a prononcé son fameux « Karamanlis ou les chars », l’été de la chute de la junte - bien qu'il ne l'ait pas dit exactement comme ça, c'est une phrase qui lui a été attribuée dans un titre du journal « Vradini » et qui est restée dans la mémoire historique collective, faisant de la plus grande idole des Jeunes communistes (KNE) un « traître ». Cette étiquette l'a suivi toute sa vie. Ses choix et positions politiques ont souvent envenimé ses relations avec eux, seules les luttes et les épreuves qu’il avait subies dans sa jeunesse le « rachetaient » à leurs yeux.

Il était né à Chios en 1925. Sa mère était originaire de Çeşme  en Asie Mineure et son père,  originaire du bourg de Galata dans le dème de La Canée en Crète, était un haut fonctionnaire partisan d’Elefthérios Venizélos. Ils s’étaient rencontrés à Urla [entre Smyrne et Chios], où il avait été affecté à l’époque du Haut-Commissariat grec, juste avant la Grande Catastrophe de 1922, et quand la tragédie est survenue, ils ont fait ensemble la traversée en barque afin de sauver leur vie et prendre un nouveau départ.

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 L'enterrement dans son village natal de Galatas, en Crète

ANAND GOPAL
Les autres femmes afghanes
Une plongée dans le Helmland profond

Anand Gopal, The New Yorker, 13/9/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Anand Gopal est professeur assistant de recherche au Center on the Future of War, à la School of Politics and Global Studies de l'Arizona State University (ASU). Il est journaliste et sociologue (doctorat, Université de Columbia) et a beaucoup travaillé en Afghanistan, en Syrie et en Irak. Il a réalisé des reportages pour le New Yorker, le New York Times Magazine et d'autres publications, tout en produisant des études fondées sur son travail de terrain et l'analyse de réseaux complexes. Son livre, No Good Men Among the Living : America, the Taliban and the War Through Afghan Eyes, a été finaliste du prix Pulitzer 2015 pour la non-fiction générale et du National Book Award 2014. Ses travaux actuels portent sur la démocratie et les inégalités, et il écrit un livre sur les révolutions arabes. Il parle l'arabe, le dari et le pachto. @Anand_Gopal_

NdT : Anand Gopal est l'un des très rares journalistes occidentaux ayant visité l'Afghanistan qui parle le dari, le pachto et l'arabe. Il publie sur The New Yorker un reportage époustouflant sur des femmes rurales au coeur de la province du Helmland, qui donne à voir une réalité très éloignée des lamentations des médias occidentaux sur les pauvres femmes afghanes menacées par les Talibans. Un texte à lire absolument.
Dans les campagnes, le massacre incessant de civils a retourné les femmes contre les occupants qui prétendaient les aider.

Plus de soixante-dix pour cent des Afghans ne vivent pas dans les villes. Dans les zones rurales, la vie sous la coalition dirigée par les USA et leurs alliés afghans est devenue un pur danger ; même boire du thé dans un champ ensoleillé, ou se rendre en voiture au mariage de sa sœur, était un pari potentiellement mortel. Photo de Stephen Dupont / Contact Press Images

 En août dernier, tard dans l'après-midi, Shakira a entendu des coups frappés sur le portail de sa maison. Dans la vallée de Sangin, située dans la province de Helmand, dans le sud de l'Afghanistan, les femmes ne doivent pas être vues par des hommes qui ne sont pas de leur famille, et son fils Ahmed, âgé de dix-neuf ans, s'est donc rendu au portail. À l'extérieur se trouvaient deux hommes portant des bandoulières et des turbans noirs, armés de fusils. Ce’étaient des membres des talibans, qui menaient une offensive pour reprendre la campagne à l'armée nationale afghane. L'un des hommes a prévenu : « Si vous ne partez pas immédiatement, tout le monde va mourir ».

 Shakira, qui a une quarantaine d'années, a rassemblé sa famille : son mari, un marchand d'opium, qui dort profondément, ayant succombé aux tentations de son produit, et ses huit enfants, dont l'aînée, Nilofar, vingt ans - aussi vieille que la guerre elle-même -, que Shakira appelle son "adjointe", car elle aide à s'occuper des plus jeunes. La famille a traversé une vieille passerelle enjambant un canal, puis s'est faufilée entre les roseaux et les parcelles irrégulières de haricots et d'oignons, le long de maisons sombres et vides. Leurs voisins avaient eux aussi été prévenus et, à l'exception des poulets errants et du bétail orphelin, le village était vide.

 La famille de Shakira a marché pendant des heures sous un soleil de plomb. Elle a commencé à sentir le cliquetis de bruits sourds lointains, et a vu des gens affluer des villages riverains : des hommes courbés sous des baluchons remplis de tout ce qu'ils ne pouvaient pas supporter de laisser derrière eux, des femmes marchant aussi vite que leur burqa le permettait.

 Le martèlement de l'artillerie emplit l'air, annonçant le début d'un assaut des talibans contre un avant-poste de l'armée afghane. Shakira tient son plus jeune enfant, une fille de deux ans, en équilibre sur sa hanche tandis que le ciel s'embrase et tonne. À la tombée de la nuit, ils sont arrivés au marché central de la vallée. Les façades en tôle ondulée avaient été en grande partie détruites pendant la guerre. Shakira a trouvé une boutique d'une pièce avec un toit intact, et sa famille s'est installée pour la nuit. Pour les enfants, elle a fabriqué un ensemble de poupées en tissu, l'une des nombreuses distractions qu'elle avait cultivées au cours des années passées à fuir les combats. Alors qu'elle tenait les figurines à la lumière d'une allumette, la terre a tremblé.

 À   l'aube, Shakira est sortie et a constaté que quelques dizaines de familles avaient trouvé refuge dans le marché abandonné. C'était autrefois le bazar le plus prospère du nord de l'Helmand, avec des commerçants pesant du safran et du cumin sur des balances, des charrettes chargées de robes de femmes et des devantures consacrées à la vente d'opium. Aujourd'hui, des piliers dénudés se dressent, et l'air sent les restes d'animaux en décomposition et le plastique brûlé.

 

Au loin, la terre a soudainement explosé en fontaines de terre. Des hélicoptères de l'armée afghane survolent la ville, et les familles se cachent derrière les magasins, réfléchissant à leur prochaine action. Des combats ont lieu le long des remparts en pierre au nord et sur la rive du fleuve à l'ouest. À l'est, le désert de sable rouge s'étend à  perte de vue aux yeux de Shakira. La seule option était de se diriger vers le sud, vers la ville verdoyante de Lashkar Gah, qui restait sous le contrôle du gouvernement afghan.

Le périple devait traverser une plaine aride livrée à des bases usaméricaines et britanniques abandonnées, où nichaient des tireurs d'élite, et traverser des ponceaux potentiellement bourrés d'explosifs. Quelques familles ont pris le départ. Même s'ils atteignaient Lashkar Gah, ils ne pouvaient pas être sûrs de ce qu'ils y trouveraient. Depuis le début de la campagne éclair des talibans, les soldats de l'armée afghane s'étaient rendus en masse, suppliant qu'on les laisse rentrer chez eux en toute sécurité. Il était clair que les talibans atteindraient bientôt Kaboul et que les vingt années et les billions de dollars consacrés à leur défaite n'avaient servi à rien. La famille de Shakira se tenait dans le désert, discutant de la situation. Les coups de feu se rapprochaient. Shakira a aperçu des véhicules talibans se dirigeant vers le bazar et a décidé de ne pas bouger. Elle était épuisée jusqu'aux os, ses nerfs étaient à vif. Elle allait faire face à ce qui allait arriver, l'accepter comme un jugement. « Nous avons fui toute notre vie », m'a-t-elle dit. « Je ne vais nulle part ».

La plus longue guerre de l'histoire usaméricaine a pris fin le 15 août, lorsque les talibans ont capturé Kaboul sans tirer un seul coup de feu. Des hommes barbus et dépenaillés, coiffés de turbans noirs, prennent le contrôle du palais présidentiel et, autour de la capitale, les austères drapeaux blancs de l'Émirat islamique d'Afghanistan s'élèvent. La panique s'installe. Certaines femmes brûlent leurs dossiers scolaires et se cachent, craignant un retour aux années 90, lorsque les talibans leur interdisaient de s'aventurer dehors seules et interdisaient l'éducation des filles. Pour les USAméricains, la possibilité très réelle que les acquis des deux dernières décennies soient effacés semblait poser un choix redoutable : recommencer une guerre apparemment sans fin ou abandonner les femmes afghanes.

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