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15/01/2023

GIDEON LEVY
Des soldats israéliens sont venus raser des maisons palestiniennes ; en chemin, ils ont tué deux jeunes hommes

 

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 14/1/2023
Traduit par 
Fausto Giudice, Tlaxcala

Deux Palestiniens ont été abattus par des soldats des FDI en mission de démolition - pour détruire les maisons des familles de deux autres jeunes hommes, qui avaient tué un officier israélien. La punition collective a donc été aggravée par d’autres meurtres.

La maison rasée de la famille d’Abderrahman Abed, à Kafr Dan, cette semaine. Sur le plafond en béton qui s’est effondré, quelqu’un a dessiné une étoile de David à côté d’une croix gammée, et écrit “Nazisme du siècle”.

Deux énormes bulldozers jaunes sont garés devant la maison d’une famille endeuillée dans le village de Kafr Dan, au nord-ouest de Jénine, en Cisjordanie. L’un des bulldozers appartient au père endeuillé, Mahmoud Abed, et l’autre à son défunt fils, Fouad, qui travaillait avec lui. Il s’agit d’une maison à deux étages, encore dépourvue de finition en plâtre. Les parents et les enfants vivent au rez-de-chaussée ; l’étage supérieur, encore en construction, était destiné à Fouad, 17 ans, l’aîné de cinq enfants.

Fouad est décédé dans la soirée du premier jour de l’année 2023. Bonne année, Kafr Dan. En 2022, les forces de défense israéliennes ont tué six résidents locaux. Ce village militant de 8 000 habitants est influencé par l’esprit de résistance déterminé qui émane du camp de réfugiés voisin de Jénine.

Les signes de deuil et de souffrance sont palpables ici : dans le deuil qui envahit la maison de Fouad ; dans le modeste mémorial à l’autre bout du village - un drapeau de la Palestine déployé sur une parcelle de terre gorgée de sang, entourée de pierres - qui marque l’endroit où la deuxième victime des FDI cette même nuit, Mohammad Hoshiyeh, 23 ans, d’un village voisin, a été tué ; et à l’hôpital Ibn Sina de Jénine, où les médecins soignent encore un habitant de Kafr Dan de 18 ans, Ezzedine Abed, qui a été grièvement blessé cette même nuit. Et puis il y a les deux tas de décombres que les troupes israéliennes ont laissés derrière elles cette semaine - des vestiges des maisons des familles des combattants palestiniens qui ont pris part à une attaque au poste de contrôle voisin de Jalameh le 14 septembre. En face des monticules, des villageois étaient assis sur des chaises en plastique, pleurant la destruction de leurs maisons comme le font les personnes dans les tentes de deuil pour leurs morts.

L’establishment de la défense israélienne a décidé de marquer le premier jour de la nouvelle année en démolissant les maisons des familles des deux jeunes hommes, D’Abderrahman Abed et Ahmed Abed, qui ont tué le major des FDI Bar Falah lors de l’incident du barrage routier. Les deux Palestiniens, membres de l’un des clans les plus importants de leur village, ont été tués lors d’un échange de coups de feu avec les forces israéliennes, dans lequel Falah était impliqué.

Un modeste mémorial à Kafr Dan marque l’endroit où la deuxième victime des FDI cette même nuit, Mohammad Hoshiyeh, 23 ans, d’un village voisin, a été tué.

Vers 22 heures, le 1er janvier, une importante force de soldats et de gigantesques engins de terrassement a encerclé Kafr Dan et lancé une invasion, prenant position et bloquant les routes du village, ainsi que son accès depuis l’extérieur, jusqu’au lendemain matin. Les occupants des deux maisons destinées à la démolition, distantes de quelques centaines de mètres, ainsi que leurs voisins, ont été emmenés par les troupes dans une mosquée voisine. Puis ce furent les explosions. Les deux étages de la maison de la famille d’D’Abderrahman ont été démolis ; seul le deuxième étage de la maison d’Ahmed a été détruit.

Immédiatement après l’incursion de l’armée, les inévitables affrontements violents ont éclaté entre les soldats et les jeunes de la région qui tentaient en vain de défendre leur village, accompagnés de personnes des communautés voisines venues aider à la résistance. L’un de ces derniers, Mohammed Hoshiyeh, a reçu une balle dans la tête à l’entrée de Kafr Dan. D’après ce que l’on sait, il a jeté des pierres sur les soldats et a également tenté d’ériger des barrières de pierre avant d’être tué. La plupart des jeunes ont jeté des pierres et des bouteilles de peinture sur les troupes, mais certains ont tiré sur elles à balles réelles.

Tout au long du jour de l’An, Fouad Abed et son père étaient sortis travailler. Vers 18 heures, Fouad est rentré chez lui, s’est douché, a pris un repas léger et, après 21 heures, a pris la voiture familiale pour se rendre au gymnase, comme il le faisait tous les soirs. L’une des photos figurant sur les affiches de deuil placées chez lui le montre vêtu d’un T-shirt de style militaire, les résultats de son entraînement étant clairement visibles : c’était un jeune homme robuste et musclé. Sur cette même photo, on le voit tenant un pistolet, un fusil en bandoulière. (Selon son père, la photo a été prise lors d’un mariage, mais cela semble peu probable). La mère de Fouad, Noha, lui a demandé d’acheter du lait maternisé pour sa sœur de 8 mois, en rentrant de la salle de sport.

Mahmoud, 38 ans, le père, qui avait deux fils et trois filles, s’est assis cette semaine sur l’aire non pavée devant sa maison, pleurant son fils. Son visage et sa voix brisée en disaient long. Fouad a fréquenté une école locale jusqu’en seconde, puis a rejoint son père aux travaux de terrassement sur son bulldozer JCB jaune. Selon sa famille, le dernier soir de sa vie, il a essayé de rentrer de la salle de sport mais s’est heurté à des barrières érigées par les troupes israéliennes au centre du village, près du diwan, un lieu de rassemblement du clan élargi des Abed. Fouad a laissé la voiture près du diwan et a continué à pied. Il a probablement rejoint les lanceurs de pierres.

Le père endeuillé, Mahmoud Abed (à gauche).

Au deuxième étage d’une petite maison au centre du village, un soldat se cachait. En dessous de la maison se trouvaient trois véhicules de l’armée. Le soldat à l’étage a tiré des volées de balles réelles sur les jeunes qui s’étaient rassemblés dans la rue. Fouad a été touché : six balles l’ont atteint, au cou, à la poitrine et à l’estomac. Il était 22h40. Ezzedine Abed, 18 ans, qui se trouvait non loin de là, a reçu une balle dans la poitrine. La taille des trous causés par les tirs dans les murs des bâtiments adjacents, que nous avons vus cette semaine, indique que des armes lourdes ont été utilisées.

L’unité du porte-parole des FDI a fait la déclaration suivante à Haaretz cette semaine : « Le 1er  janvier 2023, lors de la démolition des maisons des terroristes de l’affrontement à côté du barrage routier de Jalameh, de violents troubles ont éclaté, avec notamment des jets de pierres, de cocktails Molotov et d’engins [explosifs], l’incendie de pneus et des tirs massifs sur les forces [israéliennes]. Les combattants des FDI ont utilisé des moyens de dispersion de la foule et ont tiré sur les individus armés qui leur avaient tiré dessus. Les circonstances de la mort des personnes tuées sont en cours de clarification ».

Il est important de rappeler que les incursions des forces militaires et la démolition des maisons de personnes innocentes constituent l’ordre normal des choses, le prétendu “bon ordre” dans les territoires, et que la résistance légitime à cet ordre constitue une perturbation de l’ordre qui doit être réprimée par tous les moyens.

Comme la plupart des villageois, les membres de la famille de Fouad se sont serrés les uns contre les autres dans leur maison pendant l’incursion de cette nuit fatidique. Plus tard dans la nuit, des informations ont commencé à apparaître sur les médias sociaux selon lesquelles l’adolescent avait été blessé et évacué. Sa famille a tenté, mais en vain, de se rendre à l’hôpital. Kafr Dan était soumis à une sorte de couvre-feu. Toutes les routes étant bloquées par l’armée, il était dangereux, voire impossible, de quitter la maison alors que la mission de démolition se poursuivait. La famille endeuillée se souvient que les soldats étaient particulièrement agressifs cette nuit-là.

Mahmoud Abed, le père de Fouad, devant sa maison.

Près de cinq heures de peur et d’inquiétude paralysantes pour Fouad se sont écoulées avant que sa famille ne puisse quitter sa maison : à 2 h 40 du matin, les parents de l’adolescent ont réussi à partir pour l’hôpital Ibn Sina, emmenant avec eux sa sœur de 12 ans, Adain, qui était si traumatisée par les événements qu’elle a presque perdu connaissance, disent-ils. L’armée les a laissés passer et ils ont filé vers Jénine.

Cependant, lorsqu’ils sont arrivés à l’hôpital, Fouad n’était plus là. Ibn Sina n’a pas de morgue. Il a été déclaré mort juste après minuit et son corps a été transporté à l’hôpital gouvernemental de Jénine, situé à proximité, à l’entrée du camp de réfugiés de la ville. Ayant déjà appris en chemin que leur proche était mort, la famille s’est rendue directement à la morgue pour voir le corps.

« Il a essayé de rentrer à la maison mais il n’y est pas arrivé », raconte aujourd’hui son père. « Disons qu’il a jeté des pierres - six balles dans son corps ? ». Il nous montre le téléphone portable de Fouad, taché de son sang et avec un billet de 20 shekels glissé dans l’étui.

Un nouveau jour s’est levé en même temps que la nouvelle année à Kafr Dan. Abdulkarim Sadi, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, est arrivé dans le village un peu après 8 heures du matin pour documenter ce qui s’était passé pendant la nuit, et a été surpris de voir que les véhicules et les troupes de l’armée étaient toujours là. Sadi s’est empressé de trouver un abri dans une maison voisine. Les unités balistiques de l’armée avaient fait exploser la maison d’Ahmed Abed à 4h30 du matin, et vers 8 heures, elles avaient dynamité la maison d’Abderrahman. Les troupes se sont finalement retirées vers 10 heures du matin.

La maison des Abed

Au début de la semaine, Ezzedine Abed, qui souffre d’une grave blessure à la poitrine, a été transféré des soins intensifs d’Ibn Sina, où il se trouvait depuis qu’il a été abattu, à un service ordinaire pour y poursuivre son traitement.

Lorsque nous arrivons à la maison démolie d’Abderrahman Abed, deux jeunes hommes sont assis à proximité, regardant les ruines. Il s’agit de Mustafa, le frère d’Abderrahman, et de Wahal, son neveu. La maison semble être couchée sur le ventre. Des drapeaux de la Palestine et d’organisations impliquées dans la lutte palestinienne sont éparpillés parmi les décombres. Sur le plafond en béton qui s’est effondré, quelqu’un a dessiné une étoile de David à côté d’une croix gammée et écrit, en arabe “nazisme du siècle”. Les rubans rouges et blancs de la police israélienne gisent sur le sol à proximité.

Huit âmes avaient vécu dans cette maison, en plus d’Abderrahman, et certainement aucune d’entre elles n’avait de lien avec ce qu’il a fait. Son grand-père, Subkhi, âgé de 85 ans, et sa grand-mère, Shawkiya, 78 ans, vivaient également avec les frères et sœurs et les parents d’Abderrahman. Le couple âgé a maintenant déménagé dans un appartement loué à Kafr Dan.

Non loin de la maison rasée se trouve ce qui reste du deuxième étage de la maison d’Ahmed Abed, qui s’est effondré sur le premier étage et a causé davantage de destruction. Quelques femmes sont assises en face des décombres, regardant en silence les dégâts.

 

 

GIDEON LEVY
Une prise de contrôle hostile d'une institution hostile

Gideon Levy, Haaretz, 14/1/2023
Traduit par 
Fausto Giudice, Tlaxcala

Le nouveau ministre israélien de la Justice, Yariv Levin (Likoud), avec l'appui du Premier ministre, procède à une prise de contrôle hostile de la Cour suprême. Le tollé que cela a provoqué est compréhensible, mais il ne tient pas compte du fait que la tentative de prise de contrôle vise une institution hostile à la démocratie. Oui, je le pense vraiment. La Cour suprême, dont la tentative de prise de contrôle a semé une telle panique chez tous les amoureux de la démocratie, a joué un rôle décisif dans la destruction de la démocratie israélienne.

La juge en chef Esther Hayut et ses collègues juges de la Cour suprême israélienne à la Haute Cour à Jérusalem au début du mois. Photo : RONEN ZVULUN/ REUTERS

Cette bataille pathétique sur le caractère de la démocratie israélienne, une démocratie destinée uniquement aux privilégiés, est la blague de l'année. C'est une tempête dans une tasse de thé de l'apartheid : Notre démocratie-pour-les-juifs-seulement est en danger. Sauvez-la ! Tout le pathos et toutes les pièces d'artillerie ont été sortis pour sauver cette fausse démocratie.

Il est vrai que Yariv Levin, avec le soutien de Benjamin Netanyahou, menace de subordonner le pouvoir judiciaire du gouvernement au pouvoir législatif et de transformer Israël en un État unitaire, avec un seul pouvoir. Évidemment, ce n'est pas une démocratie. Mais ce n'est pas non plus une démocratie lorsque 5 millions de personnes vivent sous ses auspices, sans citoyenneté et sans droits, avec l'approbation de la Haute Cour de justice - c'est-à-dire la Cour suprême siégeant en tant que cour constitutionnelle. Par conséquent, l'hystérie qui a éclaté au sujet de l'atteinte prévue à la Cour suprême est bizarre et même scandaleuse.

Maintenant plus que jamais, au moment le plus difficile, nous ne devons pas oublier la collaboration honteuse de la Cour suprême avec l'occupation. Il ne s'agit pas d'une question de schadenfreude [joie maligne]. Par son soutien à l'occupation, la Cour a semé les graines empoisonnées dont nous récoltons les fruits aujourd'hui. Si elle avait refusé de légitimer l'occupation à l'époque où elle avait le pouvoir de le faire, il n'y aurait pas d'Itamar Ben-Gvir, il n'y aurait pas de colonies et il n'y aurait peut-être même pas d'occupation.

Maintenant plus que jamais, au moment le plus difficile, nous sommes obligés de nous rappeler qu'il s'agit d'une institution qui n'a pas protégé Israël contre l'occupation, et qu'il n'y a donc aucune raison pour que nous la protégions aujourd'hui, comme si le moindre mal qui lui serait fait mettrait fin à notre démocratie inexistante. Israël n'est plus une démocratie. Il est impossible de le considérer comme une démocratie à l'exception de l'occupation : l'occupation est devenue une partie inséparable de l'État, qui définit son système de gouvernement maléfique ; l'apartheid avec l'approbation de la Haute Cour.

Qu'a fait la Haute Cour pour protéger la démocratie contre l'occupation ? Presque rien. Qu'aurait-elle pu faire ? Presque tout. Si elle n'avait pas légitimé les crimes de l'occupation dès le début, approuvé presque tout ce que l'establishment de la défense faisait, fermé les yeux et fait taire sa voix, Israël aurait été différent. La présidente de la Cour suprême Esther Hayut, et plus encore ses prédécesseurs, auraient dû prononcer depuis longtemps un discours retentissant - contre les crimes de l'occupation.

Parce que le peuple palestinien, qui vit sous l'occupation, n'a reçu aucun secours de cette cour, celle-ci a trahi sa confiance. Une cour qui n'a jamais pris de position de principe contre la légalité des colonies ; qui a approuvé les détentions administratives, c'est-à-dire la détention sans procès ; qui a attendu des années avant d'accepter gracieusement de prendre position contre la torture ; qui a approuvé les déportations massives, comme celle de 400 membres du Hamas en 1992, et les démolitions de maisons ; et qui a tourné le dos au droit international est une cour qui a saboté la démocratie.

En fait, ce sont les droitiers et les colons qui devraient être reconnaissants à cette cour d'avoir légitimé l'occupation pour eux. La gauche aurait dû s'y opposer depuis longtemps.

Subordonner le pouvoir judiciaire au pouvoir législatif, et donc effectivement au pouvoir exécutif, est évidemment antidémocratique. Mais c'est exactement ce qui s'est passé avec l'occupation. La Cour suprême a fonctionné davantage comme un tribunal militaire que comme un gardien. Elle était le serviteur obéissant du pouvoir exécutif. Il est impossible de chanter ses louanges aujourd'hui et de déplorer le fait qu'elle soit affaiblie.

Un grand danger guette désormais les droits civils, la liberté d'expression et d'autres libertés en Israël. Par exemple, nous nous retrouverons rapidement avec une Knesset réservée aux Juifs, et ce ne sera que le début.

Le danger est grand et très grave, mais l'un des péchés originels dont Israël récolte aujourd'hui les fruits a été la légitimation généralisée de l'occupation par le système judiciaire. C'est là que tout a commencé. Ce qui a suivi était inévitable.

 

 

14/01/2023

MORAN SHARIR
Le journaliste Israel Frey : « Si j’étais palestinien, j’aurais été arrêté et on m’aurait fait disparaître »

Moran Sharir, Haaretz, 13/1 /2023
Traduit par 
Fausto Giudice, Tlaxcala

Il a été arrêté pour ne pas s’être présenté à un interrogatoire de police à la suite d’un tweet qu’il avait posté. La droite israélienne l’a catalogué comme un ennemi de l’État, pour d’autres, il est le héros du jour. Qui est le journaliste ultra-orthodoxe juif Israel Frey ? Qu’est-ce qui le motive et pourquoi ne regrette-t-il pas ses actes malgré le prix élevé qu’il paie ?

 

Israel Frey. « Comment ces franges ésotériques sont-elles devenues celles qui gèrent tous nos systèmes de vie ? Par une seule chose : la haine des Arabes, le racisme, le fascisme - dont les fondations sont posées dans les territoires ». Photo Ilya Melnikov

Israel Frey attend devant une shul [synagogue] au nord de Tel Aviv. La rue tranquille exhale un parfum de laïcité israélienne : vieilles maisons dans le quartier de Ramat Hahayal, villas dans le quartier huppé de Tzahala, bureaux de haute technologie et de communication dans le complexe de Kiryat Atidim ; tours d’habitation dans le quartier autrefois pauvre, aujourd’hui embourgeoisé, de Neve Sharett.

Au milieu de tout cela se niche une petite île ultra-orthodoxe, ou haredi. Des maisons basses d’une teinte rosée, des synagogues, des affiches mettant en garde contre les dangers d’Internet. Dans les rues voisines, les gens promènent leurs chiens ; ici, ils marchent avec des sacs à phylactères en velours. La tradition a préservé le caractère de ce micro-quartier comme dans du formol.

Israel Frey a grandi ici avec trois frères et sœurs dans une famille affiliée à la secte hassidique Gur. Non loin de la shul, il y a une petite allée qui porte le nom de son grand-père, le rabbin Yehuda Meir Abramovicz, qui a été maire adjoint de Tel Aviv et membre de la Knesset pour le parti Agudat Israel. Frey vit aujourd’hui à la frontière entre Ramat Gan et Bnei Brak, une ville majoritairement haredi, mais il vient prier dans cette shul qu’il connaît depuis son enfance.

En ce jour particulier de mi-décembre, il était toujours recherché pour un interrogatoire de police à la suite d’un tweet qu’il avait posté deux mois plus tôt. Frey avait fait l’éloge de Mohammed Minawi, originaire de Naplouse, qui avait éveillé les soupçons de la police et avait été arrêté par celle-ci à Jaffa alors qu’il allait commettre un attentat à Tel Aviv. Selon les rapports de l’époque, Minawi - porteur d’un engin explosif et d’une arme improvisée - avait pour objectif de tuer des soldats israéliens mais pas de blesser des civils.Haut du formulaire

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« Regardez quel héros il est », a gazouillé Frey dans son désormais célèbre message. « Il a fait tout le chemin de Naplouse à Tel Aviv, et même si tous les Israéliens qui l’entourent participent d’une manière ou d’une autre à l’oppression, à l’écrasement et au meurtre de son peuple - il a quand même cherché des cibles légitimes et a évité de blesser des innocents. Dans un monde juste, il aurait reçu une médaille ».

Ce tweet a finalement conduit Frey à être licencié de son poste de journaliste sur la chaîne internet DemocraTV (le prétexte exact de son licenciement est contesté ; nous y reviendrons plus tard). En outre, il a fait de lui une personne recherchée par la police, et à la fois la cible d’une aversion généralisée dans le pays et un symbole de courage et de liberté d’expression aux yeux des autres.

Le fait que Frey ait été convoqué pour être interrogé au sujet d’un tweet politique moins d’un mois après les élections du 1er  novembre a conduit à la conclusion logique qu’il s’agissait simplement de l’ouverture de la persécution des journalistes et de la réduction au silence des opinions de gauche. Il est vrai que le tweet de Frey était très inhabituel, puisqu’il apportait essentiellement un soutien implicite au meurtre de soldats en plein cœur de Tel Aviv. Fin décembre, il a été placé en garde à vue par la police pour avoir refusé de se présenter à un interrogatoire, après avoir été accusé d’incitation présumée au terrorisme et à la violence.

L’histoire de Frey est inquiétante et suscite de réelles craintes quant à la politique de répression du nouveau gouvernement de droite dure. Immédiatement après l’arrestation de Frey, Rogel Alpher, chroniqueur au Haaretz et critique de télévision, a établi un parallèle entre cette arrestation et celle des opposants au régime en Russie ; Anat Kamm a averti dans sa chronique que « demain, cela pourrait être chacun d’entre nous ».

Frey, qui aura 36 ans le mois prochain, a attiré beaucoup d’attention. Il est impossible de l’ignorer, mais il est facile de le considérer comme une sorte d’anomalie. Avec ses opinions de gauche que le courant dominant en Israël ne peut tolérer, Frey, barbu et portant la kippa, est perçu par beaucoup comme "farfelu", "hors norme", "bizarre", "extraterrestre" et autres termes péjoratifs. Certains affirment, à tort, qu’il appartient à la secte hassidique antisioniste Satmar ou au groupe Neturei Karta, qui ne reconnaît pas l’État d’Israël. D’autres le considèrent comme faisant partie d’un nouveau courant de jeunes haredim de gauche. La vérité est que Frey est un homme-orchestre, totalement individualiste au sein d’une communauté hassidique homogène qui ne sait pas quoi faire de lui.

Ses papillotes sont repliées derrière ses oreilles et il porte des lunettes à monture moderne. C’est une personne calme et affable qui ne semble pas s’énerver ; il est poli et parle avec raison. Il aime s’exprimer, mais il est manifestement stressé par l’exposition qu’il reçoit dans ce journal et ailleurs.

Le tweet qui a fait que Frey a été convoqué pour un interrogatoire : « Regardez quel héros il est. Il a fait tout le chemin de Naplouse à Tel Aviv, et même si tous les Israéliens qui l’entourent participent d’une manière ou d’une autre à l’oppression, à l’écrasement et au meurtre de son peuple - il a quand même cherché des cibles légitimes et a évité de blesser des innocents. Dans un monde juste, il aurait reçu une médaille ».

« Je suis très vigilant à propos de ma vie privée », dit Frey, tout en conduisant et en fumant une cigarette électronique, une jambe rebondissant nerveusement.

« Pour tous ceux qui me voient de l’extérieur, il semble que j’aime vraiment être l’histoire », note-t-il. « Je me distingue parce que je suis un Haredi et que je me retrouve de temps en temps dans des tempêtes comme celle-ci. J’essaie vraiment de ne pas être l’histoire. Je veux faire passer mes idées. C’est terriblement intéressant de faire de moi une curiosité. Pas dans le sens négatif, mais pour être le journaliste courageux, courageux, courageux, courageux, courageux et toute cette merde ».

Frey se gare au cœur du quartier aisé de Tzahala, qui était autrefois principalement habité par d’anciens officiers des Forces de défense israéliennes et qui est aujourd’hui caractérisé par des hôtels particuliers. Le café est bondé à l’heure du midi. Le menu n’est pas casher, la clientèle est très clairement laïque. Frey hésite, il n’est pas sûr de se sentir à l’aise ici. Il propose de s’asseoir pour l’instant et commande un grand cappuccino. Quand il arrive, il n’oublie pas de réciter la bénédiction appropriée.

Pourquoi refuses-tu de te présenter pour un interrogatoire ?

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« Parce qu’ils n’ont aucune raison de me convoquer. J’ai écrit un tweet, j’ai exprimé une idée très simple, très légitime, très importante. Dans le nouveau climat, qui devient de plus en plus fasciste, les gens pensent qu’il est normal de convoquer [d’autres personnes] pour les interroger parce qu’elles ont exprimé une opinion qui, en fin de compte, est une simple perception de la réalité ici. Quiconque n’accepte pas qu’il y ait une différence entre attaquer des innocents et attaquer des soldats ne veut pas parler du fait qu’il y a un conflit ici. Sans parler de la base des faits : que nous vivons dans un endroit où un côté est plus haut et un autre côté est plus bas. Que veulent-ils de ma vie ? C’est vous tous qui êtes le problème - je ne suis pas le problème ».

Est-ce qu’ils continuent à te convoquer ?

« Hier matin, le policier m’a encore appelé et m’a dit... » - au milieu de la phrase, le smartphone de Frey sonne. C’est un numéro non identifié. Frey : « C’est peut-être eux. Bonjour. Oui. Salutations ».

Il y a une lutte de personnes sous oppression active contre un oppresseur. Cela doit faire partie de notre définition, c’est ce que je veux exprimer. Il y a une différence entre blesser des innocents et blesser des soldats en uniforme.

Israel Frey

La voix à l’autre bout de la ligne : « Je t’ ai convoqué pour un interrogatoire le 19 à 9 heures à la station Lev de Tel Aviv ».

« Ok ».

12/01/2023

Un gisement géant de terres rares découvert à Kiruna, dans le nord de la Suède

TT, 12/1/2023
Traduit par 
Fausto Giudice, Tlaxcala

Jan Moström, PDG du géant minier public suédois LKAB, est très heureux lorsqu'il parle des métaux de terres rares qui se cachent sous terre à Kiruna. Ces métaux sont très chauds, car ils sont absolument essentiels à la fabrication d'objets tels que les batteries et les moteurs électriques. À Kiruna, c'est la zone Per Geijer qui est appelée à devenir le prochain site minier de LKAB.

Il s'agit du plus grand gisement connu d'Europe. La découverte à Norra kärr sur le lac Vättern est importante, mais celle-ci est plus grande.

Il dit qu'il était au courant du gisement depuis presque deux ans, mais pas de son volume.

Jan Moström, PDG de LKAB, et Ebba Busch (Chr2tiens-Démocrates), ministre de l'Énergie et des Entreprises, lors d'une conférence de presse à LKAB à Kiruna. LKAB a fait la plus grande découverte de terres rares en Europe. Un million de tonnes pourraient être extraites près de Kiruna. Photo Jonas Ekströmer/TT

Le minerai de fer de la zone Per Geijer, à Kiruna, contient des quantités inhabituellement abondantes de terres rares. Moström dit que la teneur totale de la découverte est de 0,18 %. Cela peut sembler dérisoire, mais il explique que les niveaux de ces métaux sont généralement comptés en ppm, c'est-à-dire en parties par million, et que le fait que la découverte concerne maintenant des pourcentages est de toute façon important.

Un million de tonnes

LKAB estime maintenant qu'il y a environ un million de tonnes de métaux de terres rares dans la partie de Per Geijer qui a été explorée jusqu'à présent. Mais cela pourrait être plus que cela, l'enquête se poursuivant.

« La découverte n'est pas délimitée. Nous n'en avons étudié qu'une petite partie », déclare Moström.

LKAB a déjà parlé de découvertes de terres rares et de phosphore, mais ce qui est nouveau maintenant, ce sont les quantités. L'annonce de jeudi aura pour effet supplémentaire que l'ensemble des dirigeants de l'UE, y compris les correspondants de l'UE, seront à Kiruna pour marquer le début de la présidence suédoise du Conseil des ministres de l'UE.

Pour l'UE, c'est une grande nouvelle, déclare Jan Moström, car il n'y a pas d'extraction de ces substances rares en Europe.

Les terres rares sont absolument nécessaires pour passer de l'énergie fossile à l'électricité, explique-t-il. On les trouve dans tout, des batteries aux éoliennes. Mais en l'état actuel des choses, les métaux nécessaires viennent de Chine.

Aujourd'hui, il y a un problème d'approvisionnement, mais l'offre doit maintenant augmenter. La Chine est absolument dominante, tant pour l'extraction que pour le raffinage.

Les intérêts nationaux peuvent être perturbés

Mais c'est une chose de trouver le métal lui-même, une autre de l'extraire du sol et de le traiter. LKAB souhaite développer sa découverte, mais estime qu'il faudra 10 à 15 ans avant que l'exploitation minière puisse avoir lieu. Tout d'abord, il s'agit d'obtenir les permis nécessaires.

 « C'est un défi. Un certain nombre d'intérêts nationaux pourraient être perturbés, comme l'élevage des rennes, Natura 2000 et l'impact environnemental », explique Moström.

TT : Voulez-vous utiliser l'UE comme un “levier” pour le processus d'autorisation ?

« Nous voulons expliquer à quoi ressemble le monde », dit-il, en soulignant la dépendance vis-à-vis de la Chine et l'augmentation des besoins à l'avenir, et en rappelant que l'UE consomme 30 % des métaux extraits, mais ne représente que 3 % de l'extraction minière.

« Bonne nouvelle »

L'un des principaux avantages de cette nouvelle découverte est que les métaux sont situés dans la zone où LKAB souhaite exploiter le minerai de fer, explique-t-il. Cela signifie qu'aucune infrastructure spéciale n'est nécessaire pour les terres rares. Mais la question de savoir s'il y aura une exploitation minière dépend de deux choses, selon Jan Moström.

Le marché, le niveau des prix et le déroulement des procédures d'autorisation, dit-il.

La ministre de l'Énergie et des Entreprises Ebba Busch (Chrétiens-Démocrates) ne veut pas faire d'évaluation maintenant sur la façon dont le processus va se dérouler.

« Mais c'est une nouvelle formidable et gratifiante, et elle a le potentiel pour devenir un élément absolument crucial de la transition écologique », déclare Busch sur le site de Kiruna.

« Avec cet exemple, nous mettons la Suède sur la scène. Nous montrons que la Suède peut vraiment être un leader mondial et montrer la voie à l'ensemble de l'UE pour combiner des objectifs climatiques élevés avec la croissance économique », déclare Busch.

Comment l'UE peut réduire les importations de métaux rares

TT, 12/1/2023

Peter Åkerhammar, enquêteur au Service géologique suédois (SGU), explique que plusieurs types de terres rares ont été découverts en Suède.

Ils ont été trouvés dans une mine à Ytterby sur l’île Resarö dans l'archipel de Stockholm, dit-il.

Certains d'entre eux ont reçu des noms qui rappellent le lieu où ils ont été découverts : ytterbium, yttrium et holmium.

Les métaux eux-mêmes ne sont pas si inhabituels. Ils sont appelés terres rares parce qu'ils sont présents dans des minéraux relativement rares.

Plusieurs endroits en Suède

On les trouve dans plusieurs endroits en Suède. Le plus notable jusqu'à présent est le gisement de Norra Kärr dans la région de Gränna, où l'on s'oppose à l'exploitation minière. Mais Peter Åkerhammar affirme qu'on en trouve aussi à Bergslagen, et surtout dans les anciennes mines comme Grängesberg. En dehors de la Suède, le plus grand gisement connu se trouve au Groenland.

On les trouve également à Kiruna, dans le type de minerai de fer qui s’y trouve. Le potentiel est considérable en Suède, dit-il, expliquant que LKAB a étudié la manière dont les métaux peuvent être récupérés à partir des scories.

Mais ils ne sont exploités nulle part en Europe.

La Chine est le grand producteur. Mais la Chine n'est plus aussi dominante qu'avant ; une partie de l'exploitation minière se fait également aux USA et en Australie. Mais plus on descend dans la chaîne de transformation, plus la Chine domine.

Super important pour l'électrification

Les terres rares ont pris une importance croissante ces dernières années dans le contexte de l'électrification, dit-il. Ils sont utilisés dans les moteurs et générateurs électriques, dans les éoliennes et dans les batteries.

Il explique qu'il y a deux groupes, ceux qui ont un poids plus faible et ceux qui sont plus lourds.

Ces métaux ont des propriétés similaires, mais ils ne sont pas totalement interchangeables. Il n'existe par exemple actuellement aucun substitut pour le néodyme, qui est utilisé dans les aimants permanents, déclare Peter Åkerhammar.

 

 

GIDEON LEVY
Chaleur et courage dans le camp de réfugiés de Jénine

Gideon Levy, Haaretz, 12/1/2023
Traduit par 
Fausto Giudice, Tlaxcala

Dans le camp de réfugiés de Jénine, j’ai vu beaucoup de belles choses. Pas des livres de poésie de Rachel ou de Natan Alterman, comme le narrateur d’une chanson de Naomi Shemer a un jour décrit ce qu’il avait trouvé dans les avant-postes de l’armée israélienne dans le Sinaï, mais un camp courageux, déterminé, bien organisé, imprégné d’une combativité peut-être sans équivalent dans l’histoire.

Un café à Jénine. Photo : Nir Kafri

Quatre ans s’étaient écoulés depuis ma dernière visite. Depuis un an, les Forces de défense israéliennes n’ont pas osé envahir le camp lui-même, mais seulement sa périphérie. Depuis des années, l’Autorité palestinienne n’a pas pu y pénétrer. Aucun journaliste israélien, à l’exception d’Amira Hass, ne s’y est rendu ou n’y a été bienvenu, après toutes les déceptions que les reporters israéliens ont infligées aux résidents du camp.

Mais cette semaine, j’y suis retourné avec le photographe Alex Levac. Ce fut une visite très ompressionnante - personnelle, émouvante, mais aussi instructive.

La ville de Jénine a vu 60 de ses habitants tués au cours de la seule année dernière. Parmi eux, 38 étaient des résidents du camp, l’endroit qui ressemble le plus à la bande de Gaza, tant par son esprit que par sa souffrance ; on retrouve la même chaleur humaine et le même courage dans ce camp de Jénine.

La troisième section du cimetière des martyrs est déjà pleine, et il faut trouver une autre section pour les victimes à venir. Si les forces de défense israéliennes envahissent le camp, disent les gens ici, il y aura un massacre. Ils le disent sans une once de peur ou de vantardise.

Le propriétaire du restaurant de houmous à l’entrée du camp a subi un pontage depuis ma dernière visite. La femme du principal responsable du Hamas dans le camp, qui est emprisonnée en Israël, est devenue aveugle. Un hôpital moderne s’est ouvert près du camp et Jamal Zubeidi, le plus courageux et le plus noble de tous, a perdu son fils Naeem et son gendre Daoud l’année dernière. Daoud était à la fois le frère et le neveu de Zakaria Zubeidi.

Nous avons visité le camp le 40e  jour du deuil de Naeem. Jamal était assis seul dans une pièce recevant des invités, à l’endroit même où les FDI ont déjà démoli sa maison à deux reprises, entouré de photos et de posters des six membres de sa famille tués. Une délégation de la secte juive Neturei Karta, en visite à Jénine, s’est également rendue sur place pour présenter ses condoléances, mais des hommes armés du camp les ont fait fuir en tirant des coups de feu.

Le plus jeune fils de Jamal, Hamoudi, que nous avions rencontré pour la première fois alors qu’il était un jeune enfant espiègle, est maintenant l’homme le plus recherché par Israël dans le camp ; il est membre du Jihad islamique. Les enfants des hommes qui ont combattu pour le Front populaire de libération de la Palestine, laïque, combattent maintenant pour le Jihad islamique, l’organisation la plus puissante du camp. Et c’est toute l’histoire en un mot.

Les hommes armés ont un numéro secret sur leur téléphone portable qu’ils appellent dès que quelqu’un voit les forces de l’armée israélienne se diriger vers la ville ou le camp de réfugiés. Ce numéro de téléphone déclenche automatiquement une alarme dans tout le camp. Cela se produit généralement la nuit. Tout le camp est réveillé, et des dizaines d’hommes armés quittent leurs maisons et se dirigent rapidement vers les entrées du camp et de la ville. C’est ainsi que 38 résidents du camp ont été tués.

Les distinctions entre les différentes organisations militantes sont floues ici ; elles coopèrent entre elles plus que partout ailleurs en Cisjordanie et à Gaza. Des filets de camouflage couvrent certaines des allées pour empêcher les drones des FDI de surveiller ce qui se passe.

Un jeune homme a sorti une photographie aérienne du camp qui a très probablement été laissée par des soldats dans la ville, bien que, selon la légende locale, elle ait été volée dans la poche d’un soldat. La photo a été prise pendant la Coupe du monde, et les FDI ont étiqueté certaines des allées du camp avec les noms des pays qui y participaient - Allée du Portugal, Allée de la France et Allée du Brésil. Une maison sur la photo était étiquetée “habira” ; les jeunes hommes pensaient qu’il s’agissait de la maison d’un “ami” (“haver” en hébreu, qui dérive de la même racine hébraïque) - en d’autres termes, d’un collaborateur.

La voiture la plus populaire dans le camp est le SUV hybride C-HR de Toyota. Nous en avons vu plusieurs rouler dans les allées. Ils ont été volés à Israël, presque neufs. Après tout ce qu’Israël a volé aux Palestiniens, des vestiges de leurs terres aux vestiges de leur honneur, il y a une justice poétique dans ces Toyota volées dont les jeunes hommes sont si fiers.

Il n’y a pas un foyer ici qui n’ait pas souffert d’un deuil, pas une famille qui n’ait pas eu un membre handicapé à vie ou emprisonné. Aux entrées du camp, les jeunes hommes ont érigé des barricades en fer bleu “comme en Ukraine”. Ce n’est pas encore l’Ukraine, mais le camp de réfugiés de Jénine pourrait bien devenir un jour, peut-être très bientôt, une nouvelle version de la ville ukrainienne de Boutcha. Aucun Israélien ne devrait s’en réjouir.

 

11/01/2023

GIDEON LEVY
Pour la première fois en 40 ans, Karim Younis est vraiment libre

Gideon Levy, Haaretz, 8/1/2023
Traduit par 
Fausto Giudice, Tlaxcala

Bienvenue, Karim Younis, ahlan wa sahlan. J’étais si heureux de ta libération de prison, comme toute personne décente qui a vu le moment où tu es rentré chez toi après 40 ans. Les embrassades des hommes, les youyous des femmes et le visage impassible de l’homme de 66 ans qui a été incarcéré pendant la majeure partie de sa vie. C’était probablement la première fois que quelqu’un embrassait Younis en 40 ans ; c’était la première fois qu’il était libre. Comment ne pas être ému par cela ?

Karim Younis après sa libération de la prison israélienne. Photo : Fadi Amun

Younis a été condamné à la prison à vie pour avoir participé au meurtre d’Avi Bromberg, un soldat israélien. Très peu de condamnés restent en prison pendant 40 ans pour un seul chef d’accusation de meurtre ; 40 ans est une peine inhumaine et disproportionnée pour presque tout. Même Yigal Amir, le meurtrier d’Yitzhak Rabin, ne le mérite pas. Parce que Younis est un citoyen israélien, l’État a été plus cruel envers lui qu’envers les prisonniers des territoires, et bien sûr qu’envers les Juifs.

Même lors de sa libération, il a été traité de manière honteuse. Il a été déposé à un arrêt de bus à Ra’anana, après 40 ans, de peur qu’ils ne se réjouissent à Wadi Ara. Au moins, il n’a pas été jeté dans une décharge. Au pays de la pirouette, le ministre de la Défense s’est précipité à la prison de Nafha afin de « s’assurer qu’une personne qui a assassiné des Juifs ne bénéficie pas d’un traitement favorable ». O, Itamar Ben-Gvir : Tous les prisonniers palestiniens ne sont pas des meurtriers, et même les meurtriers méritent des conditions bien meilleures que celles accordées aux prisonniers de sécurité. Quarante ans sans une permission, un appel téléphonique, une visite conjugale ? Tel est le visage du mal.

Des voix stridentes à droite ont appelé à son expulsion ; même une journaliste aussi respectée et modérée que Tal Schneider a écrit : « C’est une honte de voir la joie avec laquelle un meurtrier est accueilli... un tel comportement est nauséabond». C’est sa réaction qui est nauséabonde. Dans un pays où des soldats tuent presque quotidiennement des adolescents et des adultes, dont certains sont innocents et presque tous inutilement, c’est en fait la réaction diabolique des Israéliens qui provoque la nausée. Les Israéliens palestiniens sont autorisés à considérer Younis comme un héros, et plus encore, ils sont autorisés à se réjouir de sa libération après 40 ans. C’est répugnant ? Jusqu’où iront la haine des Arabes et les doubles standards moraux dans une société qui sanctifie chaque soldat et chaque crime de guerre ?

J’ai rencontré Younis en 2011, à la prison de Shatta, dans le bureau du commandant de la prison, dont le mur était orné d’une photo du rabbin des Loubavitch [Menahem Schneerson, NdT]. Younis me paraissait “légèrement courbé, dur et enragé”. Cela faisait alors plus de vingt ans qu’il était en prison. « Ils ont assassiné mon espoir », m’a-t-il dit. « Que peut penser un prisonnier si sept ans de pourparlers de paix n’ont pas abouti à sa libération, alors qu’un seul enlèvement par le Hezbollah y parvient ? Israël ne comprend que la force ». Il y a dix ans, sa mère, Subhiya, alors âgée de 78 ans, l’attendait toujours. Jeudi, il s’est rendu sur sa tombe. Lorsqu’elle lui a rendu visite une fois, les gardiens de la prison ont refusé de la laisser entrer dans son fauteuil roulant. Quand elle a fondu en larmes, un garde lui a dit : « Pleure, pleure. La mère de Gilad Shalit pleure tous les jours ».

Quand les Israéliens commenceront-ils à réaliser que ces personnes sont des soldats courageux dans une lutte de libération nationale, non seulement aux yeux de leurs compatriotes, mais aux yeux de toute personne objective ? Quand un sentiment humain s’allumera-t-il à leur égard ?

Le nouveau prisonnier de sécurité le plus ancien, Walid Dakka, est resté en arrière. En 1984, il a été condamné à la prison à vie, qui a été commuée en 37 ans. Il y a vingt ans, il écrivait : « Je vous écris depuis une époque parallèle. Un des jeunes hommes de l’Intifada m’a dit que beaucoup de choses ont changé à votre époque. Les téléphones n’ont plus de cadran et les pneus n’ont plus de chambre à air ». En 2014, les habitants de Baka al-Garbiyeh se sont préparés à sa libération ; son frère As’ad a acheté 200 ballons lumineux. Sa libération a été annulée à la dernière minute.

« J’aurais pu continuer ma vie comme peintre en bâtiment ou comme pompiste dans une station-service. J’aurais pu acheter un camion. Mais j’ai vu les horreurs de la guerre du Liban et le massacre de Sabra et Chatila et cela m’a choqué. Sombrer dans l’apathie face à de telles horreurs est la mesure de la capitulation », a-t-il écrit. Quand comprendrons-nous cela ?