Este libro del tunecino Aziz Krichen
muestra, por fin, un político que sabe escribir, que sabe de economía y de
historia, y te deja las cosas claras! El texto que sigue debiese formar parte
del cursus de las Facultades de Economía y/o de Historia. Nos ayuda a
comprender la génesis de nuestro propio drama. Accesible a cualquier lector
interesado en saber cómo deciden de nuestra suerte en los areópagos de
Washington. ¡Que aproveche!
Aziz Krichen Un mundo se muere, otro se levanta El trastorno del imperio yanqui
(1970-2010)
Traducción colectiva revisada por Luis Casado y
editada por Fausto Giudice
Ediciones The
Glocal Workshop/El Taller Glocal, octubre de 2024 Colección Tezcatlipoca N°6 148 páginas,
Formato A5 Clasificación Dewey: 320 – 330 -900
Rouler dans
la rue, c’est ce que je ressentais, comme si mes pieds étaient devant moi et
que mon corps les rattrapait. Parfois, je restais comme ça un moment, je
faisais une pause pour retrouver un équilibre que je me sentais sur le point de
perdre, puis je me remettais à marcher de plus en plus lentement, malgré moi,
comme une vieille femme seule et désemparée qui porte un poids trop lourd pour
elle.
Beyrouth ces
derniers jours. Photo Diego Barra Sanchez/The New
York Times/Redux/Laif
Il fallait
que je sorte. Je suis allée à la banque, j’ai récupéré l’« argent de poche»
mensuel de mon dépôt qui avait été bloqué pendant six ans. Puis j’ai marché
comme une vagabonde, comme une machine en ruine, comme le van numéro 4 qui,
malgré toutes les destructions, circule encore de la banlieue dévastée qui m’a
amenée ici, jusqu’à la rue Hamra.
Je marche en
me persuadant que je suis en train de visiter l’endroit et non pas d’errer,
sans savoir quoi faire. C’est comme si mes intestins flottaient dans mon
ventre, aussi erratiquement que le font les astronautes sur la lune à cause de
l’apesanteur.
Près du
journal As-Safir, qui était à son apogée quand Israël est entré dans Beyrouth
en 1982, et dont les employés se tenaient devant sa porte pour empêcher les
soldats d’entrer, divers réfugiés de nos patries arabes sinistrées et des
déplacés des lieux bombardés, que ce soit les banlieues, le sud, la Bekaa ou
même Beyrouth, après qu’Israël a bombardé avant-hier un de ses immeubles
résidentiels et assassiné trois dirigeants palestiniens, dont l’un était une de
mes connaissances.
Irakiens,
Syriens, Soudanais, et Égyptiens, ainsi que les pauvres d’Éthiopie, des
Philippines ou du Bangladesh.
Près d’un
rassemblement de personnes déplacées, un petit magasin express s’active pour
répondre à leurs besoins, et au coin de la rue, je m’attarde devant une petite
librairie qui a ouvert ses portes pour je ne sais quelle raison. Je lis les
titres des livres proposés, essayant de trouver quelque chose pour me distraire
de la tristesse indescriptible qui m’étreint. Comment échapper à la tristesse
qui vous habite ?
Une femme d’une
cinquantaine d’années, vêtue de noir, comme si elle était en deuil, sort de l’intérieur,
une cigarette allumée à la main, pour me demander si j’ai besoin d’aide. Son
visage est fatigué, comme si elle n’avait pas dormi depuis des jours. Elle me
demande, mais elle me regarde un instant, et puis c’est comme si elle me
reconnaissait de quelque part. Elle pose sa cigarette allumée sur le bord du
cendrier, puis tend la main avec empressement pour me serrer la main en se
présentant par son nom complet, comme si j’étais une vieille amie qu’elle avait
enfin rencontrée. Je maudis ma mémoire défaillante tout en essayant de sourire
pour camoufler mon ignorance de la personne à qui je parlais. Mais une chaleur
émanait de ces yeux, et de ses paumes qui se resserraient autour de ma main.
J’ai regardé
ses yeux rougis d’avoir tant pleuré, et elle a regardé à son tour mes yeux
gonflés, et nous n’avons pas pu nous empêcher de pleurer ensemble,
silencieusement et sans bruit.
Nous étions
des étrangères, mais ce que nous pleurions était la même chose. Me voilà enfin
en train de pleurer. J’ai laissé mes larmes, retenues par la colère et une
douleur unique, couler tranquillement comme si elles avaient enfin trouvé un
endroit sûr pour se déverser sans provoquer la jubilation de qui que ce soit.
Elle a
pleuré, j’ai pleuré. Sans un mot. Nous nous sommes assises sur un divan coincé
entre les nombreux livres poussiéreux de cette librairie étroite, à l’angle de
deux rues, rendue encore plus exiguë par le nombre de livres et d’objets qui s’y
trouvaient. Une pièce sans lumière, aussi sombre que le ciel à l’extérieur,
comme si elle venait d’ouvrir ses portes après une longue période de fermeture.
L’odeur était mélangée, entre l’atmosphère d’un pub, remplie d’odeurs de
cigarettes éventées, de boissons et de vie nocturne, et l’odeur des livres que
personne n’a achetés depuis longtemps. Nous pleurons en silence, puis chacune
de notre côté, nous sortons un mouchoir de la boîte, nous essuyons nos larmes
et nous ne disons rien. Au bout de quelques minutes, elle soupire et dit avec
un sourire triste : « Tu bois du café ? »
J’étais
soulagée de pleurer ensemble. Je suis allée jusqu’au quartier Bristol. Devant
un petit magasin de téléphonie, deux jeunes hommes étaient assis en train de
fumer. J’ai entendu l’un d’eux dire à l’autre qu’il n’osait pas aller voir son
magasin dans la banlieue, non pas par crainte des bombardements israéliens «
auxquels on est habitués », mais par crainte de constater la destruction de son
gagne-pain.
Siham dort
également dans la zone portuaire où elle travaille comme infirmière bénévole.
La nuit de l’assassinat, vers l’aube, ses jambes l’ont trahie lorsqu’elle a
constaté que sa maison, située à quelques rues de l’endroit où les Israéliens
ont bombardé la zone, semblait s’effondrer dans la lumière des premiers rayons
de l’aube. Elle est restée quelques minutes dans la lumière de l’aube
naissante, puis a quitté l’endroit dévasté et a repris la route vers son lieu
de travail.
Dans l’immeuble
Concorde de la rue de Verdun, près de la rue Hamra, je me rends dans un centre
de visas pour me renseigner sur certaines conditions en vue d’une invitation
professionnelle dans un pays étranger. Le centre se trouve au cinquième étage
du bâtiment, et le journal Al-Akhbar pour lequel je travaillais se trouve au
sixième étage. D’habitude, je passe saluer mes collègues. Mais aujourd’hui, je
n’ai pas pu.
Je pars en
me disant que mon passage devant les deux journaux pour lesquels j’ai travaillé
pendant vingt et un ans n’était peut-être pas une coïncidence. Peut-être que
mon travail de reporter sur le terrain en temps de guerre me manquait. Lorsque
je l’ai fait, j’ai eu l’impression de contribuer à la défense de ma patrie.
Quelque chose qui donnerait un sens à ma vie dans ce pays qui a été « conçu »
par les colonisateurs lorsqu’ils ont « dessiné la carte de l’Orient » pour qu’il
soit une arène de conflits et de compromissions pour ceux qui détiennent le
pouvoir, et non un pays sûr pour son peuple. Aujourd’hui, ils veulent le
redessiner. Dans quel but, n’est-ce pas évident ?
Le surplus
de pouvoir dont jouit le brutal Israël et la galaxie de puissants intimidateurs
qui le soutiennent les fait jouir. Ce n’est pas grave. Allez, on y va. De toute
façon, nous n’avons pas le choix. Voyons comment ça se termine.
Sur le
chemin du retour, au détour d’un virage, je croise un ancien collègue. Nous
sommes à deux mètres l’un de l’autre et il sourit de surprise, heureux de me
voir, mais les yeux aussi gonflés que les miens. J’ai envie de pleurer encore
pour savoir comment il va, mais il ne dit pas un mot, il me serre dans ses bras
sans rien dire, et il pleure aussi.
Muhammad Sahimi (Téhéran, 1954),
professeur de génie chimique et de science des matériaux et titulaire de la
chaire NIOC de génie pétrolier à l’université de Californie du Sud (Los
Angeles), est cofondateur et rédacteur en chef du site ouèbe Iran News &
Middle East Reports.
Depuis l’invasion de l’Irak
en mars 2003, les conservateurs, le lobby israélien aux USA et les groupes qui
leur sont alliés ont cherché une version iranienne d’Ahmed Chalabi, le célèbre
personnage irakien allié aux néoconservateurs lors de la préparation de l’invasion
de l’Irak en 2003, qui a fabriqué pendant des années des mensonges sur les
armes de destruction massive inexistantes de Saddam Hussein.
Depuis au moins une décennie,
le principal candidat est Reza Pahlavi, le fils du dernier roi d’Iran, Mohammad
Reza Pahlavi, dont le régime a été renversé par la révolution de 1979. Pahlavi junior
tente depuis plus de 40 ans de rétablir la monarchie en Iran, mais comme je l’ai
expliqué ailleurs, ses efforts ont été consacrés à l’obtention du soutien
de gouvernements étrangers pour le mettre au pouvoir.
Atelier Populaire des Beaux-Arts, Paris, juin 1968
Dans les années 1980, la CIA
a financé Reza Pahlavi. Il entretient également des relations
de longue dateavec le lobby israélien aux USA. Il
a rencontré Sheldon
Adelson, l’homme qui a suggéré que les USA attaquent l’Iran avec des bombes
nucléaires, et a pris la parole à l’Institut
Hudson, à l’Institut
de Washington pour la politique du Proche-Orient, au Sommet israélo-américain
et dans d’autres organismes pro-israéliens. Pahlavi a
également appelé Israël - ce même pays qui mène des guerres brutales à Gaza
et au Liban depuis un an -à aider la « cause de la démocratie » en Iran.
Les nouveaux efforts pour
soutenir Pahlavi ont
commencé immédiatement après l’élection de Donald Trump en novembre 2016,
avant même qu’il ne prenne officiellement ses fonctions, mais les
manifestations à grande échelle qui ont eu lieu en Iran en septembre-décembre
2022 à la suite de la mort de Mahsa Amini, la jeune femme décédée alors qu’elle
était détenue par les forces de sécurité, ont fourni une nouvelle occasion de
présenter le Chalabi iranien comme le « prochain dirigeant » de l’Iran. Parmi
les proches conseillers de Pahlavi figurent Amir Taheri, Amir Etemadi et Saeed
Ghasseminejad, tous partisans d’Israël.
Taheri, 82 ans, « journaliste
», est président de Gatestone,
Europe, institution islamophobe de droite, qui a menti sur l’Iran à de
multiples reprises, dans le but de provoquer une réaction brutale contre ce
pays. Par exemple, en mai 2006, le National Post, journal canadien de
droite, a publié un article de Taheri dans lequel il affirmait que le Majlis
[parlement iranien] avait adopté une loi qui « envisage des codes
vestimentaires distincts pour les minorités religieuses, les chrétiens, les
juifs et les zoroastriens, qui devront adopter des couleurs distinctes pour
être identifiables en public ». Ces propos ont été rapidement réfutés
par de nombreuses personnes, comme Maurice
Motamed, qui était à l’époque le membre juif du Majlis. Le National Post a retiré
l’article et s’est excusé de l’avoir publié, mais Taheri ne l’a pas fait.
Taheri a également accusé l’ancien
ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, de faire partie
des étudiants qui ont pris d’assaut l’ambassade des USA à Téhéran en novembre
1979, alors qu’à l’époque, Zarif était étudiant à l’université d’État de San
Francisco. Juste après la signature de l’accord nucléaire avec l’Iran,
officiellement connu sous le nom de Plan global d’action conjoint (JCPOA), en
juillet 2015, Taheri a affirmé : « Akbar Zargarzadeh, 14 ans, a été pendu
à un arbre dans un camp de garçons islamiques après que le mollah du camp l’a
accusé d’être gay et de mériter la mort ». Cette affirmation s’est également
révélée être
un canular.
Si Taheri est trop âgé pour
être un Ahmed Chalabi iranien, Ghasseminejad et Etemadi sont relativement
jeunes et ambitionnent d’être le prochain Chalabi. Etemadi, 43 ans, a cofondé
le petit groupe monarchiste Farashgard
[qui signifie renaissance en persan ancien] en 2018. Ghasseminejad et lui
appartenaient tous deux au soi-disant « Groupe des étudiants libéraux iraniens
», un petit groupe d’ultra-droite composé d’étudiants activistes en Iran, dont
la plupart ont déménagé au Canada et aux USA. Avant l’élection de Trump en 2016, Etemadi a reposté
un gazouillis de Mitt Romney dans lequel il qualifiait Trump de « bidon et de fraude »,
mais dès que Trump a été élu, Etemadi et ses acolytes
monarchistes sont tombés amoureux de sa politique iranienne et ont soutenu
la « politique de pression maximale » de l’administration Trump contre l’Iran,
que l’administration Biden a, plus ou moins, poursuivie. Une source bien
informée à Washington a dit à l’auteur qu’Etemadi est payé par la Foundation
for the Defense of Democracies (FDD),
bien que je n’aie pas pu confirmer cette affirmation de manière indépendante.
La FDD est un lobby israélien, un ardent opposant au JCPOA et un défenseur des
sanctions économiques et même de la guerre contre l’Iran
Ghasseminejad est aujourd’hui
chercheur principalà la FDD. Il s’est fait le champion du « nettoyage des rues
des bêtes islamistes » et s’inquiète d’une « apocalypse
chiite » imminente alimentée par l’Iran. Mais ce qui est plus important que
ce titre, c’est le travail de Ghasseminejad au nom de la « fausse
opposition » iranienne, un assortiment flou d’activistes réactionnaires qui
soutiennent les sanctions économiques et la pression militaire contre l’Iran,
mais dont la politique contraste fortement avec les groupes de la « vraie
opposition » en Iran et leurs partisans dans la diaspora, qui se compose d’une
large coalition de syndicats de travailleurs et d’enseignants, de groupes de
défense des droits humains, de droits des femmes et d’activistes sociaux, de
réformistes radicaux, de nationalistes, de gauchistes laïques et de nationalistes
religieux.
Ghasseminejad était étudiant
en génie civil à l’université de Téhéran, qui - à l’exception de la période du
gouvernement éphémère du Premier ministre Mohammad Mosaddegh en 1951-1953 - a
toujours été un foyer d’activités antigouvernementales. En 2002, Ghasseminejad
et Etemadi ont publié un bulletin d’information étudiant intitulé Farda
[« demain »] dans lequel ils prônaient le « libéralisme », c’est-à-dire des
aventures militaires du type de celles envisagées par les néoconservateurs
partisans d’une « intervention libérale » afin de répandre la « démocratie »
par la force. Ghasseminejad a soutenu l’invasion usaméricaine de l’Irak en 2003
et, dans un
article intitulé « Pourquoi les USA attaqueront l’Iran », il a
implicitement préconisé des attaques militaires contre son pays natal.
En juin 2003, après des
manifestations sporadiques contre le gouvernement à Téhéran, Ghasseminejad a
été brièvement détenu. Lors d’une conférence de presse tenue après sa
libération, il
s’est excusé auprès du leader suprême de l’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei,
a promis d’être « un bon citoyen » et a mis fin à ses activités politiques.
Deux ans plus tard, au printemps 2005, Ghasseminejad et un petit groupe d’autres
étudiants ont commencé à publier une autre lettre d’information appelée Talangar
[en gros, « appel au réveil »], qui se concentrait sur la critique des
étudiants de gauche et des lettres d’information qu’ils publiaient.
Bien qu’il ait exprimé son «
amour » pour la démocratie et les droits humains, qu’il se soit présenté comme
un « libéral classique
» et qu’il ait travaillé pour une fondation qui « défend » les démocraties,
Ghasseminejad s’est à plusieurs reprises rallié à l’autoritarisme. Dans un
article intitulé « Qu’apprenons-nous de Lénine », publié dans Talangar, il a exprimé
son admiration pour Vladimir Lénine et son concept de « centralisme
démocratique ». Il
a qualifié Augusto Pinochet, le dictateur chilien, de « cher [dirigeant]
disparu qui a sauvé le Chili... et qui était bien meilleur que Salvador Allende
», le président socialiste chilien qui, comme Mohammad Mosaddegh en 1953, a été
renversé par un coup d’État soutenu par la CIA en 1973.
Ghasseminejad s’est également
prononcé en faveur du massacre des Égyptiens lors des manifestations qui ont
suivi le coup d’État d’Abdel Fattah el-Sissi en 2013, en écrivant sur sa page Facebook:
« J’ai pensé que je devais venir sur Facebook et exprimer mon appréciation pour
l’armée égyptienne qui a nettoyé les rues des fondamentalistes islamiques
criminels. » Il a ajouté : « En fait, la bonne question n’est pas de savoir
pourquoi l’armée égyptienne nettoie l’Égypte des bêtes islamistes, mais plutôt
pourquoi l’armée iranienne a permis aux islamistes de prendre le contrôle de
notre pays » pendant la révolution iranienne, alors qu’au moins 3 000 personnes
ont été assassinées par l’armée du Shah pendant la révolution de 1979.
J’ai beaucoup écrit
sur Ghasseminejad. Dans sa jeunesse, il était opposé à la monarchie en
Iran, qualifiant Mohammad Reza Shah de « dictateur insensé »,
mais, comme tous les opportunistes monarchistes, lui, Etemadi, Taheri et
Farashgard soutiennent tous Reza Pahlavi et le retour de la dictature
monarchique en Iran, ainsi qu’Israël.
Taheri est un monarchiste si ardent qu’à un moment donné, il a exprimé le
souhait de lécher
les bottes de Mohammad Reza Shah.
Le point le plus important
concernant ces aspirants Chalabi est qu’eux et leurs partisans ne disposent pas
d’une base sociale de soutien significative en Iran. Reza Pahlavi n’a jamais
osé appeler le peuple iranien à lui manifester son soutien en Iran par le biais
d’une manifestation ouverte, et lorsqu’en décembre 2018 et janvier 2019, le monarchiste
Farashgard a appelé à de telles
manifestations, personne ne s’est présenté. Même dans la diaspora, une grande
majorité d’Iraniens, tout en s’opposant aux religieux en Iran, méprisent les
sanctions économiques, les menaces militaires et le soutien des monarchistes à
la guerre du Premier ministre Benjamin Netanyahou contre l’Iran. En Iran, l’hostilité
entre Netanyahou et les monarchistes iraniens a transformé les Iraniens
généralement favorables à l’Occident en de fervents opposants à Israël.
Les monarchistes savent que l’absence
d’une base sociale significative en Iran implique qu’ils ne reviendront jamais
au pouvoir par le biais d’un mouvement social ou d’une révolution dans le pays.
Leur seul espoir réside donc dans une intervention étrangère en Iran, raison
pour laquelle ils prônent toujours la guerre et les sanctions économiques et soutiennent
Israël. C’est pourquoi, après les grandes manifestations qui ont eu lieu en
Iran en 2022, Etemadi et Ghasseminejad ont convaincu Reza Pahlavi qu’il devait
faire connaître son alliance avec Israël et l’ont incité à s’y rendre.
Accompagné de deux hommes, Pahlavi se
rend en Israël en avril 2023 et rencontre Netanyahou
et le président israélien Isaac
Herzog. Pendant son séjour, Pahlavi a rencontré toutes sortes de groupes
sociaux et religieux, à l’exception des Palestiniens et des musulmans.
Reza Pahlavi au Mur des Lamentations
Reza Pahlavi et Yasmine, Sara et Bibi Netanyahou
Après l’attaque de l’Iran
contre Israël la semaine dernière, les spéculations sur la réponse possible d’Israël
à cette attaque vont bon train. Ici aussi, les Chalabi monarchistes ne sont pas
seulement des alliés d’Israël, mais certains d’entre eux participent activement
à la planification du bombardement de l’Iran par Israël. Interrogé sur la
manière dont Israël décide où bombarder en Iran lors d’une interview avec Erin
Burnett de CNN, le lieutenant-colonel (Re.) Jonathan Conricus, ancien
porte-parole de Tsahal et actuellement chercheur principal à la FDD, a répondu que les sites
potentiels sont étudiés et analysés par les experts de la FDD, dont Ghasseminejad, Behnam Ben Taleblu -
un autre « chercheur principal » iranien - et Andrea Stricker, chercheuse
anti-iranienne à la FDD, experte en
prolifération nucléaire. En d’autres termes, les Chalabi iraniens empruntent la
même voie que celle empruntée par les Irakiens.
Mais, contrairement à l’Irak
où le nationalisme sous le régime de Saddam Hussein était faible, puisque ce
dernier avait toujours prôné le panarabisme, les Iraniens sont farouchement
nationalistes et ne pardonneront jamais aux renégats tels que ces aspirants Chalabi.
Ceux-ci doivent également se rappeler le sort des Chalabi irakiens : une fois
que les USA ont atteint leur objectif d’envahir et d’occuper l’Irak avec l’aide
des mensonges et des exagérations de Chalabi, celui-ci a été jeté sans
cérémonie comme une vieille serpillère : il n’a jamais accédé au pouvoir et est mort
dans l’infamie.
BONUS
TLAXCALA
Trombinoscope
chalabiesque
Carnet
Mondain
Leurs
Altesses Impériales Reza Pahlavi (qui aura 64 ans le 31 octobre) et sa maman,
la Chahbanou Farah (qui aura 86 ans le 14 octobre) se sont vu décerner le Prix
Architecte de Paix de la Fondation Richard Nixon. Reza sera l’hôte d’un dîner
de gala le 22 octobre à la Bibliothèque/Musée présidentielle Richard Nixon,
àYorba Linda, Californie, tandis que la
Chahbanou le recevra plus tard, lors d’une cérémonie privée. Vous pouvez
acheter vos tickets pour le dîner, dont le prix va de 1 000 à 50 000 $,
ou faire une donation, si vous ne pouvez pas assister au dîner, ici. Malheureusement, le menu du dîner n'a pas été communiqué par les organisateurs. On espère qu'il y aura du caviar de la Caspienne et du vin de Shiraz californien.
Le jeune Reza avec Tricky
Dickie Nixon, papa et maman, en 1979, au country club de Cuernavaca. Nixon et Pahlavi senior
furent les meilleurs amis du monde, s’étant connus à Téhéran après le coup d’État
organisé par la CIA en 1953, puis rencontrés une douzaine de fois, jusqu’à l’enterrement
du despote déchu au Caire en 1980, auquel Nixon fut le seul (ex)président à
assister. Lors de la première visite de Nixon, alors vice-président, le 7 décembre 1953, 3 étudiants iraniens en grève qui protestaient contre sa présence furent tués par la police : Ahmad Ghandchi appartenait au Jebhe-e Melli (Front national de Mossadegh), Shariat-Razavi et Bozorg-Nia au Hezb-e Tudeh (parti communiste). Leur mémoire est honorée en Iran chaque 16 de mois d'Azar.
Je crois que lorsqu’on parlera un
jour de cette période de l’histoire de l’humanité, on parlera d’une époque où les
images éphémères régnaient et les « apparences » primaient sur la réalité des
faits. Lorsque la réalité reprendra le dessus sur l’apparence, on parlera d’une
période où l’hypocrisie prévalait dans les relations internationales, à tel
point que les causes et les effets des actions des gouvernements de l’époque
étaient dissimulés dans les documents signés.
Parallèlement au G7, se tenait sur l'île d'Ortigia une expo de promotion du Made in Italy baptisée "DiviNation" où Giorgina et son ministre Lollobrigida ont fait leur show
Cette prémisse était nécessaire
pour recadrer les résultats de la réunion du G7 de l’agriculture, l’une des
nombreuses qui marquent chaque année les relations entre les États les plus
puissants de la planète. Elle s’est déroulée dans un climat d’incertitude, tant
en ce qui concerne la situation géopolitique que la situation spécifique de l’agriculture.
Pour tout dire, les participants à la réunion étaient l’expression de
gouvernements démissionnaires, démis ou nouvellement formés pour la plupart des
États (pensons aux récentes élections en France ou à celles à venir aux USA) et
n’étaient pas en état de prendre des engagements concrets. Comme ces réunions
ont lieu tous les ans, la réunion italienne aurait été l’occasion de faire un
travail de couloir, de développer les connaissances des nouveaux participants
et de conclure par d’éventuels engagements concrets avec les autres.
Au lieu de cela, on a préféré en
faire un cirque Barnum, en l’associant à une autre foire commerciale, comme l’ont
souligné de nombreux organes de presse, avec un effet promotionnel qui, dans
les intentions des organisateurs, aurait renforcé l’image du Made in Italy.
Personnellement, j’ai de sérieux
doutes quant aux résultats futurs, en particulier parce que les conditions
climatiques et de marché dans le secteur agricole ne sont pas parmi les plus
favorables et sont combinées à des conditions géopolitiques qui ont conduit à
certaines crises de marché et à la détérioration des conditions alimentaires
dans certaines régions de la planète.
Tout cela parce que le monde
poursuit la guerre globale « en morceaux », renforçant la pratique actuelle qui
consiste à déclencher des attaques non pas contre les armées adverses, mais
contre la population du camp opposé, en semant la terreur. Dans ces camps, les
malheureux habitants sont coupables de vivre là et sont souvent tués sous
prétexte que « l’ennemi les utilise comme boucliers humains ». Dans cette lente
mais inexorable escalade, d’autres pratiques guerrières détestables, utilisées
dans le passé, telles que le siège et l’affamement de l’ennemi - aujourd’hui
appelées par euphémisme « crises humanitaires » - sont mises en œuvre.
Pendant ce temps, les pays du G7,
tout en discutant de l’agriculture, se déchargent de toute responsabilité
directe et tentent de trouver la « quadrature du cercle » entre l’augmentation
de la productivité (et donc de la consommation d’énergie) d’une part, et la
réduction de la pollution et la lutte contre le changement climatique d’autre
part.
Le communiqué publié à l’issue
des travaux ne dit rien de nouveau sur ce que toutes les grandes institutions
internationales (ONU, FAO, OCDE) disent depuis des années sur la relation entre
faim / protection de l’environnement / développement socio-économique. Le G7
arrive bon dernier en admettant cette relation, selon laquelle il semble
évident qu’il ne sera pas possible d’éliminer la faim dans le monde si cela ne
se fait pas en parallèle de la protection de l’environnement et du
développement socio-économique.
Mais depuis une décennie, l’Agenda
2030 a été mis en place, qui a placé cette relation à la base de ses objectifs,
signé par tous les pays de l’ONU, mais tous les États sont à la traîne dans
leur réalisation et les résultats que l’on pensait possibles en 2030 sont
toujours repoussés.
Le communiqué de clôture du G7 ne
laisse rien transparaître de cet échec global. Le ton déclamatoire du
communiqué cache en réalité un manque d’action et dans les commentaires de la
plupart des médias italiens, on vante la nature même du document, véritable
manifeste de l’agriculture que nous voulons : rentable, résiliente, équitable
et durable. Mais ils omettent de noter ce que la rigueur des données montre :
depuis 1970, si une partie du monde a été libérée de la faim, ce n’est pas
grâce à l’intervention des grandes puissances et des institutions économiques
qu’elles dirigent, mais grâce à l’effort que la Chine a fait en interne pour
amener le pays à ce qu’il est aujourd’hui. Pour le reste, l’aide apportée aux
pays dans le besoin a été anéantie par le changement climatique et les guerres.
On ne sait pas dans quelle mesure
la transformation industrielle de l’agriculture dans les pays dits « pauvres »
a été un vecteur d’amélioration ou, peut-être, d’affaiblissement structurel
supplémentaire face aux changements géopolitiques. Mais un minimum d’autocritique,
sous la forme d’un changement des méthodes et de la voie adoptée jusqu’à
présent dans les relations avec les autres pays (notamment en Afrique), aurait
été nécessaire, ne serait-ce que pour réduire la distance politique qui existe
aujourd’hui entre les sept puissances et le reste du monde.
Par exemple,
toutes les motions déposées à l’ONU sur les conflits impliquant la Russie et
Israël, votées par les sept grands et visant à condamner l’agression et le
terrorisme, ont vu 35 États africains voter systématiquement contre ; un signe
de dissidence à l’égard des politiques développées par les « grands » pays qui,
malheureusement, tend à augmenter.
Comment pensez-vous impliquer
tous les pays africains dans des relations économiques stables s’ils ont vu
précisément dans les deux conflits - en Russie et au Moyen-Orient - la cause
principale de la hausse des prix du pétrole, qui est à son tour la cause
principale de la hausse des prix des denrées alimentaires ? Et comment veut-on
augmenter la capacité d’autosuffisance alimentaire si le changement climatique
oblige à abandonner de nombreux territoires sur les différents continents et
que le développement économique dépend du mécanisme d’exportation ?
Dans de
nombreux pays dits pauvres, les produits agricoles et la main-d’œuvre sont les
seuls produits commercialisés. Mais lorsque les sécheresses réduisent la
production agricole et que les politiques des pays riches empêchent l’entrée
légale sur le marché du travail, comment sommes-nous censés améliorer les
relations entre les nations et les conditions économiques générales ? Trop d’inconnues
se cachent derrière le mécanisme d’aide au développement mentionné dans le
document. Un petit exemple est la contradiction entre la protection des
produits italiens et la nécessité d’ouvrir le marché et la production
agroalimentaire aux produits des pays tiers, en premier lieu africains et
ukrainiens, qui suscite la révolte de nos agriculteurs.
Les pays touchés par la crise
climatique sont souvent les plus pauvres et, si l’on regarde les autres, ce
sont les régions les moins riches des pays industrialisés qui sont les plus
touchées par la crise. La crise climatique dans les régions riches est
facilement déguisée en faible croissance du PIB : si le monde dans son ensemble
n’est plus en mesure de « croître », c’est parce que l’exploitation des
ressources et des terres a atteint ses limites, mais vous ne trouverez pas cela
dans le communiqué. On dit que l’enfer est
pavé de bonnes intentions...
Ce vers
de la tragédie de Racine Esther (1689) est d’une actualité brûlante ; il
conviendrait donc de jeter un coup d’œil à sa source, le Livre d’Esther, qui,
s’il n’a aucune valeur historique, peut nous dire beaucoup de choses sur l’état
d’esprit des Juifs qui se nourrissent, quotidiennement ou hebdomadairement, de
la Bible.
Esther dénonçant
Hamas au roi Asuerus, par Ernest Normand, 1888
On sait (ou
on devrait savoir) que les livres pseudo-historiques de la Bible sont des
reconstructions de pure propagande ; ils témoignent surtout d’un ethnocentrisme
effarant, mais qui continue à formater notre vision du Proche et Moyen-Orient :
alors que, pendant la période de leur rédaction, les tribus juives ne jouent
aucun rôle actif dans cette histoire, et que la plupart des historiens de
l’époque les ignorent, les rédacteurs de la Bible ont persuadé les pays
chrétiens, pendant maintenant près de deux millénaires, que les Juifs étaient
au centre, et que les peuples prestigieux qui les entourent n’existaient qu’en
fonction d’eux, et de leur hostilité ou bienveillance à leur égard.
Aman, le «
méchant » de l’histoire d’Esther, est issu des Amalécites, peuple qui vivait entre Égypte et Jordanie ;
ils sont traités sur Google avec un parti-pris impudent : toutes les références
données adoptent le point de vue de la Bible.
On lit ainsi
dans wikipédia : « Selon la Bible [cet effort d’objectivité, « selon », sera
vite oublié], ils furent toujours acharnés contre les Hébreux, qui à leur tour
[« à leur tour » : ce n’est qu’une réaction aux exactions des Amalécites] les
regardent comme une race maudite ». Aussi Dieu ordonne-t-il à Saül de les exterminer.
Plus tard, «selon le Livre d’Esther, les exilés du premier Temple auront à
pâtir des volontés génocidaires d’Haman ». Et l’article se termine,
tranquillement, par une citation de la Bible (Deutéronome) : « Quand donc
l’éternel ton Dieu t’aura délivré de tous les ennemis qui t’entourent, et qu’il
aura ainsi assuré la sécurité dans le pays [l’expression donne froid dans le
dos] qu’il te donne en héritage pour que tu en prennes possession, tu effaceras
la mémoire d’Amalek de dessous le ciel ».
Quelle est
l’idée qui se dégage de ce texte ? Les Amalécites projetaient d’exterminer les
Juifs ; ceux-ci avaient donc le droit, pour assurer leur sécurité, d’exterminer
les Amalécites et de détruire même tout souvenir d’eux sur cette terre (c’est
ainsi que les Israéliens détruisent même les cimetières palestiniens). On
reconnaît bien ce type de discours et, même, la théorie usaméricaine de la guerre
préventive, exemplairement appliquée en Irak.
Mais il y a
pire que wikipédia : l’article du site catho Aleteia (quelle antiphrase!
ἀλήθεια signifie vérité en
grec) : « Les Amalécites sont surtout connus dans le récit biblique pour leurs
batailles » ; celle qui les oppose à Moïse « se trouve relatée par la Bible au
livre de l’Exode, en un récit épique et haut en
couleur » : l’auteur (on sent le ton enjoué et cafard par lequel il veut
éveiller l’intérêt des enfants) présente l’extermination des Amalécites comme «
haute en couleur » ! « Malheureusement pour les Hébreux, cette fameuse bataille
[…] n’allait pas pour autant rayer de la carte les Amalécites », qui se manifesteront
encore comme des brigands. Aussi Dieu dit à Saül : « Tu frapperas Amalek ; et
vous devrez vouer à l’anathème tout ce qui lui appartient [la traduction
œcuménique de la Bible dit ici : « vous devrez vouer à l’interdit », ce qui est
l’expression rituelle pour dire : exterminer]. Tu ne l’épargneras pas. Tu
mettras à mort : l’homme comme la femme, l’enfant comme le nourrisson, le bœuf
comme le mouton, le chameau comme l’âne ». Malheureusement pour lui, Saül épargne
le roi amalécite, plus quelques agneaux ; pour ce crime, Dieu lui retire son
soutien, il le fera périr avec ses trois fils, et le remplacera par David.
Conclusion d’Aleteia
: « les Amalécites, ce peuple ennemi d’Israël, disparaîtra du désert du Sinaï,
de l’Histoire et du récit biblique au profit de tribus amies d’Israël ». On
notera l’assimilation du « récit biblique » à l’Histoire : si c’est dans la
Bible, c’est vrai. Les premières études critiques de la Bible ont été le fait
de savants bénédictins : cette tradition semble bien perdue dans l’Église d’aujourd’hui
! On notera aussi que seules les « tribus amies d’Israël » ont droit à
l’existence.
Le Livre
d’Esther raconte donc une histoire censée se passer pendant l’exil à Babylone (Ve siècle avant
J-C) : la reine Vashti étant tombée en disgrâce, on organise un concours de
beauté pour que le roi Assuérus puisse se choisir une nouvelle épouse. Il est
séduit par la beauté d’Esther, une orpheline juive élevée par son oncle
Mardochée [Mordecaï], qui va hanter le Palais pour garder un œil sur
elle ; mais il refuse de s’incliner devant le vizir Haman qui, furieux, le
dénonce au Roi, et demande l’extermination des Juifs (!). Mais Assuérus se
souvient que Mardochée lui avait dénoncé un complot contre sa personne et le récompense.
Mardochée décide alors de faire intervenir Esther : elle demande au Roi de
révoquer le décret d’extermination des Juifs… et de le remplacer par un décret
d’extermination des Amalécites, ancêtres d’Haman ! Aux termes de ce décret, «
Le Roi octroie aux Juifs [….]d’exterminer, de tuer et d’anéantir toute bande,
d’un peuple ou d’une province, qui les opprimerait, […] et de piller leurs
biens ».
En
conséquence de quoi, « les Juifs frappèrent alors leurs ennemis à coups d’épée
». Le roi tire le bilan de l’opération, pour la plus grande satisfaction
d’Esther : « A Suse-la-Citadelle, les Juifs ont tué, anéantissant 500 hommes,
plus les dix fils d’Haman. Dans le reste des provinces royales, qu’est-ce
qu’ils ont dû faire ! » Après le massacre, « ils se reposèrent » et décidèrent
d’instituer une fête, « jour de banquet et de joie », la fête des Purim.
Mais, malgré
les notices fidéistes de wikipédia et autres, rien de tout cela n’est vrai ! Le
récit, selon les études critiques, est absurde et puéril : le rédacteur imagine
les rapports du Roi avec ses femmes, la nature de son pouvoir, sa politique, la
position des Juifs auprès du Roi de façon aberrante. Assuérus/Xerxès Ier
n’a jamais eu d’épouse juive, il n’a jamais promulgué de décret
d’extermination, et ses décisions n’étaient pas prises sur simple caprice ; au
contraire, son souci était de maintenir la tranquillité et la cohésion chez
tous les peuples de son Empire. Seules deux ou trois petites lignes laissent
passer un petit élément de réalité, lorsqu’on précise qu’on envoie les ordres
du Roi « à chaque province selon son écriture, à chaque peuple selon sa langue
». En effet, au Ve siècle, coexistaient les systèmes idéographique
(le sumérien, repris par les Akkadiens qui y ajoutèrent des éléments
syllabiques – ce système restera longtemps la langue de l’administration),
syllabique et alphabétique (le phénicien, repris par les Grecs).
Le Livre
d’Esther est donc plein d’une folle arrogance : alors qu’ils font partie de
l’Empire Perse, et que les historiens de l’époque les ignorent, les Juifs
prétendent diriger sa politique, en faisant exterminer les peuples qui leur
déplaisent. En fait, Xerxès avait d’autres chats à fouetter : son règne est
marqué par la première Guerre Médique, où les Perses seront arrêtés à Marathon
; et là, tout à coup, l’Histoire se remet à l’endroit, loin des élucubrations bibliques.
Mais
l’histoire d’Esther est encore sujette à caution pour une autre raison :
James Frazer, étudiant dans Le rameau d’or les rites du bouc émissaire, s’arrête sur la fête des Pourim et
l’histoire d’Esther. Il remarque que les noms qui y apparaissent ne sont pas
hébreux, mais d’origine mésopotamienne : Esther/Ishtar, Mardochée/Mardouk
(grand dieu akkadien et en particulier dieu protecteur de Babylone), Pourim de
l’assyrien « pour », sort, destin. L’histoire d’Esther serait donc un
camouflage, une légende étiologique pour naturaliser une fête empruntée à
Babylone. Elle est néanmoins devenue très populaire, car elle célèbre la
victoire des Juifs sur leurs ennemis.
Racine
reprend fidèlement ce morceau d’« Histoire sainte », avec une seule différence
: Esther s’abstient de réclamer l’extermination des Amalécites. Dans un
contexte chrétien, et de la part d’un personnage décrit comme une petite chose
douce et sensible, cela aurait pu choquer ! Racine se contente d’une allusion
placée dans la bouche d’Assuérus : « Je romps le joug funeste où les
Juifs sont soumis ; je leur livre le sang de tous leurs ennemis », où le « tous
» renvoie discrètement à l’idée d’extermination.
-Tu
ne tueras point
-Mais bon sang, on est au XXIème siècle
Jeff Danziger
Toutefois,
cette discrétion est bien hypocrite, car derrière l’histoire de la douce
Esther, se cache encore une histoire de massacres : Racine a écrit Esther à la
demande de Mme de Maintenon, pour que les pensionnaires de Saint Cyr,
institution créée par elle pour les jeunes filles pauvres de la noblesse,
puissent faire du théâtre avec décence. Les rapports entre Esther et Assuérus
renvoient donc aux rapports entre Louis XIV et la Maintenon, devenue son épouse
morganatique en 1683. Et la requête d’Esther renvoie au lobbying exercé par
celle-là pour obtenir, peu avant la pièce, en 1685, la Révocation de l’Edit de
Nantes, précédée et suivie, dans les années 1680, par les fameuses et sinistres
dragonnades (sans doute aussi « hautes en couleur » que les batailles contre
les Amalécites), contre les protestants. Racine n’a pas osé convertir le Roi
Xerxès au judaïsme, mais les dernières paroles d’Assuérus : « que tout tremble
au nom du dieu qu’Esther adore » sont, elles aussi, une allusion aux opérations
militaires lancées pour obtenir la conversion des protestants.
Dans le même
temps, la Bible servait déjà de feuille de route aux colons anglais dans leur
conquête des terres américaines et l’extermination des Indiens.
L'avocat sud-africain Tembeka Ngcukaitobi évoque devant la Cour internationale de Justice les citations répétes de Netanyahou de l'injonction biblique à "tuer tous les Amalécites"
Mia Mottley, Première Ministre des Barbades, répond à Netanyahou, le tueur d'Amalécites à la 79ème AG des Nations Unies
*Shiv’ah (שבעה hébreu pour « sept » ) est le nom de la
période de deuil observée dans le judaïsme par sept catégories de personnes
pendant une semaine de sept jours à dater du décès ou de l’enterrement d’une
personne à laquelle ces personnes sont apparentées au premier degré, où elles
sont soumises à différentes règles rompant leur quotidien habituel.
Le 7 octobre
2023 est passé ; le 7 octobre 2024 passera lundi. Il y a un an, cette journée a
déclenché des catastrophes d’une ampleur qu’Israël n’avait jamais connue et a
changé le pays. Israël s’est arrêté le 7 octobre 2023, l’a adopté depuis et a
refusé de lui dire au revoir.
Enterrement
de Nadav et Yam Goldstein-Almog, tués le 7 octobre, au kibboutz Shefayim. Photo
Tomer Applebaum
L’ampleur
de la catastrophe pourrait l’expliquer, mais on ne peut s’empêcher de
soupçonner que l’engagement obstiné, incessant et singulier à l’égard du 7
octobre, sans reprendre son souffle et sans laisser de place à quoi que ce soit
d’autre, a d’autres objectifs. Pour les Israéliens, le 7 octobre justifie tout
ce qu’Israël a fait depuis. C’est leur certificat de cacherout.
Se complaire
dans notre désastre nous empêche de nous positionner face aux désastres que
nous avons ensuite infligés à des millions d’autres
personnes.
La
vie de nombreux Israéliens s’est arrêtée le 7 octobre ; elle a été
bouleversée et détruite. Il suffit de lire les remarques déchirantes d’Oren
Agmon, qui a perdu son fils (Uri Misgav, Haaretz en hébreu, 2 octobre). Non
seulement c’est un devoir de mémoire, mais il est impossible d’oublier cette
atrocité.
Mais avant l’anniversaire,
le temps est venu de guérir un peu, d’ouvrir les yeux sur ce qui s’est passé
depuis. Il faut admettre, tardivement, que lorsqu’on parle de « massacre », il
ne s’agit pas seulement de celui du 7 octobre. Celui
qui a suivi est bien plus grand et bien plus horrible.
L’attachement
d’Israël à son deuil a des racines profondes. Nous avons été élevés dans cette
optique. Aucune autre société ne pleure ses morts de la sorte. Il y a aussi
ceux qui associent le deuil aux médias et au système éducatif - ils disent que
cela unit un peuple.
Dans les
années 1960, nous chantions « Dudu » et pleurions un soldat que nous ne
connaissions pas, sous l’égide de nos guides suprêmes. Israël possède plus de
monuments commémoratifs que n’importe quel autre pays de sa taille et de son
nombre de victimes : un monument pour huit morts, alors que l’Europe, qui a
enterré des millions de ses enfants, compte un monument pour 10 000 morts.
Chaque
mort est une perte; la mort d’un jeune homme l’est encore plus. Il n’est
pas certain que la mort d’un fils par maladie ou accident soit plus facile à
vivre pour ses parents et amis que sa mort au combat. On peut supposer que si
le jeune Adam Agmon était mort d’un anévrisme, son père n’en aurait pas moins
pleuré.
L’industrie
du mythe a poussé sa mort plus loin. Elle a imposé un deuil national à tout le
monde, et de manière encore plus forcée au cours de l’année écoulée. Dans le
même temps, elle a empêché de traiter le deuil d’une autre nation et a même
interdit de le reconnaître. Pour Israël, un tel deuil n’existe pas, et
quiconque s’obstine à soutenir le contraire est un traître.
Il est
étonnant qu’un pays en deuil absolu ose nier de manière aussi éhontée l’existence
d’un autre deuil et le considère comme illégitime.
Même les
Russes aiment leurs enfants, chantait Sting, mais dites-le aux Israéliens qui
sont convaincus que les Palestiniens n’aiment pas les leurs. J’ai couvert le
deuil du peuple palestinien pendant des décennies et je peux affirmer avec
force qu’ils pleurent comme nous. Les parents endeuillés sont des parents
endeuillés, mais vous ne pouvez même pas dire ça aux Israéliens, surtout pas au
cours de l’année écoulée, alors qu’ils sont recroquevillés sur leur deuil et ne
veulent rien entendre d’autre.
L’année
écoulée, une année de grand deuil, a élevé ces tendances à des niveaux
méconnaissables. Une année d’histoires déchirantes d’otages et de récits d’héroïsme
suprême incessant, de mort, d’héroïsme et d’un peu de kitsch. Je ne veux pas
prendre à la légère la douleur individuelle et nationale, mais lorsqu’elle
devient presque le seul sujet, pendant une période aussi longue, il semble qu’elle
soit destinée à distraire et à détourner l’attention de l’essentiel.
Des Gazaouis
devant les corps enveloppés de proches tués lors d'un bombardement israélien
sur Gaza dans la nuit du 2 au 3 octobre. Photo : Omar Al-Qattaa/AFP
J’ai la
gorge serrée lorsque je lis les mots nobles et émouvants d’Oren Agmon. Ma gorge
se serre tout autant en entendant des pères endeuillés en Cisjordanie et à
Gaza.
À la fin
d’une année de deuil, il est nécessaire de sortir de la shiva’h du 7 octobre et
de commencer à regarder vers l’avant, vers un endroit où nous pouvons aller -
dont personne ne sait où il se trouve - au lieu de n’entendre que les mots de l’héroïsme
d’Israël et de son deuil sempiternel.